Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 20 décembre de l’an 1929,
de Notre Pontificat le huitième.Aux Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.
Une pensée Nous animait, au début de l’année présente, quand Nous avons annoncé à l’univers catholique, un Jubilé extraordinaire pour célébrer l’anniversaire du jour où, il y a cinquante ans, après avoir été ordonné prêtre, Nous sommes monté à l’autel célébrer pour la première fois le Divin Mystère. Cette pensée, Nous en sommes sûr, Vénérables Frères, n’a échappé à aucun d’entre vous.
Notre Constitution Apostolique Auspicantibus Nobis, publiée le 6 janvier 1929, le déclarait en effet, solennellement ; Nous avions, d’abord, le désir d’appeler Nos fils très chers, les membres de cette grande famille chrétienne que le très doux Cœur Divin a confiée à Notre cœur, à partager la joie de leur Père commun et à rendre grâces avec Nous, d’une seule voix, au Souverain Dispensateur de tous les biens. Mais, surtout, Nous en avions la douce espérance en ouvrant, avec la libéralité d’un père, ce trésor des dons célestes, dont l’administration Nous a été confiée, le peuple chrétien profiterait de cette heureuse occasion pour rendre sa foi plus vigoureuse, accroître sa piété, progresser dans la perfection, et réformer les mœurs privés et publiques par l’exacte observation de l’Évangile. De cette paix des âmes, de ces pardons divins, Nous attendions un heureux fruit ; avec la paix pour les individus, la paix pour la société.
Notre espérance n’a pas été vaine ; l’élan de piété ardente avec lequel le peuple chrétien a accueilli la promulgation du Jubilé, loin de s’affaiblir avec le temps, va chaque jour grandissant sous nos yeux. Surtout l’aide du Seigneur est visible : n’a‑t-il pas suscité des événements, en cette année vraiment salutaire qui en rendront le souvenir à jamais mémorable ? Pour nous, que de motifs de joie ! N’avons-Nous pas vu très souvent de Nos yeux ce magnifique accroissement de foi et de piété ? N’avons-nous pas joui de la présence de Nos fils très chers accourant en foule vers Notre palais où il Nous a été si doux de les recevoir, où Nous avons pu, pour ainsi dire, les presser avec amour sur Notre cœur ?
Aussi, tout en exprimant avec ardeur les sentiments de Notre cœur reconnaissant au Père des miséricordes, qui a bien voulu, au cours de cette année jubilaire, faire germer, faire mûrir et récolter dans sa vigne tant de fruits précieux, Nous Nous sentons fortement pressé, dans Notre sollicitude pastorale, de tout faire pour que des débuts si favorables soient suivis de résultats toujours meilleurs et durables, dans l’intérêt du bonheur et du salut de chaque fidèle et, par là, de la Société tout entière.
Les Exercices Spirituels, instrument incomparable pour le salut éternel
Or, en réfléchissant aux divers moyens d’obtenir de tels résultats, Nous Nous sommes souvenu de Notre prédécesseur Léon XIII, d’heureuse mémoire. Ce pontife annonçait dans une autre occasion, l’année sainte et, en de graves paroles, que nous avons faites nôtres dans la Constitution Auspicantibus Nobis déjà citée, il exhortait les fidèles « à se recueillir un peu et à élever plus haut leurs pensées trop attachées à la terre ». Nous Nous sommes aussi souvenu de Notre prédécesseur Pie X, de Sainte Mémoire. Ce Pontife, qui n’avait cessé, par sa parole et par ses exemples, de promouvoir la sainteté sacerdotale, adressa au clergé catholique, à l’occasion du cinquantième anniversaire de son ordination, une pieuse « Exhortation » qui contient un choix très abondant des documents les plus capables de nous aider à élever très haut l’édifice de la vie spirituelle.
Marchant sur les traces de ces Pontifes, Nous avons cru bon de faire, Nous aussi, quelque chose, et Nous vous recommandons une pratique dont Nous attendons des avantages précieux et sans nombre pour le peuple chrétien. Nous voulons parler de l’usage des Exercices Spirituels. Qu’il se répande dans l’un et l’autre clergé ! Qu’il se propage aussi chaque jour, davantage dans la foule des laïques : tel est Notre vœu le plus ardent ; tel est le souvenir que Nous voulons laisser de l’année sainte et à Nos fils bien-aimés. Dans cette exhortation, Nous mettons tout Notre cœur, à la fin de cette cinquantième année de Notre ministère sacerdotal. Où trouver, en effet, plus de douceur que dans le souvenir des grâces célestes et des consolations ineffables que la pratique des Exercices Nous a fait goûter : les saintes retraites, que Nous avons suivies assidûment, n’ont elles pas marqué en quelque sorte les étapes de Notre carrière ? N’est-ce pas là que Nous avons trouvé la lumière pour connaître la volonté divine et le stimulant pour l’accomplir ? Enfin, le soin que Nous avons donné, durant tout le cours de Notre ministère sacerdotal, à la formation spirituelle du prochain, a produit, grâce aux Exercices, des fruits si beaux, un progrès si étonnant que, Nous voyons dans les Exercices un instrument incomparable pour le salut éternel des âmes.
