Le discours prononcé par Paul VI à la reprise des travaux du Concile tient lieu, dans sa pensée, de l’encyclique inaugurale de son Pontificat. Nous donnons ci-après la traduction intégrale du discours prononcé en latin :
« Soyez les bienvenus. Frères très chers dans le Christ, vous que Nous avons appelés de toutes les parties du monde où la sainte Eglise a étendu sa structure hiérarchique. Nous vous saluons, vous qui, répondant à Notre invitation, êtes venus avec empressement célébrer avec Nous la seconde session du second Concile œcuménique du Vatican. Ce Nous est une joie de l’ouvrir aujourd’hui sous l’égide de l’archange saint Michel, protecteur céleste du peuple de Dieu.
Cette réunion solennelle et fraternelle, où se rencontrent les représentants de la terre entière, du Levant à l’Occident, des régions australes au septentrion, mérite vraiment le nom prophétique d’« Eglise », c’est-à-dire de rassemblement, de convocation. Maintenant se réalise d’une façon nouvelle le mot qui Nous revient ici à la mémoire : « La voix s’est répandue par toute la terre, et le message est arrivé aux extrémités de l’univers. » (Rom., 10, 18 ; Ps., 18, 5).
Oui, vraiment, un mystère d’unité resplendit au-dessus d’un mystère de catholicité, et le spectacle d’universalité que nous offrons rappelle l’origine apostolique, fidèlement reflétée et mise à l’honneur, de notre très chère Eglise de Dieu. Il rappelle aussi la mission sanctificatrice de l’Eglise. Celle-ci fait briller ses notes caractéristiques, le visage de l’épouse du Christ rayonne. Nos âmes s’exaltent en une expérience bien connue, mais toujours pleine de mystère, par laquelle nous éprouvons que nous sommes le Corps mystique du Christ et goûtons la joie sans pareille, inconnue au inonde du dehors, de sentir « comme il est bon pour des frères d’habiter ensemble » (Ps., 132, 1).
Il vaut la peine de noter et de considérer, dès ce premier instant, le phénomène humain et divin que nous constituons.
Ici, de nouveau, nous nous trouvons comme en un nouveau Cénacle. Il est rendu presque étroit, malgré les dimensions de son imposant édifice, par le grand nombre des personnes assemblées. A notre rencontre assiste certainement du ciel la Vierge, Mère du Christ. Ici, autour du successeur de Pierre, le dernier dans le temps et par le mérite, mais identique en autorité et en mission au premier des apôtres, sont groupés les apôtres que vous êtes, Nos chers frères, tirant votre origine du Collège apostolique et continuateurs authentiques de ce Collège. Ici, nous prierons ensemble et ne ferons qu’un tous ensemble.
Dans la même foi et la même charité, ici, nous sommes assurés de recevoir le don de l’Esprit Saint. Sa présence nous animera, nous instruira, nous fortifiera. Ici toutes les langues ne formeront qu’une seule voix, et une seule voix se fera message pour l’univers entier. Ici arrive d’un pas ferme, après bientôt vingt siècles de marche, l’Eglise en pèlerinage. Ici, à la source qui étanche toute soif, et l’avive en même temps, viennent se refaire toutes les forces apostoliques répandues par le monde. D’ici, elles repartiront, pleines d’assurance, pour leur route à travers le monde et le temps, vers le terme qui se trouve au-delà de la terre et des siècles.
Soyez donc les bienvenus, Frères. C’est ainsi que vous accueille celui qui est le plus petit d’entre vous, le serviteur des serviteurs de Dieu, même s’il porte les clés du pouvoir suprême confiées à Pierre par le Christ Notre-Seigneur. Il vous remercie du signe d’obéissance et de confiance que lui apporte votre présence. Ses actes vous le montrent désireux de prier avec vous, de parler avec vous, de délibérer avec vous, d’agir avec vous. Oui, le Seigneur Nous est témoin quand, dès le premier instant de ces grandes assises, Nous vous déclarons n’avoir au cœur nul dessein de domination humaine, aucun attachement jaloux à un pouvoir exclusif, mais simplement le désir et la volonté d’exécuter le mandat divin qui Nous fait pasteur suprême parmi vous tous et de vous tous.
Cette mission du premier Pasteur vous demande ce qui fait sa joie et sa couronne, la « communion des saints », votre fidélité, votre attachement, votre collaboration, et il vous offre ce qu’il se réjouit le plus de vous donner : sa vénération, son estime, sa confiance, sa charité.
Nous avions pensé vous envoyer à tous Notre première lettre encyclique, comme le veut un usage respectable. Mais pourquoi, Nous sommes-Nous dit, confier à un écrit ce que Nous pouvons exprimer de vive voix grâce à une occasion exceptionnelle et si heureuse.
Bien sûr, il est impossible de dire oralement ici tout ce qui emplit Notre cœur et qu’il est plus aisé de développer par écrit. Du moins, que cette allocution serve de prélude non seulement au Concile mais aussi à Notre Pontificat. Que la parole vivante prenne la place de l’encyclique qu’après ces jours plus chargés Nous comptons vous adresser, s’il plaît à Dieu.
