Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête du Sacré Cœur de Jésus, le 15 juin 1917
Aux Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques et autres Ordinaires locaux en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.
Par sa mort sur l’autel de la Croix, Jésus-Christ avait consommé la rédemption du genre humain ; et, voulant amener les hommes à acquérir la vie éternelle par l’obéissance à ses préceptes, il n’usa que d’un seul moyen la voix de ses prédicateurs chargés d’annoncer au monde tout entier ce qu’il faut croire et faire pour être sauvé. Il plut à Dieu, par la folie de la prédication, de sauver ceux qui croyaient (1 Cor 1, 21). Il choisit donc les Apôtres et, après les avoir remplis, par le ministère de l’Esprit Saint, des dons proportionnés à une fonction aussi importante : Allez, leur dit-il, prêcher l’Evangile dans le monde entier (Mc 16, 15). Et cette prédication renouvela la face du globe. Car, si les esprits des hommes, se détachant de leurs multiples erreurs, ont fait retour à la vérité ; si leurs cœurs, souillés de vices, se sont convertis à l’excellence de toutes les vertus, cette conversion, qui est l’effet de la foi chrétienne, est véritablement l’œuvre de la prédication elle-même : La foi est le fruit de l’audition, mais celle-ci s’opère par la parole du Christ (Rm 10, 17). C’est pourquoi – puisque par la volonté de Dieu les choses se conservent par les mêmes causes qui les ont produites – il est évident que la prédication de la sagesse chrétienne est destinée, d’une manière divine, à continuer l’œuvre du salut éternel et qu’elle est comptée à bon droit parmi les choses les plus importantes et les plus graves. Aussi devons-Nous y appliquer de préférence Nos sollicitudes et Nos pensées, surtout si elle semble perdre quelque chose de son intégrité première, au détriment de son efficacité.
Voilà, en effet, Vénérables Frères, ce qui s’ajoute aux autres misères de ces temps, dont, plus que tout autre, Nous avons le souci. Car, si Nous considérons combien sont nombreux ceux qui s’adonnent à la prédication de la parole divine, Nous constatons que leur abondance est telle qu’elle dépasse peut-être tout ce qu’on avait connu auparavant. Cependant, si Nous observons à quel point en sont les mœurs publiques et privées, ainsi que les institutions des peuples, Nous voyons, de jour en jour, croître partout le dédain et l’oubli des choses surnaturelles : insensiblement l’on s’écarte de la vertu chrétienne qui est austère, et chaque jour on rétrograde vers la vie infâme des païens.
103. De ces maux, les causes sont multiples et variées cependant, l’on doit déplorer, et personne ne pourrait le nier, que les prédicateurs n’y apportent point de remèdes suffisants. La parole de Dieu a‑t-elle donc cessé d’être telle que la décrivait l’Apôtre, c’est-à-dire animée et efficace, et plus pénétrante qu’aucun glaive à deux tranchants (He 4, 12) ? Un long usage en a‑t-il émoussé l’acier ? Si ce glaive ne manifeste point partout sa puissance, la faute en est certainement à ceux qui ne
l’emploient pas comme il convient. On ne peut dire, en effet, que les Apôtres ont eu affaire à une époque meilleure que la nôtre, comme s’il y avait eu alors plus de docilité à l’Evangile, ou moins de révolte contre la loi divine !
Aussi comprenons-Nous à quel point il Nous incombe de rappeler partout, et avec le zèle très grand que requiert la gravité du sujet, la règle vers laquelle doit être dirigée la prédication de la parole divine selon l’ordre du Christ Notre Seigneur et les décrets de l’Eglise ; la conscience de Notre devoir apostolique Nous en avertit, et Nous y sommes pleinement exhorté par l’exemple de Nos deux Prédécesseurs les plus proches.
104. Tout d’abord, Vénérables Frères, il nous faut rechercher les causes pour lesquelles on s’est, dans l’espèce, écarté du droit chemin. Elles semblent, à première vue, se ramener à trois : ou le ministère de la prédication est assumé par qui n’est pas autorisé à l’exercer, ou le prédicateur s’en fait une fausse conception, ou il ne s’acquitte pas de cette fonction de la manière qu’il faudrait.