Le mal à guérir
Et, en vérité, Vénérables Frères, l’importance, l’utilité et l’opportunité des saintes retraites apparaissent de bien des manières, pour peu que Nous considérions le temps où Nous vivons. Le mal le plus grave dont il souffre, source en misères fécondes, que déplore tout cœur bien né, c’est cette légèreté, cette absence de réflexion, cause des égarements des hommes. De là le besoin sans répit ni mesure de se répandre au dehors, de là cette faim insatiable de richesses et de plaisirs qui atténue peu à peu dans le cœur humain le désir des biens supérieurs, au point de l’éteindre, et qui l’engage tellement dans les biens extérieurs et passagers que les vérités éternelles, les lois divines, Dieu lui-même, unique principe et fin unique de toute créature, sortent nécessairement de sa pensée. Heureusement, ce Dieu infiniment bon et miséricordieux ne cesse pas, même en nos jours, d’attirer à lui les hommes, à mesure que se propage partout le dérèglement des mœurs ; et puisqu’il faut guérir le mal qui travaille si douloureusement la famille humaine, quel remède plus efficace et plus fortifiant pour ces pauvres âmes anémiées et oublieuses des biens éternels, que la pieuse pratique des Exercices Spirituels, à laquelle Nous les invitons ! En vérité, ces Exercices ne seraient-ils qu’une brève retraite de quelques jours, où, loin du commerce ordinaire des hommes et du flot des soucis quotidiens, nous puissions, non certes prendre des vacances oisives, mais examiner sérieusement ces questions capitales et troublantes de notre origine et de notre fin, ces questions qui ont toujours agité le cœur humain dans ses profondeurs : « D’où venons-nous ? Où allons-nous ? », qui oserait dire que les Exercices ne sont pas d’une haute utilité ? Nous leur devons des bienfaits plus grands encore : en obligeant notre esprit à l’effort, à un examen attentif de nos pensées, de nos paroles et de nos actes, à une introspection diligente, ils font faire aux facultés humaines un merveilleux exercice : dans cette remarquable gymnastique spirituelle, l’esprit s’habitue à résoudre les problèmes à loisir, à peser avec justesse ; la volonté devient ferme et vigoureuse ; les passions se soumettent à la raison ; l’activité humaine reçoit de la pensée une règle sûre et efficace ; enfin, l’âme tout entière atteint les hauteurs de sa noblesse originelle.
Efficacité hors pair des Exercices pour la réforme et le progrès des âmes
Le Pape saint Grégoire, dans son « Pastoral », nous le montre par une élégante comparaison : « L’esprit humain ressemble à l’eau : endiguez-le, il se ramasse, s’élève et gagne les hauteurs d’où il est descendu ; ouvrez les digues : il se disperse et se répand inutilement dans les bas-fonds ». Bien plus, grâce à la pratique attentive des Exercices spirituels, « non seulement l’esprit se réjouit dans le Seigneur, et trouvant dans le silence des aiguillons qui excitent sa faim, se nourrit d’ineffables ravissements », – c’est une sage remarque de saint Eucher, évêque de Lyon, – mais encore, la libéralité divine l’invite à prendre cette nourriture céleste dont Lactance nous dit : « Il n’est pour l’âme aliment plus suave que la connaissance de la vérité ». Suivant la pensée d’un auteur ancien qu’on a cru longtemps être saint Basile le Grand, « il entre à l’école de la doctrine céleste pour s’y former aux sciences divines », dans cette école où l’on n’enseigne que Dieu, Voie unique qui conduit sûrement à la connaissance de la vérité suprême.
