Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

2 octobre 1931

Lettre encyclique Nova impendet

Sur la très dure crise économique, sur le lamentable chômage d’une multitude d’ouvriers et sur les préparatifs militaires croissants

Aux patriarches, pri­mats, arche­vêques, évêques et autres ordi­naires de lieu, en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique,

Pie XI, Pape

Vénérables frères, salut et béné­dic­tion apostolique.

Un nou­veau fléau menace et frappe déjà en grande par­tie le trou­peau qui Nous est confié, et avec plus de dure­té encore cette por­tion plus tendre et plus par­ti­cu­liè­re­ment aimée que sont les enfants, la classe ouvrière, les tra­vailleurs, tous ceux à qui manque le néces­saire pour la famille.

Nous vou­lons par­ler des très graves inquié­tudes et de la crise éco­no­mique qui pèsent sur les peuples et qui, dans tous les pays, forcent de nom­breux ouvriers à un chô­mage épou­van­table et croissant.

On voit, en effet, une mul­ti­tude presque innom­brable d’honnêtes tra­vailleurs, qui ne demandent rien d’autre que de gagner honora­blement leur pain quo­ti­dien que le divin com­man­de­ment leur fait sol­li­ci­ter chaque jour du Père céleste, réduits avec leurs familles à un chô­mage for­cé et, par là, à une extrême indigence.

Leurs plaintes ont ému Notre cœur pater­nel et Nous font répé­ter, tou­ché de la même com­mi­sé­ra­tion, la parole qui sor­tit du Cœur très aimant du divin Maître, en pré­sence de la foule épui­sée par la faim : J’ai pitié de cette foule (Mc, 7, 2).

Mais Notre com­mi­sé­ra­tion se fait plus vive encore au spec­tacle de cette mul­ti­tude de petits enfants vic­times inno­centes d’un si lamen­table état de choses, et qui implorent un mor­ceau de pain sans qu’il se trouve quelqu’un pour le leur rompre (1 Ch, 4, 4) ; en proie aux affres de la misère, ils voient s’évanouir cette joie qui est le propre de leur âge et ils sentent lan­guir et mou­rir sur leurs jeunes lèvres ce sou­rire que leur âme ingé­nue cherche incons­ciem­ment autour d’eux.

Or, voi­ci que l’hiver approche, sui­vi de ce cor­tège de souf­frances et de pri­va­tions que la froide sai­son apporte aux pauvres gens et spé­cia­le­ment à l’enfance si tendre. En outre, il y a tout lieu de redou­ter que la plaie du chô­mage, dont Nous par­lions, n’aille s’aggra­vant, au point que la détresse impré­vue de tant de familles nécessi­teuses ne les pousse — ce qu’à Dieu ne plaise — jusqu’à l’exaspéra­tion. C’est tout cela qu’envisage avec anxié­té Notre cœur de Père com­mun. Aussi, comme l’ont fait déjà en de pareilles occa­sions Nos pré­dé­ces­seurs et naguère encore Notre immé­diat pré­dé­ces­seur Benoit XV, d’illustre mémoire, Nous éle­vons la voix et adres­sons Notre appel pres­sant à tous ceux qui ont le sens de la foi et de la cha­ri­té chré­tienne, comme pour une croi­sade de cha­ri­té et de secours, qui, tout en sou­la­geant les corps et en récon­for­tant les âmes, augmen­tera gran­de­ment la confiance, dis­si­pe­ra les pen­sées funestes que la misère, mau­vaise conseillère, a cou­tume d’inspirer ; étein­dra le feu de la haine et des pas­sions, qui divisent les hommes, pour le rem­placer par les ardeurs de l’amour et de la concorde, qui nouent et ren­forcent les nobles liens de la paix et de la pros­pé­ri­té, au pro­fit des par­ti­cu­liers et des sociétés.

C’est donc une croi­sade de pié­té et d’amour, et sans doute aus­si de sacri­fices en faveur des pauvres, à laquelle Nous convions tous les fils d’un même Père céleste, membres d’une seule et très grande famille, tous frères dans le Christ, par­ti­ci­pant à la pros­pé­ri­té et à la joie, ain­si qu’à l’adversité et aux dou­leurs com­munes. A cette croi­sade très sainte, Nous les convions tous comme à un devoir sacré. C’est d’ailleurs la règle carac­té­ris­tique de l’Evangile que le Christ Notre-​Seigneur a pro­cla­mée comme le pre­mier et le plus grand com­mandement, résu­mé et syn­thèse de tous les autres, celui de la cha­ri­té, que Notre très cher pré­dé­ces­seur, en des jours de haines impla­cables et de guerres presque uni­ver­selles, a incul­qué si for­te­ment, et à tant de reprises, jusqu’à en faire la marque de tout son pontificat.

C’est pour­quoi Nous atti­rons aus­si spé­cia­le­ment l’attention sur ce très doux pré­cepte, non seule­ment comme un devoir suprême com­prenant toute la loi chré­tienne, mais comme le sublime idéal pro­po­sé par­ti­cu­liè­re­ment aux âmes plus géné­reuses et plus dési­reuses de per­fection évan­gé­lique. Et Nous ne croyons pas qu’il faille insis­ter beau­coup, tant il est clair que seules cette géné­ro­si­té et cette magna­nimité des cœurs, cette fer­veur et cet élan des âmes chré­tiennes, de ceux notam­ment qui, sui­vant leurs moyens, se dévouent acti­ve­ment au salut de leurs frères, et sur­tout aux besoins des petits enfants et des pauvres, réus­si­ront un jour, par un effort de concorde una­nime, à sur­mon­ter les graves dif­fi­cul­tés de l’heure présente.

