Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 mars 1987,
solennité de l’Annonciation du Seigneur, en la neuvième année de mon pontificat.Vénérables Frères, chers Fils et Filles, salut et Bénédiction Apostolique !
I – INTRODUCTION
1. LA MÈRE DU RÉDEMPTEUR a une place bien définie dans le plan du salut, parce que, « quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 4–6).
Par ces paroles de l’Apôtre Paul, que le Concile Vatican II reprend au début de son exposé sur la Bienheureuse Vierge Marie 1, je voudrais, moi aussi, commencer ma réflexion sur le sens du rôle qu’a Marie dans le mystère du Christ et sur sa présence active et exemplaire dans la vie de l’Eglise. En effet, ces paroles proclament conjointement l’amour du Père, la mission du Fils, le don de l’Esprit, la femme qui a donné naissance au Rédempteur, notre filiation divine, dans le mystère de la « plénitude du temps » 2.
Cette plénitude détermine le moment fixé de toute éternité où le Père envoya son Fils « afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Elle désigne l’heureux moment où « le Verbe qui était avec Dieu, … s’est fait chair et a habité parmi nous » (Jn 1, 1. 14), se faisant notre frère. Elle marque le moment où l’Esprit, qui avait déjà répandu en Marie de Nazareth la plénitude de la grâce, forma en son sein virginal la nature humaine du Christ. Elle indique le moment où, par l’entrée de l’éternité dans le temps, le temps lui-même est sauvé et, pénétré par le mystère du Christ, devient définitivement le « temps du salut ». Enfin, elle désigne le début secret du cheminement de l’Eglise. Dans la liturgie, en effet, l’Eglise acclame Marie de Nazareth comme son commencement 3 parce que, dans l’événement de la conception immaculée, elle voit s’appliquer, par anticipation dans le plus noble de ses membres, la grâce salvifique de la Pâque, et surtout parce que dans l’événement de l’Incarnation elle trouve le Christ et Marie indissolublement associés : celui qui est son Seigneur et sa Tête et celle qui, en prononçant le premier fiat de la Nouvelle Alliance, préfigure sa condition d’épouse et de mère.
2. Soutenue par la présence du Christ (cf. Mt 28, 20), l’Eglise marche au cours du temps vers la consommation des siècles et va à la rencontre du Seigneur qui vient ; mais sur ce chemin ‑et je tiens à le faire remarquer d’emblée- elle progresse en suivant l’itinéraire accompli par la Vierge Marie qui « avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la Croix » 4.
Je reprends les paroles si denses et si évocatrices de la Constitution Lumen gentium, qui présente, dans sa conclusion, une synthèse remarquable de la doctrine enseignée par l’Eglise sur le thème de la Mère du Christ qu’elle vénère comme sa Mère très aimante et son modèle dans la foi, l’espérance et la charité.
Quelques années après le Concile, mon grand prédécesseur Paul VI voulut reparler de la Vierge très sainte, exposant dans l’encyclique Christi Matri, puis dans les exhortations apostoliques Signum magnum et Marialis cultus 5, les fondements et les critères de la vénération unique que reçoit la Mère du Christ dans l’Eglise, et également les différentes formes de la dévotion mariale – liturgiques, populaires ou privées- correspondant à l’esprit de la foi.
3. La circonstance qui me pousse à reprendre maintenant ce thème est la perspective de l’an 2000, désormais proche, où le Jubilé du bimillénaire de la naissance de Jésus Christ porte en même temps notre regard vers sa Mère. Ces dernières années, diverses voix se sont fait entendre pour exprimer l’opportunité de faire précéder cette commémoration par un Jubilé analogue destiné à célébrer la naissance de Marie.
En réalité, s’il n’est pas possible de déterminer chronologiquement un moment précis pour fixer la date de la naissance de Marie, dans l’Eglise on a constamment eu conscience de ce que Marie parut avant le Christ à l’horizon de l’histoire du salut 6. C’est une réalité que, tandis qu’approchait définitivement « la plénitude du temps », c’est-à-dire l’avènement salvifique de l’Emmanuel, celle qui était destinée de toute éternité à être sa Mère existait déjà sur la terre. Le fait qu’elle « précède » la venue du Christ se trouve reflété chaque année dans la liturgie de l’Avent. Si donc les années qui nous séparent de la conclusion du deuxième millénaire après le Christ et du commencement du troisième millénaire peuvent être rapprochées de cette antique attente historique du Sauveur, il devient pleinement compréhensible que nous désirions nous tourner spécialement en cette période vers celle qui, dans la « nuit » où était attendu l’Avènement, commença à resplendir comme une véritable « étoile du matin » (Stella matutina). En effet, comme cette étoile, en même temps que l”«aurore », précède le lever du soleil, de même Marie, dès sa conception immaculée, a précédé la venue du Sauveur, le lever du « soleil de justice » dans l’histoire du genre humain 7.
Sa présence en Israël ‑si discrète qu’elle passa presque inaperçue aux yeux de ses contemporains – resplendissait clairement devant l’Eternel qui avait associé au plan salvifique embrassant toute l’histoire de l’humanité cette « fille de Sion » cachée (cf. So 3, 14 ; Za 2, 14). C’est donc à juste titre que, au terme du deuxième millénaire, nous les chrétiens, sachant combien le plan providentiel de la Trinité Sainte est la réalité centrale de la révélation et de la foi, nous éprouvons le besoin de mettre en relief la présence unique de la Mère du Christ dans l’histoire, particulièrement au cours de ces dernières années avant l’an 2000.
4. Le Concile Vatican II nous prépare à cela en présentant dans son enseignement la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Eglise. En effet, s’il est vrai que « le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » – comme l’affirme ce même Concile 8 -, il convient d’appliquer ce principe d’une manière toute particulière à cette « fille des générations humaines » exceptionnelle, à cette « femme » extraordinaire qui devint la Mère du Christ. C’est seulement dans le mystère du Christ que s’éclaire pleinement son mystère. Du reste, c’est ainsi que l’Eglise a cherché à le déchiffrer dès le commencement : le mystère de l’Incarnation lui a permis de pénétrer et d’éclairer toujours mieux le mystère de la Mère du Verbe incarné. Dans cet approfondissement, le Concile d” Ephèse (431) eut une importance décisive, car, à la grande joie des chrétiens, la vérité sur la maternité divine de Marie y fut solennellement confirmée comme vérité de foi dans l’Eglise. Marie est la Mère de Dieu ( = Théotokos), parce que, par le Saint-Esprit, elle a conçu en son sein virginal et a mis au monde Jésus Christ, le Fils de Dieu consubstantiel au Père 9. « Le Fils de Dieu…, né de la Vierge Marie, est vraiment devenu l’un de nous » 10, il s’est fait homme. Ainsi donc, par le mystère du Christ, le mystère de sa Mère resplendit en plénitude à l’horizon de la foi de l’Eglise. A son tour, le dogme de la maternité divine de Marie fut pour le Concile d’Ephèse et est pour l’Eglise comme un sceau authentifiant le dogme de l’Incarnation, selon lequel le Verbe assume véritablement, dans l’unité de sa personne, la nature humaine sans l’abolir.
5. Présenter Marie dans le mystère du Christ, c’est aussi pour le Concile une manière d’approfondir la connaissance du mystère de l’Eglise. En effet, Marie, en tant que Mère du Christ, est unie spécialement à l’Eglise « que le Seigneur a établie comme son corps » 11. Le texte conciliaire rapproche de façon significative cette vérité sur l’Eglise corps du Christ (suivant l’enseignement des Lettres de saint Paul) de la vérité que le Fils de Dieu « par l’Esprit Saint est né de la Vierge Marie ». La réalité de l’Incarnation trouve pour ainsi dire son prolongement dans le mystère de l’Eglise – corps du Christ. Et l’on ne peut penser à la réalité même de l’Incarnation sans évoquer Marie, Mère du Verbe incarné.
Cependant, dans les présentes réflexions, je veux évoquer surtout le « pèlerinage de la foi » dans lequel « la bienheureuse Vierge avança », gardant fidèlement l’union avec le Christ 12. Ainsi ce « double lien » qui unit la Mère de Dieu avec le Christ et avec l’Eglise prend une signification historique. Il ne s’agit pas ici seulement de l’histoire de la Vierge Mère, de l’itinéraire personnel de sa foi et de la « meilleure part » qu’elle a dans le mystère du salut, mais aussi de l’histoire de tout le Peuple de Dieu, de tous ceux qui participent au même pèlerinage de la foi.
Cela, le Concile l’exprime dans un autre passage quand il constate que Marie « occupe la première place », devenant « figure de l’Eglise … dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ » 13. Sa « première place » comme figure, ou modèle, se rapporte au même mystère intime de l’Eglise qui réalise et accomplit sa mission salvifique en unissant en soi, comme Marie, les qualités de mère et de vierge. Elle est vierge, « ayant donné à son Epoux sa foi qu’elle garde intègre et pure », et elle « devient à son tour une Mère…: elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu » 14.
6. Tout cela s’accomplit au cours d’un grand processus historique et, en quelque sorte, d’un « itinéraire ». Le pèlerinage de la foi désigne l’histoire intérieure, pour ainsi dire l’histoire des âmes. Mais c’est aussi l’histoire des hommes, soumis à une condition transitoire sur cette terre, situés dans le cadre de l’histoire. Dans les réflexions qui suivent, nous voudrions être attentifs avant tout à la phase actuelle, qui, en soi, n’est pas encore l’histoire, et cependant la modèle sans cesse, spécialement au sens de l’histoire du salut. Un champ très ample s’ouvre ici à l’intérieur duquel la Bienheureuse Vierge Marie continue d’occuper « la première place » dans le Peuple de Dieu. Son pèlerinage de foi exceptionnel représente une référence constante pour l’Eglise, pour chacun individuellement et pour la communauté, pour les peuples et pour les nations et, en un sens, pour l’humanité entière. En vérité, il est difficile de saisir et de mesurer son rayonnement.
Le Concile souligne que la Mère de Dieu est désormais l’accomplissement eschatologique de l’Eglise : « L’Eglise, en la personne de la Bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Ep 5, 27)» ‑et il souligne simultanément que « les fidèles sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché : c’est pourquoi ils lèvent les yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus » 15. Le pèlerinage de la foi n’est plus ce qu’accomplit la Mère du Fils de Dieu : glorifiée dans les cieux aux côtés de son Fils, Marie a désormais franchi le seuil qui sépare la foi de la vision « face à face » (1 Co 13, 12). En même temps, toutefois, dans cet accomplissement eschatologique, Marie ne cesse d’être « l’étoile de la mer » (Maris stella) 16 pour tous ceux qui parcourent encore le chemin de la foi. S’ils lèvent les yeux vers elle dans les divers lieux de l’existence terrestre, ils le font parce qu’elle « engendra son Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (Rm 8, 29)» 17 et aussi parce que, « à la naissance et à l’éducation » de ces frères et de ces sœurs, elle « apporte la coopération de son amour maternel » 18.
PREMIÈRE PARTIE – MARIE DANS LE MYSTERE DU CHRIST
1. Pleine de grâce
7. « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ » (Ep 1, 3). Ces paroles de la Lettre aux Ephésiens révèlent le dessein éternel de Dieu le Père, son plan pour le salut de l’homme dans le Christ. C’est un plan universel qui concerne tous les hommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). Tous, de même qu’ils sont inclus « au commencement » dans l’œuvre créatrice de Dieu, sont aussi inclus éternellement dans le plan divin du salut qui doit se révéler totalement à la « plénitude du temps » avec la venue du Christ. En effet-et ce sont les paroles qui suivent dans la même Lettre-ce Dieu, qui est « Père de notre Seigneur Jésus Christ », « nous a élus en lui dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-aimé. En lui nous trouvons la rédemption par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce » (Ep 1, 4–7).
Le plan divin du salut, qui nous a été pleinement révélé par la venue du Christ, est éternel. Il est aussi-suivant l’enseignement de cette Lettre et d’autres Lettres de saint Paul (cf. Col 1, 12–14 ; Rm 3, 24 ; Gal 3, 13 ; 2 Co 5, 18–29) – éternellement lié au Christ. Il inclut toute l’humanité, mais réserve une place unique à la « femme » qui est la Mère de celui auquel le Père a confié l’œuvre du salut 19. Comme l’écrit le Concile Vatican II, « elle se trouve prophétiquement esquissée dans la promesse faite à nos premiers parents tombés dans le péché », selon le Livre de la Genèse (3, 15); « de même, c’est elle, la Vierge, qui concevra et enfantera un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel », selon les paroles d’Isaïe (cf. 7, 14) 20. Ainsi l’Ancien Testament prépare la « plénitude du temps » où Dieu « envoya son Fils, né d’une femme … pour faire de nous des fils adoptifs ». La venue au monde du Fils de Dieu est l’événement rapporté dans les premiers chapitres des Evangiles selon saint Luc et selon saint Matthieu.
8. Marie est définitivement introduite dans le mystère du Christ par cet événement : l’Annonciation de l’ange. Elle a lieu à Nazareth, dans des circonstances précises de l’histoire d’Israël, le premier peuple auquel furent adressées les promesses de Dieu. Le messager divin dit à la Vierge : « Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28). Marie « fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation » (Lc 1, 29), ce que pouvaient signifier ces paroles extraordinaires et, en particulier, l’expression « pleine de grâce » (kécharitôménê) 21.
Si nous voulons méditer avec Marie ces paroles et, spécialement, l’expression « pleine de grâce », nous pouvons trouver un rapprochement significatif précisément dans le passage cité ci-dessus de la Lettre aux Ephésiens. Et si, après l’annonce du messager céleste, la Vierge de Nazareth est aussi saluée comme « bénie entre les femmes » (cf. Lc 1, 42), cela s’éclaire à cause de la bénédiction dont le « Dieu et Père » nous a comblés « aux cieux, dans le Christ ». C’est une bénédiction spirituelle qui concerne tous les hommes et porte en elle-même la plénitude et l’universalité (« toutes sortes de bénédictions ») résultant de l’amour qui, dans l’Esprit Saint, unit au Père le Fils consubstantiel. En même temps, c’est une bénédiction reportée sur tous les hommes par le Christ Jésus dans l’histoire de l’humanité jusqu’à la fin. Cependant, cette bénédiction se rapporte à Marie d’une manière particulière et exceptionnelle : en effet, Elisabeth l’a saluée comme « bénie entre les femmes ».
Le motif de cette double salutation est donc que dans l’âme de cette « fille de Sion » s’est manifestée en un sens toute la « gloire de la grâce », dont « le Père … nous a gratifiés dans le Bien-aimé ». En effet, le messager salue Marie comme « pleine de grâce » : il l’appelle ainsi comme si c’était là son vrai nom. Il ne donne pas à celle à qui il s’adresse son nom propre suivant l’état civil terrestre : Miryam ( = Marie), mais ce nom nouveau : « pleine de grâce ». Que signifie ce nom ? Pourquoi l’archange appelle-t-il ainsi la Vierge de Nazareth ?
Dans le langage de la Bible, « grâce » signifie un don particulier qui, suivant le Nouveau Testament, prend sa source dans la vie trinitaire de Dieu lui-même, de Dieu qui est amour (cf. 1 Jn 4, 8). Le fruit de cet amour est l’élection, celle dont parle la Lettre aux Ephésiens. En Dieu, cette élection, c’est la volonté éternelle de sauver l’homme par la participation à sa propre vie (cf. 2 P 1, 4) dans le Christ : c’est le salut dans la participation à la vie surnaturelle. Ce don éternel, cette grâce de l’élection de l’homme par Dieu produisent comme un germe de sainteté, ou en quelque sorte une source naissant dans l’âme comme le don de Dieu lui-même qui vivifie et sanctifie les élus par la grâce. Ainsi cette bénédiction de l’homme « par toutes sortes de bénédictions spirituelles » s’accomplit, c’est-à-dire qu’elle devient une réalité : être « des fils adoptifs par Jésus Christ », par celui qui est de toute éternité le « Fils bien-aimé » du Père.
Lorsque nous lisons que le messager dit à Marie qu’elle est « comblée de grâce », le contexte de l’Evangile, où convergent les révélations et les promesses anciennes, nous laisse entendre qu’il s’agit là d’une bénédiction unique entre toutes les « bénédictions spirituelles dans le Christ ». Dans le mystère du Christ, elle est présente dès « avant la fondation du monde », elle est celle que le Père « a choisie » comme Mère de son Fils dans l’Incarnation- et, en même temps que le Père, le Fils l’a choisie, la confiant de toute éternité à l’Esprit de sainteté. Marie est unie au Christ d’une manière tout à fait particulière et exceptionnelle, et de même, elle est aimée en ce Fils bien-aimé de toute éternité, en ce Fils consubstantiel au Père en qui est concentrée toute « la gloire de la grâce ». En même temps, elle est et demeure parfaitement ouverte à ce « don d’en haut » (cf. Jc 1, 17). Comme l’enseigne le Concile, Marie « occupe la première place parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur qui espèrent et reçoivent le salut de lui avec confiance » 22.
9. Si la salutation et le nom « pleine de grâce » signifient tout cela, ils se rapportent avant tout, dans le contexte de l’Annonciation de l’ange, à l’élection de Marie comme Mère du Fils de Dieu. Mais la plénitude de grâce désigne en même temps tous les dons surnaturels dont Marie bénéficie en rapport avec le fait qu’elle a été choisie et destinée à être Mère du Christ. Si cette élection est fondamentale pour l’accomplissement du dessein salvifique de Dieu envers l’humanité, si le choix éternel dans le Christ et la destination à la dignité de fils adoptifs concernent tous les hommes, l’élection de Marie est tout à fait exceptionnelle et unique. En découle aussi le caractère unique de sa place dans le mystère du Christ.
Le messager divin le dit : « Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut » (Lc 1, 30–32). Et quand la Vierge troublée par cette salutation extraordinaire, demande : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? », elle reçoit de l’ange la confirmation et l’explication des paroles antérieures. Gabriel lui dit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35).
L’Annonciation est donc la révélation du mystère de l’Incarnation au commencement même de son accomplissement sur la terre. Le don que Dieu fait de lui-même et de sa vie pour le salut, en quelque sorte à toute la création et proprement à l’homme, atteint l’un de ses sommets dans le mystère de l’Incarnation. C’est là, en effet, un sommet entre tous les dons de la grâce dans l’histoire de l’homme et dans celle du cosmos. Marie est « pleine de grâce » parce que l’Incarnation du Verbe, l’union hypostatique du Fils de Dieu avec la nature humaine, se réalise et s’accomplit précisément en elle. Comme l’affirme le Concile, Marie est « la Mère du Fils de Dieu, et, par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit ; par le don de cette grâce suprême, elle dépasse de loin toutes les autres créatures dans le ciel et sur la terre » 23.
