Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

19 juillet 1889

Lettre apostolique à l'empereur du Brésil È giunto

Condamnant la possibilité d'un droit accordé par principe aux faux cultes

Votre Majesté, il est venu à notre connais­sance que par­mi les divers pro­jets annon­cés dans le pro­gramme du nou­veau minis­tère bré­si­lien, il en est qui, tou­chant aux inté­rêts les plus vitaux de la reli­gion et rom­pant le fil des glo­rieuses tra­di­tions de cet Empire, auraient pour effet, s’ils étaient réa­li­sés, de trou­bler la paix des consciences, d’affaiblir dans ces popu­la­tions catho­liques le sen­ti­ment reli­gieux ou de pré­pa­rer un ave­nir plein de dan­gers pour l’Église catho­lique non moins que pour la socié­té civile. Nous vou­lons par­ler de la liber­té de culte et d’enseignement et des dis­po­si­tions qui s’y rat­tachent et qui, bien que non ouver­te­ment indi­quées dans la décla­ra­tion publique du gou­ver­ne­ment, ne laissent aucun doute sur leur qua­li­té et leur nature.

Il n’est pas dans notre pro­pos d’exposer tous les argu­ments contre l’introduction des­dits pro­jets. S’adressant à Votre Majesté, dont l’esprit savant et éle­vé est bien connu, il suf­fi­ra d’en expo­ser quelques-​unes des principales.

La liber­té de culte, consi­dé­rée dans son rap­port à la socié­té, est fon­dée sur ce prin­cipe que l’État, même dans une nation catho­lique, n’est tenu de pro­fes­ser ou de favo­ri­ser aucun culte ; il doit res­ter indif­fé­rent au regard de tous et en tenir un compte juri­di­que­ment égal. Il n’est pas ques­tion ici de cette tolé­rance de fait, qui, en des cir­cons­tances don­nées, peut être concé­dée aux cultes dis­si­dents ; mais bien de la recon­nais­sance accor­dée à ceux-​ci, droits mêmes qui n’appartiennent qu’à l’unique vraie reli­gion, que Dieu a éta­blie dans le monde et a dési­gnée par des carac­tères et des signes clairs et pré­cis, pour que tous puissent la recon­naître comme telle et l’embrasser.

droits mêmes qui n’appartiennent qu’à l’unique vraie religion

Aussi bien, une telle liber­té place-​t-​elle sur la même ligne la véri­té et l’erreur, la foi et l’hérésie, l’Église de Jésus-​Christ et une quel­conque ins­ti­tu­tion humaine ; elle éta­blit une déplo­rable et funeste sépa­ra­tion entre la socié­té humaine et Dieu son Auteur ; elle abou­tit enfin aux tristes consé­quences que sont l’indifférentisme de l’État en matière reli­gieuse, ou, ce qui revient au même, son athéisme.

Personne, en effet, ne pour­ra rai­son­na­ble­ment nier que la com­mu­nau­té civile, non moins que l’homme pris indi­vi­duel­le­ment, a des devoirs à l’égard de Dieu, son Créateur, son suprême légis­la­teur et son bien­fai­teur atten­tif. Rompre tout lien de sujé­tion et de res­pect envers l’Être suprême, refu­ser d’honorer son pou­voir et son auto­ri­té sou­ve­raine, mécon­naître les bien­faits que la socié­té en reçoit est une atti­tude condam­née non seule­ment par la foi, mais par la rai­son et par le sen­ti­ment com­mun des anciens païens eux-​mêmes, qui pla­çaient à la base de leur ordre public et de leurs entre­prises civiles et mili­taires, le culte de la divi­ni­té dont ils atten­daient leur pros­pé­ri­té et leur grandeur.

