Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

9 novembre 1846

Lettre encyclique Qui pluribus

Sur les principales erreurs du temps

Résumé par Gervais Dumeige, S. J., La foi catho­lique, 1960 : 

L’encyclique de Pie IX tranche le grand débat qui oppo­sait le fidéisme et le tra­di­tio­na­lisme [1] d’une part [n° 53] et le ratio­na­lisme sous la forme de l’hermésianisme d’autre part. Le rôle de la rai­son humaine est d’a­che­mi­ner vers la révé­la­tion, mais ensuite elle doit se sou­mettre à la parole de Dieu. Il ne peut y avoir contra­dic­tion entre la foi et la rai­son, car l’une et l’autre ont leur ori­gine en Dieu.

Les deux erreurs fon­da­men­tales de Hermes (1775–1831), pro­fes­seur de dogme à Bonn depuis 1819, étaient les sui­vantes : pre­miè­re­ment, le doute abso­lu est à la base de toute connais­sance théo­lo­gique ; deuxiè­me­ment, le motif de l’as­sen­ti­ment, dans la foi, ne dif­fère en rien du motif de l’as­sen­ti­ment dans les connais­sances natu­relles. Dans les deux cas, une néces­si­té inté­rieure de l’in­tel­li­gence humaine entraî­ne­rait l’as­sen­ti­ment en vue de conser­ver la digni­té humaine : ce qui sup­prime la dis­tinc­tion essen­tielle entre connais­sance natu­relle et connais­sance surnaturelle.

Donné à Rome, près Sainte Marie Majeure, le 9 novembre 1846
À tous nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques, en grâce et com­mu­nion avec le Siècle Apostolique.

Pie IX, Pape
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

Nous qui, depuis un nombre d’an­nées assez consi­dé­rable, Nous livrions comme Vous, selon toute la mesure de Nos forces, à l’ac­com­plis­se­ment de cette charge épis­co­pale si pleine de tra­vaux et de sol­li­ci­tude de tout genre ; Nous, qui Nous effor­cions de diri­ger et de conduire sur les monts d’Israël, aux bords des eaux vives, dans les pâtu­rages les plus féconds, la por­tion du trou­peau du Seigneur confiée à Nos soins ; Nous voi­ci, par la mort de Grégoire XVI, notre très illustre pré­dé­ces­seur, et dont la pos­té­ri­té, sai­sie d’ad­mi­ra­tion pour sa mémoire, lira les glo­rieux actes ins­crits en lettres d’or dans les fastes de l’Église ; Nous voi­ci por­té au faîte du Suprême Pontificat, par un des­sein secret de la divine Providence, non seule­ment contre toute pré­vi­sion et toute attente de Notre part, mais au contraire avec l’ef­froi et la per­tur­ba­tion extrêmes qui alors sai­sirent Notre âme. Si, en effet, et à toutes les époques, le far­deau du minis­tère apos­to­lique a été et doit être tou­jours jus­te­ment consi­dé­ré comme extrê­me­ment dif­fi­cile et périlleux, c’est bien cer­tai­ne­ment de nos jours et de notre temps, si rem­plis de dif­fi­cul­tés pour l’ad­mi­nis­tra­tion de la répu­blique chré­tienne, qu’on doit le regar­der comme extrê­me­ment redou­table. Aussi, bien péné­tré de Notre propre fai­blesse, au pre­mier et seul aspect des impo­sants devoirs de l’Apostolat suprême, sur­tout dans la conjonc­ture si dif­fi­cile des cir­cons­tances pré­sentes, Nous nous serions aban­don­né entiè­re­ment aux larmes et à la plus pro­fonde tris­tesse, si Nous n’a­vions promp­te­ment fixé toute Notre espé­rance en Dieu. notre salut, qui ne laisse jamais défaillir ceux qui espèrent en Lui, et qui, d’ailleurs, jaloux de mon­trer de temps à autre sa toute puis­sance, se plaît à choi­sir pour gou­ver­ner son Église les ins­tru­ments les plus faibles, afin que de plus en plus tous les esprits soient ame­nés à recon­naître que c’est Dieu Lui-​même, par son admi­rable Providence, qui gou­verne et défend son Église. D’ailleurs, ce qui Nous console et sou­tient aus­si consi­dé­ra­ble­ment notre cou­rage, Vénérables Frères, c’est que, en tra­vaillant au salut des âmes, Nous pou­vons Vous comp­ter comme Nos asso­ciés et Nos coad­ju­teurs, Vous qui, par voca­tion, par­ta­gez Notre sol­li­ci­tude, et Vous effor­cez, par Votre zèle et Vos soins sans mesure, de rem­plir Votre saint minis­tère et de sou­te­nir le bon combat.

Assis, mal­gré Notre peu de mérite, sur ce siège suprême du prince des apôtres, à peine avons Nous reçu en héri­tage, dans la per­sonne du bien­heu­reux apôtre Pierre, cette charge si auguste et si grave, divi­ne­ment accor­dée par le prince éter­nel au sou­ve­rain de tous les pas­teurs, de paître et de gou­ver­ner, non seule­ment les agneaux, c’est-​à-​dire tout le peuple chré­tien, mais aus­si les bre­bis, c’est-​à-​dire les chefs du trou­peau eux-​mêmes ; non, rien cer­tai­ne­ment n’a plus vive­ment exci­té Nos vœux et Nos dési­rs les plus pres­sants, que de Vous adres­ser les paroles qui Nous sont sug­gé­rées par les plus intimes sen­ti­ments de notre affection.

C’est pour­quoi, venant à peine de prendre pos­ses­sion du suprême pon­ti­fi­cat dans notre basi­lique de Latran, selon l’u­sage et l’ins­ti­tu­tion de nos pré­dé­ces­seurs, sur le champ Nous Vous adres­sons les pré­sentes lettres dans le but d’ex­ci­ter encore Votre pié­té, déjà si émi­nente ; et afin que, par un sur­croît de promp­ti­tude, de vigi­lance et d’ef­fort, Vous sou­te­niez les veilles de la nuit autour du trou­peau confié à vos soins, et que, déployant la vigueur et la fer­me­té épis­co­pales dans le com­bat contre le plus ter­rible enne­mi du genre humain, vous soyez pour la mai­son d’Israël cet infran­chis­sable rem­part qu’offrent seuls les valeu­reux sol­dats de Jésus Christ.

