Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

24 mai 1953

Lettre encyclique Doctor Mellifluus

Pour le huitième centenaire de Saint Bernard de Clairvaux

Saint Bernard de Clairvaux est né en 1090 d’une famille aristo­cratique de Fontaine-​les-​Dijon ; il entre à Citeaux, un monas­tère aus­tère, il y fait son novi­ciat de 1112 à 1115 ; il part fon­der avec une équipe de moines Clairvaux ; il est gra­ti­fié de dons mys­tiques. Il en­treprend un grand nombre de fon­da­tions d’ab­bayes cis­ter­ciennes. Il publie des trai­tés de théo­lo­gie spi­ri­tuelle. Bernard est appe­lé à jouer un rôle de pre­mier plan dans l’Eglise uni­ver­selle, il obtient en 1137 la démis­sion de l’an­ti­pape Victor IV, seul demeure le Pape légi­time Inno­cent II ; il devient le conseiller le plus en vue des Souverains Pontifes. En 1145 c’est d’ailleurs un moine de Clairvaux qui est élu Pape, sous le nom d’Eugène III. S. Bernard prêche la deuxième croi­sade en 1145. Il meurt à Clairvaux le 20 août 1153. C’est à l’oc­ca­sion du VIIIe cen­te­naire de cette mort que l’Encyclique « Doctor Mellifluus » est publiée :

Le doc­teur « Mellifluus »[1], « der­nier des Pères mais non infé­rieur aux pre­miers » [2], s’imposa par de telles qua­lités de l’esprit et du cœur enri­chies par Dieu de dons cé­lestes, que, dans les conjonc­tures variées et le plus sou­vent trou­blées de son époque, il se détache émi­nem­ment par la sain­te­té, la sagesse et la sou­ve­raine pru­dence dont il fit preuve dans la conduite des affaires. C’est pour cela qu’aux louanges qui lui ont été attri­buées par les Souve­rains Pontifes, il n’est pas rare de voir s’adjoindre celles des héré­tiques. Aussi Notre Prédécesseur, Alexandre III, l’inscrivant, à la joie de tous, au cata­logue des Saints, écrivait-​il ces mots pleins de véné­ra­tion : « Nous avons évo­qué la vie sainte et véné­rable de ce bien­heu­reux ; Nous avons dit com­ment, sou­te­nu par une sin­gu­lière pré­ro­ga­tive de grâce, il a excel­lé par sa sain­te­té et sa reli­gion et com­ment il a répan­du dans l’Eglise de Dieu la lumière de sa foi et de sa doc­trine. Et l’on pour­rait presque dire qu’en ses confins les plus éloi­gnés la chré­tien­té n’a pas igno­ré les fruits qu’il a pro­duits dans la Maison du Seigneur et par la parole et par l’exemple, répan­dant jusque par­mi les nations étran­gères et bar­bares, les ins­ti­tu­tions de la reli­gion et en­gageant une mul­ti­tude de pécheurs dans la voie droite de la vie spi­ri­tuelle » [3]. « Il fut, ain­si que l’a écrit Baronius, un homme vrai­ment apos­to­lique, bien plus, un véri­table apôtre envoyé de Dieu, puis­sant en œuvres et en paroles, illus­trant par­tout et en tout son apos­to­lat, au point qu’on pour­rait le com­pa­rer aux grands apôtres et dire de lui qu’il est l’ornement et la gloire de toute l’Eglise catho­lique. » [4]

A ces témoi­gnages hau­te­ment élo­gieux, on pour­rait en ajou­ter d’innombrables, en ce hui­tième cen­te­naire de la date où le res­tau­ra­teur et le pro­pa­ga­teur de l’Ordre de Citeaux pas­sa de la vie mor­telle, illus­trée par la lumière de sa doc­trine et par l’éclat de sa sain­te­té, à la vie du Ciel. Il Nous plaît de repas­ser en esprit et de pro­po­ser par écrit ses extra­or­di­naires mérites pour que, non seule­ment les membres de son Institut, mais aus­si tous ceux que charme ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est saint, soient exci­tés à suivre les exemples illustres de sa vertu.

Sa doc­trine est presque entiè­re­ment tirée des Saintes Lettres qu’il avait en mains nuit et jour et qu’il médi­tait avec sa pro­fonde intel­li­gence, et non pas des sub­ti­li­tés rai­son­neuses des dia­lec­ti­ciens et des phi­lo­sophes, qu’il semble plus d’une fois avoir mépri­sées. [5] Il faut cepen­dant noter qu’il ne repous­sait pas la phi­lo­so­phie humaine, la vraie phi­lo­so­phie, c’est-à-dire celle qui conduit à Dieu, à la rec­ti­tude de vie et à la sagesse chré­tienne ; mais il re­poussait plu­tôt cette phi­lo­so­phie qui, par une vaine gran­diloquence et par des jon­gle­ries sub­tiles et fal­la­cieuses, pré­ten­dait arri­ver, avec une effron­te­rie pré­somp­tueuse, aux choses de Dieu et pré­ten­dait en scru­ter les mys­tères. A tel point — et cela arri­vait sou­vent à cette époque — qu’elle por­tait atteinte à l’intégrité de la foi et tom­bait lamenta­blement dans l’hérésie.