On le voit clairement, qu’il s’agisse de perfectionner les puissances naturelles de l’homme, ou surtout de former le chrétien surnaturel, les Exercices ont une efficacité hors pair. Et, assurément, à une époque où le véritable sens chrétien et l’esprit surnaturel, en dehors desquels notre sainte religion n’est plus rien, se heurtent à tant d’empêchements et d’obstacles, quand le naturalisme étend partout son domaine, ruine la fermeté de la foi et éteint les feux de la charité chrétienne, rien de plus important pour l’homme que d’échapper à cette fascination des bagatelles qui « obscurcit » le bien et de se cacher dans cette bienheureuse solitude. Là, formé par le Maître céleste, il appréciera à sa vraie valeur la vie humaine qui tire tout son prix du service divin ; il prendra en horreur les hontes du péché ; il concevra une sainte crainte de Dieu ; le voile qui cache la vanité des biens terrestres tombera et elle lui apparaîtra dans tout son jour ; poussé par les leçons et les exemples de celui qui est « la voie, la vérité, la vie », il dépouillera le vieil homme, se rénovera lui-même, et, dans l’exercice de l’humilité, de l’obéissance, de la mortification volontaire, il revêtira le Christ et tendra à devenir « l’homme parfait », à réaliser « la mesure de la stature parfaite du Christ » dont parle l’Apôtre : enfin, il fera tous ses efforts pour pouvoir répéter lui aussi avec le même apôtre : « Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Par ces degrés, sans aucun doute, l’âme s’élève à la plus haute perfection et s’unit suavement à Dieu, sous l’action de la grâce divine qu’appellent avec plus d’abondance, en ces jours de prières plus nombreuses et plus ferventes et la participation plus fréquente des Saints Mystères.
Ce sont là, certes, Vénérables Frères, des bienfaits extraordinaires et d’une extrême importance ; ils dépassent de beaucoup la nature ; leur possession seule donne le repos, le bonheur, la véritable paix, suprêmes aspirations de l’esprit humain, que la Société contemporaine, emportée par l’ardeur des voluptés dans une vaine poursuite, cherche avidement dans les biens incertains et fragiles d’une trouble et tumultueuse existence. C’est loin de là que les hommes trouveront une merveilleuse vertu pour les pacifier et les élever à la sainteté ; c’est, Nous l’enseignons sans crainte, dans les Exercices Spirituels. Les siècles passés, et le nôtre, peut-être, mieux encore, en ont fait la preuve dans une longue expérience. Ils sont innombrables vraiment ceux qui sont sortis des Saints Exercices « enracinés et affermis » dans le Christ, remplis de lumière et de joie et pénétrés de cette paix qui surpasse toute intelligence.
Les Exercices Spirituels école d’Action Catholique
Cette plénitude de vie chrétienne que nous donnent, Nous l’avons vu, les Exercices, n’a pas pour unique fruit la paix intérieure de l’âme. Un autre fruit en découle tout naturellement, fruit précieux et d’un profit peu commun pour la Société : c’est le zèle pour le salut des âmes, l’esprit d’apostolat. L’effet propre de la charité, dans une âme juste que Dieu remplit de sa grâce, n’est-il pas, en effet, de l’enflammer d’un zèle merveilleux pour appeler les autres âmes à venir partager cette connaissance et cet amour du Bien infini dont ses efforts lui ont assuré la possession ? Or, voyez : dans notre siècle de misères spirituelle pour la famille humaine, le terres lointaines des Missions, « déjà toutes blanches pour la moisson », réclament chaque jour plus haut un nombre d’ouvriers égal à leurs besoins ; et nos propres pays réclament des troupes d’élite de l’un et de l’autre clergé pour accomplir dignement le ministère divin, et des bataillons serrés de pieux laïcs qui, étroitement unis à la hiérarchie, l’aideront dans son apostolat et se consacreront, avec une industrieuse activité, aux tâches laborieuses et multiples de l’Action catholique. Et bien ! Vénérables Frères, fort des leçons de l’histoire, Nous saluons les maisons des saints Exercices comme autant de Cénacles dus à la divine Bonté, où les cœurs généreux, fortifiés par la grâce, éclairés par le flambeau des vérités éternelles, et touchés par les exemples du Christ, voient clairement le prix des âmes, sentent s’allumer en eux la flamme du zèle, brûlent de servir dans l’état où une sage élection leur montre que leur Créateur les appelle, et où ils apprennent, en même temps, l’idéal, les industries, les hauts faits de l’apostolat chrétien.
Les Premiers Exercices, au Cénacle
Cette méthode, du reste, n’est-elle pas celle que Notre-Seigneur a employée pour former les prédicateurs de son Évangile ? Le Divin Maître lui-même ne s’est pas contenté des longues années d’obscurité dans la maison de retraite de Nazareth ; avant de se montrer en pleine lumière aux nations et de prêcher ses leçons célestes, il a voulu passer quarante jours suivis dans le désert le plus solitaire. Bien plus, au milieu des fatigues de la prédication évangélique, il avait aussi coutume d’inviter ses apôtres à goûter les douceurs du silence de la retraite : « Venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu ». Et, quand il quitta pour le ciel notre séjour de misère, il voulut voir ses Apôtres et ses disciples travailler à leur perfection, dans le Cénacle de Jérusalem : là dix jours durant, « ils persévérèrent dans une prière unanime » et se rendirent dignes de recevoir l’Esprit Saint. Mémorable retraite assurément Premiers Exercices spirituels ! L’Église en est sortie ; elle y a puisé sa vigueur et son inépuisable jeunesse ; c’est là, sous le regard et le patronage de la Vierge Marie, mère de Dieu, que se formèrent, avec les Apôtres, ces premiers disciples que nous pouvons appeler justement les précurseurs de l’Action Catholique.