Personne d’entre vous n’i­gnore, Vénérables Frères, dans notre époque déplo­rable, cette guerre si ter­rible et si achar­née qu’à machi­née contre l’é­di­fice de la foi catho­lique cette race d’hommes qui unis entre eux par une cri­mi­nelle asso­cia­tion, ne pou­vant sup­por­ter la saine doc­trine, fer­mant l’o­reille à la véri­té, ne craignent pas d’ex­hu­mer du sein des ténèbres, où elles étaient ense­ve­lies, les opi­nions les plus mons­trueuses, qu’ils entassent d’a­bord de toutes leurs forces, qu’ils étalent ensuite et répandent dans tous les esprits à la faveur de la plus funeste publi­ci­té. Notre âme est sai­sie d’hor­reur, et Notre cœur suc­combe de dou­leur, lorsque Nous nous rap­pe­lons seule­ment à la pen­sée toutes ces mons­truo­si­tés d’er­reurs, toute la varié­té de ces innom­brables moyens de pro­cu­rer le mal ; toutes ces embûches et ces machi­na­tions par les­quelles ces esprits enne­mis de la lumière se montrent artistes si habiles à étouf­fer dans toutes les âmes le saint amour de la pié­té, de la jus­tice et de l’hon­nê­te­té ; com­ment ils par­viennent si promp­te­ment à cor­rompre les mœurs, à confondre ou à effa­cer les droits divins et humains, à saper les bases de la socié­té civile, à les ébran­ler, et, s’ils pou­vaient arri­ver jusque là, à les détruire de fond en comble.

bien que la foi soit au-​dessus de la rai­son, jamais on ne pour­ra décou­vrir qu’il y ait oppo­si­tion et contra­dic­tion entre elles deux ; parce que l’une et l’autre émanent de ce Dieu très excellent et très grand, qui est la source de la véri­té éternelle

Car, Vous le savez bien, Vénérables Frères, ces impla­cables enne­mis du nom chré­tien, tris­te­ment entraî­nés par on ne sait quelle fureur d’im­pié­té en délire, ont pous­sé l’ex­cès de leurs opi­nions témé­raires à ce point d’au­dace, jusque là inouï, qu’ils n’ouvrent leur bouche que pour vomir contre Dieu des blas­phèmes ; qu’ou­ver­te­ment et par toutes les voix de la publi­ci­té, ils ne rou­gissent pas d’en­sei­gner que les sacrés mys­tères de notre reli­gion sont des fables et des inven­tions humaines, que la doc­trine de l’Église catho­lique est contraire au bien et aux inté­rêts de la socié­té. Ils vont plus loin encore : ils ne redoutent pas de nier le Christ et jus­qu’à Dieu Lui-​même. Pour fas­ci­ner encore plus aisé­ment les peuples, pour trom­per sur­tout les esprits impré­voyants et les igno­rants, et les entraî­ner avec eux dans les abîmes de l’er­reur, ils osent se van­ter d’être les seuls en pos­ses­sion de la connais­sance des véri­tables sources de la pros­pé­ri­té ; ils n’hé­sitent pas à s’ar­ro­ger le nom de phi­lo­sophes, comme si la phi­lo­so­phie, dont l’ob­jet est de recher­cher et d’é­tu­dier la véri­té de l’ordre natu­rel, devait reje­ter avec dédain tout ce que le Dieu suprême et très clé­ment, l’au­teur de toute la nature, par un effet spé­cial de sa bon­té et de sa misé­ri­corde, a dai­gné mani­fes­ter aux hommes pour leur véri­table bon­heur et pour leur salut.

C’est pour cela qu’employant une manière de rai­son­ner dépla­cée et trom­peuse, ils ne cessent d’exal­ter la force et l’ex­cel­lence de la rai­son humaine, de van­ter sa supé­rio­ri­té sur la foi très sainte en Jésus Christ, et qu’ils déclarent auda­cieu­se­ment que cette foi est contraire à la rai­son humaine. Non, rien ne sau­rait être ima­gi­né ou sup­po­sé de plus insen­sé, de plus impie et de plus contraire à la rai­son elle-même.

Car, bien que la foi soit au-​dessus de la rai­son, jamais on ne pour­ra décou­vrir qu’il y ait oppo­si­tion et contra­dic­tion entre elles deux ; parce que l’une et l’autre émanent de ce Dieu très excellent et très grand, qui est la source de la véri­té éter­nelle. Elles se prêtent bien plu­tôt un tel secours mutuel que c’est tou­jours à la droite rai­son que la véri­té de la foi emprunte sa démons­tra­tion, sa défense et son sou­tien les plus sûrs ; que la foi, de son côté, délivre la rai­son des erreurs qui l’as­siègent, qu’elle l’illu­mine mer­veilleu­se­ment par la connais­sance des choses divines, la confirme et la per­fec­tionne dans cette connaissance.

Les enne­mis de la révé­la­tion divine, Vénérables Frères, n’ont pas recours à des moyens de trom­pe­rie moins funestes lorsque, par des louanges extrêmes, ils portent jus­qu’aux nues les pro­grès de l’hu­ma­ni­té. Ils vou­draient, dans leur audace sacri­lège, intro­duire ce pro­grès jusque dans l’Église catho­lique : comme si la reli­gion était l’ou­vrage non de Dieu, mais des hommes, une espèce d’in­ven­tion phi­lo­so­phique à laquelle les moyens humains peuvent sur­ajou­ter un nou­veau degré de perfectionnement.

Jamais hommes si déplo­ra­ble­ment en délire ne méri­tèrent mieux le reproche que Tertullien adres­sait aux phi­lo­sophes de son temps : « Le chris­tia­nisme que vous met­tez en avant, n’est autre que celui des stoï­ciens, des pla­to­ni­ciens et des dialecticiens ».

En effet, notre très sainte reli­gion n’ayant pas été inven­tée par la rai­son, mais direc­te­ment mani­fes­tée aux hommes par Dieu, tout le monde com­prend aisé­ment que cette reli­gion, emprun­tant toute sa force et sa ver­tu de l’au­to­ri­té de la Parole de Dieu Lui-​même, n’a pu être pro­duite et ne sau­rait être per­fec­tion­née par la simple rai­son. Donc, pour que la rai­son humaine ne se trompe ni ne s’é­gare dans une affaire aus­si grave et de cette impor­tance, il faut qu’elle s’en­quière soi­gneu­se­ment du fait de la révé­la­tion, afin qu’il lui soit démon­tré, d’une manière cer­taine, que Dieu a par­lé, et qu’en consé­quence, selon le très sage ensei­gne­ment de l’a­pôtre, elle lui doit une sou­mis­sion rai­son­nable. Mais qui donc ignore ou peut igno­rer que, lorsque Dieu parle, on lui doit une foi entière, et qu’il n’y a rien de plus conforme à la rai­son elle-​même, que de don­ner son assen­ti­ment et de s’at­ta­cher for­te­ment aux véri­tés incon­tes­ta­ble­ment révé­lées par Dieu, qui ne peut ni trom­per ni se tromper ?

Ils vou­draient, dans leur audace sacri­lège, intro­duire ce pro­grès jusque dans l’Église catho­lique : comme si la reli­gion était l’ou­vrage non de Dieu, mais des hommes, une espèce d’in­ven­tion phi­lo­so­phique à laquelle les moyens humains peuvent sur­ajou­ter un nou­veau degré de perfectionnement.

