Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

17 février 1942

Allocution aux curés de Rome et aux prédicateurs de carême

Table des matières

Comme l’an­née pré­cé­dente [1], le pape a vou­lu ras­sem­bler les curés et pré­di­ca­teurs de carême de Rome pour leur don­ner ses conseils en vue de l’é­van­gé­li­sa­tion des fidèles de son diocèse :

Au milieu des pré­oc­cu­pa­tions et des inquié­tudes de l’heure pré­sente, votre venue près de Nous Nous est très agréable, chers fils, aux­quels est confié le soin des âmes dans les paroisses tou­jours plus nom­breuses de Rome, et vous, pré­di­ca­teurs du carême, pré­pa­rés et prêts à vous faire par votre pré­di­ca­tion maîtres et ministres de récon­ci­lia­tion des hommes avec Dieu. Votre pré­sence ravive en Nous l’affection qui, parce que par une dis­po­si­tion divine Nous sommes évêque de Rome, Nous unit d’une façon spé­ciale au cher peuple romain, par­tie choi­sie du trou­peau du Christ et par­tie cen­trale de Notre immense devoir de pas­teur uni­ver­sel de l’Eglise. Vous pais­sez le grand peuple de la Ville éter­nelle en Notre nom ; vous lui par­lez pour Nous ; obéis­sant fidè­le­ment à Notre très cher car­dinal vicaire, soyez les pères et les guides dans la voie du salut spi­ri­tuel, avec la sagesse dont la doc­trine des apôtres est le plus haut phare de foi. Dans le Symbole des apôtres brille la plus écla­tante lumière de la science de la foi et de la renais­sance de l’esprit ; ce Symbole dont vous devez expli­quer du haut de la chaire la seconde par­tie, riche de ces véri­tés qui concernent les der­nières et suprêmes des­ti­nées de l’homme.

Pendant la sainte qua­ran­taine, vous entre­tien­drez le peuple de ces des­ti­nées. Que cela ne vous soit point à charge si Nous-​même Nous en par­lons aujourd’hui devant vous. Nous vou­drions qu’à vos oreilles résonne, plus que la Nôtre, la voix de saint Augustin qui, par­lant de la voie uni­ver­selle de libé­ra­tion de l’âme, voie ouverte à toutes les nations par la misé­ri­corde divine, pro­clame le Christ voie, véri­té et vie, le Christ pré­dit et incar­né, et en même temps rap­pelle les choses mer­veilleuses réa­li­sées en Lui et accom­plies en son nom, comme aus­si celles qui ont été pré­dites et pro­mises et dont, dit-​il, les innom­brables que nous voyons réa­li­sées, nous font jus­te­ment et pieu­se­ment croire avec confiance que devront s’accomplir éga­le­ment celles qui sont à venir[2].

L’an der­nier, les grands mys­tères conte­nus dans les six pre­miers articles du Symbole des apôtres, concer­nant Dieu, un et trine, Créa­teur de l’univers, et le Verbe de Dieu fait homme, Maître et Rédemp­teur, vain­queur de la mort par sa Résurrection et son Ascension au ciel, ont été prê­chés et expli­qués au peuple. Mais les non moins impor­tants six articles qui res­tent sont d’une impor­tance capi­tale pour le salut de l’homme.

« C’est de là-​haut que le Christ viendra juger les vivants et les morts ».

Voilà le Christ qui, notre avo­cat (I Jean, ii, 1), siège à la droite du Père. Il n’est plus visible dans sa nature humaine par­mi nous. Mais il daigne res­ter avec nous jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, invi­sible sous les appa­rences du pain et du vin dans le sacre­ment de son amour. C’est le grand mys­tère d’un Dieu pré­sent et caché, de ce Dieu qui vien­dra un jour juger les vivants et les morts : inde ven­tu­rus est judi­care vivos et mor­tuos. Quand nous cour­bons la tête en médi­tant le cours inexo­rable du temps et en contem­plant les ruines de cités et de peuples que l’ouragan de la pré­sente guerre accu­mule sur la sur­face de la terre et que nous com­pa­rons l’envol du temps à l’inflexible immua­bi­li­té de la parole du Christ qui ne pas­se­ra pas, alors que le ciel et la terre pas­se­ront (Matth., xxiv, 35) ; quand au centre de la plé­ni­tude du temps nous regar­dons le Christ affir­mer, devant le tri­bu­nal de Caïphe, qu’il est le Fils de Dieu qui vien­dra un jour sur les nuées du ciel (Matth., xxvi, 64) ; notre foi, alors que le coeur est sai­si par la peur, fran­chit les siècles, voit se ter­mi­ner l’incessante suc­ces­sion des guerres et des paix dans le monde ; elle voit s’achever et se clore le grand volume de l’histoire du genre humain ; elle voit pas­ser le ciel et la terre et, au milieu des nuées entrou­vertes, appa­raître le signe du Fils de l’homme (Matth., xxiv, 30) des­cen­dant de la droite du Père pour le juge­ment uni­ver­sel des élus et des réprou­vés. Maintenant, c’est le temps favo­rable de la grâce, le temps du che­min de notre vie d’ici-bas, le temps de notre heu­reux ou mal­heu­reux pèle­ri­nage vers le tri­bu­nal du Juge éter­nel, là où appa­raîtra à la face de l’univers notre gloire ou notre infa­mie, notre joie ou notre déses­poir éter­nel. Quel jour sera ce jour-​là : Dies irae, dies illa ! [3]

