Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Jacques, apôtre, le 25 juillet de l’année 1920, de Notre Pontificat la sixième.
Ce fut à coup sur une heureuse et féconde journée pour le nom chrétien quand Pie IX, Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, proclama Patron de l’Eglise catholique saint Joseph, le très chaste époux de la Vierge Mère de Dieu et tout ensemble le Père nourricier du Verbe Incarné. Puisque en décembre prochain il y aura cinquante ans que s’est accompli cet acte béni, Nous pensons qu’il y aura un immense avantage à en commémorer solennellement l’anniversaire dans le monde entier.
Jetons un regard sur ces cinquante dernières années. Nous voyons se dérouler sous nos yeux comme un cortège, jamais interrompu, d’institutions pieuses qui témoignent que le culte du très saint Patriarche s’est développé progressivement jusqu’à nos jours parmi les fidèles chrétiens. Mais si Nous considérons la situation difficile où se débat aujourd’hui le genre humain, il semble qu’il soit nécessaire de recommander beaucoup plus chaudement cette dévotion aux peuples et de lui donner une diffusion beaucoup plus large encore.
En effet, dans Notre récente Encyclique Pacem Dei Munus sur la « Restauration chrétienne de la Paix », Nous avons montré tout ce qui, au sortir du duel si néfaste de la guerre, manquait encore pour que pût refleurir partout la tranquillité de l’ordre ; et Nous y avons étudié tout spécialement les rapports mutuels, d’ordre civil, tant des peuples que des individus.
Aujourd’hui, il Nous faut examiner une autre source de malaise, autrement grave celle-là puisqu’elle a pénétré jusqu’aux veines et au cœur même de la société humaine. De fait, le fléau de la guerre s’est abattu sur les nations le jour où les avait profondément infectées le « naturalisme », cette peste effroyable de notre époque, dont le germe en se développant énerve le désir des biens célestes, étouffe la flamme de l’amour de Dieu, soustrait l’homme à l’influence médicinale et élevante de la grâce du Christ, puis, lorsqu’il est privé finalement de la lumière de la foi et muni des seules énergies infirmes et corrompues de la nature, le livre au débordement des passions.
Beaucoup trop d’hommes bornaient leurs désirs aux choses qui passent ; et alors qu’une envie mortelle et une lutte sans merci opposaient déjà le riche et le prolétaire, une guerre prolongée et générale est venue développer et exaspérer encore cette haine entre les classes, en raison surtout de ce qu’elle a imposé à la masse un intolérable renchérissement de la vie tandis qu’elle procurait brusquement à de très rares privilégiés des fortunes colossales.
Pour comble de malheur, la sainteté de la foi conjugale et le respect de l’autorité paternelle ont été bien atteints chez beaucoup du fait de la guerre, soit que par l’éloignement l’un des époux laissât se relâcher le lieu de ses devoirs envers l’autre, soit que, en l’absence de toute tutelle, les jeunes filles surtout fussent entraînées par leur imprudence à prendre de trop grandes libertés. Aussi, spectacle douloureux, les moeurs sont plus corrompues et dépravées que précédemment, et la « question sociale », comme l’on dit, en devient de jour en jour si grave que l’on peut redouter les pires catastrophes. Voici, en effet, que mûrit l’idée que tous les plus dangereux fauteurs de désordre appellent de leurs vœux et dont ils escomptent la réalisation, l’avènement d’une république universelle, basée sur les principes d’égalité absolue des hommes et de communauté des biens, d’où serait bannie toute distinction de nationalités et qui ne reconnaîtrait ni l’autorité du père sur ses enfants, ni celle des pouvoirs publics sur les citoyens, ni celle de Dieu sur la société humaine. Mises en pratique, ces théories doivent fatalement déclencher un régime de terreur inouïe, et dès aujourd’hui une partie notable de l’Europe en fait la douloureuse expérience. Or, ce triste régime, Nous voyons qu’on le veut étendre à d’autres peuples encore ; Nous voyons l’audace de quelques exaltés soulever la populace et susciter çà et là de graves émeutes.
Préoccupé tout le premier du cours de ces événements, Nous avons saisi toute occasion de rappeler leur devoir aux enfants de l’Eglise, témoin Nos récentes lettres à l’évêque de Bergame et aux évêques de Vénétie. Pour le même motif, le souci de retenir dans le devoir tous Nos enfants, quelque nombreux et où qu’ils soient, qui gagnent leur vie du travail de leurs mains, et de les préserver de la contagion du socialisme, le plus mortel ennemi de la doctrine chrétienne, Nous a poussé à leur proposer avec instance, à eux surtout, saint Joseph comme modèle et patron spécial à imiter et honorer.