10. La Lettre aux Ephésiens, parlant de la « gloire de la grâce » dont « Dieu et Père nous a gratifiés dans le Bien-aimé », ajoute : « En lui nous trouvons la rédemption, par son sang » (Ep 1, 7). Selon la doctrine formulée dans des documents solennels de l’Eglise, cette « gloire de la grâce » s’est manifestée dans la Mère de Dieu par le fait qu’elle a été « rachetée de façon suréminente » 24. En vertu de la richesse de la grâce du Fils bien-aimé, en raison des mérites rédempteurs de celui qui devait devenir son Fils, Marie a été préservée de l’héritage du péché originel 25. Ainsi, dès le premier moment de sa conception c’est-à-dire de son existence, elle appartient au Christ, elle participe de la grâce salvifique et sanctifiante et de l’amour qui a sa source dans le « Bien-aimé », dans le Fils du Père éternel qui, par l’Incarnation, est devenu son propre Fils. C’est pourquoi, par l’Esprit, dans l’ordre de la grâce, c’est-à-dire de la participation à la nature divine, Marie reçoit la vie de celui auquel elle-même, dans l’ordre de la génération terrestre, donna la vie comme mère. La liturgie n’hésite pas à lui donner le titre de « Mère de son Créateur » 26, et à la saluer par les paroles que Dante Alighieri met sur les lèvres de saint Bernard : « Fille de ton Fils » 27. Et parce que cette « vie nouvelle », Marie la reçoit dans une plénitude qui convient à l’amour du Fils envers sa Mère- et donc à la dignité de la maternité divine -, l’ange de l’Annonciation l’appelle « pleine de grâce ».
11. Dans le dessein salvifique de la Sainte Trinité, le mystère de l’Incarnation constitue l’accomplissement suprême de la promesse faite par Dieu aux hommes après le péché originel, après le premier péché dont les effets pèsent sur toute l’histoire de l’homme ici-bas (cf. Gn 3, 15). Voici que vient au monde un Fils, le « lignage de la femme » qui vaincra le mal du péché à sa racine même : « Il écrasera la tête du serpent ». Comme le montrent les paroles du protévangile, la victoire du Fils de la femme ne se réalisera pas sans un dur combat qui doit remplir toute l’histoire humaine. « L’hostilité » annoncée au commencement est confirmée dans l’Apocalypse, le livre des fins dernières de l’Eglise et du monde, où réapparaît le signe d’une « femme », mais cette fois « enveloppée de soleil » (Ap 12, 1).
Marie, Mère du Verbe incarné, se trouve située au centre même de cette hostilité, de la lutte qui marque l’histoire de l’humanité sur la terre et l’histoire du salut elle-même. A cette place, elle qui fait partie des « humbles et des pauvres du Seigneur » porte en elle, comme personne d’autre parmi les êtres humains, la « gloire de la grâce » dont le Père « nous a gratifiés dans le Bien-aimé », et cette grâce détermine la grandeur et la beauté extraordinaires de tout son être. Marie demeure ainsi devant Dieu et aussi devant toute l’humanité le signe immuable et intangible de l’élection par Dieu dont parle la Lettre paulinienne : dans le Christ, « il nous a élus, dès avant la fondation du monde…, déterminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs » (Ep 1, 4. 5). Il y a dans cette élection plus de puissance que dans toute l’expérience du mal et du péché, que dans toute cette « hostilité » dont l’histoire de l’homme est marquée. Dans cette histoire, Marie demeure un signe d’espérance assurée.
2. Bienheureuse celle qui a cru
12. Aussitôt après le récit de l’Annonciation, l’évangéliste Luc nous conduit, sur les pas de la Vierge de Nazareth, vers « une ville de Juda » (Lc 1, 39). D’après les érudits, cette ville devrait être l’Ain-Karim d’aujourd’hui, située dans les montagnes, non loin de Jérusalem. Marie y alla « en hâte » pour rendre visite à Elisabeth, sa parente. Sa visite se trouve motivée par le fait qu’à l’Annonciation Gabriel avait nommé Elisabeth d’une manière remarquable, elle qui, à un âge avancé, grâce à la puissance de Dieu, avait conçu un fils de son époux Zacharie : « Elisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile ; car rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 36–37). Le messager divin s’était référé à ce qui était advenu en Elisabeth pour répondre à la question de Marie : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34). Oui, cela adviendra justement par la « puissance du Très-Haut », comme et plus encore que dans le cas d’Elisabeth.
Marie, poussée par la charité, se rend donc dans la maison de sa parente. A son entrée, Elisabeth répond à sa salutation et, sentant l’enfant tressaillir en son sein, « remplie d’Esprit Saint », à son tour salue Marie à haute voix : « Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! » (cf . Lc 1, 40–42 ). Cette exclamation ou cette acclamation d’Elisabeth devait entrer dans l’Ave Maria, à la suite du salut de l’ange, et devenir ainsi une des prières les plus fréquentes de l’Eglise. Mais les paroles d’Elisabeth sont encore plus significatives dans la question qui suit : « Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » (Lc 1, 43). Elisabeth rend témoignage à Marie : elle reconnaît et elle proclame que devant elle se tient la Mère du Seigneur, la Mère du Messie. Le fils qu’Elisabeth porte en elle prend part, lui aussi, à ce témoignage : « L’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein » (Lc 1, 44). Cet enfant sera Jean-Baptiste qui, au Jourdain, montrera en Jésus le Messie.
Dans la salutation d’Elisabeth, tous les mots sont lourds de sens ; cependant ce qu’elle dit à la fin semble d’une importance primordiale « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (Lc 1, 45) 28. On peut rapprocher ces mots du titre « pleine de grâce » dans la salutation de l’ange. Dans l’un et l’autre de ces textes se révèle un contenu mariologique essentiel c’est-à-dire la vérité sur Marie dont la présence dans le mystère du Christ est devenue effective parce qu’elle « a cru ». La plénitude de grâce, annoncée par l’ange, signifie le don de Dieu lui-même ; la foi de Marie, proclamée par Elisabeth lors de la Visitation, montre comment la Vierge de Nazareth a répondu à ce don.
13. Comme l’enseigne le Concile, « à Dieu qui révèle est due « l’obéissance de la foi » (Rm 16, 26 ; cf. Rm 1, 5 ; 2 Co 10, 5–6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu » 29. Cette définition de la foi trouve en Marie une réalisation parfaite. Le moment « décisif » fut l’Annonciation, et les paroles mêmes d’Elisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru » se rapportent en premier lieu à ce moment précis 30.
A l’Annonciation en effet, Marie, s’est remise à Dieu entièrement en manifestant « l’obéissance de la foi » à celui qui lui parlait par son messager, et en lui rendant « un complet hommage d’intelligence et de volonté » 31. Elle a donc répondu de tout son « moi » humain, féminin, et cette réponse de la foi comportait une coopération parfaite avec « la grâce prévenante et secourable de Dieu » et une disponibilité parfaite à l’action de l’Esprit Saint qui « ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite » 32.
Annoncée à Marie par l’ange, la parole du Dieu vivant la concernait elle-même : « Voici que tu concevras en ton sein et enfanteras un fils » (Lc 1, 31). En accueillant cette annonce, Marie allait devenir la « Mère du Seigneur » et le mystère divin de l’Incarnation s’accomplirait en elle : « Le Père des miséricordes a voulu que l’Incarnation fût précédée par une acceptation de la part de cette Mère prédestinée » 33. Et Marie donne ce consentement après avoir entendu toutes les paroles du messager. Elle dit : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! » (Lc 1, 38). Ce fiat de Marie -«qu’il m’advienne»- a déterminé, du côté humain, l’accomplissement du mystère divin. Il y a une pleine harmonie avec les paroles du Fils qui, suivant la Lettre aux Hébreux, dit au Père en entrant dans le monde : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as façonné un corps… Voici, je viens… pour faire, ô Dieu, ta volonté » (He 10, 5–7). Le mystère de l’Incarnation s’est accompli lorsque Marie a prononcé son fiat : « Qu’il m’advienne selon ta parole ! » rendant possible, pour ce qui la concernait dans le plan divin, la réalisation du dessein de son Fils.
Marie a prononcé ce fiat dans la foi. Par la foi, elle s’est remise à Dieu sans réserve et « elle se livra elle-même intégralement, comme la servante du Seigneur, à la personne et à l’œuvre de son Fils » 34. Et ce Fils, comme l’enseignent les Pères, elle l’a conçu en son esprit avant de le concevoir en son sein, précisément par la foi ! 35 C’est donc à juste titre qu’Elisabeth loue Marie « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! ». Ces paroles ont déjà été réalisées : Marie de Nazareth se présente sur le seuil de la maison d’Elisabeth et de Zacharie comme la mère du Fils de Dieu. Telle est l’heureuse découverte d’Elisabeth : « La mère de mon Seigneur vient à moi ! ».
14. Par conséquent, on peut aussi comparer la foi de Marie à celle d’Abraham que l’Apôtre appelle « notre père dans la foi » (cf. Rm 4, 12). Dans l’économie du salut révélée par Dieu, la foi d’Abraham représente le commencement de l’Ancienne Alliance ; la foi de Marie à l’Annonciation inaugure la Nouvelle Alliance. Comme Abraham, « espérant contre toute espérance, crut et devint ainsi père d’une multitude de peuples » (cf. Rm 4, 18), de même Marie, au moment de l’Annonciation, après avoir dit sa condition de vierge (« Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? »), crut que par la puissance du Très-Haut, par l’Esprit Saint, elle allait devenir la Mère du Fils de Dieu suivant la révélation de l’ange : « L’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35).
Cependant les paroles d’Elisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru » ne se rapportent pas seulement à ce moment précis de l’Annonciation Assurément, cela représente le point culminant de la foi de Marie dans son attente du Christ, mais c’est aussi le point de départ, le commencement de tout son « itinéraire vers Dieu », de tout son cheminement dans la foi. Et sur cette route, d’une manière éminente et véritablement héroïque – et même avec un héroïsme dans la foi toujours plus grand – s’accomplira l”«obéissance » à la parole de la révélation divine, telle qu’elle l’avait professée. Et cette « obéissance de la foi » chez Marie au cours de tout son itinéraire aura des analogies étonnantes avec la foi d’Abraham. Comme le patriarche du Peuple de Dieu, Marie de même, « espérant contre toute espérance, crut » tout au long de l’itinéraire de son fiat filial et maternel. Au cours de certaines étapes de cette route spécialement, la bénédiction accordée à « cellé qui a cru » sera manifestée avec une particuliere évidence. Croire veut dire « se livrer » à la verite même de la parole du Dieu vivant, en sachant et en reconnaissant humblement « combien sont insondables ses décrets et incompréhensibles ses voies » (Rm 11, 33). Marie qui par la volonté éternelle du Très-Haut, s’est trouvée, peut-on dire, au centre même de ces « voies incompréhensibles » et de ces « décrets insondables » de Dieu, s’y conforme dans l’obscurité de la foi, acceptant pleinement, le cœur ouvert tout ce qui est prévu dans le plan divin.
15. Quand Marie, à l’Annonciation, entend parler du Fils dont elle doit devenir mère et qu’elle « appellera du nom de Jésus » ( = Sauveur), il lui est aussi donné de savoir que « le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père », qu’il « régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin » (Lc 1, 32–33). C’est dans cette direction que s’orientait toute l’espérance d’Israël. Le Messie promis doit être « grand », le messager céleste annonce aussi qu’il « sera grand » ‑grand par le nom de Fils du Très-Haut ou parce qu’il reçoit l’héritage de David. Il doit donc être roi, il doit régner « sur la maison de Jacob ». Marie a grandi au milieu de cette attente de son peuple : pouvait-elle saisir, au moment de l’Annonciation, quelle signification primordiale avaient les paroles de l’ange ? Et comment doit-on comprendre ce « règne » qui « n’aura pas de fin » ?
Même si, à cet instant, elle s’est sentie dans la foi mère du « Messie-roi », elle a cependant répondu : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). Dès ce premier moment, Marie a professé avant tout son « obéissance de la foi », elle s’en remet au sens que donnait aux paroles de l’Annonciation celui dont elles provenaient : Dieu lui-même.
16. Toujours sur cette route de l”«obéissance de la foi », Marie entend peu après d’autres paroles, celles que prononce Syméon au temple de Jérusalem. On était déjà au quarantième jour après la naissance de Jésus, lorsque, suivant la prescription de la Loi de Moïse, Marie et Joseph « emmenèrent l’enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur » (Lc 2, 22). La naissance avait eu lieu dans des conditions de pauvreté extrême. Luc nous apprend en effet que lorsque Marie se rendit à Bethléem avec Joseph à l’occasion du recensement de la population ordonné par les autorités romaines, n’ayant pas trouvé de « place à l’auberge », elle enfanta son Fils dans une étable et « le coucha dans une crèche » (cf. Lc 2, 7).
Un homme juste et craignant Dieu, du nom de Syméon, apparaît en ce commencement de « l’itinéraire » de la foi de Marie. Ses paroles, suggérées par l’Esprit Saint (cf Lc 2, 25–27), confirment la vérité de l’Annonciation. En effet, nous lisons qu’il « reçut dans ses bras » l’enfant qui- suivant la consigne de l’ange- « fut appelé du nom de Jésus » (cf. Lc 2, 21). Le discours de Syméon est accordé au sens de ce nom qui veut dire Sauveur : « Dieu est le salut ». S’adressant au Seigneur, il s’exprime ainsi : « Mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » (Lc 2, 30–32). Au même moment, Syméon s’adresse aussi à Marie en disant : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction ‑afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs» ; et il ajoute en s’adressant directement à Marie : « Et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! » (Lc 2, 34–35). Les paroles de Syméon mettent dans une nouvelle lumière l’annonce que Marie a entendue de l’ange : Jésus est le Sauveur, il est « lumière pour éclairer » les hommes. N’est-ce pas cela qui a été manifesté, en quelque sorte, la nuit de Noël, quand les bergers sont venus à l’étable (cf. Lc 2, 8–20)? N’est-ce pas cela qui devait être manifesté davantage encore lorsque vinrent des Mages d’Orient (cf. Mt 2, 1–12)? Cependant, dès le début de sa vie, le Fils de Marie, et sa Mère avec lui, éprouveront aussi en eux-mêmes la vérité des autres paroles de Syméon : « Un signe en butte à la contradiction » (Lc 2, 34). Ce que dit Syméon apparaît comme une seconde annonce faite à Marie, car il lui montre la dimension historique concrète dans laquelle son Fils accomplira sa mission : dans l’incompréhension et dans la souffrance. Si, d’une part, une telle annonce confirme sa foi dans l’accomplissement des promesses divines du salut, d’autre part, elle lui révèle aussi qu’elle devra vivre l’obéissance de la foi dans la souffrance aux côtés du Sauveur souffrant, et que sa maternité sera obscure et douloureuse. Et de fait, après la visite des Mages, après leur hommage (« se prosternant, ils lui rendirent hommage »), après l’offrande des présents (cf. Mt 2, 11), Marie avec l’enfant dut fuir en Egypte sous la protection attentive de Joseph, parce que « Hérode recherchait l’enfant pour le faire périr » (cf. Mt 2, 13). Et ils devront rester en Egypte jusqu’à la mort d’Hérode (cf. Mt 2, 15).
17. Après la mort d’Hérode, quand la sainte Famille retourne à Nazareth, commence la longue période de la vie cachée. « Celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45) vit chaque jour le sens de ces paroles. Le Fils qu’elle a appelé du nom de Jésus est quotidiennement auprès d’elle ; donc, à son contact, elle utilise certainement ce nom qui, d’ailleurs, ne pouvait provoquer aucune surprise car il était en usage en Israël depuis longtemps. Toutefois, Marie sait que celui qui porte le nom de Jésus a été appelé par l’ange « Fils du Très-Haut » (cf. Lc 1, 32). Marie sait qu’elle l’a conçu et enfanté « sans connaître d’homme », par l’Esprit Saint, avec la puissance du Très-Haut qui l’a prise sous son ombre (cf. Lc 1, 35), de même qu’au temps de Moïse et des Pères la nuée voilait la présence de Dieu (cf. Ex 24, 16 ; 40, 34–35 ; 1 R 8, 10–12). Marie sait donc que le Fils qu’elle a enfanté dans sa virginité est précisément ce « Saint », « le Fils de Dieu » dont l’ange lui a parlé.
Pendant les années de la vie cachée de Jésus dans la maison de Nazareth, la vie de Marie, elle aussi, est « cachée avec le Christ en Dieu » (cf Col 3, 3) dans la foi. En effet, la foi est un contact avec le mystère de Dieu. Constamment, quotidiennement, Marie est en contact avec le mystère ineffable de Dieu fait homme, mystère qui dépasse tout ce qui a été révélé dans l’Ancienne Alliance. Dès le moment de l’Annonciation, l’esprit de la Vierge-Mère a été introduit dans la « nouveauté » radicale de la révélation que Dieu fait de lui-même, et elle a pris conscience du mystère. Elle est la première de ces « petits » dont Jésus dira un jour : « Père, … tu as caché cela aux sages et aux intelligents et tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25). En effet, « nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père » (Mt 11, 27). Comment Marie peut-elle donc « connaître le Fils » ? Elle ne le connaît certes pas comme le Père ; et pourtant elle est la première de ceux auxquels le Père « a voulu le révéler » (cf. Mt 11, 26–27 ; 1 Co 2, 11). Néanmoins si, dès le moment de l’Annonciation, le Fils, lui dont seul le Père connaît la vérité entière, lui a été révélé comme celui que le Père engendre dans l’éternel « aujourd’hui » (cf. Ps 2, 7), Marie, sa Mère, est au contact de la vérité de son Fils seulement dans la foi et par la foi ! Elle est donc bienheureuse parce qu’elle « a cru » et parce qu’elle croit chaque jour, à travers toutes les épreuves et les difficultés de la période de l’enfance de Jésus, puis au cours des années de la vie cachée à Nazareth où il « leur était soumis » (Lc 2, 51): soumis à Marie, et à Joseph également, parce que ce dernier lui tenait lieu de père devant les hommes ; c’est pourquoi le Fils de Marie était considéré par les gens comme « le fils du charpentier » (Mt 13, 55).