Mais avant ce grand jour, chaque âme, par­mi les fils et les filles d’Adam, aura déjà com­pa­ru et aura été jugée en par­ti­cu­lier au tri­bunal du Christ, en pas­sant de cette vie fugace à un monde où ne règne plus que la jus­tice de Dieu, monde éter­nel­le­ment immuable comme le juge­ment divin est sou­ve­rai­ne­ment infaillible sur les œuvres, les paroles et les pen­sées des hommes. Mais ce juge­ment par­ti­cu­lier ou pri­vé suffit-​il à la sou­ve­raine jus­tice du Christ éta­bli par le Père, même comme homme, juge de toute l’humanité ? N’est-il pas encore le res­tau­ra­teur de la famille et de la socié­té humaine, Celui qui a réta­bli la sou­mis­sion de la chair à l’esprit et de l’esprit à la sagesse divine dans la dis­tri­bu­tion des biens et des maux par­mi les hommes ici-​bas ? L’homme fait par­tie d’une famille et de la socié­té, et en mou­rant il laisse sou­vent après lui des fils, des dis­ciples, des imi­ta­teurs de ses actions bonnes ou mau­vaises, qui accroissent au cours des temps sa récom­pense ou sa peine [4]. Il a un corps qui a été le com­pa­gnon et l’instrument du bien et du mal qu’il a fait à lui- même et aux autres ; revê­tu de ce corps, il réap­pa­raî­tra au juge­ment uni­ver­sel, par­mi les hommes, à la face du ciel et de la terre, pour être heu­reux ou pour être cou­vert de honte ; pour se réjouir ou rou­gir de cette répu­ta­tion que sou­vent le juge­ment des hommes change et bou­le­verse par­mi les mor­tels « en fou­lant aux pieds les bons et en exal­tant les méchants » [5], en dif­fa­mant les hommes pieux et en glo­ri­fiant les impies. Aussi est-​il juste que, devant le tri­bu­nal du Christ, Roi des rois et Seigneur des sei­gneurs (Apoc., xix, 16), com­pa­raissent en même temps et au même lieu pères et fils, maîtres et dis­ciples, princes et sujets, mar­tyrs et saints avec leurs corps glo­rieux ; per­sé­cu­teurs avec leurs mains macu­lées de sang ; les loups loués naguère comme des agneaux, et les agneaux jadis calom­niés comme étant des loups, afin que, fina­le­ment, devant les yeux de tous, triomphe le bien récom­pen­sé et soit humi­lié le mal.

Prêchez, ô ora­teurs sacrés, ces très hautes véri­tés. De nos jours, la pen­sée chré­tienne de la mort, d’où dépend toute l’éternité, menace de s’obscurcir tou­jours davan­tage. Ravivez-​la dans la conscience des fidèles et expliquez-​leur com­ment la gra­vi­té de la mort ne consiste pas tant dans ses cir­cons­tances exté­rieures que plu­tôt dans cette véri­té que tout homme est res­pon­sable de son des­tin éter­nel et que ce der­nier se fixe au moment de son départ de ce monde. Défendez l’infinie sagesse et jus­tice de Dieu qui dans les évé­ne­ments heu­reux ou mal­heu­reux de cette terre sou­vent ne dis­tingue pas les bons et les mau­vais et fait briller son soleil sur les uns comme sur les autres (Matth., v, 45). Ses juge­ments ultimes ne sont pas ren­dus en cette vie, mais dans l’autre monde. Louez-​le donc de ce que dans son gouver­nement divin il réserve non seule­ment ses récom­penses aux bons, mais encore les sup­plices aux mau­vais. Faites taire ces mur­mures que par­fois arrache aux lèvres de per­sonnes même pieuses la vue des méchants, ren­dus puis­sants par la richesse, superbes dans leurs hon­neurs, heu­reux dans leurs suc­cès. C’est pour­quoi le psal­miste disait : « Mes pieds ont été sur le point de flé­chir ; mes pas ont presque glis­sé, parce que j’ai envié les per­vers en voyant la pros­pé­ri­té des méchants… Tels sont les méchants ! Ils sont les heu­reux du monde et amassent des richesses. Et j’ai dit : c’est donc en vain que j’aurais gar­dé mon cœur pur, que j’aurais conser­vé mes mains sans souillure et dans l’innocence, puisque je suis dans la tri­bu­la­tion tout le long du jour et que mon châ­ti­ment est de tous les matins » (Ps., lxxii, 2–3 et 12–14) [6].

