Benoît XV

258e pape ; de 1914 à 1922

25 juillet 1920

Motu proprio Bonum sane

Sur le cinquantenaire de la proclamation de saint Joseph, époux de la Bienheureuse Vierge Marie, patron de l'Eglise catholique

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de saint Jacques, apôtre, le 25 juillet de l’an­née 1920, de Notre Pontificat la sixième.

Ce fut à coup sur une heu­reuse et féconde jour­née pour le nom chré­tien quand Pie IX, Notre Prédécesseur d’im­mor­telle mémoire, pro­cla­ma Patron de l’Eglise catho­lique saint Joseph, le très chaste époux de la Vierge Mère de Dieu et tout ensemble le Père nour­ri­cier du Verbe Incarné. Puisque en décembre pro­chain il y aura cin­quante ans que s’est accom­pli cet acte béni, Nous pen­sons qu’il y aura un immense avan­tage à en com­mé­mo­rer solen­nel­le­ment l’an­ni­ver­saire dans le monde entier.

Jetons un regard sur ces cin­quante der­nières années. Nous voyons se dérou­ler sous nos yeux comme un cor­tège, jamais inter­rom­pu, d’ins­ti­tu­tions pieuses qui témoignent que le culte du très saint Patriarche s’est déve­lop­pé pro­gres­si­ve­ment jus­qu’à nos jours par­mi les fidèles chré­tiens. Mais si Nous consi­dé­rons la situa­tion dif­fi­cile où se débat aujourd’­hui le genre humain, il semble qu’il soit néces­saire de recom­man­der beau­coup plus chau­de­ment cette dévo­tion aux peuples et de lui don­ner une dif­fu­sion beau­coup plus large encore.

En effet, dans Notre récente Encyclique Pacem Dei Munus sur la « Restauration chré­tienne de la Paix », Nous avons mon­tré tout ce qui, au sor­tir du duel si néfaste de la guerre, man­quait encore pour que pût refleu­rir par­tout la tran­quilli­té de l’ordre ; et Nous y avons étu­dié tout spé­cia­le­ment les rap­ports mutuels, d’ordre civil, tant des peuples que des individus.

Aujourd’hui, il Nous faut exa­mi­ner une autre source de malaise, autre­ment grave celle-​là puis­qu’elle a péné­tré jus­qu’aux veines et au cœur même de la socié­té humaine. De fait, le fléau de la guerre s’est abat­tu sur les nations le jour où les avait pro­fon­dé­ment infec­tées le « natu­ra­lisme », cette peste effroyable de notre époque, dont le germe en se déve­lop­pant énerve le désir des biens célestes, étouffe la flamme de l’a­mour de Dieu, sous­trait l’homme à l’in­fluence médi­ci­nale et éle­vante de la grâce du Christ, puis, lors­qu’il est pri­vé fina­le­ment de la lumière de la foi et muni des seules éner­gies infirmes et cor­rom­pues de la nature, le livre au débor­de­ment des passions.

Beaucoup trop d’hommes bor­naient leurs dési­rs aux choses qui passent ; et alors qu’une envie mor­telle et une lutte sans mer­ci oppo­saient déjà le riche et le pro­lé­taire, une guerre pro­lon­gée et géné­rale est venue déve­lop­per et exas­pé­rer encore cette haine entre les classes, en rai­son sur­tout de ce qu’elle a impo­sé à la masse un into­lé­rable ren­ché­ris­se­ment de la vie tan­dis qu’elle pro­cu­rait brus­que­ment à de très rares pri­vi­lé­giés des for­tunes colossales.

