Euthanasie : la lettre de la maman de Vincent Lambert au président de la République

Viviane Lambert s’op­pose à l’ar­rêt de la nutri­tion et de l’hy­dra­ta­tion arti­fi­cielles de son fils han­di­ca­pé, déci­dé par le CHU de Reims. Dans une tri­bune au Figaro, elle en appelle direc­te­ment à Emmanuel Macron.

Mon fils a été condam­né à mort. Il s’ap­pelle Vincent Lambert, il est père d’une petite fille, il vit, et n’a com­mis aucun crime. Et pour­tant, ce lun­di 9 avril 2018, en France, un méde­cin m’a annon­cé que dans dix jours com­men­ce­rait la lente et longue ago­nie de mon enfant, qui va mou­rir de faim et de soif.

Ce même lun­di, vous étiez au Collège des Bernardins, à Paris, pour par­ler du han­di­cap et de la vul­né­ra­bi­li­té. Vous avez évo­qué l’exi­gence de l’ef­fec­ti­vi­té. Et vous vous êtes enga­gé per­son­nel­le­ment, avec ces mots : « Je pense, pour ma part, que nous pou­vons construire une poli­tique effec­tive, une poli­tique qui échappe au cynisme ordi­naire pour gra­ver dans le réel ce qui doit être le pre­mier devoir du poli­tique, je veux dire la digni­té de l’homme. »

Permettez-​moi de vous prendre au mot, Monsieur le Président : mon fils n’a pas méri­té d’être affa­mé et déshy­dra­té. Qui ose­rait, à cet égard, par­ler de « mou­rir dans la digni­té » ? Pourquoi lui infli­ger cette peine ? Quelle faute Vincent a‑t-​il commise ?

Permettez-​moi, pour que vous puis­siez en juger, de vous le pré­sen­ter, et de vous rap­pe­ler son état.

Vincent est un homme de 42 ans, en situa­tion de grand han­di­cap. À la suite d’un acci­dent de voi­ture, il est en état pauci-​relationnel. C’est un état de conscience mini­male qui l’empêche de com­mu­ni­quer ver­ba­le­ment. Mais c’est tout ! Vincent n’est pas dans le coma, il n’est pas malade, il n’est pas bran­ché. Ce n’est pas une machine qui main­tient mon fils en vie. Il res­pire sans assis­tance. Il se réveille le matin, et s’en­dort le soir. Quand nous, ses parents, sommes avec lui, il a des réac­tions. Il nous suit du regard, par­fois inten­sé­ment, éga­le­ment avec son frère David qui est très proche de lui. Il a eu en notre pré­sence plu­sieurs voca­li­sa­tions dont une que nous avons fil­mée et qui a impres­sion­né les méde­cins spé­cia­listes à qui nous l’a­vons sou­mise et qui affirment qu’il n’est pas en état végétatif.

Alors qu’il avait per­du le réflexe de déglu­ti­tion, il l’a retrou­vé. J’ai pu lui don­ner à man­ger de la nour­ri­ture qu’il a déglu­tie sans aucune dif­fi­cul­té. Nous avons sou­mis ce film éga­le­ment à ces dizaines de spé­cia­listes qui, tous, ont affir­mé qu’il devait être réédu­qué à reman­ger par la bouche. Mais il faut le faire selon des pro­to­coles spé­cia­li­sés, avec une équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire, dans une uni­té spé­cia­li­sée, dans le cadre d’un pro­jet de vie en lien avec sa famille.

Au lieu de cela, il n’y a plus pour lui qu’un pro­jet de mort. Et un méde­cin, à Reims, sans tenir aucun compte de tous ces avis spé­cia­li­sés, a déci­dé d’ar­rê­ter son ali­men­ta­tion et son hydra­ta­tion don­née par sonde, sans lui per­mettre d’être pris en charge ailleurs pour être réédu­qué et stimulé.

Vincent est handicapé mais il est vivant.

Bien évi­dem­ment, sa situa­tion est dra­ma­tique. Je suis sa mère : vous pou­vez ima­gi­ner comme j’en suis meur­trie et la souf­france quo­ti­dienne qu’il me faut por­ter. Est-​ce pour cela qu’il fau­drait l’é­li­mi­ner ? Ma famille, dans cette épreuve, s’est divi­sée* et cela ajoute à ma douleur.