« Tu vois, écrit-​il lui-​même, com­ment l’apôtre saint Paul [6] place le fruit et l’utilité de la science dans la façon de connaître ? qu’est-ce à dire, façon de connaître ? pas autre chose que savoir selon quel ordre, avec quel zèle et pour quelle fin il faut connaître toutes choses. Selon quel ordre ? d’abord ce qui est davan­tage requis pour le salut ; avec quel zèle ? avec d’autant plus de zèle que cela porte plus faci­le­ment à l’amour ; pour quelle fin ? non pour une vaine gloire ni pour la curio­si­té ou quelque chose de sem­blable, mais seule­ment pour ton édi­fi­ca­tion et celle du pro­chain. En effet, il y en a qui veulent savoir uni­que­ment pour connaître, c’est une hon­teuse curio­si­té. Il y en a qui veulent savoir pour vendre leur science, par exemple pour de l’argent, pour des hon­neurs, et c’est un hon­teux com­merce. Mais il en est qui veulent savoir pour édi­fier, et c’est cha­ri­té. Et il en est qui veulent savoir pour s’édi­fier, et c’est pru­dence [7]. »

La doc­trine, ou plu­tôt la sagesse qu’il suit et qu’il aime avec force, il nous la décrit très heu­reu­se­ment en ces mots :

« L’esprit de sagesse et d’intelligence est celui qui à l’égal de l’abeille qui pro­duit la cire et le miel, pos­sède entiè­re­ment ce qu’il faut savoir pour pro­duire la lumière de la science et pour infu­ser la saveur de la grâce. Ni ce­lui qui com­prend la véri­té mais ne l’aime pas, ni celui qui l’aime et ne la com­prend pas ne peuvent pré­tendre en re­cevoir le bai­ser. » [8] « Que ferait l’érudition sans l’amour, elle enfle­rait ; que ferait l’amour sans l’érudition, il ferait fausse route. » [9] « Briller seule­ment est vain, brû­ler seule­ment est peu, brû­ler et briller est par­fait. » [10] D’où tire ori­gine la vraie et pure doc­trine et com­ment elle doit être jointe à la cha­ri­té, il nous l’explique par ces mots : « Dieu est sagesse et veut être aimé non seule­ment avec dou­ceur mais avec sagesse. Bien plus, l’esprit d’erreur gâche­ra tout zèle si tu négliges la science. Et l’ennemi trom­peur n’a pas de moyen plus effi­cace pour enle­ver l’amour du cœur de l’homme, que de réus­sir à le faire mar­cher dans l’amour sans pré­cau­tion et sans être gui­dé par la rai­son. » [11]

De ces paroles, il res­sort à l’évidence que Bernard, par ses recherches et sa contem­pla­tion a cher­ché à diri­ger les rayons de véri­té recueillis de par­tout vers la Souveraine Vérité, — agis­sant et pous­sé en cela beau­coup plus par l’amour que par la sub­ti­li­té des conjec­tures humaines —, lui deman­dant la lumière pour les esprits, le feu de la cha­ri­té pour les âmes ; des règles droites pour modé­rer les mœurs. C’est là vrai­ment la véri­table sagesse, qui trans­cende toutes choses humaines et qui ramène tout à sa source qui est Dieu afin de diri­ger vers Lui les hommes. Le Docteur « Mellifluus » ne s’appuie pas sur la péné­tration de son esprit pour avan­cer avec pesan­teur par les défi­lés incer­tains et peu sûrs de l’esprit rai­son­neur ; il ne s’appuie pas sur de labo­rieux et arti­fi­cieux syl­lo­gismes dont de nom­breux dia­lec­ti­ciens de son temps abu­saient bien sou­vent ; mais comme l’aigle qui s’efforce de fixer le soleil avec les yeux, d’un vol rapide, il tend au som­met de la véri­té. En effet, la cha­ri­té par laquelle il était mû ne connaît pas de bar­rières et semble don­ner des ailes à l’esprit. Pour lui, la science n’est pas un but der­nier, mais plu­tôt un che­min qui conduit à Dieu ; ce n’est pas une chose froide sur laquelle s’attarde vai­ne­ment l’esprit, comme si jouant avec lui-​même, il était sai­si par des éclairs pas­sa­gers, mais c’est une chose mue par l’amour, pous­sée et diri­gée par lui. Et c’est pour­quoi saint Bernard péné­tré de cette sagesse, par la médi­ta­tion, la contempla­tion et l’amour, est arri­vé au plus haut som­met de la dis­cipline mys­tique ; il s’est uni à Dieu lui-​même et il a pres­que joui même pen­dant sa vie mor­telle de l’infinie béatitude.

Sa manière d’écrire, vive, brillante, cou­lante, nuan­cée par l’éclat des sen­tences, répand tant de sua­vi­té et de dou­ceur qu’elle attire, charme et élève l’esprit du lec­teur. Elle excite la pié­té, la nour­rit et la façonne. Elle pousse l’intelligence à pour­suivre non les biens caducs et passa­gers, mais ceux qui sont vrais, sûrs et qui demeurent. C’est pour cela que ses écrits furent tou­jours consi­dé­rés avec grand res­pect. Et plu­sieurs de ces mêmes pages, au par­fum céleste, d’une pié­té embra­sée, ont conduit l’Eglise à s’en ser­vir dans la sainte Liturgie [12]. Elles semblent rem­plies du souffle de l’Esprit Saint, et leur lumière est si res­plen­dis­sante que le cours des siècles n’a jamais pu l’éteindre, car elle jaillit de l’âme d’un écri­vain assoif­fé de véri­té et d’amour, dési­reux de nour­rir les autres et de les rendre conformes à son image [13].

