La semaine dernière, madame Anne Ratier faisait le tour des médias pour promouvoir son livre J’ai offert la mort à mon fils. Dans ce livre, elle raconte comment, il y a 32 ans, elle a empoisonné son fils de trois ans tétraplégique et lourdement handicapé. Cette révélation a suscité unanimement la plus grande compassion pour l’épreuve qu’elle a vécue. Personne n’a osé blâmer son geste ; tout au plus certains ont déclaré s’abstenir de juger par respect pour sa souffrance. Nombreux sont ceux, au contraire, qui n’ont pas hésité à approuver son geste ainsi que son plaidoyer pour une loi qui autoriserait désormais à l’imiter dans des situations similaires. Bien que considéré comme illégal par la loi, son geste était assurément justifié. Au nom de quoi ? D’une morale supérieure ? N’est-ce pas pourtant la même intelligentsia qui refuse d’admettre l’existence d’une loi morale qui primerait sur les lois de la république ?
Certes, cette femme mérite notre compassion. Il nous est difficile d’imaginer ce qu’elle a pu endurer et nous ne souhaitons à personne de subir une telle épreuve. Nous pourrions même lui trouver des circonstances atténuantes. Cependant, nous serons beaucoup moins indulgent pour la façon dont elle utilise son histoire comme un plaidoyer en faveur d’une loi autorisant l’euthanasie avec la complicité bienveillante des médias. .
Une technique bien rodée
Nous retrouvons ici la technique habituelle déjà utilisée, par exemple, dans le cas de l’avortement. On nous présente un cas limite où une personne se trouve dans une situation extrême très onéreuse pour elle pour affirmer que la loi ne peut exiger un tel sacrifice et réclamer qu’elle accepte une exception au principe intangible qu’elle défendait jusque là. Pour l’avortement, on insista sur les cas de viols et de malformation du fœtus entraînant de lourds handicaps pour obtenir dans un premier temps une tolérance de l’avortement limité à des cas bien précis comme un exception au précepte intangible de l’inviolabilité de la vie d’un innocent. La loi fut bien vite exploitée pour généraliser la pratique de l’avortement sans plus tenir compte des circonstances exceptionnelles exigées. Aujourd’hui, l’IVG (interruption volontaire de grossesse, expression choisi volontairement pour banaliser ce geste et masquer la cruauté du meurtre de l’être le plus faible) est autorisé dès que la mère ne souhaite pas garder son enfant sans plus avoir à justifier sa décision. Le voici, hélas, entré dans les mœurs et aucun homme politique français d’envergure n’ose plus en réclamer l’interdiction. Une manipulation similaire a été orchestré il y a peu par Marc-Olivier Fogiel pour la promotion de la GPA pour les couples « gay ». Dans un livre intitulé Qu’est-ce qu’elle a, ma famille ?, il nous raconte la « merveilleuse aventure » de la naissance de ces deux filles par GPA. Cette pratique étant interdite en France, lui et son compagnon ont eu recours à une mère porteuse américaine qui a donné naissance à deux enfants aux Etats-Unis. Elle a ensuite renoncé à ses droits parentaux pour permettre « deux papas » de les adopter et de les ramener en France où « la petite famille » file désormais le parfait bonheur.
La manipulation de madame Ratier
C’est cette même technique qui est aujourd’hui utilisée avec madame Ratier. On joue sur les sentiments pour susciter la compassion à son égard et une certaine empathie envers l’homicide dont elle s’est rendue coupable envers son fils. On justifie son geste par le fait qu’elle se sentait incapable de continuer à s’occuper de son fils et qu’il aurait été inhumain de lui imposer une telle charge ; que de toute manière son enfant souffrant le martyre, il était plus humain d’y mettre fin, etc.