Celle-ci, d’après la doctrine du Concile de Trente [1], est avant tout personnelle aux évêques. Et vraiment, les Apôtres, qu’ont remplacés les évêques en leur succédant, estimaient que cette charge surtout faisait partie de leur devoir pastoral. Ainsi saint Paul dira : Le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher (1 Co 1, 17). Voici, de même, la pensée des autres Apôtres : Il ne convient pas que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables (Ac 6, 2). Pourtant, les évêques se doivent à toutes sortes d’affaires intéressant l’administration de leurs diocèses ; dès lors, bien que la prédication soit pour eux l’objet d’un devoir personnel, il leur est nécessaire de recourir à autrui pour les remplacer dans un ministère auquel ils ne peuvent, ni toujours ni en toute occasion, satisfaire par eux-mêmes.
C’est pourquoi ceux qui l’exercent sans l’autorisation des évêques remplissent, à n’en pas douter, une charge épiscopale. – Est donc établie cette première loi : personne ne peut, de son propre chef, s’adjuger la fonction de prêcher ; à qui la désire, il faut une mission légitime, et seul l’évêque peut l’accorder : Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont envoyés ? (Rm 10, 15).
105. Envoyés, les apôtres le furent, en effet, et par Celui qui est le suprême Pasteur et Evêque de nos âmes (cf. 1 P 2, 25); les soixante-douze disciples l’étaient aussi. Et – bien que le Christ l’eût déjà constitué un vase d’élection afin qu’il portât son nom devant les nations et les rois (cf. Ac 9, 15) – Paul, à son tour, entra dans l’apostolat quand les anciens, obéissant au commandement de l’Esprit-Saint, le laissèrent partir après lui avoir imposé les mains (cf. Ac 13, 2.3). L’on en a toujours usé de la sorte aux premiers temps de l’Eglise. Tous ceux qui, comme Origène, brillaient dans les rangs du clergé ou furent dans la suite élevés à l’épiscopat, s’adonnèrent à la prédication avec l’autorisation de l’évêque dont ils dépendaient : ainsi firent Cyrille de Jérusalem, Jean Chrysostome, Augustin et tous les anciens Docteurs de l’Eglise.
106. Mais maintenant, Vénérables Frères, une autre manière d’agir semble, depuis longtemps, passée en usage. Nombreux sont les orateurs à qui s’appliquerait justement cette plainte du Seigneur, dans Jérémie : Je n’ai pas envoyé de prophètes, et ils courent d’eux-mêmes (Jr 23, 21). D’un esprit heureusement doué, ou pour tout autre motif, quelqu’un trouve-t-il bon d’entreprendre le ministère de la parole (Ac 6, 2) ? La chaire des églises lui est d’un accès facile, comme si le premier venu pouvait, selon son bon plaisir, se livrer aux joutes oratoires ! C’est pourquoi, Vénérables Frères, il vous appartient de mettre fin, dès maintenant, à un tel dérèglement, et, puisque vous avez à rendre compte à Dieu et à l’Eglise du pâturage que vous fournissez à vos troupeaux, ne laissez pas quelqu’un s’introduire sans votre ordre dans la bergerie, et paître à sa guise les brebis du Christ. Et que, dès maintenant, personne, dans vos diocèses, n’ait le pouvoir de prêcher si vous ne l’avez tout d’abord appelé et approuvé.
107. Aussi, donnez une très vigilante attention à ceux à qui vous confiez une aussi sainte fonction. En cette matière, le décret du Concile de Trente ne donne aux évêques qu’une seule permission : celle de choisir des sujets « idoines, c’est-à-dire capables de s’acquitter avec avantage du ministère de la prédication » [2]. Avec avantage, est-il dit – notez ce mot : il est la quintessence de la règle – et non avec éloquence, applaudissements des auditeurs ; mais bien avec fruit pour les âmes, ce à quoi doit tendre – comme à sa fin – l’exercice de la parole divine.
108. Et si vous désirez de Nous une définition plus précise, Nous vous dirons que sont réellement capables ceux en qui vous aurez discerné les signes de l’appel divin. Nul ne s’arroge cette dignité, il faut y être appelé par Dieu (He 5, 4), telle est la condition de l’admission au sacerdoce, et qui demeure la même pour juger de l’habileté et de l’aptitude d’un sujet en vue de la prédication. Et cette vocation n’est point difficile à reconnaître. En effet, le Christ, notre Seigneur et Maître, alors qu’il
s’apprêtait à monter au ciel, ne dit pas du tout aux Apôtres de s’en aller, à l’instant même et chacun de son côté, pour commencer de prêcher : Restez dans la ville, leur dit-il, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut (Lc 24, 49).