Il Nous plaît, Vénérables Frères, d’extraire de ses li­vres pour l’utilité com­mune, plu­sieurs des plus belles sen­tences de cet ensei­gne­ment mys­tique. « Nous ensei­gnons que toute âme, même char­gée de péchés, prise au filet des vices, séduite par leurs appâts, cap­tive et exi­lée, prison­nière de son corps, toute âme, dis-​je, ain­si recon­nue cou­pable et déses­pé­rée, nous ensei­gnons qu’elle peut décou­vrir en soi ce qui lui per­met­tra non seule­ment de res­pi­rer dans l’espoir du par­don, dans l’espoir de la misé­ri­corde, mais encore d’oser aspi­rer aux noces du Verbe, de ne pas craindre de contrac­ter un lien de socié­té avec Dieu, de n’avoir pas peur de por­ter avec le Roi des anges le joug suave de l’amour. Que n’oserait-elle en effet, en toute sé­curité, près de Celui dont elle se découvre la noble image, dont elle se sait l’éclatante res­sem­blance ? » [14] « Une telle confor­mi­té marie l’âme au Verbe, lorsqu’elle se montre non moins sem­blable par la volon­té à Celui à qui elle res­semble par nature, aimant comme elle est aimée. Si donc elle aime par­fai­te­ment, elle est épou­sée. Quoi de plus agréable que cette confor­mi­té ? Quoi de plus dési­rable que la cha­ri­té grâce à laquelle, ô âme, non contente d’un ensei­gnement humain, tu approches par toi-​même du Verbe, tu adhères constam­ment au Verbe, tu inter­roges familière­ment le Verbe et tu le consultes au sujet de tout, deve­nue d’au­tant plus apte à com­prendre que tu es plus auda­cieuse à dési­rer ? C’est là le contrat d’un vrai et saint mariage. Je dis peu, contrat : c’est une étreinte. Etreinte totale où vou­loir la même chose, refu­ser la même chose fait un seul esprit de deux. Et il n’y a pas à craindre que la dif­fé­rence des per­sonnes fasse en quelque sorte boi­ter l’accord des volon­té, car l’amour ignore la crainte révé­ren­tielle. L’amour reçoit son nom du fait d’aimer et non de celui d’honorer… L’amour abonde pour lui-​même ; là où vient l’amour, il amène à soi et cap­tive tous les sen­ti­ments. Aussi celui qui aime, aime, et ne connaît rien d’autre. » [15] Après avoir noté que Dieu désire davan­tage l’amour des hommes que leur crainte et leurs hom­mages, Bernard ajoute avec finesse et pers­pi­ca­ci­té : « Cet amour suf­fit par lui-​même. Il plaît par lui-​même et pour lui-​même. Il est à lui-​même son mérite, à lui-​même sa récom­pense. L’amour ne cherche pas de cause en dehors de lui, pas de fruit.

» Son fruit, c’est sa jouis­sance. J’aime parce que j aime ; j’aime pour aimer. C’est une grande chose que l’amour pour­vu qu’il recoure à son prin­cipe, qu’il revienne à son ori­gine, qu’il reflue à sa source pour y pui­ser tou­jours un flot sans fin. De tous les mou­ve­ment intimes, de toutes les impres­sions et affec­tions, l’amour est le seul dans lequel la créa­ture puisse, bien qu’inégalement, ré­pondre à son Auteur ou lui rendre un sen­ti­ment de même nature. » [16]

Comme il avait fait sou­vent lui-​même dans la contem­plation et la prière l’expérience de cet amour divin, par lequel nous pou­vons être très inti­me­ment unis à Dieu, ces paroles enflam­mées jaillissent de son âme : « Heureuse l’âme qui a méri­té d’être pré­ve­nue par la béné­dic­tion d’une telle dou­ceur ! Heureux celui à qui il a été don­né d’expé­rimenter une telle étreinte de bon­heur ! Car il n’y a rien d’autre que l’amour saint et chaste, suave et doux ; amour d’une telle sin­cé­ri­té, amour mutuel, intime et fort, qui unit deux êtres non en une seule chair, mais en un seul esprit qui fait que deux ne sont plus deux mais un, selon la parole de Paul [17] : “Celui qui adhère à Dieu est un seul esprit avec Lui” » [18].

Cette haute doc­trine mys­tique du Docteur de Clair­vaux, qui dépasse tous les dési­rs humains et peut les com­bler semble à notre époque être négli­gée et sacri­fiée ou être oubliée de beau­coup qui, écar­te­lés par les soins et les affaires quo­ti­diennes, ne cherchent et ne dési­rent rien d’autre que ce qui est utile et pro­duc­tif pour cette vie mor­telle et qui n’élèvent presque jamais les yeux et l’esprit vers le ciel, qui n’aspirent presque jamais aux biens supé­rieurs et impérissables.

Mais, même si tous ne peuvent pas atteindre à ce som­met de la contem­pla­tion dont parle Bernard en des for­mules et des mots éle­vés : même si tous ne peuvent pas s’unir si inti­me­ment à Dieu qu’ils se sentent unis au Sou­verain Bien selon un mode caché, par les liens d’un ma­riage céleste, tous cepen­dant peuvent et doivent de la même manière éle­ver leur âme de ces réa­li­tés ter­restres à celles du ciel et aimer d’une volon­té très active le Su­prême Dispensateur de tous les dons.

C’est pour­quoi, alors qu’aujourd’hui la cha­ri­té envers Dieu décroît peu à peu de fer­veur dans les âmes et que sou­vent elle y est com­plè­te­ment éteinte, nous pen­sons que ces pages du Docteur « Mellifluus » doivent être médi­tées d’un esprit atten­tif : de leurs sen­tences — qui d’ailleurs découlent de l’Evangile — une force nou­velle et surna­turelle peut se répandre, tant pour la vie pri­vée de cha­cun que pour la socié­té humaine, une force qui régi­rait les mœurs des citoyens et les ren­drait conformes aux précep­tes chré­tiens ; si bien qu’elle pour­rait offrir des remèdes oppor­tuns à des maux si nom­breux et si grands qui trou­blent et affligent la socié­té. Alors que les hommes n’ai­ment pas comme il le fau­drait l’Auteur de qui vient tout ce qu’ils ont, de ce fait ils ne s’aiment pas non plus entre eux, bien plus — comme il arrive sou­vent — ils se divisent entre eux par la haine et la riva­li­té et ils s’opposent les uns aux autres avec âpre­té. Dieu est notre Père très aimant à tous, et nous sommes frères dans le Christ, nous qu’il a rache­tés lui-​même en répan­dant son sang sacré. Chaque fois donc que nous ne répon­dons pas par notre amour à son amour et que nous ne recon­nais­sons pas avec res­pect sa pater­ni­té divine, les liens de l’amour fra­ter­nel se dissol­vent misé­ra­ble­ment ; et — comme on le voit par­fois hélas ! — les dis­cordes, les oppo­si­tions, les ini­mi­tiés font mal­heureusement irrup­tion ; et elles peuvent en arri­ver au point de miner et de ren­ver­ser les fon­de­ments de la com­munauté humaine.