Dans cette plainte des saints s’exprime le cri de l’infirmité de la nature humaine, mais non la voix de cet esprit dont ils étaient ani­més et dans lequel ils ado­raient le mys­tère du gou­ver­ne­ment de Dieu dans les évé­ne­ments heu­reux et pénibles du monde. C’est une plainte que l’Eglise entend pro­fé­rer par les lèvres de beau­coup de ses fidèles, mais qu’elle-même, confiante dans les plans de ce sage « Empereur qui règne là-​haut », dépose au pied de son trône, afin que les pla­teaux des balances de la misé­ri­corde et des conso­la­tions montent plus haut que ceux des jus­tices et des dou­leurs. N’en dou­tez pas : au jour final, les ténèbres seront dis­si­pées par les rayons fulgu­rants de la croix, éten­dard de l’Eglise mili­tante et triom­phante, qui illu­mi­ne­ra les esprits et récon­for­te­ra les cœurs de ses fidèles disciples.

« Je crois au Saint-Esprit »

C’est vers ce grand jour de Dieu que s’avance l’humanité tout entière des siècles écou­lés, du pré­sent et de l’avenir. C’est vers ce jour que s’avance l’Eglise, maî­tresse de foi et de morale pour toutes les nations, bap­ti­sant au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Et nous, de même que nous croyons au Père, créa­teur du ciel et de la terre ; au Fils, rédemp­teur du genre humain, ain­si nous croyons éga­le­ment au Saint-​Esprit : Credo in Spiritum Sanctum. Il est l’Esprit, pro­cé­dant du Père et du Fils comme leur amour consub­stan­tiel, pro­mis et envoyé (cf. Jean, xvi, 7) par le Christ aux apôtres au jour de la Pentecôte, comme la ver­tu d’en haut qui les rem­plit, comme le Paraclet et le Consolateur qui demeure avec eux pour tou­jours, Esprit de véri­té, Esprit invi­sible, incon­nu du monde, qui leur enseigne et rap­pelle tout ce que Jésus leur a dit (Jean, xiv, 16–17, 26). Montrez au peuple chré­tien la puis­sance divine infi­nie de cet Esprit créa­teur, don du Très-​Haut, dis­tri­bu­teur de tout cha­risme spi­ri­tuel, conso­la­teur très bon, lumière des cœurs, qui dans nos âmes lave tout ce qui est souillé, arrose ce qui est aride, gué­rit ce qui est bles­sé. De lui, amour éter­nel, des­cend le feu de cette cha­ri­té que le Christ veut voir allu­mé ici-​bas ; cette cha­ri­té qui rend l’Eglise une, sainte, catho­lique, qui l’anime, la sou­tient et la rend invin­cible au milieu des assauts de la syna­gogue de Satan ; cette cha­ri­té qui unit dans la com­mu­nion des saints ; cette cha­ri­té qui renou­velle l’amitié avec Dieu et remet le péché. Ne sont-​ce pas là les grandes mer­veilles de la grâce du Saint-​Esprit ? N’est-il pas, Lui, par ses dons, le Sanctifi­cateur de l’Eglise et de l’union du peuple chré­tien, qui fait res­sus­ci­ter les morts à la vie de la grâce, qui libère ceux qui sont esclaves du péché ?