Mais il serait super­flu d’insister sur ces réflexions. À plu­sieurs reprises déjà, dans des docu­ments offi­ciels adres­sés au Monde Catholique, Nous avons démon­tré com­bien est erro­née la doc­trine de ceux, qui, sous le nom séduc­teur de liber­té du culte, pro­clament l’apostasie légale de la socié­té, la détour­nant ain­si de son Auteur divin. Ce dont il Vous importe d’être aver­ti ici, c’est qu’une telle liber­té est une source de maux incal­cu­lables pour les gou­ver­ne­ments et les peuples. Et en véri­té, du moment que la reli­gion pres­crit aux citoyens d’obéir au pou­voir légi­time, comme à un ministre de Dieu, et inter­dit par là même tous ces mou­ve­ments sédi­tieux qui peuvent trou­bler la tran­quilli­té de l’ordre public, il est par trop évident que l’État qui se déclare indif­fé­rent en fait de reli­gion et donne solen­nel­le­ment la preuve de n’en tenir aucun compte, se prive de l’élément moral le plus puis­sant et abou­tît à se cou­per du vrai et natu­rel prin­cipe où le res­pect, la fidé­li­té et l’amour des peuples viennent pui­ser toute leur force.

Nous avons démon­tré com­bien est erro­née la doc­trine de ceux, qui, sous le nom séduc­teur de liber­té du culte, pro­clament l’apostasie légale de la société

Au contraire, en vio­lant de la sorte leurs devoirs les plus sacrés envers Dieu, l’État ne renonce pas seule­ment à un moyen très effi­cace de s’assurer l’obéis­sance et le res­pect des citoyens, mais il en arrive à ébran­ler ce sen­ti­ment reli­gieux où le peuple puise force, rési­gna­tion et récon­fort pour por­ter les souf­frances et les misères de la vie, et lui donne en même temps un exemple d’autant plus per­ni­cieux, que plus éle­vée est la sphère d’où il procède.

Et il ne sera pas ici néces­saire de faire remar­quer à Votre Majesté que, sur­tout à l’époque actuelle, où se fait sen­tir plus, que jamais le besoin de l’influence salu­taire de la reli­gion, en face du pro­grès constant des désordres d’ordre moral et social qui sou­lèvent la socié­té, il peut deve­nir sou­ve­rai­ne­ment périlleux et funeste à la chose publique, d’inaugurer en un pays catho­lique un sys­tème qui ne peut avoir d’autre résul­tat que celui d’affaiblir ou de détruire, dans les popu­la­tions, l’unique frein moral capable de les main­te­nir dans l’accomplissement de leur devoir. – Les nations qui se lancent sur la voie de ces inno­va­tions ont eu ou auront à déplo­rer l’augmentation pro­gres­sive des délits, des dis­cordes, des révoltes, l’instabilité du pou­voir et toutes les ruines morales et maté­rielles qui s’accumulent sur elles. Aussi bien, les hommes sages et impar­tiaux doivent-​ils recon­naître, à la lumière d’une longue expé­rience, qu’un peuple qui perd son esprit reli­gieux est un peuple qui s’achemine vers la déca­dence, et par suite, l’unique moyen pour lui rendre le salut se trouve dans l’action bien­fai­sante de la reli­gion. Elle seule, en effet, peut assu­rer effi­ca­ce­ment le res­pect des lois et de l’autorité consti­tuée, elle seule réveille et secoue la conscience de l’homme, cette puis­sance admi­rable qui, reçue au fond de l’âme, pré­side à tous ses mouve­ments, les approuve ou les condamne sui­vant les normes de la jus­tice éter­nelle, et pro­cure à la volon­té force et cou­rage pour faire le bien.

Mais l’autre liber­té, celle de l’enseignement, n’est pas, en ce même domaine social, moins féconde en funestes consé­quences. Elle laisse en fait dans les écoles une large licence pour déve­lop­per des doc­trines de tout genre, sans excep­ter les plus contraires aux véri­tés natu­relles et révé­lées. Sous le pré­texte men­teur de la science, dont le pro­grès réel n’a jamais été entra­vé, mais a tou­jours été au contraire puis­sam­ment aidé par la foi, on foule aux pieds et on com­bat ouver­te­ment ces prin­cipes fon­da­men­taux sur les­quels reposent la morale, la jus­tice et la religion.

