Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

18 mai 1986

Lettre encyclique Dominum et Vivificantem

Sur l'Esprit Saint dans la vie de l'Eglise et du monde

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 18 mai 1986,
solen­ni­té de la Pentecôte, en la hui­tième année de mon pontificat.

Vénérables Frères, chers Fils et Filles, Salut et Bénédiction Apostolique !

Introduction

1. Dans sa foi en l” Esprit Saint, l’Eglise pro­clame qu’il « est Seigneur et qu’il donne la vie ». C’est ce qu’elle pro­clame dans le Symbole de la foi, dit de Nicée-​Constantinople, du nom des deux Conciles – de Nicée et de Constantinople -, où il fut for­mu­lé ou pro­mul­gué. Il y est dit aus­si que l’Esprit Saint « a par­lé par les prophètes ».

Ces paroles, l’Eglise les reçoit de la source même de la foi, Jésus Christ. En effet, selon l’Evangile de Jean, l’Esprit Saint nous est don­né avec la vie nou­velle, comme Jésus l’an­nonce et le pro­met au grand jour de la fête des Tentes : « Si quel­qu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Selon le mot de l’Ecriture : De son sein cou­le­ront des fleuves d’eau vive »[1]. Et l’é­van­gé­liste explique : « Il par­lait de l’Esprit que devaient rece­voir ceux qui avaient cru en lui »[2]. C’est la même com­pa­rai­son de l’eau que Jésus emploie dans le dia­logue avec la Samaritaine, quand il parle de la « source d’eau jaillis­sant en vie éter­nelle »[3], et dans le dia­logue avec Nicodème, quand il annonce la néces­si­té d’une nou­velle nais­sance « d’eau et d’Esprit » pour « entrer dans le Royaume de Dieu »[4].

Par consé­quent, l’Eglise, ins­truite par la parole du Christ, pui­sant dans l’ex­pé­rience de la Pentecôte et dans son his­toire apos­to­lique, pro­clame depuis le début sa foi en l’Esprit Saint, celui qui donne la vie, celui par qui le Dieu un et trine, inson­dable, se com­mu­nique aux hommes, éta­blis­sant en eux la source de la vie éternelle.

2. Cette foi, pro­fes­sée sans inter­rup­tion par l’Eglise, doit être sans cesse ravi­vée et appro­fon­die dans la conscience du Peuple de Dieu. Depuis un siècle, cela a été pro­po­sé plu­sieurs fois : de Léon XIII , qui publia l’Encyclique Divinum illud munus (1897) entiè­re­ment consa­crée à l’Esprit Saint, jus­qu’à Pie XII qui, dans l’Encyclique Mystici Corporis (1943), pré­sen­tait l’Esprit Saint comme le prin­cipe vital de l’Eglise où il est à l’œuvre en union avec le Chef du Corps Mystique, le Christ[5]; et jus­qu’au Concile Œcuménique Vatican II qui a fait com­prendre qu’une atten­tion renou­ve­lée à la doc­trine sur l’Esprit Saint était néces­saire, comme le sou­li­gnait Paul VI : « A la chris­to­lo­gie et spé­cia­le­ment à l’ec­clé­sio­lo­gie du Concile, doivent suc­cé­der une étude nou­velle et un culte nou­veau de l’Esprit Saint, pré­ci­sé­ment comme com­plé­ment indis­pen­sable de l’en­sei­gne­ment du Concile »[6].

Ainsi, à notre époque, la foi de l’Eglise, la foi ancienne qui demeure et qui est tou­jours neuve, nous appelle à renou­ve­ler notre approche de l’Esprit Saint comme celui qui donne la vie. En cela, nous sommes aidés et encou­ra­gés par notre héri­tage com­mun avec les Eglises orien­tales, qui ont conser­vé jalou­se­ment les richesses extra­or­di­naires de l’en­sei­gne­ment des Pères sur l’Esprit Saint. C’est pour­quoi on peut dire aus­si que l’un des évé­ne­ments ecclé­siaux les plus impor­tants de ces der­nières années a été le XVIe cen­te­naire du Premier Concile de Constantinople, célé­bré simul­ta­né­ment à Constantinople et à Rome en la solen­ni­té de la Pentecôte de l’an­née 1981. Dans la médi­ta­tion sur le mys­tère de l’Eglise, l’Esprit Saint est alors mieux appa­ru comme celui qui ouvre les voies condui­sant à l’u­ni­té des chré­tiens, comme la source suprême de l’u­ni­té qui vient de Dieu lui-​même et que saint Paul a expri­mée par­ti­cu­liè­re­ment par les paroles pro­non­cées fré­quem­ment au début de la litur­gie eucha­ris­tique : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’a­mour de Dieu le Père et la com­mu­nion de l’Esprit Saint soient tou­jours avec vous »[7].

C’est dans une telle orien­ta­tion que les pré­cé­dentes Encycliques Redemptor homi­nis et Dives in mise­ri­cor­dia ont trou­vé en quelque sorte un point de départ et une ins­pi­ra­tion : elles célèbrent l’é­vé­ne­ment de notre salut accom­pli dans le Fils envoyé par le Père dans le monde « pour que le monde soit sau­vé par lui »[8] et « que toute langue pro­clame, de Jésus Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père »[9]. A cette même orien­ta­tion répond aujourd’­hui la pré­sente Encyclique sur l’Esprit Saint qui pro­cède du Père et du Fils ; avec le Père et le Fils, il reçoit même ado­ra­tion et même gloire : Personne divine, il est au cœur de la foi chré­tienne et il est la source et la force dyna­mique du renou­veau de l’Eglise[10]. Cette Encyclique découle du plus pro­fond de l’hé­ri­tage du Concile. En effet, les textes conci­liaires, par leur ensei­gne­ment sur l’Eglise elle-​même et sur l’Eglise dans le monde, nous invitent à péné­trer tou­jours mieux le mys­tère tri­ni­taire de Dieu, en sui­vant la voie évan­gé­lique, patris­tique, litur­gique : au Père, par le Christ, dans l’Esprit Saint.

De cette manière, l’Eglise répond aus­si à cer­tains dési­rs pro­fonds qu’elle pense lire dans le cœur des hommes d’au­jourd’­hui : une décou­verte nou­velle de Dieu dans sa réa­li­té trans­cen­dante d’Esprit infi­ni, tel que Jésus le pré­sente à la Samaritaine ; le besoin de l’a­do­rer « en esprit et en véri­té »[11]; l’es­poir de trou­ver en lui le secret de l’a­mour et la puis­sance d’une « créa­tion nou­velle »[12]: oui, vrai­ment celui qui donne la vie.

L’Eglise se sent appe­lée à cette mis­sion d’an­non­cer l’Esprit alors qu’a­vec la famille humaine, elle arrive au terme du second mil­lé­naire après le Christ. Devant un ciel et une terre qui « passent », elle sait bien que « les paroles qui ne pas­se­ront point »[13] revêtent une élo­quence par­ti­cu­lière. Ce sont les paroles du Christ sur l’Esprit Saint, source inépui­sable de l”«eau jaillis­sant en vie éter­nelle »[14], véri­té et grâce du salut. Elle veut réflé­chir sur ces paroles, elle veut rap­pe­ler ces paroles aux croyants et à tous les hommes, tan­dis qu’elle se pré­pare à célé­brer – comme on le dira en son temps – le grand Jubilé qui mar­que­ra le pas­sage du deuxième au troi­sième mil­lé­naire chrétien.

Naturellement, les réflexions qui suivent n’ont pas pour but d’exa­mi­ner de manière exhaus­tive la très riche doc­trine sur l’Esprit Saint, ni de pri­vi­lé­gier telle ou telle solu­tion des ques­tions encore ouvertes. Elles ont comme objec­tif prin­ci­pal de déve­lop­per dans l’Eglise la conscience que « l’Esprit Saint la pousse à coopé­rer à la réa­li­sa­tion totale du des­sein de Dieu qui a fait du Christ le prin­cipe du salut pour le monde tout entier »[15].

Première Partie – L’Esprit du Père et du Fils donne à l’Église

1. La promesse et la révélation de Jésus au cours du repas pascal

3. Quand pour Jésus Christ l’heure était venue de quit­ter ce monde, il annon­ça aux Apôtres « un autre Paraclet »[16]. L’évangéliste Jean, qui était pré­sent, écrit que, au cours du repas pas­cal, la veille de sa pas­sion et de sa mort, Jésus leur adres­sa ces paroles : « Tout ce que vous deman­de­rez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glo­ri­fié dans le Fils… Je prie­rai le Père et il vous don­ne­ra un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de véri­té »[17].

Cet Esprit de véri­té, pré­ci­sé­ment, Jésus l’ap­pelle le Paraclet – et Parakletos veut dire « conso­la­teur », et aus­si « inter­ces­seur » ou « défen­seur ». Et il dit qu’il est « un autre » Paraclet, le second, parce que Jésus Christ lui-​même est le pre­mier Paraclet[18], car il est le pre­mier qui porte et donne la Bonne Nouvelle. L’Esprit Saint vient après lui et par lui pour pour­suivre dans le monde, grâce à l’Eglise, l’œuvre de la Bonne Nouvelle du salut. Cette conti­nua­tion de son œuvre par l’Esprit Saint, Jésus en parle plus d’une fois pen­dant le même dis­cours d’a­dieu où il pré­pa­rait les Apôtres, réunis au Cénacle, à son départ, c’est-​à-​dire à sa pas­sion et à sa mort sur la Croix.

Les paroles aux­quelles nous nous réfé­re­rons ici se trouvent dans l’Evangile de Jean. Chacune d’elles ajoute un conte­nu nou­veau à cette annonce et à cette pro­messe. En même temps, elles sont étroi­te­ment reliées les unes aux autres, non seule­ment dans la pers­pec­tive des mêmes évé­ne­ments, mais aus­si dans la pers­pec­tive du mys­tère du Père, du Fils et de l’Esprit Saint qui n’est sans doute expri­mé avec autant de relief dans aucun autre pas­sage de la Sainte Ecriture.

4. Peu après l’an­nonce rap­pe­lée ci-​dessus, Jésus ajoute : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enver­ra en mon nom, lui, vous ensei­gne­ra tout et vous rap­pel­le­ra tout ce que je vous ai dit »[19]. L’Esprit Saint sera le Consolateur des Apôtres et de l’Eglise, tou­jours pré­sent au milieu d’eux, même s’il demeure invi­sible, comme maître de la Bonne Nouvelle que le Christ a annon­cée. « Il ensei­gne­ra » et « il rap­pel­le­ra », cela signi­fie non seule­ment qu’il conti­nue­ra, à sa manière qui lui est propre, à ins­pi­rer la pro­cla­ma­tion de l’Evangile du salut, mais aus­si qu’il aide­ra à com­prendre le sens juste du conte­nu du mes­sage du Christ ; qu’il en main­tien­dra la conti­nui­té et l’i­den­ti­té de sens alors que changent les condi­tions et les cir­cons­tances. L’Esprit Saint fera en sorte que dans l’Eglise demeure tou­jours la véri­té même que les Apôtres ont enten­due de leur Maître.

5. Pour trans­mettre la Bonne Nouvelle, les Apôtres seront asso­ciés à l’Esprit Saint d’une manière par­ti­cu­lière. Voici com­ment Jésus pour­suit : « Lorsque vien­dra le Paraclet, que je vous enver­rai d’au­près du Père, l’Esprit de véri­té, qui vient du Père, il me ren­dra témoi­gnage. Mais vous aus­si, vous témoi­gne­rez, parce que vous êtes avec moi depuis le com­men­ce­ment »[20].

Les Apôtres ont été les témoins directs, ocu­laires. Ils « ont enten­du » et « ils ont vu de leurs yeux », « ils ont contem­plé » et même « tou­ché de leurs mains » le Christ, comme le dit le même évan­gé­liste Jean dans un autre pas­sage[21]. Leur témoi­gnage humain, ocu­laire et « his­to­rique » sur le Christ est lié au témoi­gnage de l’Esprit Saint : « Il me ren­dra témoi­gnage ». Dans le témoi­gnage de l’Esprit de véri­té, le témoi­gnage humain des Apôtres trou­ve­ra son appui suprême. Et par la suite, il trou­ve­ra aus­si en lui le fon­de­ment inté­rieur de sa conti­nua­tion par­mi les géné­ra­tions des dis­ciples et des confes­seurs du Christ qui se suc­cé­de­ront au cours des siècles.

Si Jésus Christ lui-​même est la révé­la­tion suprême et la plus com­plète de Dieu à l’hu­ma­ni­té, le témoi­gnage de l’Esprit en ins­pire, en garan­tit et en confirme la trans­mis­sion fidèle dans la pré­di­ca­tion et dans les écrits apos­to­liques[22], tan­dis que le témoi­gnage des Apôtres en assure l’ex­pres­sion humaine dans l’Eglise et dans l’his­toire de l’humanité.

6. Cela res­sort aus­si de l’é­troite cor­ré­la­tion de conte­nu et d’in­ten­tion avec l’an­nonce et la pro­messe qui viennent d’être men­tion­nées, cor­ré­la­tion expri­mée par les paroles qui suivent dans le texte de Jean : « J’ai encore beau­coup à vous dire, mais vous ne pou­vez pas le por­ter à pré­sent. Mais quand il vien­dra, lui, l’Esprit de véri­té, il vous intro­dui­ra dans la véri­té tout entière ; car il ne par­le­ra pas de lui-​même, mais ce qu’il enten­dra, il le dira et il vous dévoi­le­ra les choses à venir »[23].

Par les paroles pré­cé­dentes, Jésus pré­sente le Paraclet, l’Esprit de véri­té, comme celui qui « ensei­gne­ra » et « rap­pel­le­ra », comme celui qui lui « ren­dra témoi­gnage» ; à pré­sent il dit : « Il vous intro­dui­ra dans la véri­té tout entière ». Ces mots « intro­duire dans la véri­té tout entière », en rap­port avec ce que les Apôtres « ne peuvent pas por­ter à pré­sent », sont en lien direct avec le dépouille­ment du Christ par la pas­sion et la mort en Croix qui étaient immi­nentes lors­qu’il pro­non­çait ces paroles.

Cependant il devien­dra clair, par la suite, que les mots « intro­duire dans la véri­té tout entière » se rat­tachent éga­le­ment, au-​delà du scan­da­lum Crucis, à tout ce que le Christ « a fait et ensei­gné »[24]. En effet, le mys­te­rium Christi dans son inté­gra­li­té exige la foi, parce que c’est la foi qui intro­duit véri­ta­ble­ment l’homme dans la réa­li­té du mys­tère révé­lé. « Introduire dans la véri­té tout entière », cela s’ac­com­plit donc dans la foi et par la foi : c’est l’œuvre de l’Esprit de véri­té et c’est le fruit de son action dans l’homme. En cela, l’Esprit Saint doit être le guide suprême de l’homme, la lumière de l’es­prit humain. Cela vaut pour les Apôtres, témoins ocu­laires, qui doivent désor­mais por­ter à tous les hommes l’an­nonce de ce que le Christ « a fait et ensei­gné », et, spé­cia­le­ment, de sa Croix et de sa Résurrection. Dans une pers­pec­tive plus large, cela vaut aus­si pour toutes les géné­ra­tions des dis­ciples et des confes­seurs du Maître, car ils devront accueillir dans la foi et pro­cla­mer avec fer­me­té le mys­tère de Dieu agis­sant dans l’his­toire de l’homme, le mys­tère révé­lé qui éclaire le sens ultime de cette histoire.

7. Il existe donc entre l’Estrit Saint et le Christ, dans l’é­co­no­mie du salut, un lien intime, par lequel l’Esprit agit dans l’his­toire de l’homme comme « un autre Paraclet », assu­rant dura­ble­ment la trans­mis­sion et le rayon­ne­ment de la Bonne Nouvelle révé­lée par Jésus de Nazareth. C’est pour­quoi la gloire du Christ res­plen­dit dans l’Esprit Saint Paraclet qui, dans le mys­tère et dans l’ac­tion de l’Eglise, conti­nue sans inter­rup­tion la pré­sence his­to­rique du Rédempteur sur la terre et son œuvre de salut ; c’est ce qu’at­testent les paroles de Jean qui viennent ensuite : « Lui (c’est-​à-​dire l’Esprit) me glo­ri­fie­ra, car c’est de mon bien qu’il rece­vra et il vous le dévoi­le­ra »[25]. Ces paroles confirment une fois encore tout ce qui a été dit pré­cé­dem­ment : « Il ensei­gne­ra…, il rap­pel­le­ra…, il ren­dra témoi­gnage ». La révé­la­tion suprême et com­plète que Dieu fait de lui-​même, accom­plie dans le Christ – la pré­di­ca­tion des Apôtres lui ren­dant témoi­gnage – conti­nue à être mani­fes­tée dans l’Eglise par la mis­sion du Paraclet invi­sible, l’Esprit de véri­té. A quel point cette mis­sion est inti­me­ment liée à la mis­sion du Christ, à quel point elle découle entiè­re­ment de cette mis­sion du Christ, en affer­mis­sant et en déve­lop­pant dans l’his­toire ses fruits de salut, cela est expri­mé dans le verbe « rece­voir » : « C’est de mon bien qu’il rece­vra et il vous le dévoi­le­ra ». Comme pour expli­quer le mot « rece­voir », et faire appa­raître clai­re­ment l’u­ni­té divine et tri­ni­taire de la source, Jésus ajoute : « Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pour­quoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le dévoi­le­ra »[26]. En rece­vant de « mon bien », par là même il pui­se­ra à « ce qu’a le Père ».

Ainsi à la lumière de cette expres­sion « il rece­vra », peuvent s’ex­pli­quer aus­si les autres paroles sur l’Esprit Saint pro­non­cées par Jésus au Cénacle avant la Pâque, paroles signi­fi­ca­tives : « C’est votre inté­rêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne vien­dra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’en­ver­rai. Et lui, une fois venu, il éta­bli­ra la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de juge­ment »[27]. Il convien­dra de reve­nir encore sur ces paroles dans une réflexion particulière.

2. Le Père, le Fils et l’Esprit Saint

8. Il est carac­té­ris­tique du texte johan­nique que le Père, le Fils et l’Esprit Saint soient dési­gnés clai­re­ment comme des Personnes, la pre­mière étant dis­tincte de la deuxième et de la troi­sième, et aus­si les trois entre elles. Jésus parle de l’Esprit-​Paraclet uti­li­sant à plu­sieurs reprises le pro­nom per­son­nel « Il », et en même temps, dans tout le dis­cours d’a­dieu, il dévoile les liens qui unissent dans la réci­pro­ci­té le Père, le Fils et le Paraclet. Ainsi donc « L’Esprit … vient du Père » [28] et le Père « donne » l’Esprit[29]. Le Père « envoie » l’Esprit au nom du Fils[30], l’Esprit « rend témoi­gnage » au Fils[31]. Le Fils demande au Père d’en­voyer l’Esprit-​Paraclet[32], mais, par ailleurs, il déclare et pro­met, en rap­port à son « départ » par la Croix : « Si je pars, je vous l’en­ver­rai »[33]. Ainsi, le Père, par la puis­sance de sa pater­ni­té, envoie l’Esprit Saint comme il a envoyé le Fils[34]; mais en même temps il l’en­voie en ver­tu de la puis­sance de la rédemp­tion accom­plie par le Christ – et, en ce sens, l’Esprit Saint est envoyé aus­si par le Fils : « Je vous l’enverrai ».

Il faut noter ici que, si toutes les autres pro­messes faites au Cénacle annon­çaient la venue de l’Esprit Saint après le départ du Christ, celle du texte de Jean 16, 7–8 implique aus­si et sou­ligne clai­re­ment le rap­port d’in­ter­dé­pen­dance, on pour­rait dire de cau­sa­li­té, entre la mani­fes­ta­tion de l’un et de l’autre : « Si je pars, je vous l’en­ver­rai ». L’Esprit Saint vien­dra en fonc­tion du départ du Christ par la Croix : il vien­dra non seule­ment à la suite, mais à cause de la rédemp­tion accom­plie par le Christ, selon la volon­té et l’œuvre du Père.

9. Ainsi, dans le dis­cours pas­cal d’a­dieu on par­vient, pouvons-​nous dire, au som­met de la révé­la­tion tri­ni­taire. Au même moment, nous nous trou­vons au seuil des évé­ne­ments déci­sifs et des paroles suprêmes qui, à la fin, se tra­dui­ront par le grand envoi en mis­sion adres­sé aux Apôtres et, par leur inter­mé­diaire, à l’Eglise : « Allez donc, de toutes les nations faites des dis­ciples », envoi en mis­sion qui com­prend, en un sens, la for­mule tri­ni­taire du bap­tême : «… les bap­ti­sant au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit »[35]. La for­mule reflète le mys­tère intime de Dieu, de la vie divine, qui est le Père, le Fils et l’Esprit Saint, uni­té divine de la Trinité. On peut lire le dis­cours d’a­dieu comme une pré­pa­ra­tion par­ti­cu­lière à cette for­mule tri­ni­taire, où s’ex­prime la puis­sance vivi­fiante du sacre­ment qui réa­lise la par­ti­ci­pa­tion à la vie de Dieu un et trine, parce qu’il donne à l’homme la grâce sanc­ti­fiante comme un don sur­na­tu­rel. Par elle, l’homme est appe­lé à par­ti­ci­per à l’in­son­dable vie de Dieu et il en reçoit la « capacité ».

10. Dans sa vie intime, Dieu « est amour »[36], un amour essen­tiel, com­mun aux trois Personnes divines : l’Esprit Saint est l’a­mour per­son­nel en tant qu’Esprit du Père et du Fils. C’est pour­quoi il « sonde jus­qu’aux pro­fon­deurs de Dieu »[37], en tant qu’Amour-​Don incréé. On peut dire que, dans l’Esprit Saint, la vie intime du Dieu un et trine se fait tota­le­ment don, échange d’a­mour réci­proque entre les Personnes divines, et que, par l’Esprit Saint, Dieu « existe » sous le mode du don. C’est l’Esprit Saint qui est l’ex­pres­sion per­son­nelle d’un tel don de soi, de cet être-​amour[38]. Il est Personne-​amour. Il est Personne-​don. Cela nous montre, au sujet du concept de per­sonne en Dieu, une richesse inson­dable de la réa­li­té et un appro­fon­dis­se­ment dépas­sant ce qui se peut expri­mer, tels que seule la Révélation peut nous les faire connaître.

En même temps, l’Esprit Saint, en tant que consub­stan­tiel au Père et au Fils dans la divi­ni­té, est Amour et Don (incréé) d’où découle comme d’une source (fons vivus) tout don accor­dé aux créa­tures (don créé): le don de l’exis­tence à toutes choses par la créa­tion ; le don de la grâce aux hommes par toute l’é­co­no­mie du salut. Comme l’Apôtre Paul l’é­crit : « L’amour de Dieu a été répan­du dans nos cœurs par le Saint-​Esprit qui nous fut don­né »[39].

3. Le don que Dieu fait de lui-​même dans l’Esprit Saint pour le salut

11. Le dis­cours d’a­dieu du Christ au cours du repas pas­cal se rat­tache par­ti­cu­liè­re­ment à ce « don » et à ce « don de soi » de l’Esprit Saint. Dans l’Evangile de Jean se dévoile, pour ain­si dire, la « logique » la plus pro­fonde du mys­tère sal­vi­fique inclus dans le des­sein éter­nel de Dieu, comme exten­sion de la com­mu­nion inef­fable du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. C’est la « logique » divine qui, à par­tir du mys­tère de la Trinité, conduit au mys­tère de la Rédemption du monde en Jésus Christ. La Rédemption accom­plie par le Fils dans le cadre de l’his­toire ter­restre de l’homme, accom­plie en son « départ » par la Croix et par la Résurrection, se trouve en même temps trans­mise, dans toute sa puis­sance sal­vi­fique, à l’Esprit Saint, celui qui « rece­vra de mon bien »[40]. Les paroles du texte johan­nique montrent que, selon le plan divin, le « départ » du Christ est une condi­tion indis­pen­sable pour l”«envoi » et la venue de l’Esprit Saint, mais elles disent aus­si que com­mence alors le nou­veau don que Dieu fait de lui-​même dans l’Esprit Saint pour le salut.

12. C’est un nou­veau com­men­ce­ment par rap­port au pre­mier com­men­ce­ment, à l’o­ri­gine du don que Dieu a fait de lui-​même pour le salut, qui s’i­den­ti­fie avec le mys­tère même de la créa­tion. Voici ce que nous lisons dès les pre­miers mots du Livre de la Genèse : « Au com­men­ce­ment Dieu créa le ciel et la terre…, et l’es­prit de Dieu (ruah Elohim) pla­nait sur les eaux »[41]. Ce concept biblique de créa­tion com­porte non seule­ment l’ap­pel à l’exis­tence de l’être même du cos­mos, c’est-​à-​dire le don de l’exis­tence, mais aus­si la pré­sence de l’Esprit de Dieu dans la créa­tion, c’est-​à-​dire le com­men­ce­ment du don que Dieu fait de lui-​même pour leur salut aux choses qu’il a créées. Cela vaut avant tout pour l’homme, qui a été créé à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu : « Faisons l’homme à notre image, comme notre res­sem­blance »[42]. « Faisons » : peut-​on consi­dé­rer que le plu­riel, employé ici par le Créateur en par­lant de lui-​même, sug­gere déjà en quelque façon le mys­tère tri­ni­taire, la pré­sence de la Trinité dans l’œuvre de la créa­tion de l’homme ? Le lec­teur chré­tien qui connaît déjà la révé­la­tion de ce mys­tère peut aus­si en recon­naître le reflet dans ces paroles. En tout cas, le contexte du Livre de la Genèse nous per­met de voir dans la créa­tion de l’homme le pre­mier com­men­ce­ment du don que Dieu fait de lui-​même pour le salut dans la mesure où il a accor­dé à l’homme d’être à « l’i­mage » et à « la res­sem­blance » de lui-même.

13. Il semble donc que les paroles pro­non­cées par Jésus dans le dis­cours d’a­dieu doivent aus­si être relues en rap­port avec ce « com­men­ce­ment » si loin­tain, mais fon­da­men­tal, que nous connais­sons par le Livre de la Genèse. « Si je ne pars pas, le Paraclet ne vien­dra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’en­ver­rai ». En pré­sen­tant son « départ » comme une condi­tion de la « venue » du Paraclet, le Christ fait le lien entre le nou­veau com­men­ce­ment du don que Dieu fait de lui-​même par l’Esprit Saint pour le salut, et le mys­tère de la Rédemption. C’est là un nou­veau com­men­ce­ment, avant tout parce que, entre le pre­mier com­men­ce­ment et toute l’his­toire de l’homme, s’est inter­po­sé, à par­tir de la chute ori­gi­nelle, le péché qui s’op­pose à la pré­sence de l’Esprit de Dieu dans la créa­tion et qui, sur­tout, s’op­pose au don que Dieu fait de lui-​même à l’homme pour son salut. Saint Paul écrit que, pré­ci­sé­ment à cause du péché, « la créa­tion… fut assu­jet­tie à la vani­té…, jus­qu’à ce jour elle gémit en tra­vail d’en­fan­te­ment » et « elle attend avec impa­tience la révé­la­tion des fils de Dieu »[43].

14. C’est pour­quoi Jésus dit au Cénacle : « C’est votre inté­rêt que je parte» ; « si je pars, je vous l’en­ver­rai »[44]. Le « départ » du Christ par la Croix a la puis­sance de la Rédemption – et cela signi­fie aus­si une nou­velle pré­sence de l’Esprit de Dieu dans la créa­tion : le nou­veau com­men­ce­ment du don que Dieu fait de lui-​même à l’homme dans l’Esprit Saint. « Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba ! Père ! », écrit l’Apôtre Paul dans la Lettre aux Galates[45]. L’Esprit Saint est l’Esprit du Père, comme en témoignent les paroles du dis­cours d’a­dieu au Cénacle. Il est, en même temps, l’Esprit du Fils : il est l’Esprit de Jésus Christ, comme en témoi­gne­ront les Apôtres et par­ti­cu­liè­re­ment Paul de Tarse[46]. Par l’en­voi de cet Esprit « dans nos cœurs », com­mence à s’ac­com­plir ce que « la créa­tion attend avec impa­tience », comme nous le lisons dans la Lettre aux Romains.

L’Esprit Saint vient au prix du « départ » du Christ. Si ce « départ » a pro­vo­qué la tris­tesse des Apôtres[47], qui devait atteindre son point culmi­nant dans la pas­sion et dans la mort du Vendredi Saint, à son tour « cette tris­tesse se chan­ge­ra en joie » [48]. Le Christ, en effet, mar­que­ra son « départ » rédemp­teur par la gloire de la résur­rec­tion et de l’as­cen­sion vers le Père. Ainsi donc, la tris­tesse à tra­vers laquelle trans­pa­raît la joie, voi­là ce qu’é­prouvent les Apôtres dans la pers­pec­tive du « départ » de leur Maître, un départ qui a lieu « dans leur inté­rêt », parce que, grâce à lui, vien­dra un autre « Paraclet »[49]. Au prix de la Croix où se réa­lise la Rédemption, par la puis­sance de tout le mys­tère pas­cal de Jésus Christ, l’Esprit Saint vient demeu­rer dès le jour de la Pentecôte avec les Apôtres, pour demeu­rer avec l’Eglise et dans l’Eglise et, grâce à elle, dans le monde.

De cette manière s’ac­com­plit défi­ni­ti­ve­ment ce nou­veau com­men­ce­ment du don que le Dieu un et trine fait de lui-​même dans l’Esprit Saint par Jésus Christ, Rédempteur de l’homme et du monde.