Ainsi la Mère de ce Fils, gardant la mémoire de ce qui a été dit à l’Annonciation et au cours des événements suivants, porte en elle la « nouveauté » radicale de la foi, le commencement de la Nouvelle Alliance. C’est là le commencement de l’Evangile, c’est-à-dire de la bonne nouvelle, de la joyeuse nouvelle. Il n’est cependant pas difficile d’observer en ce commencement une certaine peine du cœur, rejoignant une sorte de « nuit de la foi » – pour reprendre l’expression de saint Jean de la Croix‑, comme un « voile » à travers lequel il faut approcher l’Invisible et vivre dans l’intimité du mystère 36. C’est de cette manière, en effet, que Marie, pendant de nombreuses années, demeura dans l’intimité du mystère de son Fils et avança dans son itinéraire de foi, au fur et à mesure que Jésus « croissait en sagesse … et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52). La prédilection que Dieu avait pour lui se manifestait toujours plus aux yeux des hommes. La première des créatures humaines admises à la découverte du Christ fut Marie qui vivait avec Joseph dans la même maison à Nazareth.
Toutefois, après que Jésus, agé de douze ans, eut été retrouvé dans le temple, et que, à la question de sa mère : « Pourquoi nous as-tu fait cela ? », il eut répondu : « Ne savez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? », l’évangéliste ajoute : « Mais eux (Joseph et Marie) ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire » (Lc 2, 48–50). Jésus avait donc conscience de ce que « seul le Père connaît le Fils » (cf. Mt 11, 27), à tel point que même celle à qui avait été révélé plus profondément le mystère de sa filiation divine, sa Mère, ne vivait dans l’intimité de ce mystère que par la foi ! Se trouvant aux côtés de son Fils, sous le même toit, et « gardant fidèlement l’union avec son Fils », elle « avançait dans son pèlerinage de foi », comme le souligne le Concile 37. Et il en fut de même au cours de la vie publique du Christ (cf. Mc 3, 21–35), de sorte que, de jour en jour, s’accomplissait en elle la bénédiction prononcée par Elisabeth à la Visitation : « Bienheureuse celle qui a cru ».
18. Cette bénédiction atteint la plénitude de son sens lorsque Marie se tient au pied de la Croix de son Fils (cf. Jn 19, 25). Le Concile déclare que cela se produisit « non sans un dessein divin » : « Souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour », Marie « garda fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la Croix » 38 : l’union par la foi, par la foi même avec laquelle elle avait accueilli la révélation de l’ange au moment de l’Annonciation. Elle s’était alors entendu dire aussi : « Il sera grand… Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin » (Lc 1, 32–33).
Et maintenant, debout au pied de la Croix, Marie est témoin, humainement parlant, d’un total démenti de ces paroles. Son Fils agonise sur ce bois comme un condamné. « Objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur…, méprisé, nous n’en faisions aucun cas », il était comme détruit (cf. Is 53, 3–5). Comme elle est grande, comme elle est alors héroïque l’obéissance de la foi dont Marie fait preuve face aux « décrets insondables » de Dieu ! Comme elle « se livre à Dieu » sans réserve, dans « un complet hommage d’intelligence et de volonté » 39 à celui dont « les voies sont incompréhensibles » (cf. Rm 11, 33)! Et aussi comme est puissante l’action de la grâce dans son âme, comme est pénétrante l’influence de l’Esprit Saint, de sa lumière et de sa puissance !
Par une telle foi, Marie est unie parfaitement au Christ dans son dépouillement. En effet, « le Christ Jésus, … de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes » : sur le Golgotha justement, « il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (cf. Ph 2, 5–8). Au pied de la Croix, Marie participe par la foi au mystère bouleversant de ce dépouillement. C’est là, sans doute, la « kénose » de la foi la plus profonde dans l’histoire de l’humanité. Par la foi, la Mère participe à la mort de son Fils, à sa mort rédemptrice ; mais, à la différence de celle des disciples qui s’enfuyaient, sa foi était beaucoup plus éclairée. Par la Croix, Jésus a définitivement confirmé sur le Golgotha qu’il était le « signe en butte à la contradiction » prédit par Syméon. En même temps s’accomplissaient là les paroles qu’il avait adressées à Marie : « Et toi-même, une épée te transpercera l’âme » 40.
19. Oui vraiment, « bienheureuse celle qui a cru » ! Ici, au pied de la Croix, ces paroles qu’Elisabeth avait prononcées après l’Annonciation semblent retentir avec une éloquence suprême et leur force devient profondément pénétrante. Depuis la Croix, pour ainsi dire du cœur même du mystère de la Rédemption, le rayonnement de cette bénédiction de la foi s’étend et sa perspective s’élargit. Elle rejaillit « jusqu’au commencement » et, comme participation au sacrifice du Christ, nouvel Adam, elle devient, en un sens, la contrepartie de la désobéissance et de l’incrédulité comprises dans le péché des premiers parents. C’est ce qu’enseignent les Pères de l’Eglise et, en particulier, saint Irénée cité par la Constitution Lumen gentium : « Le nœud de la désobéissance d’Eve a été dénoué par l’obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité, la Vierge Marie l’a délié par sa foi » 41. A la lumière de cette comparaison avec Eve , les Pères ‑comme le rappelle aussi le Concile- donnent à Marie le titre de « Mère des vivants » et ils disent souvent : « Par Eve la mort, par Marie la vie » 42.
C’est donc à juste titre que nous pouvons trouver dans la parole « Bienheureuse celle qui a cru » en quelque sorte une clé qui nous fait accéder à la réalité intime de Marie, de celle que l’ange a saluée comme « pleine de grâce ». Si elle a été éternellement présente dans le mystère du Christ parce que « pleine de grâce », par la foi elle y participa dans toute l’ampleur de son itinéraire terrestre : « elle avanca dans son pèlerinage de foi » et, en même temps, de manière discrète mais directe et efficace, elle rendait présent aux hommes le mystère du Christ. Et elle continue encore à le faire. Par le mystère du Christ, elle est aussi présente parmi les hommes. Ainsi, par le mystère du Fils, s’éclaire également le mystère de la Mère.
3. Voici ta mère
20. L’Evangile de Luc conserve le souvenir du moment où « une femme éleva la voix du milieu de la foule et dit », s’adressant à Jésus : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins qui t’ont nourri de leur lait ! » (Lc 11, 27). Ces paroles constituent une louange de Marie comme Mère de Jésus selon la chair. La Mère de Jésus n’était peut-être pas connue personnellement de cette femme ; en effet, quand Jésus commença son action messianique, Marie ne l’accompagnait pas et continuait à vivre à Nazareth. On pourrait dire que les paroles de cette femme inconnue l’ont fait sortir, en quelque sorte, de son obscurité.
Par ces paroles, se trouve mis en lumière au milieu de la foule, au moins un instant, l’évangile de l’enfance de Jésus. C’est l’évangile où Marie est présente comme la mère qui conçoit Jésus dans son sein, le met au monde et l’allaite maternellement : la mère et nourrice à laquelle fait allusion cette femme au milieu du peuple. Grâce à cette maternité, Jésus ‑le Fils du Très-Haut (cf. Lc 1, 32)- est un véritable fils de l’homme. Il est « chair » comme tout homme : il est « le Verbe [qui] s’est fait chair » (cf. Jn 1, 14). Il est chair et sang de Marie 43.
Mais Jésus répond de manière très significative à la bénédiction prononcée par cette femme à l’égard de sa mère selon la chair : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et l’observent ! » (Lc 11, 28). Il veut détourner l’attention de la maternité entendue seulement comme un lien de la chair pour l’orienter vers les liens mystérieux de l’esprit, qui se forment dans l’écoute et l’observance de la Parole de Dieu.
Le même passage à la sphère des valeurs spirituelles se dessine plus clairement encore dans une autre réponse de Jésus, rapportée par tous les Synoptiques. Lorsqu’on annonce à Jésus que « sa mère et ses frères se tiennent dehors et veulent le voir », il répond : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » (cf. Lc 8, 20–21). Il dit cela en « promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui » comme nous le lisons dans Marc (3, 34), ou en « tendant sa main vers ses disciples », selon Matthieu (12, 49).
Ces expressions semblent se placer dans la ligne de ce que Jésus, âgé de douze ans, répondit à Marie et à Joseph, lorsqu’il fut retrouvé après trois jours dans le temple de Jérusalem.
A présent, alors que Jésus avait quitté Nazareth pour commencer sa vie publique dans toute la Palestine, il était désormais entièrement et exclusivement « occupé aux affaires de son Père » (cf. Lc 2, 49). Il annonçait le Royaume : le « Royaume de Dieu » et les « affaires du Père » qui donnent aussi une dimension nouvelle et un sens nouveau à tout ce qui est humain et, par conséquent, à tout lien humain par rapport aux fins et aux devoirs assignés à chaque homme. Dans cette nouvelle dimension, même un lien comme celui de la « fraternité » prend un sens différent de la « fraternité selon la chair » provenant de la filiation commune par rapport aux mêmes parents. Et même la « maternité », dans le cadre du Règne de Dieu, sous l’angle de la paternité de Dieu lui-même, acquiert un autre sens. Par les paroles que rapporte Luc, Jésus enseigne précisément ce nouveau sens de la maternité.
S’éloigne-t-il par là de celle qui l’a mis au monde selon la chair ? Voudrait-il la maintenir dans l’ombre de la discrétion qu’elle a elle-même choisie ? Si l’on s’en tient au premier sens de ces paroles, il peut sembler en être ainsi, mais on doit observer que la maternité nouvelle et différente dont Jésus parle à ses disciples concerne précisément Marie de manière toute spéciale. Marie n’est-elle pas la première de « ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » ? Dans ces conditions, la bénédiction prononcée par Jésus en réponse aux paroles de la femme anonyme ne la concerne-t-elle pas avant tout ? Assurément Marie est digne d’être bénie, du fait qu’elle est devenue la Mère de Jésus selon la chair (« Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins qui t’ont nourri de leur lait ! »), mais aussi et surtout parce que dès le moment de l’Annonciation elle a accueilli la Parole de Dieu, parce qu’elle a cru, parce qu’elle a obéi à Dieu, parce qu’elle « conservait » la Parole et « la méditait dans son cœur » (cf. Lc 1, 38. 45 ; 2, 19. 51) et l’accomplissait par toute sa vie. Nous pouvons donc affirmer que la bénédiction prononcée par Jésus ne contredit pas, malgré les apparences, celle que formule la femme inconnue, mais elle la rejoint dans la personne de la Mère-Vierge qui ne s’est dite que « la servante du Seigneur » (Lc 1, 38). S’il est vrai que « toutes les générations la diront bienheureuse » (cf. Lc 1, 48), on peut dire que cette femme anonyme a été la première à confirmer à son insu ce verset prophétique du Magnificat de Marie et à inaugurer le Magnificat des siècles.
Si, par la foi, Marie est devenue la mère du Fils qui lui a été donné par le Père avec la puissance de l’Esprit Saint, gardant l’intégrité de sa virginité, dans la même foi elle a découvert et accueilli l’autre dimension de la maternité, révélée par Jésus au cours de sa mission messianique. On peut dire que cette dimension de la maternité appartenait à Marie dès le commencement, c’est-à-dire dès le moment de la conception et de la naissance de son Fils. Dès lors, elle était « celle qui a cru ». Mais à mesure que se clarifiait à ses yeux et en son esprit la mission de son Fils, elle-même, comme Mère, s’ouvrait toujours plus à cette « nouveauté » de la maternité qui devait constituer son « rôle » aux côtés de son Fils. N’avait-elle pas dit dès le commencement : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38)? Dans la foi, Marie continuait à entendre et à méditer cette parole par laquelle la révélation que le Dieu vivant fait de lui-même devenait toujours plus transparente, d’une manière « qui surpasse toute connaissance » (Ep 3, 19). Mère, Marie devenait ainsi en un sens le premier « disciple » de son Fils, la première à qui il semblait dire : « Suis-moi ! », avant même d’adresser cet appel aux Apôtres ou à quiconque (cf. Jn 1, 43).
21. De ce point de vue, le texte de l’Evangile de Jean qui nous présente Marie aux noces de Cana est particulièrement éloquent. Marie y paraît comme la Mère de Jésus au commencement de sa vie publique : « Il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples » (Jn 2, 1–2). On pourrait déduire du texte que Jésus et ses disciples furent invités avec Marie, en quelque sorte à cause de la présence de cette dernière à la fête : le Fils semble invité à cause de la Mère. On sait la suite des événements découlant de cette invitation, le « commencement des signes » accomplis par Jésus ‑l’eau changée en vin‑, ce qui fait dire à l’évangéliste : Jésus « manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn 2, 11).
Marie est présente à Cana de Galilée en tant que Mère de Jésus et il est significatif qu’elle contribue au « commencement des signes » qui révèlent la puissance messianique de son Fils : « Or il n’y avait plus de vin. La Mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin ». Jésus lui dit : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore arrivée »» (Jn 2, 3–4). Dans l’Evangile de Jean, cette « heure » signifie le moment fixé par le Père où le Fils accomplit son œuvre et doit être glorifié (cf. Jn 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23. 27 ; 13, 1 ; 17, 1 ; 19, 27). Même si la réponse de Jésus à sa Mère paraît s’entendre comme un refus (surtout si l’on considère, plus que la question, l’affirmation tranchante : « Mon heure n’est pas encore arrivée »), Marie ne s’en adresse pas moins aux servants et leur dit : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5). Jésus ordonne alors aux servants de remplir d’eau les jarres, et l’eau devient du vin meilleur que celui qui avait été d’abord servi aux hôtes du banquet nuptial.
Quelle entente profonde entre Jésus et sa mère ! Comment pénétrer le mystère de leur union spirituelle intime ? Mais le fait est éloquent. Il est certain que dans cet événement se dessine déjà assez clairement la nouvelle dimension, le sens nouveau de la maternité de Marie. Elle a un sens qui n’est pas exclusivement compris dans les paroles de Jésus et les divers épisodes rapportés par les Synoptiques (Lc 11, 27–28 et Lc 8, 19–21 ; Mt 12, 46–50 ; Mc 3, 31–35). Dans ces textes, Jésus entend surtout opposer la maternité relevant du seul fait de la naissance à ce que cette « maternité » (comme la « fraternité ») doit être dans le cadre du Royaume de Dieu, sous le rayonnement salvifique de la paternité de Dieu. Dans le texte johannique, au contraire, par la description de l’événement de Cana, se dessine ce qui se manifeste concrètement comme la maternité nouvelle selon l’esprit et non selon la chair, c’est-à-dire la sollicitude de Marie pour les hommes, le fait qu’elle va au-devant de toute la gamme de leurs besoins et de leurs nécessités.
A Cana de Galilée, seul un aspect concret de la pauvreté humaine est montré, apparemment minime et de peu d’importance (« Ils n’ont pas de vin ») . Mais cela a une valeur symbolique : aller au-devant des besoins de l’homme veut dire, en même temps, les introduire dans le rayonnement de la mission messianique et de la puissance salvifique du Christ. Il y a donc une médiation : Marie se situe entre son Fils et les hommes dans la réalité de leurs privations, de leur pauvreté et de leurs souffrances. Elle se place « au milieu », c’est-à-dire qu’elle agit en médiatrice non pas de l’extérieur, mais à sa place de mère, consciente, comme telle, de pouvoir montrer au Fils les besoins des hommes ‑ou plutôt d’en « avoir le droit ». Sa médiation a donc un caractère d’intercession : Marie « intercède » pour les hommes. Non seulement cela : en tant que Mère, elle désire aussi que se manifeste la puissance messianique de son Fils, c’est-à-dire sa puissance salvifique destinée à secourir le malheur des hommes, à libérer l’homme du mal qui pèse sur sa vie sous différentes formes et dans des mesures diverses. C’est cela précisément qu’avait prédit le prophète Isaïe au sujet du Messie dans le texte célèbre auquel Jésus s’est référé devant ses concitoyens de Nazareth : « Pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, … annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue …» (cf. Lc 4, 18).
Un autre élément essentiel de ce rôle maternel de Marie se trouve dans ce qu’elle dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». La Mère du Christ se présente devant les hommes comme porte-parole de la volonté du Fils, celle qui montre quelles exigences doivent être satisfaites afin que puisse se manifester la puissance salvifique du Messie. A Cana, grâce à l’intercession de Marie et à l’obéissance des serviteurs, Jésus inaugure « son heure ». A Cana, Marie apparaît comme quelqu’un qui croit en Jésus : sa foi en provoque le premier « signe » et contribue à susciter la foi des disciples.
22. Nous pouvons dire ainsi que dans cette page de l’Evangile de Jean nous trouvons comme une première manifestation de la vérité sur la sollicitude maternelle de Marie. Cette vérité a été exprimée également dans l’enseignement du récent Concile, et il est important de remarquer que le rôle maternel de Marie est illustré dans son rapport avec la médiation du Christ. Nous lisons en effet : « Le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu », parce qu”«il n’y a qu’un Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même » (1 Tm 2, 5). La médiation maternelle de Marie découle, suivant le bon vouloir de Dieu, « de la surabondance des mérites du Christ ; elle s’appuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et d’où elle tire toute sa vertu » 44. C’est précisément dans ce sens que l’événement de Cana en Galilée nous présente comme une première annonce de la médiation de Marie, tout orientée vers le Christ et tendue vers la révélation de sa puissance salvifique.
Du texte johannique il ressort qu’il s’agit d’une médiation maternelle. Comme l’affirme le Concile, Marie « est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère ». Cette maternité dans l’ordre de la grâce découle de sa maternité divine elle-même, car, étant en vertu d’une disposition divine la mère du Rédempteur, celle qui l’a nourri, elle a été « associée généreusement à son œuvre à un titre absolument unique, humble servante du Seigneur » qui « apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle » 45. Et « cette maternité de Marie dans l’économie de la grâce se continue sans interruption jusqu’à la consommation définitive de tous les élus » 46.
23. Si le passage de l’Evangile de Jean sur l’événement de Cana présente la maternité prévenante de Marie au commencement de l’activité messianique du Christ, un autre passage du même Evangile confirme la place de cette maternité dans l’économie salvifique de la grâce à son moment suprême, c’est-à-dire quand s’accomplit le sacrifice de la Croix du Christ, son mystère pascal. Le récit de Jean est concis : « Près de la Croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19, 25–27).
On reconnaît assurément dans cet épisode une expression de la sollicitude unique du Fils pour la Mère qu’il laissait dans une très grande douleur. Cependant le « testament de la Croix » du Christ en dit plus sur le sens de cette sollicitude. Jésus faisait ressortir entre la Mère et le Fils un nouveau lien dont il confirme solennellement toute la vérité et toute la réalité. On peut dire que, si la maternité de Marie envers les hommes avait déjà été antérieurement annoncée, elle est maintenant clairement précisée et établie : elle résulte de l’accomplissement plénier du mystère pascal du Rédempteur. La Mère du Christ, se trouvant directement dans le rayonnement de ce mystère où sont impliqués les hommes ‑tous et chacun‑, est donnée aux hommes ‑à tous et à chacun- comme mère. L’homme présent au pied de la Croix est Jean, « le disciple qu’il aimait » 47. Et pourtant, il ne s’agit pas que de lui seul. Selon la Tradition, le Concile n’hésite pas à appeler Marie « Mère du Christ et Mère des hommes » : en effet, elle est, « comme descendante d’Adam, réunie à l’ensemble de l’humanité…, bien mieux, elle est vraiment « Mère des membres [du Christ]… ayant coopéré par sa charité à la naissance dans l’Eglise des fidèles » » 48.