Il convient donc de res­tau­rer dans toutes les âmes cette cha­ri­té divine, dont le Docteur de Clairvaux brû­la avec tant d’ardeur, si nous vou­lons que refleu­rissent les mœurs chré­tiennes, que la reli­gion catho­lique puisse accom­plir son ser­vice fécond et que, toutes dis­sen­sions apai­sées, tou­tes choses réglées par la jus­tice et l’équité, une paix sans nuages brille pour le genre humain fati­gué et anxieux.

Qu’ils brûlent sur­tout de cette cha­ri­té par laquelle nous devons tou­jours être for­te­ment unis à Dieu, ceux qui ont embras­sé l’institut du Docteur « Mellifluus » et aus­si tous les clercs dont c’est l’office spé­cial d’exhorter et d’inciter les autres à ravi­ver cet amour divin. De cet amour divin ils ont tant besoin, en notre temps plus que jamais, Nous l’avons dit, les citoyens, la socié­té domes­tique, toute la com­mu­nau­té humaine. Quand brûle cet amour et quand il pousse les esprits vers Dieu, but suprême des mor­tels, toutes les autres ver­tus sont vigou­reuses ; tan­dis qu’au contraire, quand il est reje­té ou dimi­nué, la tran­quilli­té, la paix, la joie et tout ce qui mérite vrai­ment le nom de bien dimi­nuent peu à peu, ou même dis­pa­raissent com­plè­te­ment, étant choses qui découlent de celui qui « est amour » [19].

De cette divine cha­ri­té, nul peut-​être n’a par­lé avec au­tant de beau­té, de pro­fon­deur, d’ardeur que Bernard : « La rai­son d’aimer Dieu, dit-​il, c’est Dieu même ; la mesure, c’est de l’aimer sans mesure » [20]. « Là où il y a l’amour, il n’y a plus souf­france, mais dou­ceur » [21]. — Ce qu’il avoue avoir déjà expé­ri­men­té lui-​même, lorsqu’il écrit : « O amour saint et chaste ! O douce et suave affec­tion !… d’autant plus suave et douce que ce qui est res­senti est tout divin. Recevoir une telle impres­sion c’est être déi­fié » [22]. — Et ailleurs : « Il m’est bon, Seigneur, de t’embrasser davan­tage dans la tri­bu­la­tion, de t’avoir avec moi dans la four­naise, plu­tôt que d’être sans toi, fût-​ce au Ciel » [23]. Lorsqu’il atteint à la cha­ri­té sou­ve­raine et par­faite qui l’unit à Dieu même par un mariage intime, il jouit alors d’une joie, d’une paix qu’aucune autre ne peut sur­pas­ser : « O lieu du vrai repos… où l’on ne per­çoit pas Dieu comme trou­blé par la colère, ou comme char­gé de sou­cis ; mais où l’on sent ses inten­tions bonnes, bien­veillantes et par­faites ! Cette vision ne ter­ri­fie pas, elle apaise ; elle n’excite pas la curio­si­té inquiète, elle la calme ; elle ne fatigue pas la sen­si­bi­li­té, elle la tran­quillise. Là, on se repose vrai­ment. Dieu pai­sible apaise tout ; et le voir en repos, c’est goû­ter le repos » [24].

Or cette quié­tude par­faite n’est pas la mort de l’âme, mais la vraie vie : « Un tel assou­pis­se­ment, plein de vie et de luci­di­té, illu­mine plu­tôt le sens inté­rieur, et repous­sant la mort, donne la vie éter­nelle. Car c’est vrai­ment un som­meil, mais qui n’assoupit pas la conscience, qui la tire hors d’elle-même. C’est aus­si une mort — je le dis sans hési­ter — car l’Apôtre, par­lant d’hommes vivant encore de la vie du corps, s’exprime ain­si [25] : « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ » [26].

Cette par­faite quié­tude de l’âme, que nous goû­tons en ren­dant à Dieu son propre amour, par laquelle nous tour­nons et orien­tons vers lui notre être et toutes nos facul­tés, ne nous mène pas au relâ­che­ment, à l’indolence et à l’iner­tie, mais bien plu­tôt à un zèle infa­ti­gable, ingé­nieux et actif ; par lui nous lut­tons pour obte­nir, sous l’inspiration de la grâce divine, notre salut et celui des autres. Une contem­pla­tion, une médi­ta­tion sublime de ce genre, pro­duite et exci­tée par l’amour divin, gou­verne en effet « les sen­ti­ments, dirige l’activité, cor­rige les excès, règle les mœurs, rend la vie hon­nête et ordon­née, et donne enfin éga­le­ment la connais­sance des réa­li­tés divines et humaines. C’est elle, qui règle ce qui est confus, domine les dési­rs effré­nés, ras­semble ce qui est dis­per­sé, découvre les lieux cachés, recherche le vrai, cri­tique ce qui a l’apparence du vrai, révèle ce qui est feinte et contre­fa­çon. C’est elle qui pré­voit ce qu’il faut faire, réflé­chit sur ce qui a été fait, pour que dans l’esprit ne sub­siste rien de déré­glé, ou d’insuffisamment réglé. C’est elle qui dans les temps heu­reux sent venir le mal­heur, dans le mal­heur reste com­me insen­sible ; ce qui est dans le second cas, cou­rage ; dans le pre­mier, pru­dence » [27].