Chez les premiers chrétiens
C’est de ce jour que date l’usage des Exercices Spirituels. Le nom, la méthode n’étaient pas ceux d’aujourd’hui ; mais la pratique en était « familière aux premiers chrétiens », Saint François de Sales nous l’enseigne et les Saints Pères nous en donnent, dans leurs œuvres, des preuves évidentes.
Écoutez saint Jérôme exhortant la noble Celantia : « Choisissez-vous un lieu favorable, loin des bruits de la famille, où vous puissiez vous réfugier comme dans un port. Là, pas d’autres soins que les saintes lectures ; revenez si fréquemment à la prière, entretenez si fortement votre esprit de la vie future que vous puissiez, dans ce repos, réparer tant de journées absorbées par les occupations terrestres. Nous ne disons pas cela pour vous séparer des vôtres ; Notre pensée, au contraire, c’est que vous appreniez là, dans la méditation, ce que vous devez être pour eux ».
Écoutez un contemporain de saint Jérôme, saint Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne, adresser aux fidèles cette éloquente et célèbre invitation :» Nous avons donné au corps une année ; donnons à l’âme quelques jours… Vivons un peu pour Dieu, après avoir tant vécu pour le monde…. Ouvrons nos oreilles à la voix de Dieu : que les bruits familiers ne nous empêchent pas de l’entendre… Ainsi équipés, mes frères, ainsi formés, nous déclarerons la guerre au péché… Nous sommes sûrs de la victoire ».
Dans la suite des temps, les hommes ont toujours éprouvé cette nostalgie d’une solitude paisible, où leur âme pourrait, loin des regards des autres hommes, s’adonner intensément aux choses divines. Mieux que cela, On l’a remarqué, plus les époques étaient orageuses et la société troublée, et plus se faisait pressant l’appel divin pour pousser à la retraite les âmes avides de justice et de vérité, « afin que, libérées ordinairement des convoitises corporelles, elles puissent se livrer à la divine sagesse, et, dans le secret de leur cœur, où tous les soucis humains font silence, s’abandonner aux saintes méditations et aux délices éternels ».
Les Exercices Spirituels de saint Ignace
Plus tard, la Providence de Dieu a suscité dans son Église nombre d’hommes spirituels, enrichis de l’abondance des faveurs célestes, remarquables par leur science de la vie spirituelle. Ils nous ont donné les règles et les méthodes d’une ascèse sage et autorisée qu’ils devaient soit à une révélation divine, soit à leur pratique personnelle, soit à l’expérience des siècles passés. C’est ainsi que parut, par une volonté de cette Providence Divine, l’œuvre de cet insigne serviteur de Dieu, Ignace de Loyola, celle à qui appartient en propre le nom d’Exercices Spirituels, un trésor, comme l’appelait le Vénérable Louis de Blois, ce fils insigne de saint Benoît, dont saint Alphonse-Marie de Liguori cite le texte dans une lettre magnifique sur la pratique des Exercices dans la solitude, « un trésor que Dieu a ouvert à son Église en ces derniers temps et pour lequel nous Lui redevons de spéciales actions de grâces ». La renommée de ces Exercices Spirituels se répandit rapidement dans l’Église. Entre beaucoup d’autres, saint Charles Borromée, qui est pour Nous, à tant de titres, l’objet d’une vénération et d’un amour particuliers, leur demanda un stimulant pour courir avec plus d’ardeur dans la carrière de la sainteté, et, comme Nous l’avons rappelé en une autre occasion, « il en répandit l’usage dans le clergé et dans le peuple ». Avec son zèle et son autorité, il les enrichit de règles très sûres et de « directoires » et il alla jusqu’à fonder une maison exclusivement consacrée aux Exercices suivant la méthode de saint Ignace. Cette maison, qu’il appela Ascetenum, nous devons, semble-t-il, la saluer comme la première de toutes celles qu’une heureuse imitation a, dans la suite, fait fleurir partout. Et, de fait, à mesure que l’estime des Exercices augmentait dans l’Église, ces maisons se multipliaient d’une façon merveilleuse ; oasis providentielles, on peut le dire, où les fidèles des deux sexes, dans les aridités de leur pèlerinage terrestres, trouvent le repos et une nourriture spirituelle, qui leur rend des forces. En présence des ruines effrayantes accumulées par une guerre qui a jeté le trouble au plus profond de la société, après tant de coups portés à la vie spirituelle et à la vie civique des peuples, hier prospères aujourd’hui mutilés, on ne compte pas ceux qui, après avoir vu s’effacer et s’évanouir les vaines espérances qu’ils caressaient jadis, ont compris clairement qu’il faut préférer aux biens de la terre les biens du ciel, et sont allés, sous l’impulsion toujours agissante du Saint-Esprit, chercher la véritable paix de l’âme dans les Saints Exercices. Quel témoignage lumineux, dans cette affluence : âmes attirées par la beauté d’une vie plus parfaite et plus sainte, âmes battues par de furieuses tempêtes ou tourmentées par les soucis de la vie, âmes assiégées par les ruses d’un monde trompeur, âmes atteintes par le fléau d’un nationalisme odieux ou charmées par les voluptés charnelles, toutes ont cherché un refuge dans ces maisons ; dans le calme de ces saintes solitudes, d’autant plus pénétrant que les assauts soutenus avaient été plus violents ; elles ont repris la méditation des vérités surnaturelles et en ont fait leur règle dans la réforme de leur vie.
