Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

15 août 1988

Lettre encyclique Mulieris dignitatem

sur la dignité et la vocation de la femme

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 15 août 1988, Solennité de l’Assomption
de la Bienheureuse Vierge Marie, en la dixième année de mon pontificat.

LETTRE APOSTOLIQUE MULIERIS DIGNITATEM DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-​PAUL II
SUR LA DIGNITÉ ET LA VOCATION DE LA FEMME À L’OCCASION DE L’ANNÉE MARIALE 

Vénérables Frères, chers Fils et Filles, salut et Bénédiction Apostolique ! 

I – INTRODUCTION

Un signe des temps 

1. LA DIGNITÉ DE LA FEMME et sa voca­tion _​objets constants de la réflexion humaine et chré­tienne _​ont pris ces der­nières années un relief tout à fait par­ti­cu­lier. On le constate, entre autres, dans les inter­ven­tions du Magistère de l’Eglise, reprises par divers docu­ments du Concile Vatican II, qui a ensuite affir­mé dans son Message final : « L’heure vient, l’heure est venue où la voca­tion de la femme s’ac­com­plit en plé­ni­tude, l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayon­ne­ment, un pou­voir jamais atteints jus­qu’i­ci. C’est pour­quoi, en ce moment où l’hu­ma­ni­té connaît une si pro­fonde muta­tion, les femmes impré­gnées de l’es­prit de l’Evangile peuvent tant pour aider l’hu­ma­ni­té à ne pas déchoir»[1] . Les paroles de ce Message résument ce qui avait déjà été expri­mé par l’en­sei­gne­ment du Concile, notam­ment dans la consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et spes [2] et dans le décret sur l’a­pos­to­lat des laïcs Apostolicam actuo­si­ta­tem [3] .

De sem­blables prises de posi­tion s’é­taient mani­fes­tées au cours de la période pré-​conciliaire, par exemple dans de nom­breux dis­cours du Pape Pie XII [4] et dans l’en­cy­clique Pacem in ter­ris du Pape Jean XXIII [5] . Après le Concile Vatican II, mon pré­dé­ces­seur Paul VI a sou­li­gné le sens de ce « signe des temps » en confé­rant le titre de Docteur de l’Eglise à sainte Thérèse de Jésus et à sainte Catherine de Sienne [6] , et en ins­ti­tuant aus­si, à la demande de l’Assemblée du Synode des Evêques de 1971, une Commission ad hoc dont le but était l’é­tude des pro­blèmes contem­po­rains concer­nant la « pro­mo­tion effec­tive de la digni­té et de la res­pon­sa­bi­li­té des femmes »[7] . Dans un de ses dis­cours, Paul VI dit entre autres : « Dans le chris­tia­nisme en effet, plus que dans toute autre reli­gion, la femme a dès les ori­gines un sta­tut spé­cial de digni­té, dont des aspects nom­breux et mar­quants sont attes­tés dans le Nouveau Testament […]; il appa­raît avec évi­dence que la femme est appe­lée à faire par­tie de la struc­ture vivante et opé­rante du chris­tia­nisme d’une façon si impor­tante qu’on n’en a peut-​être pas encore dis­cer­né toutes les vir­tua­li­tés » [8] .

Les Pères de la récente Assemblée du Synode des Evêques (octobre 1987), consa­crée à « la voca­tion et la mis­sion des laïcs dans l’Eglise et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II », se sont à nou­veau pré­oc­cu­pés de la digni­té et du rôle de la femme. Ils ont notam­ment sou­hai­té que soient appro­fon­dis les fon­de­ments anthro­po­lo­giques et théo­lo­giques néces­saires pour résoudre les pro­blèmes rela­tifs au sens et à la digni­té de la femme et de l’homme. Il s’a­git de com­prendre la rai­son et les consé­quences de la déci­sion du Créateur selon laquelle l’être humain existe tou­jours et uni­que­ment comme femme et comme homme. C’est seule­ment à par­tir de ces fon­de­ments, qui per­mettent de sai­sir la pro­fon­deur de la digni­té et de la voca­tion de la femme, que l’on peut par­ler de sa pré­sence active dans l’Eglise et dans la société.

Tel est le sujet que j’en­tends trai­ter dans le pré­sent docu­ment. L’exhortation post-​synodale qui sera publiée après ce docu­ment pré­sen­te­ra des pro­po­si­tions d’ordre pas­to­ral sur la place de la femme dans l’Eglise et dans la socié­té, pro­po­si­tions sur les­quelles les Pères syno­daux ont pour­sui­vi des réflexions impor­tantes, après avoir étu­dié, entre autres, les témoi­gnages des Auditeurs laïcs _​femmes et hommes _​venus des Eglises par­ti­cu­lières de tous les continents.

L’Année Mariale

2. Le der­nier Synode s’est dérou­lé durant l’Année mariale, qui donne une impul­sion par­ti­cu­lière à l’é­tude de ce thème, comme le signale éga­le­ment l’en­cy­clique Redemptoris Mater [9] . Cette ency­clique déve­loppe et actua­lise l’en­sei­gne­ment du Concile Vatican II conte­nu dans le cha­pitre VIII de la consti­tu­tion dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium. Ce cha­pitre porte un titre signi­fi­ca­tif : « La bien­heu­reuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mys­tère du Christ et de l’Eglise ». Marie _​la « femme » de la Bible (cf. Gn 3, 15 ; Jn 2, 4 ; 19, 26) _​appar­tient inti­me­ment au mys­tère sal­vi­fique du Christ, et c’est pour­quoi elle est pré­sente aus­si d’une façon spé­ciale dans le mys­tère de l’Eglise. « L’Eglise étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacre­ment […] de l’u­nion intime avec Dieu et de l’u­ni­té de tout le genre humain » [10] , la pré­sence spé­ciale de la Mère de Dieu dans le mys­tère de l’Eglise nous per­met de pen­ser au lien excep­tion­nel entre cette « temme » et la famille humaine tout entière. Il s’a­git ici de cha­cun et de cha­cune, de tous les fils et toutes les filles du genre humain, en qui est mis en œuvre, à tra­vers les géné­ra­tions, l’hé­ri­tage fon­da­men­tal de toute l’hu­ma­ni­té qui est lié au mys­tère du « com­men­ce­ment » biblique : « Dieu créa l’homme à son image, à l’i­mage de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27) [11] .

Cette véri­té éter­nelle sur l’être humain, homme et femme, _​véri­té qui est aus­si ins­crite de façon immuable dans l’ex­pé­rience de tous _​consti­tue en même temps le mys­tère qui « ne s’é­claire vrai­ment que dans le […] Verbe incar­né ». Le Christ « mani­feste plei­ne­ment l’homme à lui-​même et lui découvre la subli­mi­té de sa voca­tion », comme l’en­seigne le Concile [12] . Dans ce fait de « mani­fes­ter l’homme à lui-​même », ne faut-​il pas entre­voir une place par­ti­cu­lière pour la « femme » que fut la Mère du Christ ? Le « mes­sage » du Christ conte­nu dans l’Evangile, et qui a pour toile de fond toute l’Ecriture, Ancien et Nouveau Testaments, ne peut-​il dire beau­coup à l’Eglise et à l’hu­ma­ni­té sur la digni­té et la voca­tion de la femme ?

C’est pré­ci­sé­ment ce qui veut être la trame du pré­sent docu­ment, qui s’ins­crit dans le contexte plus large de l’Année mariale, alors qu’ap­prochent la fin du deuxième mil­lé­naire depuis la nais­sance du Christ et le début du troi­sième. Il me semble qu’il est pré­fé­rable de don­ner à ce docu­ment le style et le carac­tère d’une méditation. 

II – FEMME – MÈRE DE DIEU (THÉOTOKOS)

Union à Dieu 

3. « Quand vint la plé­ni­tude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme ». Par ces paroles de la Lettre aux Galates (4, 4), l’Apôtre Paul unit entre eux les moments prin­ci­paux qui déter­minent fon­da­men­ta­le­ment l’ac­com­plis­se­ment du mys­tère qui était « d’a­vance arrê­té en Dieu » (cf. Ep 1, 9). Le Fils, Verbe consub­stan­tiel au Père, naît d’une femme, comme homme, quand vient « la plé­ni­tude du temps ». Cet évé­ne­ment conduit au som­met de l’his­toire de l’homme sur la terre, enten­due comme his­toire du salut. Il est signi­fi­ca­tif que l’Apôtre ne désigne pas la Mère du Christ par son nom propre, « Marie », mais la désigne comme « femme » : cela éta­blit une concor­dance avec les paroles du pro­té­van­gile dans le Livre de la Genèse (cf. 3, 15). Cette « femme », pré­ci­sé­ment, est pré­sente en l’é­vé­ne­ment cen­tral du salut, qui déter­mine la « plé­ni­tude du temps » : cet évé­ne­ment se réa­lise en elle et par elle.

Ainsi com­mence l’é­vé­ne­ment cen­tral, l’é­vé­ne­ment clé dans l’his­toire du salut, la Pâque du Seigneur. Toutefois, il vaut peut-​être la peine de le consi­dé­rer de nou­veau à par­tir de l’his­toire spi­ri­tuelle de l’homme en son sens le plus large, comme elle s’ex­prime à tra­vers les diverses reli­gions du monde. Référons-​nous ici aux paroles du Concile Vatican II : « Les hommes attendent des diverses reli­gions la réponse aux énigmes cachées de la condi­tion humaine, qui, hier comme aujourd’­hui, troublent pro­fon­dé­ment le cœur humain : qu’est-​ce que l’homme ? Quel est le sens et le but de sa vie ? Qu’est-​ce que le bien et qu’est-​ce que le péché ? Quels sont l’o­ri­gine et le but de la souf­france ? Quelle est la voie pour par­ve­nir au vrai bon­heur ? Qu’est-​ce que la mort, le juge­ment et la rétri­bu­tion après la mort ? Qu’est-​ce enfin que le mys­tère der­nier et inef­fable qui entoure notre exis­tence, d’où nous tirons notre ori­gine et vers lequel nous ten­dons ? » [13]. « Depuis les temps les plus recu­lés jus­qu’à aujourd’­hui, on trouve dans les dif­fé­rents peuples une cer­taine sen­si­bi­li­té à cette force cachée qui est pré­sente au cours des choses et aux évé­ne­ments de la vie humaine, par­fois même une recon­nais­sance de la Divinité suprême, ou encore du Père » [14].

A par­tir de ce vaste pano­ra­ma, qui fait res­sor­tir les aspi­ra­tions de l’es­prit humain en recherche de Dieu _​allant par­fois « comme à tâtons » (cf. Ac 17, 27) _​, la « plé­ni­tude du temps » dont parle Paul dans sa Lettre met en relief la réponse de Dieu lui-​même, de Celui en qui « nous avons la vie, le mou­ve­ment et l’être » (cf. Ac 17, 28). C’est le Dieu qui, « après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, par­lé jadis aux Pères par les pro­phètes, dans les der­niers temps nous a par­lé par le Fils » (cf. He 1, 1–2). L’envoi de ce Fils, consub­stan­tiel au Père, comme homme « né d’une femme », consti­tue l’é­tape culmi­nante et défi­ni­tive de la révé­la­tion que Dieu tait de lui-​même à l’hu­ma­ni­té. Cette révé­la­tion pos­sède en même temps un carac­tère sal­vi­fique, comme l’en­seigne un autre texte du Concile Vatican II : « Il a plu à Dieu dans sa sagesse et sa bon­té de se révé­ler en per­sonne et de faire connaître le mys­tère de sa volon­té (cf. Ep 1, 9) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et sont ren­dus par­ti­ci­pants de la nature divine (cf. Ep 2, 18 ; 2 P 1, 4)» [15].

La femme se trouve au cœur de cet évé­ne­ment sal­vi­fique. La révé­la­tion que Dieu fait de lui-​même, à savoir l’u­ni­té inson­dable de la Trinité, est conte­nue pour l’es­sen­tiel dans l’Annonciation de Nazareth. « Voici que tu conce­vras dans ton sein et enfan­te­ras un fils, et tu l’ap­pel­le­ras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appe­lé Fils du Très-​Haut » _​« Comment cela sera-​t-​il, puisque je ne connais pas d’homme ? » _​« L’Esprit Saint vien­dra sur toi, et la puis­sance du Très-​Haut te pren­dra sous son ombre ; c’est pour­quoi l’être saint qui naî­tra sera appe­lé Fils de Dieu … Car rien n’est impos­sible à Dieu » (Lc 1, 31–37) [16].

Il est facile de com­prendre cet évé­ne­ment dans la pers­pec­tive de l’his­toire d’Israël, le peuple élu dont Marie est la fille, mais il est facile aus­si de le com­prendre dans la pers­pec­tive de tous les che­mins sur les­quels l’hu­ma­ni­té cherche depuis tou­jours une réponse aux ques­tions fon­da­men­tales et en même temps défi­ni­tives qui l’ob­sèdent le plus. Ne trouve-​t-​on pas dans l’Annonciation de Nazareth le début de la réponse défi­ni­tive par laquelle Dieu même va au-​devant de l’in­quié­tude du cœur humain ? [17]. Il ne s’a­git pas seule­ment ici de paroles de Dieu révé­lées par les pro­phètes, mais, au moment de cette réponse, le Verbe se fait réel­le­ment chair (cf. Jn 1, 14). Marie atteint ain­si une telle union à Dieu qu’elle dépasse toutes les attentes de l’es­prit humain. Elle dépasse même les attentes de tout Israël et, en par­ti­cu­lier, des filles de ce peuple élu, qui, en ver­tu de la pro­messe, pou­vaient espé­rer que l’une d’entre elles devien­drait un jour la mère du Messie. Qui par­mi elles, tou­te­fois, pou­vait sup­po­ser que le Messie pro­mis serait le « Fils du Très-​Haut » ? A par­tir de la foi mono­théiste au temps de l’Ancien Testament, c’é­tait dif­fi­ci­le­ment envi­sa­geable. Ce n’est que par la force de l’Esprit Saint « venu sur elle » que Marie pou­vait accep­ter ce qui est « impos­sible aux hommes mais pos­sible à Dieu » (cf. Mc 10, 27).

Théotokos

4. Ainsi la « plé­ni­tude du temps » mani­feste la digni­té extra­or­di­naire de la « femme ». Cette digni­té consiste, d’une part, dans l’é­lé­va­tion sur­na­tu­relle à l’u­nion à Dieu en Jésus Christ, qui déter­mine la fina­li­té pro­fonde de l’exis­tence de tout homme tant sur la terre que dans l’é­ter­ni­té. De ce point de vue, la « femme » est la repré­sen­tante et l’ar­ché­type de tout le genre humain : elle repré­sente l’hu­ma­ni­té qui appar­tient à tous les êtres humains, hommes et femmes. Mais, d’autre part, l’é­vé­ne­ment de Nazareth met en relief une forme d’u­nion à Dieu qui ne peut appar­te­nir qu’à la « femme », à Maríe : l’u­nion entre la mère et son fils. La Vierge de Nazareth devient en effet la Mère de Dieu.

Cette véri­té, reçue dès le début par la foi chré­tienne, a été for­mu­lée de façon solen­nelle par le Concile d’Ephèse (en l’an 431) [18]. S’opposant à l’o­pi­nion de Nestorius, pour qui Marie était exclu­si­ve­ment la mère de Jésus-​homme, ce concile mit en relief le sens pro­fond de la mater­ni­té de la Vierge Marie. Au moment de l’Annonciation, en répon­dant par son « fiat », Marie concut un homme qui était Fils de Dieu, consub­stan­tiel au Père. Elle est donc vrai­ment la Mère de Dieu, car la mater­ni­té concerne toute la per­sonne et pas seule­ment le corps, ni même seule­ment la « nature » humaine. Ainsi le nom de « Théotokos » _​Mère de Dieu _​devint le nom propre de l’u­nion à Dieu accor­dée à la Vierge Marie.

L’union par­ti­cu­lière de la « Théotokos » avec Dieu, qui réa­lise de la manière la plus émi­nente la pré­des­ti­na­tion sur­na­tu­relle à l’u­nion avec le Père qui est accor­dée à tout homme (filii in Filio), est grâce pure et, comme telle, un don de l’Esprit. Mais en même temps, par une réponse de foi, Marie exprime sa libre volon­té, et donc l’en­tière par­ti­ci­pa­tion du « moi » per­son­nel et fémi­nin à l’é­vé­ne­ment de l’Incarnation Par son « fiat », Marie devient le sujet authen­tique de l’u­nion à Dieu qui s’est réa­li­sée dans le mys­tère de l’Incarnation du Verbe consub­stan­tiel au Père. Toute l’ac­tion de Dieu dans l’his­toire des hommes res­pecte tou­jours la libre volon­té du « moi » humain. Il en est de même dans l’Annonciation de Nazareth.

« Servir veut dire régner »

5. Cet évé­ne­ment pos­sède un carac­tère inter­per­son­nel très clair : c’est un dia­logue. Nous ne le com­pre­nons pas entiè­re­ment si nous ne cen­trons pas tout l’en­tre­tien entre l’Ange et Marie sur la salu­ta­tion : « com­blée de grâce » [19]. Tout le dia­logue de l’Annonciation dévoile la dimen­sion essen­tielle de l’é­vé­ne­ment : la dimen­sion sur­na­tu­relle (***). Mais la grâce ne laisse jamais la nature de côté, elle ne l’an­nule pas non plus ; au contraire, elle la per­fec­tionne et l’en­no­blit. La « plé­ni­tude de grâce » accor­dée à la Vierge de Nazareth en vue de sa qua­li­té de « Théotokos » signi­fie donc en même temps la plé­ni­tude de la per­fec­tion de « ce qui est carac­té­ris­tique de la femme », de « ce qui est fémi­nin ». Nous nous trou­vons ici, en un sens, au point cen­tral, à l’ar­ché­type de la digni­té per­son­nelle de la femme.

Lorsque Marie répond aux paroles du mes­sa­ger céleste par son « fiat », la « com­blée de grâce » sent le besoin d’ex­pri­mer son rap­port per­son­nel avec le don qui lui a été révé­lé, et elle dit : « Je suis la ser­vante du Seigneur » (Lc 1, 38). On ne sau­rait pri­ver cette phrase de son sens pro­fond, ni l’at­té­nuer, en l’i­so­lant arti­fi­ciel­le­ment de tout le contexte de l’é­vé­ne­ment et de tout le conte­nu de la véri­té révé­lée sur Dieu et sur l’homme. L’expression « ser­vante du Seigneur » tra­duit toute la conscience qu’a Marie d’être une créa­ture par rap­port à Dieu. Toutefois, le mot « ser­vante », vers la fin du dia­logue de l’Annonciation, s’ins­crit dans toute la pers­pec­tive de l’his­toire de la Mère et de son Fils. En effet, ce Fils, qui est vrai­ment et consub­stan­tiel­le­ment « Fils du Très-​Haut », dira sou­vent de lui-​même, sur­tout au point culmi­nant de sa mis­sion : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être ser­vi, mais pour ser­vir » (Mc 10, 45).

Le Christ a tou­jours conscience en lui-​même d’être le « ser­vi­teur du Seigneur », selon la pro­phé­tie d’Isaïe (cf. 42, 1 ; 49, 3. 6 ; 52, 13), qui exprime l’es­sen­tiel de sa mis­sion mes­sia­nique, il a conscience d’être le Rédempteur du monde. Marie, elle, dès le pre­mier ins­tant de sa mater­ni­té divine, de son union à son Fils que « le Père a envoyé dans le monde pour que le monde soit sau­vé par lui » (cf. Jn 3, 17), entre dans le ser­vice mes­sia­nique du Christ [20]. C’est pré­ci­sé­ment ce ser­vice qui consti­tue le fon­de­ment même du Règne dans lequel « ser­vir veut dire régner » [21]. Le Christ, « Serviteur du Seigneur », mani­fes­te­ra à tous la digni­té royale du ser­vice, à laquelle la voca­tion de tout homme est étroi­te­ment liée.

Ainsi donc, consi­dé­rer la réa­li­té femme-​Mère de Dieu est une excel­lente façon de nous faire entrer dans la pré­sente médi­ta­tion de l’Année mariale. Cette réa­li­té déter­mine aus­si la pers­pec­tive essen­tielle de la réflexion sur la digni­té et sur la voca­tion de la femme. En pen­sant, en disant ou en fai­sant quelque chose qui concerne la digni­té et la voca­tion de la femme, la pen­sée, le cœur et l’ac­tion ne doivent pas se détour­ner de cette pers­pec­tive. La digni­té de tout être humain et la voca­tion qui lui cor­res­pond trouvent leur mesure défi­ni­tive dans l’u­nion à Dieu. Marie _​la femme de la Bible _​est l’ex­pres­sion la plus accom­plie de cette digni­té et de cette voca­tion. En effet, tout-​être humain, mas­cu­lin ou fémi­nin, créé à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, ne peut s’é­pa­nouir que dans le sens de cette image et de cette ressemblance.

III – IMAGE ET RESSEMBLANCE DE DIEU

Le Livre de la Gènese 

6. NOUS devons nous repla­cer dans le contexte du « com­men­ce­ment » biblique où la véri­té révé­lée sur l’homme comme « image et res­sem­blance de Dieu » consti­tue la base immuable de toute l’an­thro­po­lo­gie chré­tienne [22]. « Dieu créa l’homme à son image, à l’i­mage de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Ce pas­sage concis contient les véri­tés fon­da­men­tales de l’an­thro­po­lo­gie : l’homme est le som­met de tout l’ordre de la créa­tion dans le monde visible ; le genre humain, qui com­mence au moment où l’homme et la femme sont appe­lés à l’exis­tence, cou­ronne toute l’œuvre de la créa­tion ; tous les deux sont des êtres humains, l’homme et la femme à un degré égal tous les deux créés à l’i­mage de Dieu. Cette image, cette res­sem­blance avec Dieu, qui est essen­tielle à l’être humain, est trans­mise par l’homme et la femme, comme époux et parents, à leurs des­cen­dants : « Soyez féconds, mul­ti­pliez, emplis­sez la terre et soumettez-​la » (Gn 1, 28). Le Créateur confie la « domi­na­tion » de la terre au genre humain, à toutes les per­sonnes, à tous les hommes et à toutes les femmes, qui puisent leur digni­té et leur voca­tion dans leur « ori­gine » commune.

Dans la Genèse, nous trou­vons encore une autre des­crip­tion de la créa­tion de l’homme _​homme et femme (cf. 2, 18–25) _​à laquelle nous nous réfé­re­rons par la suite. Dès main­te­nant tou­te­fois, il faut pré­ci­ser que la véri­té sur le carac­tère per­son­nel de l’être humain res­sort de la des­crip­tion biblique. L’homme est une per­sonne, et cela dans la même mesure pour l’homme et pour la femme, car tous les deux ont été créés à l’i­mage et à la res­sem­blance du Dieu per­son­nel. Ce qui rend l’homme sem­blable à Dieu, c’est le fait que _​contrai­re­ment à tout le monde des créa­tures vivantes, y com­pris les êtres doués de sens (ani­ma­lia) _​l’homme est aus­si un être rai­son­nable (ani­mal ratio­nale) [23]. Grâce à cette pro­prié­té, l’homme et la femme peuvent « domi­ner » les autres créa­tures du monde visible (cf. Gn 1, 28).

Dans la seconde des­crip­tion de la créa­tion de l’homme (cf. Gn 2, 18–25), le lan­gage qui exprime la véri­té sur la créa­tion de l’homme, et spé­cia­le­ment de la femme, est dif­fé­rent ; en un sens, il est moins pré­cis ; il est, pourrait-​on dire, plus des­crip­tif et méta­pho­rique, plus proche du lan­gage des mythes connus à cette époque. On ne trouve cepen­dant aucune contra­dic­tion essen­tielle entre les deux textes. Le texte de Genèse 2, 18–25 aide à bien com­prendre ce que nous trou­vons dans le pas­sage concis de Genèse 1, 27–28, et en même temps, si on le lit en lien avec lui, il aide à com­prendre plus pro­fon­dé­ment encore la véri­té fon­da­men­tale, qui y est conte­nue, sur l’homme créé à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu comme homme et femme.

Dans la des­crip­tion de Genèse 2, 18–25, la femme est créée par Dieu « à par­tir de la côte » de l’homme, et elle est pla­cée comme un autre « moi », comme un inter­lo­cu­teur à côté de l’homme qui, dans le monde des créa­tures ani­mées qui l’en­toure, est seul et ne trouve en aucune d’entre elles une « aide » qui lui soit adap­tée. La femme appe­lée ain­si à l’exis­tence est immé­dia­te­ment recon­nue par l’homme comme « chair de sa chair et os de ses os » (cf. Gn 2, 23), et pour cela pré­ci­sé­ment elle est appe­lée « femme ». Dans le lan­gage biblique, ce nom indique l’i­den­ti­té essen­tielle par rap­port à l’homme : ish – ish­sha, ce qu’en géné­ral les langues modernes ne peuvent mal­heu­reu­se­ment pas expri­mer. « Celle-​ci sera appe­lée « femme » (ish­sha), car elle fut tirée de l’homme (ish)» (Gn 2, 23).