Et, de fait, bien qu’il sou­haite par-​dessus tout res­ter plon­gé dans la subli­mi­té et l’extrême dou­ceur d’une telle médi­ta­tion, d’une telle contem­pla­tion, nour­rie par l’esprit divin, le Docteur de Clairvaux ne reste pas enfer­mé dans les murs de sa cel­lule « qui est douce quand on y de­meure » [28], mais par­tout où la cause de Dieu et de l’Eglise est en jeu, il accourt en hâte avec sa sagesse, sa parole, et son acti­vi­té. C’était son prin­cipe que « cha­cun ne doit pas vivre pour soi, mais pour tous » [29]. Et il écri­vait même de lui et des siens : « Ainsi, à nos frères, par­mi les­quels nous vivons, nous devons, de par le droit de la fra­ter­ni­té et de la socié­té humaine, conseil et assis­tance » [30]. Lorsqu’il voyait, d’un cœur attris­té, la sainte reli­gion mise en péril ou agi­tée par les troubles, il n’épargnait ni ses peines, ni ses démarches, ni ses soins pour la défendre vigoureuse­ment et l’aider de toutes ses forces : « Je consi­dère, disait- il, que rien de ce qui concerne Dieu ne m’est étran­ger » [31]. Et, à Louis, roi de France, il écri­vait avec pas­sion : « Nous, fils de l’Eglise, ne pou­vons vrai­ment pas cacher les insultes adres­sées à notre Mère, le mépris et l’avilisse­ment où on la tient… Aussi nous nous lève­rons, et nous com­bat­trons pour notre Mère, s’il le faut jusqu’à la mort, avec les armes qui conviennent ; pas avec le bou­clier et l’épée, mais par la prière et l’imploration de Dieu » [32]. A Pierre, abbé de Cluny, il disait : « Et je me glo­ri­fie de mes tri­bu­la­tions, si j’ai été jugé digne d’en subir pour l’Eglise. Ce qui est vrai­ment ma gloire et me fait redres­ser le front, c’est le triomphe de l’Eglise. Car si nous avons été les com­pa­gnons de ses peines, nous le serons de sa conso­la­tion. Il fal­lait pei­ner avec notre Mère et souf­frir avec elle… » [33].Alors que le corps mys­tique du Christ était trou­blé par un schisme redou­table, fai­sant flot­ter de ci de là l’âme même des meilleurs, il se don­na entiè­re­ment à l’apaisement des dis­cordes, et au réta­blis­se­ment heu­reux de l’unité des cœurs. Alors que les Princes, par soif de domi­na­tion, étaient divi­sés par de graves que­relles, d’où pou­vaient naître de grands mal­heurs pour les peuples, il se pré­sen­ta comme média­teur de paix, et arbitre d’union. Enfin, alors que la Terre sainte de Palestine que le divin Rédempteur sanc­ti­fia de son sang, était en grand dan­ger, acca­blée par des armées enne­mies, il entraî­na, sur l’ordre du Souverain Pontife, par sa voix sublime, et sa cha­ri­té plus sublime encore, les Princes chré­tiens et leurs peuples à entre­prendre une nou­velle expé­di­tion sous l’insigne de la Croi­sade ; si elle abou­tit à un échec, on ne doit sûre­ment pas le mettre à son compte.

Et alors que les œuvres d’Arnauld de Brescia, de Gilbert de la Porrée, et sur­tout d’Abélard, met­taient en grave dan­ger l’intégrité de la foi et des mœurs catholi­ques, trans­mise depuis les anciens temps comme un dépôt sacré, il mit tout en œuvre, par des écrits pleins de science, des voyages pénibles, sou­te­nu qu’il était par la grâce divine, pour écar­ter et faire condam­ner les erreurs et rame­ner, autant qu’il le pou­vait, les éga­rés à la voie droite et au bien.

Dans ces ques­tions, sachant bien que l’autorité du Pontife Romain a autre­ment de force que la sagesse des doc­teurs, il prit soin de faire inter­ve­nir cette auto­ri­té, qu’il recon­nais­sait sou­ve­raine pour tran­cher ces débats, et inca­pable de se trom­per. Et il écri­vait à notre pré­dé­ces­seur de bien­heu­reuse mémoire, Eugène III, qui avait été autre­fois for­mé à son école, ces mots, où l’on sent la cha­ri­té et le res­pect débor­dants qu’il avait pour lui, unis à cette liber­té de l’esprit qui convient aux saints : « L’amour ne connaît pas de maître, il recon­naît son fils même sous les orne­ments pon­ti­fi­caux… Je t’avertirai donc non comme un maître, mais comme une mère ; vrai­ment comme quelqu’un qui t’aime » [34]. Puis il l’appelle par ces mots ardents : « Qui es-​tu ? Le Grand-​Prêtre, le Souverain Pontife. Tu es le prince des Evêques, l’héritier des Apôtres… Pierre par le pou­voir, Christ par l’onction. Tu es celui à qui les clefs ont été remises, à qui les bre­bis sont confiées. Il y a bien d’autres por­tiers du Ciel, d’autres pas­teurs de trou­peaux ; mais toi, tu as héri­té d’un nom d’autant plus glo­rieux qu’il dif­fère des autres et les dépasse. Ceux-​là ont des trou­peaux dési­gnés, cha­cun a le sien : à toi tous sont confiés, l’unique trou­peau à l’unique Pasteur. Car tu es l’unique pas­teur, non seule­ment de toutes les bre­bis, mais de tous les pas­teurs » [35]. Et encore : « Il lui fau­drait quit­ter la terre, celui qui vou­drait décou­vrir ce qui n’appar­tient pas à ta charge » [36]. Il recon­naît net­te­ment et clai­re­ment le magis­tère infail­lible du Pontife Romain dans ce qui touche à la foi et aux mœurs. Notant les erreurs d’Abélard, qui « lorsqu’il parle de la Trinité, sent son Arius ; de la grâce, son Pélage ; de la per­sonne du Christ, son Nestorius » [37] ; « qui éta­blit des rangs dans la Trinité, des modes dans la majes­té, des degrés dans l’éternité » [38] ; et chez qui « l’esprit humain prend tout, ne lais­sant rien à la foi » [39] ; non seule­ment il dis­sèque ses illu­sions et ses arti­fices sub­tils, tor­tillés et trom­peurs, les balaie et les réfute, mais il écrit, sur ce sujet grave à notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Innocent II : « Il convient d’en réfé­rer à votre charge apos­to­lique de tous les dan­gers, mais sur­tout de ceux qui touchent à la foi. Car je pense que les atteintes por­tées à la foi doivent être répa­rées là pré­ci­sé­ment où la foi ne peut être en défaut. C’est là la pré­ro­ga­tive de ce Siège… C’est le moment, Père très cher, de prendre con­science de votre pri­mau­té… Vous serez vrai­ment le vicaire de Pierre, dont vous occu­pez la chaire, en raf­fer­mis­sant par votre aver­tis­se­ment les cœurs hési­tants dans leur foi, en écra­sant de votre auto­ri­té ceux qui cor­rompent la foi » [40].