Si donc quelqu’un est revêtu de la force d’en haut, cela fera voir qu’il est appelé à cette fonction. Quel que soit d’ailleurs le mode de cette manifestation, on peut en constater les effets sur la personne des Apôtres aussitôt qu’ils eurent reçu cette vertu d’en haut. En effet, dès que l’Esprit Saint fut descendu en eux – et nous ne nous occupons pas des merveilleux charismes dont ils furent enrichis – de rudes et ignorants qu’ils étaient, ils furent transformés en hommes doctes et parfaits.
109. Sera donc à bon droit considéré comme appelé à la prédication le prêtre qui possède et la science et la vertu qui conviennent, pourvu qu’il ait également les dons naturels dont il est besoin pour ne pas tenter Dieu ; et rien ne s’opposera alors à ce que l’évêque l’accepte en vue de ce ministère. C’est cela même que veut le Concile de Trente, quand il décrète que les évêques ne doivent pas permettre de prêcher à « ceux dont les mœurs et la doctrine ne sont pas approuvées » [3]. Aussi l’évêque se doit-il de mettre très longtemps à l’épreuve ceux qu’il pense charger de cet office ; par ce moyen, il connaîtra la richesse de leur doctrine, la sainteté de leur vie, et il en appréciera la valeur. Agir, au contraire, avec mollesse et négligence serait assurément pour lui se mettre dans un cas très grave : sur sa tête retomberait la responsabilité des erreurs répandues par le prédicateur ignorant, ainsi que du mauvais exemple et du scandale causé par le coupable.
110. C’est pourquoi, afin de rendre votre tâche plus facile, Nous voulons, Vénérables Frères, que désormais soit institué un double examen, portant d’une manière sérieuse sur la conduite et la science de ceux qui sollicitent le pouvoir de prêcher, comme cela existe pour ceux qui demandent à entendre les confessions. Si donc un candidat a été dans l’un ou l’autre cas reconnu manchot et boiteux, il ne faut avoir égard à aucune considération et écarter de cette charge celui qui n’en aura pas été jugé digne. Votre dignité, à vous dont les prédicateurs remplissent la charge, exige qu’il en soit ainsi, comme nous l’avons dit la Sainte Eglise le demande instamment, dans son intérêt même, puisque, si quelqu’un doit être le sel de la terre et la lumière du monde (Mt 5, 13–14), c’est bien celui qui est employé au ministère de la parole.
111. Après avoir bien considéré ces choses, il peut paraître superflu d’aller plus avant dans l’explication de ce qui a trait à la fin de la prédication et à son mode d’être. Si, en effet, l’on exige que le choix des orateurs sacrés soit en conformité avec la règle que Nous avons rappelée, pourquoi douter qu’ornés des qualités qui conviennent, ils ne se proposent, dans leur prédication, une fin juste, et n’observent une bonne méthode ? Il est cependant utile de mettre en lumière ces deux points essentiels, afin qu’apparaisse davantage le motif qui Nous fait parfois souhaiter chez quelques-uns cette forme qui caractérise les bons prédicateurs.
112. Ce que doivent se proposer les prédicateurs en recevant leur charge, il est aisé de le comprendre par cette affirmation que saint Paul donnait de lui-même et qui peut et doit être la leur : Pour le Christ nous faisons les fonctions d’ambassadeurs (2 Co 5, 20). Or, s’ils sont légats du Christ, ils doivent vouloir dans l’accomplissement de leur mission cela même qu’a voulu le Christ en la leur donnant ; ce que lui-même, en vérité, se proposa tant qu’il vécut ici-bas. Les Apôtres, en effet, et après eux les prédicateurs, n’ont pas été envoyés d’une autre façon que le Christ : Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ! (Jn 20, 21) C’est le motif, nous le savons, pour lequel le Christ est descendu du ciel ; il l’a d’ailleurs déclaré ouvertement : Je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37) et donner la vie (Jn 10, 10) aux hommes.