Le texte biblique four­nit des bases suf­fi­santes pour que l’on recon­naisse l’é­ga­li­té essen­tielle de l’homme et de la femme du point de vue de l’hu­ma­ni­té [24]. Depuis le début, tous les deux sont des per­sonnes, à la dif­fé­rence des autres êtres vivants du monde qui les entoure. La femme est un autre « moi » dans leur com­mune huma­ni­té. Dès le début, ils appa­raissent comme l”«unité des deux », et cela signi­fie qu’est dépas­sée la soli­tude ori­gi­nelle dans laquelle l’homme ne trouve pas « une aide qui lui soit assor­tie » (Gn 2, 20). S’agit-​il seule­ment ici d’une « aide » pour agir, pour « sou­mettre la terre » (cf. Gn 1, 28)? Il est bien cer­tain qu’il s’a­git de la com­pagne de vie, à laquelle l’homme peut s’u­nir comme à sa femme, deve­nant avec elle « une seule chair » et aban­don­nant pour cela « son père et sa mère » (cf. Gn 2, 24). La des­crip­tion biblique parle donc de l’ins­ti­tu­tion, par Dieu, du mariage, dans le contexte de la créa­tion de l’homme et de la femme, comme condi­tion indis­pen­sable de la trans­mis­sion de la vie aux nou­velles géné­ra­tions humaines, à laquelle le mariage et l’a­mour conju­gal sont ordon­nés par nature : « Soyez féconds, mul­ti­pliez, emplis­sez la terre et soumettez-​la » (Gn 1, 28).

Personne – Communion – Don 

7. Approfondissant par la pen­sée l’en­semble de la des­crip­tion de Genèse 2, 18- 25, en l’in­ter­pré­tant à la lumière de la véri­té sur l’i­mage et la res­sem­blance de Dieu (cf. Gn 1, 26–27), nous pou­vons com­prendre plus plei­ne­ment encore en quoi consiste le carac­tère per­son­nel de l’être humain, grâce auquel tous les deux _​l’homme et la femme _​sont sem­blabes à Dieu. En effet, cha­cun des hommes est à l’i­mage de Dieu en tant que créa­ture rai­son­nable et libre, capable de connaître Dieu et de l’ai­mer. Nous lisons éga­le­ment que l’homme ne peut être « seul » (cf. Gn 2, 18); il ne peut exis­ter que comme « uni­té des deux », et donc en rela­tion avec une autre per­sonne humaine. Il s’a­git ici d’une rela­tion réci­proque, de l’homme à l’é­gard de la femme et de la femme à l’é­gard de l’homme. Etre une per­sonne à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu implique donc aus­si le fait d’exis­ter en rela­tion, en rap­port avec l’autre « moi ». C’est un pré­lude à la révé­la­tion ultime que Dieu un et trine fait de lui-​même : uni­té vivante dans la com­mu­nion du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

Au début de la Bible, on ne nous dit pas encore cela direc­te­ment. Tout l’Ancien Testament est sur­tout la révé­la­tion de la véri­té sur l’u­ni­ci­té et l’u­ni­té de Dieu. Dans cette véri­té fon­da­men­tale sur Dieu, le Nouveau Testament intro­dui­ra la révé­la­tion du mys­tère inson­dable de la vie intime de Dieu. Dieu, qui se fait connaître aux hommes par le Christ, est l’u­ni­té dans la Trinité, il est l’u­ni­té dans la com­mu­nion. De cette façon, une nou­velle lumière est pro­je­tée éga­le­ment sur la res­sem­blance et l’i­mage de Dieu en l’homme, dont parle le Livre de la Genèse. Le fait que l’homme, créé comme homme et femme, soit l’i­mage de Dieu ne signi­fie pas seule­ment que cha­cun d’eux indi­vi­duel­le­ment est sem­blable à Dieu, comme être rai­son­nable et libre. Il signi­fie aus­si que l’homme et la femme, créés comme « uni­té des deux » dans leur com­mune huma­ni­té, sont appe­lés à vivre une com­mu­nion d’a­mour et à reflé­ter ain­si dans le monde la com­mu­nion d’a­mour qui est en Dieu, par laquelle les trois Personnes s’aiment dans le mys­tère intime de l’u­nique vie divine. Le Père, le Fils et l’Esprit Saint, un seul Dieu par l’u­ni­té de la divi­ni­té, existent comme Personnes par les inson­dables rela­tions divines. C’est seule­ment de cette façon que devient com­pré­hen­sible la véri­té selon laquelle Dieu en lui-​même est amour (cf. 1 Jn 4, 16).

L’image et la res­sem­blance de Dieu dans l’homme créé comme homme et femme (par l’a­na­lo­gie que l’on peut pré­su­mer entre le Créateur et la créa­ture) expriment donc aus­si l”«unité des deux » dans leur huma­ni­té com­mune. Cette « uni­té des deux », qui est signe de la com­mu­nion inter­per­son­nelle, montre que dans la créa­tion de l’homme a été ins­crite aus­si une cer­taine res­sem­blance de la com­mu­nion divine (« com­mu­nio »). Cette res­sem­blance a été ins­crite comme une qua­li­té de l’être per­son­nel de tous les deux, de l’homme et de la femme, et en même temps comme un appel et une tâche. Dans l’i­mage et la res­sem­blance de Dieu, que le genre humain porte en lui depuis le « com­men­ce­ment », s’en­ra­cine ce qui fonde tout l”« ethos » humain : l’Ancien et le Nouveau Testament déve­lop­pe­ront cet « ethos » dont le com­man­de­ment de l’a­mour est le som­met [25].

Dans l”«unité des deux », l’homme et la femme sont appe­lés depuis le com­men­ce­ment non seule­ment à exis­ter « l’un à côté de l’autre » ou bien « ensemble », mais aus­si à exis­ter réci­pro­que­ment « l’un pour l’autre ».

Cela fait com­prendre aus­si ce que signi­fie l”«aide » dont parle Genèse 2, 18–25 : « Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assor­tie ». Le contexte biblique per­met d’en­tendre éga­le­ment ce mot en ce sens que la femme doit « aider » l’homme _​et en même temps l’homme doit aider la femme _​avant tout à cause de sa carac­té­ris­tique d”«être une per­sonne humaine », ce qui, d’une cer­taine façon, per­met à l’un et à l’autre de décou­vrir tou­jours à nou­veau et de confir­mer le sens inté­gral de son huma­ni­té. On com­prend faci­le­ment que, sur ce plan fon­da­men­tal, il s’a­git d’une « aide » des deux cotés et d’une«aide » réci­proque. Humanité veut dire appel à la com­mu­nion inter­per­son­nelle. Le texte de Genèse 2, 18–25 montre que le mariage est la dimen­sion pre­mière et, en un sens, fon­da­men­tale de cet appel. Mais non l’u­nique. Toute l’his­toire de l’homme sur la terre se réa­lise dans le cadre de cet appel. En fonc­tion du prin­cipe selon lequel cha­cun vit « pour » l’autre, dans la « com­mu­nion » inter­per­son­nelle, on voit, au cours de cette his­toire, s’in­té­grer pro­gres­si­ve­ment dans l’hu­ma­ni­té elle-​même, vou­lue par Dieu, ce qui est « mas­cu­lin » et ce qui est « fémi­nin ». Les textes bibliques, à com­men­cer par la Genèse, nous per­mettent constam­ment de retrou­ver le ter­rain où s’en­ra­cine la véri­té sur l’homme, un ter­rain solide et invio­lable au milieu des mul­tiples muta­tions de l’exis­tence humaine.

Cette véri­té concerne aus­si l’his­toire du salut. Ici, une affir­ma­tion du Concile Vatican II est par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tive. Dans le cha­pitre sur la « com­mu­nau­té humaine » de la consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et spes, nous lisons : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un… » (Jn 17, 21–22), il ouvre des pers­pec­tives inac­ces­sibles à la rai­son et il nous sug­gère qu’il y a une cer­taine res­sem­blance entre l’u­nion des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la véri­té et dans l’a­mour. Cette res­sem­blance montre bien que l’homme, seule créa­ture sur terre que Dieu ait vou­lue pour elle même, ne peut plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même » [26].

En s’ex­pri­mant ain­si, ce texte conci­liaire pré­sente d’une manière syn­thé­tique l’en­semble de la véri­té sur l’homme et sur la femme _​véri­té qui se des­sine déjà dans les pre­miers cha­pitres du Livre de la Genèse _​comme la struc­ture qui porte l’an­thro­po­lo­gie biblique et chré­tienne. L’homme _​homme et femme _​est le seul être par­mi les créa­tures du monde visible que Dieu Créateur « ait vou­lu pour lui-​même» ; c’est donc une per­sonne. Etre une per­sonne signi­fie tendre à la réa­li­sa­tion de soi (le texte conci­liaire dit « se trou­ver »), qui ne peut s’ac­com­plir qu”« à tra­vers un don dés­in­té­res­sé de soi ». Le modèle d’une telle inter­pré­ta­tion de la per­sonne est Dieu même comme Trinité, comme com­mu­nion de Personnes. Dire que l’homme est créé à l’i­mage et à la res­sem­blance de ce Dieu, c’est dire aus­si que l’homme est appe­lé à exis­ter « pour » autrui, à deve­nir un don.

Cela concerne tout être humain, femmes et hommes qui le mettent en œuvre selon les par­ti­cu­la­ri­tés propres à cha­cune et à cha­cun. Dans le cadre de la pré­sente médi­ta­tion sur la digni­té et la voca­tion de la femme, cette véri­té sur l’être humain consti­tue le point de départ indis­pen­sable. Déjà le Livre de la Genèse per­met de per­ce­voir, comme une pre­mière ébauche, ce carac­tère spon­sal de la rela­tion entre les per­sonnes, et c’est dans ce cadre que se déve­lop­pe­ra ensuite la véri­té sur la mater­ni­té, et aus­si sur la vir­gi­ni­té, comme deux dimen­sions par­ti­cu­lières de la voca­tion de la femme à la lumière de la Révélation divine. Ces deux dimen­sions trou­ve­ront leur plus haute expres­sion biblique, à l’a­vè­ne­ment de la « plé­ni­tude du temps » (cf. Ga 4, 4), dans la figure de la « femme » de Nazareth, la Vierge-Mère.

L’anthropomorphisme du lan­gage biblique 

8. La pré­sen­ta­tion de l’homme comme « image et res­sem­blance de Dieu », dès le début de l’Ecriture Sainte, revêt encore une autre signi­fi­ca­tion. C’est la clé pour com­prendre la Révélation biblique comme étant ce que Dieu dit de lui-​même. Parlant de lui « par les pro­phètes comme par le Fils » (cf. He 1, 1. 2) qui s’est fait homme, Dieu uti­lise un lan­gage humain, il uti­lise des concepts et des images propres à l’homme. Si cette façon de s’ex­pri­mer est carac­té­ri­sée par un cer­tain anthro­po­mor­phisme, larai­son en est que l’homme est « sem­blable » à Dieu, créé à son image et à sa res­sem­blance. Alors, Dieu aus­si est, dans une cer­taine mesure, « sem­blable a l’homme », et c’est pré­ci­sé­ment à par­tir de cette res­sem­blance qu’il peut être connu par les hommes. En même temps, le lan­gage de la Bible est suf­fi­sam­ment pré­cis pour mar­quer les limites de la « res­sem­blance », les limites de l”«analogie ». En effet, la révé­la­tion biblique affirme que, si cette « res­sem­blance » de l’homme avec Dieu est vraie, plus essen­tiel­le­ment vraie encore est la « non-​ressemblance » [27] qui sépare du Créateur toute la créa­tion. En fin de compte, pour l’homme créé à la res­sem­blance de Dieu, Dieu ne cesse d’être Celui « qui habite une lumière inac­ces­sible » (1 Tm 6, 16): c’est le « Différent » par essence, le « Tout-Autre ».

Il faut tenir compte de cette obser­va­tion sur les limites de l’a­na­lo­gie _​limites de la res­sem­blance de l’homme avec Dieu dans le lan­gage biblique _​même lorsque, dans divers pas­sages de l’Ecriture Sainte (sur­tout dans l’Ancien Testament), nous trou­vons des com­pa­rai­sons qui attri­buent à Dieu des qua­li­tés « mas­cu­lines » ou « fémi­nines ». Nous pou­vons voir en elles la confir­ma­tion indi­recte de la véri­té selon laquelle l’homme et la femme ont été tous les deux créés à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu. S’il y a res­sem­blance du Créateur avec lés créa­tures, il est com­pré­hen­sible que la Bible ait uti­li­sé à son égard des expres­sions qui lui attri­buent des qua­li­tés aus­si bien « mas­cu­lines » que « féminines ».

Citons ici quelques pas­sages carac­té­ris­tiques du pro­phète Isaïe : « Sion avait dit : « Le Seigneur m’a aban­don­née ; le Seigneur m’a oubliée ». Une femme oublie-​t-​elle son petit enfant, est-​elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’ou­blie­rai pas » (49, 14–15). Et ailleurs : « De même qu’une mère console son enfant, moi aus­si, je vous conso­le­rai, à Jérusalem vous serez conso­lés » (Is 66, 13). Dans les Psaumes éga­le­ment, Dieu est com­pa­ré à une mère atten­tive : « Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. Attends le Seigneur, Israël » (Ps 131, 2–3). Divers pas­sages pré­sentent l’a­mour de Dieu, atten­tif à son peuple, comme sem­blable à celui d’une mère : ain­si, comme une mère, Dieu « a por­té » l’hu­ma­ni­té, et en par­ti­cu­lier son peuple élu, en son sein, il l’a enfan­té dans la dou­leur, il l’a nour­ri et conso­lé (cf. Is 42, 14 ; 46, 3–4). L’amour de Dieu est pré­sen­té en beau­coup de pas­sages comme l’a­mour « mas­cu­lin » de l’é­poux et père (cf. Os 11, 1–4 ; Jr 3, 4–19), mais par­fois aus­si comme l’a­mour « fémi­nin » de la mère.

Cette carac­té­ris­tique du lan­gage biblique, sa façon anthro­po­mor­phique de par­ler de Dieu, montre aus­si, indi­rec­te­ment, le mys­tère de la « géné­ra­tion » éter­nelle, qui fait par­tie de la vie intime de Dieu. Toutefois, cette « géné­ra­tion » ne pos­sède en elle-​même aucune qua­li­té « mas­cu­line » ou « fémi­nine ». Elle est de nature tota­le­ment divine. Elle est spi­ri­tuelle de la manière la plus par­faite parce que « Dieu est esprit » (Jn 4, 24), et elle n’a aucune pro­prié­té carac­té­ris­tique du corps, ni « fémi­nin » ni « mas­cu­lin ». Et donc la « pater­ni­té » en Dieu est aus­si tota­le­ment divine, libre du carac­tère cor­po­rel « mas­cu­lin » qui est propre à la pater­ni­té humaine. En ce sens, l’Ancien Testament par­lait de Dieu comme d’un Père et il s’a­dres­sait à lui comme à un Père. Jésus Christ, qui a mis cette véri­té au centre même de son Evangile comme une norme pour la prière chré­tienne et qui s’a­dres­sait à Dieu en l’ap­pe­lant « Abba-​Père » (Mc 14, 36), en tant que Fils unique et consub­stan­tiel, dési­gnait la pater­ni­té en ce sens supra-​corporel, sur­hu­main, tota­le­ment divin. Il par­lait en tant que Fils, lié à son Père par le mys­tère éter­nel de la géné­ra­tion divine, et il le fai­sait en étant en même temps le Fils authen­ti­que­ment humain de sa Mère Vierge.

Si l’on ne peut attri­buer des qua­li­tés humaines à la géné­ra­tion éter­nelle du Verbe de Dieu, et si la pater­ni­té divine ne pos­sède pas de carac­tères « mas­cu­lins » au sens phy­sique du terme, il faut au contraire cher­cher en Dieu le modèle abso­lu de toute « géné­ra­tion » dans le monde des êtres humains. C’est dans ce sens, semble-​t-​il, que nous lisons dans la Lettre aux Ephésiens : « Je flé­chis les genoux en pré­sence du Père de qui toute pater­ni­té, au ciel et sur la terre, tire son nom » (3, 14–15). Toute « géné­ra­tion » dans le domaine des créa­tures trouve son pre­mier modèle dans la géné­ra­tion qui est en Dieu d’une manière com­plè­te­ment divine, c’est-​à-​dire spi­ri­tuelle. Toute « géné­ra­tion » dans le monde créé est assi­mi­lée à ce modèle abso­lu, non créé. C’est pour­quoi tout ce qui, dans l’en­gen­dre­ment humain, est propre à l’homme comme aus­si tout ce qui est propre à la femme _​la « pater­ni­té » et la « mater­ni­té » humaines _​porte en soi la res­sem­blance, c’est-​à-​dire l’a­na­lo­gie, avec la « géné­ra­tion » divine et avec la « pater­ni­té » qui, en Dieu, est « tota­le­ment dif­fé­rente », com­plè­te­ment spi­ri­tuelle et divine par essence. Dans l’ordre humain, au contraire, l’en­gen­dre­ment est le propre de l”«unité des deux » : tous les deux, l’homme comme la femme, « engendrent ».

IV – EVE-MARIE

Le « com­men­ce­ment » et le péché 

9. « Etabli par Dieu dans un état de jus­tice, l’homme, séduit par le Malin, dès le début de l’his­toire, a abu­sé de sa liber­té, en se dres­sant contre Dieu et en dési­rant par­ve­nir à sa fin hors de Dieu » [28]. Par ces paroles, l’en­sei­gne­ment du der­nier concile rap­pelle la doc­trine révé­lée sur le péché et en par­ti­cu­lier sur le pre­mier péché, le péché « ori­gi­nel ». Le « com­men­ce­ment » biblique _​la créa­tion du monde et de l’homme dans le monde _​contient en même temps la véri­té sur ce péché, qui peut être appe­lé aus­si le péché des « ori­gines » de l’homme sur la terre. Même si ce qui est écrit dans le Livre de la Genèse est expri­mé sous forme de nar­ra­tion sym­bo­lique, et c’est le cas de la des­crip­tion de la créa­tion de l’homme comme être mas­cu­lin et fémi­nin (cf. Gn 2, 18–25), cela révèle en même temps ce qu’il faut appe­ler « le mys­tère du péché » et, plus plei­ne­ment encore, « le mys­tère du mal » qui existe dans le monde créé par Dieu.

Il n’est pas pos­sible de lire « le mys­tère du péché » sans se réfé­rer à toute la véri­té sur l”«image et res­sem­blance » avec Dieu qui est à la base de l’an­thro­po­lo­gie biblique. Cette véri­té montre la créa­tion de l’homme comme un don spé­cial de la part du Créateur, don dans lequel sont conte­nus non seule­ment le fon­de­ment et la source de la digni­té essen­tielle de l’être humain _​homme et femme _​dans le monde créé, mais aus­si l’o­ri­gine de l’ap­pel à par­ti­ci­per tous les deux à la vie intime de Dieu même. A la lumière de la Révélation, la créa­tion signi­fie en même temps l’o­ri­gine de l’his­toire du salut. Dans ce com­men­ce­ment, pré­ci­sé­ment, le péché s’ins­crit et prend forme comme oppo­si­tion et négation.

On peut dire para­doxa­le­ment que le péché pré­sen­té dans la Genèse (chap. 3) est une confir­ma­tion de la véri­té concer­nant l’i­mage et la res­sem­blance de Dieu dans l’homme, si cette véri­té signi­fie la liber­té, c’est-​à-​dire la volon­té libre dont l’homme peut se ser­vir pour choi­sir le bien, mais dont il peut aus­si abu­ser en choi­sis­sant le mal contre la volon­té de Dieu. Toutefois, dans son sens pro­fond, le péché est la néga­tion de ce qu’est Dieu _​comme Créateur _​par rap­port à l’homme, et de ce que Dieu veut pour l’homme depuis l’o­ri­gine et pour tou­jours. En créant l’homme et la femme à son image et à sa res­sem­blance, Dieu veut pour eux la plé­ni­tude du bien, à savoir le bon­heur sur­na­tu­rel qui découle de la par­ti­ci­pa­tion à sa vie elle-​même. En com­met­tant le péché, l’homme repousse ce don et simul­ta­né­ment il veut deve­nir lui-​même « comme un dieu, qui connaît le bien et le mal » (cf. Gn 3, 5), c’est-​à-​dire qui décide du bien et du mal indé­pen­dam­ment de Dieu, son Créateur. Le péché des ori­gines a sa « dimen­sion » humaine, sa mesure interne dans la volon­té libre de l’homme, et en même temps il com­porte une cer­taine carac­té­ris­tique « dia­bo­lique » [29], comme cela est clai­re­ment indi­qué dans le Livre de la Genèse (3, 1–5). Le péché pro­voque la rup­ture de l’u­ni­té ori­gi­nelle dont l’homme jouis­sait dans l’é­tat de jus­tice ori­gi­nelle, de l’u­nion avec Dieu comme source de l’u­ni­té à l’in­té­rieur de son propre « moi », dans les rap­ports réci­proques de l’homme et de la femme (« com­mu­nio per­so­na­rum ») et enfin par rap­port au monde exté­rieur, à la nature.

D’une cer­taine façon, la des­crip­tion biblique du péché ori­gi­nel dans la Genèse (chap. 3) « répar­tit les rôles » qu’y ont tenus la femme et l’homme. Plus tard, cer­tains pas­sages de la Bible s’y réfé­re­ront encore, par exemple la Lettre de saint Paul à Timothée : « C’est Adam qui fut for­mé le pre­mier, Eve ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se lais­sa séduire, mais la femme » (1 Tm 2, 13–14). Mais il n’y a pas de doute que, indé­pen­dam­ment de cette « répar­ti­tion des rôles » dans la des­crip­tion biblique, ce pre­mier péché est le péché de l’être humain, créé homme et femme par Dieu. C’est aus­si le péché des « pre­miers parents », auquel est lié son carac­tère héré­di­taire. En ce sens, nous l’ap­pe­lons « péché originel ».

Comme on l’a déjà dit, on ne peut com­prendre de façon adé­quate ce péché sans se réfé­rer au mys­tère de la créa­tion de l’être humain _​homme et femme _​à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu. En fonc­tion de cette réfé­rence, on peut sai­sir aus­si le mys­tère de la « non-​ressemblance » avec Dieu qu’est le péché et qui se mani­feste dans le mal pré­sent dans l’his­toire du monde, cette « non-​ressemblance » avec Dieu qui « seul est bon » (cf. Mt 19, 17) et qui est la plé­ni­tude du bien. Si cette « non-​ressemblance » du péché avec Dieu, Sainteté même, pré­sup­pose la « res­sem­blance » dans le domaine de la liber­té, de la volon­té libre, on peut dire que, pré­ci­sé­ment pour cette rai­son, la « non-​ressemblance » conte­nue dans le péché est d’au­tant plus dra­ma­tique et d’au­tant plus dou­lou­reuse. Il faut éga­le­ment admettre que Dieu, comme Créateur et Père, est ici atteint, « offen­sé », et, natu­rel­le­ment, offen­sé au cœur même de cette dona­tion qui fait par­tie du des­sein éter­nel de Dieu à l’é­gard de l’homme.

En même temps, tou­te­fois, l’être humain _​homme et femme _​est atteint lui aus­si par le mal du péché dont il est l’au­teur. Le texte biblique de la Genèse (chap. 3) le montre par les paroles qui décrivent clai­re­ment la nou­velle situa­tion de l’homme dans le monde créé. Il fait voir la pers­pec­tive de la « peine » avec laquelle l’homme se pro­cu­re­ra sa sub­sis­tance (cf. Gn 3, 17–19), et aus­si celle des grandes « souf­frances » dans les­quelles la femme met­tra au monde ses enfants (cf. Gn 3, 16). Et tout cela est mar­qué par la néces­si­té de la mort, qui consti­tue le terme de la vie humaine sur terre. Ainsi, l’homme, qui est pous­sière, « retour­ne­ra à la terre, d’où il pro­vient » : « Tu es pous­sière, et tu retour­ne­ras à la pous­sière » (cf. Gn 3, 19).

Ces paroles trouvent leur confir­ma­tion de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Elles ne signi­fient pas que l’i­mage et la res­sem­blance de Dieu dans l’être humain, femme et homme, ont été détruites par le péché, mais elles signi­fient qu’elles ont été « obs­cur­cies » [30] et, en un sens, « amoin­dries ». En effet, le péché « amoin­drit » l’homme, comme le rap­pelle aus­si le Concile Vatican II [31. Si l’homme est déjà, par sa nature de per­sonne, l’i­mage et la res­sem­blance de Dieu, sa gran­deur et sa digni­té s’é­pa­nouissent dans l’al­liance avec Dieu, dans l’u­nion avec lui, dans la recherche de l’u­ni­té fon­da­men­tale qui appar­tient à la « logique » interne du mys­tère même de la créa­tion. Cette uni­té répond à la véri­té pro­fonde de toutes les créa­tures douées d’in­tel­li­gence, et en par­ti­cu­lier de l’homme qui, seul par­mi les créa­tures du monde visible, a été dès le com­men­ce­ment éle­vé grâce à l’é­lec­tion faite par Dieu en Jésus de toute éter­ni­té : « Il nous a élus dans le Christ, dès avant la fon­da­tion du monde.… dans l’a­mour, déter­mi­nant d’a­vance que nous serions pour lui des fils adop­tifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plai­sir de sa volon­té » (cf. Ep 1, 4–6). L’enseignement biblique, dans son ensemble, nous per­met de dire que la pré­des­ti­na­tion concerne toutes les per­sonnes humaines, hommes et femmes, cha­cun et cha­cune sans exception.