D’où cet humble moine, qui n’avait presque pas d’ap­puis humains à sa dis­po­si­tion, a‑t-​il pu tirer la force néces­saire pour sur­mon­ter les dif­fi­cul­tés les plus rudes, résoudre les ques­tions les plus com­pli­quées, tran­cher les dif­fé­rends les plus inso­lubles ? On ne peut le com­prendre qu’en consi­dé­rant la haute sain­te­té de vie qui brillait en lui, unie à son effort pour connaître la véri­té. Surtout, il brû­lait d’une ardente cha­ri­té, comme nous l’avons dit, envers Dieu, envers le pro­chain, et cela, vous le savez, Vénérables Frères, est le pré­cepte essen­tiel et comme le résu­mé de l’Evangile ; de là vient qu’il n’était pas seule­ment uni au Père céleste par un lien mys­tique et durable, mais qu’il ne dési­rait rien plus vive­ment que de gagner des hommes au Christ, de pro­té­ger les droits sacrés de l’Egli­se, et de défendre l’intégrité de la foi catho­lique avec un cou­rage indomptable.

Quoique jouis­sant de tant de cré­dit et d’estime auprès des sou­ve­rains pon­tifes, auprès des princes et auprès des masses, il ne s’en pré­va­lait pas, il ne recher­chait pas la gloire humaine pas­sa­gère et vaine ; mais tou­jours il rayon­nait de l’humilité chré­tienne, qui « accueil­le les autres ver­tus… conserve celles qu’elle a accueillies… per­fec­tionne celles qu’elle conserve » [41], au point « que sans elle, elles ne paraissent même plus des ver­tus » [42]. C’est pour­quoi « l’honneur qui lui était offert ne trou­bla jamais son âme et il ne fit pas un pas pour se por­ter vers la gloire ; la tiare ou l’anneau ne l’attiraient pas plus que la serpe ou le sar­cloir » [43]. Et alors qu’il endu­rait tant de si grandes fatigues pour la gloire de Dieu et au pro­fit de la cause du chris­tia­nisme, il se décla­rait « inutile ser­vi­teur de Dieu » [44], « vil ver­mis­seau » [45], « ar­bre sté­rile » [46], « pécheur, cendre » [47]. C’est la contem­plation assi­due des réa­li­tés célestes qui nour­ris­sait cette humi­li­té chré­tienne et les autres ver­tus ; elles étaient nour­ries par des prières enflam­mées adres­sées à Dieu qui atti­raient la faveur d’en haut sur lui, sur ses entre­prises, sur ses travaux.

Son amour tout spé­cial pour Jésus-​Christ, le divin Ré­dempteur, l’entraînait avec tant de véhé­mence, que, tou­ché et sti­mu­lé par Lui, il a écrit des pages d’une grande élé­vation et d’une grande beau­té, que tout le monde admire encore et qui enflamment la pié­té de tous ceux qui les lisent.

« Qu’est-ce qui for­ti­fie l’esprit de celui qui pense, ren­force les ver­tus, donne de la vigueur aux bonnes et hon­nêtes habi­tudes, favo­rise les sen­ti­ments purs ? Tout ali­ment de l’âme est sec, si on n’y verse pas de cette huile ; insi­pide si on ne l’assaisonne pas de ce sel. Lorsque tu écris, je n’y prends pas goût si je n’y lis pas Jésus ; lors­que tu dis­cutes, ou que tu dis­cours, je n’y trouve aucun inté­rêt, si je n’y entends Jésus ; Jésus, c’est du miel pour ma bouche, une mélo­die pour mes oreilles, une jubi­la­tion pour mon cœur. Mais c’est aus­si un remède. L’un de vous est-​il triste ? Que Jésus vienne à son cœur et de là à ses lèvres ; et voi­ci que lorsque paraît ce nom lumi­neux, tout nuage dis­pa­raît, la séré­ni­té revient. Quelqu’un tom­be-​t-​il dans le crime ? se précipite-​t-​il alors, déses­pé­ré, vers la corde qui doit lui don­ner la mort ? S’il invoque ce nom de vie, ne va-​t-​il pas aus­si­tôt reve­nir à la vie ? La force de ce nom, invo­qué par celui qui s’agite et tremble dans les dan­gers, à qui ne rend-​il pas aus­si­tôt la confiance et n’ôte-t-il pas la crainte… ? Rien mieux que ce nom ne com­prime l’emportement de la colère, n’apaise l’enflure de l’orgueil, ne gué­rit la bles­sure de l’envie » [48]. Et à cette cha­ri­té ardente envers Jésus-​Christ, Bernard joi­gnait une pié­té très tendre et très douce envers Celle qui lui don­na la vie, qu’il véné­rait comme une Mère très ai­mante et qu’il hono­rait avec pas­sion. Il avait une telle confiance en sa très puis­sante pro­tec­tion qu’il n’a pas hési­té à écrire : « Dieu a vou­lu que nous n’ayons rien qui ne pas­sât par les mains de Marie » [49]. Et aus­si : « Telle est sa volon­té que nous ayons tout par Marie » [50].

