Un important pèlerinage de 2000 personnes environ, représentant tous les diocèses des Trois Vénéties, pour commémorer le 25e anniversaire de la mort du pape Pie X, a été reçu par le Saint-Père au palais de Castelgandolfo. A cette occasion, Pie XII rappela aux pèlerins les aspects principaux de la grande figure de ce saint pontife :
Une grande pensée de vie religieuse se manifeste à Nous dans ce pèlerinage solennel du peuple, du clergé, des illustres et dignes pasteur des Trois Vénéties, conduits par Notre Vénérable Frère, l’évêque de Trévise, sous la présidence honoraire de l’éminentissime cardinal Piazza, patriarche de la très noble reine de la lagune, éminent et éloquent interprète de l’épiscopat et des représentants rassemblés ici, pieuse manifestation à laquelle ont voulu s’unir deux autres nobles princes de la sainte Eglise romaine dont Nous sommes particulièrement heureux de saluer ici la présence : le cardinal Salotti, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, ponent autorisé et très averti de la cause de béatification et de canonisation du serviteur de Dieu Pie X, et le cardinal Canali qui a maintenu si vive et si fervente la mémoire de ce pape et de son très fidèle premier ministre et collaborateur, le cardinal Merry del Val. C’est une pensée de vie qui se dégage de l’accomplissement de ce quart de siècle qui nous sépare du pieux trépas de Notre vénéré prédécesseur, honneur et gloire de ces terres italiennes ; une pensée de vie qui exalte la mort que vous avez vue, très chers fils, sur la tombe où Pie X dort son dernier sommeil, en attendant la résurrection glorieuse, enveloppé dans l’ombre sacrée qui veille sur le sépulcre immobile du premier Pierre.
L’exemple donné par Pie X.
De cette tombe du grand fils de Riese qui fut parmi vous un très zélé prêtre, curé, évêque et patriarche, vous ressentirez cette vie et cet accroissement de vie spirituelle et religieuse qui vous ont attirés à Rome, et de Rome vous ont rassemblés ici autour de celui qui, par l’inscrutable dessein de la Providence, est l’humble et indigne héritier de son siège. A vos saints et salutaires souvenirs viennent s’unir aussi les Nôtres : il Nous semble revoir encore l’immortel pontife, rayonnant d’une bonté que ne diminuait pas l’autorité, d’une douceur imprégnée de fermeté et de force élevée jusqu’à l’universelle prudence du pasteur par trois grands amours : l’amour de la pureté de la doctrine catholique, l’amour de la liberté de l’Eglise et de la réforme du droit ecclésiastique, l’amour de la vie intérieure religieuse du clergé et du peuple chrétien.
Etant né et ayant vécu parmi le peuple, témoin des luttes modernes d’une pensée scientifique et sociale menaçant la pureté de la foi et de l’enseignement catholique, il n’hésita pas à condamner les prétentions orgueilleuses d’une science au faux nom, qui appelait progrès du savoir les errements inspirés par les songes de philosophies irréelles et par les métamorphoses d’une vérité variable au gré des vents, tandis qu’il ouvrait à ceux qui aspiraient à la véritable science et à l’étude de la parole inspirée les portes de l’Institut biblique.
Le défenseur de la liberté et des droits de l’Eglise.
Défenseur de la vérité, attaché à l’hommage rationnel à l’égard de la foi, Pie X apparut aussi sur le trône de Pierre comme le champion de la liberté et des droits de l’Eglise. Dans son humilité, il sentit la tiare peser sur son front ; il accepta au milieu des larmes comme une croix, ce grands poids, mais à partir de ce jour, aucune main étrangère n’osa plus intervenir dans le choix du Vicaire du Christ. Tel un géant qu’on ne renverse pas, il lutta dans la question contestée de l’élection des évêques et sacrifia à leur dignité et à la défense de l’œuvre intangible de Jésus-Christ et de la hiérarchie divinement constituée par lui, jusqu’aux biens légitimes de l’Eglise, dons de la piété des siècles, montrant ainsi au monde par ce magnifique exemple « que l’homme doit nourrir ici-bas des préoccupations plus hautes que celles des contingences périssables de cette vie, et que la joie suprême, l’inviolable joie de l’âme humaine sur cette terre, c’est le devoir surnaturellement accompli, coûte que coûte, et, par là même, Dieu honoré, servi et aimé par-dessus tout » [1].