4. Le Messie, Oint de l’Esprit Saint

15. La mis­sion du Messie s’ac­com­plit aus­si jus­qu’à son terme, car elle est la mis­sion de celui qui a reçu la plé­ni­tude de l’Esprit Saint pour le Peuple élu de Dieu et pour l’hu­ma­ni­té entière. Littéralement, « Messie » veut dire « Christ », c’est-​à-​dire « Oint », et, dans l’his­toire du salut, le sens est « Oint de l’Esprit Saint ». Telle était la tra­di­tion pro­phé­tique de l’Ancien Testament. En s’y confor­mant, Simon Pierre dira dans la mai­son de Corneille : « Vous savez ce qui s’est pas­sé dans toute la Judée : Jésus de Nazareth… après le bap­tême pro­cla­mé par Jean ; com­ment Dieu l’a consa­cré par l’Esprit Saint et rem­pli de sa force »[50].

De ces paroles de Pierre et de beau­coup d’autres sem­blables[51], il convient de remon­ter avant tout à la pro­phé­tie d’Isaïe, par­fois appe­lée « le cin­quième évan­gile » ou bien « l’é­van­gile de l’Ancien Testament ». Evoquant la venue d’un per­son­nage mys­té­rieux, que la révé­la­tion néo-​testamentaire iden­ti­fie­ra avec Jésus, Isaie en asso­cie la per­sonne et la mis­sion avec une action spé­ciale de l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Seigneur. Voici les paroles du prophète :

« Un reje­ton sor­ti­ra de la souche de Jessé,
un sur­geon pous­se­ra de ses racines.
Sur lui repo­se­ra l’Esprit du Seigneur
esprit de sagesse et d’in­tel­li­gence,
esprit de conseil et de force,
esprit de connais­sance et de crainte du Seigneur :
son ins­pi­ra­tion est dans la crainte du Seigneur »[52].

Ce texte est impor­tant pour toute la pneu­ma­to­lo­gie de l’Ancien Testament, car il consti­tue comme un pont entre le concept biblique ancien de l”«esprit », enten­du avant tout comme un « souffle cha­ris­ma­tique », et l”«Esprit » comme per­sonne et comme don, don pour la per­sonne. Le Messie de la lignée de David (« de la souche de Jessé ») est pré­ci­sé­ment la per­sonne sur laquelle « repo­se­ra » l’Esprit du Seigneur. Il est évident que, dans ce cas, on ne peut pas encore par­ler de la révé­la­tion du Paraclet : cepen­dant, avec cette allu­sion voi­lée à la figure du futur Messie s’ouvre, pour ain­si dire, la voie sur laquelle est pré­pa­rée la pleine révé­la­tion de l’Esprit Saint dans l’u­ni­té du mys­tère tri­ni­taire qui se mani­fes­te­ra fina­le­ment dans la Nouvelle Alliance.

16. Cette voie, c’est pré­ci­sé­ment le Messie. Dans l’Ancienne Alliance, l’onc­tion était deve­nue le sym­bole exté­rieur du don de l’Esprit. Le Messie (plus que tout autre per­son­nage oint dans l’Ancienne Alliance) est l’u­nique et grand Oint du Seigneur lui-​même. Il est l’Oint en ce sens qu’il pos­sède la plé­ni­tude de l’Esprit de Dieu. Et il sera lui-​même le média­teur du don de cet Esprit au Peuple tout entier. Voici, en effet, d’autres paroles du prophète :

« L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi,
car le Seigneur m’a consa­cré par l’onc­tion ;
il m’a envoyé por­ter la bonne nou­velle aux pauvres,
pan­ser les cœurs meur­tris,
annon­cer aux cap­tifs la libé­ra­tion
et aux pri­son­niers la déli­vrance,
pro­cla­mer une année de grâce de la part du Seigneur »[53].

L’Oint est aus­si envoyé « avec l’Esprit du Seigneur » :
«Et main­te­nant le Seigneur Dieu
m’a envoyé avec son esprit »[54].

Selon le Livre d’Isaïe, l’Oint, l’Envoyé avec l’Esprit du Seigneur, est aus­si le Serviteur du Seigneur élu, sur qui repose l’Esprit de Dieu :

« Voici mon ser­vi­teur que je sou­tiens,
mon élu en qui mon âme se com­plait.
J’ai mis sur lui mon esprit »[55].

On sait que le Serviteur du Seigneur est révé­lé dans le Livre d’Isaïe comme le véri­table Homme des dou­leurs : le Messie souf­frant pour les péchés du monde[56]. Et, simul­ta­né­ment, il est celui même qui reçoit la mis­sion de por­ter de véri­tables fruits de salut pour toute l’hu­ma­ni­té : « Il pré­sen­te­ra aux nations le droit …»[57]; et il devien­dra « l’al­liance du peuple, la lumière des nations …»[58]; « pour que mon salut atteigne aux extré­mi­tés de la terre »[59].

Car : « Mon esprit qui est sur toi,
et mes paroles que j’ai mises dans ta bouche
ne s’é­loi­gne­ront pas de ta bouche,
ni de la bouche de ta des­cen­dance,
ni de la bouche de la des­cen­dance de ta des­cen­dance,
dit le Seigneur, dès main­te­nant et à jamais »[60].

Les textes pro­phé­tiques cités ici, nous devons les lire àla lumière de l’Evangile, de même que, pour sa part, le Nouveau Testament reçoit de la lumière admi­rable de ces textes vétéro-​testamentaires une clar­té par­ti­cu­lière. Le pro­phète pré­sente le Messie comme celui qui vient dans l’Esprit Saint, comme celui qui pos­sède la plé­ni­tude de cet Esprit en lui et, en même temps, pour les autres, pour Israël, pour toutes les nations, pour toute l’hu­ma­ni­té. La plé­ni­tude de l’Esprit de Dieu s’ac­com­pagne de nom­breux dons, les biens du salut, des­ti­nés spé­cia­le­ment aux pauvres et à ceux qui souffrent, à tous ceux qui ouvrent leur cœur à ces dons, par­fois à tra­vers l’ex­pé­rience dou­lou­reuse de leur propre exis­tence, mais avant tout dans la dis­po­ni­bi­li­té inté­rieure qui pro­vient de la foi. Cela, le vieillard Syméon, « homme juste et pieux » sur qui « repo­sait l’Esprit Saint », en eut l’in­tui­tion au moment de la pré­sen­ta­tion de Jésus au Temple, lors­qu’il vit en lui « le salut pré­pa­ré à la face de tous les peuples » au prix de la grande souf­france, celle de la Croix, qu’il devait éprou­ver en même temps que sa Mère[61]. La Vierge Marie com­pre­nait cela encore mieux, elle qui « avait conçu du Saint-​Esprit »[62], lors­qu’elle médi­tait en son cœur les « mys­tères » du Messie aux­quels elle était asso­ciée[63].

17. Il convient de sou­li­gner ici que l”«esprit du Seigneur », qui « repose » sur le futur Messie, est clai­re­ment et avant tout un don de Dieu pour la per­sonne de ce Serviteur du Seigneur. Mais lui-​même n’est pas une per­sonne iso­lée et exis­tant par elle-​même, parce qu’il agit par la volon­té du Seigneur, en ver­tu de sa déci­sion ou de son choix. Même si, à la lumière des textes d’Isaie, l’œuvre sal­vi­fique du Messie, Serviteur du Seigneur, implique l’ac­tion de l’Esprit accom­plie à tra­vers lui, dans leur contexte vétéro-​testamentaire la dis­tinc­tion des sujets ou des Personnes divines – telles que ces Personnes sub­sistent dans le mys­tère tri­ni­taire et seront révé­lées ensuite dans le Nouveau Testament – n’est cepen­dant pas sug­gé­rée. Que ce soit en Isaïe ou dans tout l’Ancien Testament, la per­son­na­li­té de l’Esprit Saint est com­plè­te­ment cachée : cachée dans la révé­la­tion du Dieu unique, comme aus­si dans l’an­nonce pro­phé­tique du Messie à venir.

18. Au début de son acti­vi­té mes­sia­nique, Jesus Christ se récla­me­ra de cette annonce que com­pre­naient les paroles d’Isaïe. Il le fera à Nazareth même où il avait pas­sé trente années de sa vie dans la mai­son de Joseph le char­pen­tier, aux côtés de Marie, la Vierge sa Mère. Quand il eut l’oc­ca­sion de prendre la parole à la Synagogue, ouvrant le Livre d’Isaïe, il trou­va le pas­sage où il était écrit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consa­cré par l’onc­tion » et, après avoir lu ce pas­sage, il dit à l’as­sem­blée : « Aujourd’hui, cette écri­ture est accom­plie pour vous qui l’en­ten­dez »[64]. De cette manière, il confes­sait et il pro­cla­mait qu’il était celui qui « a reçu l’onc­tion » du Père, qu’il était le Messie, c’est-​a-​dire celui en qui demeure l’Esprit Saint, le don de Dieu lui-​même, celui qui pos­sède la plé­ni­tude de cet Esprit, celui qui marque le « nou­veau com­men­ce­ment » du don que Dieu fait à l’hu­ma­ni­té dans l’Esprit.

5. Jésus de Nazareth, « manifesté » dans l’Esprit Saint

19. Même si dans sa propre ville de Nazareth Jesus n’est pas recon­nu comme Messie, sa mis­sion mes­sia­nique dans l’Esprit Saint est cepen­dant révé­lée au peuple par Jean-​Baptiste aù com­men­ce­ment de son acti­vi­té publique. Au bord du Jourdain, Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth, annonce la venue du Messie et admi­nistre le bap­tême de péni­tence. Il dit : « Pour moi, je vous bap­tise avec de l’eau, mais vient le plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la cour­roie de ses san­dales : lui vous bap­ti­se­ra dans l’Esprit Saint et le feu »[65].

Jean-​Baptiste annonce le Messie-​Christ non seule­ment comme celui qui « vient » dans l’Esprit Saint, mais aus­si comme celui qui « porte » l’Esprit Saint, comme Jésus le révé­le­ra mieux au Cénacle. Jean se fait ici l’é­cho fidèle des paroles d’Isaïe, qui concer­naient l’a­ve­nir chez le pro­phète ancien, tan­dis que dans son ensei­gne­ment sur les rives du Jourdain, elles consti­tuent l’in­tro­duc­tion immé­diate à la réa­li­té mes­sia­nique nou­velle. Jean n’est pas seule­ment pro­phète, il est aus­si mes­sa­ger : il est le pré­cur­seur du Christ. Ce qu’il annonce se réa­lise aux yeux de tous. Jésus de Nazareth vient au Jourdain pour rece­voir, lui aus­si, le bap­tême de péni­tence. En voyant celui qui arrive, Jean pro­clame : « Voici l’a­gneau de Dieu, qui enlève le péché du monde »[66]. Il dit cela sous l’ins­pi­ra­tion du Saint-​Esprit[67] et rend témoi­gnage à l’ac­com­plis­se­ment de la pro­phé­tie d’Isaïe. En même temps, il pro­clame la foi en la mis­sion rédemp­trice de Jésus de Nazareth. Sur les lèvres de Jean-​Baptiste, « Agneau de Dieu » est une expres­sion de la véri­té sur le Rédempteur qui n’a pas moins de por­tée que celle de « Serviteur du Seigneur ».

Ainsi, par le témoi­gnage de Jean au Jourdain, Jésus de Nazareth, reje­té par ses com­pa­triotes, se trouve mani­fes­té aux yeux d’Israël comme le Messie, c’est-​à-​dire « l’Oint » de l’Esprit Saint. Et ce témoi­gnage est confir­mé par un autre témoi­gnage supé­rieur, men­tion­né par les trois synop­tiques. En effet, quand tout le peuple fut bap­ti­sé et tan­dis que Jésus, ayant reçu le bap­tême, se trou­vait en prière, « le ciel s’ou­vrit, et l’Esprit Saint des­cen­dit sur lui sous une forme cor­po­relle, comme une colombe »[68] et, en même temps, « voi­ci qu’une voix venue des cieux disait : « Celui-​ci est mon Fils bien-​aimé, qui a toute ma faveur »»[69].

C’est une théo­pha­nie tri­ni­taire, qui est un témoi­gnage ren­du à la glo­ri­fi­ca­tion du Christ à l’oc­ca­sion de son bap­tême dans le Jourdain. Non seule­ment elle confirme le témoi­gnage de Jean-​Baptiste, mais elle dévoile une dimen­sion encore plus pro­fonde de la véri­té sur Jésus de Nazareth comme Messie. Il est dit : le Messie est le Fils bien-​aimé du Père. Son inves­ti­ture solen­nelle ne se réduit pas à la mis­sion mes­sia­nique du « Serviteur du Seigneur ». A la lumière de la théo­pha­nie du Jourdain, c’est le mys­tère de la Personne même du Messie qui est exal­té. Il est glo­ri­fié parce qu’il est Fils de la com­plai­sance divine. La voix d’en haut dit : « Mon Fils ».

20. La théo­pha­nie du Jourdain n’é­claire que fugi­ti­ve­ment le mys­tère de Jésus de Nazareth dont toute l’ac­ti­vi­té se dérou­le­ra en pré­sence de l’Esprit Saint[70]. Ce mys­tère sera révé­lé par Jésus lui-​même et peu à peu confir­mé à tra­vers tout ce qu’il « a fait et ensei­gné »[71]. Dans la ligne de cet ensei­gne­ment et des signes mes­sia­niques que Jésus accom­plit avant de par­ve­nir au dis­cours d’a­dieu du Cénacle, nous ren­con­trons des évé­ne­ments et des paroles qui repré­sentent des moments par­ti­cu­liè­re­ment impor­tants de cette révé­la­tion pro­gres­sive. Ainsi l’é­van­gé­liste Luc, qui a déjà pré­sen­té Jésus « rem­pli d’Esprit Saint » et « mené par l’Esprit à tra­vers le désert »[72], nous apprend que, après le retour des soixante-​douze dis­ciples de la mis­sion que le Maître leur avait confiée[73], alors que, tout joyeux, ils décri­vaient le fruit de leur tra­vail, à cette heure même, Jésus « tres­saillit de joie sous l’ac­tion de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’a­voir caché cela aux sages et aux intel­li­gents et de l’a­voir révé­lé aux tout-​petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plai­sir »»[74]. Jésus exulte à cause de la pater­ni­té divine ; il exulte parce qu’il lui est don­né de révé­ler cette pater­ni­té ; il exulte, enfin, parce qu’il y a comme un rayon­ne­ment par­ti­cu­lier de cette pater­ni­té divine sur les « petits ». Et l’é­van­gé­liste qua­li­fie tout cela de « tres­saille­ment de joie dans l’Esprit Saint ».

Un tel tres­saille­ment de joie, en un sens, entraîne Jésus à dire encore davan­tage. Ecoutons : « Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne sait qui est le Fils si ce n’est le Père, ni qui est le Pere si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révé­ler »[75].

21. Ce qui, au cours de la théo­pha­nie du Jourdain, est venu pour ain­si dire « de l’ex­té­rieur » d’en haut, pro­vient ici « de l’in­té­rieur », c’est-​à-​dire du plus pro­fond de ce qu’est Jésus. C’est une autre révé­la­tion du Père et du Fils, unis dans l’Esprit Saint. Jésus parle seule­ment de la pater­ni­té de Dieu et de sa propre filia­tion ; il ne parle pas expli­ci­te­ment de l’Esprit qui est Amour et, par là, union du Père et du Fils. Néanmoins, ce qu’il dit du Père et de lui-​même comme Fils résulte de la plé­ni­tude de l’Esprit qui est en lui, qui rem­plit son cœur, pénètre son propre « Moi », ins­pire et vivi­fie en pro­fon­deur son action. De là, ce « tres­saille­ment de joie dans l’Esprit Saint ». L’union du Christ avec l’Esprit Saint, dont il a une par­faite conscience, s’ex­prime dans ce « tres­saille­ment de joie » qui, en un sens, rend « per­cep­tible » sa source secrète. Il en résulte une mani­fes­ta­tion et une exal­ta­tion par­ti­cu­lières qui sont propres au Fils de l’homme, au Christ-​Messie dont l’hu­ma­ni­té appar­tient à la per­sonne du Fils de Dieu, sub­stan­tiel­le­ment un avec l’Esprit Saint dans la divinité.

Dans sa magni­fique confes­sion de la pater­ni­té de Dieu, Jésus de Nazareth se mani­feste aus­si lui-​même, il mani­feste son « Moi » divin : il est en effet le Fils « de la même sub­stance », c’est pour­quoi « nul ne sait qui est le Fils si ce n’est le Père, ni qui est le Père si ce n’est le Fils », ce Fils qui « pour nous et pour notre salut » s’est fait homme par l’Esprit Saint et est né d’une Vierge dont le nom était Marie.

6. « Recevez l’Esprit Saint », dit le Christ ressuscité

22. Grâce à son récit, Luc nous conduit à un point extrê­me­ment proche de la véri­té com­prise dans le dis­cours au Cénacle. Jésus de Nazareth, « exal­té » dans l’Esprit Saint, se pré­sente au cours de ce dis­cours et de cet entre­tien comme celui qui « porte » l’Esprit, comme celui qui doit le por­ter et le « don­ner » aux Apôtres et à l’Eglise au prix de son « départ » par la Croix.

Par le verbe « por­ter » on entend ici avant tout « révé­ler ». L’Ancien Testament, depuis le Livre de la Genèse, a fait connaître en quelque sorte l’Esprit de Dieu d’a­bord comme le « souffle » de Dieu qui donne la vie, comme « un souffle vital » sur­na­tu­rel. Dans le Livre d’Isaïe, il est pré­sen­té comme un « don » pour la per­sonne du Messie, comme celui qui vient sur lui pour gui­der de l’in­té­rieur toute son acti­vi­té sal­vi­fique. Au bord du Jourdain, l’an­nonce d’Isaïe a revê­tu une forme concrète : Jésus de Nazareth est celui qui vient dans l’Esprit Saint et le porte comme le don propre de sa Personne même, pour le répandre grâce à son huma­ni­té : « Lui vous bap­ti­se­ra dans l’Esprit Saint »[76]. Dans l’é­van­gile de Luc, cette révé­la­tion de l’Esprit Saint est confir­mée et enri­chie, pré­sen­tée comme la source intime de la vie et de l’ac­tion mes­sia­nique de Jésus Christ.

A la lumière de ce que Jésus dit dans le dis­cours après la Cène, l’Esprit Saint est révé­lé d’une manière nou­velle et plus ample. Il n’est pas seule­ment le don à la per­sonne (à la per­sonne du Messie), mais il est une Personne-​Don. Jesus annonce sa venue comme celle d”«un autre Paraclet » qui, étant l’Esprit de véri­té, condui­ra les Apôtres et l’Eglise « à la véri­té tout entière »[77]. Cela s’ac­com­pli­ra en rai­son de la com­mu­nion par­ti­cu­lière qui existe entre l’Esprit Saint et le Christ : « C’est de mon bien qu’il rece­vra et il vous le dévoi­le­ra »[78]. Cette com­mu­nion a sa source pre­mière dans le Père : « Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pour­quoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le dévoi­le­ra »[79]. Venant du Père, l’Esprit Saint est envoyé d’au­près du Père[80]. L’Esprit Saint a d’a­bord été envoyé comme don au Fils qui s’est fait homme, pour accom­plir les pro­phé­ties mes­sia­niques. Après le « départ » du Christ-​Fils, sui­vant le texte johan­nique, l’Esprit Saint « vien­dra » direc­te­ment- c’est sa mis­sion nou­velle – pour ache­ver l’œuvre du Fils. Ainsi, c’est lui qui mène­ra à son accom­plis­se­ment l’ère nou­velle de l’his­toire du salut.

23. Nous nous trou­vons au seuil de l’é­vé­ne­ment pas­cal. La révé­la­tion nou­velle et défi­ni­tive de l’Esprit Saint comme Personne qui est le Don s’ac­com­plit pré­ci­sé­ment à ce moment. Les évé­ne­ments de Paques- la pas­sion, la mort et la résur­rec­tion du Christ – sont aus­si le temps de la nou­velle venue de l’Esprit Saint comme Paraclet et Esprit de véri­té. C’est le temps du « nou­veau com­men­ce­ment » du don que le Dieu un et trine fait de lui-​même à l’hu­ma­ni­té dans l’Esprit Saint par l’ac­tion du Christ Rédempteur. Ce nou­veau com­men­ce­ment est la rédemp­tion du monde : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a don­né son Fils unique »[81]. Déjà, dans le fait de « don­ner » le Fils, dans le don du Fils, s’ex­prime l’es­sence la plus pro­fonde de Dieu qui, comme Amour, est une source inépui­sable de libé­ra­li­té. Dans le don fait par le Fils s’a­chèvent la révé­la­tion et la libé­ra­li­té de l’Amour éter­nel : l’Esprit Saint, qui dans les pro­fon­deurs inson­dables de la divi­ni­té est une Personne-​Don, par l’œuvre du Fils, c’est-​à-​dire par le mys­tère pas­cal, est don­né d’une manière nou­velle aux Apôtres et à l’Eglise et, à tra­vers eux, à l’hu­ma­ni­té et au monde entier.

24. L’expression défi­ni­tive de ce mys­tère appa­raît le jour de la Résurrection. En ce jour, Jésus de Nazareth, « issu de la lignée de David selon la chair », comme l’é­crit l’Apôtre Paul, est « éta­bli Fils de Dieu avec puis­sance selon l’Esprit de sain­te­té, par sa résur­rec­tion des morts »[82]. On peut donc dire que l”«exaltation » mes­sia­nique du Christ dans l’Esprit Saint atteint son som­met dans la Résurrection ; il se révèle alors comme Fils de Dieu, « rem­pli de puis­sance ». Et cette puis­sance, dont les sources jaillissent dans l’in­son­dable com­mu­nion tri­ni­taire, se mani­feste avant tout dans le fait que si, d’une part, le Christ res­sus­ci­té réa­lise la pro­messe de Dieu déjà expri­mée par la voix du pro­phète : « Je vous don­ne­rai un cœur nou­veau, je met­trai en vous un esprit nou­veau, … mon esprit »[83], d’autre part, il accom­plit sa propre pro­messe faite aux Apôtres par ces mots : « Si je pars, je vous l’en­ver­rai »[84]. C’est lui, l’Esprit de véri­té, le Paraclet envoyé par le Christ res­sus­ci­té pour nous trans­for­mer et faire de nous l’i­mage même du res­sus­ci­té[85].

Ecoutons : « Le soir, ce même jour, le pre­mier de la semaine, et les portes étant closes, la où se trou­vaient les dis­ciples, par peur des juifs, Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit : « Paix à vous ! ». Ayant dit cela, il leur mon­tra ses mains et son côté. Les dis­ciples furent rem­plis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit alors, de nou­veau : « Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie ». Ayant dit cela, il souf­fla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint »»[86].

Tous les détails de ce texte clé de l’Evangile de Jean ont une réelle por­tée, spé­cia­le­ment si nous les reli­sons en rela­tion avec les paroles pro­non­cées dans le même Cénacle au début des évé­ne­ments de Pâques. Désormais, ces évé­ne­ments – le tri­duum sacrum de Jésus que le Père a consa­cré par l’onc­tion et envoyé dans le monde – atteignent leur achè­ve­ment. Le Christ, qui « avait remis l’es­prit » sur la Croix[87] comme Fils de l’homme et Agneau de Dieu, une fois res­sus­ci­té, va vers les Apôtres pour « souf­fler sur eux » avec la puis­sance dont parle la Lettre aux Romains[88]. La venue du Seigneur rem­plit de joie ceux qui sont pré­sents : « Leur tris­tesse se change en joie »[89], comme il l’a­vait déjà pro­mis lui-​même avant sa pas­sion. Et sur­tout l’an­nonce essen­tielle du dis­cours d’a­dieu se réa­lise : le Christ res­sus­ci­té, comme inau­gu­rant une créa­tion nou­velle, « porte » aux Apôtres l’Esprit Saint. Il le leur porte au prix de son « départ» ; il leur donne cet Esprit en quelque sorte à tra­vers les plaies de sa cru­ci­fixion : « Il leur mon­tra ses mains et son côté ». C’est en ver­tu de cette cru­ci­fixion qu’il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ».

Un lien étroit s’é­ta­blit ain­si entre l’en­voi du Fils et celui de l’Esprit Saint. L’envoi de l’Esprit Saint (après le péché ori­gi­nel) ne peut avoir lieu sans la Croix et la Résurrection : « Si je ne pars pas, le Paraclet ne vien­dra pas vers vous »[90]. Un lien étroit s’é­ta­blit aus­si entre la mis­sion de l’Esprit Saint et celle du Fils dans la Rédemption. La mis­sion du Fils, en un sens, trouve son « achè­ve­ment » dans la Rédemption. La mis­sion de l’Esprit Saint « découle » de la Rédemption : « C’est de mon bien qu’il reçoit et il vous le dévoi­le­ra »[91]. La Rédemption est accom­plie plei­ne­ment par le Fils comme l’Oint qui est venu et a agi par la puis­sance de l’Esprit Saint, s’of­frant lui-​même à la fin en sacri­fice suprême sur le bois de la Croix. Et cette Rédemption est aus­si accom­plie conti­nuel­le­ment dans les cœurs et les consciences des hommes – dans l’his­toire du monde – par l’Esprit Saint qui est l”«autre Paraclet ».

7. L’Esprit Saint et le temps de l’Eglise

25. « Une fois ache­vée l’œuvre que le Père avait char­gé son Fils d’ac­com­plir sur la terre (cf. Jn 17, 4), le jour de la Pentecôte, l’Esprit Saint fut envoyé qui devait sanc­ti­fier l’Eglise en per­ma­nence et pro­cu­rer ain­si aux croyants, par le Christ, dans l’u­nique Esprit, l’ac­cès auprès du Père (cf. Ep 2, 18). C’est lui, l’Esprit de vie, la source d’eau jaillis­sant pour la vie éter­nelle (cf. Jn 4, 14 ; 7, 38–39), par qui le Père donne la vie aux hommes que le péché avait fait mou­rir, en atten­dant de res­sus­ci­ter dans le Christ leur corps mor­tel (cf. Rm 8, 10–11)»[92].

C’est ain­si que le Concile Vatican II parle de la nais­sance de l’Eglise le jour de la Pentecôte. L’événement de la Pentecôte consti­tue la mani­fes­ta­tion défi­ni­tive de ce qui s’é­tait accom­pli dans le même Cénacle dès le dimanche de Pâques. Le Christ res­sus­ci­té vint et « por­ta » aux Apôtres l’Esprit Saint. Il le leur don­na en disant : « Recevez l’Esprit Saint ». Ce qui s’é­tait pro­duit alors à l’in­té­rieur du Cénacle, « les portes closes », plus tard, le jour de la Pentecôte, fut mani­fes­té aus­si à l’ex­té­rieur, devant les hommes. Les portes du Cénacle s’ouvrent et les Apôtres se dirigent vers les habi­tants et les pèle­rins ras­sem­blés à Jérusalem à l’oc­ca­sion de la fête, pour rendre témoi­gnage au Christ par la puis­sance de l’Esprit Saint. Ainsi se réa­lise la parole de Jésus : « Il me ren­dra témoi­gnage ; mais vous aus­si, vous témoi­gne­rez, parce que vous êtes avec moi depuis le com­men­ce­ment »[93].

Nous lisons dans un autre docu­ment du Concile Vatican II : « Sans aucun doute, le Saint-​Esprit était déjà à l’œuvre dans le monde avant la glo­ri­fi­ca­tion du Christ. Pourtant, le jour de la Pentecôte, il des­cen­dit sur les dis­ciples pour demeu­rer avec eux à jamais : l’Eglise se mani­fes­ta publi­que­ment devant la mul­ti­tude, la dif­fu­sion de l’Evangile com­men­ça avec la pré­di­ca­tion par­mi les païens »[94].

Le temps de l’Eglise a com­men­cé par la « venue », c’est-​à-​dire par la des­cente de l’Esprit Saint sur les Apôtres réunis au Cénacle de Jérusalem avec Marie, la Mère du Seigneur[95]. Le temps de l’Eglise a com­men­cé au moment où les pro­messes et les pro­phé­ties qui se rap­por­taient de manière très expli­cite au Paraclet, à l’Esprit de véri­té, ont com­men­cé à se réa­li­ser sur les Apôtres avec puis­sance et de toute évi­dence, déter­mi­nant ain­si la nais­sance de l’Eglise. Les Actes des Apôtres parlent de cela fré­quem­ment, en de nom­breux pas­sages. Il en résulte que, sui­vant la conscience de la com­mu­nau­té pri­mi­tive dont Luc exprime les cer­ti­tudes, l’Esprit Saint a assu­ré la conduite, de manière invi­sible mais d’une cer­taine façon « per­cep­tible », de ceux qui, après le départ du Seigneur Jésus, avaient pro­fon­dé­ment le sen­ti­ment d’être res­tés orphe­lins. Par la venue de l’Esprit Saint, ils se sont sen­tis aptes à accom­plir la mis­sion qui leur avait êté confiée. Ils se sont sen­tis pleins de force. C’est là pré­ci­sé­ment l’ac­tion de l’Esprit Saint en eux, et c’est son action constante dans l’Eglise par leurs suc­ces­seurs. En effet, la grâce de l’Esprit Saint, que les Apôtres ont don­née à leurs col­la­bo­ra­teurs par l’im­po­si­tion des mains, conti­nue à être trans­mise par l’or­di­na­tion épis­co­pale. Puis, par le sacre­ment de l’ordre, les évêques font par­ti­ci­per les ministres sacrés à ce don spi­ri­tuel, et ils font en sorte que tous ceux qui sont renés de l’eau et de l’Esprit en soient for­ti­fiés par le sacre­ment de la confir­ma­tion ; d’une cer­taine façon, la grâce de la Pentecôte est ain­si per­pé­tuée dans l’Eglise.