113. Les prédicateurs doivent donc viser ce double objectif : répandre la lumière de la vérité, exciter et développer en leurs auditeurs la vie surnaturelle ; bref, en cherchant le salut des âmes, promouvoir la gloire de Dieu. C’est pourquoi, de même qu’on décerne à faux le titre de médecin à qui n’en exerce pas la profession, et que n’est point docteur celui qui n’enseigne pas l’art qu’il prétend connaître, de même doit-on traiter aussi comme un déclamateur futile – et non comme un prédicateur de l’Evangile – celui dont le souci n’est pas d’amener les hommes à une connaissance plus étendue de Dieu et sur la voie du salut éternel. Et vraiment, plût au Ciel qu’il n’y eût point de tels déclamateurs ! Par quels mobiles sont-ils donc surtout guidés ? Quelques-uns par le désir de la vaine gloire ; et voici comment ils le contentent : « Ils s’étudient à traiter des sujets plus élevés que proportionnés à leur auditoire ; aux faibles intelligences ils font montre d’eux-mêmes et ne s’occupent pas de leur salut. Ils rougissent d’avoir à exprimer des choses humbles et faciles à saisir, dans leur peur de paraître n’en pas savoir davantage… ils rougissent de donner le lait aux petits-enfants » [4]. Alors que le Seigneur Jésus montrait, par l’humble condition de son auditoire, qu’il était bien celui qu’on attendait : Les pauvres reçoivent la bonne nouvelle (Mt 11, 5), pourquoi ces orgueilleux ne se préoccupent-ils pas de mériter l’estime par leurs sermons plutôt que par la célébrité des villes et l’éclat des chaires renommées ?
114. Mais, parce que certaines choses révélées par Dieu glacent d’épouvante la nature humaine débile et corrompue, et ne sont pas de nature à attirer la foule, ils s’abstiennent prudemment d’en parler et traitent des sujets dans lesquels – si l’on fait abstraction du lieu il n’entre rien de sacré. Et il n’est pas rare de les voir, au milieu d’un exposé des choses éternelles, passer aux questions politiques, surtout si quelque affaire de ce genre passionne les esprits de ceux qui les écoutent. En un mot, leur application semble n’avoir d’autre but que celui de plaire aux auditeurs et contenter le désir de ceux qui, selon saint Paul, sont avides de tout ce qui peut chatouiller leurs oreilles (2 Tm 4, 3). De là ce geste qui n’est ni calme ni grave, mais tel qu’on l’emploie habituellement sur la scène d’un théâtre ou dans une réunion populaire ; de là ce mol abandon dans le ton de la voix et les effets tragiques ; de là ce genre de style propre aux journaux ; de là cette abondance de pensées empruntées, non aux Livres saints ou aux Pères de l’Eglise, mais aux écrits des impies et de ceux qui ne sont pas catholiques ; de là, enfin, cette grande volubilité dans laquelle tombent la plupart de ces prédicateurs, et dont ils rebattent les oreilles tout en soulevant l’admiration de leurs auditeurs, sans leur offrir rien de bon qu’ils puissent remporter chez eux. Il est, en outre, fort étonnant à quel point de pareils prédicateurs sont trompés par l’opinion du vulgaire. Qu’ils obtiennent des ignorants les applaudissements qu’ils recherchent par un tel labeur et non sans sacrilège, c’est fort possible ; est-ce là, pourtant, un juste salaire de leur effort, alors qu’ils s’exposent à la fois au blâme de toutes les personnes avisées et, ce qui est plus grave, au sévère et redoutable jugement du Christ ?
Néanmoins, Vénérables Frères, rechercher uniquement les applaudissements n’est pas le fait de tous ceux qui, dans leur prédication, s’écartent de la règle et du modèle à suivre.
115. Ordinairement, ceux qui convoitent de telles démonstrations poursuivent un autre but qui est, en outre, beaucoup moins louable. Le prêtre, dit saint Grégoire, ne prêche pas pour manger, mais il doit manger pour prêcher (cf. In 1 Regnum, l. III, PL 79, 126). Or, ceux qui oublient cette parole sont loin d’être rares ; comprenant que leurs aptitudes ne les dirigeaient pas vers d’autres emplois devant décemment servir à leur entretien, ils se sont adonnés à la prédication, non pas avec le motif d’exercer le très saint ministère selon la règle, mais bien avec celui de réaliser un gain. Il est donc visible que leur souci ne tend point à chercher là où l’on peut espérer un plus grand fruit pour les âmes, mais là où la prédication est d’un rapport plus lucratif.