Et com­bien nom­breuses, com­bien admi­rables, com­bien splen­dides sont les preuves par les­quelles la rai­son humaine doit être ame­née à cette convic­tion pro­fonde : que la reli­gion de Jésus Christ est divine, et qu’elle a reçu du Dieu du ciel la racine et le prin­cipe de tous ses dogmes, et que par consé­quent il n’y a rien au monde de plus cer­tain que notre foi, rien de plus sûr ni de plus véné­rable et qui s’ap­puie sur des prin­cipes solides. C’est cette foi qui est la maî­tresse de la vie, le guide du salut, le des­truc­teur de tous les vices, la mère et la nour­rice féconde de toutes les ver­tus ; conso­li­dée par la nais­sance, la vie, la mort, la résur­rec­tion, la sagesse, les pro­diges et les pro­phé­ties de son divin auteur et consom­ma­teur, Jésus Christ ; répan­dant de tous côtés l’é­clat de sa doc­trine sur­na­tu­relle, enri­chie des tré­sors inépui­sables et vrai­ment célestes de tant de pro­phé­ties ins­pi­rées à ses pro­phètes, du res­plen­dis­sant éclat de ses miracles, de la constance de tant de mar­tyrs, de la gloire de tant de saints per­son­nages. De plus en plus insigne et remar­quable, elle porte par­tout les lois salu­taires de Jésus Christ ; et de jour en jour acqué­rant et pui­sant sans cesse de nou­velles forces dans les per­sé­cu­tions les plus cruelles, armée du seul éten­dard de la croix, elle conquiert l’u­ni­vers entier, et la terre et la mer, depuis le levant jus­qu’au cou­chant ; et, après avoir ren­ver­sé les trom­peuses idoles, dis­si­pé les ténèbres épaisses de l’er­reur, triom­phé des enne­mis de toute espèce, elle a répan­du les bien­fai­sants rayons de sa lumière sur tous les peuples, sur toutes les nations et sur tous les pays, quel que fût le degré de féro­ci­té de leurs mœurs, de leur natu­rel et de leur carac­tère bar­bare, les cour­bant sous le joug si suave de Jésus Christ, et annon­çant à tous la paix et le bonheur.

Certes, toutes ces magni­fi­cences res­plen­dissent assez de toute part de l’é­clat de la puis­sance et de la sagesse divines, pour que toute pen­sée et toute intel­li­gence puissent sai­sir promp­te­ment et com­prendre faci­le­ment que la foi chré­tienne est l’œuvre de Dieu.

Donc, d’a­près ces splen­dides et inat­ta­quables démons­tra­tions, la rai­son humaine est ame­née à ce point qui l’o­blige à recon­naître clai­re­ment et mani­fes­te­ment que Dieu est l’au­teur de cette même foi ; la rai­son humaine ne sau­rait s’a­van­cer au-​delà ; mais, reje­tant et écar­tant toute dif­fi­cul­té et tout doute, elle doit à cette même foi une sou­mis­sion sans réserve, puis­qu’elle est elle-​même assu­rée que tout ce que la foi pro­pose aux hommes de croire et de pra­ti­quer, tout cela vient de Dieu.

notre très sainte reli­gion n’ayant pas été inven­tée par la rai­son, mais direc­te­ment mani­fes­tée aux hommes par Dieu, […] emprun­tant toute sa force et sa ver­tu de l’au­to­ri­té de la Parole de Dieu Lui-​même, n’a pu être pro­duite et ne sau­rait être per­fec­tion­née par la simple raison.

On voit donc mani­fes­te­ment dans quelle erreur pro­fonde se roulent ces esprits qui, abu­sant de la rai­son et regar­dant les oracles divins comme des pro­duits de l’homme, osent les sou­mettre à l’ar­bi­trage de leur inter­pré­ta­tion par­ti­cu­lière et témé­raire. Puisque Dieu Lui-​même a éta­bli une auto­ri­té vivante, laquelle devait fixer et ensei­gner le véri­table et légi­time sens de sa révé­la­tion céleste, et met­trait fin, par son juge­ment infaillible, à toutes les contro­verses soit en matière de foi, soit en matière de mœurs, et tout cela afin que les fidèles ne fussent pas entraî­nés à tout vent dans les fausses doc­trines, ni enve­lop­pés dans les immenses filets de la malice et des aber­ra­tions humaines. Cette auto­ri­té vivante et infaillible n’est en vigueur que dans cette seule Église que Jésus Christ a éta­blie sur Pierre, le chef, le prince et le pas­teur de toute l’Église, auquel il a pro­mis que sa foi ne serait jamais en défaillance ; l’Église consti­tuée de manière qu’elle a tou­jours à sa tête et dans sa chaire immuable ses Pontifes légi­times, les­quels remontent, par une suc­ces­sion non inter­rom­pue, jus­qu’à l’a­pôtre Pierre, et jouissent comme lui du même héri­tage de doc­trine, de digni­té, d’hon­neur et de puis­sance sans rivale. Et comme là où est Pierre, là est l’Église ; comme Pierre parle par la bouche du Pontife romain, qu’il est tou­jours vivant dans ses suc­ces­seurs, qu’il exerce le même juge­ment, et trans­met la véri­té de la foi à ceux qui la demandent, il s’en­suit que les divins ensei­gne­ments doivent être accep­tés dans le même sens qu’y attache et y a tou­jours atta­ché cette Chaire romaine, Siège du bien­heu­reux Pierre, la mère et la maî­tresse de toutes les Églises, qui a tou­jours conser­vé invio­lable et entière la foi don­née par le Seigneur Jésus Christ ; qui l’a tou­jours ensei­gnée aux fidèles, leur mon­trant à tous le che­min du salut et l’in­cor­rup­tible doc­trine de la Vérité.

Cette Église est donc l’Église prin­ci­pale où l’u­ni­té sacer­do­tale a pris son ori­gine, elle est la métro­pole de la pié­té, et dans laquelle reste tou­jours entière et par­faite la soli­di­té de la reli­gion chré­tienne ; tou­jours on y a vu flo­ris­sant le Principat de la Chaire apos­to­lique vers laquelle toute l’Église, c’est-​à-​dire tous les fidèles répan­dus sur la terre doivent néces­sai­re­ment accou­rir, à rai­son de sa prin­ci­pau­té sur­émi­nente, Église sans laquelle qui­conque ne recueille pas, disperse.

Nous donc qui avons été pla­cé, par un impé­né­trable juge­ment de Dieu, sur cette Chaire de Vérité, nous venons exci­ter très vive­ment dans le Seigneur votre pié­té si remar­quable, Vénérables Frères, afin que Vous renou­ve­liez tous vos efforts, Votre sol­li­ci­tude et Vos soins, aver­tis­sant et exhor­tant conti­nuel­le­ment tous les fidèles confiés à Votre vigi­lance, que cha­cun d’eux, fer­me­ment atta­ché à ces prin­cipes, ne se laisse jamais trom­per ni atti­rer par l’er­reur de ces hommes abo­mi­nables dans leurs recherches, qui ne s’ap­pliquent, en cette étude et dans la pour­suite du pro­grès humain, qu’à la des­truc­tion de la foi, qui ne veulent, dans leurs efforts impies, que sou­mettre cette foi à la rai­son de l’homme, et ne reculent pas devant l’au­dace de faire injure à Dieu Lui-​même, après qu’Il a dai­gné, dans sa clé­mence et par Sa divine reli­gion, pour­voir au bien et au salut des hommes.