… « La sainte Eglise catholique, la communion des saints »

O sainte Eglise catho­lique, par la grâce de l’Esprit-Saint, nous croyons que tu es, que tu vis, que tu « souffres, com­bats et vis » et que « tes tentes se déployent d’une mer à l’autre ». Credo sanc­tam eccle­siam catho­li­cam. Camp de ceux qui croient, de ceux qui espèrent, de ceux qui aiment au pro­fond de leur âme, montrez-​la, ô chers fils, cette Eglise, mère des âmes, visible sur la mon­tagne (cf. Matth., v, 14), lumière des peuples (Jean, xi, 10) ; visible dans sa vie, dans son his­toire, dans ses luttes et dans ses triomphes, dans son culte, ses sacre­ments, ses ministres, sa hié­rar­chie ; visible en cette Rome, où le Vicaire du Christ est le centre de son uni­té et la source de l’autorité, comme celui à qui doivent être unis tous les autres pas­teurs et de qui ils reçoivent immé­dia­te­ment leur juri­dic­tion et leur mis­sion. Il lui appar­tient de les confir­mer dans la foi, en tant que pre­mier et uni­ver­sel Pasteur, et Pasteur des pas­teurs, de pré­ve­nir et de corri­ger les abus, de gar­der invio­lable le dépôt de la doc­trine du Christ et de la sain­te­té de la morale, de condam­ner authen­ti­que­ment l’erreur. Lui seul, suc­ces­seur de Pierre, pierre fon­da­men­tale de l’Eglise, peut, à l’instar de Pierre par­mi les apôtres au pre­mier concile de Jérusalem — de Pierre dont la digni­té ne fait jamais défaut, même dans un indigne héri­tier[7] — se lever et, conscient de la digni­té reçue du Christ, par­ler et dire : « Vous savez, frères, com­ment Dieu, depuis les pre­miers jours, m’a choi­si par­mi vous, afin que par ma bouche les gen­tils puissent entendre la parole de l’Evangile et croire » (Actes, xv, 7).

Non, si l’Eglise est en ce monde et com­po­sée d’hommes sem­blables aux pois­sons bons et mau­vais du filet (cf. Matth., xiii, 47–48), elle n’est pas un royaume de ce monde ; sa poli­tique n’est pas et ne peut être autre chose qu’une œuvre inces­sante et un sacri­fice fécond au ser­vice de la véri­té et de l’amour, de la jus­tice et de la paix entre les hommes, les peuples et les nations. Le nom de catho­lique ne peut pas, sinon à tort et d’une façon erro­née, être employé pour signi­fier et favo­ri­ser d’autres sen­ti­ments et d’autres idées par­mi les fils qui ont la même foi et qui ont une même mère, l’Eglise, dont aucun chré­tien, s’il est fils bien né, ne devrait rou­gir de son carac­tère de catho­lique, au même degré que de l’Evangile. Faites aimer et véné­rer une telle Mère sainte ; elle régé­nère ses fils à la vie de la grâce, elle les for­ti­fie pour les luttes de l’âme par le Pain des forts ; par ses ministres, elle les accom­pagne au long de la vie dans tous les pas agréables et pénibles ; elle les fait par­ti­ci­per à ses tré­sors, à ses biens, dans la com­mu­nion des saints, avec ses prières, avec ses mys­tères sacrés, avec tous ces biens qui découlent de la source de la cha­ri­té dans le lien de la paix, à la façon d’un fleuve, pour atteindre même les pécheurs et pour exal­ter la bien­veillante autant que géné­reuse mater­ni­té de l’Epouse du Christ.

Réveillez et ravi­vez chez les fidèles, en par­ti­cu­lier chez les jeunes, cette force spi­ri­tuelle aujourd’hui si néces­saire, mais qui trop sou­vent leur fait défaut : le sens de l’honneur catho­lique. C’est la louange et l’admiration du fils pour la Mère. C’est le sen­tire cum Ecclesia. C’est la conscience que l’Eglise est une socié­té par­faite, avec un droit sou­ve­rain à tout ce dont elle a besoin pour l’accomplisse­ment de sa divine mis­sion. La conscience que l’Eglise c’est le Christ qui conti­nue à vivre ici-​bas, et que l’amour pour le Christ équi­vaut à l’amour pour l’Eglise et réciproquement.

Credo Sanctorum com­mu­nio­nem. L’appartenance à l’Eglise du Christ, une, sainte, catho­lique, dans laquelle tous les fidèles ont le même droit de citoyen­ne­té ; la foi unique qui les rend tous un au sens le plus intime et le plus éle­vé ; la Table sainte unique qui, à tra­vers les monts et les mers, unit tous les fidèles dans le Christ ; un seul Esprit-​Saint dont tous sont le temple par l’effet de la grâce sanc­ti­fiante ; un unique Chef visible de l’Eglise catho­lique qui embrasse tous ses fils dans un même amour, tout cela consti­tue, par nature et par une expé­rience sécu­laire, le plus puis­sant moyen de gué­rir les plaies des guerres, de récon­ci­lier et de paci­fier les peuples.