Dès lors, comme l’Eglise n’a rien à attendre d’eux, sinon détriment et déshonneur, il vous faut, Vénérables Frères, veiller avec grand soin : si vous trouvez quelqu’un qui ait abusé de la prédication dans la préoccupation de sa renommée ou d’un gain à percevoir, retirez-lui, sans délai, la fonction de prêcher. Car celui qui ne craint pas de souiller une chose aussi sainte par un motif aussi pervers n’hésitera pas à descendre à toutes les indignités, étendant la tache de sa propre ignominie jusqu’à cettecharge elle-même qu’il administre si honteusement.
116. La même sévérité devra être employée envers ceux qui ne prêchent pas de la manière qui convient, attendu qu’ils négligent les dispositions requises pour l’accomplissement de ce ministère : dispositions que l’Apôtre Paul, dénommé par l’Eglise le « Prédicateur de la vérité », enseigne par son exemple. Plaise à Dieu que, dans sa bienfaisante pitié, nous ayons de semblables prédicateurs et en nombre beaucoup plus grand !
En premier lieu, ce que nous apprend saint Paul, c’est l’excellente préparation et instruction qu’il apporta en entreprenant de prêcher. Et nous n’entendons point parler ici des études soigneuses qu’il fit de la Loi sous le magistère de Gamaliel. Car la science en lui infusée par la révélation rendait obscure et anéantissait presque celle que pour lui-même il avait acquise, quoique cette dernière, nous le voyons par ses Lettres, lui fut aussi d’une très grande utilité. C’est une nécessité absolue pour le prédicateur d’avoir la science, ainsi que nous l’avons dit, et celui à qui sa lumière fait défaut tombe facilement, comme l’expose avec beaucoup de vérité cette sentence du IVe Concile du Latran : « L’ignorance est mère de toutes les erreurs ». Nous ne voulons pas, cependant, que cela s’entende de toute espèce de science : il s’agit ici de celle que le prêtre doit posséder comme un bien propre et qui – pour dire la chose en peu de mots – comprend la connaissance de soi-même, de Dieu et de ses devoirs. De soi, disons-Nous, afin que chaque prêtre renonce à ses intérêts personnels ; de Dieu, pour qu’il amène tous les fidèles à le connaître et à l’aimer ; de ses devoirs, afin qu’il les remplisse lui-même fidèlement et veille à ce que chacun fasse de même. Si cette connaissance fait défaut, celle des autres choses inspire de l’orgueil et n’est d’aucune utilité.
117. Voyons plutôt comment l’Apôtre prépara son cœur en vue de la prédication. Ici, trois choses surtout demandent à être considérées. Tout d’abord le total abandon de saint Paul à la volonté divine. En effet, alors qu’il faisait route vers Damas, à peine fut-il touché de la force du Seigneur Jésus qu’il poussa ce cri digne de l’Apôtre : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? (Ac 9, 6) Aussitôt il commença de tout faire pour le Christ, et toujours dans la suite il agit de même : travaillant et prenant son repos au milieu de la gêne comme de l’abondance, acceptant louange et mépris, vivant et mourant pour Lui. A n’en pas douter, son apostolat ne fut si profitable que parce qu’il s’abandonna avec une entière soumission à la volonté de Dieu. C’est pourquoi, tout prédicateur qui dirige ses efforts en vue de sauver les âmes doit avant tout pratiquer semblable soumission afin de ne point désirer plus d’auditeurs, de succès et de fruits qu’il n’en doit avoir : enfin, que Dieu seul soit son but, et non lui-même.
