Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

12 Janvier 1966

Audience générale

Les enseignements du Concile sont inscrits dans le patrimoine de l'Église

Chers fils et chères filles,

La vie de l’Église est domi­née par le Concile œcu­mé­nique qui s’est clos en décembre der­nier. Et ce n’est pas seule­ment le sou­ve­nir d’un évé­ne­ment aus­si rare et aus­si impor­tant qui doit rete­nir nos esprits ; le sou­ve­nir se rap­porte à un fait pas­sé, la mémoire le recueille, l’histoire l’enregistre, la tra­di­tion le conserve, mais tout ce pro­ces­sus regarde un moment fini, un évé­ne­ment pas­sé. Par contre, le Concile laisse après lui quelque chose qui dure et conti­nue à agir. Le Concile est comme une source d’où jaillit un fleuve ; la source peut être loin­taine, le cou­rant du fleuve nous suit. On peut dire que le Concile se laisse lui-​même à l’Eglise qui l’a célé­bré. Le Concile ne nous oblige pas tant à regar­der en arrière, vers sa célé­bra­tion, qu’à consi­dé­rer l’héritage qu’il nous a lais­sé, héri­tage pré­sent et durable. Mais quel est cet héritage ?

L’héritage du Concile est consti­tué par des docu­ments suc­ces­si­ve­ment pro­mul­gués au terme de ses dis­cus­sions et de ses déli­bé­ra­tions. Ces docu­ments sont de diverses natures : il y a des Constitutions (4), des décrets (9) et des décla­ra­tions (3) ; mais tous ensemble forment un corps de doc­trine et de lois, qui doit don­ner à l’Église ce renou­veau pour lequel le Concile a été déci­dé. Connaître, étu­dier, appli­quer ces docu­ments, tel est le devoir pro­vi­den­tiel de la période post-conciliaire.

Mais, remarquons-​le bien, les ensei­gne­ments du Concile ne consti­tuent pas un sys­tème orga­nique et com­plet de la doc­trine catho­lique. Celle-​ci est bien plus vaste, comme cha­cun le sait, et le Concile ne l’a pas mise en doute ni modi­fiée sub­stan­tiel­le­ment. Bien au contraire, il l’a confir­mée, illus­trée, défen­due et déve­lop­pée par une apo­lo­gie très auto­ri­sée, pleine de sagesse, de vigueur et de confiance. C’est cet aspect doc­tri­nal du Concile que nous devons noter en pre­mier lieu pour l’honneur de la parole de Dieu qui demeure uni­voque et impé­ris­sable comme une lumière qui ne s’éteint pas, et pour le récon­fort de nos âmes aux­quelles la voix franche et solen­nelle du Concile a mon­tré quel rôle pro­vi­den­tiel a été confié par le Christ au magis­tère vivant de l’Église pour gar­der, défendre, inter­pré­ter le « dépôt de la foi » [1]. Nous ne devons pas déta­cher les ensei­gne­ments du Concile du patri­moine doc­tri­nal de l’Église, mais bien voir com­ment ils s’insèrent en lui, font corps avec lui, consti­tuent pour lui un témoi­gnage, un accrois­se­ment, une expli­ca­tion, une appli­ca­tion. Alors, les « nou­veau­tés » doc­tri­nales ou nor­ma­tives du Concile appa­raissent dans leurs justes pro­por­tions, elles n’entravent pas la fidé­li­té de l’Église à sa fonc­tion d’enseignement, et elles acquièrent cette véri­table signi­fi­ca­tion, qui la fait res­plen­dir d’une lumière supérieure.

