Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 26 juin 1940
Nous pourrions aujourd’hui, chers jeunes époux, proposer à votre contemplation la gracieuse image que l’Eglise offrait avant-hier à la piété de ses fidèles : un enfant, Jean-Baptiste, fruit miraculeux d’une union restée longtemps stérile, et dont la naissance s’accompagna de prodiges tels que les amis de la famille et les voisins se demandaient avec stupéfaction : « Que sera donc cet enfant ? » (Lc 1, 66).
Nous pourrions aussi Nous agenouiller avec vous au tombeau des Princes des apôtres, dont l’Eglise célébrera dans trois jours la fête solennelle, et réveiller pour vous l’écho des sages leçons que saint Pierre dans sa première lettre (III, 1–7) et saint Paul dans son épître aux Ephésiens (V, 22–33) donnaient aux fidèles de leur temps.
Mais parmi les agitations de notre époque, l’avenir de votre jeune foyer vous cause peut-être des soucis, et Nous préférons vous adresser quelques paroles d’encouragement, comme naguère à d’autres jeunes époux. Nous préférons vous dire : « Chers fils et filles, tournez-vous vers le Sacré-Cœur de Jésus, consacrez-vous pleinement à lui et vous vivrez dans la sérénité de la confiance. »
Il n’y a pas de doute que si l’on veut trouver une solution durable à la crise actuelle, il faudra rebâtir la société sur des fondements moins fragiles, c’est-à-dire plus conformes à la source première de toute vraie civilisation, la morale du Christ. Il est non moins certain que pour y parvenir il faudra avant tout rechristianiser les familles, dont beaucoup ont oublié la mise en pratique de l’Evangile, la charité qu’elle exige et la paix qu’elle apporte.
La famille est le principe de la société. De même que le corps humain se compose de cellules vivantes qui ne sont pas simplement juxtaposées, mais constituent par leur relations intimes et permanentes un tout organique, ainsi la société est formée, non point d’un conglomérat d’individus qui apparaissent un instant pour disparaître ensuite, mais de la communauté économique et de la solidarité morale des familles, qui, transmettant de génération en génération le précieux héritage du même idéal, de la même civilisation et de la même foi religieuse, assurent ainsi la cohésion et la continuité des liens sociaux. Saint Augustin le notait il y a quinze siècles, lorsqu’il écrivait que la famille doit être l’élément initial et pour ainsi dire une cellule – particula – de la cité. Et comme toute partie est ordonnée à la fin et à l’intégrité du tout, il en déduisait que la paix domestique entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent tourne à la concorde des citoyens1. Ceux-là le savent bien, qui, pour chasser Dieu de la société et la jeter dans le désordre, s’efforcent d’ôter à la famille le respect et le souvenir même des lois de Dieu, exaltant le divorce et l’union libre, mettant des entraves à la tâche providentielle des parents envers leurs enfants, inspirant aux époux la peur des fatigues matérielles et des responsabilités morales qu’entraîne le poids glorieux d’une nombreuse famille. C’est contre de tels périls que Nous désirons vous prémunir en vous recommandant de vous consacrer au Cœur de Jésus.
Ce qui a manqué, ce qui manque au monde pour vivre dans la paix, c’est l’esprit de renoncement évangélique ; et cet esprit manque parce que l’affaiblissement de l’esprit de foi développe l’égoïsme, ruine de la félicité commune. De la foi jaillissent : la crainte de Dieu et la piété, qui rendent les hommes pacifiques ; l’amour du travail, qui conduit à l’accroissement des richesses même matérielles ; l’équité, qui en règle et assure la juste répartition ; la charité, assidue à réparer les inévitables brèches que les passions humaines ouvrent dans le principe de la justice.