Ainsi donc, après vous avoir salué, Nous Nous présentons à vous, car Nous ne portons que depuis peu cette charge pontificale et ne faisons pour ainsi dire qu’inaugurer son exercice. En effet, c’est le 21 juin dernier, jour où, par une rencontre qui Nous fut chère, Nous fêtions cette année le Cœur divin du Christ, que le Sacré Collège des cardinaux, ici présent, et à qui Nous aimons redire l’expression de Notre cordiale vénération, voulut, malgré Notre insuffisance, Nous élire au siège épiscopal de Rome et, par là même, au pontificat suprême de l’Eglise universelle.
Nous ne pouvons évoquer ce fait sans rappeler Notre prédécesseur d’heureuse et immortelle mémoire, Jean XXIII, objet de Notre très profond attachement. Pour Nous, et certainement pour tous ceux d’entre vous qui eurent le bonheur de le voir ici, à Notre place, son nom évoque la figure attirante et hiératique qui apparut le 11 octobre de l’an dernier, quand il ouvrit la première session du second Concile œcuménique du Vatican, et prononça ce discours que l’Eglise et le monde accueillirent comme un message prophétique pour notre siècle. Ses paroles résonnent encore en Notre mémoire et Notre conscience, pour tracer au Concile la route à parcourir et Nous affranchir de toute hésitation ou lassitude qui Nous guetterait sur le chemin difficile.
Soyez remercié et magnifié, cher et vénéré Pape Jean, vous qui, par une inspiration divine, on doit le croire, avez voulu et convoqué ce Concile pour ouvrir à l’Eglise des sentiers nouveaux et faire jaillir sur terre de nouveaux flots de doctrine et de grâce du Christ Notre Seigneur, comme des sources de fraîcheur encore cachées.
C’est par une décision personnelle, indépendante de toute impulsion d’ordre humain et de toute circonstance contraignante, mais comme en pressentant les desseins de Dieu et par une intuition des besoins obscurs qui tourmentent notre époque, que vous avez repris le fil brisé du premier Concile du Vatican. Et ainsi, vous avez spontanément dissipé la défiance indûment nourrie par certains esprits du fait que les pouvoirs suprêmes qu’on reconnaît désormais avoir été conférés par le Christ au Pontife romain suffiraient pour gouverner et animer l’Eglise, sans l’aide des Conciles œcuméniques. Vous avez appelé vos Frères, successeurs des apôtres, non seulement à poursuivre l’étude doctrinale interrompue et le travail législatif suspendu, mais à se sentir unis au Pape dans l’unité d’un Corps pour recevoir de sa part soutien et direction afin « que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit mieux conservé et présenté de façon plus efficace ».
Mais tout en marquant de la sorte l’objectif le plus élevé du Concile, vous lui avez joint un autre but plus urgent et de nature actuellement plus bienfaisante, le but pastoral, en déclarant : « Nous n’avons pas comme premier objectif de discuter certains chapitres fondamentaux de la doctrine de l’Eglise… mais plutôt que cette doctrine « soit approfondie et exposée de la façon qui répond aux exigences de notre époque ».
Vous avez ravivé dans la conscience du Magistère ecclésiastique la conviction que la doctrine catholique ne doit pas être seulement vérité à explorer par la raison sous la lumière de la foi, mais parole génératrice de vie et d’action ; que l’instruction en matière de foi ne peut se limiter à condamner les erreurs qui la blessent, mais doit comprendre la proclamation des enseignements positifs, d’intérêt vital, qui rendent la foi féconde. Le rôle du Magistère ecclésiastique n’est point purement spéculatif ou négatif en ce Concile, il doit de plus en plus manifester la force vivifiante du message du Christ, qui a déclaré : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » (Jean, 6, 63).
Aussi, n’oublierons-Nous pas les normes que vous-même, premier Père du Concile, lui avez tracées avec tant de sagesse, et qu’il Nous plaît de répéter :
«… Ce trésor précieux — celui de la doctrine catholique — nous n’avons pas seulement à le garder comme si nous n’étions préoccupés que du passé niais nous devons nous mettre joyeusement et sans crainte au travail que réclame notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Eglise marche depuis près de vingt siècles. Nous n’avons pas non plus comme premier but de discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine de l’Eglise… On devra recourir à une façon de présenter les choses qui corresponde mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral. »
Nous ne perdrons pas de vue non plus la grave question de l’unification en un seul bercail de tous ceux qui croient en Jésus-Christ et souhaitent vivement être membres de son Eglise, cette Eglise que vous-même, Jean XXIII, avez désignée comme la maison du Père ouverte à tous de façon qu’au cours de la présente session, le Concile, dont vous fûtes le promoteur et que vous avez inauguré, marche fidèlement dans la ligne tracée par vous, et qu’avec l’aide de Dieu il puisse atteindre les résultats que vous avez si ardemment désirés et espérés.
Reprenons donc la marche, Frères. Cette résolution qui naît d’elle-même suscite en Notre esprit une autre pensée. Celle-ci s’impose avec tant de clarté, et son objet est d’une telle importance que Nous Nous sentons tenu d’en faire part à cette Assemblée — si pleinement avertie et éclairée que celle-ci se trouve déjà à son égard.
Le Christ, notre principe, notre voie, notre guide, notre espérance, notre fin.
D’où part notre marche, Frères ?
Quelle voie entend-elle suivre, s’il s’agit moins des indications pratiques rappelées il y a un instant que des normes divines auxquelles le Concile doit obéir ?