Comme l’é­crit le Concile, « l’Esprit demeure dans l’Eglise et dans le cœur des fidèles comme dans un temple (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), en eux il prie et atteste leur condi­tion de fils de Dieu par adop­tion (cf. Ga 4, 6 ; Rm 8, 15–16. 26). Cette Eglise qu’il intro­duit dans la véri­té tout entière (cf. Jn 16, 13), qu’il uni­fie par la com­mu­nion et le minis­tère, l’Esprit lui four­nit ses moyens d’ac­tion et la dirige par la diver­si­té de ses dons hié­rar­chiques et cha­ris­ma­tiques, et il l’embellit par ses fruits (cf. Ep 4, 11–12 ; 1 Co 12, 4 ; Ga 5, 22). Par la ver­tu de l’Evangile, il rajeu­nit l’Eglise et il la renou­velle sans cesse, l’a­che­mi­nant à l’u­nion par­faite avec son Epoux »[96].

26. Les pas­sages cités de la Constitution conci­liaire Lumen gen­tium nous disent que, par la venue de l’Esprit Saint, com­men­ça le temps de l’Eglise. Ils nous disent aus­si que ce temps, le temps de l’Eglise, conti­nue. Il dure au cours des siècles et des géné­ra­tions. En notre siècle, où l’hu­ma­ni­té est désor­mais proche de la fin du deuxième mil­lé­naire après le Christ, ce temps de l’Eglise a été par­ti­cu­liè­re­ment expri­mé dans le Concile Vatican II , le concile de notre siècle. On sait, en effet, qu’il a été spé­cia­le­ment un concile « ecclé­sio­lo­gique » :un concile sur le thème de l’Eglise. En même temps, l’en­sei­gne­ment de ce Concile est essen­tiel­le­ment « pneu­ma­to­lo­gique », péné­tré de la véri­té sur l’Esprit Saint, âme de l’Eglise. Nous pou­vons dire que, dans la richesse de son magis­tère, le Concile Vatican II contient à pro­pre­ment par­ler tout ce « que l’Esprit dit aux Eglises »[97] en fonc­tion de la période actuelle de l’his­toire du salut.

Guidé par l’Esprit de véri­té et ren­dant témoi­gnage avec lui, le Concile a don­né une par­ti­cu­lière confi­ma­tion de la pré­sence de l’Esprit Saint-​Paraclet. En un sens, il l’a ren­du nou­vel­le­ment « pré­sent » dans notre époque dif­fi­cile. On com­prend mieux, à la lumière de cette convic­tion, la grande impor­tance de toutes les ini­tia­tives ten­dant à la réa­li­sa­tion de Vatican II, de son magis­tère et de sa visée pas­to­rale et œcu­mé­nique. Dans cette pers­pec­tive, il convient de prendre en consi­dé­ra­tion et d’ap­pré­cier les Assemblées du Synode des Eveques, réunies par la suite, qui ont eu pour but de per­mettre que les fruits de la Vérité et de l’Amour – les fruits authen­tiques de l’Esprit Saint – deviennent un bien durable du Peuple de Dieu dans son pèle­ri­nage ter­restre au cours des siècles. Ce tra­vail de l’Eglise est indis­pen­sable, car il est des­ti­né à véri­fier et à conso­li­der les fruits sal­vi­fiques de l’Esprit accor­dés au Concile. A cette fin, il est néces­saire de savoir les « dis­cer­ner » atten­ti­ve­ment par rap­port à tout ce qui peut, au contraire, pro­ve­nir en pre­mier lieu du « Prince de ce monde »[98]. Ce dis­cer­ne­ment est d’au­tant plus néces­saire dans la réa­li­sa­tion de l’œuvre du Concile que celui-​ci s’est lar­ge­ment ouvert au monde contem­po­rain, comme on le voit clai­re­ment dans les Constitutions impor­tantes Gaudium et spes et Lumen gen­tium.

Nous lisons dans la Constitution pas­to­rale : « Leur com­mu­nau­té (celle des dis­ciples du Christ) … s’é­di­fie avec des hommes, ras­sem­blés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et por­teurs d’un mes­sage de salut qu’il leur faut pro­po­ser à tous. La com­mu­nau­té des chré­tiens se recon­naît donc réel­le­ment et inti­me­ment soli­daire du genre humain et de son his­toire »[99]. « L’Eglise sait par­fai­te­ment que Dieu seul, dont elle est la ser­vante, répond aux plus pro­fonds dési­rs du cœur humain que jamais ne ras­sa­sient plei­ne­ment les nour­ri­tures ter­restres »[100]. « L’Esprit de Dieu .… par une pro­vi­dence admi­rable, conduit le cours des temps et rénove la face de la terre »[101].

Deuxième Partie – L’Esprit qui met en lumière le péché du Monde

1. Péché, justice et jugement

27. Jésus, pen­dant son dis­cours au Cénacle, annonce la venue de l’Esprit Saint « au prix » de son propre départ, et il pro­met : « Si je pars, je vous l’en­ver­rai ». Mais, dans ce même contexte, il ajoute : « Et lui, une fois venu, il éta­bli­ra la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de juge­ment »[102]. Le Paraclet lui-​même, l’Esprit de véri­té, pro­mis comme celui qui « ensei­gne­ra » et « rap­pel­le­ra », comme celui qui « ren­dra témoi­gnage », comme celui qui « intro­dui­ra dans la véri­té tout entière », est main­te­nant annon­cé, par les paroles que nous venons de citer, comme celui qui « éta­bli­ra la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de jugement ».

Le contexte semble déjà signi­fi­ca­tif. Jésus relie cette annonce de la venue de l’Esprit Saint aux paroles qui indiquent son « départ » par la Croix et qui en sou­lignent même la néces­si­té : « C’est votre inté­rêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne vien­dra pas vers vous »[103].

Mais ce qui compte le plus, c’est l’ex­pli­ca­tion que Jésus ajoute lui-​même à ces trois mots : péché, jus­tice, juge­ment. Il dit en effet : « Il éta­bli­ra la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de juge­ment : de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ; de jus­tice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me ver­rez plus ; de juge­ment, parce que le Prince de ce monde est jugé »[104]. Dans la pen­sée de Jésus, le péché, la jus­tice, le juge­ment ont un sens bien pré­cis, dif­fé­rent de celui que l’on aurait peut-​être ten­dance à attri­buer à ces mots indé­pen­dam­ment de l’ex­pli­ca­tion don­née par celui qui parle. Cette expli­ca­tion indique aus­si com­ment il faut com­prendre l’ex­pres­sion « éta­blir la culpa­bi­li­té du monde », qui est propre à l’ac­tion de l’Esprit Saint. Et ici, le sens de chaque mot importe, et aus­si le fait que Jésus les a unis entre eux dans la même phrase.

« Le péché », dans ce texte, signi­fie l’in­cré­du­li­té que Jésus ren­contre par­mi les « siens », à com­men­cer par ses conci­toyens de Nazareth. Il signi­fie le refus de sa mis­sion, qui amè­ne­ra les hommes à le condam­ner à mort. Lorsque, ensuite, il parle de « la jus­tice », Jésus semble envi­sa­ger la jus­tice défi­ni­tive que lui ren­dra le Père en l’en­tou­rant de la gloire de la résur­rec­tion et de l’as­cen­sion au ciel : « Je m’en vais vers le Père ». A son tour, dans le contexte du « péché » et de la « jus­tice » ain­si enten­dus, « le juge­ment » signi­fie que l’Esprit de véri­té mon­tre­ra, dans la condam­na­tion de Jésus à la mort en Croix, le péché du « monde ». Toutefois, le Christ n’est pas venu dans le monde uni­que­ment pour le juger et le condam­ner : il est venu pour le sau­ver[105]. La mise en lumière du péché et de la jus­tice a pour but le salut du monde, le salut des hommes. C’est bien cette véri­té qui semble sou­li­gnée par l’af­fir­ma­tion que « le juge­ment » concerne seule­ment le « Prince de ce monde », à savoir Satan, celui qui, depuis le com­men­ce­ment, exploite l’œuvre de la créa­tion contre le salut, contre l’al­liance et l’u­nion de l’homme avec Dieu : il est « déjà jugé » depuis le com­men­ce­ment. Si l’Esprit-​Paraclet doit confondre le monde en fait de juge­ment, c’est pour conti­nuer en lui l’œuvre sal­va­trice du Christ.

28. Nous vou­lons ici concen­trer prin­ci­pa­le­ment notre atten­tion sur cette mis­sion de « mani­fes­ter le péché du monde », qui est celle de l’Esprit Saint, tout en res­pec­tant les paroles de Jésus dans l’en­semble du contexte. L’Esprit Saint, qui reçoit du Fils l’œuvre de la Rédemption du monde, assume par là même la tâche de « mani­fes­ter le péché » pour sau­ver. Cela se fait en réfé­rence per­ma­nente à la « jus­tice », c’est-​à-​dire au salut défi­ni­tif en Dieu, à l’ac­com­plis­se­ment de l’é­co­no­mie qui a pour centre le Christ cru­ci­fié et glo­ri­fié. Et cette éco­no­mie sal­vi­fique de Dieu sous­trait l’homme, en un sens, au « juge­ment », c’est-​à-​dire à la dam­na­tion, qui a frap­pé le péché de Satan, le « Prince de ce monde », celui qui, à cause de son péché, est deve­nu « régis­seur de ce monde de ténèbres »[106]. Et voi­ci qu’en ver­tu de cette réfé­rence au « juge­ment », s’ouvrent de vastes hori­zons pour la com­pré­hen­sion du « péché », et aus­si de la « jus­tice ». Montrant le péché, sur l’arrière-​plan de la Croix du Christ, dans l’é­co­no­mie du salut (on pour­rait dire « le péché sau­vé »), l’Esprit Saint fait com­prendre que sa mis­sion est de mettre en évi­dence même le péché qui a déjà été jugé défi­ni­ti­ve­ment (« le péché condamné »).

29. Toutes les paroles pro­non­cées par le Rédempteur au Cénacle, à la veille de sa pas­sion, s’ins­crivent dans le temps de l’Eglise, à com­men­cer par celles qui concernent l’Esprit Saint comme Paraclet et comme Esprit de véri­té. Elles s’y ins­crivent d’une manière tou­jours nou­velle, à chaque géné­ra­tion, à chaque époque. Cela est confir­mé, pour ce qui est de notre siècle, par l’en­semble de l’en­sei­gne­ment du Concile Vatican II, spé­cia­le­ment dans la Constitution pas­to­rale « Gaudium et spes ». De nom­breux pas­sages de ce docu­ment montrent clai­re­ment que le Concile, s’ou­vrant à la lumière de l’Esprit de véri­té, se pré­sente comme le dépo­si­taire authen­tique de tout ce qui a été annon­cé et pro­mis par le Christ aux Apôtres et à l’Eglise dans le dis­cours d’a­dieu, en par­ti­cu­lier de l’an­nonce selon laquelle l’Esprit Saint doit « éta­blir la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de jugement ».

C’est ce qu’in­dique déjà le texte dans lequel le Concile explique ce qu’il entend par « monde » : « Le monde qu’il (le Concile lui-​même) a ain­si en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’u­ni­vers au sein duquel elle vit. C’est le théâtre où se joue l’his­toire du genre humain, le monde mar­qué par l’ef­fort de l’homme, ses défaites et ses vic­toires. Pour la foi des chré­tiens, ce monde a été fon­dé et demeure conser­vé par l’a­mour du Créateur ; il est tom­bé, certes, sous l’es­cla­vage du péché, mais le Christ, par la Croix et la Résurrection, a bri­sé le pou­voir du Malin et l’a libé­ré pour qu’il soit trans­for­mé selon le des­sein de Dieu et qu’il par­vienne ain­si à son accom­plis­se­ment »[107]. Il faut, en réfé­rence à ce texte très syn­thé­tique, lire les autres pas­sages de la Constitution qui cherchent à mon­trer, avec tout le réa­lisme de la foi, la situa­tion du péché dans le monde contem­po­rain et aus­si à expli­quer son essence, en par­tant de divers points de vue[108].

Lorsque Jésus, la veille de Pâques, parle de l’Eprit Saint comme de celui qui « met­tra en lumière le péché du monde », il faut, d’un côté, don­ner à cette affir­ma­tion la por­tée la plus grande pos­sible, en ce sens qu’elle com­prend tout l’en­semble des péchés qui marquent l’his­toire de l’hu­ma­ni­té. Mais, d’un autre côté, quand Jésus explique que ce péché consiste dans le fait qu”«ils ne croient pas en lui », la por­tée de l’af­fir­ma­tion semble se res­treindre à ceux qui ont refu­sé de recon­naître la mis­sion mes­sia­nique du Fils de l’homme, le condam­nant à la mort sur la Croix. Il est cepen­dant dif­fi­cile de ne pas remar­quer que cette por­tée plus « réduite » du sens du péché, située avec pré­ci­sion dans l’his­toire, s’é­lar­git jus­qu’à prendre une ampleur uni­ver­selle en rai­son de l’u­ni­ver­sa­li­té de la Rédemption accom­plie par la Croix. La révé­la­tion du mys­tère de la Rédemption ouvre la voie à une intel­li­gence de ce mys­tère selon laquelle tout péché, quel que soit le lieu ou le temps où il a été com­mis, est mis en rap­port avec la Croix du Christ – et donc aus­si, indi­rec­te­ment, avec le péché de ceux qui « n’ont pas cru en lui » et ont condam­né Jésus Christ à la mort sur la Croix.

De ce point de vue, il nous faut reve­nir à l’é­vé­ne­ment de la Pentecôte.

2. Le témoignage du jour de la Pentecôte

30. Le jour de la Pentecôte, tout ce que le Christ avait annon­cé lors de son dis­cours d’a­dieu fut confir­mé de la manière la plus exacte et la plus directe, en par­ti­cu­lier l’an­nonce dont nous par­lons ici : « Le Paraclet … éta­bli­ra la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché ». Ce jour-​là, l’Esprit Saint pro­mis des­cen­dit sur les Apôtres réunis dans la prière avec Marie, Mère de Jésus, au Cénacle, comme nous le lisons dans les Actes des Apôtres : « Tous furent alors rem­plis de l’Esprit Saint et com­men­cèrent a par­ler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur don­nait de s’ex­pri­mer »[109], « l’Esprit rame­nant ain­si à l’u­ni­té les races sépa­rées et offrant au Père les pré­mices de toutes les nations »[110].

On voit clai­re­ment le rap­port entre ce qu’a­vait annon­cé le Christ et cet évé­ne­ment. Nous y dis­tin­guons l’ac­com­plis­se­ment pre­mier et fon­da­men­tal de la pro­messe concer­nant le Paraclet. Envoyé par le Père, il vient « après » le départ du Christ, « au prix » de ce départ. Ce départ s’ef­fec­tue d’a­bord par la mort sur la Croix, puis qua­rante jours après la résur­rec­tion, par l’as­cen­sion au ciel. Au moment de l’as­cen­sion, Jésus ordonne encore aux Apôtres « de ne pas s’é­loi­gner de Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait pro­mis» ; « vous serez bap­ti­sés dans l’Esprit Saint sous peu de jours» ; « vous allez rece­voir une force, celle de l’Esprit Saint qui des­cen­dra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre »[111].

Ces der­nières paroles contiennent un echo, ou un rap­pel, de l’an­nonce faite au Cénacle. Et le jour de la Pentecôte, cette annonce se réa­lise de façon très pré­cise. Agissant sous l’in­fluence de l’Esprit Saint reçu par les Apôtres pen­dant la prière au Cénacle, devant une mul­ti­tude de per­sonnes de langues dif­fé­rentes réunies pour la fête, Pierre se pré­sente et parle. Il pro­clame ce qu’il n’au­rait cer­tai­ne­ment pas eu le cou­rage de dire aupa­ra­vant : « Hommes d’Israël …, Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accré­di­té auprès de vous par les miracles, pro­diges et signes qu’il a opé­rés par lui au milieu de vous …, cet homme qui avait été livré selon le des­sein bien arrê­té et la pres­cience de Dieu, vous l’a­vez pris et fait mou­rir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a res­sus­ci­té, le déli­vrant des affres de la mort. Aussi bien n’était-​il pas pos­sible qu’il fût rete­nu en son pou­voir »[112].

Jésus avait pré­dit et pro­mis : « Il me ren­dra témoi­gnage… Mais vous aus­si, vous témoi­gne­rez ». Ce « témoi­gnage » trouve clai­re­ment son com­men­ce­ment dans le pre­mier dis­cours de Pierre à Jérusalem : c’est le témoi­gnage sur le Christ cru­ci­fié et res­sus­ci­té. C’est le témoi­gnage de l’Esprit-​Paraclet et des Apôtres. Et selon le conte­nu même de ce pre­mier témoi­gnage, l’Esprit de véri­té, par la bouche de Pierre, « met en lumière le péché du monde », à com­men­cer par le péché qu’est le refus du Christ jus­qu’à le faire condam­ner à mort, jus­qu’à la Croix du Golgotha. Des pro­cla­ma­tions de même conte­nu se répé­te­ront, selon le texte des Actes des Apôtres, en d’autres occa­sions et en dif­fé­rents endroits[113].

31. Depuis ce témoi­gnage ini­tial de la Pentecôte, l’ac­tion de l’Esprit de véri­té, qui « mani­feste le péché du monde », celui de refu­ser le Christ, est en rela­tion orga­nique avec le témoi­gnage ren­du au mys­tère pas­cal, au mys­tère du Crucifé et du Ressuscité. Et dans cette rela­tion, l’ex­pres­sion « mani­fes­ter le péché » révèle sa propre dimen­sion sal­vi­fique. C’est en effet une « mani­fes­ta­tion » qui n’a pas pour but le seul fait d’ac­cu­ser le monde, encore moins de le condam­ner. Jésus Christ n’est pas venu dans le monde pour le juger et le condam­ner, mais pour le sau­ver[114]. Cela est sou­li­gné dès ce pre­mier dis­cours, lorsque Pierre s’é­crie : « Que toute la mai­son d’Israël le sache donc avec cer­ti­tude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez cru­ci­fié »[115]. Et par la suite, lorsque les per­sonnes pré­sentes demandent à Pierre et aux Apôtres : « Frères, que devons-​nous faire ? », voi­ci la réponse : « Repentez-​vous, et que cha­cun de vous se fasse bap­ti­ser au nom de Jésus Christ pour la rémis­sion de ses péchés, et vous rece­vrez alors le don du Saint-​Esprit »[116].

De cette façon, la « mani­fes­ta­tion du péché » devient en même temps mani­fes­ta­tion de la rémis­sion des péchés, par la puis­sance de l’Esprit Saint. Dans son dis­cours de Jérusalem, Pierre exhorte à la conver­sion, comme Jésus exhor­tait ses audi­teurs au début de son acti­vi­té mes­sia­nique[117]. La conver­sion requiert la mise en lumière du péché, elle contient en elle-​même le juge­ment inté­rieur de la conscience. On peut y voir la preuve de l’ac­tion de l’Esprit de véri­té au plus pro­fond de l’homme, et cela devient en même temps le com­men­ce­ment d’un nou­veau don de la grâce et de l’a­mour : « Recevez l’Esprit Saint »[118]. Ainsi, dans cette « mise en lumière du péché », nous décou­vrons un double don : le don de la véri­té de la conscience et le don de la cer­ti­tude de la rédemp­tion. L’Esprit de véri­té et le Paraclet.

La mani­fes­ta­tion du péché, par le minis­tère de la pré­di­ca­tion apos­to­lique dans l’Eglise nais­sante, est mise en rela­tion – sous l’im­pul­sion de l’Esprit reçu à la Pentecôte – avec la puis­sance rédemp­trice du Christ cru­ci­fié et res­sus­ci­té. Ainsi s’ac­com­plit la pro­messe rela­tive à l’Esprit Saint qui a été faite avant Pâques : « C’est de mon bien qu’il reçoit, et il vous le dévoi­le­ra ». Lorsque, pen­dant l’é­vé­ne­ment de la Pentecôte, Pierre parle du péché de ceux qui « n’ont pas cru »[119] et qui ont livré Jésus de Nazareth à une mort igno­mi­nieuse, il rend donc témoi­gnage à la vic­toire sur le péché, vic­toire qui a été rem­por­tée, en un sens, à tra­vers le péché le plus grand que l’homme ait pu com­mettre : le meurtre de Jésus, Fils de Dieu, de même nature que le Père ! Pareillement, la mort du Fils de Dieu l’emporte sur la mort humaine : « Ero mors tua, o mors », « j’é­tais ta mort, ô mort »[120], de même que le péché d’a­voir cru­ci­fié le Fils de Dieu « l’emporte » sur le péché humain ! Ce péché est celui qui a été consom­mé à Jérusalem le jour du Vendredi Saint, et aus­si tout péché de l’homme. En effet, au plus grand des péchés com­mis par l’homme cor­res­pond, dans le cœur du Rédempteur, l’of­frande de l’a­mour suprême qui sur­passe le mal de tous les péchés des hommes. Se fon­dant sur cette cer­ti­tude, l’Eglise n’hé­site pas à répé­ter chaque année, dans la litur­gie romaine de la veillée pas­cale, « O felix culpa ! heu­reuse faute ! », lors de l’an­nonce de la résur­rec­tion que fait le diacre par le chant de l”« Exsultet ».

32. Mais de cette véri­té inef­fable, per­sonne ne peut convaincre le monde, l’homme, la conscience humaine, sinon Lui-​même, l’Esprit de véri­té. Il est l’Esprit qui « sonde les pro­fon­deurs de Dieu »[121]. Face au mys­tère du péché, il faut son­der « les pro­fon­deurs de Dieu » jus­qu’au bout. Il ne suf­fit pas de son­der la conscience humaine, en tant que mys­tère intime de l’homme ; il est néces­saire de péné­trer dans le mys­tère intime de Dieu, dans ces « pro­fon­deurs de Dieu » que syn­thé­tise la for­mule : au Père, dans le Fils, par l’Esprit Saint. C’est pré­ci­sé­ment l’Esprit Saint qui « sonde » ces pro­fon­deurs, et qui en tire la réponse de Dieu au péché de l’homme. Avec cette réponse se conclut le pro­ces­sus de « mise en lumière du péché », comme le montre clai­re­ment l’é­vé­ne­ment de la Pentecôte.

En éta­blis­sant la culpa­bi­li­té du « monde » pour ce qui est du péché du Golgotha, de la mort de l’Agneau inno­cent, comme cela se pro­duit le jour de la Pentecôte, l’Esprit Saint fait de même pour tout péché com­mis en quelque lieu ou moment que ce soit dans l’his­toire de l’homme : il montre en effet son rap­port avec la Croix du Christ. Etablir la culpa­bi­li­té, c’est mon­trer le mal qu’est le péché, tout péché, par rap­port à la Croix du Christ. Le péché, sous l’é­clai­rage de ce rap­port, est vu dans toute la dimen­sion du mal qui lui est propre, en rai­son du mys­te­rium ini­qui­ta­tis[122] qu’il contient et qu’il cache. L’homme ne connaît pas cette dimen­sion, il ne la connaît abso­lu­ment pas en dehors de la Croix du Christ. Il ne peut donc être « convain­cu » de cela que par l’Esprit Saint, Esprit de véri­té mais aus­si Paraclet.

Car le péché, mis en rela­tion avec la Croix du Christ, est en même temps iden­ti­fié dans la pleine dimen­sion du « mys­te­rium pie­ta­tis »[123], comme l’a mon­tré l’Exhortation apos­to­lique post-​synodale Reconciliatio et pae­ni­ten­tia[124]. Cette autre dimen­sion du péché, l’homme ne la connaît abso­lu­ment pas non plus en dehors de la Croix du Christ. Et il ne peut en être convain­cu que par l’Esprit Saint, par celui qui sonde les pro­fon­deurs de Dieu.

3. Le témoignage du commencement : la réalité originelle du péché

33. C’est la dimen­sion du péché que nous trou­vons dans le témoi­gnage sur le com­men­ce­ment tel que le donne le Livre de la Genèse[125]. C’est le péché qui, selon la Parole de Dieu révé­lée, consti­tue le prin­cipe et la racine de tous les autres péchés. Nous nous trou­vons en face de la réa­li­té ori­gi­nelle du péché dans l’his­toire de l’homme, et en même temps dans l’en­semble de l’é­co­no­mie du salut. On peut dire que le mys­te­rium ini­qui­ta­tis a son ori­gine dans ce péché, mais que c’est aus­si le péché à l’é­gard duquel la puis­sance rédemp­trice du mys­te­rium pie­ta­tis devient par­ti­cu­liè­re­ment trans­pa­rente et effi­cace. C’est ce qu’ex­prime saint Paul lorsque, à la « déso­béis­sance » du pre­mier Adam, il oppose l”«obéissance » du Christ, second Adam : « L’obéissance jus­qu’à la mort »[126].

Selon le témoi­gnage du com­men­ce­ment, le péché, dans sa réa­li­té ori­gi­nelle, se pro­duit dans la volon­té – et dans la conscience – de l’homme, avant tout comme « déso­béis­sance », c’est-​à-​dire comme oppo­si­tion de la volon­té de l’homme à la volon­té de Dieu. Cette déso­béis­sance ori­gi­nelle pré­sup­pose le refus, ou au moins l’é­loi­gne­ment, de la véri­té conte­nue dans la Parole de Dieu qui crée le monde. Cette Parole est le Verbe lui-​même, qui était « au com­men­ce­ment avec Dieu », qui « était Dieu » et sans qui « rien ne fut », car « le monde fut par lui »[127]. C’est le Verbe qui est aus­si la Loi éter­nelle, la source de toute loi, qui régit le monde et spé­cia­le­ment les actions de l’homme. Lorsque, à la veille de sa pas­sion, Jésus Christ parle du péché de ceux qui « ne croient pas en lui », il y a donc, dans ces paroles pleines de dou­leur, comme une allu­sion loin­taine au péché qui s’ins­crit obs­cu­ré­ment sous sa forme ori­gi­nelle dans le mys­tère même de la créa­tion. Celui qui parle est, en effet, non seule­ment le Fils de l’homme, mais celui qui est aus­si « le premier-​né de toute créa­ture », « car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses…; tout a été créé par lui et pour lui »[128]. A la lumière de cette véri­té, on com­prend que la « déso­béis­sance », dans le mys­tère du com­men­ce­ment, pré­sup­pose en un sens la même « non-​foi », le même « ils n’ont pas cru » que l’on retrou­ve­ra face au mys­tère pas­cal. Il s’a­git, nous l’a­vons dit, du refus, ou au moins de l’é­loi­gne­ment, de la véri­té conte­nue dans la Parole du Père. Le refus s’ex­prime dans les faits comme une « déso­béis­sance », un acte accom­pli comme un effet de la ten­ta­tion qui pro­vient du « père du men­songe »[129]. A la racine du péché humain, il y a donc le men­songe en tant que refus radi­cal de la véri­té qui est dans le Verbe du Père, par lequel s’ex­prime la toute-​puissance aimante du Créateur : la toute-​puissance et en même temps l’a­mour « de Dieu le Père, Créateur du ciel et de la terre ».

34. « L’Esprit de Dieu », qui, selon la des­crip­tion biblique de la créa­tion, « pla­nait sur les eaux »[130], désigne le même « Esprit qui sonde les pro­fon­deurs de Dieu » : il sonde les pro­fon­deurs du Père et du Verbe-​Fils dans le mys­tère de la créa­tion. Non seule­ment il est le témoin direct de leur amour réci­proque, d’où est issue la créa­tion, mais il est lui-​même cet Amour. Lui-​même, comme Amour, est l’é­ter­nel don incréé. En lui se trouve la source et le com­men­ce­ment de tout don fait aux créa­tures. Le témoi­gnage du com­men­ce­ment, que nous trou­vons dans toute la Révélation, dès le Livre de la Genèse, est clair et ne varie pas sur ce point. Créer veut dire appe­ler à l’exis­tence à par­tir du néant ; créer signi­fie donc don­ner l’exis­tence. Et si le monde visible est créé pour l’homme, c’est donc à l’homme que le monde est don­né[131]. Simultanément, l’homme reçoit comme don, dans son huma­ni­té, une par­ti­cu­lière « image et res­sem­blance » de Dieu. Cela signi­fie non seule­ment que la nature humaine pos­sède d’une manière consti­tu­tive la ratio­na­li­té et la liber­té, mais aus­si que, depuis le com­men­ce­ment, l’homme est capable d’un rap­port per­son­nel avec Dieu, comme « je » et « tu », et donc qu’il est capable d’une alliance, qui sera éta­blie grâce à la com­mu­ni­ca­tion sal­vi­fique que Dieu fait de lui-​même à l’homme. Enfin, avec en arrière-​plan l”«image et res­sem­blance » de Dieu, « le don de l’Esprit » signi­fie appel à l’a­mi­tié dans laquelle les trans­cen­dantes « pro­fon­deurs de Dieu » s’ouvrent, en quelque sorte, à la par­ti­ci­pa­tion de l’homme. Le Concile Vatican II enseigne que « le Dieu invi­sible (cf. Col 1, 15 ; 1 Tm 1, 17) s’a­dresse aux hommes en son immense amour ain­si qu’à des amis (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15, 14–15), il s’en­tre­tient avec eux (cf. Ba 3, 38) pour les invi­ter et les admettre à par­ta­ger sa propre vie »[132].

35. En consé­quence, l’Esprit, « qui sonde tout, jus­qu’aux pro­fon­deurs de Dieu », connaît depuis le com­men­ce­ment « ce qui concerne l’homme »[133]. C’est pré­ci­sé­ment pour cela que lui seul peut plei­ne­ment « mettre en lumière » le péché qui a exis­té au com­men­ce­ment, ce péché qui est la racine de tous les autres et le foyer de la per­ver­si­té – qui ne dis­pa­raît jamais – de l’homme sur la terre. L’esprit de véri­té connaît la réa­li­té ori­gi­nelle du péché sus­ci­té dans la volon­té de l’homme par l’œuvre du « père du men­songe », celui qui, déjà, « est jugé »[134]. L’Esprit Saint éta­blit donc la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché par rap­port à ce « juge­ment », mais en menant constam­ment vers la « jus­tice » qui a été révé­lée à l’homme avec la Croix du Christ, par l”«obéissance jus­qu’à la mort »[135].