Mais Vous connais­sez encore aus­si bien, Vénérables Frères, les autres mons­truo­si­tés de fraudes et d’er­reurs par les­quelles les enfants de ce siècle s’ef­forcent chaque jour de com­battre avec achar­ne­ment la reli­gion catho­lique et la divine auto­ri­té de l’Église, ses lois non moins véné­rables ; com­ment ils vou­draient fou­ler éga­le­ment aux pieds les droits de la puis­sance sacrée et de l’au­to­ri­té civile. C’est à ce but que tendent ces cri­mi­nels com­plots, contre cette Église romaine, siège du bien­heu­reux Pierre, et dans laquelle Jésus Christ a pla­cé l’in­des­truc­tible fon­de­ment de toute son Église. Là tendent toutes ces socié­tés secrètes sor­ties du fond des ténèbres pour ne faire régner par­tout, dans l’ordre sacré et pro­fane, que les ravages et la mort ; socié­tés clan­des­tines si sou­vent fou­droyées par l’a­na­thème des Pontifes romains nos pré­dé­ces­seurs dans leurs Lettres apos­to­liques, les­quelles Nous vou­lons en ce moment même confir­mer et très exac­te­ment recom­man­der à l’ob­ser­va­tion par la plé­ni­tude de Notre puis­sance apostolique.

C’est encore le but que se pro­posent ces per­fides socié­tés bibliques, les­quelles, renou­ve­lant les arti­fices odieux des anciens héré­tiques, ne cessent de pro­duire contre les règles si sages de l’Église, et de répandre par­mi les fidèles les moins ins­truits les livres des saintes Écritures tra­duits en toute espèce de langues vul­gaires, et sou­vent expli­quées dans un sens per­vers, consa­crant à la dis­tri­bu­tion de ces mil­liers d’exem­plaires des sommes incal­cu­lables, les répan­dant par­tout gra­tui­te­ment, afin qu’a­près avoir reje­té la tra­di­tion, la doc­trine des Pères et l’au­to­ri­té de l’Église catho­lique, cha­cun inter­prète les oracles divins selon son juge­ment propre et par­ti­cu­lier, et tombe ain­si dans l’a­bîme des plus effroyables erreurs. Animé d’une juste ému­la­tion du zèle et des saints exemples de ses pré­dé­ces­seurs, Grégoire XVI, de sainte mémoire, et dont Nous avons été consti­tué le suc­ces­seur, mal­gré l’in­fé­rio­ri­té de Notre mérite, a condam­né par ses Lettres apos­to­liques les mêmes socié­tés secrètes que Nous enten­dons aus­si décla­rer condam­nées et flé­tries par Nous.

C’est encore au même but que tend cet hor­rible sys­tème de l’in­dif­fé­rence en matière de reli­gion, sys­tème qui répugne le plus à la seule lumière natu­relle de la raison.

C’est encore au même but que tend cet hor­rible sys­tème de l’in­dif­fé­rence en matière de reli­gion, sys­tème qui répugne le plus à la seule lumière natu­relle de la rai­son. C’est par ce sys­tème, en effet, que ces sub­tils arti­sans de men­songe, cherchent à enle­ver toute dis­tinc­tion entre le vice et la ver­tu, entre la véri­té et l’er­reur, entre l’hon­neur et la tur­pi­tude, et pré­tendent que les hommes de tout culte et de toute reli­gion peuvent arri­ver au salut éter­nel : comme si jamais il pou­vait y avoir accord entre la jus­tice et l’i­ni­qui­té, entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus Christ et Bélial.

C’est à ce même but encore que tend cette hon­teuse conju­ra­tion qui s’est for­mée nou­vel­le­ment contre le céli­bat sacré des membres du cler­gé, conspi­ra­tion qui compte, ô dou­leur ! par­mi ses fau­teurs quelques membres de l’ordre ecclé­sias­tique, les­quels, oubliant misé­ra­ble­ment leur propre digni­té, se laissent vaincre et séduire par les hon­teuses illu­sions et les funestes attraits de la volup­té ; C’est là que tend ce mode per­vers d’en­sei­gne­ment, spé­cia­le­ment celui qui traite des sciences phi­lo­so­phiques, et par lequel, d’une manière si déplo­rable, on trompe et l’on cor­rompt une impré­voyante jeu­nesse, lui ver­sant le fiel du dra­gon dans la coupe de Babylone ; à ce même but tend cette exé­crable doc­trine des­truc­trice même du droit natu­rel et qu’on appelle le com­mu­nisme, laquelle, une fois admise, ferait bien­tôt dis­pa­raître entiè­re­ment les droits, les inté­rêts, les pro­prié­tés et jus­qu’à la socié­té humaine ; là tendent aus­si les embûches pro­fon­dé­ment téné­breuses de ceux qui cachent la rapa­ci­té du loup sous la peau de la bre­bis, s’in­si­nuent adroi­te­ment dans les esprits, les séduisent par les dehors d’une pié­té plus éle­vée, d’une ver­tu plus sévère ; les liens qu’ils imposent sont à peine sen­sibles, et c’est dans l’ombre qu’ils donnent la mort ; ils détournent les hommes de toute pra­tique du culte ; quand ils ont égor­gé les bre­bis du Seigneur, ils en déchirent les membres.

C’est là enfin, pour ne point énu­mé­rer ici tous les maux qui Vous sont si bien connus, c’est à ce but funeste que tend cette conta­gion exé­crable de petits livres et de volumes qui pleuvent de toutes parts, ensei­gnant la pra­tique du mal ; com­po­sés avec art, pleins d’ar­ti­fice et de trom­pe­rie, répan­dus à grands frais dans tous les lieux de la terre, pour la perte du peuple chré­tien, ils jettent par­tout les semences des funestes doc­trines, font péné­trer la cor­rup­tion, sur­tout dans les âmes des igno­rants, et causent à la reli­gion les pertes les plus funestes. Par suite de cet effroyable débor­de­ment d’er­reurs par­tout répan­dues, et aus­si par cette licence effré­née de tout pen­ser, de tout dire, et de tout impri­mer, les mœurs publiques sont des­cen­dues à un effroyable degré de malice ; la très sainte reli­gion de Jésus Christ est mépri­sée ; l’au­guste majes­té du culte divin dédai­gnée ; l’au­to­ri­té du saint Siège apos­to­lique ren­ver­sée ; le pou­voir de l’Église sans cesse atta­qué et réduit aux pro­por­tions d’une humi­liante ser­vi­tude ; les droits de évêques fou­lés aux pieds, la sain­te­té du mariage vio­lée, l’ad­mi­nis­tra­tion de l’une et de l’autre puis­sance uni­ver­sel­le­ment ébran­lée ; tels sont entre autres, Vénérables Frères, les maux qui dévorent la socié­té civile et reli­gieuse, et que Nous sommes obli­gé de déplo­rer aujourd’­hui en mêlant Nos larmes avec les Vôtres.