Cependant la loi, puisque le but de cette manipulation est d’en arriver à son changement ne peut pas s’écrire en se basant sur quelques cas extrêmes et l’émotion qu’ils peuvent susciter. Elle se doit de prendre du recul pour se baser sur les principes intangibles qui doivent régler notre agir. Elle doit, entre autre, protéger les plus faibles de notre société dans leurs droits fondamentaux en commençant par le respect de leur droit à la vie. Comment pourrait-elle accepter qu’une mère mette fin aux jours de son enfant de trois ans ? Certes, on ne peut comparer Madame Ratier avec Madame Courjault qui congelait ses bébés nés en parfaite santé ; il n’en reste pas moins que Madame Ratier a commis un infanticide, l’un des pires crimes qui soit et que la loi doit sanctionner un tel acte. Il faut reconnaître au titre du livre, provocateur à souhait, le mérite d’entrer clairement dans le vif du sujet. En affirmant avoir « offert » la mort à son fils, Madame Ratier revendique sur lui le droit de vie ou de mort. De quel droit un être humain peut-il décider qu’il est justifié de donner la mort à un innocent ? La mort peut-elle être considéré comme un cadeau, c’est-à-dire un bien, que l’on peut offrir ? Un nouveau pas est franchi ici dans l’apologie de l’euthanasie. Il ne s’agit plus seulement de réclamer le droit de disposer de sa propre vie pour y mettre fin en ses termes mais de revendiquer le droit de mettre fin à la vie d’autrui au motif que nous jugeons qu’elle ne vaut pas d’être vécu. Mais sur quels critères nous baserons-nous pour porter un tel jugement ? Mon opinion personnelle, puisque c’est la seule qui vaille aujourd’hui, est-elle suffisante pour décider la qualité d’une vie et m’autoriser à y mettre fin si je la juge insuffisante ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : madame Ratier a décidé seule que la mort était préférable pour son fils et s’est arrogé le droit de mettre fin à ses jours malgré les dispositions contraires de la loi. Bien plus, elle revendique avoir agi par devoir : « personne, déclare-t-elle, ne peut s’arroger la faculté de condamner qui que se soit à croupir dans l’antichambre de la mort, en passant par une agonie qui n’est en rien différente de la torture ».
Nous ne pouvons accepter cette façon de présenter les choses. Personne ne s’arroge ici quoique ce soit, car aucune action n’est posée. On laisse simplement la nature suivre son cours, ce qui n’est pas du tout la même chose. Ce que Madame Ratier exige donc, c’est un intervention directe pour mettre fin à la vie d’autrui, en d’autres termes un homicide. Elle en fait un devoir d’humanité envers le prochain dont « l’agonie n’est en rien différent de la torture ». Si il y a ici quelqu’un qui s’octroye un quelconque droit, c’est bien madame Ratier qui s’est arrogé la faculté de condamner à mort son enfant.
Le principe intangible du respect de la vie
Le respect de la vie de ses semblables, et surtout des plus faibles, est un principe si communément admis qu’il ne nous semble pas utile de le justifier tellement il est ancré dans notre nature humaine. Pas même les promoteurs de l’euthanasie tel que madame Ratier n’osent d’ailleurs le remettre en cause. Ils réclament seulement, restant sauf le principe général, une exception à la loi pour prendre en compte des situations exceptionnelles où celle-ci se révélerait trop inhumaine.
Déjà, en son temps le pape Pie XII leur a répondu :
Nous voyons les être difformes, déments ou affectés de maladies héréditaires, comme un fardeau importun pour la société, privés parfois de la vie ; et cette conduite est exaltée par certains comme s’il s’agissait d’une nouvelle invention du progrès humain, tout à fait conforme à l’utilité générale. Or quel homme de cœur ne comprend pas qu’elle s’oppose violemment non seulement à la loi naturelle et divine inscrite au cœur de tous, mais aussi au sentiment de tout homme civilisé ? Le sang de ces êtres, plus cher à notre rédempteur précisément parce qu’ils sont plus dignes de plus de commisération « crie de la terre vers Dieu ».
La loi interdisant le meurtre d’un innocent est un précepte négatif qui oblige toujours et en tout temps, sans jamais accepter d’exception. Attenter à la vie de son prochain innocent est un acte intrinsèquement mauvais qu’aucunes circonstances, aussi dramatiques qu’elles soient, ne pourront jamais légitimer et qu’aucune loi ne pourra jamais renoncer à sanctionner.
De plus, si nous commençons à admettre des exceptions à cette loi, alors nous acceptons de remettre en cause le principe de l’inviolabilité de la vie de l’innocent. En faisant cette concession, nous ouvrons une brèche dans le barrage que représentait ce principe et nous exposons à des revendications de plus en plus nombreuses pour multiplier les exceptions jusqu’à accepter l’infanticide des enfants normaux mais non désirés. La chose est déjà envisagée aux Etats-Unis où les membres démocrates du congrès ont majoritairement répondu par oui à la question suivante posée par leur collègue, madame Wagner : approuvez-vous ou non l’infanticide des enfants nés vivants (sous-entendu à la suite d’un avortement raté) ?
Madame Ratier, une victime ?
Si nous nous penchons maintenant sur les arguments avancés par madame Ratier, nous nous rendons vite compte qu’ils relèvent plus d’une tentative de justifier son geste par la manipulation des sentiments que de raisonnements intellectuels apportant de vraies raisons objectives.