Seul l’Esprit Saint peut mettre en évi­dence le péché de l’o­ri­gine de l’hu­ma­ni­té, Lui qui est Amour du Père et du Fils, Lui qui est Don, alors que le péché des ori­gines de l’homme consiste dans le men­songe et dans le refus du Don et de l’Amour qui déter­minent le com­men­ce­ment du monde et de l’homme.

36. Selon le témoi­gnage du com­men­ce­ment, que nous trou­vons dans toute l’Ecriture et dans la Tradition, après la pre­mière (et aus­si la plus com­plète) des­crip­tion figu­rant dans le Livre de la Genèse, le péché, dans sa forme ori­gi­nelle, est com­pris comme une « déso­béis­sance », ce qui a le sens simple et direct de trans­gres­sion d’une inter­dic­tion éta­blie par Dieu[136]. Mais, à la lumière de tout le contexte, il est clair aus­si que les racines de cette déso­béis­sance doivent être cher­chées en pro­fon­deur dans l’en­semble de la situa­tion réelle de l’homme. Appelé à l’exis­tence, l’être humain – homme et femme – est une créa­ture. L”«image de Dieu », consti­tuée par la ratio­na­li­té et la liber­té, indique la gran­deur et la digni­té du sujet humain, qui est une per­sonne. Mais ce sujet per­son­nel reste tou­jours une créa­ture qui, dans son exis­tence et dans son essence, dépend du Créateur. Selon la Genèse, « l’arbre de la connais­sance du bien et du mal » devait expri­mer et rap­pe­ler constam­ment à l’homme la « limite » infran­chis­sable pour un être créé. C’est en ce sens que l’on entend l’in­ter­dic­tion posée par Dieu : le Créateur défend à l’homme et à la femme de man­ger les fruits de l’arbre de la connais­sance du bien et du mal. Les paroles de l’in­ci­ta­tion, c’est-​à-​dire de la ten­ta­tion telle qu’elle est for­mu­lée dans le texte sacré, poussent à trans­gres­ser cette inter­dic­tion, c’est-​à-​dire à fran­chir cette « limite » : « Le jour où vous en man­ge­rez, vos yeux s’ou­vri­ront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal »[137].

La « déso­béis­sance » signi­fie jus­te­ment le dépas­se­ment de cette limite, qui reste infran­chis­sable pour la volon­té et la liber­té de l’homme comme être créé. Le Dieu Créateur est en effet la source unique et défi­ni­tive de l’ordre moral dans le monde qu’il a créé. L’homme ne peut par lui-​même déci­der ce qui est bon et ce qui est mau­vais, il ne peut « connaître le bien et le mal », comme Dieu. Oui, dans le monde créé, Dieu demeure la source pre­mière et suprême de la déci­sion du bien et du mal, à tra­vers la véri­té intime de l’être, véri­té qui est le reflet du Verbe, Fils éter­nel consub­stan­tiel au Père. A l’homme créé à l’i­mage de Dieu, l’Esprit Saint accorde le don de la conscience, afin qu’en elle l’i­mage puisse reflé­ter fidè­le­ment son modèle, qui est en même temps la Sagesse et la Loi éter­nelles, source de l’ordre moral dans l’homme et dans le monde. La « déso­béis­sance », comme dimen­sion ori­gi­nelle du péché, signi­fie le refus de cette source, moti­vé par la pré­ten­tion de l’homme de deve­nir source auto­nome et exclu­sive pour déci­der du bien et du mal. L’Esprit qui « sonde … les pro­fon­deurs de Dieu », et qui, en même temps, est pour l’homme la lumière de la conscience et la source de l’ordre moral, connaît dans toute son ampleur cette dimen­sion du péché, qui s’ins­crit dans le mys­tère du com­men­ce­ment de l’hu­ma­ni­té. Et il ne cesse d’en « convaincre le monde » en rela­tion avec la Croix du Christ au Golgotha.

37. Selon le témoi­gnage du com­men­ce­ment, Dieu, dans la créa­tion, s’est révé­lé lui-​même comme toute-​puissance qui est Amour. En même temps, il a révé­lé à l’homme que, en tant qu”«image et res­sem­blance » de son Créateur, il est appe­lé à par­ti­ci­per à la véri­té et à l’a­mour. Cette par­ti­ci­pa­tion veut dire vivre en union avec Dieu, qui est la « vie éter­nelle »[138]. Mais l’homme, sous l’in­fluence du « père du men­songe », s’est déta­ché de cette par­ti­ci­pa­tion. Dans quelle mesure ? Certes pas dans la mesure du péché d’un pur esprit, pas dans la mesure du péché de Satan. L’esprit humain est inca­pable d’at­teindre une telle mesure[139]. Dans la des­crip­tion de la Genèse, on remarque aisé­ment la dif­fé­rence de degré entre, d’un côté, le « souffle du mal » de la part de celui qui « est pécheur (c’est-​à-​dire demeure dans le péché) dès l’o­ri­gine »[140] et qui déjà « est jugé »[141], et, d’un autre côté, le mal de la déso­béis­sance de la part de l’homme.

Cependant, cette déso­béis­sance signi­fie tou­jours que l’on tourne le dos à Dieu et, en un sens, que la liber­té humaine se ferme à lui. Elle signi­fie aus­si une cer­taine ouver­ture de cette liber­té – de la connais­sance et de la volon­té humaine – vers celui qui est le « père du men­songe ». Cet acte de choix conscient n’est pas seule­ment une « déso­béis­sance » mais com­porte aus­si une cer­taine adhé­sion à la moti­va­tion conte­nue dans la pre­mière inci­ta­tion au péché et constam­ment renou­ve­lée durant toute l’his­toire de l’homme sur la terre : « Dieu sait que, le jour où vous en man­ge­rez, vos yeux s’ou­vri­ront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal ».

Nous nous trou­vons ici au centre même de ce que l’on pour­rait appe­ler l”«anti-Verbe », c’est-​à-​dire l”«anti-vérité ». Ainsi se trouve faus­sée la véri­té de l’homme, à savoir : ce qu’est l’homme et quelles sont les limites infran­chis­sables de son être et de sa liber­té. Cette « anti­vé­ri­té » est pos­sible car, en même temps, est com­plè­te­ment « faus­sée » la véri­té sur ce qu’est Dieu. Le Dieu Créateur est mis en sus­pi­cion, et même en accu­sa­tion, dans la conscience de la créa­ture. Pour la pre­mière fois dans l’his­toire de l’homme appa­raît dans sa per­ver­si­té le « génie du soup­çon ». Il cherche à « faus­ser » le Bien lui-​même, le Bien abso­lu, qui s’est jus­te­ment mani­fes­té dans l’œuvre de la créa­tion comme le Bien qui donne d’une manière inef­fable, comme bonum dif­fu­si­vum sui, comme Amour créa­teur. Qui peut plei­ne­ment « mani­fes­ter le péché », c’est-​à-​dire cette moti­va­tion de la déso­béis­sance ori­gi­nelle de l’homme, sinon celui qui seul est le Don et la source de toute lar­gesse, sinon l’Esprit, qui « sonde les pro­fon­deurs de Dieu » et qui est l’Amour du Père et du Fils ?

38. En effet, mal­gré tout le témoi­gnage de la créa­tion et de l’é­co­no­mie du salut qui s’y rat­tache, l’es­prit des ténèbres[142] est capable de mon­trer Dieu comme un enne­mi de sa créa­ture et, avant tout, comme un enne­mi de l’homme, comme une source de dan­ger et de menace pour l’homme. Ainsi, Satan intro­duit dans la psy­cho­lo­gie de l’homme le germe de l’op­po­si­tion à l’é­gard de celui qui, « depuis l’o­ri­gine », doit être consi­dé­ré comme enne­mi de l’homme, et non comme Père. L’homme est pous­sé à deve­nir l’ad­ver­saire de Dieu !

L’analyse du péché dans sa dimen­sion ori­gi­nelle montre que, de par le « père du men­songe », il y aura au cours de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té une pres­sion constante pour que l’homme refuse Dieu, jus­qu’à le haïr : « L’amour de soi jus­qu’au mépris de Dieu », selon l’ex­pres­sion de saint Augustin[143]. L’homme sera enclin à voir en Dieu avant tout une limi­ta­tion pour lui-​même, et non la source de sa liber­té et la plé­ni­tude du bien. Nous en voyons la confir­ma­tion à l’é­poque moderne où les idéo­lo­gies athées tendentàex­tir­per la reli­gion en par­tant du pré­sup­po­sé qu’elle entraîne la radi­cale « alié­na­tion » de l’homme, comme si l’homme était dépouillé de son huma­ni­té lorsque, après avoir accep­té l’i­dée de Dieu, il attri­bue à ce der­nier ce qui appar­tient à l’homme, et exclu­si­ve­ment à l’homme ! D’où un pro­ces­sus de pen­sée et de com­por­te­ment his­to­rique et socio­lo­gique où le refus de Dieu est allé jus­qu’à décla­rer sa « mort ». C’est une absur­di­té, dans le concept et dans les termes ! Mais l’i­déo­lo­gie de la « mort de Dieu » menace plu­tôt l’homme, comme le sou­ligne Vatican II lorsque, se livrant à l’a­na­lyse de la ques­tion de l”«autonomie des réa­li­tés ter­restres », il écrit : « La créa­ture sans Créateur s’é­va­nouit … Et même, l’ou­bli de Dieu rend opaque la créa­ture elle-​même »[144]. L’idéologie de la « mort de Dieu » montre aisé­ment par ses effets qu’elle est, sur le plan théo­rique comme sur le plan pra­tique, l’i­déo­lo­gie de la « mort de l’homme ».

4. L’Esprit qui transforme la souffrance en amour sauveur

39. L’Esprit, qui sonde les pro­fon­deurs de Dieu, a été appe­lé par Jésus, dans son dis­cours du Cénacle, le Paraclet. En effet, depuis le com­men­ce­ment, « il est invo­qué »[145] pour « mani­fes­ter le péché du monde ». Il est invo­qué de façon défi­ni­tive à tra­vers la Croix du Christ. Manifester le péché veut dire mon­trer le mal qu’il com­porte. Ce qui revient à révé­ler le mys­te­rium ini­qui­ta­tis. Il n’est pas pos­sible de sai­sir le mal du péché dans toute sa dou­lou­reuse réa­li­té sans « son­der les pro­fon­deurs de Dieu ». Depuis les ori­gines, le mys­tère obs­cur du péché s’est mani­fes­té dans le monde avec en arrière-​plan la réfé­rence au Créateur de la liber­té humaine. Il s’est mani­fes­té comme un acte de volon­té de la créature-​homme contraire à la volon­té de Dieu, à la volon­té sal­vi­fique de Dieu ; bien plus, il s’est mani­fes­té en oppo­si­tion à la véri­té, sur la base du men­songe désor­mais « jugé » défi­ni­ti­ve­ment, ce men­songe qui a mis en état d’ac­cu­sa­tion, en état de sus­pi­cion per­ma­nente, l’Amour créa­teur et sau­veur lui-​même. L’homme a sui­vi le « père du men­songe », en s’op­po­sant au Père de la vie et à l’Esprit de vérité.

« Manifester le péché » ne devrait-​il pas alors signi­fier éga­le­ment révé­ler la souf­france, révé­ler la dou­leur, incon­ce­vable et inex­pri­mable, que, à cause du péché, le Livre saint semble, dans sa vision anthro­po­mor­phique, entre­voir dans les « pro­fon­deurs de Dieu » et, en un sens, au cœur même de l’i­nex­pri­mable Trinité ? L’Eglise, s’ins­pi­rant de la Révélation, croit et pro­fesse que le péché est une offense faite à Dieu. Qu’est-​ce qui cor­res­pond, dans l’in­son­dable inti­mi­té du Père, du Verbe et de l’Esprit Saint, à cette « offense », à ce refus de l’Esprit qui est Amour et Don ? La concep­tion de Dieu comme être néces­sai­re­ment très par­fait exclut évi­dem­ment, en Dieu, toute souf­france pro­ve­nant de carences ou de bles­sures ; mais dans les « pro­fon­deurs de Dieu », il y a un amour de Père qui, face au péché de l’homme, réagit, selon le lan­gage biblique, jus­qu’à dire : « Je me repens d’a­voir fait l’homme »[146]. « Le Seigneur vit que la méchan­ce­té de l’homme était grande sur la terre… Le Seigneur se repen­tit d’a­voir fait l’homme sur la terre, et il s’af­fli­gea dans son cœur. Et le Seigneur dit… « je me repens de les avoir faits » »[147]. Mais plus sou­vent le Livre saint nous parle d’un Père qui éprouve de la com­pas­sion pour l’homme, comme s’il par­ta­geait sa souf­france. En défi­ni­tive, cette inson­dable et indes­crip­tible « dou­leur » de père don­ne­ra sur­tout nais­sance à l’ad­mi­rable éco­no­mie de l’a­mour rédemp­teur en Jésus Christ, afin que, par le mys­te­rium pie­ta­tis, l’a­mour puisse, dans l’his­toire de l’homme, se révé­ler plus fort que le péché. Afin que pré­vale le « Don » !

L’Esprit Saint, qui, selon les paroles de Jésus, « mani­feste le péché », est l’Amour du Père et du Fils, et, comme tel, il est le Don tri­ni­taire tout en étant la source éter­nelle de toute lar­gesse divine aux créa­tures. En lui pré­ci­sé­ment, nous pou­vons conce­voir comme per­son­ni­fiée et réa­li­sée d’une manière trans­cen­dante la misé­ri­corde que la tra­di­tion patris­tique et théo­lo­gique, dans la ligne de l’Ancien et du Nouveau Testament, attri­bue à Dieu. En l’homme, la misé­ri­corde inclut la dou­leur et la com­pas­sion pour les misères du pro­chain. En Dieu, l’Esprit qui est Amour fait que la consi­dé­ra­tion du péché humain se tra­duit par de nou­velles libé­ra­li­tés de l’a­mour sau­veur. De lui, dans l’u­ni­té avec le Père et le Fils, naît l’é­co­no­mie du salut, qui rem­plit l’his­toire de l’homme des dons de la Rédemption. Si le péché, en refu­sant l’a­mour, a engen­dré la « souf­france » de l’homme qui s’est éten­due d’une cer­taine manière à toute la créa­tion[148], l’Esprit Saint entre­ra dans la souf­france humaine et cos­mique avec une nou­velle effu­sion d’a­mour qui rachè­te­ra le monde. Et sur les lèvres de Jésus Rédempteur, dans l’hu­ma­ni­té de qui se concré­tise la « souf­france » de Dieu, revien­dra un mot par lequel se mani­feste l’Amour éter­nel plein de misé­ri­corde : « Misereor », « j’ai pitié »[149]. Ainsi, pour l’Esprit Saint, « mettre en lumière le péché » revient à mani­fes­ter, devant la créa­tion « assu­jet­tie à la vani­té » et sur­tout au plus pro­fond des consciences humaines, que le péché est vain­cu par le sacri­fice de l’Agneau de Dieu, lequel est deve­nu « jus­qu’à la mort » le ser­vi­teur obéis­sant qui, remé­diant à la déso­béis­sance de l’homme, opère la rédemp­tion du monde. C’est de cette façon que l’Esprit de véri­té, le Paraclet, « met en lumière le péché ».

40. La valeur rédemp­trice du sacri­fice du Christ est expri­mée en des phrases très signi­fi­ca­tives par l’au­teur de la Lettre aux Hébreux. Celui-​ci, après avoir rap­pe­lé les sacri­fices de l’Ancienne Alliance, dans les­quels « le sang des boucs et des jeunes tau­reaux… pro­cu­rait la pure­té de la chair », ajoute : « Combien plus le sang du Christ, qui, par un Esprit éter­nel, s’est offert lui-​même sans tache à Dieu, purifiera-​t-​il notre conscience des œuvres mortes pour que nous ren­dions un culte au Dieu vivant ! »[150]. Certes, d’autres inter­pré­ta­tions sont pos­sibles, mais nos consi­dé­ra­tions sur la pré­sence de l’Esprit Saint dans toute la vie du Christ nous portent à recon­naître dans ce texte comme une invi­ta­tion à réflé­chir sur la pré­sence de ce même Esprit Saint éga­le­ment dans le sacri­fice rédemp­teur du Verbe incarné.

Revenons donc d’a­bord sur les paroles ini­tiales qui traitent de ce sacri­fice, puis, sépa­ré­ment, sur la « puri­fi­ca­tion de la conscience » qu’il opère. Il s’a­git en effet d’un sacri­fice offert « par (= par l’œuvre de) un Esprit éter­nel », qui « reçoit » de lui la force de « mani­fes­ter le péché » pour le salut. C’est ce même Esprit Saint que, selon la pro­messe faite au Cénacle, Jésus Christ « por­te­ra » aux Apôtres le jour de sa résur­rec­tion, en se pré­sen­tant à eux avec les plaies de la cru­ci­fixion, et qu’il leur « don­ne­ra pour la rémis­sion des péchés » : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remet­trez les péchés, ils leur seront remis »[151].

Nous savons que « Dieu a oint de l’Esprit Saint et de puis­sance Jésus de Nazareth », comme le disait Simon Pierre dans la mai­son du cen­tu­rion Corneille[152]. Nous connais­sons le mys­tère pas­cal de son « départ », selon l’Evangile de Jean. Les paroles de la Lettre aux Hébreux nous expliquent main­te­nant de quelle façon le Christ « s’est offert lui-​même sans tache à Dieu », et nous disent qu’il l’a fait « par un Esprit éter­nel ». Dans le sacri­fice du Fils de l’homme, l’Esprit Saint est pré­sent et agit de la même manière qu’il agis­sait dans sa concep­tion, dans sa venue au monde, dans sa vie cachée et dans son minis­tère public. Selon la Lettre aux Hébreux, en route vers son « départ » à tra­vers Gethsémani et le Golgotha, ce même Jésus Christ s’est ouvert tota­le­ment, dans son huma­ni­té, à l’ac­tion de l’Esprit-​Paraclet qui, dans la souf­france, fait appa­raître l’a­mour éter­nel source de salut. Il a donc été « exau­cé en rai­son de sa pié­té ; tout Fils qu’il était, il apprit, de ce qu’il souf­frit, l’o­béis­sance »[153]. Ainsi cette Lettre montre que l’hu­ma­ni­té, sou­mise au péché dans les des­cen­dants du pre­mier Adam, est deve­nue en Jésus Christ par­fai­te­ment sou­mise à Dieu et unie à lui, tout en étant rem­plie de misé­ri­corde à l’é­gard des hommes. Apparaît alors une nou­velle huma­ni­té qui, en Jésus Christ, par la souf­france de la Croix, est reve­nue à l’a­mour tra­hi par le péché d’Adam. Cette nou­velle huma­ni­té s’est retrou­vée dans la même source divine du don ori­gi­nel : dans l’Esprit, qui « sonde les pro­fon­deurs de Dieu » et qui est lui-​même Amour et Don.

Le Fils de Dieu, Jésus Christ, en tant qu’­homme, dans la prière ardente de sa pas­sion, a per­mis à l’Esprit Saint, qui avait déjà péné­tré jus­qu’au fond son huma­ni­té, de la trans­for­mer en un sacri­fice par­fait par l’acte de sa mort, comme vic­time d’a­mour sur la Croix. C’est seul qu’il a pré­sen­té cette offrande. Prêtre unique, il « s’est offert lui-​même sans tache à Dieu »[154]. Dans son huma­ni­té, il était digne de deve­nir un tel sacri­fice car lui seul était « sans tache ». Mais il l’a offert « par un Esprit éter­nel » : cela signi­fie que l’Esprit Saint a agi d’une manière spé­ciale dans ce don abso­lu de lui-​même réa­li­sé par le Fils de l’homme pour trans­for­mer la souf­france en amour rédempteur.

41. Dans l’Ancien Testament, on parle sou­vent du « feu du ciel » qui brû­lait les offrandes pré­sen­tées par les hommes[155]. Par ana­lo­gie, on peut dire que l’Esprit Saint est le « feu du ciel » qui agit au plus pro­fond du mys­tère de la Croix. Venant du Père, il tourne vers le Père le sacri­fice du Fils, le fai­sant entrer dans la divine réa­li­té de la com­mu­nion tri­ni­taire. Si le péché a engen­dré la souf­france, main­te­nant la dou­leur de Dieu dans le Christ cru­ci­fié acquiert, par l’Esprit Saint, toute son expres­sion humaine. On se trouve ain­si devant un mys­tère para­doxal d’a­mour : dans le Christ souffre un Dieu repous­sé par sa propre créa­ture : « Ils ne croient pas en moi!»; mais en même temps, devant la pro­fon­deur de cette souf­france – et, indi­rec­te­ment, la pro­fon­deur du péché même « de ne pas avoir cru » -, l’Esprit fait croître à un degré nou­veau le don fait à l’homme et à la créa­tion depuis le com­men­ce­ment. Dans les pro­fon­deurs du mys­tère de la Croix, l’Amour agit, et cet Amour amène l’homme à par­ti­ci­per de nou­veau à la vie qui est en Dieu même.

L’Esprit Saint, en tant qu’Amour et Don, des­cend, en un sens, au cœur même du sacri­fice offert sur la Croix. En nous réfé­rant à la tra­di­tion biblique, nous pou­vons dire qu’il consomme ce sacri­fice par le feu de l’Amour qui unit le Fils au Père dans la com­mu­nion tri­ni­taire. Et comme le sacri­fice de la Croix est un acte propre du Christ, dans ce sacri­fice aus­si il « reçoit » l’Esprit Saint. Il le reçoit d’une manière telle qu’il peut ensuite lui-​même – et lui seul avec Dieu le Père – « le don­ner » aux Apôtres, à l’Eglise, à l’hu­ma­ni­té. Lui seul « l’en­voie » d’au­près du Père[156]. Lui seul se pré­sente devant les Apôtres réunis au Cénacle, « souffle sur eux » et dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remet­trez les péchés, ils leur seront remis »[157], ain­si que l’a­vait annon­cé Jean-​Baptiste : « Lui vous bap­ti­se­ra dans l’Esprit Saint et le feu »[158]. Par ces paroles de Jésus, l’Esprit Saint est révé­lé et en même temps ren­du pré­sent comme l’Amour qui agit au plus pro­fond du mys­tère pas­cal, comme source de la puis­sance sal­vi­fique de la Croix du Christ, comme Don de la vie nou­velle et éternelle.

Cette véri­té sur l’Esprit Saint est expri­mée quo­ti­dien­ne­ment dans la litur­gie romaine, lorsque le prêtre, avant la com­mu­nion, pro­nonce ces paroles signi­fi­ca­tives : « Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, selon la volon­té du Père et avec la puis­sance du Saint-​Esprit, tu as don­né, par ta mort, la vie au monde …». Et dans la troi­sième Prière eucha­ris­tique, se réfé­rant à cette même éco­no­mie du salut, le prêtre demande à Dieu que l’Esprit Saint « fasse de nous une éter­nelle offrande à ta gloire ».

5. Le sang qui purifie la conscience

42. Nous avons dit qu’au point culmi­nant du mys­tère pas­cal, l’Esprit Saint est défi­ni­ti­ve­ment révé­lé et ren­du pré­sent d’une façon nou­velle. Le Christ res­sus­ci­té dit aux Apôtres : « Recevez l’Esprit Saint ». Ainsi est révé­lé l’Esprit Saint, car les paroles du Christ consti­tuent la confir­ma­tion des pro­messes et des annonces du dis­cours du Cénacle. Et par là même, le Paraclet est ren­du pré­sent d’une manière nou­velle. En réa­li­té, il agis­sait depuis le com­men­ce­ment dans le mys­tère de la créa­tion et tout au long de l’his­toire de l’Ancienne Alliance de Dieu avec l’homme. Son action a été plei­ne­ment confir­mée par la mis­sion du Fils de l’homme, le Messie venu dans la puis­sance de l’Esprit Saint. Au som­met de la mis­sion mes­sia­nique de Jésus, l’Esprit Saint se rend pré­sent au sein du mys­tère pas­cal dans sa qua­li­té de sujet divin : il est celui qui doit main­te­nant conti­nuer l’œuvre sal­vi­fique enra­ci­née dans le sacri­fice de la Croix. Cette œuvre, bien sûr, est confiée par Jésus à des hommes : aux Apôtres, à l’Eglise. Toutefois, en ces hommes et par eux, l’Esprit Saint demeure le sujet trans­cen­dant de la réa­li­sa­tion de cette œuvre dans l’es­prit de l’homme et dans l’his­toire du monde : lui, le Paraclet invi­sible tout en étant omni­pré­sent ! L’Esprit qui « souffle où il veut » [159].

Les paroles pro­non­cées par le Christ res­sus­ci­té le « pre­mier jour après le sab­bat » mettent par­ti­cu­liè­re­ment en relief la pré­sence du Paraclet-​Consolateur, celui qui « éta­blit la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de juge­ment ». C’est seule­ment dans ce rap­port, en effet, que s’ex­pliquent les paroles que Jésus met en rela­tion directe avec le « don » de l’Esprit Saint aux Apôtres. Il dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remet­trez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retien­drez, ils leur seront rete­nus »[160]. Jésus confère aux Apôtres le pou­voir de remettre les péchés, pour qu’ils le trans­mettent à leurs suc­ces­seurs dans l’Eglise. Toutefois, ce pou­voir, accor­dé aux hommes, pré­sup­pose et inclut l’ac­tion sal­vi­fique de l’Esprit Saint. En deve­nant la « lumière des cœurs »[161], c’est-​à-​dire des consciences, l’Esprit Saint « mani­feste le péché », c’est-​à-​dire fait connaître à l’homme son mal et en même temps l’o­riente vers le bien. Grâce à la mul­ti­pli­ci­té de ses dons – on l’in­voque comme le « Porteur des sept dons » -, la puis­sance sal­vi­fique de Dieu peut atteindre tout péché, de quelque genre qu’il soit. En réa­li­té, comme le dit saint Bonaventure, « en ver­tu des sept dons de l’Esprit Saint, tous les maux sont détruits tan­dis que sont réa­li­sés tous les biens »[162].

Sous l’in­fluence du Paraclet s’ac­com­plit donc cette conver­sion du cœur humain qui est la condi­tion indis­pen­sable du par­don des péchés. Sans une vraie conver­sion, qui sup­pose une contri­tion inté­rieure, et en l’ab­sence d’une réso­lu­tion ferme et sin­cère de chan­ge­ment, les péchés res­tent « non remis », comme le dit Jésus, et avec lui la Tradition de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance. En effet, les pre­mières paroles pro­non­cées par Jésus au début de son minis­tère, selon l’Evangile de Marc, sont les sui­vantes : « Convertissez-​vous et croyez à l’Evangile »[163]. Nous avons une confir­ma­tion de cette exhor­ta­tion dans la « mise en lumière du péché » que l’Esprit Saint entre­prend d’une manière nou­velle en ver­tu de la Rédemption opé­rée par le Sang du Fils de l’homme. C’est pour­quoi la Lettre aux Hébreux dit que ce « sang puri­fie la conscience »[164]. Et donc celui-​ci, pour ain­si dire, ouvre à l’Esprit Saint la route qui conduit au cœur de l’homme, c’est-​à-​dire au sanc­tuaire des consciences humaines.

43. Le Concile Vatican II a rap­pe­lé l’en­sei­gne­ment catho­lique sur la conscience, en par­lant de la voca­tion de l’homme et en par­ti­cu­lier de la digni­té de la per­sonne humaine. C’est pré­ci­sé­ment la conscience qui déter­mine d’une manière spé­ci­fique cette digni­té. Elle est en effet « le centre le plus secret de l’homme, le sanc­tuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». C’est clai­re­ment qu’elle « dit dans l’in­ti­mi­té de son cœur : « Fais ceci, évite cela »». Cette capa­ci­té de com­man­der le bien et d’in­ter­dire le mal, ins­crite dans l’homme par le Créateur, est la pro­prié­té carac­té­ris­tique du sujet per­son­nel. Mais en même temps, au fond de sa conscience, l’homme découvre la pré­sence d’une loi qu’il ne se donne pas lui-​même, mais à laquelle il est tenu d’o­béir »[165]. La conscience n’est donc pas une source auto­nome et exclu­sive pour déci­der ce qui est bon et ce qui est mau­vais ; au contraire, en elle est pro­fon­dé­ment ins­crit un prin­cipe d’o­béis­sance à l’é­gard de la norme objec­tive qui fonde et condi­tionne la confor­mi­té de ses déci­sions aux com­man­de­ments et aux inter­dits qui sont à la base du com­por­te­ment humain, comme il appa­raît dès la page du Livre de la Genèse déjà évo­quée[166]. En ce sens pré­cis, la conscience est le « sanc­tuaire secret » où « la voix de Dieu se fait entendre ». Et c’est la « voix de Dieu », même quand l’homme recon­naît exclu­si­ve­ment en elle le prin­cipe de l’ordre moral dont on ne peut dou­ter humai­ne­ment, fût-​ce sans réfé­rence directe au Créateur : la conscience trouve tou­jours son fon­de­ment et sa jus­ti­fi­ca­tion dans cette référence.

La « mise en lumière du péché » sous l’in­fluence de l’Esprit de véri­té, dont parle l’Evangile, ne peut se réa­li­ser dans l’homme autre­ment que par le che­min de la conscience. Si la conscience est droite, elle sert à trou­ver « selon la véri­té la solu­tion de tant de pro­blèmes moraux que sou­lèvent aus­si bien la vie pri­vée que la vie sociale» ; et alors, « les per­sonnes et les groupes s’é­loignent d’une déci­sion aveugle et tendent à se confor­mer aux normes objec­tives de la mora­li­té »[167].