Cet élan magnifique de piété Nous remplit d’une très vive et d’une très douce reconnaissance. Qu’il se propage, et ce sera, nous en sommes sûrs, la protection la plus sûre, le plus efficace secours contre les maux qui nous menacent. Aussi. sommes-Nous résolus, autant qu’il est en Nous, de seconder les aimables desseins de la Divine Bonté. Il ne faut pas que ce pressant appel du Saint-Esprit au plus infinie des cœurs reste vain, ni cette semence des dons célestes les plus précieux, inféconde.
Devoir des chrétiens
L’exemple du Vatican Nous le faisons d’autant plus volontiers que Nous avons sous les yeux l’exemple de Nos prédécesseurs. Depuis longtemps, en effet, le Siège Apostolique ne s’est pas contenté de recommander souvent aux fidèles les Exercices Spirituels. Il a voulu y joindre l’enseignement et l’autorité de son exemple : plusieurs fois, l’auguste palais du Vatican s’est trouvé converti pendant quelques jours, en un Cénacle de méditations et de prière. Cette coutume, Nous l’avons trouvée établie ; mais elle Nous a causé une telle joie, une Si vive consolation, que Nous avons voulu en conserver le bénéfice pour Nous et pour ceux qui vivent prés de Nous. Aussi, suivant en cela leurs désirs, Nous avons ordonné les mesures nécessaires et, à l’avenir, les Exercices seront donnés chaque année dans Notre palais.
Les Évêques
Vous aussi, Vénérables Frères, vous estimez grandement les Exercices Spirituels ; personne ne l’ignore. Vous les avez pratiqués avant d’enter dans les ordres sacrés et avant de recevoir la plénitude du Sacerdoce ; souvent encore, dans des réunions où vous avez convoqué vos prêtres et que vous présidiez vous-mêmes, vous avez eu recours aux Exercices pour refaire vos âmes dans la méditation des vérités éternelles. Bel exemple, certes, et que Nous jugeons digne de louer ouvertement. Mais Nous croyons devoir une louange encore plus grande à ces évêques de l’Église Orientale ou Occidentale, qui se sont réunis plus d’une fois, Nous le savons, sous la présidence de leur Patriarche ou de leur Métropolitain pour faire une retraite plus adaptée à leur charge et à leurs devoirs. Ils ont donné là un magnifique exemple, et Nous espérons que cet exemple sera, dans la mesure du possible, suivi et propagé avec empressement. Notre vœu se réalisera facilement, si on organise ces retraites à l’occasion des réunions, que les évêques d’une province doivent tenir, soit pour le bien commun des âmes, soit pour délibérer sur les dispositions qu’exigent les circonstances. C’est ce que nous avions décidé de faire Nous-même avec tous les évêques de la Lombardie dans les jours si courts où Nous avons gouverné l’Église de Milan ; et nous aurions certainement réalisé Notre projet dès la première année de Notre épiscopat, si Dieu, dans sa mystérieuse Providence, n’avait eu des vues tout autres sur Notre humble personne.
