Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 5 juin 1940
Comment, chers fils, ne pas vous parler du Sacré-Cœur de Jésus, en ce mois qui lui est consacré, durant l’octave de sa fête ? Comment ne pas vous parler de cette source inépuisable de tendresse humaine et divine, alors que votre toute jeune affection frémit d’espérance à la pensée d’un radieux avenir, et de crainte à la vue du sombre présent, angoissée de savoir s’il existera encore un coin de terre où deux cœurs puissent s’aimer dans la tranquillité et la paix ?
La paix, du moins celle de l’âme, qui subsiste malgré les agitations du dehors, Jésus nous exhorte à la rechercher dans la dévotion à son Cœur : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Mt 11, 29). Se tenir à l’école de Jésus, apprendre de son Cœur la douceur et l’humilité — ces divins remèdes à la cause de toutes les fautes et de tous les malheurs des hommes (Si 10, 15), à la violence et à l’orgueil — voilà pour les individus et pour les nations elles-mêmes la source du bonheur que vous désirez et que Nous souhaitons à votre foyer domestique.
Les révélations pleines d’amour, qui ont donné une impulsion si vive à la dévotion au Sacré-Cœur dans les temps modernes, nous ont communiqué entre autres cette promesse de Notre-Seigneur, que partout où l’image de son Cœur serait exposée et particulièrement honorée, elle attirerait toutes sortes de bénédictions. Forts de ces paroles divines, sachez vous assurer les bienfaits de cette promesse en conservant à votre foyer, avec les honneurs qui lui sont dus, l’image du Sacré-Cœur.
Les familles nobles se sont toujours fait gloire de pouvoir montrer, taillé dans le marbre, fondu dans l’airain ou peint sur la toile, le portrait de leurs ancêtres, qu’elles contemplent dans leurs palais et châteaux avec une légitime fierté. Mais il n’est pas nécessaire que nous soyons nobles ou qu’il s’agisse d’une œuvre d’art pour que notre cœur s’émeuve devant l’image d’un père ou d’un ancêtre. Que de pauvres habitations où un cadre rustique conserve une simple photographie aux teintes jaunies peut-être, aux lignes effacées par le temps, souvenir précieux et inestimable d’un être cher dont nous avons, un soir de deuil, fermé les yeux et les lèvres, enseveli le corps et perdu la présence sensible, mais dont il nous semble encore, devant son portrait délavé par les ans, revoir le doux et rayonnant regard, entendre la voix familière et sentir la main caressante !
Il convient donc, chers jeunes époux chrétiens, frères de Jésus, que l’image de ce Cœur « qui a tant aimé les hommes », soit exposée et honorée dans votre foyer comme celle des membres de la famille les plus chers et les plus intimes, et que ce Cœur répande sur vos personnes, sur vos enfants et sur vos entreprises, les trésors de ses bénédictions. « Exposée et honorée » : l’image du Sacré-Cœur ne doit pas seulement veiller dans une chambre sur le repos des parents ou des enfants, mais occuper une place d’honneur, sur la porte d’entrée, à la salle à manger, au salon ou à quelque autre endroit plus fréquenté, témoin la parole de Jésus dans le saint Évangile : « Celui qui m’aura confessé devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux » (Mt 10, 32).
« Honorée », cela veut dire qu’au pied de la précieuse statue ou de la modeste image, une main empressée portera, au moins de temps à autre, quelques fleurs, allumera un cierge ou maintiendra, en témoignage constant de foi et d’amour, la flamme d’une lampe. C’est là, devant le Sacré-Cœur, que chaque soir la famille se réunira pour un acte d’hommage collectif, pour une humble prière de repentir, pour une demande de nouvelles bénédictions.
Le foyer honore dignement le Sacré-Cœur lorsque tous et chacun le reconnaissent comme Roi d’amour, soumission marquée par l’acte de consécration de la famille au Cœur de Jésus. La consécration n’est rien d’autre qu’un don total de soi-même à une cause ou à une personne sainte. Or le Cœur de Jésus s’est engagé à combler de grâces spéciales ceux qui se donneraient à Lui de cette manière : « Notre-Seigneur m’a promis, écrivait sainte Marguerite-Marie Alacoque, que nul de ceux qui se consacreront à ce divin Cœur ne mourra en disgrâce ! ».
Mais l’acte de consécration impose des devoirs qui obligent toute personne qui le prononce. Le règne du Sacré-Cœur dans la famille — et il a certes le droit de régner partout — veut qu’une atmosphère de foi et de piété y enveloppe les personnes et les choses. Qu’on éloigne donc des foyers consacrés tout ce qui pourrait contrister le Sacré-Cœur : plaisirs dangereux, infidélités, intempérances, livres, revues et images hostiles à la religion et à ses enseignements.
Qu’on en éloigne ces accommodements si fréquents de nos jours dans les relations sociales, ces prétentions de concilier la vérité et l’erreur, la licence et la morale, l’injustice égoïste et avare et les devoirs de la charité chrétienne. Qu’on éloigne de ces foyers consacrés certaines manières de cheminer à la limite de la vertu et du vice, entre le ciel et l’enfer.
Dans la famille consacrée, parents et enfants se sentent sous le regard et dans la familiarité même de Dieu ; aussi vivent-ils dans la docilité à ses commandements et aux préceptes de son Eglise.
Devant l’image du Roi des cieux devenu leur ami de la terre et leur hôte de toujours, ils affrontent sans crainte, mais non pas sans mérites, les fatigues de leurs devoirs quotidiens, les sacrifices qu’imposent parfois des difficultés extraordinaires, toutes les épreuves qu’envoient la Providence, tous les deuils et toutes les tristesses que la mort et la vie elle-même ne manquent jamais de semer sur les sentiers d’ici-bas.
Chers fils et filles, qu’il en soit ainsi de vos familles. Durant votre vie d’ici-bas demeurez unis à Jésus, recevez souvent la sainte communion, vénérez chaque jour l’image du Sacré-Cœur, et vous ne quitterez la terre que pour aller contempler au ciel éternellement la resplendissante et béatifiante réalité de ce Cœur divin. C’est en formant ce vœu que Nous vous donnons, à vous et à toutes les personnes qui vous sont chères, la Bénédiction apostolique, prélude et assurance des plus abondantes grâces.
PIE XII, Pape.