C’est ain­si que le Maître s’écarte de son noble rôle, celui de don­ner à la socié­té des hommes, non seule­ment, ins­truits, mais hon­nêtes, qui par l’exact accom­plis­se­ment de leur devoir envers leurs sem­blables, envers leur famille et envers l’État, contri­bue­ront à assu­rer le bon­heur public. C’est ain­si encore, qu’au lieu de répri­mer dans les âmes juvé­niles les germes des pas­sions, de l’égoïsme, de l’orgueil, de la cupi­di­té, et d’y faire fleu­rir les sen­ti­ments et les ver­tus qui carac­té­risent le bon fils, le bon père, le bon citoyen, il se fera ins­tru­ment de cor­rup­tion, en lais­sant la jeu­nesse inex­pé­ri­men­tée dans la voie du doute, de l’erreur et de l’incrédulité, et en dépo­sant dans son cœur les germes de toutes les ten­dances pernicieuses.

Ces consé­quences sont d’autant plus inévi­tables, que, tan­dis que d’un côté on ouvre la porte aux opi­nions les plus mons­trueuses, de l’autre, une fois admis le prin­cipe du libre exa­men, on a cou­tume d’entraver de mille manières la liber­té de l’Église et sa légi­time influence dans l’éducation de la jeunesse.

Ces quelques rapides consi­dé­ra­tions seront suf­fi­santes, Nous en sommes cer­tain, pour mon­trer à Votre Majesté les maux très grands aux­quels pour­raient don­ner nais­sance les réformes sus­dites, en un pays qui a conser­vé jalou­se­ment jusqu’à main­te­nant le pré­cieux héri­tage de la foi, et dont les habi­tants sont aus­si fidèles aux saintes tra­di­tions de leurs pères.

Nous ne vou­lons pas nous enqué­rir des autres dis­po­si­tions com­plé­men­taires aux­quelles il est fait allu­sion dans le pro­gramme du minis­tère ; la for­mule par laquelle il y est fait allu­sion est vague et géné­rale, et peut conte­nir d’autres inno­va­tions per­ni­cieuses, par­mi les­quelles se trouve celle, la plus per­ni­cieuse, du pré­ten­du mariage civil et autres sem­blables. Mais nous aimons mieux croire que les hommes appe­lés par la confiance sou­ve­raine de Votre Majesté à par­ta­ger la res­pon­sa­bi­li­té du pou­voir, com­pren­dront dans leur sagesse poli­tique com­bien il est utile à un peuple de conser­ver intacts les pré­cieux avan­tages de la paix reli­gieuse. Nous avons sur­tout confiance que votre majes­té, dans sa haute péné­tra­tion et son constant atta­che­ment à la reli­gion catho­lique, dont nous n’avons pas long­temps eu une nou­velle et lumi­neuse preuve dans l’œuvre si sage­ment et si géné­reu­se­ment accom­plie de l’abolition de l’esclavage dans son empire, ne lais­se­ra jamais chan­ger les bases d’une légis­la­tion cor­res­pon­dant aux véri­tables inté­rêts du peuple et de l’autorité sou­ve­raine qui le gou­verne, et ouvrir une ère de dis­corde et de troubles reli­gieux et sociaux. Votre Majesté, en éloi­gnant ce mal­heur de votre Empire, contri­bue­ra effi­ca­ce­ment à sa pros­pé­ri­té et appel­le­ra sur vous-​même, votre auguste famille et la nation bré­si­lienne les béné­dic­tions du ciel.

Forts de cette intime convic­tion, nous trans­met­tons de tout cœur à Votre Majesté et à toute la Famille Impériale la Bénédiction Apostolique.

Corps du texte pris de Les ensei­gne­ments Pontificaux, Solesmes 1952, La Paix Intérieure des Nations, pp. 162–166. Introduction et conclu­sion, tra­duits avec deepL (ver­sion gra­tuite), à par­tir du docu­ment italien.