Le pre­mier fruit d’une conscience droite est d’ap­pe­ler par leur nom le bien et le mal, comme le fait, par exemple, la même Constitution pas­to­rale de Vatican II : « Tout ce qui s’op­pose à la vie elle-​même, comme toute espèce d’ho­mi­cide, le géno­cide, l’a­vor­te­ment, l’eu­tha­na­sie et même le sui­cide déli­bé­ré ; tout ce qui consti­tue une vio­la­tion de l’in­té­gri­té de la per­sonne humaine, comme les muti­la­tions, la tor­ture phy­sique ou morale, les contraintes psy­cho­lo­giques ; tout ce qui est offense à la digni­té de l’homme, comme les condi­tions de vie sous-​humaines, les empri­son­ne­ments arbi­traires, les dépor­ta­tions ; l’es­cla­vage, la pros­ti­tu­tion, le com­merce des femmes et des jeunes ; ou encore les condi­tions de tra­vail dégra­dantes qui réduisent les tra­vailleurs au rang de purs ins­tru­ments de rap­port, sans égard pour leur per­son­na­li­té libre et res­pon­sable» ; et, après avoir appe­lé par leur nom les mul­tiples péchés si fré­quents et si répan­dus en notre temps, la Constitution ajoute : « Toutes ces pra­tiques et d’autres ana­logues sont, en véri­té, infâmes. Tandis qu’elles cor­rompent la civi­li­sa­tion, elles désho­norent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gra­ve­ment à l’hon­neur du Créateur »[168].

En appe­lant par leur nom les péchés les plus désho­no­rants pour l’homme, et en démon­trant qu’ils sont un mal moral qui s’ins­crit au pas­sif de tout bilan du pro­grès de l’hu­ma­ni­té, le Concile carac­té­rise tout cela comme une étape « de la lutte, com­bien dra­ma­tique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres », qui carac­té­rise « toute la vie des hommes, indi­vi­duelle et col­lec­tive »[169]. L’assemblée du Synode des Evêques de 1983 sur la récon­ci­lia­tion et la péni­tence a pré­ci­sé davan­tage encore la signi­fi­ca­tion per­son­nelle et sociale du péché de l’homme[170].

44. Au Cénacle, la veille de sa Passion puis le soir de Pâques, Jésus Christ a fait appel à l’Esprit Saint comme à celui qui témoigne que, dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, le péché conti­nue à exis­ter. Toutefois, le péché est sou­mis à la puis­sance sal­vi­fique de la Rédemption. La « mani­fes­ta­tion du péché du monde » ne s’ar­rête pas au simple fait d’ap­pe­ler celui-​ci par son nom et de l’i­den­ti­fier pour ce qu’il est dans toute l’é­ten­due de sa nature. Dans la mani­fes­ta­tion du péché du monde, l’Esprit de véri­té ren­contre la voix des consciences humaines.

De cette façon, on en arrive à mettre en évi­dence les racines du péché, qui se trouvent au cœur de l’homme, comme le sou­ligne la même Constitution pas­to­rale : « En véri­té, les dés­équi­libres qui tra­vaillent le monde moderne sont liés à un dés­équi­libre plus fon­da­men­tal, qui prend racine dans le cœur de l’homme. C’est en l’homme lui-​même, en effet, que de nom­breux élé­ments se com­battent. D’une part, comme créa­ture, il fait l’ex­pé­rience de ses mul­tiples limites ; d’autre part, il se sent illi­mi­té dans ses dési­rs et appe­lé à une vie supé­rieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choi­sir et de renon­cer. Pire : faible et pécheur, il accom­plit sou­vent ce qu’il ne veut pas et n’ac­com­plit point ce qu’il vou­drait »[171]. Le texte conci­liaire se réfère ici aux paroles bien connues de saint Paul[172].

La « mise en lumière du péché », qui accom­pagne la conscience humaine chaque fois qu’elle réflé­chit en pro­fon­deur sur elle-​même, conduit donc à la décou­verte des racines du péché dans l’homme, et aus­si des condi­tion­ne­ments de la conscience elle-​même au cours de l’his­toire. Nous retrou­vons de cette façon la réa­li­té ori­gi­nelle du péché dont nous avons déjà par­lé. L’Esprit Saint « met en lumière le péché » par rap­port au mys­tère du com­men­ce­ment, en indi­quant le fait que l’homme est un être créé et qu’il est donc en totale dépen­dance onto­lo­gique et éthique du Créateur, tout en rap­pe­lant la condi­tion péche­resse héré­di­taire de la nature humaine. Mais c’est tou­jours en rela­tion avec la Croix du Christ que l’Esprit Saint-​Paraclet « met en lumière le péché ». Dans cette rela­tion, le chris­tia­nisme exclut toute « fata­li­té » du péché. « Un dur com­bat contre les puis­sances des ténèbres passe à tra­vers toute l’his­toire des hommes ; com­men­cé dès les ori­gines, il dure­ra, le Seigneur nous l’a dit, jus­qu’au der­nier jour », ain­si s’ex­prime le Concile[173]. « Mais le Seigneur en per­sonne est venu pour res­tau­rer l’homme dans sa liber­té et sa force »[174]. Loin de se lais­ser prendre au piège de sa condi­tion de pécheur, l’homme, s’ap­puyant sur la voix de sa propre conscience, doit donc « sans cesse com­battre pour s’at­ta­cher au bien ; et ce n’est qu’au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu’il par­vient à réa­li­ser son uni­té inté­rieure »[175]. A juste titre, le Concile voit dans le péché le res­pon­sable de la rup­ture qui pèse sur la vie per­son­nelle comme sur la vie sociale de l’homme ; mais en même temps il rap­pelle inlas­sa­ble­ment la pos­si­bi­li­té de la victoire.

45. L’Esprit de véri­té, qui « met en évi­dence le péché du monde », ren­contre les efforts de la conscience humaine, dont les textes conci­liaires parlent d’une manière très sug­ges­tive. Ces efforts de la conscience déter­minent aus­si les voies de la conver­sion humaine : tour­ner le dos au péché pour rebâ­tir la véri­té et l’a­mour au cœur même de l’homme. On sait que par­fois il en coûte beau­coup de recon­naître le mal en soi-​même. On sait que non seule­ment la conscience com­mande ou inter­dit, mais qu’elle juge à la lumière des ordres et des défenses inté­rieurs. Elle est aus­si la source des remords : l’homme souffre inté­rieu­re­ment à cause du mal qu’il a com­mis. Cette souf­france n’est-​elle pas comme un écho loin­tain de ce « regret d’a­voir créé l’homme » que le Livre saint, dans un lan­gage anthro­po­mor­phique, attri­bue à Dieu, de cette « répro­ba­tion » qui, s’ins­cri­vant au « cœur » de la Trinité, se tra­duit par la dou­leur de la Croix, par l’o­béis­sance du Christ jus­qu’à la mort en ver­tu de l’a­mour éter­nel ? Quand l’Esprit de véri­té per­met à la conscience humaine de par­ti­ci­per à cette dou­leur, la souf­france de la conscience devient par­ti­cu­liè­re­ment pro­fonde, mais aus­si par­ti­cu­liè­re­ment sal­vi­fique. Par un acte de contri­tion par­faite s’o­père alors la conver­sion authen­tique du cœur : c’est la « meta­noia » évangélique.

Les efforts du cœur humain, les efforts de la conscience, grâce aux­quels s’o­père cette « meta­noia » ou conver­sion, sont le reflet du pro­ces­sus par lequel la répro­ba­tion est trans­for­mée en amour sal­vi­fique qui accepte de souf­frir. L’auteur caché de cette force sal­va­trice est l’Esprit Saint : Lui qui est appe­lé par l’Eglise « lumière des consciences » pénètre et rem­plit « jus­qu’à l’in­time les cœurs » humains[176]. Par une telle conver­sion dans l’Esprit Saint, l’homme s’ouvre au par­don, à la rémis­sion des péchés. Et tout cet admi­rable dyna­misme de la conversion-​rémission confirme la véri­té de ce qu’é­crit saint Augustin sur le mys­tère de l’homme en com­men­tant les paroles du psaume : « L’abîme appelle l’a­bîme »[177]. C’est pré­ci­sé­ment à l’é­gard de cette « pro­fon­deur abys­sale » de l’homme, de la conscience humaine, que s’ac­com­plit la mis­sion du Fils et de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint « vient » en ver­tu du « départ » du Christ dans le mys­tère pas­cal : il vient dans tout cas concret de conversion-​rémission, en ver­tu du sacri­fice de la Croix : en lui, en effet, « le sang du Christ … puri­fie notre conscience des œuvres mortes pour que nous ren­dions un culte au Dieu vivant »[178]. Ainsi s’ac­com­plissent conti­nuel­le­ment les paroles sur l’Esprit Saint pré­sen­té comme « un autre Paraclet », paroles qui, au Cénacle, furent adres­sées aux Apôtres et indi­rec­te­ment à tous : « Vous, vous le connais­sez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous »[179].

6. Le péché contre l’Esprit Saint

46. Compte tenu de ce que nous avons dit jus­qu’à main­te­nant, cer­taines autres paroles impres­sion­nantes et sai­sis­santes de Jésus deviennent plus com­pré­hen­sibles. On pour­rait les appe­ler les paroles du « non-​pardon ». Elles nous sont rap­por­tées par les synop­tiques, à pro­pos d’un péché par­ti­cu­lier qui est appe­lé « blas­phème contre l’Esprit Saint ». Voici com­ment elles ont été rap­por­tées dans les trois rédactions :

Matthieu : « Tout péché et blas­phème sera remis aux hommes, mais le blas­phème contre l’Esprit ne sera pas remis. Et qui­conque aura dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais qui­conque aura par­lé contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l’autre »[180].

Marc : « Tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blas­phèmes tant qu’ils en auront pro­fé­rés ; mais qui­conque aura blas­phé­mé contre l’Esprit Saint n’au­ra jamais de rémis­sion : il est cou­pable d’une faute éter­nelle »[181].

Luc : « Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis, mais à qui aura blas­phé­mé contre le Saint-​Esprit, cela ne sera pas remis »[182].

Pourquoi le blas­phème contre l’Esprit Saint est-​il impar­don­nable ? En quel sens entendre ce blas­phème ? Saint Thomas d’Aquin répond qu’il s’a­git d’un péché « irré­mis­sible de par sa nature, parce qu’il exclut les élé­ments grâce aux­quels est accor­dée la rémis­sion des péchés »[183].

Selon une telle exé­gèse, le « blas­phème » ne consiste pas à pro­pre­ment par­ler à offen­ser en paroles l’Esprit Saint ; mais il consiste à refu­ser de rece­voir le salut que Dieu offre à l’homme par l’Esprit Saint agis­sant en ver­tu du sacri­fice de la Croix. Si l’homme refuse la « mani­fes­ta­tion du péché », qui vient de l’Esprit Saint et qui a un carac­tère sal­vi­fique, il refuse en même temps la « venue » du Paraclet, cette « venue » qui s’est effec­tuée dans le mys­tère de Pâques, en union avec la puis­sance rédemp­trice du Sang du Christ, le Sang qui « puri­fie la conscience des œuvres mortes ».

Nous savons que le fruit d’une telle puri­fi­ca­tion est la rémis­sion des péchés. En consé­quence, celui qui refuse l’Esprit et le Sang demeure dans les « œuvres mortes », dans le péché. Et le blas­phème contre l’Esprit Saint consiste pré­ci­sé­ment dans le refus radi­cal de cette rémis­sion dont Il est le dis­pen­sa­teur intime et qui pré­sup­pose la conver­sion véri­table qu’il opère dans la conscience. Si Jésus dit que le péché contre l’Esprit Saint ne peut être remis ni en ce monde ni dans l’autre, c’est parce que cette « non-​rémission » est liée, comme à sa cause, à la « non-​pénitence », c’est-​à-​dire au refus radi­cal de se conver­tir. Cela signi­fie le refus de se tour­ner vers les sources de la Rédemption, qui res­tent cepen­dant « tou­jours » ouvertes dans l’é­co­no­mie du salut, dans laquelle s’ac­com­plit la mis­sion de l’Esprit Saint. Celui-​ci a le pou­voir infi­ni de pui­ser à ces sources : « C’est de mon bien qu’il reçoit », a dit Jésus. Il com­plète ain­si dans les âmes humaines l’œuvre de la Rédemption accom­plie par le Christ, en leur par­ta­geant ses fruits. Or le blas­phème contre l’Esprit Saint est le péché com­mis par l’homme qui pré­sume et reven­dique le « droit » de per­sé­vé­rer dans le mal – dans le péché quel qu’il soit – et refuse par là même la Rédemption. L’homme reste enfer­mé dans le péché, ren­dant donc impos­sible, pour sa part, sa conver­sion et aus­si, par consé­quent, la rémis­sion des péchés, qu’il ne juge pas essen­tielle ni impor­tante pour sa vie. Il y a là une situa­tion de ruine spi­ri­tuelle, car le blas­phème contre l’Esprit Saint ne per­met pas à l’homme de sor­tir de la pri­son où il s’est lui-​même enfer­mé et de s’ou­vrir aux sources divines de la puri­fi­ca­tion des consciences et de la rémis­sion des péchés.

47. L’action de l’Esprit de véri­té, qui tend à la « mise en lumière du péché » pour le salut, se heurte, dans l’homme qui se trouve en une telle situa­tion, à une résis­tance inté­rieure, presque une impé­né­tra­bi­li­té de la conscience, un état d’âme que l’on dirait dur­ci en rai­son d’un libre choix : c’est ce que la Sainte Ecriture appelle « l’en­dur­cis­se­ment du cœur »[184]. De nos jours, à cette atti­tude de l’es­prit et du cœur fait peut-​être écho la perte du sens du péché, à laquelle l’Exhortation apos­to­lique Reconciliatio et pae­ni­ten­tia a consa­cré de nom­breuses pages[185]. Déjà, le Pape Pie XII avait affir­mé que « le péché de ce siècle est la perte du sens du péché »[186], et cela va de pair avec la « perte du sens de Dieu ». Dans l’Exhortation men­tion­née ci-​dessus, nous lisons : « En réa­li­té, Dieu est l’o­ri­gine et la fin suprême de l’homme, et celui-​ci porte en lui un germe divin. C’est pour­quoi, c’est le mys­tère de Dieu qui dévoile et éclaire le mys­tère de l’homme. Il est donc vain d’es­pé­rer qu’un sens du péché puisse prendre consis­tance par rap­port à l’homme et aux valeurs humaines si fait défaut le sens de l’of­fense com­mise contre Dieu, c’est-​à-​dire le véri­table sens du péché »[187].

C’est pour­quoi l’Eglise ne cesse de deman­der à Dieu que la rec­ti­tude ne fasse jamais défaut dans les consciences humaines, et que ne s’at­té­nue pas leur saine sen­si­bi­li­té face au bien et au mal. Cette rec­ti­tude et cette sen­si­bi­li­té sont inti­me­ment liées à l’ac­tion de l’Esprit de véri­té. Cet éclai­rage rend par­ti­cu­liè­re­ment élo­quentes les exhor­ta­tions de l’Apôtre : « N’éteignez pas l’Esprit» ; « ne contris­tez pas l’Esprit Saint »[188]. Mais sur­tout, l’Eglise ne cesse de prier inten­sé­ment pour que n’aug­mente pas dans le monde le péché appe­lé par l’Evangile « blas­phème contre l’Esprit Saint », et, plus encore, pour qu’il régresse dans les âmes – et par contre­coup dans les divers milieux et les dif­fé­rentes formes de la socié­té -, cédant la place à l’ou­ver­ture des consciences indis­pen­sable à l’ac­tion sal­vi­fique de l’Esprit Saint. L’Eglise demande que le dan­ge­reux péché contre l’Esprit laisse la place à une sainte dis­po­ni­bi­li­té à accep­ter sa mis­sion de Paraclet, lors­qu’il vient « mani­fes­ter la culpa­bi­li­té du monde en fait de péché, en fait de jus­tice et en fait de jugement ».

48. Dans son dis­cours d’a­dieu, Jésus a lié ces trois domaines de « la mani­fes­ta­tion », qui sont les com­po­santes de la mis­sion du Paraclet : le péché, la jus­tice et le juge­ment. Ils indiquent la place de ce mys­te­rium pie­ta­tis qui, dans l’his­toire de l’homme, s’op­pose au péché, au mys­te­rium ini­qui­ta­tis[189]. D’un côté, comme le dit saint Augustin, il y a l”«amour de soi jus­qu’au mépris de Dieu », et de l’autre, il y a l”«amour de Dieu jus­qu’au mépris de soi »[190]. L’Eglise fait conti­nuel­le­ment mon­ter sa prière et accom­plit sa tâche pour que l’his­toire des consciences et l’his­toire des socié­tés, dans la grande famille humaine, ne s’a­baissent pas vers le pôle du péché par le refus des com­man­de­ments de Dieu « jus­qu’au mépris de Dieu », mais bien plu­tôt s’é­lèvent vers l’a­mour dans lequel se révèle l’Esprit qui donne la vie.

Ceux qui acceptent la « mise en évi­dence du péché » par l’Esprit Saint l’ac­ceptent éga­le­ment pour « la jus­tice et le juge­ment ». L’Esprit de véri­té, qui aide les hommes, les consciences humaines, à connaître la véri­té du péché, fait en sorte, par là même, qu’ils connaissent la véri­té de la jus­tice qui est entrée dans l’his­toire de l’homme avec la venue de Jésus Christ. Ainsi, ceux qui, convain­cus qu’ils sont pécheurs, se conver­tissent sous l’ac­tion du Paraclet, sont en un sens conduits hors du cercle du « juge­ment », de ce « juge­ment » par lequel « le Prince de ce monde est déjà jugé »[191]. La conver­sion, dans la pro­fon­deur de son mys­tère divin et humain, signi­fie la rup­ture de tout lien par lequel le péché unit l’homme à l’en­semble du mys­te­rium ini­qui­ta­tis. Donc, ceux qui se conver­tissent sont conduits par l’Esprit Saint hors du cercle du « juge­ment » et intro­duits dans la jus­tice qui se trouve dans le Christ Jésus, et qui s’y trouve parce qu’il la reçoit du Père[192], comme un reflet de la sain­te­té tri­ni­taire. Telle est la jus­tice de l’Evangile et de la Rédemption, la jus­tice du Discours sur la mon­tagne et de la Croix, qui opère la puri­fi­ca­tion de la conscience par le sang de l’Agneau. C’est la jus­tice que le Père rend au Fils et à tous ceux qui lui sont unis dans la véri­té et dans l’amour.

Dans cette jus­tice, l’Esprit Saint, Esprit du Père et du Fils, qui « mani­feste le péché du monde », se révèle et se rend pré­sent dans l’homme comme Esprit de vie éter­nelle.

Troisième Partie – L’Esprit qui donne la vie

1. Motif du Jubilé de l’An 2000 : le Christ, qui a été conçu du Saint-Esprit

49. C’est vers l’Esprit Saint que se tournent la pen­sée et le cœur de l’Eglise en cette fin du ving­tième siècle et dans la pers­pec­tive du troi­sième mil­lé­naire depuis la venue au monde de Jésus Christ, tan­dis que nous por­tons notre regard vers le grand Jubilé par lequel l’Eglise célé­bre­ra l’é­vé­ne­ment. Cette venue prend place en effet, dans l’ordre du temps humain, comme un évé­ne­ment qui appar­tient à l’his­toire de l’homme sur la terre. La mesure du temps habi­tuel­le­ment adop­tée situe les années, les siècles, les mil­lé­naires selon qu’ils s’é­coulent avant ou après la nais­sance du Christ. Mais il faut aus­si avoir conscience que cet évé­ne­ment signi­fie pour nous chré­tiens, selon l’Apôtre, la « plé­ni­tude du temps »[193], car, par lui, c’est la « mesure » de Dieu lui-​même qui a tota­le­ment mar­qué l’his­toire de l’homme : une pré­sence trans­cen­dante dans le « nunc », l’Aujourd’hui éter­nel. « Celui qui est, qui était et qui vient» ; celui qui est « L’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin »[194]. « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a don­né son Fils unique, afin que qui­conque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éter­nelle »[195]. « Quand vint la plé­ni­tude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme … afin de nous confé­rer l’a­dop­tion filiale »[196]. Et cette Incarnation du Fils-​Verbe est adve­nue par l’Esprit Saint.

Les deux évan­gé­listes aux­quels nous devons le récit de la nais­sance et de l’en­fance de Jésus de Nazareth s’ex­priment sur cette ques­tion de la même manière. Selon Luc, lors de l’an­non­cia­tion de la nais­sance de Jésus, Marie demande : « Comment cela sera-​t-​il, puisque je ne connais pas d’homme ? », et elle reçoit cette réponse : « L’Esprit Saint vien­dra sur toi et la puis­sance du Tres-​Haut te pren­dra sous son ombre ; c’est pour­quoi l’être saint qui naî­tra sera appe­lé Fils de Dieu »[197].

Matthieu raconte direc­te­ment : « Telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était Sancée à Joseph : or, avant qu’ils eussent mené vie com­mune, elle se trou­va enceinte par le fait de l’Esprit Saint »[198]. Troublé par cet état de choses, Joseph reçut, durant son som­meil, l’ex­pli­ca­tion sui­vante : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engen­dré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfan­te­ra un fils, et tu l’ap­pel­le­ras du nom de Jésus : car c’est lui qui sau­ve­ra son peuple de ses péchés »[199].

Aussi l’Eglise, depuis les ori­gines, professe-​t-​elle le mys­tère de l’Incarnation, ce mys­tère cen­tral de la foi, en se réfé­rant à l’Esprit Saint. Ainsi s’ex­prime le Symbole des Apôtres : « Il a été conçu du Saint-​Esprit, est né de la Vierge Marie ». Ce n’est pas autre­ment que le Symbole de Nicée-​Constantinople atteste : « Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme ».

« Par l’Esprit Saint » s’est fait homme celui dont l’Eglise pro­clame, selon les termes du même Symbole, qu’il est le Fils de même nature que le Père : « Dieu, né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engen­dré, non pas créé ». Il s’est fait homme « en pre­nant chair de la Vierge Marie ». Voilà ce qui s’ac­com­plit « quand vint la plé­ni­tude du temps ».

50. Le grand Jubilé, qui conclu­ra le second mil­lé­naire et auquel l’Eglise se pré­pare déjà, a direc­te­ment un pro­fil chris­to­lo­gique : il s’a­git en effet de célé­brer la nais­sance de Jésus Christ. En même temps, il a un pro­fil pneu­ma­to­lo­gique, puisque le mys­tère de l’Incarnation s’est accom­pli « par le Saint-​Esprit ». Ce fut l’œuvre de cet Esprit qui, consub­stan­tiel au Père et au Fils, est, dans le mys­tère abso­lu de Dieu un et trine, la Personne-​Amour, le Don incréé, source éter­nelle de tout don qui pro­vient de Dieu dans l’ordre de la créa­tion, le prin­cipe direct et, en un sens, le sujet de la com­mu­ni­ca­tion que Dieu fait de lui-​même dans l’ordre de la grâce. De ce don, de cette com­mu­ni­ca­tion que Dieu fait de lui-​même, le mys­tère de l’Incarnation consti­tue le sommet.

En effet, la concep­tion et la nais­sance de Jésus Christ sont l’œuvre la plus grande accom­plie par l’Esprit Saint dans l’his­toire de la créa­tion et du salut, c’est-​à-​dire la grâce suprême – « la grâce d’u­nion » -, source de toute autre grâce, comme l’ex­plique saint Thomas[200]. Le grand Jubilé se rap­porte à cette œuvre et se rap­porte aus­si, si nous appro­fon­dis­sons son sens, à l’ar­ti­san de cette œuvre, à la Personne de l’Esprit Saint.

A la « plé­ni­tude du temps » cor­res­pond, en effet, une par­ti­cu­lière plé­ni­tude de la com­mu­ni­ca­tion que le Dieu un et trine fait de lui-​même dans l’Esprit Saint. « Par le Saint-​Esprit » s’ac­com­plit le mys­tère de l”« union hypo­sta­tique », c’est-​à-​dire de l’u­nion de la nature divine avec la nature humaine, de la divi­ni­té avec l’hu­ma­ni­té dans l’u­nique Personne du Verbe-​Fils. Quand Marie, au moment de l’an­non­cia­tion, pro­nonce son « fiat » : « Qu’il m’ad­vienne selon ta parole »[201], elle conçoit de façon vir­gi­nale un homme, le Fils de l’homme, qui est le Fils de Dieu. Grâce à une telle « huma­ni­sa­tion » du Verbe Fils, la com­mu­ni­ca­tion que Dieu fait de lui-​même atteint sa plé­ni­tude défi­ni­tive dans l’his­toire de la créa­tion et du salut. Cette plé­ni­tude acquiert une den­si­té par­ti­cu­lière et une élo­quence très expres­sive dans le texte de l’Evangile de Jean : « Le Verbe s’est fait chair »[202]. L’Incarnation de Dieu-​Fils signi­fie que la nature humaine est éle­vée à l’u­ni­té avec Dieu, mais aus­si, en elle, en un sens, tout ce qui est « chair » : toute l’hu­ma­ni­té, tout le monde visible et maté­riel. L’Incarnation a donc aus­si un sens cos­mique, une dimen­sion cos­mique. Le « premier-​né de toute créa­ture »[203], en s’in­car­nant dans l’hu­ma­ni­té indi­vi­duelle du Christ, s’u­nit en quelque sorte avec toute la réa­li­té de l’homme, qui est aus­si « chair »[204], et, en elle, avec toute « chair » avec toute la création.

51. Tout cela s’ac­com­plit par l’Esprit Saint, et appar­tient par consé­quent au conte­nu du futur grand Jubilé. L’Eglise ne peut se pré­pa­rer à ce Jubilé autre­ment que dans l’Esprit Saint. Ce qui, « dans la plé­ni­tude du temps », s’est accom­pli par l’Esprit Saint, ne peut main­te­nant res­sor­tir dans la mémoire de l’Eglise que par lui. C’est par lui que cela peut être ren­du pré­sent dans la nou­velle phase de l’his­toire de l’homme sur la terre : l’An 2000 après la nais­sance du Christ.

L’Esprit Saint qui, par sa puis­sance, prit sous son ombre le corps vir­gi­nal de Marie, réa­li­sant en elle le début de la mater­ni­té divine, ren­dit en même temps son cœur par­fai­te­ment obéis­sant à l’é­gard de cette com­mu­ni­ca­tion que Dieu fit de lui-​même et qui sur­pas­sait toute pen­sée et toute capa­ci­té de l’homme. « Bienheureuse celle qui a cru ! »[205]: voi­là la salu­ta­tion que reçoit Marie de la part de sa parente Elisabeth, elle aus­si « rem­plie de l’Esprit Saint »[206]. Dans les paroles qui saluent « celle qui a cru », il semble que l’on puisse voir un contraste loin­tain (mais en réa­li­té très proche) avec tous ceux dont le Christ dira qu”«ils n’ont pas cru »[207]. Marie est entrée dans l’his­toire du salut du monde par l’o­béis­sance de la foi. Et la foi, dans sa nature la plus pro­fonde, est l’ou­ver­ture du cœur humain devant le Don, devant la com­mu­ni­ca­tion que Dieu fait de lui-​même dans l’Esprit Saint. Saint Paul écrit : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et où est l’Esprit du Seigneur, là est la liber­té »[208]. Quand le Dieu un et trine s’ouvre à l’homme dans l’Esprit Saint, cette « ouver­ture » révèle et, en même temps, donne à la créature-​homme la plé­ni­tude de la liber­té. Cette plé­ni­tude s’est mani­fes­tée de façon sublime pré­ci­sé­ment dans la foi de Marie, par « l’o­béis­sance de la foi »[209]: oui, « bien­heu­reuse celle qui a cru ! ».

2. Motif du Jubilé : la grâce s’est manifestée

52. Dans le mys­tère de l’Incarnation, l’œuvre de l’Esprit, « qui donne la vie », atteint son som­met. Il n’est pos­sible de don­ner la vie, dont la plé­ni­tude est en Dieu, qu’en en fai­sant la vie d’un Homme, à savoir le Christ dans son huma­ni­té per­son­ni­fiée par le Verbe dans l’u­nion hypo­sta­tique. Et en même temps, par le mys­tère de l’Incarnation, jaillit d’une nou­velle manière la source de cette vie divine dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té : l’Esprit Saint. Le Verbe, « premier-​né de toute créa­ture », devient « l’aî­né d’une mul­ti­tude de frères »[210] et il devient ain­si la tête du corps qu’est l’Eglise, laquelle naî­tra de la Croix et sera mani­fes­tée le jour de la Pentecôte, et, dans l’Eglise, il sera la tête de l’hu­ma­ni­té, des hommes de toute nation, de toute race, de tout pays et de toute culture, de toute langue et de tout conti­nent, tous appe­lés au salut. « Le Verbe s’est fait chair », lui en qui « était la vie et la vie était la lumière des hommes … A tous ceux qui l’ont accueilli, il a don­né pou­voir de deve­nir enfants de Dieu »[211]. Mais tout cela s’est accom­pli et s’ac­com­plit sans cesse « par l’Esprit Saint ».

Ils sont en effet « enfants de Dieu », d’a­près l’en­sei­gne­ment de l’Apôtre, « tous ceux qu’a­nime l’Esprit de Dieu »[212]. La filia­tion de l’a­dop­tion divine naît dans les hommes à par­tir du mys­tère de l’Incarnation, donc grâce au Christ, le Fils éter­nel. Mais la nais­sance, ou la renais­sance, se réa­lise lorsque Dieu le Père « envoie dans nos cœurs l’Esprit de son Fils »[213]. Car nous rece­vons alors « un esprit de fils adop­tifs qui nous fait nous écrier : « Abba ! Père ! « »[214]. Ainsi donc, cette filia­tion de Dieu, gref­fée dans l’âme humaine par la grâce sanc­ti­fiante, est l’œuvre de l’Esprit Saint. « L’Esprit en per­sonne se joint à notre esprit pour attes­ter que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héri­tiers ; héri­tiers de Dieu, et cohé­ri­tiers du Christ »[215]. La grâce sanc­ti­fiante est dans l’homme le prin­cipe et la source de la vie nou­velle : vie divine, surnaturelle.