Et il Nous plaît ici, Vénérables Frères, de pro­po­ser à la médi­ta­tion de tous cette page, en com­pa­rai­son de laquelle il n’existe pas de louange plus belle de la Vierge Mère de Dieu, il n’en est pas de plus vigou­reuse, il n’en est pas de plus capable d’exciter notre amour envers elle, ni de plus utile pour réchauf­fer la pié­té et nous inci­ter à suivre les exemples de ses ver­tus : « On l’appelle étoile de la mer et cela s’adapte de façon très conve­nable à la Vierge Mère, car c’est très jus­te­ment qu’on la com­pare à un astre : en effet, de même que l’astre émet son rayon sans se corrom­pre, de même c’est sans être lésée que la Vierge met au monde son Fils. Le rayon ne dimi­nue pas la clar­té de l’as­tre et le Fils ne dimi­nue pas l’intégrité de la Vierge. Car elle est cette noble étoile sor­tie de Jacob, dont le rayon illu­mine le monde entier, dont la splen­deur brille dans les cieux et pénètre les enfers… Elle est, dis-​je, une splen­dide et admi­rable étoile pla­cée par néces­si­té au-​dessus de cette grande et vaste mer res­plen­dis­sante de mérites, éclai­rante par ses exemples. O vous tous qui vous ren­dez compte que, loin d’avancer sur la terre ferme, vous flot­tez sur le fleuve de ce monde au milieu des orages et des tem­pêtes, ne détour­nez pas les yeux de la lumière écla­tante de cet astre, si vous ne vou­lez pas être englou­tis par les tem­pêtes. Si les vents de la ten­ta­tion s’élèvent contre vous, si vous êtes pous­sés sur les écueils des tri­bu­la­tions, regar­dez l’étoile, invo­quez Marie. Si vous êtes assaillis par les flots de l’orgueil, les flots de l’ambition, les flots de la médi­sance, les flots de l’envie, regar­dez l’étoile, appe­lez Marie. Si la colère, ou l’avarice, ou les ten­ta­tions de la chair attaquent la nacelle de votre esprit, regar­dez vers Marie. Si trou­blés par la gran­deur de votre crime, confus de la lai­deur de votre conscience, ter­ri­fiés par l’horreur du juge­ment, vous com­men­cez à être entraî­nés dans les gouf­fres de la tris­tesse, dans l’abîme du déses­poir, pen­sez à Marie. Dans les dan­gers, dans les angoisses, dans les per­plexités, pen­sez à Marie, invo­quez Marie. Qu’elle ne s’é­loigne pas de vos lèvres, qu’elle ne s’éloigne pas de votre cœur ; et pour obte­nir l’appui de sa prière, ne ces­sez pas d’imiter l’exemple de sa vie. En la sui­vant, vous ne vous éga­rez point ; en la priant, vous ne déses­pé­rez point ; en pen­sant à elle, vous ne vous trom­pez point ; si elle vous tient, vous ne tom­bez pas ; si elle vous pro­tège, vous ne crai­gnez point ; si elle vous conduit, vous ne vous fati­guez point ; si elle est pro­pice, vous arri­vez au port. » [51] Nous ne pou­vons pas mieux conclure cette lettre ency­clique qu’en invi­tant cha­cun par les paroles du doc­teur « Mellifluus » à accroître chaque jour davan­tage sa pié­té envers la véné­rable Mère de Dieu et aus­si à imi­ter ses su­blimes ver­tus avec plus d’énergie, cha­cun selon son état de vie par­ti­cu­lier. Si au cours du XIIe siècle de graves dan­gers mena­çaient l’Eglise et la socié­té humaine, les crises qui pèsent sur notre époque ne sont certes pas moindres. Il n’est pas rare que la foi catho­lique, source des suprêmes conso­la­tions pour les hommes, soit lan­guis­sante dans les âmes et même que, dans cer­taines régions et nations, elle soit publi­que­ment atta­quée avec âpre­té. Or lorsque le culte chré­tien est négli­gé ou expul­sé comme un enne­mi, on voit, hélas ! les mœurs publiques et pri­vées dévier du droit che­min et par­fois même, par les failles des erreurs tom­ber la­mentablement dans le vice.

Au lieu de la cha­ri­té qui est le lien de la per­fec­tion, de la concorde et de la paix, on sub­sti­tue les haines, les riva­lités et les discordes.

Quelque chose d’inquiet, d’anxieux et de tré­pi­dant pé­nètre les esprits humains ; en effet il est à craindre, si la lumière de l’Evangile peu à peu dimi­nue et fai­blit dans les âmes ou, ce qui est pire, si elle en est entiè­re­ment reje­tée, que les bases mêmes de la socié­té civile et domes­tique ne s’écroulent, à tel point que sur­viennent des temps pires en­core et plus malheureux.

De même donc que le doc­teur de Clairvaux a deman­dé et obte­nu le secours de la Vierge Marie, Mère de Dieu pour son époque très trou­blée, nous tous, avec la même ar­dente pié­té, et par notre prière sup­plions notre divine Mère d’obtenir de Dieu les remèdes oppor­tuns à ces maux qui déjà gros­sissent ou menacent ; qu’elle nous donne, grâce à Dieu, dans sa bon­té et sa puis­sance, de voir une paix sin­cère, solide et fruc­tueuse, briller enfin pour l’Eglise, pour les peuples et pour les nations.