118. Aussi, cette application à ne servir que Dieu demande une âme qui se trouve si bien préparée à la souffrance qu’elle ne fuit aucun genre de peine et de travail. Saint Paul eut cette seconde qualité à un degré tout à fait remarquable. Car, après que le Seigneur eut dit à son sujet : Je lui montrerai combien il faut souffrir pour moi (Ac 9, 16), il embrassa par la suite toutes les fatigues avec une telle volonté qu’il écrivait : Je surabonde de joie au milieu de toutes nos tribulations (2 Co 7, 4). On ne croirait jamais quelle valeur acquiert, auprès du peuple chrétien, l’œuvre du prédicateur qui, possédant une telle endurance, détruit en lui tout ce qu’il y a d’humain et se concilie la grâce de Dieu, afin que son labeur porte des fruits.
Par contre, il en est qui, en quelque endroit qu’ils puissent aller, y recherchent, plus qu’il ne faut, les commodités de la vie et, du fait de leurs prédications, ne s’occupent presque pas des autres fonctions du saint ministère, en sorte qu’ils paraissent avoir plus égard à leur santé qu’à l’utilité des âmes.
119. En troisième et dernier lieu, l’Apôtre nous fait comprendre qu’il est nécessaire au prédicateur d’avoir ce qu’on nomme l’esprit d’oraison. Appelé à l’apostolat, son premier acte fut de prier : Il est en prière (Ac 9, 11), disent de lui les Actes des Apôtres. En effet, on ne cherche le salut des âmes ni par des paroles abondantes, ni par de subtils discours, ni en pérorant avec fougue : le prédicateur qui s’en tient à cela n’est rien autre qu’un airain sonnant ou une cymbale retentissante (1 Co 13, 1). Ce qui donne aux paroles humaines leur vigueur et leur valeur merveilleuse pour le salut, c’est la grâce divine : Dieu, dit l’Apôtre, a donné l’accroissement (1 Co 3, 6). Aussi la grâce de Dieu ne s’obtient-elle point par l’étude et l’art, mais par les prières. C’est pourquoi celui qui s’adonne peu ou point à l’oraison dépense-t-il en vain et son travail et sa peine, puisque devant Dieu rien n’est profitable ni à lui ni à ses auditeurs.
120. Et pour conclure en peu de mots ce que Nous avons dit jusqu’à présent, Nous Nous servirons de ces paroles de saint Pierre Damien : « Au prédicateur, deux choses sont, par-dessus tout, nécessaires : il faut qu’il regorge véritablement des pensées de la doctrine spirituelle et qu’il brille de la splendeur de la vie religieuse. Si le prêtre ne peut avoir les deux ensemble, en sorte que sa vie soit resplendissante et remplie par la richesse de sa doctrine, la vie, sans aucun doute, est alors préférable à la doctrine… L’éclat de la vie vaut plus pour l’exemple que l’éloquence et l’élégance des discours… Il est nécessaire que le prêtre chargé de prêcher ruisselle des pluies de la doctrine spirituelle et étincelle des rayons de la vie religieuse, à l’instar de cet ange qui, annonçant aux bergers la naissance du Seigneur, brilla d’une éclatante splendeur et exprima par des paroles la bonne nouvelle qu’il était venu leur annoncer » [5].
121. Mais, pour en revenir à saint Paul, si nous recherchons quels sujets il avait été accoutumé de traiter en prêchant, nous voyons que lui-même les fait tous rentrer dans ces paroles : Je n’ai pas jugé que je dusse savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2, 2). Faire en sorte que les hommes connaissent de plus en plus Jésus-Christ et que par là ils sachent non seulement ce qu’il faut croire, mais encore comment il faut vivre, voilà ce à quoi saint Paul travailla avec toute l’ardeur de son cœur apostolique. C’est pourquoi il traitait des dogmes du Christ et de tous les préceptes, même des plus sévères, et il n’apportait ni réticence, ni adoucissements en parlant de l’humilité, de l’abnégation de soi-même, de la chasteté, du mépris des choses humaines, de l’obéissance, du pardon aux ennemis et autres sujets semblables. Il n’éprouvait aucune timidité à déclarer qu’entre Dieu et Bélial il faut choisir à qui l’on veut obéir, et qu’il n’est pas possible d’avoir l’un et l’autre pour maîtres ; qu’un jugement redoutable attend ceux qui doivent passer de vie à trépas ; qu’il n’est pas loisible de transiger avec Dieu ; qu’on doit espérer la vie éternelle si l’on accomplit toute la loi, et que le feu éternel attend ceux qui manquent à leurs devoirs en favorisant leurs convoitises. En effet, jamais le Prédicateur de la vérité n’eut l’idée de s’abstenir de traiter ces sortes de sujets, sous le prétexte que, vu la corruption de l’époque, de telles considérations auraient semblé trop dures à ceux à qui il s’adressait. Il apparaît donc qu’on ne doit pas approuver ces prédicateurs qui, de crainte d’ennuyer leurs auditeurs, n’osent traiter certains points de la doctrine chrétienne. Un médecin prescrit-il à son malade des remèdes inutiles parce que celui-ci a l’horreur de ce qui lui serait salutaire ? Au reste, l’orateur donnera la preuve de sa force et de son pouvoir si sa parole rend agréable ce qui ne l’est pas.