Et quel but assigner à son itinéraire ?
Au plan de l’histoire terrestre, il s’inscrira sans doute dans le temps et suivant les modalités de notre existence présente. Mais il ne peut s’orienter en définitive qu’en prenant comme point de mire le terme final et suprême qui, nous le savons, nous attend infailliblement au bout de notre pèlerinage.
Trois questions, capitales dans leur extrême simplicité. Il n’y a qu’une seule réponse à leur donner, nous le savons bien, et ici, en ce moment, nous devons la proclamer pour nous-mêmes et la faire entendre au monde qui nous entoure : le Christ ! le Christ ! notre principe : le Christ ; notre voie et notre guide : le Christ ; notre espérance et notre fin.
Puisse ce Concile avoir pleinement présent à l’esprit ce rapport entre nous et Jésus-Christ, entre l’Eglise sainte et vivifiante que nous sommes et le Christ de qui nous venons, par qui nous vivons, à qui nous allons.
Rapport multiple et unique, immuable et stimulant, plein de mystère et de clarté, d’exigence et de bonheur. Que sur cette Assemblée ne brille d’autre lumière que le Christ, lumière du monde. Que nulle vérité ne retienne notre intérêt, hormis les paroles du Seigneur, notre Maître unique ! Qu’une seule inspiration nous dirige : le désir de lui être absolument fidèles ! N’ayons d’autre appui que la confiance née de sa promesse pour rassurer notre faiblesse irrémédiable. « Et maintenant, Moi, je serai avec vous toujours jusqu’à la fin du monde. » (Matth., 28, 20).
Oh ! comme Nous souhaiterions en cette heure pouvoir faire monter vers Notre-Seigneur Jésus-Christ une voix digne de lui. Nous emprunterons celle de la sainte liturgie : « C’est toi seul, ô Christ, que nous connaissons, c’est toi que d’un cœur simple et pur nous prions au milieu de nos pleurs et nos chants. Ecoute le cri de nos supplications, » (Hymne de Laudes, le mercredi).
Et tandis que s’élève Notre prière, il Nous semble qu’Il se présente lui-même à Nos yeux ravis et bouleversés, dans la majesté du Pantocrator de vos basiliques, ô Frères des Eglises d’Orient, et de celles de l’Occident aussi : ainsi dans la splendide mosaïque de la basilique de Saint-Paul hors les Murs, Nous nous voyons représenté dans ce très humble adorateur, Notre prédécesseur le Pape Honorius III, lequel, tout petit et comme anéanti à terre, baise les pieds du Christ, à l’immense stature, qui domine et bénit avec une majesté royale l’assemblée réunie dans la basilique, c’est-à-dire l’Eglise. La scène, nous semble-t-il, se reproduit ici, non plus sous la forme d’une image, mais bien dans une réalité historique et humaine, qui connaît dans le Christ la source de l’humanité rachetée, de son Eglise, et dans l’Eglise comme son émanation et sa continuation tout à la fois terrestre et mystérieuse. C’est comme la vision de l’Apocalypse qui semble se dessiner devant nos yeux : « II me montra un fleuve d’eau vive, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau. » (Apoc., 22, 10).
Il est opportun, à Notre avis, que le Concile parte de cette vision, ou plutôt de cette célébration mystique, qui acclame en Notre-Seigneur Jésus-Christ le Verbe incarné, le Fils de l’Homme, le Messie promis au monde, c’est-à-dire l’espérance de l’humanité et son seul souverain Maître : il est, lui, le Pasteur, lui, le pain de vie, lui, notre Pontife et notre victime. Lui, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. Lui, le Sauveur de la terre, lui, le Roi à venir du siècle éternel. Cette célébration mystique affirme en même temps que nous sommes ses élus, ses disciples, ses apôtres, ses témoins, ses ministres, ses représentants et, avec tous les autres fidèles, ses membres vivants, unis dans cet immense et unique Corps mystique, que Lui, par le moyen de la foi et des sacrements, est en train de se constituer au cours des générations humaines, et qui est son Eglise spirituelle et visible, fraternelle et hiérarchique, aujourd’hui temporelle et demain éternelle.
Si nous mettons devant nos yeux, vénérables Frères, l’idée souveraine que le Christ est notre fondateur, notre chef, invisible mais réel, que nous recevons tout de Lui, de manière à former avec Lui le « Christ total » dont parle saint Augustin et dont la théologie de l’Eglise est toute remplie, nous pouvons mieux comprendre les buts principaux de ce Concile, que pour faire bref et être plus facilement compris, nous présenterons en quatre points : la connaissance, ou, si l’on préfère, la conscience de l’Eglise, son renouveau, l’unité des chrétiens, le dialogue de l’Eglise avec le monde contemporain.
I. Le thème principal, de cette session : l’Église et tout ce qui concerne sa nature intime
Il est hors de doute que c’est un désir, un besoin, un devoir pour l’Eglise de donner finalement d’elle-même une définition plus approfondie.