Par ailleurs, et Nous le déplo­rons, comme cette très grande crise est d’une part la consé­quence d’une riva­li­té plus âpre entre les nations et est d’autre part cause d’énormes dépenses publiques, et comme ce double fléau est, et non en der­nier lieu, cau­sé par la pour­suite exces­sive et tous les jours plus aiguë de pré­pa­ra­tifs mili­taires et d’armements, Nous ne pou­vons Nous abs­te­nir de renou­ve­ler le grave aver­tis­se­ment de Notre pré­dé­ces­seur [1] et le Nôtre [2], déplo­rant qu’on ne l’ait pas encore heu­reu­se­ment mis en pra­tique, et Nous vous exhor­tons ins­tam­ment, Vénérables Frères, à vous employer à éclai­rer les esprits par les moyens les plus pra­tiques, comme la pré­di­ca­tion et la presse, et à façon­ner les cœurs sui­vant les pré­ceptes plus sûrs de la rai­son humaine et de la loi chrétienne.

Il Nous plaît d’espérer que cha­cun de vous sera le rendez-​vous des dons accu­mu­lés par vos fidèles pour secou­rir les indi­gents, en même temps que le centre de dis­tri­bu­tion des secours en vue de leur relè- vement. Et si c’était plus oppor­tun en quelque dio­cèse, Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce que, selon votre juge­ment pru­dent, vous vous unis­siez à vos métro­po­li­tains res­pec­tifs ou encore à quelque ins­ti­tu­tion cha­ri­table, d’une acti­vi­té éprou­vée et jouis­sant de votre confiance.

Déjà Nous vous avons invi­tés à user de tous les moyens en votre pou­voir, la pré­di­ca­tion, la presse, mais Nous vou­lons aus­si être le pre­mier à Nous adres­ser à vos fidèles pour les enga­ger, dans le Cœur du Christ, à répondre avec une géné­reuse cha­ri­té à Notre et votre appel, en met­tant en pra­tique, sans retard, les indus­tries que Notre Lettre ency­clique vous a suggérées.

Mais parce que tous les efforts humains, même les plus nobles, sont insuf­fi­sants si la grâce de Dieu ne les seconde, adres­sons d’instantes prières à l’Auteur de tout bien pour que, dans son infi­nie misé­ri­corde, il abrège cette période de tri­bu­la­tions. Et, à l’intention de nos frères qui ont faim, répé­tons avec ardeur la prière que Jésus-​Christ lui-​même nous a ensei­gnée : Donnez-​nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Que tous se rap­pellent que le Rédempteur du genre humain a pro­mis, comme gage d’émulation et de récon­fort, que ce que nous ferions au moindre de ces frères (Mt 25, 40), il l’estimerait être fait à lui-​même, sans oublier sa pro­messe qu’il consi­dé­re­ra comme adres­sés à lui-​même les égards que nous aurons eus, par amour pour lui, pour les petits enfants (Mt 18, 5).

Enfin, la fête que l’Eglise célèbre aujourd’hui Nous rap­pelle, comme pour conclure cette Lettre ency­clique et Nos exhor­ta­tions, les émou­vantes paroles de notre Sauveur qui, après avoir éle­vé, selon le mot de saint Jean Chrysostome, d’inexpugnables rem­parts autour de l’âme des enfants, ajou­tait : Gardez-​vous bien de mépri­ser l’un de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges voient sans cesse la face de mon Père, qui est dans les cieux (Mt 18, 10). Ce seront pré­ci­sé­ment ces anges qui, dans le ciel, pré­sen­te­ront au Seigneur les actes de cha­ri­té accom­plis par des cœurs géné­reux envers les enfants et les indi­gents, et qui, à leur tour, obtien­dront les plus abon­dantes béné­dic­tions pour ceux qui auront pris à cœur une cause si sainte.

Ajoutons qu’à l’approche de la fête annuelle de Jésus-​Christ Roi, pour le règne et la paix duquel nous avons fait des vœux et des prières dès le début de Notre pon­ti­fi­cat, il Nous semble gran­de­ment oppor­tun, pour bien pré­pa­rer cette fête, de faire dans les églises de solen­nels tri­duums, implo­rant du Dieu de misé­ri­corde des pen­sées et des dons de paix, en gage des­quels Nous vous envoyons amoureu­sement à vous, Vénérables Frères, et à tous ceux qui répon­dront à Notre pater­nel appel, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 2 octobre, fêle des Saints Anges Gardiens, en l’année 1931, dixième de Notre pontificat.

PIE XI, PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie XI, t. VIII p. 244, La Bonne Presse

Notes de bas de page
  1. Exhortation Dès le début, 1er août 1917[]
  2. Alloc. du 24 déc. 1930 ; Lettre Con vivo pia­cere, 7 avril 1922[]
15 mai 1931
Sur la restauration de l'ordre social, en pleine conformité avec les préceptes de l'Évangile, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'Encyclique Rerum Novarum
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