« Il domi­ne­ra sur toi »

10. La des­crip­tion biblique du Livre de la Genèse pré­cise les consé­quences du péché humain, comme elle montre aus­si le dés­équi­libre intro­duit dans les rap­ports ori­gi­nels entre l’homme et la femme qui répon­daient à la digni­té de per­sonne qu’a­vait cha­cun d’eux. L’être humain, homme ou femme, est une per­sonne et donc la « seule créa­ture sur terre que Dieu ait vou­lu pour elle-​même» ; et en même temps cette créature-​là, abso­lu­ment unique, « ne peut se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé d’elle-​même » [32]. C’est là que prend nais­sance le rap­port de « com­mu­nion » dans lequel trouvent leur expres­sion l”«unité des deux » et la digni­té per­son­nelle de l’homme et de la femme. Quand donc nous lisons dans la des­crip­tion biblique les paroles adres­sées à la femme : « Le désir te por­te­ra vers ton mari, et lui domi­ne­ra sur toi » (Gn 3, 16), nous décou­vrons une rup­ture et une menace constante affec­tant pré­ci­sé­ment cette « uni­té des deux » qui cor­res­pond à la digni­té de l’i­mage et de la res­sem­blance de Dieu en cha­cun d’eux. Mais cette menace appa­raît plus grave pour la femme. En effet, dans une exis­tence qui est un don dés­in­té­res­sé et qui va jus­qu’à vivre « pour » l’autre s’in­tro­duit le fait de la domi­na­tion : « Lui domi­ne­ra sur toi ». Cette « domi­na­tion » désigne la per­tur­ba­tion et la perte de sta­bi­li­té de l’é­ga­li­té fon­da­men­tale que pos­sèdent l’homme et la femme dans l”«unité des deux », et cela sur­tout au détri­ment de la femme, alors que seule l’é­ga­li­té qui résulte de la digni­té des deux en tant que per­sonnes peut don­ner aux rap­ports réci­proques le carac­tère d’une authen­tique « com­mu­nio per­so­na­rum ». Si la vio­la­tion de cette éga­li­té, qui est à la fois un don et un droit venant de Dieu Créateur lui-​même, com­porte un élé­ment défa­vo­rable à la femme, par le fait même elle dimi­nue aus­si la vraie digni­té de l’homme. Nous tou­chons ici un point extre­me­ment déli­cat dans le domaine de l”«ethos » ins­crit dès l’o­ri­gine par le Créateur dans le fait même de la créa­tion des deux à son image et à sa ressemblance.

Cette affir­ma­tion de Genèse 3, 16 a une grande por­tée, une por­tée signi­fi­ca­tive. Elle implique une réfé­rence au rap­port réci­proque de l’homme et de la femme dans le mariage. Il s’a­git du désir né dans le cadre de l’a­mour conju­gal, qui fait en sorte que « le don dés­in­té­res­sé de soi » de la part de la femme attende en réponse d’être par­ache­vé par un « don » ana­logue de la part de son mari. Ce n’est qu’en se fon­dant sur ce prin­cipe que tous les deux, et en par­ti­cu­lier la femme, peuvent « se trou­ver » en une véri­table « uni­té des deux », selon la digni­té de la per­sonne. L’union matri­mo­niale exige que soit res­pec­tée et per­fec­tion­née la vraie per­son­na­li­té des deux époux. La femme ne peut deve­nir un « objet » de « domi­na­tion » et de « pos­ses­sion » de l’homme. Mais les paroles du texte biblique concernent direc­te­ment le péché ori­gi­nel et ses consé­quences durables chez l’homme et la femme. Sur eux pèse la culpa­bi­li­té héré­di­taire ; ils portent constam­ment en eux la « cause du péché », c’est-​à-​dire la ten­dance à alté­rer l’ordre moral qui cor­res­pond à la nature ration­nelle elle-​même et à la digni­té de l’homme comme per­sonne. Cette ten­dance s’ex­prime dans la triple concu­pis­cence que le texte de l’Apôtre décrit comme convoi­tise de la chair, convoi­tise des yeux et orgueil de la richesse (cf. 1 Jn 2, 16). Les paroles de la Genèse citées plus haut (3, 16) montrent com­ment cette triple convoi­tise, cette « cause du péché », pèse­ra sur les rap­ports réci­proques de l’homme et de la femme.

Ces mêmes paroles se réfèrent direc­te­ment au mariage, mais indi­rec­te­ment elles atteignent les divers domaines de la convi­via­li­té, les situa­tions dans les­quelles la femme est désa­van­ta­gée ou objet de dis­cri­mi­na­tion pour le seul fait d’être femme. La véri­té révé­lée sur la créa­tion de l’homme comme être mas­cu­lin et fémi­nin consti­tue l’ar­gu­ment prin­ci­pal contre toutes les situa­tions qui, en étant objec­ti­ve­ment nui­sibles c’est-​à-​dire injustes, com­portent et expriment l’hé­ri­tage du péché que tous les êtres humains portent en eux-​mêmes. Les Livres de l’Ecriture Sainte confirment en divers endroits l’exis­tence effec­tive de telles situa­tions, et en même temps ils pro­clament la néces­si­té de se conver­tir, c’est-​à-​dire de se puri­fier du mal et de se libé­rer du péché, de ce qui porte offense à l’autre, de ce qui « amoin­drit » l’homme, non seule­ment celui qu’at­teint l’of­fense mais aus­si celui qui en est l’au­teur. Tel est le mes­sage immuable de la Parole révé­lée par Dieu. Ainsi s’ex­prime l”«ethos » biblique jus­qu’à la fin [33].

De nos jours, la ques­tion des « droits de la femme » a pris une por­tée nou­velle dans le vaste contexte des droits de la per­sonne humaine. Eclairant ce pro­gramme constam­ment décla­ré et rap­pe­lé de diverses manières, le mes­sage biblique et évan­gé­lique sau­ve­garde la véri­té sur l”«unité » des « deux », c’est-​à-​dire sur la digni­té et la voca­tion qui résultent de la dif­fé­rence et de l’o­ri­gi­na­li­té per­son­nelles spé­ci­fiques de l’homme et de la femme. C’est pour­quoi même la juste oppo­si­tion de la femme face à ce qu’ex­priment les paroles bibliques « lui domi­ne­ra sur toi » (Gn 3, 16) ne peut sous aucun pré­texte conduire à « mas­cu­li­ni­ser » les femmes. La femme ne peut _​au nom de sa libé­ra­tion de la « domi­na­tion » de l’homme _​tendre à s’ap­pro­prier les carac­té­ris­tiques mas­cu­lines, au détri­ment de sa propre « ori­gi­na­li­té » fémi­nine. Il existe une crainte fon­dée qu’en agis­sant ain­si la femme ne « s’é­pa­noui­ra » pas mais pour­rait au contraire défor­mer et perdre ce qui consti­tue sa richesse essen­tielle. Il s’a­git d’une richesse énorme. Dans la des­crip­tion biblique, l’ex­cla­ma­tion du pre­mier homme à la vue de la femme créée est une excla­ma­tion d’ad­mi­ra­tion et d’en­chan­te­ment, qui a tra­ver­sé toute l’his­toire de l’homme sur la terre. Les res­sources per­son­nelles de la fémi­ni­té ne sont certes pas moindres que celles de la mas­cu­li­ni­té, mais elles sont seule­ment dif­fé­rentes. La femme _​comme l’homme aus­si, du reste _​doit donc envi­sa­ger son épa­nouis­se­ment per­son­nel, sa digni­té et sa voca­tion, en fonc­tion de ces res­sources, selon la richesse de la fémi­ni­té qu’elle a reçue le jour de la créa­tion et dont elle hérite comme une expres­sion de l”«image et res­sem­blance de Dieu » qui lui est par­ti­cu­lière. Ce n’est que dans ce sens que peut être sur­mon­té aus­si l’hé­ri­tage du péché qui est sug­gé­ré par les paroles de la Bible : « Le désir te por­te­ra vers ton mari, et lui domi­ne­ra sur toi ». Dé pas­ser ce mau­vais héri­tage est, de géné­ra­tion en géné­ra­tion, un devoir pour tout être humain, homme ou femme. En effet, dans tous les cas où l’homme est res­pon­sable de ce qui offense la digni­té per­son­nelle et la voca­tion de la femme, il agit contre sa propre digni­té per­son­nelle et contre sa vocation.

Le Protévangile

11. Le Livre de la Genèse atteste le péché qui est le mal du « com­men­ce­ment » de l’homme, avec ses consé­quences qui depuis lors pèsent sur tout le genre humain, et en même temps il contient la pre­mière annonce de la vic­toire sur le mal, sur le péché. On en a pour preuve les paroles que nous lisons dans Genèse 3, 15, appe­lées habi­tuel­le­ment « pro­té­van­gile » : « Je met­trai une hos­ti­li­té entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’é­cra­se­ra la tete et tu l’at­tein­dras au talon ». Il est signi­fi­ca­tif que l’an­nonce du rédemp­teur, du sau­veur du monde, conte­nue dans ces paroles, concerne « la femme ». Celle-​ci est nom­mée à la pre­mière place dans le pro­té­van­gile, comme ancêtre de celui qui sera le rédemp­teur de l’homme [34]. Et si la rédemp­tion doit s’ac­com­plir par la lutte contre le mal, par l”«hostilité » entre le lignage de la femme et le lignage de celui qui, comme « père du men­songe » (Jn 8, 44), est le pre­mier auteur du péché dans l’his­toire de l’homme, ce sera aus­si l’hos­ti­li­té entre lui et la femme.

Dans ces paroles s’ouvre la pers­pec­tive de toute la Révélation, d’a­bord comme pré­pa­ra­tion à l’Evangile, puis comme l’Evangile lui-​même. Dans cette pers­pec­tive, les deux figures de femme : Eve et Marie, se rejoignent sous le nom de la femme.

Les paroles du pro­té­van­gile, relues à la lumière du Nouveau Testament, expriment de façon adé­quate la mis­sion de la femme dans la lutte sal­vi­fique du rédemp­teur contre l’au­teur du mal dans l’his­toire de l’homme.

La com­pa­rai­son Eve-​Marie revient constam­ment au cours de la réflexion sur le dépôt de la foi reçue de la Révélation divine, et c’est l’un des thèmes fré­quem­ment repris par les Pères, par les écri­vains ecclé­sias­tiques et par les théo­lo­giens [35. Habituellement, c’est une dif­fé­rence, une oppo­si­tion qui res­sort de cette com­pa­rai­son. Eve, « mère de tous les vivants » (Gn 3, 20), est le témoin du « com­men­ce­ment » biblique, dans lequel sont conte­nues la véri­té sur la créa­tion de l’homme à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, et la véri­té sur le péché ori­gi­nel. Marie est le témoin du nou­veau « com­men­ce­ment » et de la « créa­tion nou­velle » (cf. 2 Co 5, 17). Bien plus, elle-​même, pre­mière rache­tée dans l’his­toire du salut, est une « créa­tion nou­velle » : elle est la « com­blée de grâce ». Il est dif­fi­cile de com­prendre pour­quoi les paroles du pro­té­van­gile mettent aus­si for­te­ment en relief la « femme » si l’on n’ad­met pas qu’en elle l’Alliance nou­velle et défi­ni­tive de Dieu avec l’hu­ma­ni­té, l’Alliance dans le sang rédemp­teur du Christ, a son com­men­ce­ment. Elle com­mence avec une femme, avec la « femme », à l’Annonciation de Nazareth. C’est la nou­veau­té abso­lue de l’Evangile : en d’autres cir­cons­tances de l’Ancien Testament, pour inter­ve­nir dans l’his­toire de son Peuple, Dieu s’é­tait adres­sé à des femmes comme la mère de Samuel et la mère de Samson ; mais pour conclure son Alliance avec l’hu­ma­ni­té, il ne s’é­tait adres­sé qu’à des hommes : Noé, Abraham, Moïse. Au com­men­ce­ment de la Nouvelle Alliance, qui doit être éter­nelle et irré­vo­cable, il y a la femme, la Vierge de Nazareth. Il s’a­git d’un signe pour mon­trer que, « en Jésus Christ », « il n’y a plus ni homme ni femme » (Ga 3, 28). En lui, l’op­po­si­tion réci­proque entre l’homme et la femme _​héri­tage du péché ori­gi­nel _​est fon­da­men­ta­le­ment sur­mon­tée. « Tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus », écri­ra l’Apôtre (Ga 3, 28).

Ces paroles se réfèrent à l”«unité des deux » ori­gi­nelle qui est liée à la créa­tion de l’être humain, homme et femme, à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, sur le modèle de la com­mu­nion abso­lu­ment par­faite de Personnes qu’est Dieu lui même. L’expression pau­li­nienne constate que le mys­tère de la Rédemption de l’homme en Jésus Christ, Fils de Marie, reprend et renou­velle ce qui, dans le mys­tère de la créa­tion, cor­res­pon­dait au des­sein éter­nel de Dieu Créateur. C’est pré­ci­sé­ment pour­quoi, le jour de la créa­tion de l’être humain comme homme et femme, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31). La Rédemption réta­blit en un sens à sa racine même le bien qui a été essen­tiel­le­ment « amoin­dri » par le péché et par son héri­tage dans l’his­toire de l’homme.

La « femme » du pro­té­van­gile est ins­crite dans la pers­pec­tive de la Rédemption. La com­pa­rai­son entre Eve et Marie peut se com­prendre aus­si dans le sens que Marie assume en elle-​même et fait sien le mys­tère de la « femme » dont le com­men­ce­ment est Eve, « la mère de tous les vivants » (Gn 3, 20): avant tout, elle l’as­sume et le fait sien à l’in­té­rieur du mys­tère du Christ, « nou­vel et der­nier Adam » (cf. 1 Co 15, 45), qui a assu­mé en sa per­sonne la nature du pre­mier Adam. La nature de la Nouvelle Alliance réside dans le fait que le Fils de Dieu, consub­stan­tiel au Père éter­nel, devient homme : il accueille l’hu­ma­ni­té dans l’u­ni­té de la Personne divine du Verbe. Celui qui accom­plit la Rédemption est en même temps un vrai homme. Le mys­tère de la Rédemption du monde sup­pose que Dieu le Fils a assu­mé l’hu­ma­ni­té comme héri­tage d’Adam, deve­nant sem­blable à lui et à tout homme en toute chose, « à l’ex­cep­tion du péché » (He 4, 15). Il a ain­si « mani­fes­té plei­ne­ment l’homme à lui-​même et lui a décou­vert la subli­mi­té de sa voca­tion », comme l’en­seigne le Concile Vatican II [36]. En un sens, il a aidé à redé­cou­vrir « qui est l’homme » (cf. Ps 8, 5).

Auprès de toutes les géné­ra­tions, dans la tra­di­tion de la foi et de la réflexion chré­tienne sur la foi, le rap­pro­che­ment entre Adam et le Christ va sou­vent de pair avec le rap­pro­che­ment entre Eve et Marie. Si Marie est aus­si décrite comme la « nou­velle Eve », quelle peut être la signi­fi­ca­tion de cette ana­lo­gie ? Elle est assu­ré­ment mul­tiple. Il faut s’ar­rê­ter en par­ti­cu­lier sur le sens qui voit en Marie la pleine révé­la­tion de tout ce qui est com­pris dans le mot biblique « femme », une révé­la­tion à la mesure du mys­tère de la Rédemption. Marie signi­fie, en un sens, dépas­ser les limites dont parle le Livre de la Genèse (3, 16) et reve­nir vers le « com­men­ce­ment » où l’on retrouve la « femme » telle qu’elle fut vou­lue dans la créa­tion et donc dans la pen­sée éter­nelle de Dieu, au sein de la très sainte Trinité. Marie est « le nou­veau com­men­ce­ment » de la digni­té et de la voca­tion de la femme [37], de toutes les femmes et de cha­cune d’entre elles.

La clé pour com­prendre cela peut se trou­ver en par­ti­cu­lier dans les paroles pla­cées par l’é­van­gé­liste sur les lèvres de Marie après l’Annonciation, lors de sa visite à Elisabeth : « Il a fait pour moi de grandes choses » (Lc 1, 49). Ces paroles concernent évi­dem­ment la concep­tion de son Fils, qui est le « Fils du Très-​Haut » (Lc 1, 32), le « saint » de Dieu ; mais en même temps elles peuvent signi­fier aus­si la décou­verte du carac­tère fémi­nin de son huma­ni­té. « Le Tout-​Puissant a fait pour moi de grandes choses » : telle est la décou­verte de toute la richesse, de toutes les res­sources per­son­nelles de la fémi­ni­té, de l’o­ri­gi­na­li­té éter­nelle de la « femme » telle que Dieu l’a vou­lue, per­sonne en elle-​même, qui se trouve en même temps « par le don dés­in­té­res­sé d’elle-​même ».
Cette décou­verte va de pair avec la conscience claire du don, de la lar­gesse faite par Dieu. Dès le « com­men­ce­ment », le péché avait obscurci

cette conscience, en un sens il l’a­vait étouf­fée, comme le montre la des­crip­tion de la pre­mière ten­ta­tion venant du « père du men­songe » (cf. Gn 3, 1–5). A l’a­vè­ne­ment de la « plé­ni­tude du temps » (cf. Ga 4, 4), alors que com­mence à s’ac­com­plir dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té le mys­tère de la Rédemption, cette conscience sur­git avec toute sa force dans les paroles de la « femme » biblique de Nazareth. En Marie, Eve redé­couvre la véri­table digni­té de la femme, de l’hu­ma­ni­té fémi­nine. Cette décou­verte doit conti­nuel­le­ment atteindre le cœur de chaque femme et don­ner un sens à sa voca­tion et à sa vie.

V – JESUS CHRIST

« Ils s’é­ton­naient qu’il par­lât à une femme »

12. Les paroles du pro­té­van­gile dans le Livre de la Genèse nous per­mettent de reve­nir à l’Evangile. La rédemp­tion de l’homme qui y est annon­cée devient ici une réa­li­té en la per­sonne et en la mis­sion de Jésus Christ, dans les­quelles nous décou­vrons éga­le­ment ce que la réa­li­té de la Rédemption signi­fie pour la digni­té et la voca­tion de la femme. Cette signi­fi­ca­tion appa­raît sur­tout dans les paroles du Christ et dans toute son atti­tude à l’é­gard des femmes, atti­tude extrê­me­ment simple et, pour cette rai­son, extra­or­di­naire si l’on tient compte de son époque : c’est une atti­tude carac­té­ri­sée par une grande pro­fon­deur et une grande trans­pa­rence. Au cours de la mis­sion de Jésus de Nazareth, un cer­tain nombre de femmes appa­raissent sur son che­min, et sa ren­contre avec cha­cune d’elles illustre cette « vie nou­velle » évan­gé­lique à laquelle nous avons déjà fait allusion.

Il est uni­ver­sel­le­ment admis _​et cela même par ceux qui ont une atti­tude cri­tique à l’é­gard du mes­sage chré­tien _​que le Christ s’est fait auprès de ses contem­po­rains l’a­vo­cat de la vraie digni­té de la femme et de la voca­tion que cette digni­té implique. Cela pro­vo­quait par­fois de l’é­ton­ne­ment, de la sur­prise, sou­vent cela fri­sait le scan­dale : « Ils s’é­ton­naient qu’il par­lât à une femme » (Jn 4, 27), parce que c’é­tait un com­por­te­ment dif­fé­rent de celui de ses contem­po­rains. Même les dis­ciples du Christ « s’é­ton­naient ». Le pha­ri­sien chez qui la femme péche­resse était entrée pour répandre de l’huile par­fu­mée sur les pieds de Jésus « se dit en lui-​même : « Si cet homme était pro­phète, il sau­rait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une péche­resse »» (Lc 7, 39). Quant aux paroles du Christ : « Les publi­cains et les pros­ti­tuées arrivent avant vous au Royaume de Dieu » (Mt 21, 31), elles devaient sus­ci­ter encore davan­tage de stu­peur ou même pro­vo­quer une « sainte indi­gna­tion » chez ses audi­teurs tout pleins d’eux-mêmes.

Celui qui par­lait et agis­sait ain­si fai­sait com­prendre que « les secrets du Royaume » lui étaient tout à fait connus. Lui-​même éga­le­ment « connais­sait ce qu’il y avait dans l’homme » (Jn 2, 25), dans son être intime, dans son « cœur ». Il était le témoin du des­sein éter­nel de Dieu à l’é­gard de l’être humain créé par lui, homme et femme, à son image et à sa res­sem­blance. Il était éga­le­ment par­fai­te­ment conscient des consé­quences du péché, de ce « mys­tère d’i­ni­qui­té » à l’œuvre dans le cœur de l’homme, y pro­vo­quant, comme un fruit amer, l’obs­cur­cis­se­ment de l’i­mage de Dieu. Qu’il est signi­fi­ca­tif le fait que, dans l’im­por­tant entre­tien sur le mariage et son indis­so­lu­bi­li­té, Jésus fasse réfé­rence au « com­men­ce­ment » devant ses inter­lo­cu­teurs qui connais­saient la Loi en pro­fes­sion­nels : « les scribes » ! La ques­tion posée est celle du droit de l”«homme » de « répu­dier sa femme pour n’im­porte quel motif » (Mt 19, 3); et donc aus­si du droit de la femme, de sa juste place dans le mariage, de sa digni­té. Les inter­lo­cu­teurs pensent avoir pour eux la légis­la­tion de Moïse en vigueur en Israël : « Moïse a pres­crit de don­ner un acte de divorce quand on répu­die » (cf. Mt 19, 7). Jésus répond : « C’est en rai­son de votre dure­té de cœur que Moïse vous a per­mis de répu­dier vos femmes ; mais dès l’o­ri­gine il n’en fut pas ain­si » (Mt 19, 8). Jésus se réfère au « com­men­ce­ment », à la créa­tion de l’être humain comme homme et comme femme, et à la dis­po­si­tion de Dieu qui a pour fon­de­ment le fait que tous les deux ont été créés « à son image et à sa res­sem­blance ». C’est pour­quoi, lorsque l’homme « quitte son père et sa mère » pour s’at­ta­cher à sa femme, au point que les deux deviennent « une seule chair », la loi qui vient de Dieu lui-​même demeure en vigueur : « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le sépa­rer » (Mt 19, 6).

Le prin­cipe de cet « ethos », ins­crit depuis le début dans la réa­li­té de la créa­tion, est main­te­nant confir­mé par le Christ à l’en­contre de la tra­di­tion qui était dis­cri­mi­na­toire à l’é­gard de la femme. Dans cette tra­di­tion, c’é­tait l’homme qui « domi­nait » sans tenir suf­fi­sam­ment compte de la femme et de la digni­té que l”« ethos » de la créa­tion a mis à la base des rap­ports réci­proques des deux per­sonnes unies dans le mariage. Cet « ethos » est rap­pe­lé et confir­mé par les paroles du Christ : c’est l”«ethos » de l’Evangile et de la rédemption.

Les femmes de l’Évangile 

13. Quand on par­court les pages de l’Evangile, un grand nombre de femmes, diverses par l’age et la condi­tion, défilent sous nos yeux. Nous ren­con­trons des femmes atteintes par la mala­die ou par les souf­frances phy­siques, comme la femme qui avait « un esprit qui la ren­dait infirme ; elle était toute cour­bée et ne pou­vait abso­lu­ment pas se redres­ser » (cf. Lc 13, 11), comme la belle-​mère de Simon qui était « au lit avec la fièvre » (Mc 1, 30), ou comme la femme « atteinte d’un flux de sang » (cf. Mc 5, 25–34) qui ne pou­vait tou­cher per­sonne parce qu’on esti­mait qu’à son contact l’homme deve­nait « impur ». Chacune d’elles fut gué­rie, et la der­nière, l’hé­mor­roïsse, qui tou­cha le man­teau de Jésus « dans la foule » (Mc 5, 27), fut louée par lui pour sa grande foi : « Ta foi t’a sau­vée » (Mc 5, 34). Il y a aus­si la fille de Jaïre que Jésus ramène à la vie en s’a­dres­sant à elle avec ten­dresse : « Fillette, je te le dis, lève-​toi ! » (Mc 5, 41). C’est encore la veuve de Naïn, dont Jésus ramène le fils unique à la vie en joi­gnant à son geste l’ex­pres­sion d’une affec­tueuse com­pas­sion : il « eut pitié d’elle et lui dit : « Ne pleure pas »» (Lc 7, 13). Enfin, c’est la Cananéenne, une femme qui s’at­tire de la part du Christ des paroles d’es­time par­ti­cu­lière pour sa foi, son humi­li­té et la gran­deur d’âme dont seul un cœur de mère est capable : « O femme, grande est ta foi ! Qu’il advienne selon ton désir ! » (Mt 15, 28). La femme cana­néenne deman­dait la gué­ri­son de sa fille.