Toutes ces vertus supposent l’esprit de sacrifice que l’Evangile impose aux chrétiens : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à soi-même » (Mt 16, 24). Dans les relations sociales et internationales, la cupidité des individus et des nations ne pourra jamais s’accorder avec le bien-être de tous. « D’où viennent les guerres et les luttes parmi vous ? demande l’apôtre saint Jacques (Jc 4, 1). N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres ? »
Pour retrouver la paix, les hommes doivent donc réapprendre ce que leur prêchent depuis de longs siècles le Christ et son Eglise : le sacrifice des aspirations et des désirs incompatibles avec les droits d’autrui ou avec l’intérêt commun. Voilà où conduit la voie douce et sûre de la dévotion au Sacré-Cœur.
Tout d’abord, l’image du Cœur divin entouré de flammes, couronné d’épines et ouvert par la lance, rappelle jusqu’où Jésus a aimé les hommes et s’est sacrifié pour eux, c’est-à-dire, selon sa propre expression, « jusqu’à s’épuiser et se consumer ». En outre, la plainte du Sauveur touchant les infidélités et les ingratitudes des hommes imprime à cette dévotion un caractère essentiel de dévotion expiatrice. Double aspect merveilleusement mis en relief par Notre grand prédécesseur Pie XI dans son encyclique Miserentissimus Redemptor et dans la collecte de la messe du Sacré-Cœur, où il est dit qu’il faut joindre à l’hommage de notre piété, devotum pietatis nostrae obsequium, une digne satisfaction pour nos fautes, dignae satisfactionis officium. Ce double élément donne à la dévotion au Sacré-Cœur une particulière puissance à rétablir l’ordre lésé, donc à préparer et à promouvoir le retour de la paix. La grande œuvre du Christ, ou, pour parler comme saint Paul (II Co 5, 19), l’œuvre que Dieu accomplissait en lui, était de réconcilier le monde avec le Père, Deus erat in Christo mundum reconcilians sibi, et le sang dont le Cœur de Jésus crucifié versa les dernières gouttes, est le sceau de la nouvelle alliance (I Co 11, 25) qui renoue entre Dieu et l’homme les liens d’amour qu’avait rompus le péché originel.
Faites donc de ce Cœur le Roi de votre foyer, et vous y établirez du même coup la paix. Et cela d’autant plus qu’il a renouvelé et spécifié les bénédictions de son Père céleste aux familles, par la promesse de faire régner la paix dans celles qui se consacreraient à lui.
Si seulement tous les hommes entendaient cette invitation et ces promesses ! Deux de Nos prédécesseurs, Léon XIII et Pie XI, Pères communs de la chrétienté et guides inspirés du genre humain sur cette terre, ont bien consacré solennellement le genre humain au Cœur de Jésus ; mais que d’âmes ignorent encore, que d’âmes méprisent la source de grâce qui leur a été ouverte et qui leur reste d’un accès si facile ! Ah ! ne soyez point du nombre de ces insensés ou de ces négligents qui refusent au Roi d’amour la porte de leur foyer, de leur cité, de leur nation, et qui retardent ainsi le jour où le monde retrouvera la paix et la vraie félicité ! Fermeriez-vous votre fenêtre, si venait s’y présenter à vous, comme à Noé dans l’arche, la colombe avec le rameau d’olivier ? Or, ce que promet et apporte le Sacré-Cœur, c’est plus qu’un symbole : c’est la réalité même de la paix. Jésus ne vous demande que le don sincère de votre cœur : voilà la vraie consécration. Ayez le courage de la faire, et vous saurez par expérience que Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité.
Quelles que soient, aujourd’hui ou demain, les difficultés qui vous entourent, vous n’éprouverez plus ces peurs et ces tristesses qui mènent au découragement. Se décourager, c’est manquer de cœur ; or, à la place d’un faible cœur humain, vous aurez un cœur conforme à celui de Dieu même. Vous verrez alors se réaliser pour votre famille et votre patrie, pour la chrétienté, pour l’humanité entière, la promesse du Seigneur au prophète Jérémie : « Je leur donnerai un cœur pour me connaître… ; ils seront mon peuple et je serai leur Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur cœur » (Jr 24, 7).
PIE XII, Pape.