Ô pas­teurs et ora­teurs sacrés, que votre parole exhorte, invite, pousse à cet acte où la com­mu­nion des saints s’achève dans le divin ban­quet du Corps du Christ au temps pas­cal, repas qui est le sou­venir de sa Passion, tré­sor abon­dant de grâces, gage de vie éter­nelle ! Il convient que là se rejoignent le jeune homme et la jeune fille, toute la famille chré­tienne ; parce que là on leur donne le Pain vivant des­cen­du du ciel qui, en nour­ris­sant les âmes, les for­ti­fie quand elles sont débiles, les pro­tège quand elles sont en péril, les guide quand elles sont dans le doute, les récon­forte quand elles sont affai­blies par les tra­vaux et par les luttes, les console, les rend supé­rieures à elles-​mêmes et au monde qui leur tend des embûches et les com­bat. Combien le Christ se com­plaît et com­bien l’Eglise a con­fiance dans un pro­grès spi­ri­tuel plus grand chez le peuple chré­tien, en contem­plant les groupes de ses fidèles de tout âge et de toute condi­tion se réunir avec pié­té et une dévo­tion ardente autour de la Table eucha­ris­tique ! Les églises en tres­saillent, les anges, qui gar­dent avec tant de véné­ra­tion le divin taber­nacle, s’en réjouissent ! L’expérience enseigne qu’aujourd’hui, dans la lutte achar­née entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan, on ne peut plus trop comp­ter sur ceux qui ne s’approchent qu’une seule fois par an de la sainte Table. Nous avons besoin de fortes et com­pactes pha­langes d’hommes et de jeunes gens qui, se tenant étroi­te­ment unis au Christ, reçoivent au moins chaque mois le Pain de vie et engagent aus­si les autres à suivre leur exemple. Tel est, Nous le croyons, un des devoirs les plus urgents et les plus impor­tants du minis­tère paroissial.

… « La rémission des péchés »

Mais, de même que sans la cha­ri­té répan­due dans notre cœur par l’Esprit-Saint on ne par­ti­cipe pas plei­ne­ment à la com­mu­nion des saints, de même sans la pure­té de conscience per­sonne ne s’approche digne­ment du céleste ban­quet du Corps du Christ, devant lequel l’homme doit s’éprouver lui-​même. C’est le grand mys­tère de la rémis­sion des péchés : Credo remis­sio­nem pec­ca­to­rum. C’est le mys­tère de la jus­tice et de l’amour divins d’un Dieu fait homme qui, mou­rant cru­ci­fié sur le Golgotha pour le salut du monde, donne au Père céleste dans son propre sang le prix du par­don des péchés des hommes et, res­sus­ci­té, laisse à l’Eglise, avant de mon­ter au ciel, les clés divines pour remettre et rete­nir les péchés [8], Dans un tel mys­tère, mon­trez à ceux qui vous écoutent l’infinie bon­té de Dieu qui, dans le secret col­loque du prêtre et du péni­tent, daigne éri­ger l’inviolable tri­bu­nal de sa récon­ci­lia­tion avec l’homme et de son par­don, quelle que soit la faute qui charge une conscience repen­tante. Très haute et très véné­rable, s’il en fut jamais, cette puis­sance accor­dée au prêtre, comme ins­tru­ment et ministre de Dieu, de trans­former les pécheurs en justes et de leur ouvrir les portes du ciel. Encore une fois, la sainte Eglise, en rame­nant au bien les âmes qui se sont éga­rées, en les ren­dant héri­tières d’une vie bien­heu­reuse et digne de la vision divine, se fait et se montre mère des saints, pen­dant qu’elle enseigne que c’est dans la récon­ci­lia­tion avec Dieu et dans l’amitié avec lui que consiste essen­tiel­le­ment le salut.

Et vous, gar­diens, pères et méde­cins des âmes, choi­sis et éta­blis par le Christ pour « don­ner à son peuple la connais­sance du salut par la rémis­sion des péchés » (Luc, i, 77), soyez pour le peuple chré­tien des maîtres de cette science du salut. Oui, qu’on étu­die aus­si toutes les sciences et toutes les dis­ci­plines, tous les arts et les métiers, qu’on scrute les cieux, les mers, la terre et les pro­fon­deurs abys­sales de la nature et de ses divers règnes. Mais l’homme, doué d’une âme immor­telle, devra apprendre à son­der les pro­fon­deurs de son cœur, à sen­tir l’impulsion pre­mière qui le pousse avec force vers Dieu, à dis­tinguer les biens éter­nels des biens tem­po­raires et pas­sa­gers, la ver­tu du vice, les mérites des démé­rites en face du tri­bu­nal de Dieu, à réflé­chir sur l’offense et sur le remords et le regret qui l’efface. Les fidèles dési­rent avoir de bons confes­seurs à la doc­trine solide et réflé­chie, qui leur indiquent avec clar­té les limites du licite et de l’illicite, et sans impo­ser des charges ou obli­ga­tions non néces­saires, leur vien­nent en aide quand la jus­tice le demande et la cha­ri­té le conseillé ; des confes­seurs pru­dents, aux­quels leurs péni­tents peuvent tout confier sans dan­ger de bles­sures spi­ri­tuelles ; des confes­seurs rem­plis de l’esprit de Dieu, qui sachent les conduire à la per­fec­tion qui convient à leur condi­tion. Montrez-​vous, chers fils, dignes d’un si haut ministère !