Nous Nous souvenons tous de ces images admirables dont use la sainte Ecriture pour nous donner une idée de la nature de l’Eglise qui est appelée, suivant les cas, l’édifice construit par le Christ, la maison de Dieu, le temple et le tabernacle de Dieu, son peuple, son troupeau, sa vigne, son champ, sa cité, la colonne de la vérité, et, finalement l’Epouse du Christ, son Corps mystique,
La richesse même de ces images lumineuses a conduit la méditation de l’Eglise à se reconnaître comme une société historique, visible et hiérarchique, mais douée d’une vie mystérieuse. La célèbre encyclique du Pape Pie XII, Mystici Corporis, a répondu en partie à l’aspiration que l’Eglise éprouvait de traduire enfin sa réalité en un corps de doctrine complet, mais, d’autre part, a rendu encore plus vif son désir de se définir elle-même de façon plus exhaustive. Le premier Concile du Vatican avait déjà abordé le sujet ; de plus, de nombreux motifs d’ordre extérieur concouraient à le recommander à l’étude, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Eglise catholique : par exemple, l’accroissement du caractère social de la civilisation moderne, le développement des communications entre les hommes, le besoin de juger les diverses dénominations chrétiennes selon la conception vraie et univoque contenue dans la révélation divine, etc.
Il n’y a pas à s’étonner si après vingt siècles de christianisme et d’ample développement, historique et géographique de l’Eglise catholique ainsi que des autres confessions religieuses qui se réclament du nom du Christ et portent le titre d’Eglises, le concept authentique, profond et complet de l’Eglise, telle que k Christ l’a fondée et que les apôtres ont commencé à la construire, a encore besoin d’être présente d’une manière plus précise. L’Eglise est un mystère, c’est-à-dire une réalité imprégnée de présence divine et qui peut toujours être l’objet de nouvelles et plus profondes recherches.
La pensée humaine se déploie d’une manière progressive : elle passe d’une connaissance empirique de la vérité à des connaissances scientifiques élaborées d’une façon plus ‑rationnelle. Elle déduit logiquement une vérité d’une autre connue avec certitude. Devant une réalité complexe et permanente, elle s’arrête à considérer tantôt un aspect, tantôt un autre. Si bien que son activité comporte un développement que l’histoire enregistre. L’heure est venue, Nous semble-t-il, où la vérité concernant l’Eglise du Christ doit être explorée, ordonnée et exprimée, non pas peut-être en ces formules solennelles qu’on nomme définitions dogmatiques, mais en déclarations du Magistère ordinaire, dans lesquelles l’Eglise se dit à elle-même, de façon plus explicite et toujours digne de foi, ce qu’elle pense d’elle-même.
L’Eglise prend d’elle-même une conscience de plus en plus claire, en adhérant fidèlement aux paroles et à la pensée du Christ, en reprenant respectueusement l’enseignement plein d’autorité de la tradition ecclésiastique et en se montrant docile à l’illumination intérieure de l’Esprit Saint qui semble précisément attendre aujourd’hui de l’Eglise qu’elle fasse tout son possible pour être reconnue vraiment telle qu’elle est.
Et Nous croyons que ce sera l’œuvre de ce Concile œcuménique de faire briller dans le corps enseignant de l’Eglise la lumière de la doctrine sur sa propre nature, comme si l’Epouse du Christ se regardait en lui comme un miroir et que, dans un sentiment très vif d’amour, elle voulût découvrir en Lui sa propre forme, cette beauté qu’il veut faire resplendir en elle,
De ce point de vue, le thème principal de cette session du Concile sera donc l’Eglise et tout ce qui concerne sa nature intime : le but est d’aboutir, dans les limites permises au langage humain, à une définition qui puisse mieux nous instruire sur la constitution réelle et fondamentale de l’Eglise et nous faire mieux découvrir les multiples aspects de sa mission salvifique. L’enseignement théologique est donc susceptible de magnifiques développements, qui méritent attentive considération de la part des frères séparés et qui, comme Nous le désirons ardemment, leur fraient un chemin toujours plus facile vers une adhésion commune.
Parmi les divers problèmes que ce thème posera à la réflexion de l’Assemblée conciliaire, se rencontrera d’abord celui qui vous concerne tous, vénérables Frères, en tant qu’évêques de l’Eglise de Dieu. Nous n’hésitons pas à vous dire que Nous mettons beaucoup d’espoir et une grande confiance dans ces prochains débats : Tout en sauvegardant les déclarations dogmatiques du premier Concile du Vatican Sur le Pontificat romain, il s’agit maintenant d’approfondir la doctrine sur l’épiscopat, sur ses fonctions et ses rapports avec Pierre.
Ces débats nous apporteront certainement à Nous-même des principes doctrinaux et pratiques, grâce auxquels Notre charge apostolique, bien que dotée par le Christ de la suffisante plénitude de pouvoir que vous connaissez, puisse être mieux aidée et soutenue, selon les modalités à établir, par une plus efficace et responsable collaboration de Nos chers et vénérés Frères dans l’épiscopat.
Après avoir éclairci ce point de doctrine, il faudra traiter aussi de la composition et des éléments divers du Corps visible et mystique qu’est l’Eglise militante en pèlerinage sur la terre, c’est-à-dire, des prêtres, des religieux, des fidèles, ainsi que des frères qui sont séparés de nous, et qui sait appelés, eux aussi, à en faire partie d’une manière pleine et complète.
A personne n’échappera l’importance d’une telle mission doctrinale qui est confiée au Concile et dont l’Eglise peut retirer une conscience de soi, lumineuse, exaltante et sanctifiante. Veuille Dieu que nos espérances soient comblées !