Il aima la justice et haït l’iniquité, c’est pourquoi il subit la contradiction, apanage des héros et des saints. Il aima l’Eglise et sa prudence juridique qui progresse avec la propagation de l’Evangile et selon les conditions changeantes des temps, et « il retira le superflu et l’inutile » (cf. Par., vi, 12) du volume de ses lois, dont il précisa les termes pour les Congrégations, les Tribunaux et les Offices de la Curie romaine réorganisés.
Préoccupé de la piété du peuple chrétien.
Il aima les pasteurs du troupeau du Christ, les encouragea, les réconforta dans les luttes ; il aima le clergé et les fidèles qu’il soulagea dans le malheur avec une charité inépuisable. Il infusa aux enfants sa piété eucharistique et la doctrine de la foi ; aux prêtres, la sainteté de vie, le zèle du culte divin, la sublime prière du Psalmiste, les ineffables harmonies de la musique sacrée ; au peuple, la concorde des âmes et la pratique des vertus chrétiennes.
Pasteur universel du troupeau du Christ, il rechercha le bien de tous les peuples ; il aima la paix du monde, et quand il apprit l’horrible nouvelle que sur les champs de bataille de l’Europe les frères tuaient les frères, son amour se mua en douleur ; il leva les yeux vers le ciel ; il vit suspendue la balance de la justice divine ; dans son angoisse, il inclina le front résigné, et son grand cœur s’arrêta de battre.
Sa figure est grandie par les événements.
Victime de son ardent amour pour les peuples et les nations, le pieux pontife disparut à l’heure voulue de Dieu, au spectacle de l’immense et sanglante bourrasque qui bouleversait les frontières des nations, engloutissait les navires brisés au fond des mers et des océans et transformait en de nouveaux champs de carnages inhumains le domaine des vents. Depuis ce jour, un quart de siècle s’est écoulé, un quart de siècle plein d’événements et de changements qu’à d’autres époques l’œuvre de plusieurs siècles n’aurait pas suffi à accomplir ; un quart de siècle dans lequel parmi les déroulements orageux et sombres des événements l’humanité spectatrice a facilement et vite oublié un grand nombre de ceux qui furent en première ligne dans la défense de ses intérêts et de ses biens. Aussi, pour tout cœur catholique n’est-ce pas une source de sainte joie de voir que l’ombre du rapide oubli, qui a recouvert tant d’autres souvenirs, loin d’accomplir son œuvre de ténèbres, s’est plutôt transformée en une lumière nouvelle qui illumine celui dont la tombe est le but de votre voyage ? Non, les cinq lustres écoulés ne sont pas parvenus à rien enlever de sa force attirante et de son autorité resplendissante à la pure et lumineuse figure de Pie X. Au contraire, plus elle émerge de l’ombre et se détache enveloppée d’un éclat spirituel, plus le regard des fidèles se tourne vers elle avec ferveur, attiré par cet instinct de l’amour qui pénètre toujours davantage, devine et comprend quelle importance exceptionnelle et quelle mission extraordinaire elle revêt spécialement en un temps si orageux. A la lumière des transformations nées de la guerre mondiale et accélérées, propagées et développées par elle, en face de la marche des événements et de la fermentation des doctrines contenues dans ces changements et en jaillissant, la personne et l’œuvre de Pie X prennent des aspects et des proportions qui seraient difficilement apparus avec autant de clarté dans une époque antérieure. Aujourd’hui, à l’heure où l’Eglise du Christ se trouve appelée à combattre contre les erreurs et les tendances condamnables du monde, luttes qu’on pourrait avec peine concevoir plus ardues et plus décisives, Nous sommes à même de mesurer plus exactement et de peser avec plus de précision la dette de reconnaissance que Nous avons envers celui qui s’employa avec une force et une sagesse constantes et vigilantes à préparer les membres du Corps mystique du Christ aux luttes futures, à aiguiser les armes spirituelles pour ces combats et à éduquer les sentiments et les cœurs des fidèles suivant l’esprit d’une sincère et ardente milice du Christ.