.. « La résurrection de la chair »

Mais qu’est donc la science du salut, sinon la connais­sance de soi-​même, de la fin suprême de la vie d’ici-bas, de la résur­rec­tion, de la mort du péché à la vie de la grâce et des bonnes œuvres, pour que, ain­si que nous exhorte l’apôtre saint Paul : « Comme le Christ est res­sus­ci­té des morts par la gloire de son Père, nous rece­vions, nous aus­si, une nou­velle vie. » (Rom., vi, 4). Quels sont, chers fils, votre inten­tion et le but de votre pré­di­ca­tion qua­dra­gé­si­male ? N’est-ce pas de pré­pa­rer le peuple chré­tien aux joies de la résur­rec­tion du Christ ? La résur­rec­tion spi­ri­tuelle des âmes est figu­rée par la résur­rec­tion cor­porelle du Christ, cru­ci­fié pour la rémis­sion des péchés, reve­nu à la vie comme le premier-​né d’entre les morts (Apoc., i, 5), pré­mices de ceux qui dorment leur der­nier som­meil (i Cor., xv, 20). Par lui, nous croyons aus­si à la résur­rec­tion de la chair : Credo car­nis resur­rec­tio­nem. Vainqueur de la mort infli­gée par le pre­mier Adam à tous ses des­cen­dants, le Christ, nou­vel Adam, plus puis­sant que le pre­mier, res­ti­tue­ra au der­nier jour la vie à tout le genre humain. Tous, oui, tous nous res­sus­ci­te­rons, élus et réprou­vés. Des entrailles de la terre, des abîmes des mers et des océans, des tombes innom­brables des cime­tières et des champs de bataille, des mil­lions et des mil­lions de lieux cachés, la mort lève­ra la tête et, éton­née autant que la nature, dira : où est ma vic­toire ? où est le coup por­té par mon bras ? (cf. i Cor., xv, 55). Elle sera, par la résur­rec­tion, désor­mais pré­ci­pi­tée éternelle­ment dans le néant.

Volontiers, la pen­sée moderne revient au chris­tia­nisme pri­mi­tif. Or, il n’y a pas d’idée qui domine autant dans les pen­sées des chré­tiens des pre­miers siècles que la ἀνὰστασις, la résur­rec­tion. Il importe donc que vous impri­miez pro­fon­dé­ment cette assu­rance dans la cons­cience de vos audi­teurs ; assu­rance qui for­ti­fie d’une force sur­hu­maine, quand il s’agit de demeu­rer fidèles, fût-​ce au prix de grands sacri­fices, au Christ et à son Eglise.

Dieu, de même qu’il a créé l’âme du pre­mier homme et lui a don­né un corps de limon et qu’il a, dans le cours du temps et dans l’écoulement des siècles, for­mé dans le sein de la femme les mem­bres de tous les fils et de toutes les filles d’Adam, sau­ra les refor­mer et repré­sen­ter cha­cun d’eux dans sa propre per­sonne au tri­bu­nal de son divin Fils qui les juge­ra tous selon leurs œuvres ; et « ceux qui auront fait le bien sor­ti­ront du tom­beau pour la résur­rec­tion de la vie ; ceux qui auront fait le mal sor­ti­ront pour la résur­rec­tion de la dam­na­tion » (Jean, v, 29). Chacun repren­dra son propre corps et contem­ple­ra de ses propres yeux le Christ. Il est bien juste que le corps, com­pa­gnon dans le bien et dans le mal de la vie pas­sa­gère d’ici-bas, soit aus­si le com­pa­gnon de l’âme dans la vie heu­reuse ou mal­heu­reuse de l’éternité. Pourquoi punir seule­ment l’âme ? La chair n’a‑t-elle pas été non seule­ment la com­plice dans le mal, mais la conseillère, l’instigatrice, la char­meuse avec les cajo­le­ries, les pro­messes traî­tresses, les sug­ges­tions vio­lentes ? Les fatigues et les mérites, l’activité et la souf­france ne furent-​ils pas com­muns à l’âme et au corps dans la pra­tique du bien ? La faim et le froid, la sueur et la las­si­tude, les châ­ti­ments et les coups, les jeûnes et les veilles, la pros­tra­tion dans la prière et les chants noc­turnes, les chaînes et les mar­tyres, la soli­tude et les durs trai­te­ments appar­tiennent au corps. L’âme du juste n’a‑t-elle pas acquis la gloire par les peines du corps, le bon­heur par ses tour­ments et ses larmes ; n’a‑t-elle pas conquis le ciel par les sueurs du corps ? Que le corps soit donc le com­pa­gnon de l’âme dans la béa­ti­tude, qu’il soit impas­sible, qu’il soit écla­tant, qu’il soit agile et, dans la sou­mis­sion à l’âme bien­heu­reuse, qu’il par­ti­cipe à la puis­sance de l’esprit.