Cette « nouvelle maternité de Marie », établie dans la foi, est un fruit de l’amour « nouveau » qui s’approfondit en elle définitivement au pied de la Croix, par sa participation à l’amour rédempteur du Fils.
24. Nous nous trouvons ainsi au centre même de l’accomplissement de la promesse incluse dans le protévangile : « Le lignage de la femme écrasera la tête du serpent » (cf. Gn 3, 15). De fait, par sa mort rédemptrice, Jésus Christ vainc à sa racine même le mal du péché et de la mort. Il est significatif que, s’adressant à sa Mère du haut de la Croix, il l’appelle « femme » et lui dit : « Femme, voici ton fils ». D’ailleurs, il avait aussi employé le même mot pour s’adresser à elle à Cana (cf. Jn 2, 4). Comment douter qu’ici spécialement, sur le Golgotha, cette parole n’atteigne la profondeur du mystère de Marie, en faisant ressortir la place unique qu’elle a dans toute l’économie du salut ? Comme l’enseigne le Concile, avec Marie, « la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s’accomplissent les temps et s’instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit d’elle la nature humaine pour libérer l’homme du péché par les mystères de sa chair » 49.
Les paroles que Jésus prononce du haut de la Croix signifient que la maternité de sa Mère trouve un « nouveau » prolongement dans l’Eglise et par l’Eglise symbolisée et représentée par Jean. Ainsi celle qui, « pleine de grâce », a été introduite dans le mystère du Christ pour être sa Mère, c’est-à-dire la Sainte Mère de Dieu, demeure dans ce mystère par l’Eglise comme « la femme » que désignent le livre de la Genèse (3, 15) au commencement, et l’Apocalypse (12, 1) à la fin de l’histoire du salut. Selon le dessein éternel de la Providence, la maternité divine de Marie doit s’étendre à l’Eglise, comme le montrent les affirmations de la Tradition, pour lesquelles la maternité de Marie à l’égard de l’Eglise est le reflet et le prolongement de sa maternité à l’égard du Fils de Dieu 50.
Selon le Concile, le moment même de la naissance de l’Eglise et de sa pleine manifestation au monde laisse entrevoir cette continuité de la maternité de Marie : « Comme il a plu à Dieu de ne manifester ouvertement le mystère du salut des hommes qu’à l’heure où il répandrait l’Esprit promis par le Christ, on voit les Apôtres, avant le jour de la Pentecôte, « persévérant d’une même cœur dans la prière avec quelques femmes dont Marie, Mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1, 14); et l’on voit Marie appelant elle aussi de ses prières le don de l’Esprit qui, à l’Annonciation, l’avait déjà elle-même prise sous son ombre » 51.
Il y a donc, dans l’économie de la grâce, réalisée sous l’action de l’Esprit Saint, une correspondance unique entre le moment de l’Incarnation du Verbe et celui de la naissance de l’Eglise. La personne qui fait l’unité entre ces deux moments est Marie : Marie à Nazareth et Marie au Cénacle de Jérusalem. Dans les deux cas, sa présence discrète, mais essentielle, montre la voie de la « naissance par l’Esprit ». Ainsi celle qui est présente dans le mystère du Christ comme Mère est rendue présente ‑par la volonté du Fils et par l’Esprit Saint- dans le mystère de l’Eglise. Et dans l’Eglise encore, elle continue à être une présence maternelle, comme le montrent les paroles prononcées sur la Croix : « Femme, voici ton fils» ; « Voici ta mère ».
DEUXIÈME PARTIE – LA MERE DE DIEU AU CENTRE DE L’EGLISE EN MARCHE
1. L’Eglise, Peuple de Dieu présent dans toutes les nations de la terre
25. « L’Eglise « avance dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu » 52, annonçant la Croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1 Co 11, 26 » 53. « Tout comme l’Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom d’Eglise de Dieu (cf. 2 Esd 13, 1 ; Nb 20, 4 ; Dt 23, 1 ss.), ainsi le nouvel Israël … est appelé lui aussi l’Eglise du Christ (cf. Mt 16, 18): c’est le Christ, en effet, qui l’a acheté de son sang (cf. Ac 20, 28), empli de son Esprit et pourvu des moyens adaptés pour son unité visible et sociale. L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus, auteur du salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Eglise, pour qu’elle soit, aux yeux de tous et de chacun le sacrement visible de cette unité salvifique » 54.
Le Concile Vatican II parle de l’Eglise en marche, établissant une analogie avec l’Israël de l’Ancienne Alliance en marche à travers le désert. Le pèlerinage garde encore un caractère extérieur, visible dans le temps et dans l’espace où il est historiquement réalisé. L’Eglise est destinée, en effet, « à s’étendre à toutes les parties du monde, elle prend place dans l’histoire humaine, bien qu’elle soit en même temps transcendante aux limites des peuples dans le temps et dans l’espace » 55. Cependant le caractère essentiel de son pèlerinage est intérieur : il s’agit d’un pèlerinage par la foi, « par la vertu du Seigneur ressuscité » 56, un pèlerinage dans l’Esprit Saint donné à l’Eglise comme le Consolateur invisible (paraklètos) (cf. Jn 14, 26 ; 15, 26 ; 16, 7). « Marchant à travers les tentations, les tribulations, l’Eglise est soutenue par la vertu de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur pour que … elle se renouvelle sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans couchant » 57.
C’est justement dans ce cheminement, ce pèlerinage ecclésial à travers l’espace et le temps, et plus encore à travers l’histoire des âmes, que Marie est présente, comme celle qui est « heureuse parce qu’elle a cru », comme celle qui avançait dans le pèlerinage de la foi, participant comme aucune autre créature au mystère du Christ. Le Concile dit encore que, « intimement présente … à l’histoire du salut, Marie rassemble et reflète en elle-même d’une certaine façon les requêtes suprêmes de la foi » 58. Au milieu de tous les croyants, elle est comme un « miroir » dans lequel se reflètent « les merveilles de Dieu » (Ac 2, 11) de la manière la plus profonde et la plus limpide.
26. L’Eglise, établie par le Christ sur le fondement des Apôtres, a pris une pleine conscience de ces merveilles de Dieu le jour de la Pentecôte, lorsque ceux qui étaient rassemblés dans le Cénacle « furent tous remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2, 4). A ce moment commence aussi le cheminement de la foi, le pèlerinage de l’Eglise à travers l’histoire des hommes et des peuples. On sait qu’au début de ce cheminement Marie est présente, nous la voyons au milieu des Apôtres dans le Cénacle « appelant de ses prières le don de l’Esprit » 59.
Son cheminement de foi est, en un sens, plus long. L’Esprit Saint est déjà descendu sur elle ; elle est devenue son épouse fidèle à l’Annonciation, elle accueille le Verbe du vrai Dieu et rend «« un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle » dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait », et même s’en remet tout entière à Dieu par « l’obéissance de la foi » 60, ce pourquoi elle répond à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! ». L’itinéraire de la foi de Marie, que nous voyons en prière au Cénacle, est donc plus long que celui des autres rassemblés là : Marie les « précède », « occupe la première place » 61. Le moment de la Pentecôte à Jérusalem a été préparé par la Croix mais aussi par le moment de l’Annonciation à Nazareth. Au Cénacle, l’itinéraire de Marie croise le cheminement de l’Eglise dans la foi. De quelle manière ?
Parmi ceux qui étaient assidus à la prière au Cénacle, se préparant à aller « dans le monde entier » après avoir reçu l’Esprit Saint, certains avaient, les uns après les autres, été appelés par Jésus depuis le début de sa mission en Israël. Onze d’entre eux avaient été établis comme Apôtres, et Jésus leur avait confié la mission qu’il avait lui-même reçue du Père : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21), avait-il dit aux Apôtres après la Résurrection. Et quarante jours plus tard, avant de retourner vers le Père, il avait ajouté : quand « l’Esprit Saint descendra sur vous, vous serez mes témoins… jusqu’aux extrémités de la terre » (cf. .Ac 1, 8). Cette mission des Apôtres commence dès qu’ils sortent du Cénacle de Jérusalem. L’Eglise naît et grandit alors grâce au témoignage que Pierre et les autres Apôtres rendent au Christ crucifié et ressuscité (cf. Ac 2, 31–34 ; 3, 15–18 ; 4, 10–12 ; 5, 30–32).
Marie n’a pas reçu directement cette mission apostolique. Elle n’était pas parmi ceux que Jésus envoya pour « faire des disciples de toutes les nations » (cf. Mt 28, 19), lorsqu’il leur conféra cette mission. Mais elle était dans le Cénacle où les Apôtres se préparaient à assumer cette mission grâce à la venue de l’Esprit de Vérité : elle était avec eux. Au milieu d’eux, Marie était « assidue à la prière » en tant que « Mère de Jésus » (cf. Ac 1, 13–14), c’est-à-dire du Christ crucifié et ressuscité. Et le premier noyau de ceux qui regardaient « avec la foi vers Jésus auteur du salut » 62 savait bien que Jésus était le Fils de Marie et qu’elle était sa Mère, et que, comme telle, elle était depuis le moment de la conception et de la naissance, un témoin unique du mystère de Jésus, de ce mystère qui s’était dévoilé et confirmé sous leurs yeux par la Croix et la Résurrection. Dès le premier moment, l’Eglise « regardait » donc Marie à travers Jésus, comme elle « regardait » Jésus à travers Marie. Celle-ci fut pour l’Eglise d’alors et de toujours un témoin unique des années de l’enfance de Jésus et de sa vie cachée à Nazareth, alors qu”« elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 19 ; cf. Lc 2, 51).
Mais dans l’Eglise d’alors et de toujours, Marie a été et demeure avant tout celle qui est « heureuse parce qu’elle a cru » : elle a cru la première. Dès le moment de l’Annonciation et de la conception, dès le moment de la Nativité dans la grotte de Bethléem, Marie, au long de son pèlerinage maternel dans la foi, suivait Jésus pas à pas. Elle le suivait au cours des années de sa vie cachée à Nazareth, elle le suivait aussi dans la période de l’éloignement apparent, lorsqu’il commença à « faire et enseigner » (cf. Ac 1, 1) en Israël, elle le suivit surtout dans l’expérience tragique du Golgotha. Et maintenant, alors que Marie se trouve avec les Apôtres au Cénacle de Jérusalem à l’aube de l’Eglise, sa foi, née dans les paroles de l’Annonciation, reçoit sa confirmation. L’ange lui avait dit : « Tu concevras et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand…; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin ». Les événements récents du Calvaire avaient enveloppé de ténèbres cette promesse ; et pourtant, même au pied de la Croix, la foi de Marie n’avait pas défailli. Elle était encore celle qui, comme Abraham, « crut, espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18). Et voici qu’après la Résurrection, l’espérance avait dévoilé son véritable visage et la promesse avait commencé à devenir réalité. En effet, Jésus, avant de retourner vers le Père, avait dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (cf. Mt 28, 19. 20). Telles étaient les paroles de celui qui s’était révélé, par sa Résurrection, comme le vainqueur de la mort, comme le détenteur du règne qui « n’aura pas de fin » ainsi que l’ange l’avait annoncé.
27. A l’aube de l’Eglise, au commencement du long cheminement dans la foi qui s’ouvrait par la Pentecôte à Jérusalem, Marie était avec tous ceux qui constituaient le germe du « nouvel Israël ». Elle était présente au milieu d’eux comme un témoin exceptionnel du mystère du Christ. Et l’Eglise était assidue dans la prière avec elle et, en même temps, « la contemplait dans la lumière du Verbe fait homme ». Et il en serait toujours ainsi. En effet, quand l’Eglise « pénètre plus avant dans le mystère suprême de l’Incarnation », elle pense à la Mère du Christ avec une vénération et une piété profondes 63. Marie appartient au mystère du Christ inséparablement, et elle appartient aussi au mystère de l’Eglise dès le commencement, dès le jour de sa naissance. A la base de ce que l’Eglise est depuis le commencement, de ce qu’elle doit constamment devenir de génération en génération au milieu de toutes les nations de la terre, se trouve celle « qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45). Précisément cette foi de Marie, qui marque le commencement de l’Alliance nouvelle et éternelle de Dieu avec l’humanité en Jésus Christ, cette foi héroïque « précède » le témoignage apostolique de l’Eglise et demeure au cœur de l’Eglise, cachée comme un héritage spécial de la révélation de Dieu. Tous ceux qui participent à cet héritage mystérieux de génération en génération, acceptant le témoignage apostolique de l’Eglise, participent, en un sens, à la foi de Marie.
Les paroles d’Elisabeth, « heureuse celle qui a cru », continuent encore à suivre la Vierge à la Pentecôte ; elles la suivent d’âge en âge, partout où se répand la connaissance du mystère salvifique du Christ, par le témoignage apostolique et l’œuvre de l’Eglise. Ainsi s’accomplit la prophétie du Magnificat : « Tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! » (Lc 1, 48–49). En effet, de la connaissance du mystère du Christ découle la bénédiction de sa Mère, sous la forme d’une vénération spéciale pour la Théotokos. Mais dans cette vénération est toujours comprise la bénédiction de sa foi, car la Vierge de Nazareth est devenue bienheureuse surtout par cette foi, selon les paroles d’Elisabeth. Ceux qui à chaque génération accueillent avec foi le mystère du Christ, Verbe incarné et Rédempteur du monde, dans les différents peuples et nations de la terre, non seulement se tournent avec vénération vers Marie et recourent à elle avec confiance comme à sa Mère, mais ils cherchent dans sa foi un soutien pour leur foi. Et c’est précisément cette vive participation à la foi de Marie qui détermine sa présence particulière dans le pèlerinage de l’Eglise comme nouveau Peuple de Dieu sur toute la terre.
28. Comme le dit le Concile, « intimement présente à l’histoire du salut, Marie … appelle les fidèles à son Fils et à son sacrifice, ainsi qu’à l’amour du Père, lorsqu’elle est l’objet de la prédication et de la vénération » 64. C’est pourquoi, en se fondant sur le témoignage apostolique de l’Eglise, en quelque manière, la foi de Marie devient constamment la foi du Peuple de Dieu en marche, des personnes et des communautés, des milieux et des assemblées, et finalement des différents groupes qui se trouvent dans l’Eglise. C’est une foi qui est transmise en même temps par la connaissance et par le cœur ; elle s’acquiert ou se renouvelle sans cesse par la prière. « C’est pourquoi, dans l’exercice de son apostolat, l’Eglise regarde à juste titre vers celle qui engendra le Christ, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge précisément afin de naître et de grandir aussi par l’Eglise dans le cœur des fidèles » 65.
Aujourd’hui, alors que dans ce pèlerinage de la foi nous nous approchons du terme du second millénaire chrétien, l’Eglise, par l’enseignement du Concile Vatican II, attire l’attention sur ce qu’elle découvre en elle-même, « l’unique Peuple de Dieu présent à tous les peuples de la terre », et sur la vérité que tous les fidèles, même « dispersés à travers le monde, sont, dans l’Esprit Saint, en communion avec les autres » 66, au point de pouvoir dire que dans cette union se réalise en continuité le mystère de la Pentecôte. En même temps, les Apôtres et les disciples du Seigneur, dans toutes les nations de la terre, « sont assidus à la prière avec Marie, la mère de Jésus » (Ac 1, 14). Constituant de génération en génération le « signe du Royaume » qui n’est pas de ce monde 67, ils ont aussi conscience de ce qu’au milieu de ce monde ils doivent se rassembler autour du Roi auquel les nations ont été données pour héritage (cf. Ps 2, 8), auquel le Père a donné « le trône de David, son père », afin qu’il « règne sur la maison de Jacob pour les siècles et que son règne n’ait pas de fin ».
En cette période de vigile, par la foi même qui l’a rendue bienheureuse, spécialement depuis le moment de l’Annonciation, Marie est présente dans la mission de l’Eglise, présente dans l’action de l’Eglise qui fait entrer dans le monde le Règne de son Fils 68. Cette présence de Marie connait de multiples modes d’expression à l’heure actuelle comme dans toute l’histoire de l’Eglise. Son action rayonne aussi de multiples manières : par la foi et la piété des fidèles individuellement, par les traditions des familles chrétiennes ou des « églises domestiques », des communautés paroissiales et missionnaires, des instituts religieux, des diocèses, par la force d’attraction et de rayonnement des grands sanctuaires où non seulement les individus ou les groupes locaux, mais parfois des nations et des continents entiers cherchent la rencontre avec la Mère du Seigneur, avec celle qui est bienheureuse parce qu’elle a cru, celle qui est la première parmi les croyants et pour cela est devenue Mère de l’Emmanuel. C’est là ce qu’évoque la Terre de Palestine, patrie spirituelle de tous les chrétiens, parce qu’elle est la patrie du Sauveur du monde et de sa Mère. C’est là ce qu’évoquent les innombrables sanctuaires que la foi chrétienne a élevés au cours des siècles à Rome et dans le monde entier. C’est là ce qu’évoquent des centres comme Guadalupe, Lourdes, Fatima et d’autres dispersés dans différents pays, parmi lesquels comment pourrais je ne pas rappeler celui de ma terre natale, Jasna Góra ? On pourrait parler peut-être d’une véritable « géographie » de la foi et de la piété mariale, qui comprend tous ces lieux de pèlerinage particulier du Peuple de Dieu à la recherche d’une rencontre avec la Mère de Dieu pour trouver, dans le rayonnement de la présence maternelle de « celle qui a cru », l’affermissement de sa propre foi. En effet, dans la foi de Marie, dès l’Annonciation et de manière achevée au pied de la Croix s’est rouvert en l’homme l’espace intérieur dans lequel le Père éternel peut nous combler « de toutes sortes de bénédictions spirituelles » : l’espace « de l’Alliance nouvelle et éternelle » 69. Cet espace subsiste dans l’Eglise, qui est en Jésus Christ « un sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » 70.
Dans la foi que Marie professa à l’Annonciation comme « servante du Seigneur » et dans laquelle elle « précède » sans cesse le Peuple de Dieu en marche sur toute la terre, l’Eglise, « perpétuellement, tend à récapituler l’humanité entière… sous le Christ chef, dans l’unité de son Esprit » 71.
29. « L’Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et l’action qui tendent à l’union paisible de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l’unique Pasteur » 72. La marche de l’Eglise, particulièrement à notre époque, est marquée par le signe de l’œcuménisme : les chrétiens cherchent les moyens de reconstruire l’unité que le Christ demanda au Père pour ses disciples à la veille de sa passion : « Afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21). L’unité des disciples du Christ est donc un signe marquant pour susciter la foi du monde, alors que leur division constitue un scandale 73.