Parfois les femmes que Jésus ren­con­trait, et qui rece­vaient de lui des grâces abon­dantes, l’ac­com­pa­gnaient alors qu’il par­cou­rait avec ses dis­ciples villes et vil­lages, annon­çant l’Evangile du Royaume de Dieu ; et « elles les assis­taient de leurs biens ». L’Evangile nomme, entre autres, Jeanne, femme de l’in­ten­dant d’Hérode, Suzanne et « plu­sieurs autres » (cf. Lc 8, 1–3).

Des figures de femmes appa­raissent par­fois dans les para­boles dont Jésus de Nazareth ill­lus­trait la véri­té sur le Royaume de Dieu à l’a­dresse de ses audi­teurs. C’est le cas des para­boles de la drachme per­due (cf. Lc 15, 8–10), du levain (cf. Mt 13, 33), des vierges sages et des vierges folles (cf. Mt 25, 1–13). Le récit de l’o­bole de la veuve est par­ti­cu­liè­re­ment élo­quent. Alors que « les riches … met­taient leurs offrandes dans le tré­sor…, une veuve indi­gente y mit deux pié­cettes ». Jésus dit alors : « Cette pauvre veuve a mis plus qu’eux tous…; elle, de son indi­gence a mis tout ce qu’elle avait pour vivre » (Lc 21, 1–4). Jésus la donne ain­si en exemple à tous et il la défend parce que, dans le sys­tème social et juri­dique de ce temps, les veuves étaient tota­le­ment sans défense (cf. aus­si Lc 18, 1–7).

Dans tout l’en­sei­gne­ment de Jésus, et aus­si dans son com­por­te­ment, on ne trouve rien qui reflète la dis­cri­mi­na­tion de la femme habi­tuelle à son époque. Au contraire, ses paroles et ses actes expriment tou­jours le res­pect et l’hon­neur dus à la femme. La femme cour­bée est appe­lée « fille d’Abraham » (Lc 13, 16), alors que dans toute la Bible le titre de « fils d’Abraham » n’est attri­bué qu’aux hommes. Parcourant le che­min de Croix jus­qu’au Golgotha, Jésus dira aux femmes : « Filles de Jérusalem, ne pleu­rez pas sur moi » (Lc 23, 28). Cette façon de par­ler des femmes et aux femmes, ain­si que la façon de les trai­ter, consti­tue clai­re­ment une « nou­veau­té » par rap­port aux moeurs pré­va­lant alors.

C’est encore plus mani­feste quand il s’a­git de ces femmes que l’o­pi­nion dési­gnait cou­ram­ment avec mépris comme des péche­resses, des péche­resses publiques et des adul­tères. Par exemple, la Samaritaine, à qui Jésus déclare : « En réa­li­té, tu as eu cinq maris et l’homme que tu as main­te­nant n’est pas ton mari ». Et elle, com­pre­nant qu’il connais­sait les secrets de sa vie, recon­naît en lui le Messie et court l’an­non­cer à ses com­pa­triotes. Le dia­logue qui pré­cède cette recon­nais­sance est un des plus beaux de l’Evangile (cf. Jn 4, 7–27).

Une autre péche­resse publique, mal­gré la répro­ba­tion encou­rue dans l’o­pi­nion com­mune, entre dans la mai­son du pha­ri­sien pour répandre de l’huile par­fu­mée sur les pieds de Jésus. Celui-​ci dira d’elle à son hôte scan­da­li­sé par ce geste : « Ses nom­breux péchés lui sont remis, parce qu’elle a mon­tré beau­coup d’a­mour » (cf. Lc 7, 37–47).

Enfin, voi­ci le cas peut-​être le plus élo­quent : on amène à Jésus une femme sur­prise en adul­tère. A la ques­tion pro­vo­ca­trice : « Dans la Loi, Moïse nous a pres­crit de lapi­der ces femmes-​là. Toi donc, que dis-​tu ? », Jésus répond : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la pre­mière pierre ». Dans cette réponse, la den­si­té de véri­té était telle qu”«ils se reti­rèrent un à un, à com­men­cer par les plus vieux ». Seuls demeurent Jésus et la femme. « Où sont-​ils ? Personne ne t’a condam­née ? » _​« Personne, Seigneur ». _​« Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désor­mais, ne pèche plus » (cf. Jn 8, 3–11).

Ces épi­sodes consti­tuent un tableau d’en­semble très trans­pa­rent. Le Christ est celui qui « sait ce qu’il y a dans l’homme » (cf. Jn 2, 25), dans l’homme et la femme. Il connaît la digni­té de l’homme, sa valeur aux yeux de Dieu. Par son être même, le Christ confirme pour tou­jours cette valeur. Tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait a son accom­plis­se­ment défi­ni­tif dans le mys­tère pas­cal de la Rédemption. L’attitude de Jésus à l’é­gard des femmes ren­con­trées sur son che­min au cours de son minis­tère mes­sia­nique est le reflet de l’é­ter­nel des­sein de Dieu qui, en créant cha­cune d’elles, la choi­sit et l’aime dans le Christ (cf. Ep 1, 1–5). C’est pour­quoi cha­cune est cette « seule créa­ture sur terre que Dieu ait vou­lu pour elle-​même ». Chacune recoit éga­le­ment en héri­tage, dès le com­men­ce­ment, la digni­té de per­sonne en tant que femme. Jésus de Nazareth confirme cette digni­té, il la rap­pelle, la renou­velle, en fait une com­po­sante du mes­sage de l’Evangile et de la Rédemption pour lequel il est envoyé dans le monde. Il faut donc intro­duire dans la dimen­sion du mys­tère pas­cal cha­cune des paroles ou cha­cun des gestes du Christ à l’é­gard des femmes. Tout s’ex­plique bien ainsi.

La femme sur­prise en adultère 

14. Jésus entre dans la situa­tion his­to­rique concrète de la femme, situa­tion gre­vée par l’hé­ri­tage du péché. Cet héri­tage se tra­duit notam­ment par l’ha­bi­tude de dis­cri­mi­ner la femme à l’a­van­tage de l’homme, et elle en est mar­quée. A ce point de vue, l’é­pi­sode de la femme « sur­prise en adul­tère » (cf. Jn 8, 3–11) paraît d’une par­ti­cu­lière élo­quence. A la fin, Jésus lui dit : « Ne pèche plus », mais aupa­ra­vant il éveille la conscience du péché chez les hommes qui l’ac­cusent pour la lapi­der, et il mani­feste ain­si sa capa­ci­té pro­fonde de voir en véri­té les consciences et les œuvres des hommes. Jésus semble dire aux accu­sa­teurs : cette femme avec tout son péché ne fait-​elle pas appa­raître aus­si et sur­tout vos propres trans­gres­sions, votre injus­tice « mas­cu­line »,vos abus ?

Il y a là une véri­té qui vaut pour tout le genre humain. L’épisode que rap­porte l’Evangile de Jean peut se retrou­ver en d’in­nom­brables situa­tions du même genre à toutes les époques de l’his­toire. Une femme est lais­sée seule, elle est expo­sée à l’o­pi­nion publique avec « son péché », alors que der­rière son péché « à elle » se cache un homme pécheur, cou­pable « du péché d’au­trui », co-​responsable de ce péché. Et pour­tant, son péché ne retient pas l’at­ten­tion, il est pas­sé sous silence : il ne paraît pas res­pon­sable du « péché d’au­trui » ! Parfois, fer­mant les yeux sur son propre péché, il en arrive même à être l’ac­cu­sa­teur, comme dans l’é­pi­sode évo­qué. Que de fois la femme ne paie-​t-​elle pas de cette façon pour son péché (il se peut aus­si qu’elle soit, dans cer­tains cas, cou­pable du péché de l’homme en tant que « péché d’au­trui ») mais c’est elle qui paie, et elle paie seule ! Que de fois ne demeuret-​elle pas aban­don­née avec sa mater­ni­té, quand l’homme, le père de l’en­fant, ne veut pas en accep­ter la res­pon­sa­bi­li­té ? Et à côté des nom­breuses « mères céli­ba­taires » dans notre socié­té, il faut pen­ser aus­si à toutes celles qui, très sou­vent, sous diverses pres­sions, même de la part de l’homme cou­pable, « se libèrent » de l’en­fant avant la nais­sance. Elles « se libèrent », mais à quel prix ? L’opinion publique aujourd’­hui essaie de diverses manières « d’ef­fa­cer » le mal de ce péché ; mais géné­ra­le­ment, la conscience de la femme ne peut oublier qu’elle a ôté la vie à son enfant, parce qu’elle n’ar­rive pas à effa­cer sa dis­po­ni­bi­li­té à l’ac­cueil de la vie, ins­crite dans son « ethos » dès le « commencement ».

L’attitude de Jésus dans l’é­pi­sode rela­té en Jean 8, 3–11 est signi­fi­ca­tive. Il est peu de moments comme celui-​ci où se mani­feste son pou­voir _​le pou­voir de la véri­té _​vis-​à-​vis de la conscience humaine. Jésus est calme, recueilli, pen­sif. Sa conscience, ici comme dans l’en­tre­tien avec les pha­ri­siens (cf. Mt 19, 3–9), n’est-​elle pas toute proche du mys­tère du « com­men­ce­ment », lorsque l’être humain fut créé, homme et femme, et que la femme fut confiée à l’homme dans sa dif­fé­rence fémi­nine et aus­si avec sa capa­ci­té d’être mère ? L’homme aus­si fut confié à la femme par le Créateur. Ils furent mutuel­le­ment confiés l’un à l’autre comme per­sonnes faites à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu. C’est dans ce don mutuel que se mesure l’a­mour, l’a­mour conju­gal : pour deve­nir « un don dés­in­té­res­sé » de l’un à l’autre, il faut que cha­cun des deux se sente res­pon­sable de ce don. Cette mesure de l’a­mour les concerne tous les deux _​l’homme et la femme _​depuis le « com­men­ce­ment ». Après le péché ori­gi­nel, des forces contraires sont à l’œuvre au cœur de l’homme et de la femme, en rai­son de la triple concu­pis­cence, « source du péché ». Elles agissent en l’homme au plus pro­fond de lui-​même. C’est pour cela que Jésus dira dans le Discours sur la mon­tagne : « Quiconque regarde une femme pour la dési­rer a déjà com­mis, dans son cœur, l’a­dul­tère avec elle » (Mt 5, 28). Ces paroles, qui s’a­dressent direc­te­ment à l’homme, montrent la vraie pro­fon­deur de sa res­pon­sa­bi­li­té à l’é­gard de la femme, en rai­son de sa digni­té, de sa mater­ni­té et de sa voca­tion. Mais elles concernent aus­si indi­rec­te­ment la femme. Le Christ fai­sait tout son pos­sible pour que _​dans le cadre des usages du temps et des rela­tions sociales d’a­lors _​les femmes puissent retrou­ver dans son ensei­gne­ment et dans sa façon d’a­gir leur per­son­na­li­té et leur digni­té. Sur la base de l’é­ter­nelle « uni­té des deux », cette digni­té dépend direc­te­ment de la femme elle-​même, en tant que sujet plei­ne­ment res­pon­sable, et elle est en même temps « don­née comme un devoir » à l’homme. Le Christ en appelle logi­que­ment à la res­pon­sa­bi­li­té de l’homme. Dans cette médi­ta­tion sur la digni­té et la voca­tion de la femme, il nous faut néces­sai­re­ment aujourd’­hui nous réfé­rer à la façon dont l’Evangile pose le pro­blème. La digni­té de la femme et sa voca­tion _​comme, du reste, celles de l’homme _​trouvent leur source éter­nelle dans le cœur de Dieu et, dans les condi­tions his­to­riques de l’exis­tence humaine, elles sont étroi­te­ment liées à l”«unité des deux ». C’est pour­quoi tout homme doit consi­dé­rer en lui-​même si celle qui lui est confiée comme une soeur dans la même huma­ni­té, étant son épouse, n’est pas deve­nue dans son cœur un objet d’a­dul­tère ; si celle qui, de diverses façons, est le cosu­jet de son exis­tence dans le monde, n’est pas deve­nue pour lui un « objet » : objet de jouis­sance, objet d’exploitation.

Gardiennes du mes­sage évangélique 

15. La façon d’a­gir du Christ, l’Evangile de ses œuvres et de ses paroles, est une pro­tes­ta­tion cohé­rente contre ce qui offense la digni­té de la femme. C’est pour­quoi les femmes qui se trouvent dans l’en­tou­rage du Christ se redé­couvrent elles-​mêmes dans la véri­té qu’il « enseigne » et qu’il « fait », même lorsque c’est une véri­té sur leur « condi­tion de péche­resse ». Elles se sentent « libé­rées » par cette véri­té, ren­dues à elles-​mêmes : elles se sentent aimées d’un « amour éter­nel », d’un amour qui trouve une expres­sion directe dans le Christ lui-​même. Dans le champ d’ac­tion du Christ, leur posi­tion sociale se trans­forme. Elles sentent que Jésus leur parle de ques­tions qui, à cette époque, ne se trai­taient pas avec des femmes. L’exemple en un sens le plus signi­fi­ca­tif à ce sujet est celui de la Samaritaine près du puits de Sichem. Jésus _​qui sait qu’elle est péche­resse et le lui dit _​parle avec elle des plus pro­fonds mys­tères de Dieu. Il lui parle du don infi­ni de l’a­mour de Dieu, qui est comme la « source d’eau jaillis­sant en vie éter­nelle » (Jn 4, 14). Il lui parle de Dieu qui est Esprit et de l’a­do­ra­tion vraie que le Père est en droit de rece­voir en esprit et en véri­té (cf. Jn 4, 24). Il lui révèle enfin qu’il est le Messie pro­mis à Israël (cf. Jn 4, 26).

C’est là un évé­ne­ment sans pré­cé­dent : cette femme, et, qui plus est, « femme-​pécheresse », devient « dis­ciple » du Christ ; et même, après l’a­voir recon­nu, elle annonce le Christ aux habi­tants de Samarie, de telle sorte qu’eux aus­si l’ac­cueillent avec foi (cf. Jn 4, 39–42). Un évé­ne­ment sans pré­cé­dent, si l’on consi­dère la façon habi­tuelle dont ceux qui ensei­gnaient en Israël trai­taient les femmes, tan­dis que, dans le com­por­te­ment de Jésus de Nazareth, un tel évé­ne­ment devient nor­mal. A ce sujet, les deux soeurs de Lazare méritent aus­si une men­tion spé­ciale : « Jésus aimait Marthe et sa soeur [Marie] et Lazare » (Jn 11, 5). Marie « écou­tait la parole » de Jésus : quand il va les trou­ver chez elles, il décrit lui-​même le com­por­te­ment de Marie comme « la meilleure part » par rap­port au sou­ci des affaires domes­tiques que montre Marthe (cf. Lc 10, 38–42). Dans une autre cir­cons­tance, cette même Marthe _​après la mort de Lazare _​devient l’in­ter­lo­cu­trice du Christ : l’en­tre­tien porte sur les plus pro­fondes véri­tés de la révé­la­tion et de la foi. « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » _​« Ton frère res­sus­ci­te­ra » _​« Je sais qu’il res­sus­ci­te­ra au der­nier jour ». Jésus lui dit : « Je suis la résur­rec­tion et la vie ; qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et qui­conque vit et croit en moi, ne mour­ra jamais. Le crois-​tu ? » _​« Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde » (Jn 11, 21–27). Après cette pro­fes­sion de foi, Jésus res­sus­cite Lazare. Cet entre­tien avec Marthe est éga­le­ment un des plus impor­tants de l’Evangile.

Le Christ parle aux femmes des choses de Dieu et elles les com­prennent, dans une récep­ti­vi­té authen­tique de l’es­prit et du cœur, dans une démarche de foi. Devant cette réponse tel­le­ment « fémi­nine », Jésus montre son estime et son admi­ra­tion, comme dans le cas de la Cananéenne (cf. Mt 15, 28). Parfois, il donne en exemple cette grande foi impré­gnée d’a­mour : en somme, il donne un ensei­gne­ment à par­tir de cette adhé­sion fémi­nine de l’es­prit et du cœur. Ainsi en est-​il pour la femme « péche­resse» ; il part de son com­por­te­ment dans la mai­son du pha­ri­sien pour expli­quer ce qu’est la rémissíon des péchés : « Ses nom­breux péchés lui sont remis, parce qu’elle a mon­tré beau­coup d’a­mour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d’a­mour » (Lc 7, 47). A l’oc­ca­sion d’une autre onc­tion, Jésus prend la défense de la femme et de son geste devant ses dis­ciples et en par­ti­cu­lier devant Judas : « Pourquoi tracassez-​vous cette femme ? C’est vrai­ment une bonne œuvre qu’elle a accom­plie pour moi… Si elle a répan­du ce par­fum sur mon corps, c’est pour m’en­se­ve­lir qu’elle l’a fait. En véri­té, je vous le dis, par­tout où sera pro­cla­mé cet Evangile, dans le monde entier, on redi­ra aus­si, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire » (Mt 26, 6–13).
En réa­li­té, non seule­ment les Evangiles racontent ce qu’a fait cette femme à Béthanie, dans la mai­son de Simon le lépreux, mais ils mettent en relief le fait que, au moment de l’é­preuve défi­ni­tive et déter­mi­nante pour toute la mis­sion mes­sia­nique de Jésus de Nazareth, ce sont avant tout les femmes qui se sont trou­vées au pied de la croix. Parmi les Apôtres, seul Jean est res­té fidèle. Par contre les femmes sont nom­breuses. Il y avait non seule­ment la Mère du Christ et la « soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala » (Jn 19, 25), mais « il y avait là de nom­breuses femmes qui regar­daient à dis­tance, celles-​là mêmes qui avaient sui­vi Jésus depuis la Galilée et le ser­vaient » (Mt 27, 55). On voit qu’au cours de cette épreuve de la foi et de la fide­li­té, qui fut la plus dure, les femmes se mon­trèrent plus fortes que les Apôtres : en ces moments de dan­ger, celles qui « aiment beau­coup » réus­sissent à vaincre la peur. Auparavant, il y avait eu les femmes sur le che­min du Calvaire, « qui se frap­paient la poi­trine et se lamen­taient sur lui » (Lc 23, 27). Avant elles encore, il y avait eu la femme de Pilate qui avait aver­ti son mari : « Ne te mêle point de l’af­faire de ce juste ; car aujourd’­hui j’ai été très affec­tée dans un songe à cause de lui » (Mt 27 19).

Premiers témoins de la Résurrection 

16. Depuis le com­men­ce­ment de la mis­sion du Christ, la femme montre à son égard et à l’é­gard de tout son mys­tère une sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière qui cor­res­pond à l’une des carac­té­ris­tiques de sa fémi­ni­té. Il convient de rele­ver en outre que cela est confir­mé par­ti­cu­liè­re­ment face au mys­tère pas­cal, non seule­ment au moment de la cru­ci­fixion, mais encore à l’aube de la résur­rec­tion. Les femmes sont les pre­mières près du tom­beau. Elles sont les pre­mières à le trou­ver vide. Elles sont les pre­mières à entendre : « Il n’est pas ici, car il est res­sus­ci­té comme il l’a­vait dit » (Mt 28, 6). Elles sont les pre­mières à étreindre ses pieds (cf. Mt 28, 9). Elles sont aus­si les pre­mières appe­lées à annon­cer cette véri­té aux Apôtres (cf. Mt 28, 1–10 ; Lc 24, 8–11). L’Evangile de Jean (cf. aus­si Mc 16, 9) met en relief le role par­ti­cu­lier de Marie de Magdala. Elle est la pre­mière à ren­con­trer le Christ res­sus­ci­té. D’abord elle croit que c’est le gar­dien du jar­din ; elle le recon­naît seule­ment quand il l’ap­pelle par son nom. « Jésus lui dit : « Marie ». Se retour­nant, elle lui dit alors en hébreu : « Rabbouni ! », ce qui veut dire : « Maître ». Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore mon­té vers le Père. Mais va trou­ver mes frères et dis-​leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Marie de Magdala vient annon­cer aux dis­ciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit cela » (Jn 20, 16–18).

C’est pour cela qu’on l’a même appe­lée « l’a­pôtre des Apôtres » [38]. Marie de Magdala fut, avant les Apôtres, témoin ocu­laire du Christ res­sus­ci­té et, pour cette rai­son, elle fut aus­si la pre­mière à lui rendre témoi­gnage devant les Apotres. Cet évé­ne­ment, en un sens, est comme le cou­ron­ne­ment de tout ce qui a été dit pré­cé­dem­ment sur la trans­mis­sion par le Christ de la véri­té divine aux femmes, sur un pied d’é­ga­li­té avec les hommes. On peut dire que les paroles du Prophète sont ain­si accom­plies : « Je répan­drai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles pro­phé­ti­se­ront » (Jl 3, 1). Cinquante jours après la résur­rec­tion du Christ, ces paroles sont encore une fois confir­mées au Cénacle de Jérusalem, à la des­cente de l’Esprit Saint, le Paraclet (cf. Ac 2, 17).

Tout ce qui a été dit ici sur l’at­ti­tude du Christ à l’é­gard des femmes confirme et éclaire dans l’Esprit Saint la véri­té sur l’é­ga­li­té de l’homme et de la femme. On doit par­ler d’une radi­cale « pari­té » : étant don­né que tous deux _​la femme comme l’homme _​sont créés à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, tous deux sont au même titre sus­cep­tibles de béné­fi­cier de la véri­té divine et de l’a­mour dans l’Esprit Saint. L’un et l’autre accueillent sa « venue » sal­vi­fique et sanctifiante.

Le fait d’être homme ou femme n’en­traîne en cela aucune res­tric­tion, de même que cette action sal­vi­fique et sanc­ti­fiante de l’Esprit chez l’homme n’est aucu­ne­ment limi­tée par le fait qu’il soit Juif ou Grec, esclave ou libre, sui­vant les paroles bien connues de l’Apôtre : « Car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28). Cette uni­té ne sup­prime pas les dif­fé­rences. L’Esprit Saint, qui opère cette uni­té dans l’ordre sur­na­tu­rel de la grâce sanc­ti­fiante, contri­bue dans la même mesure au fait que « vos fils pro­phé­tisent » comme aus­si « vos filles ». « Prophétiser », cela veut dire expri­mer par la parole et par la vie « les mer­veilles de Dieu » (cf. Ac 2, 11), en sau­ve­gar­dant la véri­té et l’o­ri­gi­na­li­té de chaque per­sonne, homme ou femme. L”«égalité » évan­gé­lique, la « pari­té » de la femme et de l’homme vis-​à-​vis des « mer­veilles de Dieu », telle qu’elle s’est mani­fes­tée d’une manière si claire dans les œuvres et les paroles de Jésus de Nazareth, consti­tue le fon­de­ment le plus évident de la digni­té et de la voca­tion de la femme dans l’Eglise et dans le monde. Toute voca­tion a un sens pro­fon­dé­ment per­son­nel et pro­phé­tique. Dans la voca­tion ain­si com­prise, la per­son­na­li­té de la femme trouve une dimen­sion nou­velle : c’est la dimen­sion des « mer­veilles de Dieu » dont la femme devient le vivant sujet et le témoin irremplaçable.

VI – MATERNITÉ – VIRGINITÉ

Deux dimen­sions de la voca­tion de la femme 

17. Il nous faut orien­ter main­te­nant notre médi­ta­tion vers la vir­gi­ni­té et la mater­ni­té, deux dimen­sions par­ti­cu­lières selon les­quelles se réa­lise la per­son­na­li­té fémi­nine. A la lumière de l’Evangile, elles trouvent la plé­ni­tude de leur sens et de leur valeur en Marie qui, Vierge, devint Mère du Fils de Dieu. Ces deux dimen­sions de la voca­tion fémi­nine se sont rejointes et unies en elle d’une manière excep­tion­nelle, de telle sorte que l’une n’a pas exclu l’autre mais l’a admi­ra­ble­ment com­plé­tée. Dans l’Evangile de Luc, le récit de l’Annonciation montre clai­re­ment que cela sem­blait impos­sible à la Vierge de Nazareth. Lorsqu’elle s’en­tend dire : « Voici que tu conce­vras dans ton sein et enfan­te­ras un fils, et tu l’ap­pel­le­ras du nom de Jésus », elle demande aus­si­tôt : « Comment cela sera-​t-​il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 31. 34). Dans l’ordre com­mun des choses, la mater­ni­té est le fruit de la « connais­sance » mutuelle de l’homme et de la femme dans l’u­nion matri­mo­niale. Marie, fer­me­ment réso­lue à conser­ver sa vir­gi­ni­té, pose la ques­tion au mes­sa­ger divin et en reçoit l’ex­pli­ca­tion : « L’Esprit Saint vien­dra sur toi» ; ta mater­ni­té ne sera pas la consé­quence d’une « connais­sance » matri­mo­niale, mais elle sera l’œuvre de l’Esprit Saint et la « puis­sance du Très-​Haut » éten­dra son « ombre » sur le mys­tère de la concep­tion et de la nais­sance du Fils. Comme Fils du Très-​Haut, il t’est don­né exclu­si­ve­ment par Dieu, de la manière que Dieu connaît. Marie a donc conser­vé la vir­gi­ni­té qu’elle expri­mait en disant : « Je ne connais pas d’homme » (cf. Lc 1, 34) et, en même temps, elle est deve­nue Mère. La vir­gi­ni­té et la mater­ni­té coexistent en elle : elles ne s’ex­cluent pas et ne s’im­posent pas réci­pro­que­ment des limites. Au contraire, la per­sonne de la Mère de Dieu nous aide tous _​par­ti­cu­liè­re­ment toutes les femmes _​à décou­vrir com­ment ces deux dimen­sions et ces deux voies dans la voca­tion de la femme, comme per­sonne, s’ex­pliquent et se com­plètent l’une l’autre.