122. Et de quelle façon l’Apôtre donnait-il ses explications ? Certes, pas avec le langage persuasif de la sagesse humaine (1 Co 2, 4). Combien il importe, Vénérables Frères, que, plus que toutes les autres, cette parole soit approfondie ! Ne voyons-nous pas nombre d’orateurs sacrés passer sous silence les Saintes Ecritures, les Pères et les Docteurs de l’Eglise, les arguments de la théologie sacrée ? Ils ne parlent presque de rien, sinon de la raison. Assurément, c’est un travers car rien ne peut être profitable dans l’ordre surnaturel par le seul secours humain.
A cela l’on objecte : il ne peut être fait créance aux paroles d’un prédicateur insistant sur les choses qui ont été révélées par Dieu. Est-ce vrai ? Soit, nous l’admettons pour ceux qui ne sont pas catholiques ; bien que, lorsque les Grecs cherchaient la sagesse – évidemment celle du siècle – l’Apôtre cependant leur prêchait Jésus crucifié (cf. 1 Co 1, 22–23). Et si nous tournons les yeux vers les nations catholiques, que voyons-nous ? Ceux qui nous sont hostiles conservent presque la racine de la foi car si leur esprit est aveuglé, c’est que leur cœur est corrompu.
123. Enfin, avec quel esprit saint Paul prêchait-il ? Non pour plaire aux hommes, mais au Christ : Si, dit-il, je plaisais aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ (Ga 1, 10). Comme il portait un cœur brûlant de la charité divine, il ne recherchait rien en dehors de la gloire du Christ. Oh ! plaise à Dieu que tous ceux qui travaillent au ministère de la parole aiment Jésus-Christ ; plaise à Dieu qu’ils puissent s’approprier cette parole de saint Paul : Pour son amour, j’ai voulu tout perdre (Ph 3, 8) et cette autre : Le Christ est ma vie (Ph 1, 21). Ceux dont l’amour est si ardent savent enflammer les autres. C’est pourquoi saint Bernard donne aux prédicateurs le conseil suivant : « Si vous avez du goût, montrez que vous êtes comme le bassin et non comme le canal d’une fontaine » [6]. Ce qui signifie : Soyez rempli de ce que vous dites, et ne vous contentez pas de le faire passer dans les autres. « Vraiment, ajoute le même docteur, nous avons aujourd’hui, dans l’Eglise, beaucoup de canaux, mais bien peu de fontaines » [7].
124. Pour qu’il n’en soit pas ainsi dans l’avenir, que vos efforts tendent, Vénérables Frères, à mettre tout en œuvre pour que les prédicateurs qui sont selon le cœur de Dieu existent bientôt en très grand nombre. Ecartez notamment les indignes, choisissez ceux qui sont capables, en ayant recours à des règlements appropriés. Qu’à la prière de la Vierge très sainte, Mère auguste du Verbe incarné et Reine des Apôtres, Jésus-Christ, le Pasteur éternel, abaisse sur son troupeau un regard de miséricorde ; et que, réchauffant au sein du clergé l’esprit de l’apostolat, il multiplie ceux qui s’étudient à se montrer agréables à Dieu, ouvriers irréprochables, et traitant d’une façon digne d’elle la parole de vérité [8].
Comme gage des faveurs divines et de Notre bienveillance envers vous, Nous accordons très affectueusement, Vénérables Frères, à vous, à votre clergé, à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près St-Pierre, en la fête du Sacré Cœur de Jésus, le 15 juin 1917, la troisième année de Notre Pontificat.
Benoît XV, Pape