Le don de cette vie nou­velle est comme la réponse défi­ni­tive de Dieu aux paroles du psal­miste, dans les­quelles, en quelque sorte, la voix de toutes les créa­tures trouve un écho : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renou­velles la face de la terre »[216]. Celui qui, dans le mys­tère de la créa­tion, donne à l’homme et au cos­mos la vie sous ses mul­tiples formes visibles et invi­sibles, la renou­velle encore par le mys­tère de l’Incarnation. La créa­tion est ain­si com­plé­tée par l’Incarnation et péné­trée dès lors par les forces de la Rédemption qui enva­hissent l’hu­ma­ni­té et toute la créa­tion. C’est ce que dit saint Paul ; sa vision cos­mique et théo­lo­gique semble reprendre les termes du psaume ancien : « La créa­tion en attente aspire à la révé­la­tion des fils de Dieu »[217], c’est-​à-​dire de ceux que Dieu a « d’a­vance dis­cer­nés », et aus­si « pré­des­ti­nés à repro­duire l’i­mage de son Fils »[218]. Les hommes connaissent ain­si une « adop­tion filiale » sur­na­tu­relle, et le Saint-​Esprit, Amour et Don, en est l’o­ri­gine. Comme tel, il est don­né aux hommes. Et de la sur­abon­dance du Don incréé, chaque homme reçoit dans son cœur le don créé par­ti­cu­lier par lequel les hommes « deviennent par­ti­ci­pants de la nature divine »[219]. Ainsi, la vie humaine est péné­trée de la vie divine à laquelle elle par­ti­cipe, et elle acquiert, elle aus­si, une dimen­sion divine, sur­na­tu­relle. Ainsi naît la vie nou­velle, par laquelle, en par­ti­ci­pant au mys­tère de l’Incarnation, « les hommes… accèdent, dans l’Esprit Saint, auprès du Père »[220]. Il y a donc une étroite dépen­dance de cau­sa­li­té entre l’Esprit qui donne la vie, la grâce sanc­ti­fiante, et la vita­li­té sur­na­tu­relle mul­ti­forme qui en découle dans l’homme : entre l’Esprit incréé et l’es­prit humain créé.

53. On peut dire que tout cela rentre dans le cadre du grand Jubilé déjà évo­qué. Car il faut dépas­ser la dimen­sion his­to­rique du fait, consi­dé­ré super­fi­ciel­le­ment. Il faut joindre au conte­nu chris­to­lo­gique de l’é­vé­ne­ment la dimen­sion pneu­ma­to­lo­gique, en regar­dant dans la foi l’en­semble des deux mil­lé­naires où s’est exer­cée l’ac­tion de l’Esprit de véri­té : celui-​ci, au cours des siècles, a pui­sé au tré­sor de la Rédemption du Christ, don­nant aux hommes la vie nou­velle, réa­li­sant en eux l’a­dop­tion dans le Fils unique, les sanc­ti­fiant, en sorte qu’ils peuvent redire à la suite de saint Paul : « Nous avons reçu l’Esprit de Dieu »[221].

Mais, en consi­dé­rant ce motif du Jubilé, il n’est pas pos­sible de se limi­ter aux deux mille ans écou­lés depuis la nais­sance du Christ. Il faut remon­ter en arrière, embras­ser aus­si toute l’ac­tion de l’Esprit Saint avant le Christ – depuis le com­men­ce­ment – dans le monde entier et spé­cia­le­ment dans l’é­co­no­mie de l’Ancienne Alliance. Cette action, en effet, en tout lieu et en tout temps, même en tout homme, s’est accom­plie selon l’é­ter­nel des­sein de salut, dans lequel elle est étroi­te­ment unie au mys­tère de l’Incarnation et de la Rédemption ; ce mys­tère avait lui-​même exer­cé son influence sur ceux qui croyaient au Christ à venir. La Lettre aux Ephésiens l’at­teste de façon par­ti­cu­lière[222]. Ainsi la grâce com­porte en même temps un carac­tère chris­to­lo­gique et un carac­tère pneu­ma­to­lo­gique, qui se retrouvent sur­tout en ceux qui adhèrent expli­ci­te­ment au Christ : « En lui (dans le Christ) … vous avez été mar­qués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui consti­tue les arrhes de notre héri­tage et pré­pare la rédemp­tion du Peuple que Dieu s’est acquis »[223].

Mais, tou­jours dans la pers­pec­tive du grand Jubilé, nous devons aus­si por­ter plus loin notre regard et avan­cer « vers le large », en sachant que « le vent sou­file où il veut », selon l’i­mage employée par Jésus dans la conver­sa­tion avec Nicodème[224]. Le Concile Vatican II, cen­tré prin­ci­pa­le­ment sur le thème de l’Eglise, nous rap­pelle que l’Esprit Saint agit aus­si « à l’ex­té­rieur » du corps visible de l’Eglise. Il parle jus­te­ment de « tous les hommes de bonne volon­té, dans le cœur des­quels, invi­si­ble­ment, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la voca­tion der­nière de l’homme est réel­le­ment unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la pos­si­bi­li­té d’être asso­ciés au mys­tère pas­cal »[225].

54. « Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est dans l’es­prit et la véri­té qu’ils doivent ado­rer »[226]. Ces paroles, Jésus les a dites à la Samaritaine dans un autre de ses dia­logues. Le grand Jubilé, qui sera célé­bré au terme de ce mil­lé­naire et au début du sui­vant, doit être un puis­sant appel adres­sé à tous ceux qui « adorent Dieu dans l’es­prit et la véri­té ». Il doit être pour tous une occa­sion par­ti­cu­lière de médi­ter le mys­tère de Dieu un et trine, qui, en lui-​même, est abso­lu­ment trans­cen­dant par rap­port au monde, spé­cia­le­ment par rap­port au monde visible ; il est en effet Esprit au sens abso­lu, « Dieu est esprit »[227]; et, en même temps, d’une façon admi­rable, il est non seule­ment proche de ce monde, mais il y est pré­sent et, en un sens, imma­nent, il le pénètre et le vivi­fie de l’in­té­rieur. Cela vaut d’une manière spé­ciale pour l’homme : Dieu est pré­sent dans la pro­fon­deur de son être, de sa pen­sée, de sa conscience, de son cœur ; réa­li­té psy­cho­lo­gique et onto­lo­gique, qui fai­sait dire à saint Augustin, en par­lant de Dieu : « inter­ior inti­mo meo »[228]. Ces paroles nous aident à mieux com­prendre celles que Jésus adres­sait à la Samaritaine : « Dieu est esprit ». Seul l’Esprit peut être inter­ior inti­mo meo – plus intime à moi que moi-​même -, au niveau de l’être ou au niveau de l’ex­pé­rience spi­ri­tuelle ; seul l’Esprit peut être à ce point imma­nent à l’homme et au monde, en demeu­rant invio­lable et sans chan­ge­ment dans son abso­lue transcendance.

Mais, en Jésus Christ, la pré­sence divine dans le monde et dans l’homme s’est mani­fes­tée de façon nou­velle et sous forme visible. En lui véri­ta­ble­ment « la grâce s’est mani­fes­tée »[229]. L’amour de Dieu le Père, Don, grâce infi­nie, prin­cipe de vie, est deve­nu visible dans le Christ, et, par l’hu­ma­ni­té du Christ, il est deve­nu « par­tie » de l’u­ni­vers, du genre humain, de l’his­toire. Cette « mani­fes­ta­tion » de la grâce dans l’his­toire de l’homme, en Jésus Christ, s’est accom­plie par l’Esprit Saint, qui est le prin­cipe de toute action sal­vi­fique de Dieu dans le monde, lui, le « Dieu caché »[230] qui, comme Amour et Don, « rem­plit l’u­ni­vers »[231]. Toute la vie de l’Eglise, telle qu’elle se mani­fes­te­ra dans le grand Jubilé, signi­fie aller à la ren­contre du Dieu invi­sible, à la ren­contre de l’Esprit qui donne la vie.

3. L’Esprit Saint dans le conflit interne de l’homme : La chair, en ses désirs, s’oppose à l’esprit et l’esprit à la chair

55. Hélas, l’his­toire du salut le montre, cette proxi­mi­té et cette pré­sence de Dieu à l’homme et au monde, cette admi­rable « condes­cen­dance » de l’Esprit, ren­contre dans notre réa­li­té humaine résis­tance et oppo­si­tion. Quelle élo­quence revêtent, de ce point de vue, les paroles pro­phé­tiques du vieillard Syméon qui, « pous­sé par l’Esprit », vint au Temple de Jérusalem, pour annon­cer devant le nouveau-​né de Bethléem qu’il devait « ame­ner la chute et le relè­ve­ment d’un grand nombre en Israël, signe en butte à la contra­dic­tion » ![232] L’opposition à Dieu, qui est Esprit invi­sible, naît déjà, dans une cer­taine mesure, sur le ter­rain de la dif­fé­rence radi­cale du monde par rap­port à Lui, c’est-​à-​dire de sa « visi­bi­li­té » et de sa « maté­ria­li­té » par rap­port à Lui qui est « invi­sible » et « Esprit au sens abso­lu» ; elle naît de son imper­fec­tion natu­relle et inévi­table par rap­port à Lui, l’être abso­lu­ment par­fait. Mais l’op­po­si­tion devient conflit, rébel­lion, sur le plan éthique, à cause du péché qui prend pos­ses­sion du cœur humain, dans lequel « la chair s’op­pose à l’es­prit et l’es­prit à la chair »[233]. Ce péché, l’Esprit Saint doit le « mettre en lumière » dans le monde, comme nous l’a­vons dit.

Saint Paul est celui qui décrit avec une par­ti­cu­lière élo­quence la ten­sion et la lutte qui agitent le cœur humain. « Ecoutez-​moi – lisons-​nous dans la Lettre aux Galates -: mar­chez sous l’im­pul­sion de l’Esprit et vous n’ac­com­pli­rez plus ce que la chair désire. Car la chair, en ses dési­rs, s’op­pose à l’es­prit et l’es­prit à la chair ; entre eux, c’est l’an­ta­go­nisme ; aus­si ne faites-​vous pas ce que vous vou­lez »[234]. Déjà dans l’homme, parce qu’il est un être com­po­sé, esprit et corps, il existe une cer­taine ten­sion, il se déroule une cer­taine lutte de ten­dances entre l”«esprit » et la « chair ». Mais cette lutte, en fait, appar­tient à l’hé­ri­tage du péché, elle en est une consé­quence et, en même temps, une confir­ma­tion. Elle fait par­tie de l’ex­pé­rience quo­ti­dienne. Comme l’é­crit l’Apôtre : « On sait bien tout ce que pro­duit la chair : for­ni­ca­tion, impu­re­té, débauche, … orgies, ripailles et choses sem­blables ». Il s’a­git là des péchés qu’on pour­rait qua­li­fier de « char­nels ». L’Apôtre en ajoute d’autres encore : « Haines, dis­corde, jalou­sie, … dis­sen­sions, divi­sions, scis­sions, sen­ti­ments d’en­vie …»[235]. Tout cela consti­tue « les œuvres de la chair ».

Mais à ces œuvres qui sont indu­bi­ta­ble­ment mau­vaises, Paul oppose « le fruit de l’Esprit », qui est « cha­ri­té, joie, paix, lon­ga­ni­mi­té, ser­via­bi­li­té, bon­té, confiance dans les autres, dou­ceur, maî­trise de soi »[236]. Du contexte, il res­sort clai­re­ment que, pour l’Apôtre, il ne s’a­git pas de mépri­ser et de condam­ner le corps qui, avec l’âme spi­ri­tuelle, consti­tue la nature de l’homme et sa per­son­na­li­té de sujet ; il traite, par contre, des œuvres ou plu­tôt des dis­po­si­tions stables – ver­tus et vices – mora­le­ment bonnes ou mau­vaises, qui sont le fruit de la sou­mis­sion (dans le pre­mier cas) ou au contraire de la résis­tance (dans le second cas) à l’ac­tion sal­va­trice de l’Esprit Saint. C’est pour­quoi l’Apôtre écrit : « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aus­si agir »[237]. Et dans d’autres pas­sages : « Ceux en effet qui vivent selon la chair dési­rent ce qui est char­nel ; ceux qui vivent selon l’es­prit, ce qui est spi­ri­tuel ». « Vous êtes sous l’emprise de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous »[238]. L’opposition que saint Paul montre entre la vie « selon l’Esprit » et la vie « selon la chair » entraîne une autre oppo­si­tion : celle de la « vie » et celle de la « mort ». « Le désir de la chair, c’est la mort, tan­dis que le désir de l’es­prit, c’est la vie et la paix» ; d’où l’a­ver­tis­se­ment : « Si vous vivez selon la chair, vous mour­rez. Mais si par l’Esprit vous faites mou­rir les œuvres du corps, vous vivrez »[239].

Tout bien consi­dé­ré, il y a là une exhor­ta­tion à vivre dans la véri­té, c’est-​à-​dire selon les exi­gences de la conscience droite, et il s’a­git, en même temps, d’une pro­fes­sion de foi dans l’Esprit de véri­té, celui qui donne la vie. Le corps, en effet, « est mort en rai­son du péché, mais l’Esprit est vie en rai­son de la jus­tice» ; « ain­si donc … nous sommes débi­teurs, mais non point envers la chair pour vivre selon la chair »[240]. Nous sommes plu­tôt débi­teurs envers le Christ qui, dans le mys­tère pas­cal, a accom­pli notre jus­ti­fi­ca­tion, en nous obte­nant l’Esprit Saint : « Quelqu’un a payé le prix de votre rachat »[241].

Dans les textes de saint Paul se super­posent et s’im­briquent la dimen­sion onto­lo­gique (la chair et l’es­prit), la dimen­sion éthique (le bien et le mal moral), la dimen­sion pneu­ma­to­lo­gique (l’ac­tion de l’Esprit Saint dans l’ordre de la grâce). Ses paroles (spé­cia­le­ment dans les Lettres aux Romains et aux Galates) nous font connaître et res­sen­tir vive­ment la vigueur de la ten­sion et de la lutte qui se déroulent dans l’homme entre, d’un côté, l’ou­ver­ture à l’ac­tion de l’Esprit Saint, et, de l’autre, la résis­tance et l’op­po­si­tion à son égard, à son don sal­vi­fique. Les termes ou les pôles oppo­sés sont, de la part de l’homme, ses limi­ta­tions et son carac­tère pécheur, points névral­giques de sa réa­li­té psy­cho­lo­gique et éthique ; et, de la part de Dieu, le mys­tère du Don, ce don inces­sant de la vie divine dans l’Esprit Saint. Qui sera vic­to­rieux ? Celui qui aura su accueillir le Don.

56. Malheureusement, la résis­tance à l’Esprit Saint, que saint Paul sou­ligne dans sa dimen­sion inté­rieure et sub­jec­tive comme une ten­sion, une lutte, une rébel­lion sur­ve­nant dans le cœur humain, trouve, aux diverses époques de l’his­toire, et spé­cia­le­ment à l’é­poque moderne, sa dimen­sion exté­rieure, concré­ti­sée, dans le conte­nu de la culture et de la civi­li­sa­tion, par les sys­tèmes phi­lo­so­phiques, les idéo­lo­gies, les pro­grammes d’ac­tion et de for­ma­tion des com­por­te­ments humains. Elle trouve son expres­sion la plus impor­tante dans le maté­ria­lisme, aus­si bien sous sa forme théo­rique, comme sys­tème de pen­sée, que sous sa forme pra­tique, comme méthode de lec­ture et d’é­va­lua­tion des faits et aus­si comme pro­gramme pour des com­por­te­ments cor­res­pon­dants. Le sys­tème qui a don­né le plus grand déve­lop­pe­ment à cette forme de pen­sée, d’i­déo­lo­gie et de praxis, et qui l’a por­tée aux plus extrêmes consé­quences sur le plan de l’ac­tion, est le maté­ria­lisme dia­lec­tique et his­to­rique, encore recon­nu comme le noyau sub­stan­tiel du marxisme.

Par prin­cipe et en fait, le maté­ria­lisme exclut radi­ca­le­ment la pré­sence et l’ac­tion de Dieu, qui est esprit, dans le monde et par-​dessus tout dans l’homme, pour la rai­son fon­da­men­tale qu’il n’ac­cepte pas son exis­tence, puis­qu’il est, en soi et dans son pro­gramme, un sys­tème athée. L’athéisme est le phé­no­mène impres­sion­nant de notre temps : le Concile Vatican II lui a consa­cré quelques pages signi­fi­ca­tives[242]. Même si l’on ne peut par­ler de l’a­théisme de manière uni­voque, et si l’on ne peut le réduire exclu­si­ve­ment à la phi­lo­so­phie maté­ria­liste, étant don­né qu’il existe diverses formes d’a­théisme et que l’on peut dire sans doute que ce mot est sou­vent employé dans un sens équi­voque, il est tou­te­fois cer­tain qu’un maté­ria­lisme véri­table, au sens propre du terme, a un carac­tère athée, lors­qu’on l’en­tend comme une théo­rie qui explique la réa­li­té et lors­qu’on l’a­dopte pour pre­mier prin­cipe de l’ac­tion per­son­nelle et sociale. L’horizon des valeurs et des fins de l’a­gir que le maté­ria­lisme déter­mine est étroi­te­ment lié à l’in­ter­pré­ta­tion de la tota­li­té de la réa­li­té comme « matière ». Si, par­fois, il parle encore de l”«esprit » et des « ques­tions de l’es­prit », par exemple dans le domaine de la culture ou de la morale, il le fait seule­ment en consi­dé­rant cer­tains faits comme déri­vés (épi­phé­no­mènes) de la matière, qui est, selon ce sys­tème, la forme unique et exclu­sive de l’être. Il s’en­suit que, selon cette inter­pré­ta­tion, la reli­gion ne peut se com­prendre que comme une sorte d”«illusion idéa­liste », à com­battre selon les manières et les méthodes les plus appro­priées aux lieux et aux cir­cons­tances his­to­riques, pour l’é­li­mi­ner de la socié­té et du cœur même de l’homme.

On peut donc dire que le maté­ria­lisme est le déve­lop­pe­ment sys­té­ma­tique et cohé­rent de la « résis­tance » et de l’op­po­si­tion dénon­cées par saint Paul lors­qu’il dit : « La chair … s’op­pose à l’es­prit ». Cette réa­li­té conflic­tuelle est cepen­dant réci­proque, comme le sou­ligne l’Apôtre dans la seconde par­tie de son apho­risme : « L’esprit s’op­pose à la chair ». Celui qui veut vivre selon l’Esprit, en accep­tant son action sal­vi­fique et en s’y confor­mant, ne peut pas ne pas repous­ser les ten­dances et les pré­ten­tions de la « chair », qu’elles soient inté­rieures ou exté­rieures, y com­pris dans leur expres­sion idéo­lo­gique et his­to­rique de « maté­ria­lisme » anti­re­li­gieux. Sur cette toile de fond si carac­té­ris­tique de notre temps, il faut sou­li­gner les « dési­rs de l’es­prit » dans la pré­pa­ra­tion du grand Jubilé : ils sont des appels qui résonnent dans la nuit d’une nou­velle période d’Avent, au terme de laquelle, comme il y a deux mille ans, « toute chair ver­ra le salut de Dieu »[243]. Voilà une pos­si­bi­li­té et une espé­rance que l’Eglise confie aux hommes d’au­jourd’­hui. Elle sait que la ren­contre, l’af­fron­te­ment entre, d’une part, les « dési­rs contraires à l’Esprit », qui carac­té­risent tant d’as­pects de la civi­li­sa­tion contem­po­raine spé­cia­le­ment en cer­tains domaines, et, d’autre part, les « dési­rs contraires à la chair » – avec le fait que Dieu s’est ren­du proche de nous, avec son Incarnation, avec la com­mu­ni­ca­tion tou­jours nou­velle qu’il fait de lui-​même dans l’Esprit Saint -, peut pré­sen­ter en cer­tains cas un carac­tère dra­ma­tique et abou­tir peut-​être à de nou­velles défaites humaines. Mais l’Eglise croit fer­me­ment que, pour sa part, Dieu ne cesse de se don­ner lui-​même pour le salut, de venir pour le salut, et, au besoin, de « mani­fes­ter le péché » pour le salut, par l’Esprit.

57. Dans l’op­po­si­tion pau­li­nienne entre l”«Esprit » et la « chair » s’ins­crit aus­si l’op­po­si­tion entre la « vie » et la « mort ». Il s’a­git là d’un grave pro­blème, et il faut dire aus­si­tôt à ce pro­pos que le maté­ria­lisme, comme sys­tème de pen­sée, dans toutes ses ver­sions, signi­fie l’ac­cep­ta­tion de la mort comme terme défi­ni­tif de l’exis­tence humaine. Tout ce qui est maté­riel est cor­rup­tible et, par consé­quent, le corps humain (en tant qu”«animal ») est mor­tel. Si l’homme, dans son essence, n’est que « chair », la mort demeure pour lui une fron­tière et un terme infran­chis­sables. On com­prend alors com­ment on arrive à dire que la vie humaine n’est rien d’autre qu’un « exis­ter pour mourir ».

Il faut ajou­ter que, à l’ho­ri­zon de la civi­li­sa­tion contem­po­raine – spé­cia­le­ment là où elle s’est le plus déve­lop­pée du point de vue tech­nique et scien­ti­fique -, les signes et les signaux de mort sont deve­nus par­ti­cu­liè­re­ment pré­sents et fré­quents. Il suf­fit de pen­ser à la course aux arme­ments et au dan­ger qu’elle com­porte d’une auto­des­truc­tion nucléaire. D’autre part, tous peuvent consta­ter de plus en plus la situa­tion grave de vastes régions de notre pla­nète, affec­tées par l’in­di­gence et la faim por­teuses de mort. Il ne s’a­git pas seule­ment de pro­blèmes éco­no­miques, mais aus­si et avant tout de pro­blèmes éthiques. Cependant, à l’ho­ri­zon de notre époque s’ac­cu­mulent des « signes de mort » encore plus sombres : l’u­sage s’est répan­du – et en cer­tains lieux il risque de deve­nir presque une ins­ti­tu­tion – d’ô­ter la vie aux êtres humains avant même leur nais­sance, ou avant qu’ils ne soient arri­vés au seuil natu­rel de la mort. Il faut ajou­ter que, mal­gré tant de nobles efforts en faveur de la paix, de nou­velles guerres ont écla­té et sont en cours : elles privent de la vie ou de la san­té des cen­taines de mil­liers d’êtres humains. Et com­ment ne pas rap­pe­ler les atten­tats contre la vie humaine qui viennent du ter­ro­risme, orga­ni­sé même à l’é­chelle internationale ?

Hélas, ce n’est là qu’une esquisse par­tielle et incom­plète du tableau de mort qu’on est en train de com­po­ser à notre époque, alors que nous sommes de plus en plus proches de la fin du deuxième mil­lé­naire du chris­tia­nisme. Est-​ce que, des sombres cou­leurs de la civi­li­sa­tion maté­ria­liste et en par­ti­cu­lier de ces signes de mort qui se mul­ti­plient dans le cadre socio­lo­gique et his­to­rique où elle s’est déve­lop­pée, ne monte pas, plus ou moins consciente, une nou­velle invo­ca­tion à l’Esprit qui donne la vie ? En tout cas, même indé­pen­dam­ment de l’am­pleur des espoirs ou des déses­poirs humains, comme des illu­sions ou des dupe­ries, qui résultent du déve­lop­pe­ment des sys­tèmes maté­ria­listes de pen­sée et de vie, la cer­ti­tude chré­tienne demeure que l’Esprit souffle où il veut et que nous pos­sé­dons « les pré­mices de l’Esprit », que, par consé­quent, nous pou­vons sans doute endu­rer les souf­frances du temps qui passe, mais « nous gémis­sons… inté­rieu­re­ment dans l’at­tente de la rédemp­tion de notre corps »[244], c’est-​à-​dire de tout notre être humain qui est cor­po­rel et spi­ri­tuel. Oui, nous gémis­sons, mais dans une attente char­gée d’une espé­rance indé­fec­tible, jus­te­ment parce que Dieu, qui est Esprit, s’est ren­du proche de cet être humain que nous sommes. Dieu le Père, « en envoyant son propre Fils avec une chair sem­blable à celle du péché et en vue du péché, a condam­né le péché »[245]. Au som­met du mys­tère pas­cal, le Fils de Dieu, fait homme et cru­ci­fié pour les péchés du monde, s’est pré­sen­té au milieu de ses Apôtres après la résur­rec­tion, il a envoyé sur eux son souffle et il a dit : « Recevez l’Esprit Saint ». Ce « souffle » conti­nue tou­jours. Et voi­ci que « l’Esprit vient au secours de notre fai­blesse »[246].

4. L’Esprit Saint vient affermir l”«homme intérieur »

58. Le mys­tère de la Résurrection et de la Pentecôte est annon­cé et vécu par l’Eglise, qui reçoit et conti­nue le témoi­gnage des Apôtres sur la Résurrection de Jésus Christ. Elle est le témoin per­ma­nent de cette vic­toire sur la mort, qui a révé­lé la puis­sance de l’Esprit Saint et qui a déter­mi­né sa nou­velle venue, sa nou­velle pré­sence dans les hommes et dans le monde. En effet, à la Résurrection du Christ, l’Esprit Saint-​Paraclet s’est révé­lé sur­tout comme celui qui donne la vie : « Celui qui a res­sus­ci­té le Christ Jésus d’entre les morts don­ne­ra aus­si la vie à vos corps mor­tels par son Esprit qui habite en vous »[247]. Au nom de la Résurrection du Christ, l’Eglise annonce la vie qui s’est mani­fes­tée au-​delà des limites de la mort, la vie qui est plus forte que la mort. En même temps, elle annonce Celui qui donne cette vie : l’Esprit qui fait vivre ; elle l’an­nonce et elle coopère avec lui pour don­ner la vie. En effet, « bien que le corps soit déjà mort en rai­son du péché, l’Esprit est vie en rai­son de la jus­tice »[248] obte­nue par le Christ cru­ci­fié et res­sus­ci­té. Et au nom de la Résurrection du Christ, l’Eglise sert la vie qui pro­vient de Dieu lui-​même, en étroite union avec l’Esprit, et hum­ble­ment à son service.

Par ce ser­vice, jus­te­ment, l’homme devient de façon tou­jours nou­velle la « route de l’Eglise » : je l’ai déjà dit dans l’en­cy­clique sur le Christ Rédempteur[249] et je le redis aujourd’­hui dans celle sur l’Esprit Saint. Unie à l’Esprit, l’Eglise est consciente, plus que qui­conque, de la réa­li­té de l’homme inté­rieur, des traits de l’homme les plus pro­fonds et les plus essen­tiels, parce que spi­ri­tuels et incor­rup­tibles. A ce niveau, l’Esprit implante en lui la « racine de l’im­mor­ta­li­té »[250], d’où jaillit la vie nou­velle, c’est-​à-​dire la vie de l’homme en Dieu, qui, comme fruit du don sal­vi­fique que Dieu fait de lui-​même dans l’Esprit Saint, ne peut se déve­lop­per et se conso­li­der que par l’ac­tion de l’Esprit. C’est pour­quoi l’Apôtre s’a­dresse à Dieu en faveur des croyants, aux­quels il déclare : « Je flé­chis les genoux en pré­sence du Père… Qu’il daigne… vous armer de puis­sance par son Esprit pour que se for­ti­fie en vous l’homme inté­rieur »[251].

Sous l’in­fluence de l’Esprit Saint, cet homme inté­rieur, c’est-​à-​dire « spi­ri­tuel », mûrit et devient plus fort. Grâce à cette com­mu­ni­ca­tion divine, l’es­prit humain qui « connaît ce qui concerne l’homme » ren­contre « l’Esprit qui sonde tout jus­qu’aux pro­fon­deurs de Dieu »[252]. Dans cet Esprit, qui est le Don éter­nel, le Dieu un et trine s’ouvre à l’homme, à l’es­prit humain. Le souffle caché de l’Esprit divin fait que l’es­prit humain s’ouvre à son tour en face de Dieu qui s’ouvre à lui pour le sau­ver et le sanc­ti­fier. Par le don de la grâce effi­cace qui vient de l’Esprit, l’homme entre dans « une vie nou­velle », il est intro­duit dans la réa­li­té sur­na­tu­relle de la vie divine elle-​même et il devient « une demeure de l’Esprit Saint », un « temple vivant de Dieu »[253].

Par l’Esprit Saint, en effet, le Père et le Fils viennent vers lui et éta­blissent une demeure chez lui[254]. Dans la com­mu­nion de grâce avec la Trinité s’é­lar­git « l’es­pace vital » de l’homme, éle­vé au niveau sur­na­tu­rel de la vie divine. L’homme vit en Dieu et de Dieu : il vit « selon l’Esprit » et « désire ce qui est spirituel ».

59. Grâce à la rela­tion d’in­ti­mi­té avec Dieu dans l’Esprit Saint, l’homme se com­prend éga­le­ment lui-​même d’une façon nou­velle, il com­prend sa propre huma­ni­té. L’image, la res­sem­blance de Dieu qu’est l’homme depuis le com­men­ce­ment est ain­si plei­ne­ment réa­li­sée[255]. Cette véri­té intime de l’être humain doit être conti­nuel­le­ment redé­cou­verte à la lumière du Christ qui est le modèle du rap­port avec Dieu, et en lui doit être éga­le­ment redé­cou­verte la rai­son pour laquelle l’homme « ne peut plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même » en union avec les autres hommes, comme l’é­crit le Concile Vatican II, jus­te­ment en rai­son de la res­sem­blance avec Dieu qui « montre bien que l’homme … (est) l’u­nique créa­ture que Dieu a vou­lue pour elle-​même » dans sa digni­té de per­sonne, mais aus­si dans son ouver­ture à l’in­té­gra­tion et à la com­mu­nion avec les autres[256]. La connais­sance effec­tive et la réa­li­sa­tion plé­nière de cette véri­té de l’être adviennent seule­ment par l’Esprit Saint. L’homme apprend cette véri­té de Jésus Christ, et il la met en œuvre dans sa propre vie, par l’Esprit que lui-​même nous a donné.

