Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

10 août 1906

Lettre encyclique Gravissimo officii munere

Sur les associations cultuelles dont la création est prévue par la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 10 août,
fête de saint Laurent, mar­tyr, de l’an 1906, qua­trième de Notre Pontificat
Vénérables frères, bien aimés fils, salut et béné­dic­tion apostolique.

Nous venons Nous acquit­ter aujourd’hui d’une très grave obli­ga­tion de Notre charge, obli­ga­tion assu­mée à votre égard lorsque Nous annon­çâmes, après la pro­mul­ga­tion de la loi de rup­ture entre la République fran­çaise et l’Eglise, que Nous indi­que­rions, en temps oppor­tun, ce qui Nous paraî­trait devoir être fait pour défendre et conser­ver la reli­gion dans votre patrie.

Nous avons lais­sé se pro­lon­ger jusqu’à ce jour l’attente de vos dési­rs, en rai­son non seule­ment de l’importance de cette grave ques­tion, mais encore et sur­tout de la cha­ri­té toute par­ti­cu­lière qui Nous lie à vous et à tous vos inté­rêts, à cause des inou­bliables ser­vices ren­dus à l’Eglise par votre nation.

Après avoir donc condam­né, comme c’était Notre devoir, cette loi inique, Nous avons exa­mi­né avec le plus grand soin si les articles de ladite loi Nous lais­se­raient quelque moyen d’organiser la vie reli­gieuse en France de façon à mettre hors d’atteinte les prin­cipes sacrés sur les­quels repose la Sainte Eglise. A cette fin, il Nous a paru bon de prendre éga­le­ment l’avis de l’épiscopat réuni et de fixer, pour votre assem­blée géné­rale, les points qui devraient être le prin­ci­pal objet de vos déli­bé­ra­tions. Et main­te­nant, connais­sant votre manière de voir ain­si que celle de plu­sieurs car­di­naux, après avoir mûre­ment réflé­chi et implo­ré, par les plus fer­ventes prières, le Père des lumières, Nous voyons que Nous devons plei­ne­ment confir­mer de Notre auto­ri­té apos­to­lique la déli­bé­ra­tion presque una­nime de votre assemblée.

C’est pour­quoi, rela­ti­ve­ment aux asso­cia­tions cultuelles, telles que la loi les impose, Nous décré­tons qu’elles ne peuvent abso­lu­ment pas être for­mées sans vio­ler les droits sacrés qui tiennent à la vie elle-​même de l’Eglise.

Mettant donc de coté ces asso­cia­tions, que la conscience de Notre devoir Nous défend d’approuver, il pour­rait paraître oppor­tun d’examiner s’il est licite d’essayer, à leur place, quelque autre genre d’association à la fois légal et cano­nique, et pré­ser­ver ain­si les catho­liques de France des graves com­pli­ca­tions qui les menacent. A coup sûr, rien ne Nous pré­oc­cupe, rien ne Nous tient dans l’angoisse autant que ces éven­tua­li­tés ; et plût au ciel que Nous eus­sions quelque faible espé­rance de pou­voir, sans heur­ter les droits de Dieu, faire cet essai et déli­vrer ain­si Nos fils bien-​aimés de la crainte de tant et si grandes épreuves.

Mais comme cet espoir Nous fait défaut, la loi res­tant telle quelle. Nous décla­rons qu’il n’est point per­mis d’essayer cet autre genre d’association tant qu’il ne consti­tue­ra pas, d’une façon cer­taine et légale, que la divine consti­tu­tion de l’Eglise, les droits immuables du Pontife romain et des évêques, comme leur auto­ri­té sur les biens néces­saires à l’Eglise, par­ti­cu­liè­re­ment sur les édi­fices sacrés, seront irré­vo­ca­ble­ment, dans les­dites asso­cia­tions, en pleine sécu­ri­té ; vou­loir le contraire, Nous ne le pou­vons pas sans tra­hir la sain­te­té de Notre charge, sans ame­ner la perte de l’Eglise de France.

Il vous reste donc à vous, Vénérables Frères, de vous mettre à l’œuvre et de prendre tous les moyens que le droit recon­naît à tous les citoyens, pour dis­po­ser et orga­ni­ser le culte reli­gieux. Nous ne vous ferons jamais, en chose si impor­tante et si ardue, attendre Notre concours. Absent de corps, Nous serons avec vous par la pen­sée, par le cœur, et Nous vous aide­rons, en toute occa­sion, de Nos conseils et de Notre autorité.

Ce far­deau que Nous vous impo­sons, sous l’inspiration de Notre amour pour l’Eglise et pour votre patrie, prenez-​le cou­ra­geu­se­ment et confiez tout le reste à la bon­té pré­voyante de Dieu, dont le secours, au moment vou­lu, Nous en avons la ferme confiance, ne man­que­ra pas à la France.

Ce que vont être, contre Notre pré­sent décret et Nos ordres, les récri­mi­na­tions des enne­mis de l’Eglise, il n’est point dif­fi­cile de le pré­voir. Ils s’efforceront de per­sua­der au peuple que Nous n’avons pas on vue uni­que­ment le salut de l’Eglise de France ; que Nous avons eu un autre des­sein, étran­ger à la reli­gion ; que la forme de République en France Nous est odieuse, et que Nous secon­dons, pour la ren­ver­ser, les efforts des par­tis adverses ; que Nous refu­sons aux Français ce que le Saint-​Siège a, sans dif­fi­cul­té, accor­dé à d’autres. Ces récri­mi­na­tions et autres sem­blables, qui seront, comme le font pré­voir cer­tains indices, répan­dues dans le public pour irri­ter les esprits, Nous les dénon­çons, d’ores et déjà, et avec toute Notre indi­gna­tion, comme des faus­se­tés ; et il vous incombe à vous, Vénérables Frères, ain­si qu’à tous les hommes de bien, de les réfu­ter pour qu’elles ne trompent point les gens simples et ignorants.