Maternité

18. Pour prendre part à cette « décou­verte », il faut encore une fois appro­fon­dir la vraie nature de la per­sonne humaine rap­pe­lée par le Concile Vatican II. L’être humain _​que ce soit l’homme ou la femme _​est le seul au monde que Dieu ait vou­lu pour lui-​même : il est une per­sonne, un sujet qui décide lui-​même. En même temps, l’être humain « ne peut plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même » [39]. On a déjà dit que cette des­crip­tion, et même en un sens cette défi­ni­tion de la per­sonne cor­res­pond à la véri­té biblique fon­da­men­tale sur la créa­tion de l’homme _​homme et femme _​à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu. Ce n’est pas là une inter­pré­ta­tion pure­ment théo­rique, ou une défi­ni­tion abs­traite, car elle montre de manière essen­tielle ce que signi­fie être homme, en met­tant en relief la valeur du don de soi, de la per­sonne. Cette concep­tion de la per­sonne com­prend aus­si l’es­sence de l”«ethos » qui, en lien avec la véri­té de la créa­tion, sera déve­lop­pé plei­ne­ment par les livres de la Révélation et, en par­ti­cu­lier, par les Evangiles.

Cette véri­té sur la per­sonne ouvre aus­si la voie à une pleine com­pré­hen­sion de la mater­ni­té de la femme. La mater­ni­té est le fruit de l’u­nion matri­mo­niale d’un homme et d’une femme, de la « connais­sance » biblique qui cor­res­pond à « l’u­nion des deux dans la chair » (cf. Gn 2, 24) et réa­lise ain­si, de la part de la femme, un « don de soi » spé­cial, expres­sion de l’a­mour nup­tial dans lequel les époux s’u­nissent si étroi­te­ment qu’ils consti­tuent « une seule chair ». La « connais­sance » biblique ne se réa­lise selon la véri­té de la per­sonne que lorsque le don de soi réci­proque n’est pas dévié Par le désir de l’homme de deve­nir « maître » de son épouse (« lui domi­ne­ra sur toi ») ni par le fait, chez la femme, d’en res­ter à ses propres ins­tincts (« le désir te por­te­ra vers ton mari » : Gn 3, 16).

Le don réci­proque des per­sonnes dans le mariage s’ouvre au don d’une nou­velle vie, d’un nou­vel être humain qui est aus­si une per­sonne comme ses parents. La mater­ni­té com­porte dès son ori­gine une ouver­ture par­ti­cu­lière à cette per­sonne nou­velle : c’est jus­te­ment là le « rôle » de la femme. Dans cette ouver­ture, dans la concep­tion et l’en­fan­te­ment, la femme « se trouve par le don dés­in­té­res­sé d’elle-​même ». Le don de la dis­po­ni­bi­li­té inté­rieure à accep­ter l’en­fant et à le mettre au monde est lié à l’u­nion matri­mo­niale qui, comme on l’a dit, devrait consti­tuer un moment par­ti­cu­lier du don de soi réci­proque de la part et de la femme et de l’homme. La concep­tion et la nais­sance d’un nou­vel être humain s’ac­com­pagnent, selon la Bible, de ces paroles de la femme-​mère : « J’ai acquis un homme de par le Seigneur » (Gn 4, 1). L’exclamation d’Eve, « mère de tous les vivants », se répète chaque fois que vient au monde un nou­vel être humain, elle exprime la joie de la femme et sa conscience de par­ti­ci­per au grand mys­tère de la géné­ra­tion éter­nelle. Les époux par­ti­cipent à la puis­sance créa­trice de Dieu !
La mater­ni­té de la femme, dans la période allant de la concep­tion à la nais­sance de l’en­fant, est un pro­ces­sus bio-​physiologique et psy­chique qui est mieux connu de nos jours que dans le pas­sé et qui fait l’ob­jet de nom­breuses études appro­fon­dies. L’analyse scien­ti­fique confirme plei­ne­ment le fait que la consti­tu­tion phy­sique même de la femme et son orga­nisme com­portent en eux la dis­po­si­tion natu­relle à la mater­ni­té, à la concep­tion, à la ges­ta­tion et à l’ac­cou­che­ment de l’en­fant, par suite de l’u­nion nup­tiale avec l’homme. Cela cor­res­pond en même temps à la struc­ture psycho-​physique de la femme. Ce que disent à ce sujet les dif­fé­rentes branches de la science est impor­tant et utile, à condi­tion tou­te­fois de ne pas s’en tenir à une inter­pré­ta­tion exclu­si­ve­ment bio-​physiologique de la femme et de la mater­ni­té. Une image ain­si « réduite » irait dans le sens de la concep­tion maté­ria­liste de l’homme et du monde. Dans ce cas, on per­drait mal­heu­reu­se­ment ce qui est réel­le­ment essen­tiel : la mater­ni­té, en tant que fait et phé­no­mène humain, s’ex­plique plei­ne­ment à par­tir de la véri­té sur la per­sonne. La mater­ni­té est liée à la struc­ture per­son­nelle de l’être fémi­nin et à la dimen­sion per­son­nelle du don : « J’ai acquis un homme de par le Seigneur » (Gn 4, 1). Le Créateur fait aux parents le don de l’en­fant. Pour la femme, ce fait se relie d’une manière spé­ciale à « un don dés­in­té­res­sé de soi ». Les paroles de Marie à l’Annonciation : « Qu’il m’ad­vienne selon ta parole ! » (Lc 1, 38) signiflent la dis­po­ni­bi­li­té de la femme au don de soi et à l’ac­cueil de la vie nouvelle.

Dans la mater­ni­té de la femme, en union avec la pater­ni­té de l’homme, se reflète le mys­tère éter­nel de la géné­ra­tion qui est en Dieu lui-​même, en Dieu un et trine (cf. Ep 3, 14–15). L’engendrement humain est com­mun à l’homme et à la femme. Et si la femme, ins­pi­rée par l’a­mour envers son mari, lui dit : « Je t’ai don­né un fils », ses paroles signi­fient en même temps : « Voici notre fils ». Pourtant, même si tous deux sont ensemble les parents de leur enfant, la mater­ni­té de la femme consti­tue un « rôle » par­ti­cu­lier dans leur rôle com­mun de parents, et même le rôle le plus exi­geant. Etre parents, même si cela concerne l’un et l’autre, cela se réa­lise beau­coup plus en la femme, spé­cia­le­ment dans la période pré­na­tale. C’est la femme qui « paie » direc­te­ment le prix de cet engen­dre­ment com­mun où se consomment lit­té­ra­le­ment les éner­gies de son corps et de son âme. Il faut donc que l’homme ait plei­ne­ment conscience de contrac­ter une dette par­ti­cu­lière envers la femme, dans leur fonc­tion com­mune de parents. Aucun pro­gramme de « pari­té des droits » des femmes et des hommes n’est valable si cela n’est pas pris en compte d’une manière tout à fait centrale.

La mater­ni­té com­porte une com­mu­nion par­ti­cu­lière avec le mys­tère de la vie qui mûrit dans le sein de la femme : la mère admire ce mys­tère ; par son intui­tion unique, elle « com­prend » ce qui se pro­duit en elle. A la lumière du « com­men­ce­ment », la mère accepte et aime comme une per­sonne l’en­fant qu’elle porte dans son sein. Ce genre unique de contact avec le nou­vel être humain en ges­ta­tion crée, à son tour, une atti­tude envers l’homme _​non seule­ment envers son propre enfant mais envers l’homme en géné­ral _​de nature à carac­té­ri­ser pro­fon­dé­ment toute la per­son­na­li­té de la femme. On admet habi­tuel­le­ment que la femme est plus capable que l’homme d’at­ten­tion à la per­sonne humaine concrète, et que la mater­ni­té déve­loppe encore cette dis­po­si­tion. L’homme _​même s’il prend toute sa part dans cette fonc­tion des parents _​se trouve tou­jours « à l’ex­té­rieur » du pro­ces­sus de la ges­ta­tion et de la nais­sance de l’en­fant, et, à bien des égards, il lui faut apprendre de la mère sa propre « pater­ni­té ». Cela, peut-​on dire, entre dans le dyna­misme humain nor­mal de la fonc­tion des parents, même quand il s’a­git des étapes pos­té­rieures à la nais­sance de l’en­fant, spé­cia­le­ment dans la pre­mière période. L’éducation de l’en­fant, consi­dé­rée dans son ensemble, devrait inclure la double contri­bu­tion des parents : la contri­bu­tion mater­nelle et la contri­bu­tion pater­nelle. Cependant le rôle de la mère est déci­sif pour les fon­de­ments d’une per­son­na­li­té humaine nouvelle.

La mater­ni­té en rap­port avec l’Alliance 

19. Dans notre réflexion revient le para­digme biblique de la « femme » tiré du pro­té­van­gile. La « femme », comme mère et comme pre­mière édu­ca­trice de l’être humain (l’é­du­ca­tion est la dimen­sion spi­ri­tuelle de la fonc­tion de parents), a une prio­ri­té spé­ci­fique par rap­port à l’homme.

Si la mater­ni­té, avant tout dans son sens bio­phy­sique, dépend de l’homme, elle marque d’un « signe » essen­tiel tout le pro­ces­sus qui consiste à faire se déve­lop­per la per­son­na­li­té des fils et des filles nou­veaux du genre humain. La mater­ni­té de la femme dans son sens bio-​physique montre une appa­rente pas­si­vi­té : le pro­ces­sus de la for­ma­tion d’une nou­velle vie « se pro­duit » en elle, dans son orga­nisme, cepen­dant il se pro­duit avec la pro­fonde impli­ca­tion de cet orga­nisme. En même temps, la mater­ni­té, au sens per­son­nel et éthique, mani­feste une créa­ti­vi­té très impor­tante de la femme, dont dépend pour une part essen­tielle l’hu­ma­ni­té même du nou­vel être humain. Dans ce sens aus­si, la mater­ni­té de la femme exprime un appel et un défi par­ti­cu­liers qui s’a­dressent à l’homme et à sa paternité.

Le para­digme biblique de la « femme » atteint son som­met dans la materní­té de la Mère de Dieu. Les paroles du pro­té­van­gile : « Je met­trai une hos­ti­li­té entre toi et la femme », trouvent là une nou­velle confir­ma­tion. Dieu inau­gure une Nouvelle Alliance avec l’hu­ma­ni­té en elle, par son « fiat » mater­nel (« qu’il me soit fait »). C’est l’Alliance éter­nelle et défi­ni­tive dans le Christ, en son corps et son sang, dans sa Croix et sa Résurrection. Précisément parce que cette Alliance doit être accom­plie « dans la chair et le sang », elle com­mence dans la Mère. Grâce à elle seule­ment et grâce à son « fiat » vir­gi­nal et mater­nel, le « Fils du Très-​Haut » peut dire au Père : « Tu m’as façon­né un corps. Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volon­té » (cf. He 10, 5. 7).

La mater­ni­té de la femme a été intro­duite dans l’ordre de l’Alliance que Dieu a éta­blie avec l’homme en Jésus Christ. Et chaque fois, toutes les fois que la mater­ni­té de la femme se repro­duit sur la terre dans l’his­toire humaine, elle reste désor­mais tou­jours en rap­port avec l’Alliance que Dieu a éta­blie avec le genre humain grâce à la mater­ni­té de la Mère de Dieu.

Cette réa­li­té n’est-​elle pas démon­trée par la réponse que donne Jésus à l’ex­cla­ma­tion de cette femme qui, du milieu de la foule, le bénis­sait pour la mater­ni­té de celle qui l’a­vait enfan­té : « Heureuse la mère qui t’a por­té dans ses entrailles, et qui t’a nour­ri de son lait ! »? Jésus répond : « Heureux plu­tôt ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11, 27–28). Jésus confirme le sens de la mater­ni­té par rap­port au corps ; cepen­dant il en montre en même temps un sens plus pro­fond encore qui relève de l’ordre de l’es­prit : elle est signe de l’Alliance avec Dieu qui « est esprit » (Jn 4, 24). Telle est sur­tout la mater­ni­té de la Mère de Dieu. De même, la mater­ni­té de toute femme, com­prise à la lumière de l’Evangile, n’est pas seule­ment « de chair et de sang » : en elle s’ex­prime la pro­fonde « écoute de la parole du Dieu vivant » et la dis­po­ni­bi­li­té à « gar­der » cette parole, qui est « la parole de la vie éter­nelle » (cf. Jn 6, 68). En effet, ce sont jus­te­ment ceux qui naissent des mères ter­restres, les fils et les filles du genre humain, qui reçoivent du Fils de Dieu le pou­voir de deve­nir « enfants de Dieu » (Jn 1, 12). La dimen­sion de la Nouvelle Alliance dans le sang du Christ pénètre l’en­gen­dre­ment humain, en en fai­sant une réa­li­té et une tâche des « créa­tures nou­velles » (2 Co 5, 17). Du point de vue de l’his­toire de tout homme, la mater­ni­té de la femme est le pre­mier seuil dont le fran­chis­se­ment est aus­si la condi­tion de « la révé­la­tion des fils de Dieu » (cf. Rm 8, 19).

« La femme, sur le point d’ac­cou­cher, s’at­triste parce que son heure est venue ; mais lors­qu’elle a don­né le jour à l’en­fant, elle ne se sou­vient plus de ses dou­leurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde » (Jn 16, 21). Ces paroles du Christ, dans leur pre­mière par­tie, évoquent les « dou­leurs de l’en­fan­te­ment » qui appar­tiennent à l’hé­ri­tage du péché ori­gi­nel ; mais en même temps elles montrent le lien de la mater­ni­té de la femme avec le mys­tère pas­cal. En effet, dans ce mys­tère, il y a éga­le­ment la dou­leur de la Mère au pied de la Croix, de la Mère qui par­ti­cipe dans la foi au mys­tère bou­le­ver­sant du « dépouille­ment » de son propre Fils. « C’est là, sans doute, la « kénose » la plus pro­fonde de la foi dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té » [40].

En contem­plant cette Mère, à qui « une épée a trans­per­cé l’âme » (cf. Lc 2, 35), l’es­prit se tourne vers toutes les femmes qui souffrent dans le monde, qui souffrent phy­si­que­ment ou mora­le­ment. Dans cette souf­france, la sen­si­bi­li­té propre de la femme joue aus­si son rôle ; même si sou­vent elle sait mieux résis­ter à la souf­france que l’homme. Il est dif­fi­cile de faire le bilan de ces souf­frances, il est dif­fi­cile de les nom­mer toutes : on peut rap­pe­ler la pré­oc­cu­pa­tion mater­nelle pour les enfants, sur­tout quand ils sont malades ou qu’ils prennent une voie mau­vaise, la mort des per­sonnes les plus chères, la soli­tude des mères qu’ou­blient les enfants adultes ou celle des veuves, les souf­frances des femmes qui luttent seules pour sur­vivre et des femmes qui ont été lésées ou qui sont exploi­tées. Il y a enfin les souf­frances des consciences à cause du péché qui a bles­sé la digni­té humaine ou mater­nelle de la femme, les bles­sures des consciences qui ne se cica­trisent pas faci­le­ment. C’est aus­si avec ces souf­frances qu’il faut venir au pied de la Croix du Christ.

Mais les paroles de l’Evangile sur la femme qui éprouve de la tris­tesse lors­qu’est venue pour elle l’heure de don­ner le jour à son enfant expriment aus­si­tôt après la joie : c’est « la joie qu’un homme soit venu au monde ». Cette joie se rat­tache aus­si au mys­tère pas­cal, c’est-​à-​dire à la joie qui est don­née en par­tage aux Apôtres le jour de la Résurrection du Christ : « Vous aus­si, main­te­nant vous voi­là tristes » (ces paroles ont été pro­non­cées la veille de la pas­sion); « mais je vous ver­rai de nou­veau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’en­lè­ve­ra » (Jn 16, 22)

La vir­gi­ni­té pour le Royaume 

20. Dans l’en­sei­gne­ment du Christ, la mater­ni­té est rap­pro­chée de la vir­gi­ni­té, mais elle en est aus­si dis­tin­guée. A ce sujet, reste fon­da­men­tale la phrase pro­non­cée par Jésus et qui se trouve dans le contexte immé­diat du dia­logue sur le thème de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage. Ayant enten­du la réponse don­née aux pha­ri­siens, les dis­ciples disent au Christ : « Si telle est la condi­tion de l’homme envers la femme, il n’y a pas inté­rêt à se marier » (Mt 19, 10). Indépendamment du sens que l’ex­pres­sion « il n’y a pas inté­rêt » avait alors dans l’es­prit des dis­ciples, le Christ part de leur fausse opi­nion pour les ins­truire sur la valeur du céli­bat : il dis­tingue le céli­bat par suite de défi­ciences natu­relles, même pro­vo­quées par l’homme, du « céli­bat à cause du Royaume des Cieux ». Le Christ dit : « Et il y a des eunuques qui se sont ren­dus eux-​mêmes tels à cause du Royaume des Cieux » (Mt 19, 12). Il s’a­git donc d’un céli­bat libre, choi­si à cause du Royaume des Cieux, c’est-​à-​dire en rai­son de la voca­tion escha­to­lo­gique de l’homme à l’u­nion avec Dieu. Il ajoute ensuite : « Qui peut com­prendre, qu’il com­prenne ! », et ces paroles reprennent ce qu’il avait dit au début du dis­cours sur le céli­bat (cf. Mt 19, 11). C’est pour­quoi le céli­bat à cause du Royaume des Cieux est le fruit non seule­ment d’un libre choix de la part de l’homme, mais aus­si d’une grâce spé­ciale de la part de Dieu qui appelle une per­sonne déter­mi­née à vivre le céli­bat. Si c’est là un signe spé­cial du Royaume de Dieu qui doit venir, en même temps cela sert aus­si à consa­crer exclu­si­ve­ment au royaume escha­to­lo­gique, durant la vie tem­po­relle, toutes les forces de l’âme et du corps.

Les paroles de Jésus sont la réponse à la ques­tion des dis­ciples. Elles sont adres­sées direc­te­ment à ceux qui posaient la ques­tion : dans ce cas, c’é­taient des hommes. Néanmoins la réponse du Christ, en elle-​même, vaut pour les hommes comme pour les femmes. Dans ce contexte, elle montre l’i­déal évan­gé­lique de la vir­gi­ni­té, idéal qui repré­sente une réelle « nou­veau­té » par rap­port à la tra­di­tion de l’Ancien Testament. Cette tra­di­tion se reliait cer­tai­ne­ment en quelque manière à l’at­tente d’Israël, et spé­cia­le­ment de la femme en Israël : l’at­tente de la venue du Messie qui devait être du « lignage de la femme ». En effet, l’i­déal du céli­bat et de la vir­gi­ni­té pour une plus grande proxi­mi­té avec Dieu n’é­tait pas entiè­re­ment étran­ger à cer­tains milieux juifs, sur­tout à l’é­poque pré­cé­dant immé­dia­te­ment la venue de Jésus. Cependant le céli­bat pour le Royaume, c’est-​à-​dire la vir­gi­ni­té, est indé­nia­ble­ment une nou­veau­té liée à l’Incarnation de Dieu.

Depuis le temps de la venue du Christ, l’at­tente du Peuple de Dieu doit se tour­ner vers le Royaume escha­to­lo­gique qui vient et dans lequel le Christ lui-​même doit intro­duire « le nou­vel Israël ». Pour cette orien­ta­tion et ce chan­ge­ment des valeurs, en effet, une nou­velle prise de conscience dans la foi est néces­saire. Le Christ sou­ligne cela par deux fois : « Qui peut com­prendre, qu’il com­prenne ! » Seuls le com­prennent « ceux-​là à qui c’est don­né » (Mt 19, 11). Marie est la pre­mière per­sonne en qui s’est mani­fes­tée cette conscience nou­velle, car elle demande à l’Ange : « Comment cela sera-​t-​il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34). Même si elle est « fian­cée à un homme du nom de Joseph » (cf. Lc 1, 27), elle est fer­me­ment réso­lue à conser­ver sa vir­gi­ni­té, et la mater­ni­té qui s’ac­com­plit en elle pro­vient exclu­si­ve­ment de la « puis­sance du Très-​Haut », elle est le fruit de la venue de l’Esprit Saint sur elle (cf. Lc 1, 35). Cette mater­ni­té divine est donc la réponse tota­le­ment impré­vi­sible à l’at­tente humaine de la femme en Israël : elle sur­vient en Marie comme le don de Dieu lui-​même. Ce don est deve­nu le com­men­ce­ment et le pro­to­type d’une attente nou­velle de tous les hommes en fonc­tion de l’Alliance éter­nelle, en fonc­tion de la pro­messe nou­velle et défi­ni­tive de Dieu : il est signe de l’es­pé­rance eschatologique.

Fondé sur l’Evangile, le sens de la vir­gi­ni­té a été déve­lop­pé et appro­fon­di éga­le­ment comme une voca­tion de la femme, dans laquelle sa digni­té est confir­mée à l’i­mage de la Vierge de Nazareth. L’Evangile pro­pose l’i­déal de la consé­cra­tion de la per­sonne, ce qui signi­fie sa consé­cra­tion exclu­sive à Dieu fon­dée sur les conseils évan­gé­liques, en par­ti­cu­lier ceux de chas­te­té, de pau­vre­té et d’o­béis­sance. Leur par­faite incar­na­tion, c’est Jésus Christ lui-​même. Celui qui désire le suivre radi­ca­le­ment, choi­sit de mener sa vie sui­vant ces conseils. Ceux-​ci se dis­tinguent des com­man­de­ments et montrent au chré­tien la voie du carac­tère radi­cal de l’Evangile. Depuis les débuts du chris­tia­nisme, des hommes et des femmes avancent sur cette voie, étant don­né que l’i­déal évan­gé­lique s’a­dresse à l’être humain sans aucune dif­fé­rence de sexe.

Dans ce contexte plus large, il convient de consi­dé­rer la vir­gi­ni­té éga­le­ment comme une voie pour la femme, la voie sur laquelle, d’une manière dif­fé­rente du mariage, elle épa­nouit sa per­son­na­li­té de femme. Pour com­prendre cette voie il faut, une fois encore, recou­rir au prin­cipe fon­da­men­tal de l’an­thro­po­lo­gie chré­tienne. Dans la vir­gi­ni­té libre­ment choi­sie, la femme s’af­firme comme per­sonne, c’est-​à-​dire comme l’être que le Créateur a vou­lu pour lui-​même dès le com­men­ce­ment [41], et en même temps, elle exprime la valeur per­son­nelle de sa fémi­ni­té, deve­nant « don dés­in­té­res­sé » à Dieu qui s’est révé­lé dans le Christ, un don au Christ Rédempteur de l’homme et Epoux des âmes : un don « spon­sal ». On ne peut com­prendre cor­rec­te­ment la vir­gi­ni­té, la consé­cra­tion de la femme dans la vir­gi­ni­té, sans faire appel à l’a­mour spon­sal : c’est en effet dans cet amour que la per­sonne devient don pour l’autre [42]. On doit d’ailleurs com­prendre de manière ana­logue la consé­cra­tion de l’homme dans le céli­bat sacer­do­tal, ou dans l’é­tat religieux.

La pré­dis­po­si­tion innée de la per­son­na­li­té fémi­nine à la condi­tion d’é­pouse trouve une réponse dans la vir­gi­ni­té ain­si com­prise. La femme, appe­lée dès le « com­men­ce­ment » à être aimée et à aimer, ren­contre dans la voca­tion à la vir­gi­ni­té d’a­bord le Christ, le Rédempteur qui « aima jus­qu’à la fin » par le don total de lui-​même, et elle répond à ce don par le « don dés­in­té­res­sé » de toute sa vie. Elle se donne donc à l’Epoux divin, et le don de sa per­sonne tend à une union de carac­tère pro­pre­ment spi­ri­tuel : par l’ac­tion de l’Esprit Saint elle devient « un seul esprit » avec le Christ-​Epoux (cf. 1 Co 6, 17).