C’est pour­quoi le Concile aide les fidèles, qu’ils soient maîtres ou dis­ciples, à sur­mon­ter les états d’âme (néga­tion, indif­fé­rence, doute, sub­jec­ti­visme, etc.) qui sont contraires à la pure­té et à la force de la foi. Il est un grand acte du magis­tère ecclé­sias­tique ; celui qui adhère au Concile recon­naît et honore avec lui le magis­tère de l’Église ; et ce fut là la pre­mière idée qui inci­ta le Pape Jean XXIII, de véné­rée mémoire, à convo­quer le Concile, comme il l’a dit lors de la céré­mo­nie d’ouverture : « (le Successeur de saint Pierre) a vou­lu, en convo­quant ces impor­tantes assises, don­ner une nou­velle affir­ma­tion du magis­tère ecclé­sias­tique » . [2] « Ce qui est très impor­tant pour le Concile œcu­mé­nique, c’est que le dépôt sacré de la doc­trine chré­tienne soit conser­vé et pré­sen­té d’une façon plus effi­cace. » [3].

Il ne serait donc pas dans le vrai celui qui pen­se­rait que le Concile repré­sente un déta­che­ment, une rup­ture, ou une libé­ra­tion de l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église, comme cer­tains le pensent, qu’il auto­rise et encou­rage un facile confor­misme à la men­ta­li­té de notre temps en ce qu’elle a d’éphémère et de néga­tif plu­tôt que de sûr et de scien­ti­fique, ou bien qu’il auto­rise n’importe qui à don­ner aux véri­tés de la foi la valeur et l’expression qu’il veut. Le Concile ouvre de nom­breux hori­zons nou­veaux aux études bibliques, théo­lo­giques et huma­nistes, il invite à cher­cher et à appro­fon­dir les sciences reli­gieuses, mais il ne prive pas la pen­sée chré­tienne de sa rigueur spé­cu­la­tive, et il n’admet pas que l’enseignement phi­lo­so­phique, théo­lo­gique et scrip­tu­raire de l’Église soit enva­hi par l’arbitraire, l’incertitude, la ser­vi­li­té, la déso­la­tion qui carac­té­risent tant de formes de la pen­sée reli­gieuse moderne quand elle est pri­vée de l’assistance du magis­tère ecclésiastique.

Certains se demandent quelle est l’autorité, la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique qu’a vou­lu don­ner à son ensei­gne­ment un Concile qui a évi­té de pro­mul­guer des défi­ni­tions dog­ma­tiques solen­nelles enga­geant l’infaillibilité du magis­tère ecclé­sias­tique. La réponse, nous la connais­sons. Rappelons-​nous la décla­ra­tion conci­liaire du 6 mars 1964, répé­tée le 16 novembre 1964 : étant don­né le carac­tère pas­to­ral du Concile, il a évi­té de pro­non­cer d’une manière extra­or­di­naire des dogmes com­por­tant la note d’infaillibilité, mais il a muni ses ensei­gne­ments de l’autorité du Magistère ordi­naire suprême ; ce magis­tère ordi­naire et mani­fes­te­ment authen­tique doit être accueilli doci­le­ment et sin­cè­re­ment par tous les fidèles, selon l’esprit du Concile concer­nant la nature et les buts de chaque document.

Nous devons entrer dans l’esprit de ces cri­tères fon­da­men­taux du magis­tère ecclé­sias­tique et avoir davan­tage confiance dans l’Église qui nous conduit sur les sen­tiers de la foi et de la vie chré­tienne. Si agissent ain­si les bons catho­liques, les bons fils de l’Église, et spé­cia­le­ment les savants, les théo­lo­giens, les maîtres, ceux qui dif­fusent la parole de Dieu, ain­si que ceux qui étu­dient et recherchent la doc­trine authen­tique décou­lant de l’évangile pro­fes­sé par l’Église, il faut espé­rer que la foi et avec elle la vie chré­tienne et même la vie civile auront ce grand récon­fort venant de la véri­té qui sauve. Car « l’esprit du Concile » veut être l’esprit de véri­té [4].

Que Notre Bénédiction vous aide à com­prendre cet esprit et à le faire vôtre.

Source : La Documentation Catholique, n° 1466, 6 mars 1966. col. 418–420

Notes de bas de page
  1. cf. Humani Generis, A.A.S., 1950, p. 567[]
  2. A. A. S., 1962, p. 786[]
  3. ibid. p. 790[]
  4. Jean 16:13[]