Le mouvement œcuménique, par une conscience plus claire et plus répandue de ce qu’il y a urgence à parvenir à l’unité de tous les chrétiens, a connu dans l’Eglise catholique son expression la plus forte avec « œuvre du Concile Vatican II : il faut que les chrétiens approfondissent personnellement et dans chacune de leurs communautés l”«obéissance de la foi » dont Marie est l’exemple premier et le plus éclairant. Et « parce qu’elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage », « le saint Concile trouve une grande joie et consolation au fait que, parmi nos frères désunis, il n’en manque pas qui rendent à la Mère du Seigneur et Sauveur l’honneur qui lui est dû, chez les Orientaux en particulier » 74.
30. Les chrétiens savent que leur unité ne sera vraiment retrouvée que lorsqu’elle sera fondée sur l’unité de leur foi. Ils doivent surmonter des désaccords doctrinaux non négligeables au sujet du mystère et du ministère de l’Eglise et parfois aussi du rôle de Marie dans l’œuvre du salut 75. Les dialogues entrepris par l’Eglise catholique avec les Eglises et les Communautés ecclésiales d’Occident 76 convergent de plus en plus sur ces deux aspects inséparables du mystère du salut lui-même. Si le mystère du Verbe incarné nous fait entrevoir le mystère de la maternité divine et si, à son tour, la contemplation de la Mère de Dieu nous introduit dans une intelligence plus profonde du mystère de l’Incarnation, on doit en dire autant du mystère de l’Eglise et du rôle de Marie dans l’œuvre du salut. Approfondissant l’un et l’autre, éclairant l’un par l’autre, les chrétiens désireux de faire ce que Jésus leur dira ‑comme le leur recommande leur Mère (cf. Jn 2, 5) ‑pourront progresser ensemble dans le « pèlerinage de la foi » dont Marie est toujours l’exemple et qui doit les conduire à l’unité voulue par leur unique Seigneur et tellement désirée par ceux qui sont attentivement à l’écoute de ce qu’aujourd’hui « l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2, 7. ll. 17).
Il est déjà de bon augure que ces Eglises et ces Communautés ecclésiales rejoignent l’Eglise catholique sur des points fondamentaux de la foi chrétienne également en ce qui concerne la Vierge Marie. En effet, elles la reconnaissent comme la Mère du Seigneur et estiment que cela fait partie de notre foi dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme. Elles la contemplent au pied de la Croix, recevant comme son fils le disciple bien-aimé, qui à son tour la reçoit comme sa mère.
Pourquoi, alors, ne pas la considérer tous ensemble comme notre Mère commune qui prie pour l’unité de la famille de Dieu, et qui nous « précède » tous à la tête du long cortège des témoins de la foi en l’unique Seigneur, le Fils de Dieu, conçu dans son sein virginal par l’Esprit Saint ?
31. Par ailleurs, je voudrais souligner à quel point l’Eglise catholique, l’Eglise orthodoxe et les antiques Eglises orientales se sentent profondément unies dans l’amour et dans la louange de la Théotokos. Non seulement « les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur la Trinité, le Verbe de Dieu qui a pris chair de la Vierge Marie, ont été définis dans les Conciles œcuméniques tenus en Orient » 77, mais encore, dans leur culte liturgique « les Orientaux célèbrent en des hymnes magnifiques Marie toujours Vierge… et Très Sainte Mère de Dieu » 78.
Nos frères de ces Eglises ont connu des vicissitudes complexes, mais leur histoire a toujours été animée par un grand désir d’engagement chrétien et de rayonnement apostolique, même si elle a été marquée par des persécutions sanglantes. C’est une histoire de fidélité au Seigneur, un « pèlerinage de la foi » authentique à travers les lieux et les temps, au cours desquels les chrétiens orientaux se sont toujours tournés vers la Mère du Seigneur avec une confiance sans limite, ils l’ont célébrée par leurs louanges et l’ont invoquée par des prières constantes. Aux moments difficiles de leur existence chrétienne tourmentée, « ils se sont réfugiés sous sa protection » 79, conscients d’avoir en elle un puissant secours. Les Eglises qui professent la doctrine d’Ephèse proclament la Vierge « vraie Mère de Dieu », parce que « notre Seigneur Jésus Christ,… engendré du Père avant les siècles, selon la divinité, est né en ces derniers jours pour nous et pour notre salut, de Marie, la Vierge, Mère de Dieu, selon l’humanité » 80. Les Pères grecs et la tradition byzantine, contemplant la Vierge à la lumière du Verbe fait homme, ont cherché à pénétrer la profondeur du lien qui unit Marie, comme Mère de Dieu, au Christ et à l’Eglise : la Vierge a une présence permanente dans toute l’ampleur du mystère du salut.
Les traditions coptes et éthiopiennes sont entrées dans cette contemplation du mystère de Marie grâce à saint Cyrille d’Alexandrie et, à leur tour, elles ont célébré ce mystère par une abondante efflorescence poétique 81. Dans son génie poétique, saint Ephrem le Syrien, appelé « la lyre de l’Esprit Saint », a inlassablement composé des hymnes à Marie, laissant son empreinte aujourd’hui encore sur toute la tradition de l’Eglise syriaque 82. Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné 83.
Il n’est donc pas surprenant que Marie occupe une place privilégiée dans le culte des antiques Eglises orientales, avec une abondance incomparable de fêtes et d’hymnes.
32. Dans la liturgie byzantine, à toutes les heures de l’Office divin, la louange de la Mère est jointe à la louange du Fils et à la louange qui, par le Fils, s’élève vers le Père dans l’Esprit Saint. Dans l’anaphore ou prière eucharistique de saint Jean Chrysostome, aussitôt après l’épiclèse, la communauté rassemblée chante ainsi la Mère de Dieu : « Il est vraiment juste de te proclamer bienheureuse, ô Théotokos, bienheureuse toujours, tout immaculée et Mère de notre Dieu. Toi qui es plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, toi qui sans souillure as engendré Dieu le Verbe, toi qui es réellement Mère de Dieu, nous te magnifions ».
Ces louanges qui, dans toutes les célébrations de la liturgie eucharistique, s’élèvent vers Marie, ont forgé la foi, la piété et la prière des fidèles. Au cours des siècles, elles ont pénétré toute leur spiritualité, suscitant en eux une dévotion profonde envers la « Toute Sainte Mère de Dieu ».
33. On célèbre cette année le douzième centenaire du IIe Concile œcuménique de Nicée 787, qui mit fin à la controverse sur le culte des images sacrées et déclara que, suivant l’enseignement des saints Pères et la tradition universelle de l’Eglise, on pouvait proposer à la vénération des fidèles, en même temps que la Croix, les images de la Mère de Dieu, des Anges et des Saints, dans les églises, dans les maisons ou le long des rues 84. Cet usage a été conservé dans tout l’Orient et aussi en Occident : les images de la Vierge ont une place d’honneur dans les églises et les maisons. Marie y est représentée comme trône de Dieu, qui porte le Seigneur et le donne aux hommes (Théotokos), ou comme la voie qui conduit au Christ et le présente (Odigitria), ou comme orante qui intercède, et signe de la présence divine sur la route des fidèles jusqu’au Jour du Seigneur (Deèsis), ou comme la protectrice qui étend son manteau sur le peuple (Pokrov), ou comme la Vierge de tendresse miséricordieuse (Elèousa). On la représente habituellement avec son Fils, l’enfant Jésus, qu’elle porte dans ses bras : c’est la relation avec son Fils, lequel glorifie sa Mère. Parfois elle l’embrasse avec tendresse (Glykophilousa); en d’autres cas, hiératique, elle semble absorbée dans la contemplation de celui qui est Seigneur de l’histoire (cf. Ap 5, 9–14) 85.
Il convient de rappeler encore l’icône de la Vierge de Vladimir qui a constamment accompagné le pèlerinage de foi des peuples de l’antique Rous. Le premier millénaire de la conversion au christianisme de ces terres nobles approche : terres de croyants, de penseurs et de saints. Les icônes sont toujours vénérées en Ukraine, en Biélorussie, en Russie, sous divers titres : ces images témoignent de la foi et de l’esprit de prière du bon peuple qui ressent la présence et la protection de la Mère de Dieu. Dans ces icônes, la Vierge resplendit comme l’image de la beauté divine, la demeure de la Sagesse éternelle, la figure de l’orante, le modèle de la contemplation, l’icône de la gloire : celle qui, dès sa vie terrestre, a atteint dans la foi la connaissance la plus sublime, car elle possédait une science spirituelle inaccessible aux raisonnements humains. Je rappelle encore l’icône de la Vierge au Cénacle, en prière avec les Apôtres dans l’attente de l’Esprit : ne pourrait-elle pas devenir comme le signe de l’espérance pour tous ceux qui, dans le dialogue fraternel, désirent approfondir leur obéissance dans la foi ?
34. Une telle richesse de louanges, rassemblée dans les différentes formes de la grande tradition de l’Eglise, pourrait nous aider à faire en sorte que celle-ci se remette à respirer pleinement de ses « deux poumons », oriental et occidental. Comme je l’ai affirmé maintes fois, cela est nécessaire aujourd’hui plus que jamais. Ce serait un soutien efficace pour faire progresser le dialogue en cours entre l’Eglise catholique et les Eglises et les Communautés ecclésiales d’Occident 86. Cela ouvrirait aussi la voie à l’Eglise en marche pour qu’elle chante et vive de manière plus parfaite son Magnificat.
35. Dans la phase actuelle de sa marche, l’Eglise cherche donc à retrouver l’unité de ceux qui professent la foi au Christ, afin de faire preuve d’obéissance à son Seigneur qui, avant sa passion, a prié pour cette unité. Elle « avance dans son pèlerinage…, annonçant la Croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » 87. « Marchant à travers les tentations, les tribulations, l’Eglise est soutenue par la force de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne manque pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la digne Epouse, se renouvelant sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans couchant » 88.
La Vierge Mère est constamment présente dans ce cheminement de foi du Peuple de Dieu vers la lumière. Nous en avons pour témoignage particulier le cantique du « Magnificat » qui, jailli des profondeurs de la foi de Marie lors de la Visitation, ne cesse de résonner dans le cœur de l’Eglise à travers les siècles. Il est en effet répété quotidiennement dans la liturgie des Vêpres et dans bien d’autres actes de piété personnelle et communautaire.
« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais, tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Son amour s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël, son serviteur,
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1, 46–55).
36. Quand Elisabeth salua sa jeune parente qui arrivait de Nazareth, Marie lui répondit par le Magnificat. En saluant Marie, Elisabeth avait commencé par l’appeler « bénie », à cause du « fruit de son sein », puis « bienheureuse » en raison de sa foi (cf. Lc 1, 42. 45). Ces deux bénédictions se référaient directement au moment de l’Annonciation. Or, à la Visitation, lorsque la salutation d’Elisabeth rend témoignage à ce moment primordial, la foi de Marie devient encore plus consciente et trouve une nouvelle expression. Ce qui, lors de l’Annonciation, restait caché dans les profondeurs de l”«obéissance de la foi », se libère maintenant, dirait-on, comme une flamme claire, vivifiante, de l’esprit. Les expressions utilisées par Marie au seuil de la maison d’Elisabeth constituent une profession de foi inspirée, dans laquelle la réponse à la parole de la Révélation s’exprime par l’élévation spirituelle et poétique de tout son être vers Dieu. Dans ces expressions sublimes, qui sont à la fois très simples et pleinement inspirées par les textes sacrés du peuple d’Israël 89, transparaît l’expérience personnelle de Marie, l’extase de son cœur. En elles resplendit un rayon du mystère de Dieu, la gloire de sa sainteté ineffable, l’éternel amour qui, comme un don irrévocable, entre dans l” histoire de l’homme.
Marie est la première à participer à cette nouvelle révélation de Dieu et, en elle, à ce nouveau don que Dieu fait de lui-même. C’est pourquoi elle proclame : « Il a fait pour moi des merveilles ; Saint est son nom ». Ses paroles reflètent la joie de l’esprit, difficile à exprimer : « Exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ». Car « la profonde vérité … sur Dieu et sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » 90. Dans l’exultation de son cœur, Marie proclame qu’elle s’est trouvée au centre même de cette plénitude du Christ. En elle s’est accomplie, elle en a bien conscience, la promesse faite à nos pères, et avant tout « en faveur d’Abraham et de sa race, à jamais» ; et donc vers elle, comme Mère du Christ, s’oriente toute l’économie du salut, dans laquelle, « d’âge en âge », se manifeste le Dieu de l’Alliance, celui qui « se souvient de son amour ».
37. L’Eglise, qui depuis le commencement règle son cheminement terrestre sur celui de la Mère de Dieu, répète constamment à sa suite les paroles du Magnificat. Au plus profond de la foi de la Vierge à l’Annonciation et à la Visitation, elle puise la vérité sur le Dieu de l’Alliance, sur le Dieu qui est tout-puissant et fait « des merveilles » pour l’homme : « Saint est son nom ». Dans le Magnificat, elle voit écrasé jusqu’à la racine le péché situé au début de l’histoire terrestre de l’homme et de la femme, le péché d’incrédulité et du « peu de foi » envers Dieu. Contre le « soupçon » que le « père du mensonge » a fait naître dans le cœur d’Eve, la première femme, Marie, que la tradition a l’habitude d’appeler la « nouvelle Eve » 91, la vraie « mère des vivants » 92, proclame avec force la vérité non voilée sur Dieu, le Dieu saint et tout-puissant qui, depuis le commencement, est la source de tout don, celui qui « a fait des merveilles ». En créant, Dieu donne l’existence à toute la réalité. En créant l’homme, il lui donne la dignité de l’image et de la ressemblance avec lui d’une façon singulière par rapport à toutes les créatures terrestres. Et loin de s’arrêter dans sa volonté de libéralité, malgré le péché de l’homme, Dieu se donne en son Fils : il « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Marie est le premier témoin de cette merveilleuse vérité, qui se réalisera pleinement par les actions et l’enseignement (cf. Ac 1, 1) de son Fils, et définitivement par sa Croix et sa Résurrection.
L’Eglise, qui, malgré « les tentations et les tribulations », ne cesse de répéter avec Marie les paroles du Magnificat, « est soutenue » par la puissance de la vérité sur Dieu, proclamée alors avec une simplicité si extraordinaire, et, en même temps, par cette vérité sur Dieu, elle désire éclairer les chemins ardus et parfois entrecroisés de l’existence terrestre des hommes. La marche de l’Eglise, en cette fin du second millénaire du christianisme, implique donc un effort renouvelé de fidélité à sa mission. A la suite de celui qui a dit de lui-même : «[Dieu] m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (cf. Lc 4, 18), l’Eglise s’est efforcée d’âge en âge et s’efforce encore aujourd’hui d’accomplir cette même mission.
Son amour préférentiel pour les pauvres est admirablement inscrit dans le Magnificat de Marie. Le Dieu de l’Alliance, chanté par la Vierge de Nazareth dans l’exultation de son esprit, est en même temps celui qui « renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles.… comble de biens les affamés, et renvoie les riches les mains vides…, disperse les superbes et étend son amour sur ceux qui le craignent ». Marie est profondément marquée par l’esprit des « pauvres de Yahvé » qui, selon la prière des psaumes, attendaient de Dieu leur salut et mettaient en lui toute leur confiance (cf. Ps 25 ; 31 ; 35 ; 55). Elle proclame en réalité l’avènement du mystère du salut, la venue du « Messie des pauvres » (cf. Is 11, 4 ; 61, 1). En puisant dans le cœur de Marie, dans la profondeur de sa foi exprimée par les paroles du Magnificat, l’Eglise prend toujours mieux conscience de ceci : on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles, amour qui, chanté dans le Magnificat, se trouve ensuite exprimé dans les paroles et les actions de Jésus.
L’Eglise sait donc bien ‑et à notre époque, une telle certitude se renforce d’une manière particulière – que non seulement on ne peut séparer ces deux éléments du message contenu dans le Magnificat, mais que l’on doit également sauvegarder soigneusement l’importance qu’ont dans la parole du Dieu vivant « les pauvres » et « l’option en faveur des pauvres ». Il s’agit là de thèmes et de problèmes organiquement connexes avec le sens chrétien de la liberté et de la libération. « Totalement dépendante de Dieu et tout orientée vers Lui par l’élan de sa foi, Marie est, aux côtés de son Fils, l’icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l’humanité et du cosmos. C’est vers elle que l’Eglise, dont elle est la Mère et le modèle, doit regarder pour comprendre dans son intégralité le sens de sa mission » 93.
TROISIÈME PARTIE – LA MEDIATION MATERNELLE
1. Marie, Servante du Seigneur
38. L’Eglise sait et enseigne avec saint Paul que nous n’avons qu’un seul médiateur : « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 5–6). « Le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu » 94 : c’est une médiation dans le Christ.
L’Eglise sait et enseigne que « toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes a sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu : elle… découle de la surabondance des mérites du Christ ; elle s’appuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et d’où elle tire toute sa vertu ; l’union immédiate des croyants avec le Christ ne s’en trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée » 95.
Cette influence salutaire est soutenue par l’Esprit Saint : de même qu’il prit la Vierge sous son ombre, déterminant en elle le commencement de la maternité divine, de même il affermit sans cesse sa sollicitude pour les frères de son Fils.
De fait, la médiation de Marie est étroitement liée à sa maternité, elle possède un caractère spécifiquement maternel par lequel elle se distingue de celle des autres créatures qui, d’une manière différente mais toujours subordonnée, participent à l’unique médiation du Christ, la médiation de Marie étant, elle aussi, participée 96. En effet, si « aucune créature ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et rédempteur », en même temps « l’unique médiation du Rédempteur n’exclut pas mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l’unique source» ; et ainsi « l’unique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses dans les créatures » 97.
L’enseignement du Concile Vatican II présente la vérité sur la médiation de Marie comme une participation à l’unique source qu’est la médiation du Christ lui-même. Nous lisons en effet : « Ce rôle subordonné de Marie, l’Eglise le professe sans hésitation, elle ne cesse d’en faire l’expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles pour que cet appui et ce secours maternels les aident à s’attacher plus intimement au Médiateur et Sauveur » 98. Ce rôle est en même temps spécial et extraordinaire. Il découle de sa maternité divine et ne peut être compris et vécu dans la foi qu’en s’appuyant sur la pleine vérité de cette maternité. Marie étant, en vertu de l’élection divine, la Mère du Fils consubstantiel au Père, « généreusement associée » à l’œuvre de la Rédemption, « elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère » 99. Ce rôle constitue une dimension réelle de sa présence dans le mystère salvifique du Christ et de l’Eglise.