Au milieu donc de ces grandes vicis­si­tudes de la reli­gion, des évé­ne­ments et des temps, vive­ment pré­oc­cu­pé du salut de tout le trou­peau divi­ne­ment confié à Nos soins, dans l’ac­com­plis­se­ment de la charge de Notre minis­tère apos­to­lique, soyez assu­rés que Nous n’o­met­trons ni ten­ta­tives, ni efforts pour assu­rer le bien spi­ri­tuel de la famille entière des chré­tiens. Nous venons cepen­dant exci­ter aus­si dans le Seigneur toute l’ar­deur de Votre pié­té, déjà si remar­quable, toute Votre ver­tu et toute Votre prudence.

Vous devez favo­ri­ser l’u­nion et l’at­ta­che­ment de tous les cœurs à cette Église catho­lique, hors de laquelle il n’y a point de salut ; la sou­mis­sion à cette Chaire de Pierre sur laquelle repose, comme sur le plus inébran­lable fon­de­ment, tout le majes­tueux édi­fice de notre très sainte religion

Comme Nous, appuyés sur le secours d’en haut, défen­dez avec Nous et valeu­reu­se­ment, Vénérables Frères, la cause de l’Église, fermes au poste qui Vous est confié, et sou­te­nant la digni­té qui Vous dis­tingue. Vous com­pre­nez que la com­bat sera rude, car Vous n’i­gno­rez point le nombre et la pro­fon­deur des bles­sures qui accablent l’Épouse Immaculée de Jésus Christ, et quelles dévas­ta­tions ter­ribles ses enne­mis achar­nés lui font éprouver.

Or, Vous savez par­fai­te­ment que le pre­mier devoir de Votre charge est d’employer Votre force épis­co­pale à pro­té­ger et à défendre la foi catho­lique, à veiller avec le soin le plus extrême à ce que le trou­peau qui Vous est confié demeure ferme et inébran­lable dans la foi, sans la conser­va­tion entière et invio­lable de laquelle il péri­rait cer­tai­ne­ment pour l’é­ter­ni­té. Ainsi ayez donc le soin le plus grand de défendre et de conser­ver cette foi selon Votre sol­li­ci­tude pas­to­rale, et ne ces­sez jamais d’en ins­truire tous ceux qui Vous sont confiés, de confir­mer les esprits chan­ce­lants, de confondre les contra­dic­teurs, de for­ti­fier les faibles, ne dis­si­mu­lant ou ne souf­frant rien qui puisse paraître, le moins du monde, bles­ser la pure­té de cette foi. Avec le même cou­rage et la même fer­me­té, Vous devez favo­ri­ser l’u­nion et l’at­ta­che­ment de tous les cœurs à cette Église catho­lique, hors de laquelle il n’y a point de salut ; la sou­mis­sion à cette Chaire de Pierre sur laquelle repose, comme sur le plus inébran­lable fon­de­ment, tout le majes­tueux édi­fice de notre très sainte reli­gion. Employez la même constance à veiller à la conser­va­tion des très saintes lois de l’Église, par les­quelles vivent et fleu­rissent par­fai­te­ment la ver­tu, la reli­gion et la piété.

Mais comme c’est une preuve incon­tes­table de grande pitié que de signa­ler les téné­breux repères des impies et de vaincre en eux le démon, leur maître, Nous Vous en conju­rons, employez toutes les res­sources de Votre Zèle et de Vos tra­vaux à décou­vrir aux yeux du peuple fidèle toutes les embûches, toutes les trom­pe­ries, toutes les erreurs, toutes les fraudes et toutes les manœuvres des impies ; détour­nez avec grand soin ce même peuple de la lec­ture de tant de livres empoi­son­nés, et enfin exhor­tez assi­dû­ment le peuple fidèle à fuir, comme à l’as­pect du ser­pent, les réunions et les socié­tés impies, afin qu’il par­vienne ain­si à se pré­ser­ver très soi­gneu­se­ment du contact de tout ce qui est contraire à la foi, à la reli­gion et aux bonnes mœurs.

Pour obte­nir de tels résul­tats, gar­dez Vous bien de ces­ser un ins­tant de prê­cher le Saint Évangile ; car c’est une telle ins­truc­tion qui fait croître le peuple chré­tien dans la science de Dieu et dans la pra­tique de plus en plus par­faite de la très sainte loi du chris­tia­nisme ; par là, il sera détour­né du mal et mar­che­ra dans les voies du Seigneur.

Et puisque Vous savez que Vous rem­plis­sez la charge de Jésus Christ, lequel se décla­ra doux et humble de cœur, qui vint sur la terre, non pour appe­ler les justes, mais les pécheurs, nous lais­sant son exemple, afin que nous imi­tions sa vie et mar­chions sur ses pas ; ne négli­gez jamais, toutes les fois que Vous décou­vri­rez quelques délin­quants dans la voie des pré­ceptes du Seigneur, et lorsque Vous les ver­rez s’é­loi­gner du sen­tier de la jus­tice et de la véri­té, ne négli­gez jamais d’employer auprès d’eux les aver­tis­se­ments de la ten­dresse et de la man­sué­tude d’un père ; et, afin de les cor­ri­ger, repre­nez les par de salu­taires conseils ; dans vos ins­tances, comme dans vos reproches, employez tou­jours les offi­cieuses res­sources de la bon­té, de la patience et de la doc­trine ; car il est démon­tré que, pour cor­ri­ger et réfor­mer les hommes, la bon­té a sou­vent plus de puis­sance que la sévé­ri­té, l’ex­hor­ta­tion l’emporte sur la menace, et la cha­ri­té va plus loin que la puissance.

Joignez encore tous Vos efforts, Vénérables Frères, pour obte­nir un autre résul­tat impor­tant, savoir, que les fidèles aiment la cha­ri­té, fassent régner la paix entre eux et pra­tiquent avec soin tout ce qui sert à l’en­tre­tien de cette cha­ri­té et de cette paix. Par là, il n’y aura plus de dis­sen­sions, d’i­ni­mi­tiés ni de riva­li­tés, mais tous se ché­ri­ront dans une mutuelle ten­dresse ; ils seront par­fai­te­ment una­nimes dans le même sen­ti­ment et la même véri­té, la même parole, le même goût en Jésus Christ Notre Seigneur.

Appliquez Vous à incul­quer au peuple chré­tien le devoir de la sou­mis­sion et de l’o­béis­sance vis-​à-​vis des princes et des gou­ver­ne­ments ; ensei­gnez lui, selon le pré­cepte de l’Apôtre, que toute puis­sance vient de Dieu ; que ceux-​là résistent à l’ordre divin et méritent d’être condam­nés, qui résistent à la puis­sance, et que ce pré­cepte d’o­béis­sance vis-​à-​vis du pou­voir ne peut jamais être vio­lé sans méri­ter de châ­ti­ment, excep­té tou­te­fois lors­qu’il exige quelque chose de contraire aux lois de Dieu et de l’Église.