Sur ce che­min – sur le che­min d’une telle matu­ra­tion inté­rieure qui com­porte la pleine décou­verte du sens de l’hu­ma­ni­té -, Dieu se rend intime à l’homme, il pénètre tou­jours plus à fond dans tout le monde humain. Dieu un et trine, qui « existe » en lui-​même comme réa­li­té trans­cen­dante du Don inter­per­son­nel, en se com­mu­ni­quant dans l’Esprit Saint comme Don à l’homme, trans­forme le monde humain de l’in­té­rieur, dans les cœurs et dans les consciences. Sur ce che­min, le monde, ren­du par­ti­ci­pant du Don divin, devient, comme l’en­seigne le Concile, « tou­jours plus humain, tou­jours plus pro­fon­dé­ment humain »[257], tan­dis qu’en lui, à tra­vers les cœurs et les consciences des hommes, se déve­loppe le Règne dans lequel Dieu sera défi­ni­ti­ve­ment « tout en tous »[258], comme Don et Amour. Don et Amour : telle est l’é­ter­nelle puis­sance du Dieu un et trine qui s’ouvre lui-​même à l’homme et au monde dans l’Esprit Saint.

Dans la pers­pec­tive de l’An 2000 après la nais­sance du Christ, il s’a­git de par­ve­nir à ce qu’un nombre tou­jours plus grand d’hommes « puissent se trou­ver plei­ne­ment à tra­vers le don dés­in­té­res­sé d’eux-​mêmes ». Il s’a­git de par­ve­nir à la réa­li­sa­tion en notre monde, sous l’ac­tion de l’Esprit-​Paraclet, d’un pro­ces­sus de vraie matu­ra­tion dans l’hu­ma­ni­té, dans la vie indi­vi­duelle comme dans la vie com­mu­nau­taire : c’est à ce pro­pos que Jésus lui-​même, « quand il prie le Père pour que « tous soient un…, comme nous sommes un » (Jn 17, 21–22), … nous sug­gère qu’il y a une cer­taine res­sem­blance entre l’u­nion des per­sonnes divines et celle des fils de Dieu dans la véri­té et dans l’a­mour »[259]. Le Concile redit cette véri­té sur l’homme, et l’Eglise voit en elle une indi­ca­tion par­ti­cu­liè­re­ment forte et déter­mi­nante de ses tâches apos­to­liques. Si, en effet, l’homme est la route de l’Eglise, cette route pase à tra­vers tout le mys­tère du Christ, modèle divin de l’homme. Sur cette route, l’Esprit Saint, en affer­mis­sant en cha­cun de nous « l’homme inté­rieur », fait que l’homme, tou­jours plus, « se trouve plei­ne­ment à tra­vers le don dés­in­té­res­sé de lui-​même ». On peut dire que, dans ces paroles de la Constitution pas­to­rale du Concile, est résu­mée toute l’an­thro­po­lo­gie chré­tienne, la théo­rie et la pra­tique fon­dées sur l’Evangile, où l’homme découvre en lui-​même son appar­te­nance au Christ et, en lui, son élé­va­tion à la digni­té de fils de Dieu ; il com­prend mieux aus­si sa digni­té d’homme, pré­ci­sé­ment parce qu’il est le sujet de la pré­sence de Dieu qui se rap­proche de lui, le sujet de la bien­veillance divine, dans laquelle se trouvent la pers­pec­tive et même la racine de la glo­ri­fi­ca­tion défi­ni­tive. Alors on peut vrai­ment redire que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu »[260]: l’homme, en vivant une vie divine, est la gloire de Dieu ; l’Esprit Saint est le dis­pen­sa­teur caché de cette vie et de cette gloire. Selon Basile le Grand, « simple par son essence, mais se mani­fes­tant par des actions variées, … il se donne en par­tage, mais garde son inté­gri­té ; … pré­sent à cha­cun de ceux qui peuvent le rece­voir comme si celui-​ci était unique, il répand sur tous la grâce en plé­ni­tude »[261].

60. Lorsque, sous l’in­fluence du Paraclet, les hommes découvrent cette dimen­sion divine de leur être et de leur vie, comme per­sonnes ou comme com­mu­nau­tés, ils sont en mesure de se libé­rer des divers déter­mi­nismes qui résultent prin­ci­pa­le­ment des fon­de­ments maté­ria­listes de la pen­sée, de la praxis et de ses méthodes. A notre époque, ces élé­ments ont réus­si à péné­trer jus­qu’au cœur de l’homme, dans le sanc­tuaire de la conscience où sans cesse l’Esprit Saint fait entrer la lumière et la force de la nou­velle vie selon la « liber­té des enfants de Dieu ». La matu­ri­té de l’homme dans cette vie est entra­vée par les condi­tion­ne­ments et par les pres­sions qu’exercent sur lui les struc­tures et les méca­nismes domi­nants dans les divers sec­teurs de la socié­té. On peut dire que, dans bien des cas, les fac­teurs sociaux, loin de favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment et l’ex­pan­sion de l’es­prit humain, finissent par l’ar­ra­cher à la véri­té authen­tique de son être et de sa vie – sur laquelle veille l’Esprit Saint – et par le sou­mettre au « Prince de ce monde ».

Le grand Jubilé de l’An 2000 contient donc un mes­sage de libé­ra­tion par l’ac­tion de l’Esprit : seul celui-​ci peut aider les per­sonnes et les com­mu­nau­tés à se libé­rer des déter­mi­nismes anciens et nou­veaux, en les gui­dant par la « loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus »[262], en agis­sant dans la plé­ni­tude de la vraie liber­té de l’homme ain­si décou­verte. En effet, comme l’é­crit saint Paul, là « où est l’Esprit du Seigneur, là est la liber­té »[263]. Cette révé­la­tion de la liber­té et donc de la véri­table digni­té de l’homme acquiert une par­ti­cu­lière élo­quence pour les chré­tiens et pour l’Eglise per­sé­cu­tés, soit dans les temps anciens soit actuel­le­ment, car les témoins de la Vérité divine deviennent alors une preuve vivante de l’ac­tion de l’Esprit de véri­té, pré­sent dans le cœur et dans la conscience des fidèles, et il n’est pas rare qu’ils signent de leur mar­tyre l’exal­ta­tion suprême de la digni­té humaine.

C’est aus­si dans les condi­tions ordi­naires de la socié­té que les chré­tiens, témoins de l’au­then­tique digni­té de l’homme, par leur obéis­sance à l’Esprit Saint, contri­buent de bien des manières au « renou­vel­le­ment de la face de la terre » : ils col­la­borent avec leurs frères pour réa­li­ser et mettre en valeur tout ce qui est bon, noble et beau dans le pro­grès actuel de la civi­li­sa­tion, de la culture, de la science, de la tech­nique et des autres sec­teurs de la pen­sée et de l’ac­ti­vi­té humaine[264]. Ils le font comme dis­ciples du Christ qui, selon les mots du Concile, « consti­tué Seigneur par sa Résurrection … agit désor­mais dans le cœur des hommes par la puis­sance de son Esprit ; il n’y sus­cite pas seule­ment le désir du siècle à venir, mais par là même anime aus­si, puri­fie et for­ti­fie ces aspi­ra­tions géné­reuses qui poussent la famille humaine à amé­lio­rer ses condi­tions de vie et à sou­mettre à cette fin la terre entière »[265]. Ainsi, ils affirment davan­tage encore la gran­deur de l’homme fait à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu, gran­deur que le mys­tère de l’Incarnation du Fils de Dieu met en pleine lumière, car, dans la « plé­ni­tude du temps », il est entré dans l’his­toire par l’Esprit Saint et il s’est mani­fes­té homme véri­table, lui qui est le premier-​né de toute créa­ture, lui « par qui tout existe et par qui nous sommes »[266].

5. L’Eglise, sacrement de l’union intime avec Dieu

61. A l’ap­proche de la conclu­sion du deuxième mil­lé­naire qui doit rap­pe­ler à tous et en quelque sorte réac­tua­li­ser l’a­vè­ne­ment du Verbe dans la « plé­ni­tude du temps », l’Eglise désire encore une fois sai­sir l’es­sence même de sa consti­tu­tion divine et humaine et de la mis­sion qui la fait par­ti­ci­per à la mis­sion mes­sia­nique du Christ, selon l’en­sei­gne­ment et le pro­jet, tou­jours valables, du Concile Vatican II. Dans la même ligne, nous pou­vons remon­ter jus­qu’au Cénacle, où Jésus Christ révèle l’Esprit Saint comme Paraclet, comme Esprit de véri­té, et parle de son « départ » par la Croix comme condi­tion néces­saire de la « venue » de l’Esprit : « C’est votre inté­rêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne vien­dra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’en­ver­rai »[267]. Nous avons vu que cette annonce a connu sa pre­mière réa­li­sa­tion dès le soir de Pâques et ensuite durant la célé­bra­tion de la Pentecôte à Jérusalem ; depuis lors, elle s’ac­com­plit par l’Eglise dans l’his­toire de l’humanité.

A la lumière de cette annonce, ce que Jésus dit de sa nou­velle « venue », tou­jours durant la der­nière Cène, prend tout son sens. Il est en effet signi­fi­ca­tif que, dans le même dis­cours d’a­dieu, il annonce non seule­ment son « départ », mais aus­si sa nou­velle « venue ». Il dit pré­ci­sé­ment : « Je ne vous lais­se­rai pas orphe­lins. Je vien­drai vers vous »[268]. Et au moment de la sépa­ra­tion défi­ni­tive avant de mon­ter au ciel, il redi­ra encore plus expli­ci­te­ment : « Et voi­ci que je suis avec vous », et je le suis, « pour tou­jours jus­qu’à la fin du monde »[269]. La nou­velle « venue » du Christ, sa « venue » conti­nuelle, pour être avec les Apôtres et avec l’Eglise, sa parole : « Je suis avec vous jus­qu’à la fin du monde », ne changent certes pas le fait de son « départ ». A la suite de ce « départ », après la conclu­sion de l’ac­ti­vi­té mes­sia­nique du Christ sur la terre, sa nou­velle « venue » a lieu dans le cadre de l’en­voi de l’Esprit Saint qui a été annon­cé, et, pour ain­si dire, elle s’ins­crit à l’in­té­rieur de la mis­sion même de l’Esprit. Et pour­tant, elle s’ac­com­plit par l’œuvre de l’Esprit Saint, grâce auquel le Christ, qui s’en est allé, vient main­te­nant et tou­jours de façon nou­velle. La nou­velle « venue » du Christ par l’œuvre de l’Esprit Saint, sa pré­sence et son action constantes dans la vie spi­ri­tuelle s’ac­tua­lisent dans la réa­li­té sacra­men­telle. En elle, le Christ, qui, dans son huma­ni­té visible, s’en est allé, vient, est pré­sent et agit d’une manière si intime dans l’Eglise qu’il en fait son Corps. C’est ain­si que l’Eglise vit, œuvre et croît « jus­qu’à la fin du monde ». Tout cela se réa­lise par l’Esprit Saint.

62. L’expression sacra­men­telle la plus com­plète du « départ » du Christ par le mys­tère de la Croix et de la Résurrection est l’Eucharistie.

En elle, sa venue et sa pré­sence sal­vi­fiques se réa­lisent chaque fois sacra­men­tel­le­ment : dans le Sacrifice et dans la Communion. C’est là une œuvre de l’Esprit Saint, dans le cadre de sa mis­sion[270]. Par l’Eucharistie, l’Esprit Saint « for­ti­fie l’homme inté­rieur », comme le dit la Lettre aux Ephésiens[271]. Par l’Eucharistie, les per­sonnes et les com­mu­nau­tés, sous l’ac­tion du Paraclet-​Consolateur, apprennent à décou­vrir le sens divin de la vie humaine, rap­pe­lé par le Concile, sens selon lequel Jésus Christ « révèle plei­ne­ment l’homme à l’homme », en sug­gé­rant « une cer­taine res­sem­blance entre l’u­nion des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la véri­té et dans l’a­mour »[272]. Une telle union s’ex­prime et se réa­lise d’une façon par­ti­cu­lière par l’Eucharistie où l’homme, par­ti­ci­pant au sacri­fice de la Croix que cette célé­bra­tion rend pré­sent, apprend à « se trou­ver … par le don … de lui-​même »[273], dans la com­mu­nion avec Dieu et avec les autres hommes, ses frères.

C’est pour cela que les pre­miers chré­tiens, dès les jours qui ont sui­vi la des­cente de l’Esprit Saint, « se mon­traient assi­dus … à la frac­tion du pain et aux prières », for­mant ain­si une com­mu­nau­té unie par l’en­sei­gne­ment des Apôtres[274]. De cette façon, ils « recon­nais­saient » que leur Seigneur res­sus­ci­té et déjà mon­té au ciel reve­nait au milieu d’eux dans la com­mu­nau­té eucha­ris­tique de l’Eglise et grâce à elle. Depuis son ori­gine, l’Eglise, gui­dée par l’Esprit Saint, s’est expri­mée et s’est affer­mie par l’Eucharistie. Il en a tou­jours été ain­si, dans toutes les géné­ra­tions chré­tiennes, jus­qu’à notre temps, jus­qu’à cette veille de l’a­chè­ve­ment du second mil­lé­naire chré­tien. Certes, nous devons, hélas, consta­ter que ce mil­lé­naire, désor­mais écou­lé, a été celui des grandes sépa­ra­tions entre les chré­tiens. Tous ceux qui croient dans le Christ devront donc, à l’exemple des Apôtres, consa­crer tous leurs efforts à accor­der leur pen­sée et leur action à la volon­té de l’Esprit Saint, « prin­cipe de l’u­ni­té de l’Eglise »[275], afin que tous ceux qui ont été bap­ti­sés dans un seul Esprit pour être un seul corps se retrouvent en frères unis dans la célé­bra­tion de la même Eucharistie, « sacre­ment de l’a­mour, signe de l’u­ni­té, lien de la cha­ri­té »[276].

63. La pré­sence eucha­ris­tique du Christ – son « je suis avec vous » de por­tée sacra­men­telle – per­met à l’Eglise de décou­vrir tou­jours plus pro­fon­dé­ment son propre mys­tère, comme l’at­teste toute l’ec­clé­sio­lo­gie du Concile Vatican II : pour celui-​ci, « l’Eglise (est), dans le Christ, en quelque sorte le sacre­ment, c’est-​à-​dire à la fois le signe et le moyen de l’u­nion intime avec Dieu et de l’u­ni­té de tout le genre humain »[277]. Comme sacre­ment, l’Eglise se déve­loppe à par­tir du mys­tère pas­cal du « départ » du Christ, en vivant sa « venue » tou­jours nou­velle par l’Esprit Saint qui accom­plit sa mis­sion même de Paraclet, Esprit de véri­té. C’est pré­ci­sé­ment là le mys­tère essen­tiel de l’Eglise, tel que le pro­clame le Concile.

Si, en ver­tu de la créa­tion, Dieu est celui en qui tous « nous avons la vie, le mou­ve­ment et l’être »[278], pour sa part la puis­sance de la Rédemption conti­nue et se déve­loppe dans l’his­toire de l’homme et du monde comme en un double « mou­ve­ment » dont la source se trouve dans le Père éter­nel. D’un côté, c’est le mou­ve­ment de la mis­sion du Fils, qui est venu dans le monde en nais­sant de la Vierge Marie par l’Esprit Saint ; et, de l’autre, c’est aus­si le mou­ve­ment de la mis­sion de l’Esprit Saint, qui a été révé­lé défi­ni­ti­ve­ment par le Christ. A cause du « départ » du Fils, l’Esprit Saint est venu et vient conti­nuel­le­ment comme Paraclet et Esprit de véri­té. Dans le cadre de sa mis­sion, en quelque sorte dans l’in­ti­mi­té de la pré­sence invi­sible de l’Esprit, le Fils, qui « s’en était allé » dans le mys­tère pas­cal, « vient » et est conti­nuel­le­ment pré­sent dans le mys­tère de l’Eglise ; tan­tôt il reste caché, tan­tôt il se mani­feste dans son his­toire, sans ces­ser d’en conduire le cours. Tout cela advient sous forme sacra­men­telle, par l’ac­tion de l’Esprit Saint qui, pui­sant dans les richesses de la Rédemption du Christ, sans cesse donne la vie. En pre­nant une conscience tou­jours plus vive de ce mys­tère, l’Eglise sai­sit mieux son iden­ti­té, sur­tout sacramentelle.

Cela se réa­lise aus­si parce que, par la volon­té de son Seigneur, au moyen des divers sacre­ments, l’Eglise assure son minis­tère de salut. Chaque fois que le minis­tère des sacre­ments est accom­pli, il porte en soi le mys­tère du « départ » du Christ par la Croix et la Résurrection, en ver­tu duquel l’Esprit Saint vient. Il vient et il agit : « Il donne la vie ». Les sacre­ments, en effet, signi­fient la grâce et ils confèrent la grâce : ils expriment la vie et ils donnent la vie. L’Eglise est la dis­pen­sa­trice visible des signes sacrés, tan­dis que l’Esprit Saint agit en eux comme le dis­pen­sa­teur invi­sible de la vie qu’ils signi­fient. En union avec l’Esprit Saint, le Christ Jésus y est pré­sent et il y agit.

64. Si l’Eglise est le sacre­ment de l’u­nion intime avec Dieu, elle l’est en Jésus Christ, en qui cette union s’ac­com­plit comme réa­li­té sal­vi­fique. Elle l’est en Jésus Christ, par l’ac­tion de l’Esprit Saint. La plé­ni­tude de la réa­li­té sal­vi­fique, qu’est le Christ dans l’his­toire, se com­mu­nique sous le mode sacra­men­tel par la puis­sance de l’Esprit-​Paraclet. En ce sens l’Esprit Saint est « l’autre Paraclet » ou le nou­veau Paraclet, car, par son action, la Bonne Nouvelle pénètre dans les consciences et dans les cœurs humains et se dif­fuse dans l’his­toire. En tout cela, l’Esprit donne la vie.

Lorsque nous employons le mot « sacre­ment » mis en rap­port avec l’Eglise, nous devons tenir compte de ce que, dans le texte conci­liaire, la sacra­men­ta­li­té de l’Eglise appa­rait dis­tincte de celle qui est, au sens pré­cis du terme, propre aux sacre­ments. Nous lisons en effet : « L’Eglise (est) … en quelque sorte le sacre­ment, c’est-​à-​dire à la fois le signe et le moyen de l’u­nion intime avec Dieu ». Mais ce qui compte et ce qui res­sort du sens ana­lo­gique dans lequel le mot est employé dans les deux cas, c’est le rap­port de l’Eglise avec la puis­sance de l’Esprit Saint, celui qui seul donne la vie : l’Eglise est le signe et l’ins­tru­ment de la pré­sence et de l’ac­tion de l’Esprit vivifiant.

Vatican II ajoute que l’Eglise est « le sacre­ment … de l’u­ni­té de tout le genre humain ». Il s’a­git évi­dem­ment, pour le genre humain – lui-​même dif­fé­ren­cié de mul­tiples facons -, de l’u­ni­té qu’il tient de Dieu et qu’il a en Dieu. Elle s’en­ra­cine dans le mys­tère de la créa­tion et elle acquiert une dimen­sion nou­velle dans le mys­tère de la Rédemption, en vue du salut uni­ver­sel. Puisque Dieu « veut que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té »[279], la Rédemption concerne tous les hommes et, d’une cer­taine façon, toute la créa­tion. Dans cette même dimen­sion uni­ver­selle de la Rédemption, l’Esprit Saint agit en ver­tu du « départ » du Christ. C’est pour­quoi l’Eglise, enra­ci­née par son propre mys­tère dans l’é­co­no­mie tri­ni­taire du salut, se com­prend elle-​même à juste titre comme le « sacre­ment de l’u­ni­té de tout le genre humain ». Elle a conscience de l’être par la puis­sance de l’Esprit Saint dont elle est signe et ins­tru­ment dans la réa­li­sa­tion du plan sal­vi­fique de Dieu.

Ainsi se réa­lise la « condes­cen­dance » de l’Amour infi­ni de la Trinité par lequel Dieu, Esprit invi­sible, se rend proche du monde visible. Dieu un et trine se com­mu­nique à l’homme dans l’Esprit Saint depuis le com­men­ce­ment, grâce à son « image et res­sem­blance ». Sous l’ac­tion du même Esprit, l’homme et, par son entre­mise, le monde créé, rache­té par le Christ, avancent vers leur des­ti­née défi­ni­tive en Dieu. L’Eglise est « le sacre­ment, c’est-​à-​dire le signe et l’ins­tru­ment » du rap­pro­che­ment des deux pôles de la créa­tion et de la Rédemption, Dieu et l’homme. Elle œuvre pour réta­blir et ren­for­cer l’u­ni­té du genre humain à ses racines mêmes, dans le rap­port de com­mu­nion entre l’homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur et son Rédempteur. Il y a là une véri­té, fon­dée sur l’en­sei­gne­ment du Concile, que nous pou­vons médi­ter, expli­quer et appli­quer dans toute l’am­pleur de son sens, en cette période de pas­sage du deuxième au troi­sième mil­lé­naire chré­tien. Et il nous est bon de prendre une conscience tou­jours plus vive du fait que, à l’in­té­rieur de l’ac­tion accom­plie par l’Eglise dans l’his­toire du salut, ins­crite dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, l’Esprit Saint est pré­sent et agis­sant, lui qui anime par le souffle de la vie divine le pèle­ri­nage ter­restre de l’homme et fait conver­ger toute la créa­tion, toute l’his­toire, jus­qu’à son terme ultime, dans l’o­céan infi­ni de Dieu.

6. L’Esprit et l’Epouse disent : « Viens ! »

65. La manière la plus simple et la plus com­mune dont l’Esprit Saint, le souffle de la vie divine, s’ex­prime et entre dans l’ex­pé­rience, c’est la prière. Il est beau et salu­taire de pen­ser que, par­tout où l’on prie dans le monde, l’Esprit Saint, souffle vital de la prière, est pré­sent. Il est beau et salu­taire de recon­naître que, si la prière est répan­due dans tout l’u­ni­vers, hier, aujourd’­hui et demain, la pré­sence et l’ac­tion de l’Esprit Saint sont tout autant répan­dus, car l’Esprit « ins­pire » la prière au cœur de l’homme, dans la diver­si­té illi­mi­tée des situa­tions et des condi­tions favo­rables ou contraires à la vie spi­ri­tuelle et reli­gieuse. Maintes fois, sous l’ac­tion de l’Esprit Saint, la prière monte du cœur de l’homme mal­gré les inter­dic­tions et les per­sé­cu­tions, et même mal­gré les pro­cla­ma­tions offi­cielles affir­mant le carac­tère are­li­gieux ou fran­che­ment athée de la vie publique. La prière demeure tou­jours la voix de tous ceux qui appa­rem­ment n’ont pas de voix, et dans cette voix résonne tou­jours la « vio­lente cla­meur » attri­buée au Christ par la Lettre aux Hébreux[280]. La prière est aus­si la révé­la­tion de cet abîme qu’est le cœur de l’homme, une pro­fon­deur qui vient de Dieu et que Dieu seul peut com­bler, pré­ci­sé­ment par l’Esprit Saint. Nous lisons dans Luc : « Si donc vous, qui êtes mau­vais, vous savez don­ner de bonnes choses à vos enfants, com­bien plus le Père du ciel donnera-​t-​il l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ! »[281].

L’Esprit Saint est le Don qui vient dans le cœur de l’homme en même temps que la prière. Dans la prière, il se mani­feste avant tout et par-​dessus tout comme le Don qui « vient au secours de notre fai­blesse ». C’est l’ad­mi­rable pen­sée déve­lop­pée par saint Paul dans la Lettre aux Romains, lors­qu’il écrit : « Nous ne savons pas que deman­der pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-​même inter­cède pour nous en des gémis­se­ments inex­pri­mables »[282]. Ainsi non seule­ment l’Esprit Saint nous amène à prier, mais il nous guide « de l’in­té­rieur » dans la prière, com­pen­sant notre insuf­fi­sance, remé­diant à notre inca­pa­ci­té de prier ; il est pré­sent dans notre prière et il lui donne une dimen­sion divine[283]. « Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son inter­ces­sion pour les saints cor­res­pond aux vues de Dieu »[284]. La prière, grâce à l’Esprit Saint, devient l’ex­pres­sion tou­jours plus mûre de l’homme nou­veau qui, par elle, par­ti­cipe à la vie divine.

Notre époque dif­fi­cile a par­ti­cu­liè­re­ment besoin de la prière. Si au cours de l’his­toire, hier comme aujourd’­hui, des hommes et des femmes en grand nombre ont témoi­gné de l’im­por­tance de la prière en se consa­crant à la louange de Dieu et à la vie d’o­rai­son sur­tout dans les monas­tères, avec un grand pro­fit pour l’Eglise, il y a aus­si, depuis quelques années, un nombre crois­sant de per­sonnes qui, dans des mou­ve­ments ou des groupes tou­jours plus déve­lop­pés, mettent la prière au pre­mier plan et y cherchent le renou­veau de la vie spi­ri­tuelle. C’est là un fait signi­fi­ca­tif et récon­for­tant, puisque cette expé­rience apporte une contri­bu­tion réelle à la reprise de la prière par­mi les fidèles, aidés à mieux consi­dé­rer l’Esprit Saint comme celui qui sus­cite dans les cœurs une pro­fonde aspi­ra­tion à la sainteté.

Beaucoup de per­sonnes et beau­coup de com­mu­nau­tés prennent davan­tage conscience de ce que, mal­gré tout le pro­grès ver­ti­gi­neux de la civi­li­sa­tion technico-​scientifique, et quels que soient les conquêtes effec­tives et les objec­tifs réa­li­sés, l’homme est mena­cé, l’hu­ma­ni­té est mena­cée. Face à ce péril, et plus encore en éprou­vant de l’in­quié­tude devant une réelle déca­dence spi­ri­tuelle de l’homme, des indi­vi­dus et des com­mu­nau­tés entières, comme gui­dés par un sens inté­rieur de la foi, cherchent la force capable de rele­ver l’homme, de le sau­ver de lui-​même, de ses erreurs et de ses illu­sions, qui sou­vent rendent nocives ses propres conquêtes. Et ain­si ils découvrent la prière, dans laquelle se mani­feste l”«Esprit qui vient au secours de notre fai­blesse ». C’est ain­si que les temps que nous vivons rap­prochent de l’Esprit Saint de nom­breuses per­sonnes qui reviennent à la prière. Et je suis sûr que toutes trou­ve­ront dans l’en­sei­gne­ment de la pré­sente Encyclique une nour­ri­ture pour leur vie inté­rieure et qu’elles sau­ront, sous l’ac­tion de l’Esprit, affer­mir leur enga­ge­ment dans la prière en plein accord avec l’Eglise et avec son Magistère.

66. Au milieu des pro­blèmes, des décep­tions et des espoirs, des aban­dons et des retours que connaît notre époque, l’Eglise demeure fidèle au mys­tère de sa nais­sance. Si c’est un fait his­to­rique que l’Eglise est sor­tie du Cénacle le jour de la Pentecôte, on peut dire qu’en un sens elle ne l’a jamais quit­té. Spirituellement, l’é­vé­ne­ment de la Pentecôte n’ap­par­tient pas seule­ment au pas­sé : l’Eglise est tou­jours au Cénacle, qui reste pré­sent dans son cœur. L’Eglise per­sé­vère dans la prière, comme les Apôtres, avec Marie, Mère du Christ, et avec ceux qui, à Jérusalem, consti­tuaient le pre­mier noyau de la com­mu­nau­té chré­tienne et atten­daient en priant la venue de l’Esprit Saint.

L’Eglise per­sé­vère dans la prière avec Marie. Cette union de l’Eglise en prière avec la Mère du Christ fait par­tie du mys­tère de l’Eglise depuis son ori­gine : nous voyons Marie pré­sente en ce mys­tère comme elle est pré­sente dans le mys­tère de son Fils. Le Concile le dit : « La bien­heu­reuse Vierge…, enve­lop­pée par l’Esprit Saint…, engen­dra le Fils, dont Dieu a fait le premier-​né par­mi beau­coup de frères (cf. Rm 8, 29), c’est-​à-​dire par­mi les croyants, à la nais­sance et à l’é­du­ca­tion des­quels elle apporte la coopé­ra­tion de son amour mater­nel» ; elle se trouve, « de par les grâces et les fonc­tions sin­gu­lières qui sont les siennes…, en intime union avec l’Eglise : de l’Eglise (elle) est le modèle…»[285]. « En contem­plant la sain­te­té mys­té­rieuse de la Vierge et en imi­tant sa cha­ri­té…, l’Eglise devient à son tour une Mère » et, « imi­tant la Mère de son Seigneur, elle conserve par la ver­tu du Saint-​Esprit, dans leur pure­té vir­gi­nale, une foi intègre, une ferme espé­rance, une cha­ri­té sin­cére… Elle est aus­si vierge, ayant don­né à son Epoux sa foi »[286].

On com­prend ain­si le sens pro­fond du motif pour lequel, en union avec la Vierge-​Mère, l’Eglise, comme l’Epouse, se tourne conti­nuel­le­ment vers son divin Epoux, ain­si que l’at­testent les paroles de l’Apocalypse citées par le Concile : « L’Esprit et l’Epouse disent au Seigneur Jésus : Viens ! »[287]. La prière de l’Eglise est cette invo­ca­tion inces­sante dans laquelle « l’Esprit lui-​même inter­cède pour nous» ; en un sens, lui-​même pro­nonce la prière avec l’Eglise et dans l’Eglise. L’Esprit, en effet, est don­né à l’Eglise afin que, par sa puis­sance, toute la com­mu­nau­té du Peuple de Dieu, dans sa diver­si­té et ses mul­tiples mani­fes­ta­tions, per­sé­vère dans l’Espérance, « car notre salut est objet d’es­pé­rance »[288]. C’est l’es­pé­rance escha­to­lo­gique, l’es­pé­rance de l’ac­com­plis­se­ment défi­ni­tif en Dieu, l’es­pé­rance du Règne éter­nel, qui se réa­lise dans la par­ti­ci­pa­tion à la vie tri­ni­taire. L’Esprit Saint, don­né aux Apôtres comme Paraclet, est le gar­dien et l’a­ni­ma­teur de cette espé­rance dans le cœur de l’Eglise.