39. C’est de ce point de vue qu’il faut, encore une fois, considérer l’événement fondamental dans l’économie du salut, c’est-à-dire l’Incarnation du Verbe au moment de l’Annonciation. Il est significatif que Marie, reconnaissant dans la parole du messager divin la volonté du Très-Haut et se soumettant à sa puissance, dise : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). Le premier moment de la soumission à l’unique médiation « entre Dieu et les hommes » ‑celle de Jésus Christ- est l’acceptation de la maternité de la part de la Vierge de Nazareth. Marie consent au choix de Dieu pour devenir, par l’Esprit Saint, la Mère du Fils de Dieu. On peut dire que le consentement qu’elle donne à la maternité est surtout le fruit de sa donation totale à Dieu dans la virginité. Marie a accepté d’être choisie comme Mère du Fils de Dieu, guidée par l’amour nuptial, qui « consacre » totalement à Dieu une personne humaine. En vertu de cet amour, Marie désirait être toujours et en tout « donnée à Dieu », en vivant dans la virginité. Les mots « Je suis la servante du Seigneur » expriment le fait que, depuis le début, elle a accueilli et compris sa maternité comme un don total de soi, de sa personne, au service des desseins salvifiques du Très-Haut. Et toute sa participation maternelle à la vie de Jésus Christ, son Fils, elle l’a vécue jusqu’à la fin d’une manière qui répondait à sa vocation à la virginité.
La maternité de Marie, imprégnée jusqu’au plus profond d’elle-même de l’attitude nuptiale de « servante du Seigneur », constitue la dimension première et fondamentale de la médiation que l’Eglise lui reconnaît, qu’elle proclame 100 et que, continuellement, « elle recommande au cœur des fidèles » car elle a grande confiance en elle. Il faut en effet admettre qu’avant tout autre, Dieu lui-même, le Père éternel, s’en est remis à la Vierge de Nazareth, lui donnant son propre Fils dans le mystère de l’Incarnation. Cette élection pour le rôle et la dignité suprêmes de Mère du Fils de Dieu appartient, sur le plan ontologique, à la réalité même de l’union des deux natures dans la personne du Verbe (union hypostatique). Ce fait fondamental d’être la Mère du Fils de Dieu est, depuis le début, une ouverture totale à la personne du Christ, à toute son œuvre, à toute sa mission. Les mots « Je suis la servante du Seigneur » témoignent de cette ouverture d’esprit de Marie, qui unit en elle de façon parfaite l’amour propre à la virginité et l’amour caractéristique de la maternité, réunis et pour ainsi dire fusionnés.
C’est pourquoi non seulement Marie est devenue la mère du Fils de l’homme, celle qui l’a nourri, mais elle a été aussi « généreusement associée, à un titre absolument unique » 101 au Messie, au Rédempteur. Comme je l’ai déjà dit, elle avançait dans son pèlerinage de foi, et dans ce pèlerinage jusqu’au pied de la Croix s’est réalisée en même temps sa coopération maternelle à toute la mission du Sauveur, par ses actions et ses souffrances. Au long du chemin de cette collaboration à l’œuvre de son Fils Rédempteur, la maternité même de Marie connaissait une transformation singulière, s’imprégnant toujours davantage de « charité ardente » envers tous ceux auxquels s’adressait la mission du Christ. Par cette « ardente charité », qui visait, en union avec le Christ, à ce que soit « rendue aux âmes la vie surnaturelle » 102, Marie entrait d’une manière tout à fait personnelle dans la médiation unique « entre Dieu et les hommes », qui est la médiation de l’homme Jésus Christ. Si elle a été elle-même la première à faire l’expérience des effets surnaturels de cette unique médiation ‑déjà, à l’Annonciation, elle avait été saluée comme « pleine de grâce»-, il faut dire que par cette plénitude de grâce et de vie surnaturelle elle était particulièrement prédisposée à la coopération avec le Christ, médiateur unique du salut de l’humanité. Et cette coopération, c’est précisément sa médiation subordonnée à la médiation du Christ.
Dans le cas de Marie, il s’agit d’une médiation spéciale et exceptionnelle, fondée sur la « plénitude de grâce », qui se traduisait par la pleine disponibilité de la « servante du Seigneur ». En réponse à cette disponibilité intérieure des a Mère, Jésus Christ la préparait toujours davantage à devenir, pour les hommes, leur « Mère dans l’ordre de la grâce ». Cela ressort, au moins d’une façon indirecte, de certains détails rapportés par les Synoptiques (cf. Lc 11, 28 ; 8, 20–21 ; Mc 3, 32–35 ; Mt 12, 47–50) et plus encore par l’Evangile de Jean (cf. 2, 1–12 ; 19, 25–27), que j’ai déjà mis en lumière. A cet égard, les paroles prononcées par Jésus sur la Croix à propos de Marie et de Jean sont particulièrement éloquentes.
40. Après les événements de la Résurrection et de l’Ascension, Marie, entrant au Cénacle avec les Apôtres dans l’attente de la Pentecôte, était présente en tant que Mère du Seigneur glorifié. Elle était non seulement celle qui « avança dans son pèlerinage de foi » et garda fidèlement l’union avec son Fils « jusqu’à la Croix », mais aussi la « servante du Seigneur », laissée par son Fils comme mère au sein de l’Eglise naissante : « Voici ta mère ». Ainsi commença à se former un lien spécial entre cette Mère et l’Eglise. L’Eglise naissante était en effet le fruit de la Croix et de la Résurrection de son Fils. Marie, qui depuis le début s’était donnée sans réserve à la personne et à l’œuvre de son Fils, ne pouvait pas ne pas reporter sur l’Eglise, dès le commencement, ce don maternel qu’elle avait fait de soi. Après le départ de son Fils, sa maternité demeure dans l’Eglise, comme médiation maternelle : en intercédant pour tous ses fils, la Mère coopère à l’action salvifique de son Fils Rédempteur du monde. Le Concile dit en effet : « La maternité de Marie dans l’économie de la grâce se continue sans interruption jusqu’à la consommation définitive de tous les élus » 103. Par la mort rédemptrice de son Fils, la médiation maternelle de la servante du Seigneur a atteint une dimension universelle, car l’œuvre de la Rédemption inclut tous les hommes. Ainsi se manifeste d’une façon singulière l’efficacité de la médiation unique et universelle du Christ « entre Dieu et les hommes ». La coopération de Marie participe, dans son caractère subordonné, à l’universalité de la médiation du Rédempteur, l’unique médiateur. C’est ce qu’indique clairement le Concile dans la phrase citée ci-dessus.
« En effet – lisons-nous encore -, après son Assomption au ciel, son rôle dans le salut ne s’interrompt pas : par son intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel » 104. C’est avec ce caractère d”«intercession », manifesté pour la première fois à Cana en Galilée, que la médiation de Marie se poursuit dans l’histoire de l’Eglise et du monde. Nous lisons à propos de Marie : « Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la patrie bienheureuse » 105. Ainsi la maternité de Marie demeure sans cesse dans l’Eglise comme médiation d’intercession, et l’Eglise exprime sa foi en cette vérité en invoquant Marie « sous les titres d’Avocate, d’Auxiliatrice, de Secourable, de Médiatrice » 106.
41. Par sa médiation subordonnée à celle du Rédempteur, Marie contribue d’une manière spéciale à l’union de l’Eglise en pèlerinage sur la terre avec la réalité eschatologique et céleste de la communion des saints, puisqu’elle a déjà été « élevée au ciel » 107. La vérité de l’Assomption, définie par Pie XII, est réaffirmée par le Concile Vatican II, qui exprime ainsi la foi de l’Eglise : « Enfin, la Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs (cf. Ap 19, 16), victorieux du péché et de la mort » 108. Par cet enseignement, Pie XII se reliait à la Tradition, qui a trouvé de multiples expressions dans l’histoire de l’Eglise, tant en Orient qu’en Occident.
Par le mystère de l’Assomption au ciel se sont réalisés définitivement en Marie tous les effets de l’unique médiation du Christ, Rédempteur du monde et Seigneur ressuscité : « Tous revivront dans le Christ. Mais chacun à son rang : comme prémices, le Christ, ensuite ceux qui seront au Christ, lors de son Avènement » (1 Co 15, 22–23). Dans le mystère de l’Assomption s’exprime la foi de l’Eglise, selon laquelle Marie est « unie par un lien étroit et indissoluble » au Christ, car si, en tant que mère et vierge, elle lui était unie de façon singulière lors de sa première venue, par sa continuelle coopération avec lui elle le sera aussi dans l’attente de la seconde venue ; « rachetée de façon suréminente en considération des mérites de son Fils » 109, elle a aussi ce rôle, propre à la Mère, de médiatrice de la clémence lors de la venue définitive, lorsque tous ceux qui sont au Christ revivront et que « le dernier ennemi détruit sera la Mort » (1 Co 15, 26) 110.
A cette exaltation de la « fille de Sion par excellence » 111 dans son Assomption au ciel est lié le mystère de sa gloire éternelle. La Mère du Christ est en effet glorifiée comme « Reine de l’univers » 112. Celle qui s’est déclarée « servante du Seigneur » à l’Annonciation est restée, durant toute sa vie terrestre, fidèle à ce que ce nom exprime, se confirmant ainsi véritable « disciple » du Christ, qui avait fortement souligné le caractère de service de sa mission : le Fils de l’homme « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20, 28). C’est pourquoi Marie est devenue la première de ceux qui, « servant le Christ également dans les autres, conduisent leurs frères, dans l’humilité et la patience, jusqu’au Roi dont on peut dire que le servir, c’est régner » 113, et elle a pleinement atteint cet « état de liberté royale » qui est propre aux disciples du Christ : servir, ce qui veut dire régner !
« Le Christ, s’étant fait obéissant jusqu’à la mort et pour cela même ayant été exalté par le Père (cf. Ph 2, 8–9), est entré dans la gloire de son royaume ; à lui, tout est soumis, en attendant que lui-même se soumette à son Père avec toute la création, afin que Dieu soit tout en tous (cf. 1 Co 15, 27–28)» 114. Marie, servante du Seigneur, a sa part dans ce Royaume de son Fils 115. La gloire de servir ne cesse d’être son exaltation royale : montée au ciel, elle ne suspend pas son rôle salvifique dans lequel s’exprime la médiation maternelle « jusqu’à la consommation définitive de tous les élus » 116. Ainsi, celle qui, sur terre, « garda fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la Croix » continue à lui être unie, alors que désormais « tout est soumis à lui, en attendant que lui-même se soumette à son Père avec toute la création ». Et ainsi, dans son assomption au ciel, Marie est comme enveloppée dans toute la réalité de la communion des saints, et son union même à son Fils dans la gloire est toute tendue vers la plénitude définitive du Royaume, lorsque « Dieu sera tout en tous ».
Même à ce stade, la médiation maternelle de Marie ne cesse d’être subordonnée à celui qui est l’unique Médiateur, jusqu’à la réalisation définitive « de la plénitude du temps », c’est-à-dire jusqu’à « la récapitulation de toutes choses dans le Christ » (cf. Ep 1, 10).
42. Le Concile Vatican II, se reliant à la Tradition, a projeté une nouvelle lumière sur le rôle de la Mère du Christ dans la vie de l’Eglise. « La bienheureuse Vierge, par le don … de sa maternité divine qui l’unit à son Fils, le Rédempteur, et par les grâces et les fonctions singulières qui sont les siennes, se trouve également en intime union avec l’Eglise : de l’Eglise… la Mère de Dieu est la figure dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ » 117. Nous avons déjà vu ci-dessus que Marie, depuis le commencement, reste avec les Apôtres en attendant la Pentecôte et que, étant la « bienheureuse qui a cru », d’âge en âge elle est présente au milieu de l’Eglise qui accomplit son pèlerinage par la foi, étant également le modèle de l’espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5).
Marie a cru en l’accomplissement de ce qui lui avait été dit de la part du Seigneur. Vierge, elle a cru qu’elle concevrait dans son sein et qu’elle enfanterait un fils, le « Saint », auquel correspond le nom de « Fils de Dieu », le nom de « Jésus » (= Dieu qui sauve). Servante du Seigneur, elle est restée parfaitement fidèle à la personne et à la mission de ce Fils. Mère, « c’est dans sa foi et dans son obéissance qu’elle a engendré sur la terre le Fils du Père, sans connaître d’homme, enveloppée par l’Esprit Saint » 118.
Pour ces motifs, Marie « est légitimement honorée par l’Eglise d’un culte spécial ; … depuis les temps les plus reculés, … [elle] est honorée sous le titre de « Mère de Dieu » ; et les fidèles se réfugient sous sa protection, l’implorant dans tous leurs dangers et leurs besoins » 119. Ce culte est absolument unique : il contient et il exprime le lien profond qui existe entre la Mère du Christ et l’Eglise 120. Vierge et mère, Marie demeure pour l’Eglise un « modèle permanent ». On peut donc dire que, surtout sous cet aspect, c’est-à-dire comme modèle ou plutôt comme « figure », Marie, présente dans le mystère du Christ, reste constamment présente aussi dans le mystère de l’Eglise. Car l’Eglise aussi « reçoit le nom de Mère et de Vierge », et ces appellations ont une profonde justification biblique et théologique 121.
43. L’Eglise « devient une Mère grâce à la parole de Dieu qu’elle reçoit avec fidélité » 122. Comme Marie qui a cru la première, accueillant la parole de Dieu qui lui était révélée à l’Annonciation et lui restant fidèle en toutes ses épreuves jusqu’à la Croix, ainsi l’Eglise devient Mère lorsque, accueillant avec fidélité la parole de Dieu, « par la prédication et par le baptême, elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu » 123. Ce caractère « maternel » de l’Eglise a été exprimé d’une manière particulièrement vivante par l’Apôtre des Nations, quand il écrivait : « Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4, 19). Ces paroles de saint Paul contiennent un indice intéressant de la conscience qu’avait l’Eglise primitive, en fonction de son service apostolique parmi les hommes, d’être mère. Une telle conscience permettait et permet encore à l’Eglise d’envisager le mystère de sa vie et de sa mission selon l’exemple de la Mère du Fils qui est « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29).
On peut dire que l’Eglise apprend de Marie ce qu’est sa propre maternité : elle reconnaît la dimension maternelle de sa vocation, liée essentiellement à sa nature sacramentelle, « en contemplant la sainteté mystérieuse de la Vierge et en imitant sa charité, en accomplissant fidèlement la volonté du Père » 124. Si l’Eglise est le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu, elle l’est en raison de sa maternité, parce que, vivifiée par l’Esprit, elle « engendre » des fils et des filles de la famille humaine à une vie nouvelle dans le Christ. Car, de même que Marie est au service du mystère de l’Incarnation, de même l’Eglise demeure au service du mystère de l’adoption filiale par la grâce.
En même temps, à l’exemple de Marie, l’Eglise reste la vierge fidèle à son époux : « Elle aussi est vierge, ayant donné à son Epoux sa foi, qu’elle garde intègre et pure » 125. L’Eglise est en effet l’épouse du Christ, comme il apparaît dans les Lettres de Paul (cf. Ep 5, 21–33 ; 2 Co 11, 2) et dans le nom que Jean lui donne : « l’Epouse de l’Agneau » (Ap 21, 9). Si l’Eglise, comme épouse, « garde la foi donnée au Christ », cette fidélité, tout en étant devenue l’image du mariage dans l’enseignement de l’Apôtre (cf. Ep 5, 23–33), possède aussi une autre valeur : c’est l’exemple même de la donation totale à Dieu dans le célibat « à cause du Royaume des cieux », c’est-à-dire de la virginité consacrée à Dieu (cf. Mt 19, 11–12 ; 2 Co 11, 2). Et précisément cette virginité, à l’exemple de la Vierge de Nazareth, est la source d’une fécondité spirituelle spéciale : c’est la source de la maternité dans l’Esprit Saint.
Mais l’Eglise garde aussi la foi reçue du Christ : à l’exemple de Marie, qui gardait et méditait en son cœur (cf. Lc 2, 19. 51) tout ce qui concernait son divin Fils, elle s’efforce de garder la Parole de Dieu, d’en approfondir les richesses avec discernement et prudence pour en donner en tout temps un fidèle témoignage à tous les hommes 126.
44. En vertu de ce rapport d’exemplarité, l’Eglise se retrouve avec Marie et cherche à lui devenir semblable : « Imitant la Mère de son Seigneur, elle conserve, par la vertu du Saint Esprit, dans leur pureté virginale une foi intègre, une ferme espérance, une charité sincère » 127, Marie est donc présente dans le mystère de l’Eglise comme modèle. Mais le mystère de l’Eglise consiste aussi à engendrer les hommes à une vie nouvelle et immortelle : c’est là sa maternité dans l’Esprit Saint. Et en cela, non seulement Marie est le modèle et la figure de l’Eglise, mais elle est beaucoup plus. En effet, « avec un amour maternel, elle coopère à la naissance et à l’éducation » des fils et des filles de la mère Eglise. La maternité de l’Eglise se réalise non seulement selon le modèle et la figure de la Mère de Dieu mais aussi avec sa « coopération ». L’Eglise puise abondamment dans cette coopération, c’est-à-dire dans la médiation maternelle qui est caractéristique de Marie en ce sens que déjà sur terre elle coopérait à la naissance et à l’éducation des fils et des filles de l’Eglise, comme Mère de ce Fils « dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères » 128.
Elle y apporta ‑comme l’enseigne le Concile Vatican II- la coopération de son amour maternel 129. On découvre ici la valeur réelle de ce qu’a dit Jésus à sa Mère à l’heure de la Croix : « Femme, voici ton fils », puis au disciple : « Voici ta mère » (Jn 19, 26–27). Ces paroles déterminent la place de Marie dans la vie des disciples du Christ et expriment- comme je l’ai dit- la nouvelle maternité de la Mère du Rédempteur, la maternité spirituelle, née au plus profond du mystère pascal du Rédempteur du monde. C’est une maternité dans l’ordre de la grâce, parce qu’elle invoque le don de l’Esprit Saint qui suscite les nouveaux fils de Dieu, rachetés par le sacrifice du Christ, cet Esprit que, en même temps que l’Eglise, Marie reçut aussi le jour de la Pentecôte.
Cette maternité est particulièrement perçue et vécue par le peuple chrétien dans la célébration eucharistique- célébration liturgique du mystère de la Rédemption‑, où se rend présent le Christ, en son vrai corps né de la Vierge Marie.
A juste titre, la piété du peuple chrétien a toujours vu un lien profond entre la dévotion à la Sainte Vierge et le culte de l’Eucharistie ; c’est là un fait que l’on peut observer dans la liturgie tant occidentale qu’orientale, dans la tradition des familles religieuses, dans la spiritualité des mouvements contemporains, même ceux des jeunes, et dans la pastorale des sanctuaires mariaux. Marie conduit les fidèles à l’Eucharistie.