Cependant, comme rien n’est plus propre à dis­po­ser conti­nuel­le­ment les âmes à la pra­tique de la pié­té et au culte de Dieu, que la vie et les actes exem­plaires de ceux qui se sont consa­crés au minis­tère divin, et que tels sont les prêtres, tels sont ordi­nai­re­ment les peuples, Vous com­pre­nez dans Votre émi­nente sagesse, Vénérables Frères, que Vous devez employer tous Vos soins à ce que chaque membre de Votre cler­gé brille par la gra­vi­té des mœurs, par la sain­te­té et l’in­té­gri­té de la vie, et par la doc­trine ; et à ce que les pres­crip­tions des saints canons et de la dis­ci­pline ecclé­sias­tique soient exac­te­ment gar­dées, et que là où la dis­ci­pline a suc­com­bé, on lui rende son antique splendeur

À cet effet, ain­si que Vous le savez très bien, Vous devez évi­ter avec le plus grand soin d’im­po­ser les mains à aucun aspi­rant, avec trop de pré­ci­pi­ta­tion, et contre l’a­vis de l’Apôtre ; mais Vous n’ad­met­trez à l’i­ni­tia­tion des ordres sacrés, et Vous n’é­lè­ve­rez à la puis­sance redou­table de consa­crer les saints mys­tères, que les lévites aupa­ra­vant éprou­vés et exa­mi­nés scru­pu­leu­se­ment, que ceux qui se dis­tin­gue­ront par l’or­ne­ment de toutes les ver­tus, et qui auront méri­té la juste louange d’une sagesse intacte ; de telle sorte qu’ils puissent être d’u­tiles ouvriers, et la gloire de l’Église, dans cha­cun de Vos dio­cèses, et enfin ceux qui, s’é­loi­gnant soi­gneu­se­ment de tout ce qui est contraire à la vie clé­ri­cale, s’a­don­nant plu­tôt à l’é­tude, à la pré­di­ca­tion, et à la connais­sance appro­fon­die de la doc­trine, sont, en effet, le par­fait exemple des fidèles, dans leur parole, dans leur conduite, dans la cha­ri­té, dans la foi, dans la chas­te­té ; de telle sorte qu’à leur approche tous éprouvent le sen­ti­ment d’une véné­ra­tion méri­tée ; que par eux, de plus en plus, le peuple chré­tien se forme, s’ex­cite et s’en­flamme à l’a­mour de notre divine reli­gion. Car il est mille fois pré­fé­rable, selon l’a­vis si par­fai­te­ment sage de Benoît XIV, l’un de Nos pré­dé­ces­seurs d’im­mor­telle mémoire, qu’il y ait un nombre res­treint de prêtres, pour­vu qu’ils se montrent excel­lents, capables et utiles, plu­tôt que d’en avoir un grand nombre, inca­pables de toute manière de pro­cu­rer l’é­di­fi­ca­tion du corps de Jésus Christ, qui est l’Église. Vous n’i­gno­rez pas non plus qu’il faut exa­mi­ner avec le plus grand soin quelles sont spé­cia­le­ment les mœurs et la science de ceux à qui sont confiées la charge et la conduite des âmes, afin que, ministres fidèles et dis­pen­sa­teurs des diverses formes de la grâce de Dieu, dans l’ad­mi­nis­tra­tion des sacre­ments auprès du peuple qui leur est confié, ils sachent le nour­rir et l’en­cou­ra­ger par la pré­di­ca­tion de la parole divine et le sou­tien conti­nuel du bon exemple ; qu’ils sachent le for­mer à tous les ensei­gne­ments et à toutes les pra­tiques de la reli­gion, et le main­te­nir dans le che­min du salut. Vous savez par­fai­te­ment que c’est à l’i­gno­rance des pas­teurs ou à la négli­gence des devoirs de leur charge qu’il faut attri­buer per­pé­tuel­le­ment le relâ­che­ment des mœurs par­mi les fidèles, la vio­la­tion de la dis­ci­pline chré­tienne, l’a­ban­don, puis la des­truc­tion totale des pra­tiques et du culte reli­gieux, enfin le débor­de­ment de tous les vices et des cor­rup­tions qui pénètrent alors faci­le­ment dans l’Église. Voulez-​Vous que la parole de Dieu, qui est tou­jours vivante et effi­cace et plus péné­trante qu’un glaive à deux tran­chants, éta­blie pour le salut des âmes, ne s’en retourne pas inutile et impuis­sante par la faute de ses ministres ; ne ces­sez jamais, Vénérables Frères, d’in­cul­quer dans l’âme des pré­di­ca­teurs cette parole divine, et de leur recom­man­der la médi­ta­tion spi­ri­tuelle, pro­fonde, des devoirs de cette auguste et si grave fonc­tion ; dites leur qu’ils ne doivent point employer dans le minis­tère évan­gé­lique cet appa­rat et cet arti­fice que l’ha­bi­le­té mon­daine enseigne pour per­sua­der sa fausse sagesse, non plus que ces vaines pompes et ces charmes ambi­tieux qui carac­té­risent l’é­lo­quence pro­fane, mais qu’ils s’exercent plu­tôt et très reli­gieu­se­ment dans la démons­tra­tion de l’es­prit et de la ver­tu de Dieu. Traitant ain­si conve­na­ble­ment la parole de véri­té, ne se prê­chant pas eux-​mêmes, mais Jésus Christ cru­ci­fié, qu’ils annoncent aux peuples sim­ple­ment et clai­re­ment les dogmes de notre sainte reli­gion selon la doc­trine de l’Église catho­lique, d’a­près l’en­sei­gne­ment des Pères, et en une élo­cu­tion tou­jours grave et majes­tueuse ; qu’ils expliquent exac­te­ment les devoirs par­ti­cu­liers et spé­ciaux de cha­cun ; qu’ils ins­pirent à tous l’hor­reur du vice et une vive ardeur pour la pié­té afin que les fidèles, salu­tai­re­ment imbus et nour­ris de la parole divine, fuyant tous les vices, pra­ti­quant toutes les ver­tus, et évi­tant ain­si les peines éter­nelles, puissent arri­ver à la gloire du ciel.

Selon les devoirs de Votre charge pas­to­rale, et d’a­près les ins­pi­ra­tions de Votre pru­dence, aver­tis­sez sans cesse tous les ecclé­sias­tiques pla­cés sous Vos ordres, exci­tez les à réflé­chir sérieu­se­ment à l’au­guste minis­tère qu’ils ont reçu de Dieu ; que tous soient exacts à rem­plir avec la plus grande dili­gence la part de fonc­tion qui leur est échue ; que, péné­trés des sen­ti­ments les plus intimes d’une véri­table pié­té, ils ne cessent leurs prières et leurs sup­pli­ca­tions au Seigneur ; que, dans cet esprit, ils accom­plissent le pré­cepte ecclé­sias­tique de la réci­ta­tion des heures cano­niales, afin de pou­voir obte­nir pour eux-​mêmes les divins secours si néces­saires pour s’ac­quit­ter des devoirs si graves de leur charge, et rendre le Seigneur tou­jours apai­sé et favo­rable à tout le peuple chrétien.