Nous vivons à une époque de « culture phy­sique » et l’on accuse l’Eglise de ne lui don­ner que trop peu d’importance. Assertion non fon­dée. L’Eglise n’a jamais condam­né ce que les exer­cices phy­siques offrent de natu­rel, de sain, d’utile ; elle-​même, au contraire, les déve­loppe (là du moins où elle n’est pas empê­chée) avec le plus grand suc­cès dans l’éducation et dans les orga­ni­sa­tions de la jeu­nesse. Si elle affirme et applique le prin­cipe que les choses du corps doivent être subor­don­nées à celles de l’esprit, elle ne fait qu’élever une digue contre les flots dépra­vants d’un culte de la chair qui fait retour­ner au paga­nisme sans âme et sans conscience. Mais pré­ci­sé­ment de cette concep­tion il découle que là où, pour les autres, s’achève la culture du corps, elle com­mence, au contraire, dans le vrai sens du mot, pour le chré­tien. II sait, lui, que le corps de celui qui vit en état de grâce est le temple du Saint-​Esprit (i Cor., vi, 19), qu’il est des­ti­né à la résur­rec­tion, à une vie éter­nelle de gloire. Voilà le plus noble titre, la plus haute estime du corps, infi­ni­ment plus riche et éle­vée que toutes les formes qui dérivent d’une vision pure­ment ter­restre et maté­ria­liste du corps lui-même.

… « La vie éternelle, ainsi soit-il ».

Inclinons donc la tête, chers fils, devant la foi ; que cha­cun de nous dise en lui-​même : Credo vitam aeter­nam ; à cette vie heu­reuse qui n’a pas de fin. Aujourd’hui, elle n’est pas encore déserte et inha­bi­tée, cette « plate-​bande qui nous rend si féroces ». Aujourd’hui encore l’homme est en marche vers l’éternité ; aujourd’hui, c’est le temps favo­rable, temps de misé­ri­corde, de grâce et de rémis­sion des péchés, d’espérance et de salut. Nous sommes encore péré­gri­nant vers la patrie du ciel, vers la vie éter­nelle, que le Symbole nous montre comme terme de notre voyage durant cette vie mor­telle, but vers lequel nous devons tou­jours tenir fixé notre regard et diri­ger nos pas, notre foi, notre espé­rance, notre amour. Mais éter­nelle sera aus­si cette vie immor­telle qu’est la seconde mort des impies : misère, peine et tour­ment sans fin. La vie éter­nelle pour laquelle nous avons été créés et for­més par la bien­veillance divine, est joie sem­pi­ter­nelle, féli­ci­té per­pé­tuelle, inef­fable socié­té avec les anges et les saints dans la vision à décou­vert de Dieu un et trine. C’est là la vie éter­nelle que le Verbe incar­né, par sa vie, sa mort et sa résur­rec­tion, donne à celui qui croit en lui : « Et la vie éter­nelle — dit-​il dans la prière à son Père céleste — c’est de vous connaître vous, le seul vrai Dieu, et votre envoyé, Jésus-​Christ » (Jean, xvii, 3). Prêchez cette vie éter­nelle, cette féli­ci­té qui ne fini­ra pas ; exaltez- en la gran­deur et les mer­veilles ; excitez-​en le pro­fond désir dans le cœur des hommes, parce que Dieu a mis au fond de tout cœur un élan irré­sis­tible vers le bon­heur, élan que les phi­lo­sophes et les savants de ce monde recon­naî­tront comme ne pou­vant être satis­fait par les biens d’ici-bas. Seule la foi montre le terme et le ras­sa­sie­ment de ce bon­heur ; le Symbole des apôtres, résu­mé de la foi, en a mar­qué et scel­lé le nom. Dans la cité éter­nelle, cette sainte cité de Dieu, Dieu sera notre Dieu et nous serons son peuple (cf. Lév., xxvi, 12). Dieu sera ce dont nous sommes ras­sa­siés ; il sera toutes les choses que les hommes dési­rent légi­ti­me­ment : vie, san­té, nour­ri­ture, richesse, gloire, hon­neur, paix, biens de tout genre. Il sera le terme de nos dési­rs, terme qui sera vu sans fin, aimé sans ennui, loué sans lassitude.