Tel est l’i­déal évan­gé­lique de la vir­gi­ni­té dans lequel se réa­lisent d’une manière spé­ciale à la fois la digni­té et la voca­tion de la femme. Dans la vir­gi­ni­té ain­si com­prise, s’ex­prime ce qu’on appelle le radi­ca­lisme de l’Evangile : tout lais­ser et suivre le Christ (cf. Mt 19, 17). On ne peut pas com­pa­rer cela au simple fait de res­ter céli­ba­taire, parce que la vir­gi­ni­té ne se limite pas au seul « non », mais elle com­porte un « oui » pro­fond dans l’ordre spon­sal : le don de soi pour aimer, de manière totale et sans partage.

La mater­ni­té spirituelle 

21. La vir­gi­ni­té, au sens de l’Evangile, com­porte le renon­ce­ment au mariage et donc éga­le­ment à la mater­ni­té phy­sique. Cependant le renon­ce­ment à ce type de mater­ni­té, qui peut impli­quer pour le cœur de la femme un grand sacri­fice, ouvre à l’ex­pé­rience d’une mater­ni­té dans un sens dif­fé­rent : c’est la mater­ni­té « selon l’es­prit » (cf. Rm 8, 4). La vir­gi­ni­té, en effet, ne prive pas la femme de ses carac­té­ris­tiques propres. La mater­ni­té spi­ri­tuelle revêt de mul­tiples formes. Dans la vie des femmes consa­crées, menée par exemple sui­vant le cha­risme et les règles des dif­fé­rents Instituts de carac­tère apos­to­lique, elle pour­ra s’ex­pri­mer par la sol­li­ci­tude pour les êtres humains, spé­cia­le­ment pour les plus dému­nis : les malades, les per­sonnes han­di­ca­pées, les aban­don­nés, les orphe­lins, les vieillards, les enfants, la jeu­nesse, les pri­son­niers et, d’une façon géné­rale, les per­sonnes mar­gi­na­li­sées. Une femme consa­crée retrouve ain­si l’Epoux, dif­fé­rent et unique en tous et en cha­cun, selon ses propres paroles : « Dans la mesure où vous l’a­vez fait à l’un de ces plus petits …, c’est à moi que vous l’a­vez fait » (Mt 25, 40). L’amour spon­sal com­porte tou­jours une dis­po­si­tion unique à être repor­té sur ceux qui se trouvent dans le champ de son action. Dans le mariage, cette dis­po­si­tion, tout en étant ouverte à tous, consiste par­ti­cu­liè­re­ment dans l’a­mour que les parents donnent à leurs enfants. Dans la vir­gi­ni­té, cette apti­tude ouvre à tous les hommes,objets de l’a­mour du Christ-Epoux.

Par rap­port au Christ, Rédempteur de tous et de cha­cun, l’a­mour spon­sal dont les vir­tua­li­tés mater­nelles résident dans le cœur de la femme, épouse vir­gi­nale, est prêt éga­le­ment à s’ou­vrir à tous et à cha­cun. Cela se réa­lise dans les Communautés reli­gieuses de vie apos­to­lique, et cela se réa­lise dif­fé­rem­ment dans les Communautés contem­pla­tives ou cloî­trées. Du reste, il existe encore d’autres formes de voca­tion à la vir­gi­ni­té pour le Royaume, par exemple les Instituts sécu­liers ou les Communautés de consa­crés qui fleu­rissent à l’in­té­rieur de Mouvements, de groupes et d’Associations : dans toutes ces réa­li­tés, la véri­table nature de la mater­ni­té spi­ri­tuelle des per­sonnes qui vivent dans la vir­gi­ni­té se retrouve de dif­fé­rentes manières. En tout état de cause, il s’a­git non seule­ment de formes de vie com­mu­nau­taires, mais aus­si de formes non com­mu­nau­taires. En somme, la vir­gi­ni­té, comme voca­tion de la femme, est tou­jours la voca­tión d’une per­sonne, d’une per­sonne concrète et unique. La mater­ni­té spi­ri­tuelle vécue selon cette voca­tion est donc pro­fon­dé­ment personnelle.

A par­tir de cela, on constate aus­si un rap­pro­che­ment spé­ci­fique entre la vir­gi­ni­té de la femme non mariée et la mater­ni­té de la femme mariée. Un tel rap­pro­che­ment ne va pas seule­ment de la mater­ni­té vers la vir­gi­ni­té, comme cela a été sou­li­gné ci-​dessus ; il va aus­si dans le sens de la vir­gi­ni­té vers le mariage enten­du comme une forme de la voca­tion de la femme dans laquelle elle devient mère des enfants nés de son sein. Le point de départ de cette deuxième ana­lo­gie est le sens des noces. En effet, la femme est « épou­sée » soit dans le sacre­ment du mariage, soit spi­ri­tuel­le­ment dans un mariage avec le Christ. Dans l’un et l’autre cas, le mariage montre le « don dés­in­té­res­sé de la per­sonne » de l’é­pouse à l’é­poux. C’est ain­si, peut-​on dire, que le sens du mariage se retrouve spi­ri­tuel­le­ment dans la vir­gi­ni­té. Et quand il s’a­git de la mater­ni­té phy­sique, ne doit-​elle pas être, elle aus­si, une mater­ni­té spi­ri­tuelle pour cor­res­pondre à la véri­table nature de l’homme qui est uni­té de corps et d’es­prit ? Il y a donc de nom­breuses rai­sons de voir dans ces deux voies dif­fé­rentes _​ces deux voca­tions pour la vie de la femme _​une com­plé­men­ta­ri­té pro­fonde, et même une pro­fonde uni­té inté­rieure dans l’être de la personne.

« Mes petits enfants, vous que j’en­fante à nou­veau dans le douleur »

22. L’Evangile révèle et per­met de com­prendre jus­te­ment cette manière d’être de la per­sonne humaine. L’Evangile aide toute femme et tout homme à la vivre et ain­si à s’é­pa­nouir. Il existe en effet une entière éga­li­té par rap­port aux dons de l’Esprit Saint, par rap­port aux « mer­veilles de Dieu » (Ac 2, 11). Et non seule­ment cela. Précisément, devant les « mer­veilles de Dieu » l’homme qu’est l’Apôtre res­sent le besoin de recou­rir à ce qui est par nature fémi­nin pour expri­mer la véri­té de son ser­vice apos­to­lique. C’est ain­si qu’a­git Paul de Tarse, lors­qu’il s’a­dresse aux Galates en disant : « Mes petits enfants, vous que j’en­fante à nou­veau dans la dou­leur » (4, 19). Dans la pre­mière Lettre aux Corinthiens (7, 38), l’Apôtre pro­clame la supé­rio­ri­té de la vir­gi­ni­té sur le mariage, doc­trine constante de l’Eglise dans l’es­prit des paroles du Christ rap­por­tées dans l’Evangile de Matthieu (19, 10–12), sans amoin­drir aucu­ne­ment l’im­por­tance de la mater­ni­té phy­sique et spi­ri­tuelle. Pour mon­trer la mis­sion fon­da­men­tale de l’Eglise, il ne trouve pas mieux que la réfé­rence à la maternité.

Nous retrou­vons l’é­cho de la même ana­lo­gie _​et de la même véri­té _​dans la consti­tu­tion dog­ma­tique sur l’Eglise. Marie est le « modèle » de l’Eglise [43]. « En effet, dans le mys­tère de l’Eglise, qui reçoit elle aus­si à juste titre le nom de Mère et de Vierge, […] Marie occupe la pre­mière place, offrant, à un titre émi­nent et sin­gu­lier, le modèle de la vierge et de la mère […]. Elle engen­dra son Fils, dont Dieu a fait le premier-​né par­mi beau­coup de frères (Rm 8, 29), c’est-​à-​dire par­mi les croyants, à la nais­sance et à l’é­du­ca­tion des­quels elle apporte la coopé­ra­tion de son amour mater­nel » [44]. « Mais en contem­plant la sain­te­té mys­té­rieuse de la Vierge et en imi­tant sa cha­ri­té, en accom­plis­sant fidè­le­ment la volon­té du Père, l’Eglise devient à son tour une Mère, grâce à la parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi : par la pré­di­ca­tion, en effet, et par le bap­tême elle engendre, à une vie nou­velle et immor­telle, des fils conçus du Saint-​Esprit et nés de Dieu » [45]. Il s’a­git ici de la mater­ni­té « selon l’es­prit » à l’é­gard des fils et des filles du genre humain. Et cette mater­ni­té _​comme on l’a dit _​devient le « rôle » de la femme dans la vir­gi­ni­té éga­le­ment. L’Eglise « aus­si est vierge, ayant don­né à son Epoux sa foi, qu’elle garde intègre et pure»[46]. Cela s’ac­com­plit en Marie de la manière la plus par­faite. « Imitant la Mère de son Seigneur, l’Eglise conserve donc, dans leur pure­té vir­gi­nale, par la ver­tu du Saint Esprit, une foi intègre, une ferme espé­rance, une cha­ri­té sincère»[47].

Le Concile a confir­mé que, si l’on ne recourt pas à la Mère de Dieu, il n’est pas pos­sible de com­prendre le mys­tère de l’Eglise, sa réa­li­té, sa vita­li­té essen­tielle. Nous retrou­vons ici indi­rec­te­ment la réfé­rence au para­digme biblique de la « femme », déjà clai­re­ment tra­cé dans le récit du « com­men­ce­ment » (cf. Gn 3, 15) et au long du par­cours qui va de la Création, en pas­sant par le péché, jus­qu’à la Rédemption. Ainsi se véri­fie l’u­ni­té pro­fonde entre ce qui est humain et ce qui consti­tue l’é­co­no­mie divine du salut dans l’his­toire de l’homme. La Bible nous convainc du fait que l’on ne peut faire une her­mé­neu­tique appro­priée de l’homme, c’est-​à-​dire de ce qui est « humain », sans un recours appro­prié à ce qui est « fémi­nin ». Cela se retrouve ana­lo­gi­que­ment dans l’é­co­no­mie sal­vi­fique de Dieu : si nous vou­lons la com­prendre plei­ne­ment par rap­port à toute l’his­toire de l’homme, nous ne pou­vons lais­ser de côté, dans l’op­tique de notre foi, le mys­tère de la « femme » : vierge-mère-épouse.

VII – L’EGLISE, EPOUSE DU CHRIST

Le « grand mystère »

23. Les paroles de la Lettre aux Ephésiens ont à cet égard une impor­tance fon­da­men­tale : « Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Eglise : il s’est livré pour elle, afin de la sanc­ti­fier en la puri­fiant par le bain d’eau qu’une parole accom­pagne ; car il vou­lait se la pré­sen­ter à lui-​même toute res­plen­dis­sante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et imma­cu­lée. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’ai­mer soi-​même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nour­rit au contraire et on en prend bien soin. C’est jus­te­ment ce que le Christ fait pour l’Eglise : ne sommes-​nous pas les membres de son corps ? « Voici donc que l’homme quit­te­ra son père et sa mère pour s’at­ta­cher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair » : ce mys­tère est de grande por­tée ; je veux dire qu’il s’ap­plique au Christ et l’Eglise » (5, 25–32).

Dans cette Lettre, l’au­teur exprime la véri­té sur l’Eglise comme Epouse du Christ, mon­trant aus­si com­ment cette véri­té se fonde dans la réa­li­té biblique de la créa­tion de l’être humain, homme et femme. Créés à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, les « deux ne fai­sant qu’un », ils ont été appe­lés l’un et l’autre à un amour de carac­tère nup­tial. On peut dire éga­le­ment, en sui­vant la des­crip­tion de la créa­tion dans le Livre de la Genèse (2, 18–25), que cet appel fon­da­men­tal appa­raît en même temps que la créa­tion de la femme et est ins­crit par le Créateur dans l’ins­ti­tu­tion du mariage qui, sui­vant Genèse 2, 24, a dès l’o­ri­gine le carac­tère d’une union des per­sonnes (« com­mu­nio per­so­na­rum »). Et même si ce n’est pas direc­te­ment, cette des­crip­tion du « com­men­ce­ment » (cf. Gn 1, 27 ; 2, 24) montre que tout l”«ethos » des rap­ports mutuels entre l’homme et la femme doit cor­res­pondre à la nature per­son­nelle authen­tique de leur être.

Tout cela a déjà été pris en consi­dé­ra­tion pré­cé­dem­ment. Le texte de la Lettre aux Ephésiens confirme une fois encore la même véri­té, et simul­ta­né­ment il com­pare le carac­tère nup­tial de l’a­mour entre l’homme et la femme avec le mys­tère du Christ et de l’Eglise. Le Christ est l’Epoux de l’Eglise, l’Eglise est l’Epouse du Christ. Cette ana­lo­gie n’est pas sans pré­cé­dent : elle trans­pose dans le Nouveau Testament ce qui était déjà conte­nu dans l’Ancien Testament, en par­ti­cu­lier chez les pro­phètes Osée, Jérémie, Ezéchiel, Isaïe [48]. Les dif­fé­rents pas­sages meritent une ana­lyse par­ti­cu­lière. Rapportons au moins un texte. Voici com­ment, par le pro­phète, Dieu parle à son peuple élu : « N’aie pas peur, tu n’é­prou­ve­ras plus de honte, ne sois pas confon­due, tu n’au­ras plus à rou­gir ; car tu vas oublier la honte de ta jeu­nesse, tu ne te sou­vien­dras plus de l’in­fa­mie de ton veu­vage. Ton créa­teur est ton époux,  » Seigneur de l’u­ni­vers » est son nom ; le Saint d’Israël est ton rédemp­teur, on l’ap­pelle le Dieu de toute la terre… Est-​ce qu’on rejette la femme de sa jeu­nesse ? dit le Seigneur ton Dieu. Un moment, je t’a­vais aban­don­née, mais, dans ma grande ten­dresse, je vais t’u­nir à moi. Débordant de fureur, un ins­tant, je t’a­vais caché ma face. Dans un amour éter­nel, j’ai eu pitié de toi, dit le Seigneur, ton rédemp­teur … Car les mon­tagnes peuvent s’é­car­ter et les col­lines chan­ce­ler, mon amour ne s’é­car­te­ra pas de toi, mon alliance de paix ne chan­cel­le­ra pas » (Is 54, 4–8. 10).

Si l’être humain, homme et femme, a été créé à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, Dieu peut par­ler de lui-​même par la bouche du pro­phète en se ser­vant du lan­gage qui est par nature humain : dans le texte cité d’Isaïe, l’ex­pres­sion de l’a­mour de Dieu est « humaine », mais l’a­mour lui-​même est divin. Etant l’a­mour de Dieu, il a un carac­tère spon­sal pro­pre­ment divin, même s’il est expri­mé par l’a­na­lo­gie de l’a­mour de l’homme pour la femme. Cette femme-​épouse, c’est Israël en tant que peuple élu par Dieu et cette élec­tion a sa source uni­que­ment dans l’a­mour gra­tuit de Dieu. C’est jus­te­ment par cet amour que s’ex­plique l’Alliance, sou­vent pré­sen­tée comme une alliance nup­tiale que Dieu renoue sans cesse avec son peuple élu. Elle est, de la part de Dieu, « un enga­ge­ment » durable : il reste fidèle à son amour spon­sal, même si l’é­pouse s’est mon­trée bien des fois infidèle.

Cette image de l’a­mour spon­sal liée à la figure de l’Epoux divin _​image très claire dans les textes pro­phé­tiques _​se trouve confir­mée et cou­ron­née dans la Lettre aux Ephésiens (5, 23–32). Le Christ est salué comme l’é­poux par Jean-​Baptiste (cf. Jn 3, 27–29); et le Christ lui-​même s’ap­pli­quait cette com­pa­rai­son emprun­tée aux pro­phètes (cf. Mc 2, 19–20). L’Apôtre Paul, qui est impré­gné de tout le patri­moine de l’Ancien Testament, écrit aux Corinthiens : « J’éprouve à votre égard en effet une jalou­sie divine ; car je vous ai fian­cés à un époux unique, comme une vierge pure à pré­sen­ter au Christ » (2 Co 11, 2). Mais c’est dans la Lettre aux Ephésiens que se trouve l’ex­pres­sion la plus forte de la véri­té sur l’a­mour du Christ rédemp­teur, sui­vant l’a­na­lo­gie de l’a­mour nup­tial dans le mariage : « Le Christ a aimé l’Eglise : il s’est livré pour elle » (5, 25), et en cela se trouve plei­ne­ment confir­mé le fait que l’Eglise est l’Epouse du Christ : « Le Saint d’Israël est ton rédemp­teur » (Is 54, 5). Dans le texte pau­li­nien, l’a­na­lo­gie de la rela­tion nup­tiale prend en même temps deux direc­tions qui forment l’en­semble du « grand mys­tère » (« sacra­men­tum mag­num »). L’alliance pro­pre­ment dite des époux « explique » le carac­tère spon­sal de l’u­nion du Christ et de l’Eglise ; et cette union, à son tour, en tant que « grand sacre­ment », déter­mine la sacra­men­ta­li­té du mariage comme alliance sainte des deux époux, l’homme et la femme. En lisant ce texte, riche et com­plexe, qui est tout entier une vaste ana­lo­gie, il nous faut dis­tin­guer en lui ce qui exprime la réa­li­té humaine des rela­tions inter­per­son­nelles de ce qui exprime en lan­gage sym­bo­lique le « grand mys­tère » divin.

La « nou­veau­té » évangélique 

24. Le texte s’a­dresse aux époux, à des femmes et à des hommes concrets et il leur rap­pelle l”«ethos » de l’a­mour nup­tial qui remonte à l’ins­ti­tu­tion divine du mariage dès le « com­men­ce­ment ». A la véri­table nature de cette ins­ti­tu­tion répond l’ex­hor­ta­tion « maris, aimez vos femmes », aimez-​les en rai­son de ce lien spé­cial et unique par lequel l’homme et la femme deviennent dans le mariage « une seule chair » (Gn 2, 24 ; Ep 5, 31). On trouve dans cet amour une affir­ma­tion fon­da­men­tale de la femme comme per­sonne, affir­ma­tion grâce à laquelle la per­son­na­li­té fémi­nine peut se déve­lop­per plei­ne­ment et s’en­ri­chir. C’est pré­ci­sé­ment ain­si qu’a­git le Christ comme Epoux de l’Eglise, vou­lant qu’elle soit « res­plen­dis­sante, sans tache ni ride » (Ep 5, 27). On peut dire que s’af­firme ici plei­ne­ment ce qui consti­tue le « style » du Christ face à la femme. Le mari devrait faire siens tous les élé­ments de ce style à l’é­gard de sa femme ; et, ana­lo­gi­que­ment, c’est ce que devrait faire l’homme à l’é­gard de la femme dans toutes les situa­tions. Ainsi tous deux, l’homme et la femme, vivent le « don dés­in­té­res­sé de soi » !

L’auteur de la Lettre aux Ephésiens ne voit aucune contra­dic­tion entre une exhor­ta­tion ain­si for­mu­lée et la consta­ta­tion que « les femmes doivent se sou­mettre à leurs maris, comme au Seigneur ; en effet, pour la femme, le mari est la tête » (cf. 5, 22–23). L’auteur sait que cette atti­tude, si pro­fon­dé­ment enra­ci­née dans les moeurs et la tra­di­tion reli­gieuse du temps, doit être com­prise et vécue d’une manière nou­velle, comme une « sou­mis­sion mutuelle dans la crainte du Christ » (cf. Ep 5, 21); d’au­tant plus que le mari est dit « chef » de la femme comme le Christ est chef de l’Eglise ; il l’est pour « se livrer pour elle » (Ep 5, 25), et se livrer pour elle c’est don­ner jus­qu’à sa vie. Mais, tan­dis que dans la rela­tion Christ-​Eglise, la seule sou­mis­sion est celle de l’Eglise, dans la rela­tion mari-​femme, la « sou­mis­sion » n’est pas uni­la­té­rale, mais bien réciproque !

Par rap­port à l”«ancien », c’est là évi­dem­ment une « nou­veau­té» ; c’est la nou­veau­té évan­gé­lique. Nous ren­con­trons plu­sieurs textes où les écrits apos­to­liques expriment cette nou­veau­té, même si l’on y entend aus­si ce qui est « ancien », ce qui s’en­ra­cine dans la tra­di­tion reli­gieuse d’Israël, dans sa façon de com­prendre et d’ex­pli­quer les textes sacrés comme, par exemple, le cha­pitre 2 de la Genèse [49].

Les Lettres des Apôtres sont adres­sées à des per­sonnes qui vivent dans un milieu ayant les mêmes façons de pen­ser et d’a­gir. La « nou­veau­té » du Christ est un fait : elle consti­tue le conte­nu sans équi­voque du mes­sage évan­gé­lique et elle est le fruit de la Rédemption. En même temps, cepen­dant, la conscience que dans le mariage il y a la « sou­mis­sion mutuelle des conjoints dans la crainte du Christ », et pas seule­ment celle de la femme à son mari, doit impré­gner les cœurs, les consciences, les com­por­te­ments, les moeurs. C’est un appel qui depuis lors ne cesse d’être pres­sant pour les géné­ra­tions qui se suc­cèdent, un appel que les hommes doivent sans cesse accueillir de nou­veau. L’Apôtre n’é­cri­vit pas seule­ment : « Dans le Christ Jésus …, il n’y a ni homme ni femme », mais aus­si « il n’y a ni esclave ni homme libre ». Et pour­tant com­bien de géné­ra­tions il a fal­lu pour que le prin­cipe se concré­tise dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té par l’a­bo­li­tion de l’ins­ti­tu­tion de l’es­cla­vage ! Et que dire des formes nom­breuses d’es­cla­vage aux­quelles sont sou­mis des hommes et des peuples, et qui n’ont pas encore dis­pa­ru de la scène de l’histoire ?

Cependant, le défi de l”«ethos » de la Rédemption est clair et défi­ni­tif. Toutes les moti­va­tions de la « sou­mis­sion » de la femme à l’homme dans le mariage doivent être inter­pré­tées dans le sens d’une « sou­mis­sion mutuelle » de l’un à l’autre « dans la crainte du Christ ». La dimen­sion du véri­table amour nup­tial trouve sa source la plus pro­fonde dans le Christ qui est l’Epoux de l’Eglise, son Epouse.

La dimen­sion sym­bo­lique du « grand mystère »

25. Dans le texte de la Lettre aux Ephésiens nous trou­vons une seconde dimen­sion de l’a­na­lo­gie qui doit ser­vir, dans son ensemble, à la révé­la­tion du « grand mys­tère ». C’est une dimen­sion sym­bo­lique. Si l’a­mour de Dieu envers l’homme, envers Israël, le peuple élu, est pré­sen­té par les pro­phètes comme l’a­mour de l’é­poux pour l’é­pouse, cette ana­lo­gie exprime la qua­li­té « spon­sale » et le carac­tère divin et non humain de l’a­mour de Dieu : « Ton créa­teur est ton époux, … on l’ap­pelle le Dieu de toute la terre » (Is 54, 5). On doit dire la même chose de l’a­mour spon­sal du Christ rédemp­teur : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a don­né son Fils unique » (Jn 3, 16). Il s’a­git donc de l’a­mour de Dieu expri­mé dans la Rédemption accom­plie par le Christ. Selon la Lettre pau­li­nienne, cet amour est « sem­blable » à l’a­mour nup­tial des conjoints humains, mais évi­dem­ment il ne lui est pas « iden­tique ». L’analogie, en effet, sup­pose une res­sem­blance qui laisse place à une marge appro­priée de dissemblance.

Il est facile de le consta­ter si nous consi­dé­rons la figure de l”«épouse ». Selon la Lettre aux Ephésiens, l’é­pouse est l’Eglise, de même que pour les pro­phètes l’é­pouse était Israël : il s’a­git donc d’un sujet col­lec­tif, et non d’une per­sonne sin­gu­lière. Ce sujet col­lec­tif est le Peuple de Dieu, c’est-​à-​dire une com­mu­nau­té com­po­sée de nom­breuses per­sonnes, hommes ou femmes. « Le Christ a aimé l’Eglise » pré­ci­sé­ment en tant que com­mu­nau­té, en tant que Peuple de Dieu et, en même temps, il a aimé cha­cune des per­sonnes de cette Eglise qui est aus­si appe­lée son « corps » dans le même pas­sage (cf. Ep 5, 23). En effet, le Christ a rache­té chaque homme et chaque femme, tous sans excep­tion. Dans la Rédemption, c’est jus­te­ment cet amour de Dieu qui s’ex­prime, et c’est là que s’ac­com­plit dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té et du monde le carac­tère spon­sal de cet amour.