Toutefois, Vénérables Frères, que Votre sagesse ne l’ou­blie pas, on ne peut obte­nir d’ex­cel­lents ministres de l’Église qu’en les for­mant dans les meilleurs ins­ti­tuts clé­ri­caux ; le reste de leur vie sacer­do­tale se res­sent ain­si de la forte impul­sion dans la voie du bien qu’ils ont reçue dans ces pieux asiles. Continuez donc à por­ter toute l’éner­gie de Votre Zèle vers cette exacte pré­pa­ra­tion des jeunes clercs ; que par Vos soins on leur ins­pire, même dés l’âge le plus tendre, le goût de la pié­té et d’une ver­tu solide ; qu’ils soient ini­tiés sous Vos yeux à l’é­tude des lettres, à la pra­tique d’une forte dis­ci­pline, mais prin­ci­pa­le­ment à la connais­sance des sciences sacrées. C’est pour cela que rien ne doit Vous être plus à cœur, ni Vous paraître plus digne de tous Vos soins et de toute Votre indus­trie que d’ac­com­plir l’ordre des Pères du saint Concile de Trente, s’il n’est déjà exé­cu­té, en ins­ti­tuant des sémi­naires pour les clercs ; que d’aug­men­ter, s’il le faut, le nombre de ces ins­ti­tu­tions pieuses, d’y pla­cer des maîtres et des direc­teurs excel­lents et capables, de veiller sans repos, et avec une ardeur tou­jours ferme, à ce que dans ces saints asiles les jeunes clercs soient constam­ment for­més dans la crainte du Seigneur, à l’é­tude, et sur­tout dans la science sacrée, tou­jours confor­mé­ment à l’en­sei­gne­ment catho­lique, sans le moindre contact avec l’er­reur, de quelque espèce que ce soit, selon les tra­di­tions ecclé­sias­tiques et les écrits des Pères ; qu’ils y soient exer­cés très soi­gneu­se­ment aux céré­mo­nies et aux rites sacrés, afin que plus tard Vous trou­viez en eux des coopé­ra­teurs pieux et capables, doués de l’es­prit ecclé­sias­tique, sage­ment for­ti­fiés par la science, et qu’ils puissent dans l’a­ve­nir tra­vailler avec fruit le champ de Jésus Christ et com­battre vaillam­ment les com­bats du Seigneur.

Or, comme Vous êtes Vous-​mêmes très convain­cus que, pour conser­ver et main­te­nir la digni­té et la sainte pure­té de tout le sacer­doce ecclé­sias­tique, rien n’est plus effi­cace que l’ins­ti­tu­tion des pieux exer­cices spi­ri­tuels ; d’a­près les impul­sions de Votre zèle et de Votre cha­ri­té épis­co­pale, ne ces­sez point d’ex­hor­ter, d’en­ga­ger, de pres­ser même très vive­ment tous Vos prêtres à s’a­don­ner à la pra­tique d’une œuvre aus­si salu­taire ; que fré­quem­ment, tous ceux qui sont enga­gés dans la sainte milice sachent choi­sir une soli­tude favo­rable à l’ac­com­plis­se­ment de ces saints exer­cices ; que là, sépa­rés abso­lu­ment de toute espèce de pré­oc­cu­pa­tion exté­rieure, uni­que­ment absor­bés par la redou­table consi­dé­ra­tion des véri­tés éter­nelles, et par la pro­fonde médi­ta­tion des choses divines, ils puissent ain­si s’é­pu­rer des taches qu’au­ront pu lais­ser sur leur âme sacer­do­tale la pous­sière et le contact des affaires du monde, se renou­ve­ler dans l’es­prit ecclé­sias­tique, et que, se dépouillant entiè­re­ment du vieil homme et de tous ses actes, ils se revêtent de l’é­cla­tante pure­té de l’homme nou­veau qui fut créé dans la sain­te­té et la jus­tice. Ne Vous plai­gnez point si Nous avons si lon­gue­ment insis­té sur cette néces­si­té de l’ins­ti­tu­tion et de la dis­ci­pline cléricale.

Car Vous ne pou­vez igno­rer qu’il y a à notre époque un grand nombre d’es­prits qui, fati­gués à la vue de l’in­nom­brable varié­té, de l’in­con­sis­tance et du mou­ve­ment désor­don­né de l’er­reur, éprouvent inté­rieu­re­ment la néces­si­té de croire à notre sainte reli­gion, et qui seront enfin, par le secours de la grâce divine, ame­nés d’au­tant plus faci­le­ment à embras­ser la pra­tique de la doc­trine et des pres­crip­tions de cette reli­gion divine, qu’ils ver­ront le cler­gé briller au-​dessus des autres par plus de pié­té, de pure­té, de sagesse et de vertu.

Enfin, Frères bien aimés, Nous ne pou­vons dou­ter que Vous-​mêmes ne soyez ani­més d’une ardente cha­ri­té envers Dieu et pour tous les hommes, enflam­més de l’a­mour le plus vif pour tous les inté­rêts de l’Église, munis de ver­tus pres­qu’an­gé­liques, armés et for­ti­fiés du cou­rage et de la pru­dence si néces­saires à l’é­pis­co­pat, péné­trés par le même désir de la volon­té divine, mar­chant d’un pas constant sur les traces des pas des apôtres, et imi­tant, comme il sied à des pon­tifes, l’exem­plaire divin des pas­teurs, le Seigneur Jésus Christ, dont Vous repré­sen­tez la per­sonne ; deve­nus, par le zèle et par les sen­ti­ments les plus una­nimes, les types spi­ri­tuels du trou­peau fidèle ; par l’é­clat res­plen­dis­sant de la sain­te­té de Votre vie, illu­mi­nant à la fois le cler­gé et le peuple et ayant acquis des entrailles de misé­ri­corde, Vous sachiez tou­jours, com­pa­tis­sant aux misères de l’i­gno­rance et de l’er­reur, à l’exemple du Pasteur de l’Évangile, cou­rir avec ten­dresse après les bre­bis per­dues ; mal­gré leurs éga­re­ments, les cher­cher long­temps jus­qu’à ce que Vous les ren­con­triez et, pater­nel­le­ment émus quand Vous les avez retrou­vées, les pla­cer affec­tueu­se­ment sur Vos épaules et les rap­por­ter au ber­cail. N’omettez jamais ni soins, ni réflexions, ni tra­vaux de tout genre pour arri­ver à l’exact et reli­gieux accom­plis­se­ment de tous les devoirs de Votre charge pas­to­rale ; et après avoir défen­du des attaques, des embûches et de la fureur des loups ravis­seurs toutes les bre­bis si chères au cœur de Jésus Christ, puisqu’Il les a rache­tées au prix ines­ti­mable de son sang divin ; après les avoir gar­dées dans les saints pâtu­rages, soi­gneu­se­ment éloi­gnées de la conta­gion, Vous puis­siez, et par Vos paroles, et par Vos actions, et par Vos exemples, les rame­ner toutes ensemble au port du salut éternel.