Pour comble de mal­heur, la sain­te­té de la foi conju­gale et le res­pect de l’au­to­ri­té pater­nelle ont été bien atteints chez beau­coup du fait de la guerre, soit que par l’é­loi­gne­ment l’un des époux lais­sât se relâ­cher le lieu de ses devoirs envers l’autre, soit que, en l’ab­sence de toute tutelle, les jeunes filles sur­tout fussent entraî­nées par leur impru­dence à prendre de trop grandes liber­tés. Aussi, spec­tacle dou­lou­reux, les moeurs sont plus cor­rom­pues et dépra­vées que pré­cé­dem­ment, et la « ques­tion sociale », comme l’on dit, en devient de jour en jour si grave que l’on peut redou­ter les pires catas­trophes. Voici, en effet, que mûrit l’i­dée que tous les plus dan­ge­reux fau­teurs de désordre appellent de leurs vœux et dont ils escomptent la réa­li­sa­tion, l’a­vè­ne­ment d’une répu­blique uni­ver­selle, basée sur les prin­cipes d’é­ga­li­té abso­lue des hommes et de com­mu­nau­té des biens, d’où serait ban­nie toute dis­tinc­tion de natio­na­li­tés et qui ne recon­naî­trait ni l’au­to­ri­té du père sur ses enfants, ni celle des pou­voirs publics sur les citoyens, ni celle de Dieu sur la socié­té humaine. Mises en pra­tique, ces théo­ries doivent fata­le­ment déclen­cher un régime de ter­reur inouïe, et dès aujourd’hui une par­tie notable de l’Europe en fait la dou­lou­reuse expé­rience. Or, ce triste régime, Nous voyons qu’on le veut étendre à d’autres peuples encore ; Nous voyons l’au­dace de quelques exal­tés sou­le­ver la popu­lace et sus­ci­ter çà et là de graves émeutes.

Préoccupé tout le pre­mier du cours de ces évé­ne­ments, Nous avons sai­si toute occa­sion de rap­pe­ler leur devoir aux enfants de l’Eglise, témoin Nos récentes lettres à l’é­vêque de Bergame et aux évêques de Vénétie. Pour le même motif, le sou­ci de rete­nir dans le devoir tous Nos enfants, quelque nom­breux et où qu’ils soient, qui gagnent leur vie du tra­vail de leurs mains, et de les pré­ser­ver de la conta­gion du socia­lisme, le plus mor­tel enne­mi de la doc­trine chré­tienne, Nous a pous­sé à leur pro­po­ser avec ins­tance, à eux sur­tout, saint Joseph comme modèle et patron spé­cial à imi­ter et honorer.

Saint Joseph, en effet, a pas­sé son exis­tence dans le même genre de vie qu’eux-​mêmes, et c’est pour­quoi le Christ-​Dieu, encore qu’il fût le Fils unique du Père éter­nel, a vou­lu être appe­lé le « Fils du Charpentier ». Or, Nous savons par quel ensemble de hautes ver­tus Joseph rele­va l’hu­mi­li­té de son foyer et de son état : les ver­tus qui conve­naient à celui qui devait être l’é­poux de Marie imma­cu­lée et le Père puta­tif du Seigneur Jésus.

En consé­quence, que tous, à l’é­cole de saint Joseph, apprennent à. ne consi­dé­rer les biens éphé­mères du temps pré­sent qu’à la lumière des biens stables de l’é­ter­ni­té ; trou­vant dans l’es­pé­rance des biens célestes une conso­la­tion aux souf­frances de la vie humaine, ils s’exer­ce­ront à la méri­ter par la sou­mis­sion à la volon­té de Dieu, c’est-​à-​dire par une vie renon­cée, juste et pieuse. Pour le cas par­ti­cu­lier des ouvriers, Nous avons plai­sir à reprendre les paroles de Notre Prédécesseur Léon XIII, d’heu­reuse mémoire, sur la même ques­tion ; elles conviennent si bien qu’il semble impos­sible de rien dire qui soit plus approprié :

« Ces consi­dé­ra­tions doivent ins­pi­rer aux mal­heu­reux et à tous ceux qui gagnent leur vie du tra­vail de leurs mains de nobles sen­ti­ments d’é­qui­té : il leur est bien per­mis de sor­tir de l’in­di­gence et d’ar­ri­ver à une situa­tion meilleure par des moyens légi­times, mais ni la rai­son ni la jus­tice ne les auto­risent à ren­ver­ser l’ordre vou­lu par la Providence de Dieu. Bien plus, les recours à la vio­lence et toutes les ten­ta­tives de sédi­tion et d’é­meute ne sont qu’un cal­cul insen­sé et qui n’a­bou­tit presque tou­jours qu’à rendre plus graves encore les mal­heurs qu’on veut adou­cir. Loin de se fier aux pro­messes des déma­gogues, les pauvres feront preuve de sagesse en pla­çant leur espoir dans l’exemple et le patro­nage de saint Joseph, comme aus­si dans l’a­mour mater­nel de l’Eglise, qui prend un soin chaque jour plus atten­tif de leur situa­tion. » (Quamquam plu­ries)