II. Le renouveau de l’église
Ces espérances se rapportent aussi à un autre objectif primordial du Concile, celui qu’on désigne sous le nom de renouveau de la Sainte Eglise.
Cet objectif devrait, lui aussi, à Notre avis, se dégager de la conscience que Nous avons des relations qui unissent le Christ à son Eglise. Nous disions que l’Eglise veut se voir en Lui comme dans un miroir : si ce regard révélait quelque ombre, quelque déficience sur le visage de l’Eglise ou sur sa robe nuptiale, que devrait-elle faire d’instinct et courageusement ? C’est clair : elle devrait se réformer, se corriger, s’efforcer de recouvrer la conformité avec son divin Modèle qui constitue son devoir fondamental.
Rappelons-nous les paroles du Seigneur dans la prière sacerdotale, à l’approche de la Passion imminente : « Je me sanctifie moi-même pour qu’ils soient eux- mêmes sanctifiés en toute vérité, » (Jean, 17, 19). Le second Concile œcuménique du Vatican doit se mettre, à Notre avis, sur ce plan essentiel voulu du Christ. C’est seulement après ce travail de sanctification intérieure que l’Eglise pourra se montrer à la face du monde entier et dire : « Qui me voit, voit le Christ », de la même manière que le Christ avait dit de lui-même : « Qui me voit, voit le Père, » (Jean, 14, 9).
Sous cet aspect, le Concile veut être le réveil printanier d’immenses énergies spirituelles et morales, plus ou moins cachées au sein de l’Eglise. Il se manifeste comme un propos délibéré de rajeunissement, soit de ses forces intérieures, soit des règles qui commandent ses structures canoniques et les formes de ses rites. Bref, le Concile tend à donner à l’Eglise ou à accroître en elle cette splendeur de perfection et de sainteté, que seules l’imitation du Christ et l’union mystique avec lui, dans l’Esprit Saint, peuvent lui conférer.
Oui, le Concile tend à un renouvellement, Mais ne nous méprenons pas sur les désirs exprimés : ils n’impliquent pas l’aveu que l’Eglise catholique d’aujourd’hui puisse être accusée d’infidélité substantielle à la pensée de son divin Fondateur. Au contraire, la découverte approfondie de sa fidélité substantielle la remplit de gratitude et d’humilité, et lui infuse la force de corriger les imperfections qui sont dues à la faiblesse humaine. La réforme visée par le Concile ne consiste donc pas dans un bouleversement de la vie présente de l’Eglise, ni dans une rupture avec sa tradition dans ce que celle-ci a d’essentiel et de vénérable, mais elle est plutôt un hommage rendu à cette tradition, dans l’acte même qui veut la débarrasser de tout ce qu’il y a en elle de caduc et de défectueux, de façon à lui faire trouver son authenticité et sa fécondité.
Jésus n’a‑t-il pas dit à ses disciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. Tout sarment en Moi qui ne porte pas de fruit, il le coupe, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde. » (Jean, 15, 1–2). Ce texte évangélique suffit à nous donner une idée des principaux chapitres de ce perfectionnement auquel aspire aujourd’hui l’Eglise. Le premier concerne sa vitalité, intérieure et extérieure. Au Christ vivant répond l’Eglise vivante. Si la foi et la charité sont les principes de sa vie, il est clair que rien ne devra être négligé pour donner à la foi certitude joyeuse et nourriture nouvelle. Tout ce qui, dans l’initiation et la pédagogie chrétiennes, contribue à ce but indispensable, devra être rendu efficace. Une étude plus assidue et une dévotion plus grande envers la Parole de Dieu seront certainement la base de cette première réforme. Ensuite, l’éducation de la charité aura la place d’honneur : Nous devrons chercher à constituer l’Ecclesia caritatis, l’Eglise de la charité, si nous voulons que l’Eglise soit apte à se renouveler profondément elle-même et à renouveler le monde autour d’elle. Tâche immense ! Une autre raison de l’importance de l’éducation de la charité, c’est que celle-ci est la reine et la racine de toutes les autres vertus chrétiennes : l’humilité, la pauvreté, la piété, l’esprit de sacrifice, le courage de la vérité, l’amour de la justice et de tout ce qui fait la force d’action de l’homme nouveau. -
Ici, le programme du Concile s’étend sur des domaines immenses : l’un d’eux, terrain de choix où fleurit partout la charité, est la sainte liturgie.
La première session y a déjà consacré de longues discussions et Nous espérons que la seconde lui apportera de très heureuses conclusions.
D’autres matières auront certainement la même et totale attention de la part des Pères du Concile : Nous craignons pourtant que le peu de temps dont Nous disposons ne nous permette pas de les explorer toutes comme il conviendrait et qu’elles nous réservent encore du travail pour une future session !
III. L’unité dans une large diversité
Il y a ensuite un troisième objectif proposé au Concile et qui constitue, en un certain sens, son drame spirituel. Il Nous a été assigné lui aussi par le Pape Jean XXIII, et il concerne « les autres chrétiens », c’est-à-dire ceux-là qui croient en Jésus-Christ mais que nous n’avons pas le bonheur de compter comme associés avec nous dans la parfaite unité du Christ que l’Eglise catholique seule peut offrir, alors que de soi cette unité leur serait due en raison de leur baptême, et qu’eux-mêmes y aspirent déjà virtuellement.