Les prêtres du clergé séculier
Nous pouvons donc y compter : les prêtres et les religieux qui ont prévenu sur ce point la législation de l’Église et pratiqué fréquemment dans le passé les Exercices Spirituels, auront recours à l’avenir à ce moyen de sanctification avec un zèle d’autant plus grand que les Saints Canons le leur prescrivent maintenant avec tout le poids de leur autorité. Aussi exhortons-Nous ardemment les prêtres du clergé séculier à se montrer fidèles à pratiquer les Exercices Spirituels, au moins dans la mesure Si modique des prescriptions canoniques ; qu’un désir ardent de leur propre perfection les anime au début et dans le cours de la retraite : ainsi ils obtiendront avec abondance l’esprit surnaturel qui est indispensable aux succès de leur ministère auprès du troupeau confié à leurs soins et pour gagner à Jésus-Christ, dans la bataille des âmes, un riche butin. N’est-ce pas la voie où ont marché tous les prêtres consumés du zèle des âmes, qui se sont distingués soit en guidant le prochain dans le sentier de la sainteté, soit dans la formation du clergé ? Tel fut, pour citer une exemple récent, le Bienheureux Joseph Cafasso, que Nous avons élevé Nous-même aux honneurs des autels : pour ce saint personnage, la pratique régulière des Exercices fut toujours un devoir sacré : c’est là qu’il avivait dans son cœur et chez les autres ministres du Christ, la flamme d’un zèle ardent pour la sainteté et la connaissance des pensées divines : et c’est au sortir d’une de ces retraites que, dans la lumière d’une révélation céleste, il montra clairement à un jeune prêtre, son pénitent, la route qui devait le conduire sur les plus hauts sommets de la sainteté : Nous voulons parler du Bienheureux Don Bosco : ce nom rend tout éloge inutile.
Les religieux de tous Ordres
Quand à ceux qui, quel que soit leur nom, servent dans le cloître et dans la vie religieuse, une loi leur ordonne les Exercices annuels. Sans aucun doute, ils rapporteront de ces pieuses retraites une grande abondance de biens célestes ; ils y trouveront, suivant leurs besoins particuliers, une source où puiser le désir d’une perfection plus haute et tous les secours pour marcher plus allègrement dans la voie des conseils évangéliques. Les Exercices annuels, en effet, sont « l’arbre de vie » mystique qui permettra aux communautés et à leurs membres de garder toute sa force à cette sainteté dont le renom est la gloire nécessaire de toute famille religieuse.
Et que les prêtres de l’un et l’autre clergé ne s’imaginent pas que le temps passé dans les Exercices nuira au ministère apostolique. Qu’ils écoutent saint Bernard : il n’hésitait pas à écrire au Bienheureux Pontife Eugène lui dont il avait été le maître : Si vous voulez vous donner tout entier à tous, à l’exemple de celui qui s’est fait tout à tous, je loue votre charité ; mais qu’elle s’étende vraiment à tous ! Et comment s’étendrait-elle à tous, si vous vous excluez ? Vous aussi, vous êtes homme ! Pour que cette charité s’étende à tous sans exception, qu’il y ait place aussi pour vous dans ce cœur ouvert à tous ; sans quoi, que vous servira de gagner l’univers, en vous perdant vous-même ? Concluez : vous êtes tout à tous ; soyez aussi parfois tout à vous-même ! Souvenez-vous, je ne dis pas toujours, je ne dis pas souvent, mais de temps en temps, de reprendre possession de vous-même !
Les laïcs de l’Action Catholique
Et maintenant, Vénérables Frères, Notre désir n’est pas moins grand de voir se perfectionner dans les Exercices Spirituels les bataillons nombreux de cette Action Catholique que Nous ne cessons et ne cesserons jamais de promouvoir et de recommander de toutes Nos forces, et dans laquelle il faut voir la participation très utile pour ne pas dire nécessaire des laïques à l’apostolat de la hiérarchie. En vérité, les mots Nous manquent pour dire de quelle joie Nous avons été rempli en apprenant que presque partout, on a organisé des retraites spéciales où ces soldats du Christ, pacifiques et forts, et surtout les bataillons des jeunes recrues, reçoivent une formation particulière. Ils y courent, nombreux, et ils en reviennent vaillants et agiles pour soutenir la cause de Dieu ; ils y trouvent des secours pour imprimer dans leur âme les traits de la perfection chrétienne ; enfin, il n’est pas rare que la voix de Dieu, résonnant mystérieusement dans leur cœur, les appelle au ministère saint, à la conquête des âmes, à l’apostolat dans la pleine acceptation du mot.
Splendide aurore, illuminée des feux de la grâce, qui sera bientôt suivie d’un midi éclatant, pourvu que la pratique des Exercices Spirituels devienne universelle et se propage avec sagesse et intelligence parmi les associations diverses de catholiques, surtout parmi les plus jeunes.