Travaillez donc cou­ra­geu­se­ment, Vénérables Frères, à pro­cu­rer la plus grande gloire de Dieu ; et, par un déploie­ment extra­or­di­naire de sol­li­ci­tude et de vigi­lance, comme par un même effort, faites en sorte d’ar­ri­ver à ce qu’a­près l’en­tière des­truc­tion des erreurs et l’ex­tir­pa­tion abso­lue des vices, la foi, la pié­té, la ver­tu acquièrent de jour en jour, et par toute la terre, un admi­rable accrois­se­ment ; que tous les fidèles, repous­sant avec dédain les œuvres de ténèbres, marchent digne­ment comme des fils de la lumière céleste sous les yeux de Dieu, auquel leurs actions sont tou­jours agréables ; et, dans les angoisses, les dif­fi­cul­tés et les périls extrêmes, qui sont insé­pa­rables, aujourd’­hui prin­ci­pa­le­ment, de l’ac­com­plis­se­ment de Vos si graves fonc­tions du minis­tère épis­co­pal, gar­dez Vous bien de jamais suc­com­ber à la crain­tive ; mais plu­tôt for­ti­fiez Vous dans le Seigneur, et fiez Vous à la puis­sance de Celui qui, nous consi­dé­rant du haut du ciel, enga­gés dans la lutte que nous sou­te­nons pour son nom sacré, encou­rage ceux qui s’en­rôlent, sou­tient les com­bat­tants et cou­ronne les vainqueurs.

Mais comme rien ne sau­rait être pour Nous plus agréable, plus doux à Notre cœur, plus dési­rable pour le bien de l’Église, que de Vous aider tous, ô Vous que Nous ché­ris­sons ten­dre­ment dans les entrailles de Jésus Christ, et que Nous dési­rons envi­ron­ner de Notre amour, de Nos conseils, que de pou­voir tra­vailler de concert à la défense et à la pro­pa­ga­tion de la gloire de Dieu et de la foi catho­lique, et que même Nous sommes prêt, pour le salut des âmes, à don­ner s’il le faut, Notre propre vie, ô Nos Frères, venez, Nous Vous en prions et sup­plions, appro­chez Vous avec grand cœur et en toute confiance de cette Chaire du bien­heu­reux prince des Apôtres, de ce centre de l’u­ni­té catho­lique, ce som­met suprême de l’Épiscopat, d’où découle toute l’au­to­ri­té de ce nom ; accou­rez donc auprès de Nous toutes les fois que Vous éprou­ve­rez la néces­si­té d’a­voir recours à l’aide, au sou­tien et à la force que ren­ferme pour Vous l’au­to­ri­té de ce Siège apostolique.

Or, Nous aimons à espé­rer que Nos très chers fils en Jésus Christ, les princes, gui­dés par leurs sen­ti­ments de pié­té et de reli­gion, auront tou­jours pré­sente à leur mémoire cette véri­té : que l’au­to­ri­té suprême ne leur a pas seule­ment été don­née pour le gou­ver­ne­ment des affaires du monde, mais prin­ci­pa­le­ment pour la défense de l’Église ; et Nous-​même, qu’en don­nant tous Nos soins à la cause de l’Église, Nous tra­vaillons pai­si­ble­ment au bon­heur de leur règne, à leur propre conser­va­tion et à l’exer­cice de leurs droits ; Nous aimons à espé­rer, disons Nous, que tous les princes sau­ront favo­ri­ser, par l’ap­pui de leur auto­ri­té et le secours de leur puis­sance, des vœux, des des­seins et des dis­po­si­tions ardentes au bien de tous, et que Nous avons en com­mun avec eux. Qu’ils défendent donc et pro­tègent la liber­té et l’en­tière plé­ni­tude de vie de cette Église catho­lique, afin que l’empire de Jésus Christ soit défen­du par leur puis­sante main.

Pour que tous ces pro­jets arrivent à des résul­tats heu­reux et pros­pères, recou­rons avec confiance, Vénérables Frères, au trône de la grâce ; et tous ensemble, par un concert una­nime et per­sé­vé­rant de fer­ventes prières, avec toute l’hu­mi­li­té dont notre cœur sera capable, sup­plions le Père des misé­ri­cordes et le Dieu de toute conso­la­tion, afin que, par les mérites de Son Fils unique, Il daigne répandre sur notre fai­blesse, l’i­nef­fable abon­dance de toutes les faveurs célestes ; que par la ver­tu de sa toute puis­sance, il repousse Lui-​même ceux qui s’op­posent à Nous ; qu’Il répande et aug­mente par­tout la foi, la pié­té, la dévo­tion, la paix ; par où la sainte Église, après avoir été déli­vrée des adver­si­tés et de toutes les erreurs qui l’as­siègent, puisse jouir enfin du calme dési­rable et néces­saire, et qu’il n’y ait plus désor­mais qu’un seul ber­cail et un seul pas­teur. Mais, pour que le Seigneur très clé­ment incline plus effi­ca­ce­ment son oreille divine vers nos prières, et accueille plus favo­ra­ble­ment nos vœux, ayons tou­jours auprès de Lui, comme inter­ces­sion et inter­mé­diaire puis­sante, la très sainte et très imma­cu­lée Mère de Dieu, qui est tou­jours notre plus douce Mère, notre média­trice, notre avo­cate, notre espé­rance et notre confiance la plus par­faite et dont le patro­nage mater­nel est ce qu’il y a auprès de Dieu de plus fort et de plus efficace.

Invoquons aus­si le prince des Apôtres, auquel Jésus Christ lui-​même a confié les clés du royaume des cieux, qu’il a consti­tué lui-​même la pierre fon­da­men­tale de l’Église, contre laquelle les portes de l’en­fer ne pour­ront jamais pré­va­loir. Invoquons saint Paul, le com­pa­gnon de son apos­to­lat ; tous les saints du ciel, qui pos­sèdent déjà la palme et la cou­ronne, afin que tous nous aident à obte­nir, pour l’u­ni­ver­sa­li­té du peuple chré­tien, l’a­bon­dance si dési­rable de la divine miséricorde.

Enfin, Vénérables Frères, comme gage de tous les dons célestes et sur­tout comme un témoi­gnage de Notre ardente cha­ri­té pour Vous, rece­vez Notre béné­dic­tion apos­to­lique que Nous Vous accor­dons du fond intime de Notre âme, ain­si qu’à tous les membres du cler­gé et à tous les fidèles laïques confiés à Vos soins.

Donné à Rome, près Sainte Marie Majeure, le 9 novembre de l’an­née 1846 et l’an pre­mier de Notre pontificat.

Pie IX, Pape

Notes de bas de page
  1. Note de LPL : Il ne s’a­git pas du tra­di­tio­na­lisme dans le sens actuel. Ce tra­di­tio­na­lisme est une erreur qui pré­tend que toute connais­sance, même natu­relle, nous vient d’une tra­di­tion pri­mi­tive, ce qui revient à nier tota­le­ment le pou­voir réel de la rai­son humaine.[]