45. La maternité a pour caractéristique de se rapporter à la personne. Elle détermine toujours une relation absolument unique entre deux personnes : relation de la mère avec son enfant et de l’enfant avec sa mère. Même lorsqu’une femme est mère de nombreux enfants, son rapport personnel avec chacun d’eux caractérise la maternité dans son essence même. Chaque enfant est en effet engendré d’une manière absolument unique, et cela vaut aussi bien pour la mère que pour l’enfant. Chaque enfant est entouré, d’une manière unique, de l’amour maternel sur lequel se fondent son éducation et sa maturation humaines.
On peut dire qu’il y a analogie entre la maternité « dans l’ordre de la grâce » et ce qui, « dans l’ordre de la nature », caractérise l’union entre la mère et son enfant. Sous cet éclairage, on peut mieux comprendre le fait que, dans son testament sur le Golgotha, le Christ a exprimé au singulier la nouvelle maternité de sa Mère, en se référant à un seul homme : « Voici ton fils ».
En outre, dans ces mêmes paroles est pleinement indiqué le motif de la dimension mariale de la vie des disciples du Christ : non seulement de Jean, qui se trouvait à cette heure sous la Croix avec la Mère de son Maître, mais de tout disciple du Christ, de tout chrétien. Le Rédempteur confie sa Mère au disciple, et en même temps il la lui donne comme mère. La maternité de Marie, qui devient un héritage de l’homme, est un don, un don que le Christ lui-même fait personnellement à chaque homme. Le Rédempteur confie Marie à Jean du fait qu’il confie Jean à Marie. Au pied de la Croix commence cette particulière offrande de soi de la part de l’homme à la Mère du Christ qui fut ensuite pratiquée et exprimée de diverses manières dans l’histoire de l’Eglise. Quand le même Apôtre et évangéliste, après avoir rapporté les paroles adressées par Jésus sur la Croix à sa Mère et à lui-même, ajoute : « Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19, 27), cette affirmation veut dire, bien sûr, qu’au disciple fut attribué un rôle de fils et qu’il assuma la charge de la Mère de son Maître bien-aimé. Et parce que Marie lui fut donnée personnellement comme mère, l’affirmation signifie, même indirectement, tout ce qu’exprime le rapport intime d’un fils avec sa mère. Et tout cela peut s’inclure dans l’expression « offrande de soi ». L’offrande de soi est la réponse à l’amour d’une personne, et en particulier à l’amour de la mère.
La dimension mariale de la vie d’un disciple du Christ s’exprime précisément, d’une manière spéciale, par cette offrande filiale à la Mère de Dieu, qui a commencé par le testament du Rédempteur sur le Golgotha. En se livrant filialement à Marie, le chrétien, comme l’Apôtre Jean, « reçoit parmi ses biens personnels » 130 la Mère du Christ et l’introduit dans tout l’espace de sa vie intérieure, c’est-à-dire dans son « moi » humain et chrétien : « Il l’accueillit chez lui ». Il cherche ainsi à entrer dans le rayonnement de l”«amour maternel » avec lequel la Mère du Rédempteur « prend soin des frères de son Fils » 131, « à la naissance et à l’éducation desquels elle apporte sa coopération » 132 à la mesure du don qui est propre à chacun de par la puissance de l’Esprit du Christ. Ainsi également s’exerce la maternité selon l’Esprit, qui est devenue le rôle de Marie au pied de la Croix et au Cénacle.
46. Non seulement ce rapport filial, cet abandon de soi d’un fils à sa mère trouve son commencement dans le Christ, mais on peut dire qu’en définitive il est orienté vers lui. On peut dire que Marie redit continuellement à tous les hommes ce qu’elle disait à Cana de Galilée : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». C’est lui en effet, le Christ, qui est l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes ; c’est lui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6); c’est lui que le Père a donné au monde afin que l’homme « ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). La Vierge de Nazareth est devenue le premier « témoin » de cet amour salvifique du Père et elle désire aussi rester toujours et partout son humble servante. Pour tout chrétien, pour tout homme, Marie est celle qui, la première, « a cru », et c’est précisément avec cette foi d’épouse et de mère qu’elle veut agir sur tous ceux qui se confient à elle comme dés fils. Et l’on sait que plus ces fils persévèrent dans cette attitude et y progressent, plus aussi Marie les rapproche de « l’insondable richesse du Christ » (Ep 3, 8). Et pareillement, ils reconnaissent toujours mieux la dignité de l’homme dans toute sa plénitude et le sens ultime de sa vocation, car le « Christ … manifeste pleinement l’homme à lui-même » 133.
Cette dimension mariale de la vie chrétienne prend un accent particulier en ce qui concerne la femme et la condition féminine. En effet, la féminité se trouve particulièrement liée à la Mère du Rédempteur. C’est là un thème que nous pourrons approfondir en une autre occasion. Je veux seulement souligner ici que la figure de Marie de Nazareth projette une lumière sur la femme en tant que telle du fait même que Dieu, dans l’événement sublime de l’Incarnation de son Fils, s’en est remis au service, libre et actif, d’une femme. On peut donc affirmer qu’en se tournant vers Marie, la femme trouve en elle le secret qui lui permet de vivre dignement sa féminité et de réaliser sa véritable promotion. A la lumière de Marie, l’Eglise découvre sur le visage de la femme les reflets d’une beauté qui est comme le miroir des sentiments les plus élevés dont le cœur humain soit capable : la plénitude du don de soi suscité par l’amour ; la force qui sait résister aux plus grandes souffrances ; la fidélité sans limite et l’activité inlassable ; la capacité d’harmoniser l’intuition pénétrante avec la parole de soutien et d’encouragement.
47. Pendant le Concile, Paul VI proclama solennellement que Marie est Mère de l’Eglise, « c’est-à-dire Mère de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des Pasteurs » 134. Plus tard, en 1968, dans la Profession de foi connue sous le nom de « Credo du peuple de Dieu », il reprit cette affirmation avec plus de force encore : « Nous croyons que la très sainte Mère de Dieu, nouvelle Eve, Mère de l’Eglise, continue au ciel son rôle maternel à l’égard des membres du Christ, en coopérant à la naissance et au développement de la vie divine dans les âmes des rachetés » 135.
L’enseignement du Concile a souligné que la vérité sur la Vierge très sainte, Mère du Christ, constitue un apport utile pour l’approfondissement de la vérité sur l’Eglise. Paul VI encore, prenant la parole au sujet de la Constitution Lumen gentium qui venait d’être approuvée par le Concile, déclara : « La connaissance de la véritable doctrine catholique sur la bienheureuse Vierge Marie constituera toujours une clé pour la compréhension exacte du mystère du Christ et de l’Eglise » 136, Marie est présente dans l’Eglise comme Mère du Christ et en même temps comme la Mère que le Christ, dans le mystère de la Rédemption, a donnée à l’homme en la personne de l’Apôtre Jean. C’est pourquoi Marie, par sa nouvelle maternité dans l’Esprit, englobe tous et chacun dans l’Eglise, englobe aussi tous et chacun par l’Eglise. En ce sens, Marie, Mère de l’Eglise, en est également le modèle. L’Eglise en effet, comme le souhaite et le demande Paul VI, « doit trouver dans la Vierge, Mère de Dieu, la plus authentique forme de l’imitation parfaite du Christ » 137.
Ce lien spécial qui unit la Mère du Christ à l’Eglise permet d’éclairer davantage le mystère de la « femme » qui, depuis les premiers chapitres du Livre de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, accompagne la révélation du dessein salvifique de Dieu à l’égard de l’humanité. En effet, Marie, présente dans l’Eglise comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au « dur combat contre les puissances des ténèbres » 138 qui se déroule à travers toute l’histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la « femme enveloppée de soleil » (Ap 12, 1) 139, on peut dire que « l’Eglise, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride» ; c’est pourquoi les chrétiens, en levant les yeux avec foi vers Marie durant leur pèlerinage terrestre, « sont tendus dans leur effort pour croître en sainteté » 140. Marie, fille de Sion par excellence, aide tous ses fils ‑où qu’ils vivent et de quelque manière que ce soit-à trouver dans le Christ la route qui conduit à la maison du Père.
L’Eglise, dans toute sa vie, maintient donc avec la Mère de Dieu un lien qui inclut, dans le mystère du salut, le passé, le présent et l’avenir, et elle la vénère comme la Mère spirituelle de l’humanité et celle qui nous obtient la grâce.
48. C’est précisément le lien spécial de l’humanité avec cette Mère qui m’a conduit à proclamer dans l’Eglise, en la période qui précède la conclusion du deuxième millénaire depuis la naissance du Christ, une Année mariale. Une telle initiative a déjà été prise dans le passé, quand Pie XII proclama 1954 Année mariale afin de mettre en lumière la sainteté exceptionnelle de la Mère du Christ, exprimée dans les mystères de sa Conception immaculée (définie exactement un siècle auparavant) et de son Assomption au ciel 141.
Maintenant, dans la ligne du Concile Vatican II, je voudrais souligner la présence spéciale de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de son Eglise. C’est là en effet une dimension fondamentale qui ressort de la mariologie du Concile, dont la conclusion remonte désormais à plus de vingt ans. Le Synode extraordinaire des évêques qui s’est tenu en 1985 nous a tous exhortés à suivre fidèlement l’enseignement et les indications du Concile. On peut dire qu’en eux – le Concile et le Synode – est contenu ce que l’Esprit Saint lui-même désire « dire à l’Eglise » en la présente étape de l’histoire.
Dans ce contexte, l’Année mariale devra promouvoir une lecture nouvelle et approfondie de ce que le Concile a dit sur la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Eglise auquel se rapportent les réflexions de cette encyclique. Il s’agit ici non seulement de la doctrine de la foi, mais aussi de la vie de la foi et donc de l’authentique « spiritualité mariale », vue à la lumière de la Tradition et spécialement de la spiritualité à laquelle nous exhorte le Concile 142. En outre, la spiritualité mariale, non moins que la dévotion correspondante, trouve une source très riche dans l’expérience historique des personnes et des diverses communautés chrétiennes qui vivent parmi les peuples et les nations sur l’ensemble de la terre. J’aime à ce propos évoquer, parmi de nombreux témoins et maîtres de cette spiritualité, la figure de saint Louis-Marie Grignion de Montfort 143 qui proposait aux chrétiens la consécration au Christ par les mains de Marie comme moyen efficace de vivre fidèlement les promesses du baptême. Je constate avec plaisir que notre époque actuelle n’est pas dépourvue de nouvelles manifestations de cette spiritualité et de cette dévotion.
Il y a donc de solides points de référence qu’il faut garder en vue et auxquels il faut se relier dans le contexte de cette Année mariale.
49. Celle-ci commencera à la solennité de la Pentecôte, le 7 juin prochain. Il s’agit en effet non seulement de rappeler que Marie « a précédé » l’entrée du Christ Seigneur dans l’histoire de l’humanité, mais de souligner également, à la lumière de Marie, que, depuis l’accomplissement du mystère de l’Incarnation, l’histoire de l’humanité est entrée dans la « plénitude du temps » et que l’Eglise est le signe de cette plénitude. Comme Peuple de Dieu, l’Eglise accomplit dans la foi son pèlerinage vers l’éternité, au milieu de tous les peuples et de toutes les nations, à partir du jour de la Pentecôte. La Mère du Christ, qui fut présente au début du « temps de l’Eglise » lorsque, dans l’attente de l’Esprit Saint, elle était assidue à la prière avec les Apôtres et les disciples de son Fils, occupe constamment « la première place » dans cette marche de l’Eglise à travers l’histoire de l’humanité. Elle est aussi celle qui, précisément comme servante du Seigneur, coopère sans trêve à l’œuvre du salut accomplie par le Christ, son Fils.
Ainsi, par cette Année mariale, l’Eglise est appelée non seulement à se souvenir de tout ce qui, dans son passé, témoigne de la toute spéciale coopération maternelle de la Mère de Dieu à l’œuvre du salut dans le Christ Seigneur, mais aussi à préparer pour l’avenir, en ce qui la concerne, les voies de cette coopération, car la fin du deuxième millénaire chrétien ouvre comme une nouvelle perspective.
50. Comme on l’a déjà dit, même parmi les frères désunis, beaucoup honorent et célèbrent la Mère du Seigneur, particulièrement chez les Orientaux. C’est là une lumière. mariale projetée sur l’œcuménisme. Je désire encore rappeler notamment que pendant l’Année mariale aura lieu le Millénaire du baptême de saint Vladimir, grand-prince de Kiev 988, qui donna naissance au christianisme dans les territoires de la Rous d’alors et, par la suite, dans d’autres territoires de l’Europe orientale ; et c’est par cette voie, grâce au travail d’évangélisation, que le christianisme s’est étendu aussi hors d’Europe, jusqu’aux territoires du nord de l’Asie. Nous voudrions donc, spécialement durant cette Année mariale, nous unir par la prière à tous ceux qui célèbrent le Millénaire de ce baptême, orthodoxes et catholiques, en redisant et en confirmant ce qu’écrivait le Concile : nous trouvons « une grande joie et consolation au fait que… les Orientaux vont, d’un élan fervent et d’une âme toute dévouée, vers la Mère de Dieu toujours Vierge pour lui rendre leur culte » 144. Bien que nous éprouvions encore les douloureux effets de la séparation survenue quelques décennies plus tard (1054), nous pouvons dire que devant la Mère du Christ nous nous sentons vraiment des frères et des sœurs dans le cadre du Peuple messianique appelé à former une unique famille de Dieu sur terre, comme je le disais déjà au début de cette année : « Nous désirons reconfirmer cet héritage universel de tous les fils et les filles de cette terre » 145.
En annonçant l’Année mariale, je précisais par ailleurs que sa conclusion aurait lieu l’année suivante en la solennité de l’Assomption de la sainte Vierge Marie au ciel, afin de mettre en relief le « signe grandiose qui apparaît au ciel », dont parle l’Apocalypse. De cette façon, nous voulons également répondre à l’exhortation du Concile, qui se tourne vers Marie, « signe d’espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage ». Et cette exhortation, le Concile l’exprime ainsi : « Que tous les chrétiens adressent à la Mère de Dieu et des hommes d’instantes supplications, afin qu’après avoir assisté de ses prières l’Eglise naissante, maintenant encore, exaltée dans le ciel au-dessus de tous les bienheureux et des anges, elle continue d’intercéder auprès de son Fils dans la communion de tous les saints, jusqu’à ce que toutes les familles des peuples, qu’ils soient déjà marqués du beau nom de chrétiens ou qu’ils ignorent encore leur Sauveur, soient enfin heureusement rassemblés dans la paix et la concorde en un seul Peuple de Dieu à la gloire de la très sainte et indivisible Trinité » 146.
CONCLUSION
51. Chaque jour, à la fin de la Liturgie des Heures, l’Eglise fait monter vers Marie une invocation, celle-ci entre autres :
« Sainte Mère du Rédempteur,
porte du ciel, toujours ouverte, étoile de la mer,
viens au secours du peuple qui tombe et qui cherche à se relever.
Tu as enfanté, à l’émerveillement de la nature, celui qui t’a créée ! ».
« A l’émerveillement de la nature » ! Ces paroles de l’antienne expriment l’émerveillement de la foi qui accompagne le mystère de la maternité divine de Marie. Il l’accompagne, en un sens, au cœur de toute la création et, directement, au cœur de tout le Peuple de Dieu, au cœur de l’Eglise. Quelle profondeur admirable Dieu n’a-t-il pas atteinte, Lui le Créateur et Seigneur de toutes choses, dans la révélation de lui-même à l’homme ! 147 Avec quelle évidence il a comblé le vide de la « distance » infinie qui sépare le Créateur de la créature ! S’il reste en lui-même ineffable et insondable, il est encore plus ineffable et insondable dans la réalité de l’Incarnation du Verbe, qui s’est fait homme en naissant de la Vierge de Nazareth.
S’il a voulu de toute éternité appeler l’homme à être participant de la nature divine (cf. 2 P 1, 4), on peut dire qu’il a prédisposé la « divinisation » de l’homme en fonction de sa situation historique, de sorte que, même après la faute, il est prêt à rétablir à grand prix le dessein éternel de son amour par l”«humanisation » de son Fils, qui lui est consubstantiel. Ce don ne peut pas ne pas remplir d’émerveillement la création entière, et plus directement l’homme, lui qui en est devenu participant dans l’Esprit Saint : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).
Au centre de ce mystère, au plus vif de cet émerveillement de foi, il y a Marie. Sainte Mère du Rédempteur, elle a été la première à en faire l’expérience : « Tu as enfanté, à l’émerveillement de la nature, celui qui t’a créée » !
52. Dans les paroles de cette antienne liturgique est exprimée aussi la vérité du « grand retournement » qui est déterminé pour l’homme par le mystère de l’Incarnation. C’est un retournement qui affecte toute son histoire, depuis le commencement qui nous est révélé par les premiers chapitres de la Genèse jusqu’à son terme ultime, dans la perspective de la fin du monde dont Jésus ne nous a révélé « ni le jour ni l’heure » (Mt 25, 13). C’est un revirement incessant, continuel, entre la chute et le relèvement, entre l’homme dans le péché et l’homme dans la grâce et la justice. La liturgie, surtout pendant l’Avent, se place au point névralgique de ce retournement et en touche l’incessant « aujourd’hui », alors qu’elle nous fait dire : « Viens au secours du peuple qui tombe, et qui cherche à se relever » !
Ces paroles concernent chaque homme, les communautés, les nations et les peuples, les générations et les époques de l’histoire humaine, notre époque, ces années du millénaire qui touche à sa fin : « Viens au secours, oui, viens au secours du peuple qui tombe » !
Telle est la prière adressée à Marie, « sainte Mère du Rédempteur », la prière adressée au Christ qui, par Marie, est entré dans l’histoire de l’humanité. D’année en année, l’antienne monte vers Marie, évoquant le moment où s’est accompli ce retournement historique essentiel, qui persiste de façon irréversible : le retournement entre la « chute » et le « relèvement ».
L’humanité a fait des découvertes admirables et a atteint des résultats prodigieux dans le domaine de la science et de la technique, elle a accompli de grandes œuvres sur la voie du progrès et de la civilisation, et l’on dirait même que, ces derniers temps, elle a réussi à accélérer le cours de l’histoire ; mais le revirement fondamental, le revirement que l’on peut qualifier d”«originel », accompagne toujours la marche de l’homme et, à travers toutes les vicissitudes historiques, il accompagne tous et chacun des hommes. C’est le retournement entre la « chute » et le « relèvement », entre la mort et la vie. C’est aussi un défi incessant pour les consciences humaines, un défi pour toute la conscience historique de l’homme : le défi qui consiste à marcher sans « tomber », sur les routes toujours anciennes et toujours nouvelles, et à « se relever » si l’on est tombé.