En effet, les mouvements qui se sont récemment dessinés et qui sont maintenant en plein développement au sein des communautés chrétiennes séparées de nous démontrent clairement deux choses : d’abord, il n’y a qu’une seule Eglise du Christ. Elle doit donc être unique !
Puis cette union mystérieuse et visible ne peut être atteinte que dans l’unité de la foi, la participation aux mêmes sacrements et l’harmonie organique d’une direction ecclésiastique unique, encore que cela puisse se vérifier dans le respect d’une large diversité d’expressions linguistiques, de formes rituelles, de traditions historiques, de prérogatives locales, de courants spirituels, d’institutions légitimes, d’activités préférées.
Quelle est l’attitude du Concile en face de ces immenses groupes de frères séparés et de ce pluralisme possible dans les réalisations de l’Unité ?
Elle est claire. La convocation de ce Concile est caractéristique sous cet aspect comme sous d’autres rapports. Il tend à une œcuménicité qui voudrait être totale, universelle. Au moins en désir, en prières, en préparation. Aujourd’hui, en espérance, afin que demain ce soit en réalité.
Autrement dit, ce Concile, en appelant, en dénombrant, en assemblant dans le bercail du Christ les brebis qui le composent et qui lui appartiennent à juste titre et de plein droit, ouvre les portes, élève la voix, attend anxieusement les si nombreuses brebis du Christ qui ne se trouvent pas présentes dans l’unique bercail.
C’est donc un Concile d’invitation, d’attente, de confiance, dans le sens d’une participation plus large et plus fraternelle à son œcuménicité authentique.
Ici, Notre parole s’adresse avec respect aux représentants que les communautés chrétiennes séparées de l’Eglise catholique ont envoyés en qualité d’observateurs à cette Assemblée solennelle.
Nous les saluons de tout cœur.
Nous les remercions d’être venus.
A travers leur présence, Nous envoyons Notre message paternel et fraternel aux vénérables communautés chrétiennes qu’ils représentent ici.
Notre voix tremble et Notre cœur est ému, car le fait de les trouver si proches aujourd’hui Nous apporte autant d’indicible réconfort et de très douce espérance que leur séparation qui dure encore Nous cause de profonde, souffrance.
Si, dans les causes de cette séparation, une faute pouvait nous être imputée, nous en demandons humblement pardon à Dieu et nous sollicitons aussi l’indulgence des frères qui se sentiraient offensés par nous. Et nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à pardonner les offenses dont l’Eglise catholique a été l’objet et à oublier les douleurs qu’elle a éprouvées dans la longue série des dissensions et des séparations.
Que le Père céleste accueille Notre présente déclaration et nous ramène tous à une paix véritablement fraternelle.
Nous le savons : il reste à étudier des questions objectives, graves et compliquées, à les traiter et à les résoudre. Nous voudrions que cela se fît tout de suite, en vertu de la charité du Christ qui « nous presse », mais Nous sommes persuadé que la mise au point et la solution de tels problèmes supposent beaucoup de conditions. Celles-ci ne sont pas mûres à l’heure actuelle et nous n’avons pas peur d’attendre patiemment l’heure bénie de la réconciliation parfaite.
Mais en même temps, Nous voulons confirmer aux observateurs ici présents, afin qu’ils s’en fassent l’écho auprès de leurs communautés chrétiennes respectives, et pour que Notre voix atteigne aussi les autres vénérables communautés chrétiennes, qui n’ont pas accueilli l’invitation que Nous leur adressions — sans engagement de part ni d’autre — à assister à ce Concile.
Nous voulons donc confirmer quelques principes qui inspirent Notre attitude concernant la restauration de l’unité ecclésiastique avec les frères séparés.
Ils connaissent déjà ces principes, croyons-Nous, mais il peut être bienfaisant de les énoncer ici.
Notre manière de leur parler veut être pacifique, absolument sincère et loyale. Pas de pièges dissimulés, pas d’intérêts temporels en cause. A notre foi, que nous tenons pour divine, nous devons l’adhésion la plus franche et la plus ferme. Mais nous sommes convaincus qu’elle n’est pas un obstacle à l’entente souhaitée avec les frères séparés, précisément parce qu’elle est vérité du Seigneur et qu’elle est donc principe d’union, non de différence ou de séparation. En tout cas, nous ne voulons pas faire de notre foi un motif de polémique.
En second lieu, nous considérons avec respect le patrimoine religieux, originel et commun, qui, chez nos frères séparés, se trouve conservé, et même pour une part, heureusement développé.
Nous sommes heureux de voir l’effort studieux des hommes qui cherchent en toute probité à mettre en relief et à exalter les richesses authentiques de vérité et de vie spirituelle que possèdent ces frères séparés, et cela, dans l’intention d’améliorer nos rapports avec eux.
Nous voulons espérer que ces derniers, de leur côté, animés du même désir, aimeront étudier de plus près notre doctrine et mieux voir comme elle découle logiquement du dépôt de la révélation divine, tout comme ils voudront connaître mieux notre histoire et notre vie religieuse.
Enfin, Nous dirons à ce propos que, conscient des difficultés énormes qui s’opposent actuellement à l’unification désirée, Nous mettons humblement notre confiance en Dieu. Nous continuerons de prier. Nous tâcherons de donner un meilleur témoignage de notre effort de vie chrétienne authentique et de charité fraternelle. Et pour le cas où la réalité historique menacerait de décevoir notre espérance, nous nous rappellerons le mot si encourageant du Christ : « Ce qui, pour les hommes, est impossible, est possible à Dieu. » (Luc, 18, 27).