Congés payés
En un temps spécialement où les biens temporels et les multiples commodités de la vie qui en découlent se sont répandus avec une certaine abondance chez les ouvriers et chez les autres salariés, et leur ont fait une vie plus heureuse et plus large, il faut regarder comme un bienfait de la miséricorde et de la bonté prévoyantes de Dieu que les fidèles des classes populaires voient s’ouvrir pour eux le trésor des Exercices. Heureux contrepoids ! Il les empêchera de se laisser emporter par les biens passagers, de se plonger jusqu’au cou dans les plaisirs faciles et de tomber dans le matérialisme théorique et pratique le plus lamentable.
Les ligues d’anciens retraitants
Aussi les œuvres des retraites fermées qui surgissent déjà en plus d’un pays et plus encore, les retraites d’ouvriers, si fécondes, si opportunes, avec les Associations dîtes de persévérance qui en prolongent le fruit, sont-elles, à juste titre, l’objet de Nos ardents désirs et de Nos spéciales faveurs. Toutes ces œuvres, vénérables Frères Nous les recommandons instamment à la sagacité de votre zèle pastoral.
Conditions d’une bonne retraite
Mais pour que les Exercices produisent les fruits que Nous avons décrits, il faut les faire avec l’application convenable ; si 16 PIE XI, PAPE on ne les fait que par habitude, ou avec paresse et nonchalance, le profit sera mince ou inexistant.
1. La solitude et le silence. Quel est donc le premier devoir ? C’est de se retirer dans une solitude propice, et de s’appliquer avec intensité à la méditation, en écartant tous les soucis et toutes les préoccupations ordinaires de la vie. Ce livre d’or qu’est l’« Imitation de Jésus-Christ » nous le dit clairement : « C’est dans le silence et dans la paix que l’âme dévote progresse ». Aussi, s’il faut louer assurément et promouvoir avec tout le zèle pastoral possible, puisque Dieu les honore de multiples faveurs, les Exercices prêchés en public au peuple chrétien, Nous insistons avec toute Notre énergie pour qu’on fasse les Exercices dans la solitude c’est-à-dire des retraites fermées, parce qu’il est plus facile de s’y tenir à l’écart des créatures, de recueillir les puissances de notre esprit dissipé et, dans la contemplation des vérités éternelles, de ne plus penser qu’à soi et à Dieu.
2. Un minimum de durée. En outre, pour que les Exercices Spirituels méritent leur nom, il faut y consacrer un certain temps. Ce temps peut varier suivant les circonstances et les personnes, se réduire à quelques jours ou se prolonger un mois entier. Mais qu’on ne les réduise pas trop Si l’on veut que les Exercices donnent les avantages promis. Une cure dons un lieu salubre ne profite à la santé que si on y séjourne suffisamment : ce traitement salutaire des Exercices, ne refait vraiment l’âme que si on le prolonge assez longtemps.
3. Une bonne méthode. Enfin, il est d’une extrême importance, pour bien faire les Exercices Spirituels et en profiter, de suivre une méthode sage et appropriée.
La méthode de saint Ignace tient le premier rang entre toutes
Or, la preuve en est faite, parmi toutes les méthodes, louables assurément, puisqu’elles sont fondées sur les principes d’une saine ascèse catholique, il en est une qui a toujours tenu le premier rang, honorée de l’approbation entière et maintes fois répétée du Saint-Siège, illustrée par les éloges de personnages aussi illustres par leur science des choses divines que par leur sainteté, qui a produit, enfin, des fruits innombrables de vertu pendant près de quatre siècles : c’est la méthode de saint Ignace de Loyola, celui qu’il Nous plait d’appeler le Maître principal et le spécialiste des Exercices Spirituels.
Son admirable livre des Exercices, si mince de volume, mais si lourd de sagesse céleste, depuis qu’il a été solennellement approuvé, loué et recommandé par Notre prédécesseur Paul III, d’heureuse mémoire pour reprendre ici les paroles employées par Nous autrefois, avant d’être appelé à la Chaire de Pierre s’est imposé avec éclat comme le Code le plus sage et le plus universel des lois du salut et de la perfection des âmes, comme la source intarissable de la piété la plus élevée et la plus solide, comme un aiguillon irrésistible et un guide très averti pour aider les âmes à se réformer et atteindre les sommets de la vie spirituelle. Au début de Notre Pontificat, « répondant aux désirs et aux vœux ardents de l’épiscopat de presque tout l’univers catholique et des deux rites », dans la Constitution Apostolique Summorum Pontificum du 25 août 1922, Nous avons déclaré solennellement Saint Ignace de Loyola, Patron céleste de tous les Exercices Spirituels et, par conséquent, des instituts, confréries et associations de tout genre qui consacrent leur zèle ô ceux qui font les Exercices. Nous ne faisons, pour ainsi dire, que consacrer de Notre autorité suprême le sentiment commun des Pasteurs et des fidèles, ce qu’avait dit implicitement, outre Paul III, déjà cité, Nos insignes prédécesseurs Alexandre VII, Benoît XIV et Léon XIII dans leurs éloges répétés de la discipline Ignatienne ; ce qu’avaient déclaré en le portant aux nues, et, mieux encore, par l’exemple des vertus puisées ou développées à cette école, tous ceux qui se sont illustrés par leur science ascétique et la sainteté de leur vie, pendant les quatre derniers siècles.