Aussi sa tombe est-elle particulièrement vénérée.
Quelle gloire, quelle sainte fierté pour vous, chers fils des Vénéties, d’avoir donné à l’Eglise du Christ un pontife qui a irradié et irradie encore une telle plénitude de grâces, de rénovation et de sanctification ! Si la terre vénétienne et sa superbe métropole firent jadis un grand sacrifice, ressenti dans toutes les classes de la population, lorsqu’elles virent partir vers la Ville éternelle le patriarche aimé qu’elles ne devaient plus revoir sur la lagune de Saint-Marc , aujourd’hui que vous êtes venus déposer sur sa tombe le tribut de votre amour et de votre impérissable gratitude, vous avez vu cette tombe entourée de pieux visiteurs de diverses contrées, langues et nations, et vénérée et marquée de l’amour et de la reconnaissance d’un nombre incalculable d’âmes.
Dans ce tombeau repose le cœur du grand pontife, le cœur qui palpita pour vous, pour l’Eglise du Christ, pour le troupeau dispersé de Pierre, pour le monde sans paix.
Depuis vingt-cinq ans, ce cœur ne bat plus, mais l’amour qui l’animait est, comme son esprit, immortel devant Dieu. Cet esprit n’est pas enseveli dans les cryptes vaticanes ; la coupole de Michel- Ange ne l’emprisonne pas. Il vit en présence de Dieu, il vit dans Nos souvenirs, dans vos souvenirs et dans les souvenirs du monde entier. Ce sont des souvenirs d’amour et de piété, d’invocation et d’espérance, de désir et d’attente d’en revoir un jour l’image paternelle réapparaître resplendissante dans la lumière de la basilique Vaticane. Ne sont-ce pas ces souvenirs qui vous ont amenés, Vénérables Frères et chers fils, au sépulcre qui renferme la dépouille mortelle du pontife Pie X ? Ces restes, muets et invisibles, n’ont-ils pas pour vous et des milliers d’autres cœurs, une parole qui nous donne comme l’écho des œuvres et des vertus de l’âme d’élite qui les anima ? Ce tombeau ne vous semble-t-il pas attendre dans l’ombre une clarté de sainte prudence qui le livre à la vénération, et une main toute-puissante qui entoure d’une auréole le front du grand pontife ?
En attendant sa prochaine glorification.
Dieu seul glorifie ses serviteurs fidèles et prudents, comme il est le seul qui les choisit, les forme, les dirige, les conduit, les sanctifie et les exalte devant le monde, les anges et les hommes. Comme le triomphe des saints, Notre œuvre aussi, Notre souhait et Notre désir sont dans ses mains ; il crée l’aube, aussi bien que l’aurore et le midi de l’honneur des autels, des grands héros de la foi et de la vertu, suscités par lui au cours des âges. Devant le regard de Dieu vit l’esprit immortel de Pie X, paré de ses vertus et de ses œuvres qui l’ont suivi au-delà de cette vie qui n’est qu’une course vers la mort. Dieu, juste rémunérateur, aussi, s’il lui plaît, le glorifiera au sein de son Eglise militante, afin que l’exemple de son zèle sacerdotal et apostolique non seulement illustre les fastes du pontificat romain, mais encore soit un honneur et un stimulant au bien pour les fils de la lagune vénétienne, et un exemple de flamme chrétienne — ignis ardens — pour le monde entier. A cette fin, que Nos vœux et les vôtres s’élèvent vers Dieu. C’est dans la prière que résident toute Notre lumière et toute Notre force ; c’est par la prière aussi que vous traduisez également votre désir et votre affectueuse espérance. Dans de tels sentiments, Nous vous donnons à vous et à tous ceux pour lesquels vous l’avez demandée, comme une compagne secourable sur le chemin de la vie, la Bénédiction apostolique.