IV. Jeter un pont vers le monde contemporain
Ensuite, et c’est le dernier point que Nous avons annoncé, le Concile travaillera à jeter un pont vers le monde contemporain.
Phénomène singulier ; tandis que l’Eglise, en tâchant d’animer sa vie interne de l’Esprit du Seigneur, se différencie et se détache de la société profane où elle est plongée, en même temps elle se caractérise comme levain vivifiant et organe de salut de ce même monde. Elle découvre de plus en plus et elle confirme sa vocation missionnaire, c’est-à-dire la destination essentielle qui la voue à faire de l’humanité, en quelque condition que celle-ci se trouve, l’objet de sa mission et de son zèle passionné d’évangélisation.
Vous-mêmes, vénérables Frères, vous avez l’expérience de ce prodige. En effet, au seuil des travaux de la première session, enflammés par les paroles que le Pape Jean XXIII avait prononcées pour inaugurer ces assises, vous avez immédiatement éprouvé le besoin d’ouvrir en quelque sorte les portes de l’Assemblée pour lancer au monde un vibrant message de salutation, de fraternité et d’espérance.
Geste insolite mais admirable. On dirait que le charisme prophétique de l’Eglise a subitement explosé ! Et comme Pierre, au jour de la Pentecôte, se sentit poussé à élever tout de suite la voix et à parler au peuple, vous avez pareillement voulu tout d’abord vous occuper non pas de vos affaires mais de celles du monde, et engager le dialogue non pas entre vous mais avec le monde.
Cela signifie, vénérables Frères, que ce Concile se caractérise par l’amour, l’amour plus large et plus pressant, par l’amour qui pense aux autres avant de penser à soi, par l’amour universel du Christ.
C’est cet amour qui nous soutient présentement, car à regarder le spectacle de la vie des hommes d’aujourd’hui, nous aurions de quoi être épouvantés plutôt qu’encouragés, affligés plutôt que réjouis, portés à une attitude de défense et de réprobation plutôt que de confiance et d’amitié.
Il nous faut être réalistes et ne point cacher les coups qui, de régions assez nombreuses, viennent blesser même ce Concile universel. Pouvons-nous être aveugles et ne pas remarquer qu’en cette réunion beaucoup de places restent vides ?
Où sont nos frères de certains pays où l’Eglise est persécutée ?
Et en quelles conditions se trouve la religion en ces territoires ?
A ce sujet, Nos préoccupations s’aggravent de tout ce que Nous savons et davantage encore de tout ce qu’il ne Nous est pas donné de savoir concernant la hiérarchie, les religieux et religieuses et tant de Nos fils soumis à des menaces, vexations, privations et contraintes à cause de leur fidélité au Christ et à l’Eglise.
Quelle tristesse devant tant de souffrances ! Quelle affliction de voir qu’en certains pays la liberté religieuse, comme aussi d’autres droits fondamentaux de l’homme sont étouffés en vertu de principes et de méthodes d’intolérance politique, raciale ou antireligieuse ! C’est une peine profonde de devoir constater combien il se commet encore dans le monde d’atteintes à la libre et honnête profession de la foi religieuse personnelle.
Mais Notre plainte attristée, plutôt que de Nous dicter des paroles sévères, veut s’exprimer une fois de plus en un appel plein de franchise et d’humanité adressé à tous les responsables éventuels pour les exhorter à montrer de la grandeur d’âme et à renoncer à leur hostilité injustifiée à l’égard de la religion catholique. Les fidèles de celle-ci ne doivent pas être considérés comme des ennemis ou des citoyens déloyaux, mais bien plutôt comme des membres honnêtes et laborieux de la société civile à laquelle ils appartiennent.
Et aux catholiques qui souffrent pour leur foi, Nous adressons en cette nouvelle occasion Notre salut affectueux. Pour eux, Nous demandons à Dieu un réconfort particulier.
Mais il y a encore pour Nous d’autres sujets d’amertume.
Notre regard découvre à travers le monde bien d’autres malheurs, immensément attristants. L’athéisme gagne une partie de l’humanité, introduisant le déséquilibre dans l’ordre intellectuel, moral et social, ordre dont le monde perd l’exacte notion. Tandis que croissent les lumières de la science des choses, la science de Dieu s’obscurcit, et par conséquent la vraie science de l’homme. Tandis que le progrès perfectionne de façon admirable les instruments de tout genre dont l’homme dispose, le cœur humain glisse vers le vice, la tristesse, le désespoir.
Sur cette condition de l’homme moderne, condition complexe et si triste pour tant de raisons, Nous aurions beaucoup à dire, mais ce n’est pas le moment. Pour l’heure, disions-Nous, l’amour emplit Notre âme et l’âme de l’Eglise rassemblée en Concile. Nous regardons Notre temps et ses manifestations diverses et contrastantes avec une très grande sympathie et un immense désir de présenter aux hommes d’aujourd’hui le message d’amour, de salut et d’espoir que le Christ a apporté au monde : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean, 3, 17).