« Cette vision, cette affec­tion, cette louange seront assu­ré­ment com­munes à tous, comme la vie éter­nelle elle-​même » [9].

Ces hautes véri­tés de la foi apos­to­lique qui nous ins­truisent sur le chan­ge­ment de notre vie mor­telle en une vie meilleure et que vous, chers curés et ora­teurs sacrés, allez plus par­ti­cu­liè­re­ment expli­quer au peuple chré­tien pour le pré­pa­rer au renou­vel­le­ment spi­ri­tuel et à la joie pas­cale, méditons-​les aus­si pour nous ; afin que le feu que le Christ est venu por­ter sur la terre, et qu’il veut voir allu­mé, le feu du zèle pas­to­ral et apos­to­lique, jaillisse for­te­ment du cœur qui en est rem­pli et s’enflamme davan­tage par la médi­ta­tion. Vous allez prê­cher à Rome, Notre dio­cèse par­ti­cu­lier ; dans ces basi­liques, ces églises, ces temples où, sur les autels et sur les murs, les sta­tues, les tableaux, les déco­ra­tions sacrées que la subli­mi­té de l’art a vivi­fiés de dévo­tion et de pié­té, ren­dront un silen­cieux témoi­gnage à vos paroles. Donnez une solide nour­ri­ture aux âmes affa­mées de nour­ri­ture spi­ri­tuelle, qui ont soif de cette eau qui jaillit pour la vie éter­nelle et qu’elles ne puisent pas aux fon­taines de la science et de la sagesse pro­fane, si pro­fonde et si éten­due qu’elle soit. Ces âmes vous viennent des chaires, des uni­ver­si­tés, des mai­sons de recherche scien­ti­fique et intel­lec­tuelle, des labo­ra­toires, des écoles, des bureaux, des ate­liers, des foyers, des affaires, pour s’élever dans les régions de la foi, pour satis­faire cette impul­sion de l’âme qui les ramène aux rudi­ments reli­gieux et chré­tiens de l’adolescence et de la jeu­nesse, jamais effa­cés par les luttes et les vicis­si­tudes de l’âme et réap­pa­rais­sant tou­jours, aux heures où les pas­sions font silence et où l’on entend le cri de la conscience du bien et du mal. Indiquez- leur la science du salut et le che­min qui conduit au par­don et au bai­ser du Christ, au fes­tin de l’amitié divine et du relè­ve­ment dans la joie d’un Dieu res­sus­ci­té. Soyez des pères, des maîtres et des méde­cins sages et zélés, qui ont Dieu dans le cœur et le cœur en Dieu seul ; et Dieu don­ne­ra à votre parole, annon­cia­trice de la véri­té des­cen­due du ciel pour nous éle­ver là-​haut, cette effi­ca­ci­té péné­trante et vic­to­rieuse qui, seule, est louange et gloire de la foi dans le Christ, qui vien­dra juger les vivants et les morts et don­ner à celui qui l’aura ser­vi et aimé la vie éternelle.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 137 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S.S. Pie XII, t. IV, p. 29.

Notes de bas de page
  1. Cf. Documents Pontificaux 1941, p. 48.[]
  2. S. Augustin, De civi­tate Dei, lib. X, c. XXXII.[]
  3. Séquence de la messe pour les défunts.[]
  4. Cf. Summa Theol., IIIa, q. 59, a. 5 in c. et ad Ium ; Catech. Conc. Trid., p. I, a. 7, n. 3–4.[]
  5. Dante, Enfer, XIX, 105.[]
  6. Cf. Catech. Conc. Trid., p. I, a. 7, n. 4.[]
  7. S. Léon le Grand, Serm. III in anniv. die Assampt. Suæ, cap. IV ; Migne, P. L., t. LIV, col. 147.[]
  8. Summa Theol., IIIa, Suppl., q. 17 et suiv.[]
  9. S. Augustin, De civi­tate Dei, 1. XXII, c. XXX, n. 1 ; Migne, P. L., t. XLI, col. 801–802.[]
12 mars 1948
Action de Grâces suite à la promulgation de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia
  • Pie XII