Comme les 1700 per­sonnes por­teuses du même han­di­cap que lui, Vincent aurait donc dû être pla­cé dans un ser­vice spé­cia­li­sé pour per­sonnes céré­bro­lé­sées. Mais il a été mis en soins pal­lia­tifs, sans trai­te­ments adap­tés, sans le ser­vice de kiné­si­thé­ra­pie qui lui per­met­trait de faire les pro­grès per­mis par son état. Plusieurs éta­blis­se­ments qui accueillent des per­sonnes vic­times de graves acci­dents de la route sont prêts à l’ac­cueillir, et le voi­là rete­nu dans le centre de soins pal­lia­tifs d’un hôpi­tal incom­pé­tent pour une telle prise en charge.

Pourquoi cet acharnement contre mon fils ? Et est-​ce que ces 1700 personnes handicapées en état pauci-​relationnel vont aussi être condamnées à mort ?

Monsieur le Président, il y a quelques années, le 29 avril 2013, au che­vet de mon fils, je l’ai vu mou­rir. J’ai vu qu’il mou­rait alors que son han­di­cap n’est pas mor­tel. J’ai été fou­droyée : je me suis aper­çue que depuis vingt jours Vincent n’a­vait rien man­gé, parce qu’on avait cou­pé son ali­men­ta­tion sans rien nous dire et qu’il était des­sé­ché parce qu’on avait déci­dé de réduire son hydra­ta­tion. Vincent me regar­dait ; et il pleu­rait. Des larmes cou­laient le long de ses joues. À ce moment-​là, mon fils souf­frait. Non de sa mala­die, mais parce qu’on l’a­vait aban­don­né. Et condam­né. Il m’a fal­lu encore onze jours pour réus­sir à ce que l’on remette la sonde gas­trique de Vincent afin de l’ai­der à man­ger et à boire.

Était-​ce digne ? Était-​ce médi­cal ? Je ne le crois pas. Mais par-​dessus tout, je ne com­prends pas quelle loi, quelle volon­té poli­tique pour­rait vou­loir et jus­ti­fier que l’on condamne à mort un indi­vi­du parce que l’on refuse de le soigner.

L’état de Vincent, tenace bien qu’il soit immo­bi­li­sé depuis 2008, tou­jours en vie bien qu’on l’ait affa­mé pen­dant un mois, témoigne de sa réelle volon­té de vivre. Les vingt-​cinq spé­cia­listes que nous avons consul­tés l’ont affir­mé par écrit : le fait qu’il ait sur­vé­cu 31 jours sans ali­men­ta­tion et avec une hydra­ta­tion réduite est incom­pa­tible avec une pré­ten­due volon­té de mourir.

Et pour­tant, ce lun­di 9 avril, un méde­cin a, de nou­veau, déci­dé la mort de mon fils, pour la qua­trième fois. Même ce méde­cin écrit que la volon­té de Vincent Lambert est incer­taine. Alors, dans le doute de sa volon­té, il doit mou­rir ? On vous dira que c’est une déci­sion médi­cale pour refus d’a­char­ne­ment thé­ra­peu­tique. Mais c’est faux. Vincent n’est pas en fin de vie. Il n’est pas malade. Il ne souffre pas. Lors de la pro­cé­dure col­lé­giale, vingt-​quatre spé­cia­listes ont adres­sé un cour­rier à l’hô­pi­tal de Reims pour indi­quer que Vincent Lambert n’est pas en situa­tion d’obs­ti­na­tion dérai­son­nable. S’il faut qu’il meure, ce n’est pas pour sa digni­té : c’est par volon­té eutha­na­sique. Vincent va être sacri­fié pour faire un exemple. Mon fils doit être un cas d’école.

Monsieur le Président, je vous demande de me rece­voir en urgence, accom­pa­gnée des méde­cins spé­cia­li­sés qui connaissent Vincent pour l’a­voir vu et qui pour­ront vous expli­quer son état de san­té réel.

Viviane Lambert

Sources : Le Figaro du 11 avril 2018

04 mars 2014 – Vincent Lambert, un sort sus­pen­du à la Loi [09′ 26″]
24 juin 2014 – Lambert : les révé­la­tions de sa maman [03′ 24″]
24 juin 2014 – Entretien avec le Professeur X. Ducrocq, l’un des experts qui ont exa­mi­né Vincen [02′ 18″]
24 juin 2014 – M° Jérome Triomphe : Vincent n” a pas deman­dé à mou­rir [01′ 51″]