En ce qui regarde l’accusation spé­ciale contre l’Eglise d’avoir été ailleurs qu’en France plus accom­mo­dante dans un cas sem­blable, vous devez bien expli­quer que l’Eglise en a agi de la sorte parce que toutes dif­fé­rentes étaient les situa­tions, et parce que sur­tout les divines attri­bu­tions de la Hiérarchie étaient, dans une cer­taine mesure, sau­ve­gar­dées. Si un Etat quel­conque s’est sépa­ré de l’Eglise en lais­sant à celle-​ci la res­source de la liber­té com­mune à tous et la libre dis­po­si­tion de ses biens, il a, sans doute et à plus d’un titre, agi injus­te­ment ; mais on ne sau­rait pour­tant dire qu’il ait fait à l’Eglise une situa­tion entiè­re­ment intolérable.

Or, il en est tout autre­ment aujourd’hui en France : là, les fabri­ca­teurs de cette loi injuste ont vou­lu en faire une loi, non de sépa­ra­tion, mais d’oppression. Ainsi ils affir­maient leur désir de paix, ils pro­met­taient l’entente, et ils font à la reli­gion du pays une guerre atroce, ils jettent le bran­don des dis­cordes les plus vio­lentes et poussent ain­si les citoyens les uns contre les autres, au grand détri­ment, comme cha­cun le voit, de la chose publique elle-même.

Sûrement, ils s’ingénieront à reje­ter sur Nous la faute de ce conflit et des maux qui en seront la consé­quence. Mais qui­conque exa­mi­ne­ra loya­le­ment les faits dont Nous avons par­lé dans l’Encyclique Vehementer Nos sau­ra recon­naître si Nous méri­tons le moindre reproche, Nous qui, après avoir sup­por­té patiem­ment, par amour pour la chère nation fran­çaise, injus­tices sur injus­tices, sommes fina­le­ment mis en demeure de fran­chir les saintes et der­nières limites de Notre devoir apos­to­lique, et décla­rons ne pou­voir les fran­chir : ou si plu­tôt la faute appar­tient tout entière à ceux qui, en haine du nom catho­lique, sont allés jusqu’à de telles extrémités.

Ainsi donc, que les hommes catho­liques de France, s’ils veulent vrai­ment Nous témoi­gner leur sou­mis­sion et leur dévoue­ment, luttent pour l’Eglise selon les aver­tis­se­ments que Nous leur avons déjà don­nés, c’est-à-dire avec per­sé­vé­rance et éner­gie, sans agir tou­te­fois d’une façon sédi­tieuse et vio­lente. Ce n’est point par la vio­lence mais par la fer­me­té qu’ils arri­ve­ront, en s’enfermant dans leur bon droit comme dans une cita­delle, à bri­ser l’obstination de leurs enne­mis ; qu’ils com­prennent bien, comme Nous l’avons dit et le répé­tons encore, que leurs efforts seront inutiles s’ils ne s’unissent pas dans une par­faite entente pour la défense de la religion.

Ils ont main­te­nant Notre ver­dict au sujet de cette loi néfaste : ils doivent s’y confor­mer de plein cœur ; et quels qu’aient été jusqu’à pré­sent, durant la dis­cus­sion, les avis des uns ou des autres, que nul ne se per­mette, Nous les en conju­rons tous, de bles­ser qui que ce soit sous pré­texte que sa manière de voir était la meilleure. Ce que peuvent l’entente des volon­tés et l’union des forces, qu’ils l’apprennent de leurs adver­saires ; et de même que ceux-​ci ont pu impo­ser à la nation le stig­mate de cette loi cri­mi­nelle, ain­si les Nôtres, par leur entente, pour­ront l’effacer et le faire dis­pa­raître. Dans la dure épreuve de la France, si tous ceux qui veulent défendre de toutes leurs forces les inté­rêts suprêmes de la patrie tra­vaillent comme ils le doivent, unis entre eux, avec leurs évêques et Nous-​même, pour la cause de la reli­gion, loin de déses­pé­rer du salut de l’Eglise de France, il est à espé­rer, au contraire, que bien­tôt elle sera rehaus­sée à sa digni­té et à sa pros­pé­ri­té pre­mière. Nous ne dou­tons aucu­ne­ment que les catho­liques ne donnent entière satis­fac­tion à Nos pres­crip­tions et à Nos dési­rs ; aus­si chercherons-​Nous ardem­ment à leur obte­nir, par l’intercession de Marie, la Vierge Immaculée, le secours de la divine Bonté.

Comme gage des dons célestes, et en témoi­gnage de Notre pater­nelle bien­veillance, Nous accor­dons de grand cœur à Vous, Vénérables Frères, et à toute la nation fran­çaise, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 10 août, fête de saint Laurent, mar­tyr, de l’an 1906, qua­trième de Notre Pontificat,

Pie X, Pape