Dans la pers­pec­tive du troi­sième mil­lé­naire après le Christ, tan­dis que « l’Esprit et l’Epouse disent au Seigneur Jésus : Viens ! », cette prière est char­gée, comme tou­jours, d’une por­tée escha­to­lo­gique des­ti­née à don­ner aus­si sa plé­ni­tude de sens à la célé­bra­tion du grand Jubilé. C’est une prière tour­née vers le salut à venir, auquel l’Esprit Saint ouvre les cœurs par son action au cours de toute l’his­toire de l’homme sur la terre. En même temps, cepen­dant, cette prière s’o­riente vers une étape pré­cise de l’his­toire mar­quée par l’An 2000, dans laquelle est mise en relief la « plé­ni­tude du temps ». L’Eglise désire se pré­pa­rer à ce Jubilé dans l’Esprit Saint, de même que c’est l’Esprit Saint qui pré­pa­ra la Vierge de Nazareth, en laquelle le Verbe s’est fait chair.

Conclusion

67. Nous vou­lons conclure ces réflexions en nous pla­cant au cœur de l’Eglise et dans le cœur de l’homme. La route de l’Eglise passe à tra­vers le cœur de l’homme, car c’est le lieu intime de la ren­contre sal­vi­fique avec l’Esprit Saint, avec le Dieu caché, et c’est bien là que l’Esprit Saint devient une « source d’eau jaillis­sant en vie éter­nelle »[289]. C’est jusque-​là qu’il vient, comme l’Esprit de véri­té et le Paraclet pro­mis par le Christ. De là il agit comme Consolateur, Intercesseur, Défenseur, spé­cia­le­ment lorsque l’homme, lorsque l’hu­ma­ni­té se trouve affron­tée au juge­ment de condam­na­tion de l”«accusateur », dont l’Apocalypse dit qu’il « accuse nos frères jour et nuit devant notre Dieu »[290]. L’Esprit Saint ne cesse d’être le gar­dien de l’es­pé­rance dans le cœur de l’homme : de l’es­pé­rance de toutes les créa­tures humaines et spé­cia­le­ment de celles qui « pos­sèdent les pré­mices de l’Esprit » et qui « attendent la rédemp­tion de leur corps »[291].

L’Esprit Saint, dans son lien mys­té­rieux de divine com­mu­nion avec le Rédempteur de l’homme, est celui qui assure la conti­nui­té de son œuvre : il reçoit ce qui est du Christ et le trans­met à tous, il entre sans cesse dans l’his­toire du monde en venant dans le cœur de l’homme. Il devient là, comme le pro­clame la Séquence litur­gique de la solen­ni­té de la Pentecôte, le véri­table « père des pauvres, dis­pen­sa­teur des dons, lumière de nos cœurs» ; il y devient l”« hôte très doux de nos âmes » que l’Eglise salue sans cesse au seuil de l’in­té­rio­ri­té de tout homme. Il apporte, en effet, « repos et récon­fort » au milieu des fatigues, du tra­vail des bras et du tra­vail de l’es­prit humain ; il apporte « repos » et « sou­la­ge­ment » au milieu de la cha­leur du jour, au milieu des pré­oc­cu­pa­tions, des luttes et des dan­gers de toute époque ; il apporte enfin la « conso­la­tion », lorsque le cœur humain pleure et connaît la ten­ta­tion du désespoir.

C’est le sens de la Séquence qui pro­clame : « Sans ta puis­sance divine il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit per­ver­ti ». Seul l’Esprit Saint, en effet, « met en lumière le péché », le mal, dans le but de réta­blir le bien dans l’homme et dans le monde humain, pour « renou­ve­ler la face de la terre ». C’est pour­quoi il puri­fie tout ce qui « souille » l’homme, « ce qui est sor­dide » il soigne les bles­sures, même les plus pro­fondes de l’exis­tence humaine ; il change l’a­ri­di­té inté­rieure des âmes et les trans­forme en champs fer­tiles de grâce et de sain­te­té. Ce qui est « rigide », il « l’as­sou­plit », ce qui est « froid », il le « réchauffe », ce qui est « faus­sé », il le « rend droit » sur les che­mins du salut[292].

En priant ain­si, sans cesse l’Eglise pro­fesse sa foi : il y a dans notre monde créé un Esprit qui est un Don incréé. C’est l’Esprit du Père et du Fils : comme le Père et le Fils, il est incréé, immense, éter­nel, tout-​puissant, Dieu, Seigneur[293]. L’Esprit de Dieu « rem­plit l’u­ni­vers », et tout ce qui est créé recon­naît en lui la source de sa propre iden­ti­té, découvre en lui son expres­sion trans­cen­dante, se tourne vers lui et l’at­tend, l’in­voque de tout son être. Vers lui, Paraclet, Esprit de véri­té et d’a­mour, se tourne l’homme qui vit de véri­té et d’a­mour, et qui, sans la source de la véri­té et de l’a­mour, ne peut pas vivre. Vers lui se tourne l’Eglise, qui est au cœur de l’hu­ma­ni­té, afin d’im­plo­rer pour tous et de dis­pen­ser à tous les dons de l’Amour qui, par lui, « a été répan­du dans nos cœurs »[294]. Vers lui se tourne l’Eglise sur les che­mins escar­pés du pèle­ri­nage de l’homme sur la terre ; et elle demande, elle demande sans se las­ser, la rec­ti­tude des actes humains, car elle est son œuvre ; elle demande la joie et la conso­la­tion que lui seul, le vrai Consolateur, peut appor­ter en des­cen­dant au plus pro­fond des cœurs humains[295]; elle demande la grâce des ver­tus qui méritent la gloire céleste ; elle demande, par la com­mu­ni­ca­tion plé­nière de la vie divine, le salut éter­nel auquel le Père a éter­nel­le­ment « pré­des­ti­né » les hommes, créés par amour à l’i­mage et à la res­sem­blance de la très Sainte Trinité.

L’Eglise, qui inclut en son cœur tous les cœurs humains, demande à l’Esprit Saint la béa­ti­tude qui trouve en Dieu seul sa réa­li­sa­tion totale : la joie que « nul n’en­lè­ve­ra »[296], la joie qui est le fruit de l’a­mour et donc fruit de Dieu qui est Amour ; elle demande « la jus­tice, la paix et la joie dans l’Esprit Saint », qui consti­tuent, selon saint Paul, « le Règne de Dieu »[297].

La paix est aus­si le fruit de l’a­mour, la paix inté­rieure que l’homme acca­blé cherche dans la pro­fon­deur de son être ; la paix dési­rée par l’hu­ma­ni­té, par la famille humaine, par les peuples, par les nations, par les conti­nents, avec l’es­pé­rance ardente de l’ob­te­nir lorsque l’on pas­se­ra du deuxième au troi­sième mil­lé­naire chré­tien. Puisque le che­min de la paix passe en défi­ni­tive par l’a­mour et tend à créer la civi­li­sa­tion de l’a­mour, l’Eglise tient son regard fixé vers celui qui est l’Amour du Père et du Fils et, mal­gré les menaces crois­santes, elle ne cesse d’a­voir confiance, elle ne cessed’im­plo­rer et de ser­vir la paix de l’homme sur la terre. Sa confiance se fonde sur celui qui, étant l’Esprit d’Amour, est aus­si l’Esprit de la paix et qui ne cesse d’être pré­sent dans notre monde humain, à l’ho­ri­zon des consciences et des cœurs, pour « rem­plir l’u­ni­vers » d’a­mour et de paix.

Devant lui je flé­chis les genoux au terme de cette médi­ta­tion : je le sup­plie, comme Esprit du Père et du Fils, de nous accor­der, à nous tous, la béné­dic­tion et la grâce que je désire trans­mettre, au nom de la très Sainte Trinité, aux fils et aux filles de l’Eglise et à la famille humaine tout entière.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 18 mai 1986, solen­ni­té de la Pentecôte, en la hui­tième année de mon pontificat.

JEAN-​PAUL II

Notes de bas de page
  1. Jn 7, 37–38[]
  2. Jn 7, 39[]
  3. Jn 4, 14 ; Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 4.[]
  4. Cf. Jn 3, 5.[]
  5. Cf. LÉON XIII, Encycl. Divinium illud munus (9 mai 1897): Acta Leonis, 17 (1898), PP. 125–148 ; PIE XII, Encycl. Mystici Corporis (29 juin 1943): AAS 35 (1943), PP. 193–248.[]
  6. Audience géné­rale du 6 juin 1973 : Insegnamenti di Paolo VI, XI (1973), P. 477.[]
  7. Missel romain ; cf. 2 Co 13, 13.[]
  8. Jn 3, 17.[]
  9. Ph 2, 11.[]
  10. Cf. CONC. ŒCUM VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 4 ; JEAN-​PAUL II, Discours aux par­ti­ci­pants du Congrès inter­na­tio­nal de pneu­ma­to­lo­gie (26 mars 1982), n. 1 : Insegnamenti V/​1 (1982), p. 1004.[]
  11. Cf. Jn 4, 24.[]
  12. Cf. Rm 8, 22 ; Ga 6, 15.[]
  13. Cf. Mt 24, 35.[]
  14. Jn 4:14.[]
  15. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 17.[]
  16. allon para­cle­ton : Jn 14, 16.[]
  17. Jn 14, 13. 16–17.[]
  18. Cf 1 Jn 2, 1.[]
  19. Jn 14, 26[]
  20. Jn 15, 26–27[]
  21. Cf. 1 Jn 1, 1–3 ; 4, 14[]
  22. « La véri­té divi­ne­ment révé­lée, que contiennent et pré­sentent les livres de la Sainte Ecriture, y a été consi­gnée sous l’ins­pi­ra­tion de l’Esprit Saint », et par consé­quent « la Sainte Ecriture doit être lue et inter­pré­tée à la lumière du même Esprit qui la fit rédi­ger » CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, nn. 11. 12.[]
  23. Jn 16, 12–13.[]
  24. Ac 1, 1.[]
  25. Jn 16, 24[]
  26. Jn 16, 15[]
  27. Jn 16, 7–8[]
  28. Jn 15, 26[]
  29. Jn 14, 16[]
  30. Jn 14, 26[]
  31. Jn 15, 26[]
  32. Jn 14, 16[]
  33. Jn 16, 7[]
  34. Cf. Jn 3, 16–17. 34 ; 6, 57 ; 17, 3. 18. 23.[]
  35. Mt 28, 19[]
  36. Cf. 1 Jn 4, 8. 16.[]
  37. Cf. 1 Co 2, 10[]
  38. Cf. S. THOMAS D AQUIN, Somme théol., Ia qq 37–38.[]
  39. Rm 5, 5.[]
  40. Jn 16, 14.[]
  41. Gn 1, 1–2[]
  42. Gn 1, 26.[]
  43. Rm 8, 19–22.[]
  44. Jn 16, 7.[]
  45. Ga 4, 6 ; cf. Rm 8, 15.[]
  46. Cf. Ga 4, 6 ; Pb 1, 19 ; Rm 8, 11.[]
  47. Cf. Jn 16, 6.[]
  48. Cf. Jn 16, 20.[]
  49. Cf. Jn 16, 7.[]
  50. Ac 10, 37–38[]
  51. Cf. Lc 4, 16–21 ; 3, 16 ; 4, 14 ; Mc 1, 10[]
  52. Is 11, 1–3[]
  53. Is 61, 1–2[]
  54. Is 48, 16[]
  55. Is 42, 1[]
  56. Cf. Is 53, 5–6. 8[]
  57. Is 42, 1[]
  58. Is 42, 6[]
  59. Is 49, 6[]
  60. Is 59, 21[]
  61. Cf. Lc 2, 25–35[]
  62. Cf. Lc 1, 35[]
  63. Cf. Lc 2, 19. 51.[]
  64. Cf. Lc 4, 16–21 ; Is 61, 1–2[]
  65. Lc 3, 16 ; cf. Mt 3,11 ; Mc 1, 7–8 ; Jn 1, 33[]
  66. Jn 1, 29[]
  67. Cf Jn 1, 33–34[]
  68. Lc 3, 21–22 ; cf. Mt 3, 16 ; Mc 1, 10[]
  69. Mt 3, 17[]
  70. Cf. S. BASILE, DE Spiritu Sancto, XVI, 39 ; PG 32, 139.[]
  71. Ac 1, 1[]
  72. Cf. Lc 4, 1[]
  73. Cf. Lc 10, 17–20[]
  74. Lc 10, 21 ; cf. Mt 11, 25–26[]
  75. Lc 10, 22 ; cf Mt 11, 27[]
  76. Mt 3, 11 ; Lc 3, 16[]
  77. Jn 16, 13[]
  78. Jn 16, 14[]
  79. Jn 16, 15[]
  80. Cf. Jn 14, 26 ; 15, 26.[]
  81. Jn 3, 16[]
  82. Rm 1, 3–4[]
  83. Ez 36, 26–27 ; cf. Jn 7, 37–39 ; 19, 34[]
  84. Jn 16, 7[]
  85. Cf. S. CYRYLLE D’ALEXANDRIE, In Ioannis Evangelium, livre V, chap. II : PG 73, 755[]
  86. Jn 20, 1–22[]
  87. Cf. Jn 19, 30[]
  88. Cf. Rm 1, 4[]
  89. Cf. Jn 16, 20[]
  90. Jn 16, 7[]
  91. Jn 16, 15[]
  92. CONC. ŒCUM. CAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 4[]
  93. Œ 15, 26–27[]
  94. Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 4[]
  95. Cf. Ac 1, 14[]
  96. Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 4. I1 y a toute une tra­di­tion patris­tique et théo­lo­gique en ce qui Concerne l’u­nion intime entre l’Esprit Saint et l’Eglise, union pré­sen­tée par­fois en ana­lo­gie avec le rap­port entre l’âme et le corps dans l’homme : cf. S. IRÉNÉE, Adversus hae­reses, III, 24, 1 : SC 211, pp. 470–474, S. AUGUSTIN, Sermo 267, 4, 4 : PL 38, 1231 ; Sermo 268, 2 : PL 38,1232 ; In Iohannis evan­ge­lium trac­ta­tus, XXV, 13 ; XXVII, 6 : CCL 36, 266, 272–273 ; S. GRÉGOIRE LE GRAND, In sep­tem psal­mos poe­ni­ten­tiales expo­si­tio, psal V, 1 : PL 79, 602 ; DIDYME D ALEXANDRIE, De Trinitate, II, 1 : PG 39, 449–450 ; S. ATHANASE, Oratio III contra Arianos, 22, 23, 24 : PG 26, 368369, 372–373 ; S. JEAN-​CHRYSOSTOME, In Epistolam ad Ephesios, Homil. IX, 3 : PG 62, 72–73. SAINT THOMAS D AQUIN a syn­thé­ti­sé la tra­di­tion patris­tique et théo­lo­gique qui le pré­cé­dait en pré­sen­tant l’Esprit Saint Comme le « cœur » et l”« âme » de l’Eglise : cf. Somme théol., III, q. 8, a. 1, ad 3 ; In sym­bo­lum Apostolorum Expositio, a. IX ; In Tertium Librum Sententiarum, Dist. XIII, q. 2, a. 2, quaes­tiun­cu­la 3.[]
  97. Cf. Ap 2, 29 ; 3, 6. 13. 22.[]
  98. Cf. Jn 12, 31 ; 14, 30 ; 16, 11[]
  99. Gaudium et spes, n. 1[]
  100. Ibid., n. 41[]
  101. Ibid., n. 26[]
  102. Jn 16, 7–8[]
  103. Jn 16, 7[]
  104. Jn 16, 8–11[]
  105. Cf. Jn 3, 17 ; 12, 47[]
  106. Cf. Ep 6, 12[]
  107. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 2.[]
  108. Cf. ibid, nn. 10, 13, 27, 37, 63, 73, 79, 80.[]
  109. Ac 2, 4[]
  110. Cf. S. IRÉNÉE, Adversus hae­reses, III, 17, 2 : SC 211, pp. 330–332[]
  111. Ac 1, 4. 5. 8.[]
  112. Ac 2, 22–24[]
  113. Cf. Ac 3, 14–15 ; 4, 10. 27–28 ; 7, 52 ; 10, 39 ; 13, 28–29 ; etc.[]
  114. Cf. Jn 113, 17 ; 12, 47[]
  115. Ac 2, 36[]
  116. Ac 2, 37–38[]
  117. Cf. Mc 1, 15[]
  118. Jn 20, 22[]
  119. Cf. Jn 16, 9[]
  120. Os 13, 14 (Vulgate); cf. 1 Co 15, 55[]
  121. Cf 1 Co 2, 10[]
  122. Cf. 2 l h 2, 7.[]
  123. Cf. 1 Tm 3, 16.[]
  124. Cf. Reconciliatio et pae­ni­ten­tia (2 décembre 1984), nn. 1922 : AAS 77 (1985), pp. 229–233.[]
  125. Cf. Gn 1–3.[]
  126. Cf. Rm 5, 19 ; Ph 2, 8[]
  127. Cf. Jn 1, 1. 2. 3. 10.[]
  128. Cf. Col 1, 15–18[]
  129. Cf. Jn 8, 44[]
  130. Cf. Gn 1, 2[]
  131. Cf. Gn 1, 26. 28. 29.[]
  132. Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2[]
  133. Cf. 1 Co 2, 10–11[]
  134. Cf. Jn 16, 11[]
  135. Cf. Ph 2, 8[]
  136. Cf. Gn 2, 16–17[]
  137. Gn 3, 5[]
  138. Cf. Gn 3, 22 à pro­pos de l”« arbre de vie » ; Cf. aus­si Jn 3, 36, 4, 14 ; 5, 24 ; 6, 40. 47 ; 10, 28 ; 12, 50 ; 14, 6 ; Ac 13, 48 ; Rm 6, 23 ; Ga 6, 8 ; 1 Tm 1, 16 ; Tt 1, 2 ; 3, 7 ; 1 P 3, 22 ; 1 Jn 1, 2 ; 2, 25 ; 5, 11. 13 ; Ap 2, 7.[]
  139. Cf. S. THOMAS D AQUIN, Somme théol., Ia-​IIae, q. 80, a. 4, ad 3.[]
  140. 1 Jn 3, 8.[]
  141. In 16, 11[]
  142. Cf. Ep 6, 12 ; Lc 22, 53[]
  143. Cf. De Civitade Dei, XIV, 28 : CCL 48, 451.[]
  144. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 36.[]
  145. En grec, le verbe est para­ka­lein = invo­quer, appe­ler à soi.[]
  146. Cf. Gn 6, 7[]
  147. Gn 6, 5–7[]
  148. Cf. Rm 8, 20–22[]
  149. Cf. Mt 15, 32 ; Mc 8, 2[]
  150. He 9, 13–14[]
  151. Jn 20, 22–23[]
  152. Ac 10, 38[]
  153. He 5, 7–8[]
  154. He 9, 14[]
  155. Cf. Lv 9, 24 ; 1 R 18 ; 2 Ch 7, 1[]
  156. Cf. Jn 15, 26[]
  157. Jn 20, 22–23[]
  158. Mt 3, 11[]
  159. Cf. Jn 3, 8[]
  160. Jn 20, 22–23[]
  161. Cf. séquence Veni, Sancte Spiritus.[]
  162. S. BONAVENTURE, De sep­tem donis Spiritus Sancti, Collatio II, 3 : Ad Claras Aquas, V, 463.[]
  163. Mc 1, 15.[]
  164. Cf. He 9, 14.[]
  165. Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 16.[]
  166. Cf. Gn 2, 9. 17.[]
  167. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 16.[]
  168. Ibid., n. 27.[]
  169. Cf. ibid., n. 13.[]
  170. Cf. JEAN-​PAUL II, Exhort. apost. post-​synodale Reconciliatio et pae­ni­ten­tia (2 décembre 1984), n. 16 : AAS 77 (1985), PP. 213–217.[]
  171. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 10.[]
  172. Cf. Rm 7, 14–15. 19.[]
  173. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 37.[]
  174. Ibid., n. 13.[]
  175. Ibid., n. 37[]
  176. Cf. séquence de la Pentecôte : « Reple cor­dis inti­ma ».[]
  177. Cf. S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps. XLI, 13 : CCL 38, 470 : « Quel est cet abîme que l’a­bîme invoque ? Si abîme veut dire pro­fon­deur, ne pensons-​nous pas que le cœur de l’homme est un abîme ? Quoi de plus pro­fond que cet abîme ? Les hommes peuvent par­ler, on peut les voir agir avec leurs membres, on peut les entendre par­ler ; mais de qui peut-​on péné­trer la pen­sée, de qui peut-​on son­der le cœur ? ».[]
  178. Cf. He 9, 14.[]
  179. Jn 14, 17.[]
  180. Mt 12, 31–32.[]
  181. Mc 3, 28–29.[]
  182. Lc 12, 10.[]
  183. S. THOMAS D’AQUIN, Somme théol., IIa-​IIae‑, q. 14, a. 3 ; cf S. AUGUSTIN, Epist. 185, 11, 48–49 : PL 33, 814–815 ; S. BONAVENTURE, Comment. in Evang. S. Lucae, chap. XIV, 15–16 : Ad Claras Aquas, VII, 314–315.[]
  184. Cf. Ps 81 [80], 13 ; Jr 7, 24 ; Mc 3, 5.[]
  185. JEAN-​PAUL II, Exhort. apost. post-​synodale Reconciliatio et pae­ni­ten­tia (2 décembre 1984), n. 18 : AAS 77 (1985), PP. 224228.[]
  186. PIE XII, Radiomessage au Congrès caté­ché­tique natio­nal des Etats-​Unis d’Amérique à Boston (26 octobre 1946): Discorsi e Radiomessaggi, VIII (1946), 288.[]
  187. JEAN-​PAUL II, Exhort. apost. post-​synodale Reconciliatio et pae­ni­ten­tia (2 décembre 1984), n. 18 : AAS 77 (1985),[]
  188. 1 Th 5, 19 ; Ep 4, 30.[]
  189. Cf. JEAN-​PAUL II, Exhort. apost. post-​synodale Reconciliatio et pae­ni­ten­tia (2 décembre 1984), nn. 14–22 : AAS 77 (1985) pp. 211–233[]
  190. Cf. S AUGUSTIN De Civitate Dei, XIV, 28 : CCL 48, 451.[]
  191. Cf. Jn 16, 11.[]
  192. Cf. Jn 16, 15[]
  193. Cf. Ga 4, 4[]
  194. Ap 1, 8 ; 22, 13[]
  195. Jn 3, 16[]
  196. Ga 4, 4–5[]
  197. Lc 1, 34–35[]
  198. Mt 1, 18[]
  199. Mt 1, 20–21[]
  200. Cf. S. THOMAS D’AQUIN, Somme théol., IIIa, q. 2, aa. 1012 ; q. 6, a. 6 ; q. 7, a. 13.[]
  201. Lc 1, 38.[]
  202. Jn 1, 14.[]
  203. Col 1, 15[]
  204. Cf, Par exemple Gn 9, 11 ; Dt 5, 26 ; Jb 34, 15 ; Is 40, 6 ; 52, 10 ; Ps 145 [144], 21 ; Lc 3, 6 ; 1 P 1, 24.[]
  205. Lc 1, 45[]
  206. Cf. Lc 1, 41[]
  207. Cf. Jn 16, 9[]
  208. 2 Co 3, 17[]
  209. Cf. Rm 1, 5[]
  210. Rm 8, 29[]
  211. Cf. Jn 1, 14. 4. 12–13[]
  212. Cf. Rm 8, 14[]
  213. Cf. Ga 4, 6 ; Rm 5, 5 ; 2 Co 1, 22[]
  214. Rm 8, 15[]
  215. Rm 8, 16–17[]
  216. Cf. Ps 104 [103], 30[]
  217. Rm 8, 19[]
  218. Rm 8, 29[]
  219. Cf. 2 P 1, 4[]
  220. Cf. Ep 2, 18 ; Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2[]
  221. Cf. 1 Co 2, 12[]
  222. Cf. Ep 1, 3–14[]
  223. Ep 1, 13–14[]
  224. Cf. Jn 3, 8.[]
  225. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22 ; cf. Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 16.[]
  226. Jn 4, 24.[]
  227. Ibid.[]
  228. Cf S. AUGUSTIN, Confessions, III, 6, 11 : CCL 27, 33.[]
  229. Cf Tt 2, 11[]
  230. Cf. Is 45, 15.[]
  231. Cf. Sg 1, 7.[]
  232. LC 2, 27 34.[]
  233. Ga 5, 17[]
  234. Ga 5, 16–17[]
  235. Cf. Ga 5, 19–21[]
  236. Ga 5, 22–23[]
  237. Ga 5, 25[]
  238. Cf. Rm 8, 5. 9.[]
  239. Rm 8, 6. 13.[]
  240. Rm 8, 10. 12[]
  241. Cf. 1 Co 6, 20[]
  242. Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gadium et spes, nn. 19. 20. 21.[]
  243. Lc 3, 6 ; cf. Is 40, 5[]
  244. Cf. Rm 8, 23[]
  245. Rm 8, 3[]
  246. Rm 8, 26[]
  247. Rm 8, 11[]
  248. Rm 8, 10[]
  249. Cf. Encycl. Remptor homi­nis (4 mars 1979) n. 14 : AAS 71 (1979), pp. 284–285[]
  250. Cf. Sg 15, 3.[]
  251. Cf. Ep 3, 14–16.[]
  252. Cf. 1 Co 2, 10–11.[]
  253. Cf Rm 8, 9 ; 1 Co 6, 19.[]
  254. Cf. Jn 14, 23 ; S. IRÉNÉE, Adversus hae­reses, V, 6, 1 : SC 153, PP. 72–80 ; S. HILAIRE, De Trinitate, VIII, 19. 21 : PL 10, 250. 252, S. AMBROISE, De Spiritu Sancto, I, 6, 8 : PL 16, 752–753 ; S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps XLIX, 2 : CCL 38, 575–576 ; S. CYRILLE D ALEXANDRIE, In Ioannis Evangelium, lib. I ; II : PG 73, 154–158, 246 ; lib. IX : PG 74, 262 ; S. ATHANASE, Oratio III contra Arianos, 24 : PG 26, 374–375 ; Epist. I ad Serapionem, 24 : PG 26, 586–587 ; DIDYME D ALEXANDRIE, De Trinitate, II, 6–7 : PG 39, 523–530 ; S. JEAN-​CHRYSOSTOME, In epist. ad Romanos homi­lia XIII, 8 : PG 60, 519 ; S. THOMAS D’AQUIN, Somme théol., Ia q. 43, aa. 1, 3–6.[]
  255. Cf. Gn 1, 26–27 ; S. THOMAS D’AQUIN, Somme théol., Ia, q. 93, aa. 4. 5. 8.[]
  256. Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24 ; cf. aus­si n. 25.[]
  257. Cf ibid., nn. 38. 40[]
  258. Cf. 1 Co 15, 28.[]
  259. Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.[]
  260. Cf. S. IRÉNÉE, Adversus hae­reses, IV, 20, 7 : SC 100/​2, P. 648[]
  261. S. BASILE, De Spiritu Sancto, IX, 22 : PG 32, 110.[]
  262. Rm 8, 2.[]
  263. 2 Co 3, 17.[]
  264. Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 53–59.[]
  265. Ibid., n. 38.[]
  266. 1 Co 8, 6.[]
  267. Jn 16, 7.[]
  268. Jn 14, 18.[]
  269. Mt 28, 20.[]
  270. C’est ce qu’ex­prime 1′« épi­clèse » avant la consé­cra­tion : « Sanctifie ces offrandes en répan­dant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière eucha­ris­tique II).[]
  271. Cf. Ep 3, 16[]
  272. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 24.[]
  273. Ibid.[]
  274. Cf. Ac 2, 42[]
  275. CONC. ŒCUM. VAT. II, Décret sur l’œ­cu­mé­nisme Unitatis redin­te­gra­tio, n. 2.[]
  276. S. AUGUSTIN, In Iohannis Evangelium Tractatus XXVI, 13 : CCL 36, 266. Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 47.[]
  277. Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 1.[]
  278. Ac 17, 28.[]
  279. 1 Tm 2, 4[]
  280. Cf. He 5, 7[]
  281. Lc 11, 13.[]
  282. Rm 8, 26[]
  283. Cf ORIGÈNE De ora­tione, 2 : PG 11, 419–423.[]
  284. Rm 8, 27.[]
  285. Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 63.[]
  286. Ibid., n. 64.[]
  287. Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 4 ; cf. Ap 22, 17[]
  288. Cf. Rm 8, 24.[]
  289. Cf. Jn 4, 14 ; Const. dogm. sur l’Eglise Lumer gen­tium, n. 4.[]
  290. Cf Ap 12, 10[]
  291. Cf. Rm 8, 23[]
  292. Cf. séquence Veni, Sancte Spiritus.[]
  293. Cf. sym­bole Quicumque : DS 75.[]
  294. Cf. Rm 5, 5.[]
  295. Il convient de rap­pe­ler l’im­por­tante Exhortation apos­to­lique Gaudete in Domino publiée par le Pape Paul VI, de véné­rée mémoire, le 9 mai de l’Année Sainte 1975, car elle vaut tou­jours, l’in­vi­ta­tion qui y était expri­mée à « implo­rer de l’Esprit Saint ce don de la joie » et aus­si à « goû­ter la joie pro­pre­ment spi­ri­tuelle, qui est un fruit de l’Esprit Saint » : AAS 67 (1975), pp. 289, 302.[]
  296. Cf. Jn 16 22.[]
  297. Cf. Rm 14, 17 ; Ga 5, 22[]
21 janvier 2000
Discours pour l'inauguration de l'année judiciaire
  • Jean-Paul II