Son sacrifice et son appel ainsi que celui de ses successeurs en faveur de la paix.
Cette bénédiction, Nous désirons, dans les circonstances actuelles, qu’elle implore avant toute chose la paix, la paix pour l’Italie, la paix pour l’Europe, la paix pour le monde. L’admirable pontife dont Nous avons évoqué ici, aujourd’hui, la sainte et chère mémoire, eut le cœur brisé par l’angoisse intime que lui causa la déclaration de guerre, comme s’il avait prévu et pressenti toutes les horreurs et les massacres du conflit mondial. Son successeur, Benoît XV, d’heureuse mémoire, aspira après la paix ; en sa faveur, il parla, pria, fit appel à cette modération des esprits qui fait oublier la lutte pour la concorde parmi les nations. Pour la paix, Notre prédécesseur immédiat, Pie XI, dont la vénérable figure se dresse en ce moment vivante devant les yeux de Notre esprit en même temps que celle de Pie X, fit à Dieu, il y a presque un an, dans un acte qui émut le monde, l’offrande de sa vie. A l’heure présente qui renouvelle avec acuité l’angoisse et la crainte des cœurs, Nous-même, dès le premier jour de Notre pontificat, Nous avons tenté et fait tout ce qui était en Notre pouvoir pour éloigner les dangers de la guerre et pour coopérer à l’obtention d’une paix solide, fondée sur la justice et qui sauvegarde la liberté et l’honneur des peuples. Nous avons même, dans les limites du possible, et pour autant que le permettaient les devoirs de Notre ministère apostolique, laissé en souffrance d’autres tâches et d’autres préoccupations qui Nous tenaient à cœur ; Nous Nous sommes imposé de prudentes réserves, afin de ne pas rendre, d’aucun côté, plus difficile ou impossible Notre action au profit de la paix, conscient de tout ce que dans ce domaine Nous devions et devons aux enfants de l’Eglise catholique et à l’humanité tout entière.
Nous ne voulons pas, et Nous n’en avons pas le cœur, même maintenant, renoncer à l’espoir que des sentiments de modération et d’objectivité suffiront à éviter un conflit qui, selon toutes les prévisions, dépasserait encore le précédent en destructions et en ruines matérielles et spirituelles. Nous ne cessons pas d’avoir la confiance que les chefs des peuples, à l’heure de la décision, se refuseront à assumer l’indicible responsabilité d’un appel à la force. Mais au-dessus de toutes les espérances humaines basées sur le fond de bonté et les lumières de la sagesse des hommes, Notre regard se lève vers le Tout-Puissant, le Père des miséricordes et le Dieu de toutes consolations. C’est lui, qui tient dans ses mains les cœurs comme les intelligences des gouvernants, que Nous voulons — unis en cette journée mémorable à vous, Vénérables Frères et chers fils, à tous les catholiques de la terre, et ayant par ailleurs, présentes dans la prière tant d’âmes de bonne volonté qui tout en vivant hors de l’Eglise n’aspirent pas moins à la paix — c’est lui que nous voulons implorer de nouveau pour que, dans sa bonté et dans sa miséricorde infinies envers le genre humain, il mette fin à la guerre, là où elle sévit actuellement, et qu’il daigne préserver tous les hommes du fléau de nouveaux conflits sanglants encore plus atroces. Au-dessus de ce monde inquiet et troublé comme une mer en proie à la tempête, que Dieu fasse apparaître et resplendir l’arc-en-ciel de l’accalmie, de la paix, de la concorde féconde entre les peuples et les nations, et qu’avec une ferveur redoublée elle ne cesse de monter vers lui l’instante prière : Da pacem, Domine, in diebus nostris !
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1939, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 295 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XL, col. 1123.
- Encyclique Une fois encore, 6 janvier 1907.[↩]