Universalisme et Garantie contre tout faux mysticisme
Voyez en effet : une doctrine spirituelle excellente, aussi éloignée que possible des périls et des illusions d’un mysticisme faux ; une admirable facilité d’adaptation à toutes les classes et à toutes les conditions, que l’on vaque dans le cloître à la contemplation ou que l’on mène, dans les affaires, une vie agitée ; un merveilleux accord entre les diverses parties ; l’ordre admirable et lumineux dans lequel se succèdent les vérités méditées ; une spiritualité, enfin, qui enseigne à l’homme à secouer le joug du péché, à guérir ses maladies morales, et qui, par la voie sûre de l’abnégation et du renoncement aux habitudes mauvaises, le fait parvenir à l’oraison la plus élevée sur les sommets de l’amour divin. Tant de qualités, sans aucun doute, prouvent avec évidence l’efficacité vigoureuse de la méthode d’Ignace et sont pour les Exercices la plus éloquente recommandation.
La récollection mensuelle
Il Nous reste, Vénérables Frères, à indiquer le moyen de sauvegarder soigneusement les fruits de ces Exercices Spirituels, que Nous venons de combler de Nos louanges et d’en renouveler la salutaire impression. Ce moyen, que Nous vous recommandons instamment, c’est la pieuse coutume de la récollection mensuelle ou tout au moins trimestrielle, qui est comme une brève répétition des Exercices. Cet usage il Nous plaît d’employer les mêmes paroles que Notre prédécesseur Pie X, de sainte mémoire : « Nous le voyons avec grande joie introduit en plusieurs endroits » et particulièrement en honneur dans les communautés religieuses et chez les prêtres pieux du clergé séculier. Mais Nous souhaitons de tout Notre cœur qu’il soit introduit parmi les laïques eux-mêmes : là encore il serait, sans aucun doute, d’une utilité peu ordinaire, surtout pour ceux qui, retenus par leurs charges de famille ou trop engagés dans les affaires, ne peuvent suivre les Exercices Spirituels : ces récollections compenseraient, en partie du moins, les avantages des Exercices eux-mêmes.
Conclusion
Et ainsi, Vénérables Frères, si partout, dans tous les rangs de la Société chrétienne, on propage suivant Nos conseils et on pratique avec soin les Exercices, ils produiront un renouveau spirituel : la piété sera réchauffée, la religion sera vigoureusement pratiquée, le ministère apostolique sera plus ample et plus fructueux, la paix enfin établira son règne dans les âmes et dans la Société.
Dans la sérénité du ciel et le silence de la terre, tandis que la nuit atteignait le milieu de sa course, en secret, loin des foules humaines, le Verbe Éternel du Père, prit la nature humaine et se montra aux mortels, et, dans les hauteurs du Ciel retentit l’hymne céleste : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». Cette annonce de la paix chrétienne – la Paix du Christ dans le règne du Christ – traduit le désir le plus profond de Notre cœur, le désir de cette paix, objet de tous Nos vœux et de tous Nos efforts ! Elle retentira profondément dans les âmes des fidèles s’ils s’éloignent du tumulte et des vanités de la vie moderne pour méditer à loisir dans le secret d’une retraite silencieuse les vérités de la foi et les exemples de Celui qui a porté la paix au monde et la lui a laissée comme son héritage : « Je vous donne ma paix ».
Cette paix, cette paix véritable, en ce jour où par une faveur divine, Nous terminons la cinquantième année de Notre sacerdoce, Nous vous la souhaitons, Vénérables Frères, de tout Notre cœur, et à la veille de célébrer la très douce fête de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est vraiment le mystère de la paix, Nous la demandons à Celui que Nous saluons du titre de Prince de la Paix, dans une fervente prière. Dans ces sentiments, le cœur plein d’une douce joie et animé d’une ferme espérance, comme gage des faveurs divines, comme témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons, affectueusement, Vénérables Frères, à vous, à votre clergé et à votre peuple, c’est-à-dire à Notre grande et chère famille catholique, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 20 décembre de l’an 1929, de Notre Pontificat le huitième.
Pie XI, Pape