Que le monde le sache : L’Eglise le regarde avec une profonde compréhension, avec une admiration sincère, sincèrement disposée non à le subjuguer, mais à le servir ; non à le déprécier, mais à le mettre en valeur ; non à le condamner, mais à le soutenir et à le sauver.
De cette fenêtre ouverte sur le monde qu’est le Concile, l’Eglise regarde avec un intérêt particulier plusieurs catégories de personnes. Elle regarde les pauvres, les indigents, les malheureux ; ceux qui souffrent de la faim, les malades, les détenus, bref, toute l’humanité qui souffre et qui pleure. Celle-ci appartient à l’Eglise par droit évangélique, et l’Eglise se plaît à répéter à tous ceux qui en font partie : « Venez à moi. » (Matth., 11, 28).
L’Eglise regarde les artisans de la culture humaine, les hommes d’étude et de science, les artistes.
A leur égard aussi, elle professe une haute estime et le très vif désir d’accueillir leurs espoirs, d’affermir leur pensée, de sauvegarder leur liberté, de ménager, dans les sphères lumineuses de la parole et de la grâce de Dieu, l’épanouissement de leurs esprits tourmentés.
L’Eglise regarde les travailleurs, leur dignité de personnes, la dignité de leur travail ; elle s’intéresse à leurs légitimes aspirations, au besoin de promotion sociale et d’élévation intérieure qui les éprouve encore cruellement, à la mission qu’on peut leur reconnaître, si elle est conçue de façon saine et chrétienne, de créer un monde nouveau, un monde d’hommes libres et vraiment frères. L’Eglise, mère et éducatrice, est près d’eux !
Elle regarde les chefs des peuples.
Aux paroles sévères et aux avertissements qu’elle est souvent tenue de leur adresser, elle préfère aujourd’hui un mot d’encouragement et de confiance : Courage, vous qui dirigez les peuples, vous pouvez procurer maintenant à vos nations un grand nombre des biens nécessaires à l’existence : le pain, l’instruction, le travail, l’ordre, la dignité de citoyens libres et unis. Pourvu que vous sachiez vraiment qui est l’homme, et seule la sagesse chrétienne peut vous le dire en plénitude de lumière. Vous pouvez, travaillant ensemble dans la justice et l’amour, créer la paix, ce souverain bien qui est tant désiré et dont le maintien et le progrès doivent tant à l’Eglise. Vous pouvez faire de l’humanité une seule cité. Dieu soit avec vous !
Et puis, l’Eglise catholique regarde plus loin, par-delà l’horizon de la chrétienté. Comment pourrait-elle mettre des limites à son amour, si elle doit faire sien celui de Dieu le Père, qui fait pleuvoir ses grâces sur tous les hommes (Matth., 5, 48) et qui a aimé le monde au point de donner pour lui son Fils unique (Jean, 3, 16) ? L’Eglise porte donc son regard au-delà de sa sphère propre. Elle considère les autres religions qui gardent le sens et la notion du Dieu unique, suprême et transcendant, Créateur et Providence. Ces religions rendent à Dieu un culte par des actes de piété sincère et elles appuient sur leurs croyances et leurs pratiques les bases de la vie morale et sociale.
L’Eglise catholique relève sans doute, non sans douleur, des lacunes, des insuffisances et des erreurs dans beaucoup de ces formes religieuses. Mais elle ne manque pas de se tourner vers elles et de leur rappeler que le catholicisme estime comme il se doit tout ce qu’elles possèdent de vrai, de bon et d’humain.
L’Eglise leur répète que pour sauvegarder dans la société moderne le sens religieux et le culte de Dieu — obligation et besoin de la vraie civilisation, — elle-même se tient en première ligne, comme le plus ferme défenseur des droits de Dieu sur l’humanité.
Le regard de l’Eglise embrasse encore d’autres champs immenses de l’humanité : les générations nouvelles qui montent, cette jeunesse qui aspire à vivre et à s’affirmer. Les peuples nouveaux qui prennent conscience d’eux-mêmes, acquièrent leur indépendance et développent leurs structures. Les innombrables créatures humaines qui se sentent isolées au milieu même du tourbillon d’une société qui n’a point pour leur âme une parole de vérité. Et l’Eglise les salue tous. A tous, à tous, elle lance sa proclamation d’espérance ! A tous, elle souhaite et elle offre la lumière de vérité, de vie et de salut, parce que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tim., 2, 4).
Vénérables Frères, Notre mission de ministres du salut est grande et lourde.
C’est afin de mieux y répondre que nous nous trouvons réunis en cette Assemblée solennelle. Que la communion profonde et fraternelle qui règne entre nos âmes oriente nos forces. Que la communion avec l’Eglise du ciel nous soit propice ! Que nous aident les saints de nos diocèses et de nos familles religieuses, tous les anges et tous les saints, spécialement saint Pierre et saint Paul, saint Jean-Baptiste, et en particulier saint Joseph qui a été déclaré patron de ce Concile.
Que Notre-Dame, invoquée de tout cœur, nous accorde son assistance maternelle et puissante. Que le Christ préside à nos travaux, et que tout se passe à la gloire de Dieu, de la très sainte Trinité. C’est sa Bénédiction que Nous n’hésitons pas à vous donner à tous, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Source : Nouvelle revue théologique 85 N°9 1963 – L’Oss. Rom., 30 sept. 1963. — La Doc. Cath., 1963, col. 1345–1361