Saint Joseph, en effet, a passé son existence dans le même genre de vie qu’eux-mêmes, et c’est pourquoi le Christ-Dieu, encore qu’il fût le Fils unique du Père éternel, a voulu être appelé le « Fils du Charpentier ». Or, Nous savons par quel ensemble de hautes vertus Joseph releva l’humilité de son foyer et de son état : les vertus qui convenaient à celui qui devait être l’époux de Marie immaculée et le Père putatif du Seigneur Jésus.
En conséquence, que tous, à l’école de saint Joseph, apprennent à. ne considérer les biens éphémères du temps présent qu’à la lumière des biens stables de l’éternité ; trouvant dans l’espérance des biens célestes une consolation aux souffrances de la vie humaine, ils s’exerceront à la mériter par la soumission à la volonté de Dieu, c’est-à-dire par une vie renoncée, juste et pieuse. Pour le cas particulier des ouvriers, Nous avons plaisir à reprendre les paroles de Notre Prédécesseur Léon XIII, d’heureuse mémoire, sur la même question ; elles conviennent si bien qu’il semble impossible de rien dire qui soit plus approprié :
« Ces considérations doivent inspirer aux malheureux et à tous ceux qui gagnent leur vie du travail de leurs mains de nobles sentiments d’équité : il leur est bien permis de sortir de l’indigence et d’arriver à une situation meilleure par des moyens légitimes, mais ni la raison ni la justice ne les autorisent à renverser l’ordre voulu par la Providence de Dieu. Bien plus, les recours à la violence et toutes les tentatives de sédition et d’émeute ne sont qu’un calcul insensé et qui n’aboutit presque toujours qu’à rendre plus graves encore les malheurs qu’on veut adoucir. Loin de se fier aux promesses des démagogues, les pauvres feront preuve de sagesse en plaçant leur espoir dans l’exemple et le patronage de saint Joseph, comme aussi dans l’amour maternel de l’Eglise, qui prend un soin chaque jour plus attentif de leur situation. » (Quamquam pluries)
A mesure que se développera parmi les fidèles le culte de saint Joseph, on peut s’attendre à voir augmenter en même temps leur dévotion envers la Sainte Famille de Nazareth, dont il fut l’auguste Chef ; chacune, en effet, de ces deux dévotions sort tout naturellement de l’autre, comme sa fleur. Joseph nous amène directement à Marie, et Marie à la source de toute sainteté, Jésus, qui, par sa soumission à Joseph et Marie, a donné aux vertus familiales une véritable consécration.
Or, Notre désir est de voir toutes les familles chrétiennes se renouveler en se conformant à de si beaux exemples de vertus. Ainsi, dès là que la communauté du genre humain repose sur le fondement de la famille, le jour où la société domestique acquerra plus de stabilité parce que la pureté, la concorde et la fidélité y seront plus religieusement sauvegardées, du même coup on verra comme une force nouvelle et comme un sang renouvelé se répandre par tous les membres de la société humaine et la vertu du Christ pénétrer jusqu’en ses derniers replis ; ce jour-là, refleuriront non seulement les moeurs privées mais la vie sociale et l’ordre public.
Pour Nous, pleinement confiant dans le patronage de celui à la prévoyante vigilance duquel Dieu a voulu confier son Fils unique le Verbe Incarné et la Vierge Mère de Dieu, Nous demandons à tous les évêques du monde catholique d’exhorter les fidèles, en ces conjonctures si pénibles pour la chrétienté, à implorer avec plus de ferveur encore le secours de saint Joseph. Ce Siège apostolique ayant déjà approuvé plusieurs exercices de dévotion envers le saint Patriarche, particulièrement pour tous les mercredis de l’année et pour tous les jours du mois qui lui est consacré, Nous demandons que ces exercices, vivement recommandés par l’Ordinaire, soient suivis aussi assidûment que possible dans chaque diocèse.
Mais saint Joseph est surtout et à juste titre honoré comme le très fidèle assistant des mourants, lui qui mourut entre les bras de Jésus et Marie ; aussi Nos Vénérables Frères auront le devoir d’assurer tout l’appui et la faveur de leur autorité aux associations pieuses destinées à prier saint Joseph pour les mourants, telles que les associations de la Bonne Mort, du Trépas de saint Joseph, pour les Agonisants.
De plus, pour commémorer l’anniversaire du Décret pontifical rappelé plus haut, Nous ordonnons et décrétons que, dans l’année, à dater du 8 décembre prochain, on célèbre, par tout l’univers catholique, une cérémonie solennelle en l’honneur de saint Joseph, Epoux de la Bienheureuse Vierge Marie et Patron de l’Eglise catholique, au temps et de la manière que fixera chaque évêque. Nous accordons à tous ceux qui prendront part à ces solennités une indulgence plénière à gagner aux conditions ordinaires.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Jacques, apôtre, le 25 juillet de l’année 1920, de Notre Pontificat la sixième.
BENEDICTUS PP. XV