Le Christ est entré dans cette his­toire et y demeure comme l’Epoux qui « s’est livré lui-​même ». « Se livrer » signi­fie « deve­nir un don dés­in­té­res­sé » de la manière la plus entière et la plus radi­cale : « Nul n’a plus grand amour que celui-​ci » (Jn 15, 13). Selon cette concep­tion, grâce à l’Eglise, tous les êtres humains _​les hommes comme les femmes _​sont appe­lés à être l”«Epouse » du Christ, Rédempteur du monde. Ainsi le fait d”«être épouse », et donc le « fémi­nin », devient le sym­bole de tout l”«humain », selon les paroles de Paul : « Il n’y a ni homme ni femme : car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28).

Du point de vue lin­guis­tique, on peut dire que l’a­na­lo­gie de l’a­mour spon­sal selon la Lettre aux Ephésiens rap­porte ce qui est « mas­cu­lin » à ce qui est « fémi­nin », étant don­né que, comme membres de l’Eglise, les hommes sont éga­le­ment inclus dans le concept d”«Epouse ». Cela ne doit pas sur­prendre car l’Apôtre, pour expri­mer sa mis­sion dans le Christ et dans l’Eglise, parle des « petits enfants qu’il enfante dans la dou­leur » (cf. Ga 4, 19). Dans l’en­semble de ce qui est « humain », de ce qui est humai­ne­ment per­son­nel, la « mas­cu­li­ni­té » et la « fémi­ni­té » se dis­tinguent et en même temps se com­plètent et s’é­clairent mutuel­le­ment. Cela appa­raît aus­si dans la grande ana­lo­gie de l”«Epouse » de la Lettre aux Ephésiens. Dans l’Eglise tout être humain _​homme et femme _​est l”«Epouse » parce qu’il accueille comme un don l’a­mour du Christ rédemp­teur, et aus­si parce qu’il tente d’y répondre à tra­vers le don de sa personne.

Le Christ est l’Epoux. Par là s’ex­prime la véri­té sur l’a­mour de Dieu qui « a aimé le pre­mier » (cf. 1 Jn 4, 19) et qui a dépas­sé toutes les attentes des hommes par le don qu’a engen­dré cet amour spon­sal pour l’homme : « Il aima jus­qu’à la fin » (Jn 13, 1). L’Epoux _​le Fils consub­stan­tiel au Père en tant que Dieu _​est deve­nu le fils de Marie ; « fils de l’homme », vrai homme, au mas­cu­lin. Le sym­bole de l’Epoux est du genre mas­cu­lin. Dans ce sym­bole mas­cu­lin est figu­ré le carac­tère humain de l’a­mour par lequel Dieu a expri­mé son amour divin pour Israël, pour l’Eglise, pour tous les hommes. En médi­tant ce que disent les Evangiles sur l’at­ti­tude du Christ à l’é­gard des femmes, nous pou­vons conclure que comme homme, fils d’Israël, il a révé­lé la digni­té des « filles d’Abraham » (cf. Lc 13, 16), la digni­té appar­te­nant à la femme à l’é­gal de l’homme dès le « com­men­ce­ment ». En même temps, le Christ a mis en valeur toute l’o­ri­gi­na­li­té de la femme par rap­port à l’homme, toute la richesse qui lui est accor­dée dans le mys­tère de la créa­tion. Dans l’at­ti­tude du Christ envers la femme, nous voyons accom­pli de manière exem­plaire ce que le texte de la Lettre aux Ephésiens exprime par le concept d”«époux ». Précisément parce que l’a­mour divin du Christ est un amour d’Epoux, il est le para­digme et le modèle de tout amour humain, en par­ti­cu­lier de l’a­mour des hommes.

L’Eucharistie

26. Dans l’ample contexte du « grand mys­tère » qui s’ex­prime par le rap­port spon­sal entre le Christ et l’Eglise, il est aus­si pos­sible de bien com­prendre le fait de l’ap­pel des « Douze ». En n’ap­pe­lant que des hommes à être ses Apotres, le Christ a agi d’une manière tota­le­ment libre et sou­ve­raine. Il l’a fait dans la même liber­té avec laquelle il a mis en valeur la digni­té et la voca­tion de la femme par tout son com­por­te­ment, sans se confor­mer aux usages qui pré­va­laient ni aux tra­di­tions que sanc­tion­nait la légis­la­tion de son époque. C’est pour­quoi l’hy­po­thèse selon laquelle il aurait appe­lé des hommes comme Apôtres en se confor­mant à la men­ta­li­té répan­due en son temps ne cor­res­pond pas du tout à la manière d’a­gir du Christ. « Maître, nous savons que tu es véri­dique et que tu enseignes la voie de Dieu en véri­té…, car tu ne regardes pas au rang des per­sonnes » (Mt 22, 16). Ces paroles illus­trent par­fai­te­ment le com­por­te­ment de Jésus de Nazareth. On trouve là aus­si une expli­ca­tion pour l’ap­pel des « Douze ». Ils sont auprès du Christ pen­dant la der­nière Cène ; eux seuls reçoivent le com­man­de­ment sacra­men­tel : « Faites cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24), lié à l’ins­ti­tu­tion de l’Eucharistie. Au soir du jour de la Résurrection, ils reçoivent l’Esprit Saint pour par­don­ner les péchés : « Ceux à qui vous remet­trez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retien­drez, ils leur seront rete­nus » (Jn 20, 23).

Nous nous trou­vons au centre même du mys­tère pas­cal qui révèle plei­ne­ment l’a­mour spon­sal de Dieu. Le Christ est l’Epoux parce qu”«il s’est livré lui-​même » : son corps a été « livré », son sang a été « ver­sé » (cf. Lc 22, 19. 20). C’est ain­si qu’il « aima jus­qu’à la fin » (Jn 13, 1). Le « don dés­in­té­res­sé » que com­prend le sacri­fice de la Croix fait res­sor­tir d’une manière déci­sive le sens spon­sal de l’a­mour de Dieu. Le Christ est l’Epoux de l’Eglise, comme Rédempteur du monde. L’Eucharistie est le sacre­ment de notre Rédemption. C’est le sacre­ment de l’Epoux, de l’Epouse. L’Eucharistie rend pré­sent et réa­lise à nou­veau sacra­men­tel­le­ment l’acte rédemp­teur du Christ qui « crée » l’Eglise, son corps. A ce « corps », le Christ est uni comme l’é­poux à l’é­pouse. Tout cela est dit dans la Lettre aux Ephésiens. Dans le « grand mys­tère » du Christ et de l’Eglise se trouve intro­duite l’é­ter­nelle « uni­té des deux » consti­tuée dès le « com­men­ce­ment » entre l’homme et la femme.

Si le Christ, en ins­ti­tuant l’Eucharistie, l’a liée d’une manière aus­si expli­cite au ser­vice sacer­do­tal des Apôtres, il est légi­time de pen­ser qu’il vou­lait de cette façon expri­mer la rela­tion entre l’homme et la femme, entre ce qui est « fémi­nin » et ce qui est « mas­cu­lin », vou­lue par Dieu tant dans le mys­tère de la Création que dans celui de la Rédemption. Dans l’Eucharistie s’ex­prime avant tout sacra­men­tel­le­ment l’acte rédemp­teur du Christ-​Epoux envers l’Eglise-​Epouse. Cela devient trans­pa­rent et sans équi­voque lorsque le ser­vice sacra­men­tel de l’Eucharistie, où le prêtre agit « in per­so­na Christi », est accom­pli par l’homme. C’est là une expli­ca­tion qui confirme l’en­sei­gne­ment de la Déclaration Inter insi­gniores, publiée sur man­dat de Paul VI pour répondre aux inter­ro­ga­tions sus­ci­tées par la ques­tion de l’ad­mis­sion des femmes au sacer­doce minis­té­riel [50].

Le don de l’Epouse

27. Le Concile Vatican II a renou­ve­lé dans l’Eglise la conscience de l’u­ni­ver­sa­li­té du sacer­doce. Dans la Nouvelle Alliance, il n’y a qu’un seul sacri­fice et un seul prêtre, le Christ. Tous les bap­ti­sés, les hommes comme les femmes, par­ti­cipent à ce sacer­doce unique, car il doivent « s’of­frir en vic­times vivantes, saintes, agréables à Dieu (cf. Rm 12, 1), por­ter témoi­gnage du Christ sur toute la sur­face de la terre, et rendre rai­son, sur toute requête, de l’es­pé­rance qui est en eux d’une vie éter­nelle (cf. 1 P 3, 15)» [51]. La par­ti­ci­pa­tion uni­ver­selle au sacri­fice du Christ, par lequel le Rédempteur a offert au Père le monde entier et en par­ti­cu­lier l’hu­ma­ni­té, fait de tous les membres de l’Eglise « un royaume de prêtres » (Ap 5, 10 ; cf. 1 P 2, 9), c’est-​à-​dire qu’ils par­ti­cipent non seule­ment à la mis­sion sacer­do­tale, mais encore à la mis­sion pro­phé­tique et royale du Christ-​Messie. Cette par­ti­ci­pa­tion entraîne en outre l’u­nion orga­nique de l’Eglise, comme Peuple de Dieu, avec le Christ. Le « grand mys­tère » de la Lettre aux Ephésiens s’y exprime en même temps : l’Epouse unie à son Epoux, unie parce qu’elle vit de sa vie ; unie parce qu’elle par­ti­cipe à sa triple mis­sion (tria mune­ra Christi); unie de manière à répondre par un « don dés­in­té­res­sé » de soi au don inef­fable de l’a­mour de l’Epoux, le Rédempteur du monde. Cela concerne toute l’Eglise, les femmes comme les hommes, et évi­dem­ment cela concerne aus­si ceux qui par­ti­cipent au « sacer­doce minis­té­riel » [52] qui est par nature un ser­vice. Dans le cadre du « grand mys­tère » du Christ et de l’Eglise, tous sont appe­lés à répondre _​comme une épouse _​par le don de leur vie au don inef­fable de l’a­mour du Christ qui est seul, comme Rédempteur du monde, l’Epoux de l’Eglise. Dans le « sacer­doce royal », qui est uni­ver­sel, s’ex­prime en même temps le don de l’Epouse.

Cela revêt une impor­tance fon­da­men­tale pour com­prendre l’Eglise dans son essence même, en évi­tant de reprendre pour l’Eglise _​même en sa qua­li­té d”«institution » com­po­sée d’êtres humains et ins­crite dans l’his­toire _​des cri­tères d’in­ter­pré­ta­tion et de juge­ment qui sont sans rap­port avec sa nature. Même si l’Eglise pos­sède une struc­ture « hié­rar­chique » [53], cette struc­ture est cepen­dant tota­le­ment ordon­née à la sain­te­té des membres du Christ. Et la sain­te­té s’ap­pré­cie en fonc­tion du « grand mys­tère » dans lequel l’Epouse répond par le don de l’a­mour au don de l’Epoux, le fai­sant « dans l’Esprit Saint » parce que « l’a­mour de Dieu a été répan­du dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été don­né » (Rm 5, 5). Le Concile Vatican II, en confir­mant l’en­sei­gne­ment de toute la tra­di­tion, a rap­pe­lé que, dans la hié­rar­chie de la sain­te­té, c’est jus­te­ment la « femme », Marie de Nazareth, qui est«figure » de l’Eglise. Elle nous « pré­cède » tous sur la voie de la sain­te­té ; en sa per­sonne « l’Eglise atteint déjà à la per­fec­tion qui la fait sans tache ni ride (cf. Ep 5, 27)» [54]. En ce sens, on peut dire que l’Eglise est « mariale » en même temps qu”«apostolique » et « pétri­nienne » [55].

Dans l’his­toire de l’Eglise, dès les pre­miers temps, il y avait aux côtés des hommes de nom­breuses femmes pour qui la réponse de l’Epouse à l’a­mour rédemp­teur de l’Epoux pre­nait toute sa force expres­sive. Nous voyons tout d’a­bord celles qui avaient per­son­nel­le­ment ren­con­tré le Christ, qui l’a­vaient sui­vi et qui, après son départ, « étaient assi­dues à la prière » avec les Apôtres au Cénacle de Jérusalem jus­qu’au jour de la Pentecôte. Ce jour-​là, l’Esprit Saint par­la par « des fils et des fìlles » du Peuple de Dieu, accom­plis­sant ce qu’a­vait annon­cé le pro­phète Joël (cf. Ac 2, 17). Ces femmes, et d’autres encore par la suite, eurent un role actif et impor­tant dans la vie de l’Eglise pri­mi­tive, dans la construc­tion, depuis ses fon­de­ments, de la pre­mière com­mu­nau­té chré­tienne _​et des com­mu­nau­tés ulté­rieures _​grace à leurs cha­rismes et à leurs mul­tiples manières de ser­vir. Les écrits apos­to­liques retiennent leurs noms, ain­si Phébée, « dia­co­nesse de l’Eglise de Cenchrées » (cf. Rm 16, 1), Priscille avec son mari Aquila (cf. 2 Tm 4, 19), Evodie et Syntyché (cf.Ph 4, 2), Marie, Tryphène, Persis, Tryphose (cf. Rm 16, 6. 12). L’Apôtre parle de leurs « fatigues » pour le Christ : celles-​ci montrent les divers domaines du ser­vice apos­to­lique dans l’Eglise, en com­men­çant par « l’Eglise domes­tique ». En effet, la « foi sans détours » y passe de la mère aux enfants et aux petits-​enfants, comme cela eut lieu dans la mai­son de Timothée (cf. 2 Tm 1, 5).

La même chose se renou­velle au cours des siècles, de géné­ra­tion en géné­ra­tion, comme le montre l’his­toire de l’Eglise. L’Eglise, en effet, en défen­dant la digni­té de la femme et sa voca­tion, a mani­fes­té de la gra­ti­tude à celles qui, fidèles à l’Evangile, ont par­ti­ci­pé en tout temps à la mis­sion apos­to­lique de tout le Peuple de Dieu, et elle les a hono­rées. Il s’a­git de saintes mar­tyres, de vierges, de mères de famille qui ont témoi­gné de leur foi avec cou­rage et qui, par l’é­du­ca­tion de leurs enfants dans l’es­prit de l’Evangile, ont trans­mis la foi et la tra­di­tion de l’Eglise.

A toutes les époques et dans tous les pays, nous trou­vons de nom­breuses femmes « vaillantes » (cf. Pr 31, 10) qui, mal­gré les per­sé­cu­tions, les dif­fi­cul­tés et les dis­cri­mi­na­tions, ont par­ti­ci­pé à la mis­sion de l’Eglise. Il suf­fi­ra de men­tion­ner ici Monique, la mère d’Augustin, Macrine, Olga de Kiev, Mathilde de Toscane, Edwige de Silésie et Edwige de Cracovie, Elisabeth de Thuringe, Brigitte de Suède, Jeanne d’Arc, Rose de Lima, Elizabeth Seton et Mary Ward.

Le témoi­gnage et l’ac­tion des femmes chré­tiennes ont eu une influence signi­fi­ca­tive dans la vie de l’Eglise, comme aus­si dans la vie de la socié­té. Même face à de graves dis­cri­mi­na­tions sociales, les saintes femmes ont agi « libre­ment », ren­dues fortes par leur union avec le Christ. Cette union et cette liber­té fon­dées en Dieu expliquent par exemple l’ac­tion impor­tante de sainte Catherine de Sienne dans la vie de l’Eglise et de sainte Thérèse de Jésus dans la vie monastique.

De nos jours encore, l’Eglise ne cesse de s’en­ri­chir grâce au témoi­gnage de nom­breuses femmes qui épa­nouissent leur voca­tion à la sain­te­té. Les saintes femmes sont une incar­na­tion de l’i­déal fémi­nin ; mais elles sont aus­si un modèle pour tous les chré­tiens, un modèle de « seque­la Christi », un exemple de la manière dont l’Epouse doit répondre avec amour à l’a­mour de l’Epoux.

VIII – LA PLUS GRANDE, C’EST LA CHARITÉ

Face aux changements 

28. « L’Eglise croit que le Christ, mort et res­sus­ci­té pour tous, offre à l’homme, par son Esprit, lumière et forces pour lui per­mettre de répondre à sa très haute voca­tion » [56). Nous pou­vons appli­quer ces paroles de la consti­tu­tion conci­liaire Gaudium et spes au thème des pré­sentes réflexions. L’insistance par­ti­cu­lière sur la digni­té de la femme et sa voca­tion, carac­té­ris­tique de l’é­poque où nous vivons, peut et doit être accuel­lie dans « la lumière et les forces » que l’Esprit du Christ accorde à l’homme, et cela aus­si à notre époque fer­tile en trans­for­ma­tions mul­tiples. L’Eglise « croit […] que la clé, le centre et la fin » de l’homme, et aus­si « de toute l’his­toire humaine se trouve en son Seigneur et Maître » et « elle affirme que, sous tous les chan­ge­ments, bien des choses demeurent qui ont leur fon­de­ment ultime dans le Christ, le même hier, aujourd’­hui et à jamais » [57].

Par ces paroles, la consti­tu­tion sur l’Eglise dans le monde de ce temps nous montre la voie à suivre pour rem­plir les devoirs concer­nant la digni­té de la femme et sa voca­tion, dans le cadre des chan­ge­ments signi­fi­ca­tifs de notre temps. Nous ne pou­vons faire face à ces chan­ge­ments de manière juste et appro­priée que si nous reve­nons aux fon­de­ments qui se trouvent dans le Christ, aux véri­tés et aux valeurs « immuables » dont il reste lui-​même le « témoin fidèle » (cf. Ap 1, 5) et le Maître. Une autre manière d’a­gir condui­rait à des résul­tats dou­teux, sinon fran­che­ment faux et trompeurs.

La digni­té de la femme et l’ordre de l’amour 

29. Le pas­sage déjà cité de la Lettre aux Ephésiens (5, 21–33), où le rap­port entre le Christ et l’Eglise est pré­sen­té comme le lien entre l’é­poux et l’é­pouse, évoque éga­le­ment l’ins­ti­tu­tion du mariage selon les paroles du Livre de la Genèse (cf. 2, 24). Il rap­proche la véri­té sur le mariage comme sacre­ment pri­mor­dial et la créa­tion de l’homme et de la femme à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu (cf. Gn 1, 27 ; 5, 1) . Grâce à ce rap­port signi­fi­ca­tif que l’on trouve dans la Lettre aux Ephésiens est mis en pleine lumière ce qui déter­mine la digni­té de la femme au regard de Dieu, Créateur et Rédempteur, et aus­si au regard de l’homme, de l’homme et de la femme. Conformément au des­sein éter­nel de Dieu, la femme est celle en qui l’ordre de l’a­mour dans le monde créé des per­sonnes trouve le lieu de son pre­mier enra­ci­ne­ment. L’ordre de l’a­mour appar­tient à la vie intime de Dieu lui-​même, à la vie tri­ni­taire. Dans la vie intime de Dieu, l’Esprit Saint est l’hy­po­stase per­son­nelle de l’a­mour. Par l’Esprit, don incréé, l’a­mour devient un don aux per­sonnes créées. L’amour qui est de Dieu se com­mu­nique aux créa­tures : « L’amour de Dieu a été répan­du dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut don­né » (Rm 5, 5).

L’appel à l’exis­tence de la femme aux cotés de l’homme (« une aide qui lui soit assor­tie » : Gn 2, 18) dans « l’u­ni­té des deux » pré­sente dans le monde visible des créa­tures des condi­tions par­ti­cu­lières pour que « l’a­mour de Dieu soit répan­du dans les cœurs » des êtres créés à son image. Si l’au­teur de la Lettre aux Ephésiens appelle le Christ l’Epoux et l’Eglise l’Epouse, il confirme indi­rec­te­ment par cette ana­lo­gie la véri­té sur la femme en tant qu’é­pouse. L’Epoux est celui qui aime. L’Epouse est aimée : elle est celle qui reçoit l’a­mour, pour aimer à son tour.
Le pas­sage de la Genèse, relu à la lumière du sym­bole spon­sal de la Lettre aux Ephésiens nous per­met de sai­sir une véri­té qui parait tout à fait déter­mi­nante pour la ques­tion de la digni­té de la femme et, par suite, éga­le­ment pour celle de sa voca­tion : la digni­té de la femme se mesure dans l’ordre de l’a­mour qui est essen­tiel­le­ment un ordre de jus­tice et de cha­ri­té [58].

Seule la per­sonne peut aimer, et seule la per­sonne peut être aimée. C’est là d’a­bord une affir­ma­tion d’ordre onto­lo­gique dont découle ensuite une affir­ma­tion de nature éthique. L’amour est une exi­gence onto­lo­gique et éthique de la per­sonne. La per­sonne doit être aimée, parce que seul l’a­mour cor­res­pond à ce qu’est la per­sonne. Ainsi s’ex­plique le com­man­de­ment de l’a­mour, déjà connu dans l’Ancien Testament (cf. Dt 6, 5 ; Lv 19, 18) et pla­cé par le Christ au centre même de l”« ethos » évan­gé­lique (cf. Mt 22, 36–40 ; Mc 12, 28–34). Ainsi s’ex­plique aus­si le pri­mat de l’a­mour qu’ex­priment les paroles de Paul dans la Lettre aux Corinthiens : « La plus grande, c’est la cha­ri­té » (cf. 1 Co 13, 13).

Sans recou­rir à cet ordre et à ce pri­mat, il n’est pas pos­sible de don­ner une réponse com­plète et adé­quate à la ques­tion sur la digni­té de la femme et sur sa voca­tion. Lorsque nous disons que la femme est celle qui reçoit l’a­mour pour aimer à son tour, nous ne pen­sons pas seule­ment ou avant tout au rap­port nup­tial spé­ci­fique du mariage. Nous pen­sons à quelque chose de plus uni­ver­sel, fon­dé sur le fait même d’être femme dans l’en­semble des rela­tions inter­per­son­nelles qui struc­turent de manières très diverses la convi­via­li­té et la col­la­bo­ra­tion entre les per­sonnes, hommes et femmes. Dans ce contexte large et dif­fé­ren­cié, la femme pré­sente une valeur par­ti­cu­lière comme per­sonne humaine et, en même temps, comme per­sonne concrète, du fait de sa fémi­ni­té. Cela concerne toutes les femmes et cha­cune d’elles, indé­pen­dam­ment du contexte cultu­rel où elles se trouvent, de leurs carac­té­ris­tiques spi­ri­tuelles, psy­cho­lo­giques et phy­siques, comme par exemple leur âge, leur ins­truc­tion, leur san­té, leur tra­vail, le fait d’être mariées ou célibataires.

Le pas­sage de la Lettre aux Ephésiens que nous consi­dé­rons nous per­met de pen­ser à une sorte de « pro­phé­tisme » par­ti­cu­lier de la femme dans sa fémi­ni­té. L’analogie de l’Epoux et de l’Epouse évoque l’a­mour avec lequel tout homme est aimé de Dieu en Christ, tout homme et toute femme. Cependant dans le contexte de l’a­na­lo­gie biblique et en se fon­dant sur la logique interne du texte, c’est pré­ci­sé­ment la femme, l’é­pouse, qui mani­feste à tous cette véri­té. Ce carac­tère « pro­phé­tique » de la femme dans sa fémi­ni­té trouve dans la Vierge Mère de Dieu son expres­sion la plus haute. A son sujet est mis en valeur, de la manière la plus pleine et la plus directe, le lien intime qui unit l’ordre de l’a­mour _​qui entre dans le monde des per­sonnes humaines par une Femme _​et l’Esprit Saint. Marie entend à l’Annonciation les paroles : « L’Esprit Saint vien­dra sur toi » (Lc 1, 35).

La conscience d’une mission 

30. La digni­té de la femme est inti­me­ment liée à l’a­mour qu’elle reçoit en rai­son même de sa fémi­ni­té et, d’autre part, à l’a­mour qu’elle donne à son tour. La véri­té sur la per­sonne et sur l’a­mour se trouve ain­si confir­mée. Au sujet de la véri­té de la per­sonne, il faut recou­rir une fois encore au Concile Vatican II : « L’homme, seule créa­ture sur terre que Dieu ait vou­lue pour elle-​même, ne peut plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même » [59]. Cela concerne tout être humain, en tant que per­sonne créée à l’i­mage de Dieu, qu’il soit un homme ou une femme. L’affirmation de nature onto­lo­gique incluse ici sug­gère aus­si la dimen­sion éthique de la voca­tion de la per­sonne. La femme ne peut se trou­ver elle-​même si ce n’est en don­nant son amour aux autres.