Arrivant bientôt, avec toute l’humanité, aux confins des deux millénaires, l’Eglise, pour sa part, avec l’ensemble de la communauté des croyants et en union avec tous les hommes de bonne volonté, accueille le grand défi contenu dans ces paroles de l’antienne mariale sur le « peuple qui tombe et qui cherche à se relever », et elle se tourne à la fois vers le Rédempteur et vers sa Mère en disant : « Viens au secours ». Elle voit en effet ‑et cette prière en témoigne- la bienheureuse Mère de Dieu dans le mystère salvifique du Christ et dans son propre mystère ; elle la voit profondément enracinée dans l’histoire de l’humanité, dans la vocation éternelle de l’homme, selon le dessein que Dieu, dans sa Providence, a fixé pour lui de toute éternité ; elle la voit apportant sa présence et son assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui accompagnent aujourd’hui la vie des personnes, des familles et des nations ; elle la voit secourant le peuple chrétien dans la lutte incessante entre le bien et le mal, afin qu’il « ne tombe pas » ou, s’il est tombé, qu’il « se relève ».
Je souhaite ardemment que les réflexions contenues dans la présente encyclique servent également au renouveau de cette vision dans le cœur de tous les croyants.
Comme Evêque de Rome, j’envoie à tous ceux auxquels sont destinées ces réflexions un baiser de paix, que j’accompagne de mon salut et de ma Bénédiction en notre Seigneur Jésus Christ. Amen.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 mars 1987, solennité de l’Annonciation du Seigneur, en la neuvième année de mon pontificat.
JEAN-PAUL II
Notes
1. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 52 and the whole of Chapter VIII, entitled « The Role of the Blessed Virgin Mary, Mother of God, in the Mystery of Christ and the Church. »
2. The expression « fullness of time » (pleroma tou chronou) is parallel with similar expressions of Judaism, both Biblical (cf. Gen. 29:21 ; 1 Sam. 7:12 ; Tob. 14:5) and extra-Biblical, and especially of the New Testament (cf. Mk. 1:15 ; Lk. 21:24 ; Jn. 7:8 ; Eph. 1:10). From the point of view of form, it means not only the conclusion of a chronological process but also and especially the coming to maturity or completion of a particularly important period, one directed towards the fulfillment of an expectation, a coming to completion which thus takes on an eschatological dimension. According to Gal. 4:4 and its context, it is the coming of the Son of God that reveals that time has, so to speak, reached its limit. That is to say, the period marked by the promise made to Abraham and by the Law mediated by Moses has now reached its climax, in the sense that Christ fulfills the divine promise and supersedes the old law.
3. Cf. Roman Missal, Preface of 8 December, Immaculate Conception of the Blessed Virgin Mary ; Saint Ambrose, De Institutione Virginis, XV, 93–94 : PL 16, 342 ; Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 68.
4. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 58.
5. Pope Paul VI, Encyclical Epistle Christi Matri (15 September 1966): AAS 58 (1966) 745–749, Apostolic Exhortation Signum Magnum (13 May 1967): AAS 59 (1967) 465:475 ; Apostolic Exhortation Marialis Cultus (2 February 1974): AAS 66 (1974) 113–168.
6. The Old Testament foretold in many different ways the mystery of Mary : cf. Saint John Damascene, Hom. in Dormitionem 1, 8–9 : S. Ch. 80, 103–107.
7. Cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VI/2 (1983) 225f.; Pope Pius IX, Apostolic Letter Ineffabilis Deus (8 December 1854): Pii IX P. M. Acta, pars I, 597–599.
8. Cf. Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 22.
9. Ecumenical Council of Ephesus, in Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Bologna 1973, 41–44 ; 59–61 : DS 250–264 ; cf. Ecumenical Council of Chalcedon, o. c. 84–87 : DS 300–303.
10. Second Vatican Ecumenical Council, Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 22.
11. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 52.
12. Cf. ibid., 58.
13. Ibid., 63, cf. Saint Ambrose, Expos. Evang. sec. Lucam, II, 7 : CSEL 32/4, 45 ; De Institutione Virginis, XIV, 88–89 : PL 16, 341.
14. Cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 64.
15. Ibid., 65.
16. « Take away this star of the sun which illuminates the world : where does the day go ? Take away Mary, this star of the sea, of the great and boundless sea : what is left but a vast obscurity and the shadow of death and deepest darkness ? »: Saint Bernard, In Navitate B. Mariae Sermo-De aquaeductu, 6 : S. Bernardi Opera, V, 1968, 279 ; cf. In laudibus Virginis Matris Homilia II, 17 : ed. cit., IV, 1966, 34f.
17. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 63.
18. Ibid., 63.
19. Concerning the predestination of Mary, cf. Saint John Damascene, Hom. in Nativitatem, 7, 10 : S. Ch. 80, 65 ; 73 ; Hom. in Dormitionem 1, 3 : S. Ch. 80, 85 : « For it is she, who, chosen from the ancient generations, by virtue of the predestination and benevolence of the God and Father who generated you (the Word of God) outside time without coming out of himself or suffering change, it is she who gave you birth, nourished of her flesh, in the last time.… »
20. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 55.
21. In Patristic tradition there is a wide and varied interpretation of this expression : cf. Origen, In Lucam homiliae, VI, 7 : S. Ch. 87, 148 ; Severianus of Gabala, In mundi creationem, Oratio VI, 10 : PG 56, 497f.; Saint John Chrysostom (Pseudo), In Annunhationem Deiparae et contra Arium impium, PG 62, 765f.; Basil of Seleucia, Oratio 39, In Sanctissimae Deiparae Annuntiationem, 5 : PG 85, 441–46 ; Antipater of Bosra, Hom. II, In Sanctissimae DeiparaeAnnuntiationem, 3–11 : PG 85, 1777–1783 ; Saint Sophronius of Jerusalem, Oratio 11, In Sanctissimae Deiparae Annuntiationem, 17–19 : PG 87/3, 3235–3240 ; Saint John Damascene Hom. in Dormitionem, 1, 70 : S. Ch. 80, 96–101 ; Saint Jerome, Epistola 65, 9 : PL 22, 628, Saint Ambrose, Expos. Evang. sec. Lucam, II, 9 : CSEL 32/4, 45f.; Saint Augustine, Sermo 291, 4–6 : PL 38, 131 8f.; Enchiridion, 36, 11 : PL 40, 250 ; Saint Peter Chrysologus, Sermo 142 : PL 52, 579f.; Sermo 143 : PL 52, 583 ; Saint Fulgentius of Ruspe, Epistola 17, VI 12 : PL 65 458 ; Saint Bernard, In laudibus Virginis Matris, Homilia III, 2–3 : S. Bernardi Opera, IV, 1966, 36–38.
22. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 55.
23. Ibid., 53.
24. Cf. Pope Pius XI, Apostolic Letter Ineffabilis Deus (8 December 1854): Pii IX P.M. Acta, pars I, 616 ; Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 53.
25. Cf. Saint Germanus of Constantinople, In Annuntiationem SS. Deiparae Hom.: PG 98, 327f.; Saint Andrew of Crete, Canon in B. Mariae Natalem, 4. PG 97, 1321f., In Nativitatem B. Mariae, I : PG 97, 81 1f. Hom. in Dormitionem S. Mariae I : PG 97, 1067f.
26. Liturgy of the Hours of 15 August, Assumption of the Blessed Virgin Mary, Hymn at First and Second Vespers ; Saint Peter Damian, Carmina et preces, XLVII : PL 145, 934.
27. Divina Commedia, Paradiso, XXXIII, 1 ; cf. Liturgy of the Hours, Memomial of the Blessed Virgin Mary on Saturday, Hymn II in the Office of Readings.
28. Cf. Saint Augustine, De Sancta Virginitate, III, 3 : PL 40, 398 ; Sermo 25, 7 : PL 46,
29. Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 5
30. This is a classic theme, already expounded by Saint Irenaeus : « And, as by the action of the disobedient virgin, man was afflicted and, being cast down, died, so also by the action of the Virgin who obeyed the word of God, man being regenerated received, through life, life.… For it was meet and Just…that Eve should be « recapitulated » in Mary, so that the Virgin, becoming the advocate of the virgin, should dissolve and destroy the virginal disobedience by means of virginal obedience » : Expositio doctrinae apostolicae, 33 : S.Ch. 62, 83–86 ; cf. also Adversus Haereses, V, 19, 1 : 5. Ch. 153, 248–250.
31. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 5.
32. Ibid., 5, cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 56.
33. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 56.
34. Ibid., 56.
35. Cf. ibid., 53 ; Saint Augustine, De Sancta Virginitate, III, 3 : PL 40, 398 ; Sermo 215, 4 ; PL 38, 1074 ; Sermo 196, I : PL 38, 1019 ; De peccatorum meritis et remissione, I, 29, 57 : PL 44, 142 ; Sermo 25, 7 : PL 46, 937–938 ; Saint Leo the Great, Tractatus 21, de natale Domini, I : CCL 138, 86.
36. Ascent of Mount Carmel, 1. II, Ch. 3, 4–6.
37. Cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 58.
38. Ibid., 58.
39. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 5.
40. Concerning Mary’s participation or « compassion » in the death of Christ, cf. Saint Bernard, In Dominica infra octavam Assumptionis Sermo, 14 : S. Bernardi Opera, V, 1968, 273.
41. Saint Irenaeus, Adversus Haereses III, 22, 4 : S. Ch. 211, 438–444 ; cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 56, Note 6.
42. Cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 56, and the Fathers quoted there in Notes 8 and 9.
43. « Christ is truth, Christ is flesh : Christ truth in the mind of Mary, Christ flesh in the womb of Mary » : Saint Augustine, Sermo 25 (Sermones inediti), 7 : PL 46, 938.
44. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 60.
45. Ibid., 61.
46. Ibid., 62.
47. There is a well-known passage of Origen on the presence of Mary and John on Calvary : « The Gospels are the first fruits of all Scripture and the Gospel of John is the first of the Gospels : no one can grasp its meaning without having leaned his head on Jesus” breast and having received from Jesus Mary as Mother » : Comm. in loan., I, 6 : PG 14, 31 ; cf. Saint Ambrose, Expos. Evang. sec. Lucam, X, 129–131 : CSEL 32/4, 504f.
48. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 54 and 53 ; the latter text quotes Saint Augustine, De Sancta Virginitate, VI, 6 : PL 40, 399.
49. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 55.
50. Cf. Saint Leo the Great, Tractatus 26, de natale Domini, 2 : CCL 138, 126.
51. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 59.
52. Saint Augustine, De civitate Dei, XVIII, 51 : CCL 48, 650.
53. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 8.
54. Ibid., 9.
55. Ibid., 9.
56. Ibid., 8.
57. Ibid., 9.
58. Ibid., 65.
59. Ibid., 59.
60. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 5.
61. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 63.
62. Cf. ibid., 9.
63. Cf. ibid., 65.
64. Ibid., 65.
65. Ibid., 65.
66. Cf. ibid., 13.
67. Cf. ibid., 13.
68. Cf. ibid., 13.
69. Cf. Roman Missal, formula of the Consecration of the Chalice in the Eucharistic Prayers.
70. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 1.
71. Ibid., 13.
72. Ibid., 15.
73. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 1.
74. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 68, 69. On Mary Most Holy, promoter of Christian unity, and on the cult of Mary in the East, cf. Leo XIII, Encyclical Epistle Adiutricem Populi (5 September 1985): Acta Leonis XV, 300–312.
75. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 20.
76. Cf. ibid., 19.
77. Ibid., 14.
78. Ibid., 15.
79. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 66.
80. Ecumenical Council of Chalcedon, Definitio fidei : Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Bologna 1973, 86 (DS 301).
81. Cf. the Weddase Maryam (Praises of Mary), which follows the Ethiopian Psalter and contains hymns and prayers to Mary for each day of the week. Cf. also the Matshafa Kidana Mehrat (Book of the Pact of Mercy); the importance given to Mary in the Ethiopian hymnology and liturgy deserves to be emphasized.
82. Cf. Saint Ephrem, Hymn. de Nativitate : Scriptores Syri, 82, CSCO, 186.
83. Cf. Saint Gregory of Narek, Le livre de prieres : S. Ch. 78, 160–163 ; 428–432.
84. Second Ecumenical Council of Nicaea : Conciliorurn Oecumenicorum Decreta, Bologna 19733, 135–138 (DS 600–609).
85. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 59.
86. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 19.
87. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 8.
88. Ibid., 9.
89. As is well-known, the words of the Magnificat contain or echo numerous passages of the Old Testament.
90. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 2.
91. Cf. for example Saint Justin, Dialogus cum Tryphone ludaeo, 100 : Otto II, 358 ; Saint Irenaeus, Adversus Haereses III, 22, 4 : S. Ch. 211, 439–445 ; Tertullian, De carne Christi, 17, 4–6 : CCL 2, 904f.
92. Cf. Saint Epiphanius, Panarion, III, 2 ; Haer. 78, 18 : PG 42, 727–730.
93. Congregation for the Doctrine of the Faith, Instruction on Christian Freedom and Liberation (22 March 1986), 97.
94. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 60.
95. Ibid., 60.
96. Cf. the formula of mediatrix « ad Mediatorem » of Saint Bernard, In Dominica infra oct. Assumptionis Sermo, 2 : S. Bernardi Opera, V, 1968, 263. Mary as a pure mirror sends back to her Son all the glory and honor which she receives : Id., In Nativitate B. Mariae Sermo-De Aquaeductu, 12 : ed. cit., 283.
97. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 62.
98. Ibid., 62.
99. Ibid., 61.
100. Ibid., 62.
101. Ibid., 61.
102. Ibid., 61.
103. Ibid., 62.
104. Ibid., 62.
105. Ibid., 62 ; in her prayer too the Church recognizes and celebrates Mary’s « maternal role » : it is a role « of intercession and forgiveness, petition and grace, reconciliation and peace » (cf. Preface of the Mass of the Blessed Virgin Mary, Mother and Mediatrix of Grace, in Collectio Missarum de Beata Maria Virgine, ed. typ. 1987, I, 120).
106. Ibid., 62.
107. Ibid., 62 ; cf. Saint John Damascene, Hom. in Dormitionem, I, 11 ; II, 2, 14 ; III, 2 : S. Ch. 80, 111f.; 127–131 ; 157–161 ; 181–185 ; Saint Bernard, In Assumptione Beatae Mariae Sermo, 1–2 : S. Bernardi Opera, V, 1968, 228–238.
108. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 59 ; cf. Pope Pius XII, Apostolic Constitution Munificentissimus Deus (1 November 1950): AAS 42 (1950) 769–771 ; Saint Bernard presents Mary immersed in the splendor of the Son’s glory : In Dominica infra oct. Assumptionis Sermo, 3 ; S. Bernardi Opera, V, 1968, 263f.
109. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 53.
110. On this particular aspect of Mary’s mediation as implorer of clemency from the « Son as Judge, » cf. Saint Bernard, In Dominica infra oct. Assumptionis Sermo, 1–2 : S. Bernardi Opera, V, 1968, 262f ; Pope Leo XIII, Encyclical Epistle Octobri Mense (22 September 1891): Acta Leonis, XI, 299–315.
111. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 55.
112. Ibid., 59.
113. Ibid., 36.
114. Ibid., 36.
115. With regard to Mary as Queen, cf. Saint John Damascene, Hom. in Nativitatem, 6 ; 12 ; Hom. in Dormitionem, 1, 2, 12, 14 ; II, 11;III, 4 : S. Ch. 80, 59f.; 77f.; 83f.; 113f.; 117 ; 151f.; 189–193.
116. Second Vatican Ecumenical Council. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 62.
117. Ibid., 63.
118. Ibid., 63.
119. Ibid., 66.
120. Cf. Saint Ambrose, De Institutione Virginis, XIV, 88–89 : PL 16, 341, Saint Augustine, Sermo 215, 4 : PL 38, 1074 ; De Sancta Virginitate, II, 2 ; V, 5 ; VI, 6 : PL 40, 397–398f.; 399 ; Sermo 191, II, 3 : PL 38, 1010f.
121. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Centium, 63.
122. Ibid., 64.
123. Ibid., 64.
124. Ibid., 64.
125. Ibid., 64.
126. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 8 ; Saint Bonaventure, Comment. in Evang. Lucae, Ad Claras Aquas, VII, 53, No. 40, 68, No. 109.
127. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 64.
128. Ibid., 63.
129. Cf. ibid., 63.
130. Clearly, in the Greek text the expression « eis ta idia » goes beyond the mere acceptance of Mary by the disciple in the sense of material lodging and hospitality in his house ; it indicates rather a communion of life established between the two as a result of the words of the dying Christ : cf. Saint Augustine, In loan. Evang. tract. 119, 3 : CCL 36, 659 : « He took her to himself, not into his own property, for he possessed nothing of his own, but among his own duties, which he attended to with dedication. »
131. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 62.
132. Ibid., 63.
133. Second Vatican Ecumenical Council, Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 22.
134. Cf. Pope Paul VI, Discourse of 21 November 1964 : AAS 56 (1964) 1015.
135. Pope Paul VI, Solemn Profession of Faith (30 June 1968), 15 : AAS 60 (1968) 438f.
136. Pope Paul VI, Discourse of 21 November 1964 : AAS 56 (1964) 1015.
137. Ibid., 1016.
138. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 37.
139. Cf. Saint Bernard, In Dominica infra oct. Assumptionis Sermo : S. Bernardi Opera V, 1968, 262–274.
140. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 65.
141. Cf. Encyclical Letter Fulgens Corona (8 September 1953): AAS 45 (1953) 577–592. Pius X with his Encyclical Letter Ad Diem Illum (2 February 1904), on the occasion of the 50th anniversary of the dogmatic definition of the Immaculate Conception of the Blessed Virgin Mary, had proclaimed an Extraordinary jubilee of a few months ; Pii X P. M. Acta, I, 147–166.
142. Cf. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 66–67.
143. Saint Louis Marie Grignion de Montfort, Traite de la varie devotion a la sainte Vierge. This saint can rightly be linked with the figure of Saint Alfonso Maria de” Liguori, the second centenary of whose death occurs this year ; cf. among his works Le glorie di Maria.
144. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 69.
145. Homily on 1 January 1987.
146. Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 69.
147. Cf. Second Vatican Ecumenical Council, Dogmatic Constitution on Divine Revelation Dei Verbum, 2 : « Through this revelation…the invisible God…out of the abundance of his love speaks to men as friends…and lives among them…, so that he may invite and take them into fellowship with himself. »