Que ce soient les fruits abon­dants et salu­taires qu’ap­portent sous l’auspice de saint Bernard les solen­ni­tés cen­tenaires de l’anniversaire de sa pieuse mort ; que tous s’unissent à Nous dans ces prières sup­pliantes, tout en cher­chant, par la consi­dé­ra­tion et la médi­ta­tion des exem­ples du doc­teur Mellifluus, à suivre ses saintes traces avec zèle et enthousiasme.

Que ces fruits salu­taires vous soient obte­nus par la Bé­nédiction apos­to­lique, que Nous vous accor­dons de tout cœur, Vénérables Frères, aux trou­peaux confiés à cha­cun d’entre vous, par­ti­cu­liè­re­ment à ceux qui ont adop­té le mo­de de vie de saint Bernard.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1953, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 369.

Notes de bas de page
  1. Note de LPL : Terme que l’on peut tra­duire « ruis­se­lant de miel »[]
  2. Mabillon, Bernardi Opéra, Praef, gene­ra­lis, n. 23 ; Migne, P.L., CLXXXII, 26.[]
  3. Litt. Apost Contigit olim, XV Kal. Feb., 1174, Anagniae d.[]
  4. Annal., t. XII, An. 1153, p. 385, D‑E ; Rome, ex Tipografia Vaticana, 1907.[]
  5. Serm., in Festo SS. Apost. Pétri et Pauli, n. 3 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 407, Serm. 3, in Festo Pentec., n. 5 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 332‑B.[]
  6. I, Cor., VIII, 2.[]
  7. In Cantica, Serm. XXXVI, 3 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 968‑C, D.[]
  8. Ibid., Serm. VIII, 6 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 813‑A, B.[]
  9. Ibid., Serm. LXIX, 2 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1113‑A.[]
  10. In Nat. S. Joan. Bapt., Serm. 3 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 399‑B.[]
  11. In Cantica, Serm. XIX, 7 ; Migne, P. L. CLXXXIII, 866‑D.[]
  12. Cf. Brev. Rom. in fes­to SS. Nom. Jesu ; die III infra octa­vam Concept, immac. B.V.M. ; in octa­va Assumpt. B.V.M. ; in fes­to sep­temb. Dolor. B.V.M. ; in fes­to sacrat. Rosarii B. V. M. ; in fes­to S. Josephi Sp. B.V.M. ; in fes­to S. Gabrielis Arch.[]
  13. Cf. Fénelon, Panégyrique de S. Bernard.[]
  14. In Cantica, serm. LXXXIII, 1 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1181‑C. D.[]
  15. Ibid., 3 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1182‑C. D.[]
  16. Ibid., 4 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1183‑B.[]
  17. I Cor. VI, 17.[]
  18. In Cantica, Serm. LXXXIII, 6 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1184‑C.[]
  19. Jean, IV, 8.[]
  20. De Diligendo Deo, c. L., Migne, P, L., CLXXXII, 974‑A.[]
  21. In Cantica, Serm. LXXXV, 8 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1191‑D.[]
  22. De Diligendo Deo, c. X, 28 ; Migne, P. L., CLXXXII, 991‑A.[]
  23. In Ps. CLXXXX, Serm. XVII, 4 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 252‑C.[]
  24. In Cantica, serm. XXIII, 16 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 893‑A, B.[]
  25. Col., III, 3.[]
  26. In Cantica, serm. LII, 3 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1031‑A.[]
  27. De Consid. I, c. 7 ; Migne, P. L., CLXXXII 737‑A, B.[]
  28. De Imit. Christi, I, 20, 5.[]
  29. ln Cantica, serm. XLI, 6 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 987‑B.[]
  30. De adven­tu D., serai. III, 5 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 45‑D.[]
  31. Epist. 20 (ad Card. Haimericum) ; Migne, P. L., CLXXXII, 123‑B.[]
  32. Epist. 221, 3 ; Migne, P. L., CLXXXII, 386‑D., 387‑A.[]
  33. Epist. 147, 1 ; Migne, P. L., CLXXXII, 304‑C, 305‑A.[]
  34. De Consid., Prolog. ; Migne, P. L., CLXXXII, 727‑A, 7278‑A, B.[]
  35. Ibid., II, c. 8 ; Migne, P. L., CLXXXII, 751‑C, D.[]
  36. Ibid., III, c. L ; Migne, P. L., CLXXXII, 757‑B.[]
  37. Epist. 192 ; Migne, P. L., CLXXXII, 358‑D, 359‑A.[]
  38. De error. Abaelardi, I, 2 ; Migne, P. L., CLXXXII, 1056‑A.[]
  39. Epist. 188 ; Migne, P. L., CLXXXII, 353‑A, B.[]
  40. De error Abaelardi, Praef. ; Migne, P. L., CLXXXII, 1053, 1054‑D.[]
  41. De mori­bus et off. Ep. sc., seu Epist. 42, 5, 17 ; Migne, P. L., CLXXXII, 821‑A.[]
  42. Ibid.[]
  43. Vita Prima, II, 25 ; Migne, P. L., CLXXXV, 283‑B.[]
  44. Epist., 37 ; Migne, P. L., CLXXXII, 143‑B.[]
  45. Epist., 215 ; Migne, P. L., CLXXXII, 379‑B.[]
  46. Vita Prima, V. 12 ; Migne, P. L., CLXXXV, 358‑D.[]
  47. In Cantica, Serm. LXXI, 5 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 1123‑D.[]
  48. In Cantica, Serm. XV, 6 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 846‑D, 847‑A, B.[]
  49. In Vigil. Nat. Domini, Serm. III, 10 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 100‑A.[]
  50. Serm. In Nat. Mariae, 7 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 441‑B.[]
  51. Hom. II, super « Missus est », 17 ; Migne, P. L., CLXXXIII, 70‑B, C, D, 71‑A.[]
4 novembre 1942
La vraie fidélité a pour objet et pour fondement le don mutuel non seulement du corps des deux époux, mais de leur esprit et de leur cœur
  • Pie XII