A mesure que se déve­lop­pe­ra par­mi les fidèles le culte de saint Joseph, on peut s’at­tendre à voir aug­men­ter en même temps leur dévo­tion envers la Sainte Famille de Nazareth, dont il fut l’au­guste Chef ; cha­cune, en effet, de ces deux dévo­tions sort tout natu­rel­le­ment de l’autre, comme sa fleur. Joseph nous amène direc­te­ment à Marie, et Marie à la source de toute sain­te­té, Jésus, qui, par sa sou­mis­sion à Joseph et Marie, a don­né aux ver­tus fami­liales une véri­table consécration.

Or, Notre désir est de voir toutes les familles chré­tiennes se renou­ve­ler en se confor­mant à de si beaux exemples de ver­tus. Ainsi, dès là que la com­mu­nau­té du genre humain repose sur le fon­de­ment de la famille, le jour où la socié­té domes­tique acquer­ra plus de sta­bi­li­té parce que la pure­té, la concorde et la fidé­li­té y seront plus reli­gieu­se­ment sau­ve­gar­dées, du même coup on ver­ra comme une force nou­velle et comme un sang renou­ve­lé se répandre par tous les membres de la socié­té humaine et la ver­tu du Christ péné­trer jus­qu’en ses der­niers replis ; ce jour-​là, refleu­ri­ront non seule­ment les moeurs pri­vées mais la vie sociale et l’ordre public.

Pour Nous, plei­ne­ment confiant dans le patro­nage de celui à la pré­voyante vigi­lance duquel Dieu a vou­lu confier son Fils unique le Verbe Incarné et la Vierge Mère de Dieu, Nous deman­dons à tous les évêques du monde catho­lique d’ex­hor­ter les fidèles, en ces conjonc­tures si pénibles pour la chré­tien­té, à implo­rer avec plus de fer­veur encore le secours de saint Joseph. Ce Siège apos­to­lique ayant déjà approu­vé plu­sieurs exer­cices de dévo­tion envers le saint Patriarche, par­ti­cu­liè­re­ment pour tous les mer­cre­dis de l’an­née et pour tous les jours du mois qui lui est consa­cré, Nous deman­dons que ces exer­cices, vive­ment recom­man­dés par l’Ordinaire, soient sui­vis aus­si assi­dû­ment que pos­sible dans chaque diocèse.

Mais saint Joseph est sur­tout et à juste titre hono­ré comme le très fidèle assis­tant des mou­rants, lui qui mou­rut entre les bras de Jésus et Marie ; aus­si Nos Vénérables Frères auront le devoir d’as­su­rer tout l’ap­pui et la faveur de leur auto­ri­té aux asso­cia­tions pieuses des­ti­nées à prier saint Joseph pour les mou­rants, telles que les asso­cia­tions de la Bonne Mort, du Trépas de saint Joseph, pour les Agonisants.

De plus, pour com­mé­mo­rer l’an­ni­ver­saire du Décret pon­ti­fi­cal rap­pe­lé plus haut, Nous ordon­nons et décré­tons que, dans l’an­née, à dater du 8 décembre pro­chain, on célèbre, par tout l’u­ni­vers catho­lique, une céré­mo­nie solen­nelle en l’hon­neur de saint Joseph, Epoux de la Bienheureuse Vierge Marie et Patron de l’Eglise catho­lique, au temps et de la manière que fixe­ra chaque évêque. Nous accor­dons à tous ceux qui pren­dront part à ces solen­ni­tés une indul­gence plé­nière à gagner aux condi­tions ordinaires.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de saint Jacques, apôtre, le 25 juillet de l’an­née 1920, de Notre Pontificat la sixième.

BENEDICTUS PP. XV