Dès le « com­men­ce­ment », la femme _​comme l’homme _​a été créée par Dieu et « pla­cée » par lui pré­ci­sé­ment dans cet ordre de l’a­mour. Le péché des ori­gines n’a pas détruit cet ordre, il ne l’a pas sup­pri­mé d’une manière irré­ver­sible. Les paroles du pro­té­van­gile le prouvent (cf. Gn 3, 15). Au cours des pré­sentes réflexions, nous avons consta­té la place unique de la « femme » dans ce texte clé de la Révélation. Il convient en outre de sou­li­gner que la même femme, qui en arrive à être un « para­digme » biblique, se trouve éga­le­ment dans la pers­pec­tive escha­to­lo­gique du monde et de l’homme, telle que l’ex­prime l’Apocalypse [60]. C’est « une femme enve­lop­pée de soleil », la lune est sous ses pieds et des étoiles cou­ronnent sa tête (cf. Ap 12, 1). On peut dire : une « femme » à la mesure du cos­mos, à la mesure de toute l’œuvre de la créa­tion. En même temps, elle souffre « dans les dou­leurs et le tra­vail de l’en­fan­te­ment » (Ap 12, 2), comme Eve, « la mère de tous les vivants » (Gn 3, 20). Elle souffre aus­si parce que « devant la femme dans le tra­vail de l’en­fan­te­ment » (cf. Ap 12, 4) se place « l’é­norme Dragon, l’an­tique Serpent » (Ap 12, 9), déjà connu dans le pro­té­van­gile, le Malin, « père du men­songe » et du péché (cf. Jn 8, 44). Et voi­ci que l”«antique Serpent » veut dévo­rer « l’en­fant ». Si nous voyons dans ce texte un reflet de l’Evangile de l’en­fance (cf. Mt 2, 13. 16), nous pou­vons pen­ser que dans le para­digme biblique de la « femme » s’ins­crit, dès le com­men­ce­ment et jus­qu’au terme de l’his­toire, la lutte contre le mal et contre le Malin. C’est la lutte pour l’homme, pour son véri­table bien, pour son salut. La Bible ne veut-​elle pas nous dire que pré­ci­sé­ment dans la « femme », Eve-​Marie, l’his­toire connaît une lutte dra­ma­tique pour tout être humain, la lutte pour le « oui » ou le « non » fon­da­men­tal qu’il dit à Dieu et à son des­sein éter­nel sur l’homme ?

Si la digni­té de la femme témoigne de l’a­mour qu’elle recoit pour aimer à son tour, le para­digme biblique de la « femme » semble mon­trer aus­si que c’est le véri­table ordre de l’a­mour qui défi­nit la voca­tion de la femme elle-​même. Il s’a­git ici de la voca­tion dans son sens fon­da­men­tal, on peut dire uni­ver­sel, qui se réa­lise et s’ex­prime par les « voca­tions » mul­tiples de la femme dans l’Eglise et dans le monde.
La force morale de la femme, sa force spi­ri­tuelle, rejoint la conscience du fait que Dieu lui confie l’homme, l’être humain, d’une manière spé­ci­fique. Naturellement, Dieu confie tout homme à tous et à cha­cun. Toutefois cela concerne la femme d’une façon spé­ci­fique _​pré­ci­sé­ment en rai­son de sa fémi­ni­té _​et cela déter­mine en par­ti­cu­lier sa vocation.

A par­tir de cette prise de conscience et de ce qui est confié, la force morale de la femme s’ex­prime à tra­vers les très nom­breuses figures fémi­nines de l’Ancien Testament, du temps du Christ, des époques sui­vantes jus­qu’à nos jours. La femme est forte par la conscience de ce qui lui est confié, forte du fait que Dieu « lui confie l’homme », tou­jours et de quelque manière que ce soit, même dans les condi­tions de dis­cri­mi­na­tion sociale où elle peut se trou­ver. Cette conscience et cette voca­tion fon­da­men­tale disent à la femme la digni­té qu’elle recoit de Dieu lui-​même, et cela la rend « forte » et affer­mit sa voca­tion. Ainsi la « femme vaillante » (cf. Pr 31, 10) devient un sou­tien irrem­pla­çable et une source de force spi­ri­tuelle pour les autres qui se rendent compte de l’éner­gie consi­dé­rable de son esprit. A ces « femmes vaillantes » sont très rede­vables leurs familles et par­fois des nations entières.

A notre époque, les réus­sites de la science et de la tech­nique per­mettent d’ar­ri­ver à un bien-​être maté­riel d’un degré incon­nu jus­qu’a­lors, et cela, tan­dis que cer­tains en sont favo­ri­sés, en conduit d’autres à la mar­gi­na­li­sa­tion. Dans ces condi­tions, un tel pro­grès uni­la­té­ral peut entraî­ner aus­si une dis­pa­ri­tion pro­gres­sive de l’at­ten­tion à l’homme, à ce qui est essen­tiel­le­ment humain. En ce sens, sur­tout de nos jours, on compte sur la mani­fes­ta­tion du « génie » de la femme pour affer­mir l’at­ten­tion à l’homme en toute cir­cons­tance, du fait même qu’il est homme ! Car « la plus grande, c’est la cha­ri­té » (cf. 1 Co 13, 13).

C’est pour­quoi une lec­ture atten­tive du para­digme biblique de la « femme » _​du Livre de la Genèse à l’Apocalypse _​montre bien en quoi consistent la digni­té et la voca­tion de la femme et ce qui en elles est immuable et ne perd pas son actua­li­té, ayant son « fon­de­ment ultime dans le Christ, le même hier, aujourd’­hui et à jamais » [61]. Si l’homme est confié par Dieu à la femme d’une manière spé­ci­fique, cela ne signifie-​t-​il pas que le Christ compte sur elle pour accom­plir le « sacer­doce royal » (1 P 2, 9) qui est la richesse du don qu’il a fait aux hommes ? Cet héri­tage même, le Christ, unique grand prêtre de l’Alliance nou­velle et éter­nelle, et Epoux de l’Eglise, ne cesse de le remettre au Père par l’Esprit Saint, afin que Dieu soit « tout en tous » (1 Co 15, 28) [62].

Alors par­vien­dra à son accom­plis­se­ment défi­ni­tif la véri­té que « la plus grande, c’est la cha­ri­té » (cf. 1 Co 13, 13).

IX – CONCLUSION

« Si tu savais le don de Dieu »

31. « Si tu savais le don de Dieu » (Jn 4, 10), dit Jésus à la Samaritaine au cours d’un de ces dia­logues admi­rables qui montrent toute son estime pour la digni­té de chaque femme et pour la voca­tion qui per­met à cha­cune de par­ti­ci­per à sa mis­sion de Messie.

Les pré­sentes réflexions, désor­mais par­ve­nues à leur terme, sont orien­tées vers la recon­nais­sance, à l’in­té­rieur du « don de Dieu », de ce que Lui, Créateur et Rédempteur, confie à la femme, à chaque femme. Dans l’Esprit du Christ, en effet, elle peut décou­vrir tout le sens de sa fémi­ni­té et ain­si se dis­po­ser au « don dés­in­té­res­sé d’elle-​même » aux autres, et, par là, « se trou­ver » elle-même.

En l’Année mariale, l’Eglise désire remer­cier la Très Sainte Trinité pour le « mys­tère de la femme » et pour toute femme, pour ce qui consti­tue la dimen­sion éter­nelle de sa digni­té fémi­nine, pour les « mer­veilles de Dieu » qui, dans l’his­toire des géné­ra­tions humaines, se sont accom­plies en elle et par elle. En défi­ni­tive, n’est-​ce pas en elle et par elle que s’est accom­pli ce qu’il y a de plus grand dans l’his­toire de l’homme sur terre, l’é­vé­ne­ment que Dieu lui-​même se soit fait homme ?

C’est pour­quoi l’Eglise rend grâce pour toutes les femmes et pour cha­cune d’elles : pour les mères, pour les soeurs, pour les épouses ; pour les femmes consa­crées à Dieu dans la vir­gi­ni­té ; pour les femmes dévouées à tant d’êtres humains qui attendent l’a­mour gra­tuit d’une autre per­sonne ; pour les femmes qui veillent sur l’être humain dans la famille, ce signe fon­da­men­tal de la com­mu­nau­té humaine ; pour les femmes qui exercent une pro­fes­sion, celles sur qui pèse par­fois une grande res­pon­sa­bi­li­té sociale ; pour les femmes « vaillantes » et pour les femmes « faibles » : pour toutes, telles qu’elles sont sor­ties du cœur de Dieu dans toute la beau­té et la richesse de leur fémi­ni­té, telles qu’elles ont été entou­rées de son amour éter­nel ; telles qu’a­vec l’homme elles accom­plissent le pèle­ri­nage de cette terre, « patrie » tem­po­relle des hommes, par­fois trans­for­mée en « val­lée de larmes» ; telles qu’elles portent, avec l’homme, la res­pon­sa­bi­li­té com­mune du des­tin de l’hu­ma­ni­té, selon les néces­si­tés quo­ti­diennes et sui­vant la des­ti­née finale que la famille humaine a en Dieu, au sein de l’i­nef­fable Trinité.

L’Eglise rend grâce pour toutes les mani­fes­ta­tions du « génie » fémi­nin appa­rues au cours de l’his­toire, dans tous les peuples et dans toutes les nations ; elle rend grâce pour tous les cha­rismes dont l’Esprit Saint a doté les femmes dans l’his­toire du Peuple de Dieu, pour toutes les vic­toires rem­por­tées grâce à leur foi, à leur espé­rance et à leur amour : elle rend grâce pour tous les fruits de la sain­te­té féminine.

L’Eglise demande en même temps que ces ines­ti­mables « mani­fes­ta­tions de l’Esprit » (cf. 1 Co 12, 4 ss.), don­nées avec une grande géné­ro­si­té aux « filles » de la Jérusalem éter­nelle, soient atten­ti­ve­ment recon­nues, mises en valeur, afin qu’elle concourent au bien com­mun de l’Eglise et de l’hu­ma­ni­té, spé­cia­le­ment à notre époque. Méditant le mys­tère biblique de la « femme », l’Eglise prie pour que toutes les femmes se retrouvent elles-​mêmes dans ce mys­tère, pour qu’elles retrouvent leur « voca­tion suprême ».

Puisse Marie, qui « pré­cède toute l’Eglise dans l’ordre de la foi, de la cha­ri­té et de la par­faite union au Christ » [63], obte­nir aus­si ce « fruit » pour nous tous, en l’Année que nous lui avons consa­crée, au seuil du troi­sième mil­lé­naire après l’a­vè­ne­ment du Christ !

En expri­mant ces vœux, j’ac­corde à tous les fidèles, et spé­cia­le­ment aux femmes, nos soeurs dans le Christ, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 15 août 1988, Solennité de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, en la dixième année de mon pontificat.

Jean-​Paul II

Notes

[1] Message du Concile aux femmes (8 décembre 1965) : AAS 58 (1966), p. 13–14.
[2] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 8, 9, 60.
[3] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décr. sur l’a­pos­to­lat des laïcs Apostolicam actuo­si­ta­tem, n. 9.
[4] Cf. PIE XII, Allocution aux femmes ita­liennes (21 octobre 1945) : AAS 37 (1945), p. 284–295 ; Alloc. à l’Union mon­diale des Organisations fémi­nines catho­liques (24 avril 1952) : AAS 44 (1952), p. 420–424 ; Discours aux par­ti­ci­pants du XIVe Congrès inter­na­tio­nal de l’Union mon­diale des Organisations fémi­nines catho­liques (29 sep­tembre 1957) : AAS 49 (1957), p. 906–922.
[5] Cf. JEAN XXIII, Encycl. Pacem in ter­ris (11 avril 1963) : AAS 55 (1963), p. 267–268.
[6] S. Thérèse de Jésus pro­cla­mée « Docteur de l’Église uni­ver­selle » (27 sep­tembre 1970) : AAS 62 (1970), p. 590–596 ; S. Catherine de Sienne pro­cla­mée « Docteur de l’Église uni­ver­selle » (4 octobre 1970) : AAS 62 (1970), p. 673–678.
[7] Cf. AAS 65 (1973), p. 284–285.
[8] PAUL VI, Discours aux par­ti­ci­pants de la Rencontre inter­na­tio­nale du Centre fémi­nin ita­lien (6 décembre 1976) : Insegnamenti di Paolo VI, XIV (1976), 1017.
[9] Cf. Encycl. Redemptoris Mater (25 mars 1987), n. 46 : AAS 79 (1987), p. 424–425. .
[10] CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 1.
[11] On peut trou­ver une expli­ca­tion du sens anthro­po­lo­gique et théo­lo­gique du « com­men­ce­ment » dans la pre­mière par­tie des allo­cu­tions du mer­cre­di (audiences géné­rales) consa­crées à la « théo­lo­gie du corps », à par­tir du 5 sep­tembre 1979 : Insegnamenti II, 2 (1979), p. 234–236. [12] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22.
[13] CONC. OECUM. VAT. II, Décl. sur les rela­tions de l’Église avec les reli­gions non chré­tiennes Nostra aetate, n. 1.
[14] Ibid., n. 2.
[15] CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2.
[16] Les Pères de l’Église pen­saient déjà que la pre­mière révé­la­tion de la Trinité dans le Nouveau Testament a été faite lors de l’Annonciation. Dans une homé­lie attri­buée à S. GRÉGOIRE LE THAUMATURGE, on lit : « Tu res­plen­dis de lumière, ô Marie, dans le sublime royaume spi­ri­tuel ! En toi est glo­ri­fié le Père, qui n’a pas de com­men­ce­ment et dont la puis­sance t’a prise sous son ombre. En toi est ado­ré le Fils, que tu as por­té selon la chair. En toi est célé­bré l’Esprit-​Saint, qui a accom­pli en ton sein la nais­sance du grand Roi. C’est grâce à toi, ô pleine de grâce, que la Trinité sainte et consub­stan­tielle a pu être connue dans le monde. » (Hom. 2, In Annuntiat. Virg. Mariae : PG 10, 1169). Cf. aus­si S. ANDRÉ DE CRÈTE, In Annuntiat B. Mariae : PG 97, 909.
[17] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décl. sur les rela­tions de l’Église avec les reli­gions non chré­tiennes Nostra aetate, n. 2.
[18] La doc­trine théo­lo­gique sur la Mère de Dieu (Théotokos), sou­te­nue par de nom­breux Pères de l’Église, mise en lumière et défi­nie aux Conciles d’Éphèse (DS 251) et de Chalcédoine (DS 301), a été expo­sée à nou­veau par le Concile Vatican II, au chap. VIII de la Const. dogm. sur l’Église Lumen gen­tium, n. 52–69. Cf. Encycl. Redemptoris Mater, n. 31–32, et notes 9. 78–83 : l.c., p. 365, 402–404.
[19] Cf. Encycl. Redemptoris Mater, n. 7–11, et les textes des Pères qui y sont cités à la note 21 : l. c., p. 367–373.
[20] Cf. ibid., n. 39–41 : l. c., p. 412–418.
[21] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Église Lumen gen­tium, n. 36.
[22] Cf. S. IRÉNÉE, Contre les héré­sies, V, 6 ; 1 ; V 16, 2–3 : S. Ch. 153, 72–81 et 216–221 ; S. GRÉGOIRE DE NYSSE, De hom. op. 16 : PG 44,180 ; In Cant. Cant hom. 2 : PG 44, 805–808 : S. AUGUSTIN, In Ps. 4, 8 : CCL 38, 17.
[23]« Persona est natu­rae ratio­na­lis indi­vi­dua sub­stan­tia » : M. SÉVERIN BOÈCE, Liber de per­so­na et dua­bus natu­ris, III : PL 64, 1343 ; cf. S. THOMAS D’AQUIN, Somme théo­lo­gique, Ia, q. 29, a. 1.
[24] Parmi les Pères de l’Église qui affirment l’é­ga­li­té fon­da­men­tale de l’homme et de la femme devant Dieu, cf. ORIGÈNE, In Iesu nave IX, 9 : PG 12, 878 ; CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Le Pédagogue, I, 4 : S. Ch. 70, 128–131 ; S. AUGUSTIN, Sermon 51, II, 3 : PL 38, 334–335.
[25] S. GRÉGOIRE DE NYSSE dit : « De plus, Dieu est amour et source d’a­mour. C’est le grand saint Jean qui le dit : « L’amour est de Dieu » et « Dieu est Amour. » (1 Jn 4, 7, 8.) Le Créateur a impri­mé en nous aus­si ce carac­tère. « A ceci tous recon­naî­tront que vous êtes mes dis­ciples : si vous avez de l’a­mour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35.) Si donc celui-​ci vient à man­quer, toute l’i­mage est défi­gu­rée. » (De hom. Op. 5 : PG 44, 137.)
[26] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.
[27] Cf. Nb 23, 19 ; Os 11, 9 ; Is 40, 18 ; 46, 5 ; cf. aus­si IVE CONCILE DU LATRAN (DS 806).
[28] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 13.
[29] « Diabolique », du grec « dia-​ballô » = « je divise, je sépare, je calom­nie ».
[30] Cf. ORIGÈNE, In Gen. hom. 13, 4 : PG 12, 234 ; S. GRÉGOIRE DE NYSSE, Traité de la vir­gi­ni­té, 12 : S. Ch. 119, 404–419 ; De beat. VI : PG 44, 1272.
[31] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 13.
[32] Cf. ibid., n. 24.
[33] C’est pré­ci­sé­ment en se réfé­rant à la loi divine que les Pères du IVe siècle ont for­te­ment réagi contre la dis­cri­mi­na­tion encore en vigueur à l’é­gard de la femme, dans les moeurs et la légis­la­tion civile de leur temps. Cf. S. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Or. 37, 6 : PG 36, 290 ; S. JÉRÔME, Ad Oceanum ep. 77, 3 : PL 22, 691 ; S. AMBROISE, De ins­tit. Virg. III, 16 : PL 16, 309 ; S. Augustin, Sermon 132, 2 : PL 38, 735 ; Sermon 392, 4 : PL 39, 1711.
[34] Cf. S. IRÉNÉE, Contre les héré­sies, III, 23, 7 : S. Ch. 211, 462–465 ; V, 21, 1 : S. Ch. 153, 260–265 ; S. ÉPIPHANE, Panar. III, 2, 78 : PG 42, 728–729 ; S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps. 103, s. 4, 6 : CCL 40, 1525.
[35] Cf. S. JUSTIN, Dial. cum Tryph. 100 : PG 6, 709–712 ; S. IRÉNÉE, Contre les héré­sies, III, 22, 4 : S. Ch. 211, 438–445 ; V, 19, 1 : S. Ch. 153, 248–251 ; S. CYRILLE DE JÉRUSALEM, Catech. 12, 15 : PG 33, 741 ; S. JEAN CHRYSOSTOME, in Ps. 44, 7 : PG 55, 193 ; S. JEAN DAMASCÈNE, Hom. 2 in dorm. B. V. M. 3 : S. Ch. 80, 130–135 ; HÉSYCHIUS, Sermon 5 in Deiparam : PG 93, 1464–1465 ; TERTULLIEN, De carne Christi 17 : CCL 2, 904–905 ; S. JÉRÔME, Epist. 22, 21 : PL 22, 408 ; S. AUGUSTIN, Sermon 51, 2–3 : PL 38, 335 ; Sermon 232, 2 : PL 38, 1108 ; cf. aus­si J. H. NEWMAN, A Letter ta the rev. E. B. Pusey, Longmans, London 1865 ; M. J. SCHEEBEN, Handbuch der Katholischen Dogmatik, V/​1 (Freiburg 1954), 243–266 ; V/​2 (Freiburg 1954), 306–499.
[36] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22.
[37] Cf. S. AMBROISE, De Instit. Virg., V, 33 : PL 16, 313.
[38] Cf. RABAN MAUR, De vita bea­tae Mariae Magdalenae, XXVII : « Salvator… ascen­sio­nis suae eam (= Mariam Magdalenam) ad apos­to­los ins­ti­tuit apos­to­lam » (PL 112, 1474). « Facta est Apostolorum Apostola, per hoc quod ei com­mit­ti­tur ut resur­rec­tio­nem domi­ni­cam dis­ci­pu­lis annun­tiet » : S. THOMAS D’AQUIN, In Ioannem Evangelistam Expositio, c. XX, l. III, 6 (Sancti Thomae Aquinatis Comment. in Matthaeum et loan­nem Evangelistas), Éd. Parmens. X, 629.
[39] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.
[40] Encycl. Redemptoris Mater, n. 18 : l. c., p. 383.
[41] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.
[42] Cf. Allocutions des mer­cre­dis 7 et 21 avril 1982 : Insegnamenti V, 1 (1982) 1126–1131 et 1175–1179.
[43] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 63 : S. AMBROISE, in Lc II, 7 : S. Ch. 45,74 ; De ins­tit. Virg. XIV, 87–89 : PL 16, 326–327 ; S. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Hom. 4 : PG 77, 996 ; S. ISIDORE DE SÉVILLE, Allegoriae 139 : PL 83, 117.
[44] CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n.63.
[45] Ibid., n. 64.
[46] Ibid., n. 64.
[47] Ibid., n. 64. Sur le rap­port entre Marie et l’Église, qui revient sans cesse dans la réflexion des Pères de l’Église et de toute la Tradition chré­tienne, cf. Encycl. Redemptoris Mater, n. 42–44 et notes 117 ‑127 : l. c., p. 418–422. Cf. aus­si CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Le Pédagogue, I, 6 : S. Ch. 70, 186–187 ; S. AMBROISE, in Lc II, 7 : S. Ch. 45–74 ; S. AUGUSTIN, Sermon 192, 2 : PL 38, 1012 ; Sermon 195, 2 : PL 38, 1018 ; Sermon 25, 8 : PL 46, 938 : S. LÉON LE GRAND, Sermon 25, 5 : PL 54, 211 ; Sermon 26, 2 : PL 54, 213 ; S. BÈDE LE VÉNÉRABLE, in Lc l, 2 : PL 92, 330. « L’une et l’autre sont mères, écrit ISAAC DE L’ÉTOILE, dis­ciple de S. Bernard ; l’une et l’autre, vierges. L’une et l’autre ont conçu du Saint-​Esprit. (…) L’une a engen­dré (…) une tête pour le corps ; l’autre a fait naître (…) un corps pour la tête. L’une et l’autre sont mères du Christ, mais aucune des deux ne l’en­fante tout entier sans l’autre. Aussi c’est à juste titre que (…) ce qui est dit en géné­ral de la vierge mère qu’est l’Église s’ap­plique en par­ti­cu­lier à la Vierge Marie ; et ce qui est dit de la vierge mère qu’est Marie, en par­ti­cu­lier, se com­prend en géné­ral de la vierge mère qu’est l’Église. Et lors­qu’un texte parle de l’une ou de l’autre, il peut s’ap­pli­quer presque sans dis­tinc­tion et indif­fé­rem­ment à l’une et à l’autre. » (Sermon 51, 7–8 : S. Ch. 339, 202–205.)
[48] Cf., par exemple, Os 1, 2 ; 2, 16–18 ; Jr 2, 2 ; Ez 16, 8 ; Is 50, 1 ; 54, 5–8.
[49] Cf Col 3, 18 ; 1 P 3, 1–6 ; Tt 2, 4–5 ; Ep 5, 22–24 ; 1 Co 11, 3–16 ; 14, 33–35 ; 1 Tm 2,11–15.
[50] Cf. CONGR. POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration sur la ques­tion de l’ad­mis­sion des femmes au sacer­doce minis­té­riel Inter insi­gniores (15 octobre 1976) : AAS 69 (1977), p. 98–116.
[51] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 10.
[52] Cf. ibid., n. 10.
[53] Cf. ibid., n. 18–29.
[54] Cf. ibid., n. 65, et aus­si n. 63 ; cf. Encycl. Redemptoris Mater, n. 2–6 : l. c., p. 362–367.
[55] « Ce pro­fil marial est aus­si fon­da­men­tal et carac­té­ris­tique de l’Église — sinon davan­tage — que le pro­fil apos­to­lique et pétri­nien, auquel il est pro­fon­dé­ment uni. (…) La dimen­sion mariale de l’Église pré­cède la dimen­sion pétri­nienne, tout en lui étant étroi­te­ment unie et com­plé­men­taire. Marie, l’Immaculée, pré­cède toute autre per­sonne et, bien sûr, Pierre lui-​même et les apôtres. Non seule­ment parce que Pierre et les apôtres, issus de la masse du genre humain qui naît sous le péché, font par­tie de l’Église « sanc­ta ex pec­ca­to­ri­bus », mais aus­si parce que leur triple munus ne tend à rien d’autre qu’à for­mer l’Église dans cet idéal de sain­te­té qui est déjà pré­for­mé et pré­fi­gu­ré en Marie. Comme l’a si bien dit un théo­lo­gien contem­po­rain, « Marie est “la Reine des apôtres”, sans reven­di­quer pour elle les pou­voirs apos­to­liques. Elle a autre chose et beau­coup plus. » (H. U. von BALTHASAR, Neue Klarstellunen) » : Allocution aux car­di­naux et aux pré­lats de la Curie romaine (22 décembre 1987) : l’Osservatore Romano, 23 décembre 1987.
[56] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 10.
[57] Ibid., n. 10.
[58] Cf. S. AUGUSTIN, De Trinitate, l. VIII, VII, 10‑X, 14 : CCL 50, 284–291.
[59] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.
[60] Cf. dans l’Appendice aux œuvres de S. AMBROISE, In Apoc. IV, 3–4 : PL 17, 876 ; PSEUDO-​AUGUSTIN, De symb. ad catech. ser­mo IV : PL 40, 661.
[61] CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 10.
[62] Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 36.
[63] Cf. ibid., n. 63.