Madame Ratier se présente en victime d’un corps médical froid et inhumain, sans aucune compassion pour la détresse des êtres humains qu’il soigne dans l’indifférence. Celui-ci nous dit-elle lui « a volé la vie son fils » et de mettre en cause pêle-mêle « la négligence de la sage-femme », « la faute du médecin qui m’a menti (c’est son mari qui parle) pour m’extorquer une autorisation de soins et qui a réanimé un enfant mort », « le manque d’humanité des professeurs qui nous ont reçus », « les rééducateurs qui nous ont menés en bateau », et finalement, « tous ceux qui nous ont tourné le dos ». (p. 117) Le malade n’est pour ce corps médical qu’un « cas X » dont l’intérêt se résume à être un sujet d’expérience susceptible de faire progresser la science médicale (p. 146 entre autres) Les centres pour les enfants lourdement handicapés n’échappent pas non plus à ses critiques. Leur « murs sont glacés d’indifférence ». Ils sont « plus ou moins chaleureux selon le degré de patience d’un personnel surmené, maltraitant et brutal parfois » (p.89 et 197). Reprocherait-elle à cette « machine inhumaine » de l’avoir acculé à commettre son infanticide ? Elle ne l’écrit pas, mais on ne peut pas s’empêcher de se demander si, dans un réflexe d’autojustification, ce n’est pas là ce qu’elle veut insinuer.
En fait, madame Ratier accuse d’inhumanité tous ceux qui se refusent à approuver son geste qui relèverait, selon elle (quatrième de couverture) d’un droit humain élémentaire. Ceux sont des « bien-pensants, qui s’autoproclament détenteurs de l’éthique, et qui ne véhiculent en réalité que la vison surannée d’une infime partie de la société, désespérément transie dans ses suaires, ignorant que le mouvement, l’évolution, c’est la vie, qui ne savent pas faire la différence entre vie et survie. » (p. 211).
Seul trouve grâce à ses yeux « le médecin de famille de m(s)on mari, un homme âgé mais tellement humain, tellement proche de ceux qui souffrent » (p.49). Il prend clairement leur parti contre ce monstre inhumain qu’elle dénonce et approuvera son infanticide après coup allant jusqu’à l’aider à le camoufler tout en avouant avoir plusieurs fois euthanasiés des malades en fin de fin pour « les aider à quitter dignement la vie » (p.111).
L’état de santé de son fils Frédéric
Disons un mot aussi sur la condition de son fils Frédéric. Suite à un accouchement difficile, celui-ci nait mort et est réanimé, ce qui lui laisse de graves séquelles. Le livre s’avère assez flou sur la gravité de celles-ci. Alors que madame Ratier affirme que son fils est dans un état végétatif (p.7) ; un jeune neurologue qu’elle présente favorablement, affirme, après un diagnostic technique incompréhensible pour des non-professionels de la santé, « que l’enfant est attentif dans une certaine mesure » et qu’ « il fait comprendre son approbation par des réactions motrices exprimant la joie, ou son opposition par une réaction globale. » pour conclure qu’ « il faudra envisager une prise en charge dans un centre spécialisé où l’enfant pourra bénéficier à la fois de l’ensemble des soins et d’une éducation adaptée à son cas » (p.59–60). Un neurologue n’aurait pas pu écrire cela d’une personne en état végétatif. Pour madame Ratier, son fils n’est « ni mort, ni vivant » ; il est dans un « état de non-vie » ; « son existence n’en est pas une ». Certes, Frédéric est lourdement handicapé, mais soit il est mort, soit il est vivant ; la nature ne reconnaît pas d’état intermédiaire. Puisqu’il n’est évidemment pas mort, il est vivant. De fait, il respire par lui-même, la circulation sanguine se fait normalement, les aliments ingurgités sont digérés. Cette vie doit donc être respectée et protégée. Faut-il voir dans cette manière qu’a madame Ratier de parler de l’état de son fils une autre tentative de justifier son infanticide ? En effet, si son fils Frédéric n’était pas en vie, on ne peut pas parler d’homicide.
Nous trouvons aussi dans ces propos une réflexion sur la qualité de la vie qu’avait Frédéric. Madame Ratier nous dit qu’elle était telle qu’il était préférable d’y mettre fin. Mais comment juger de la qualité de vie d’un être humain ? Madame Ratier sous-entend que son fils souffrait de cet état pire que la mort (p. 8), mais cela reste à prouver. Il n’aurait certes pas eu une vie « normale », mais pouvons-nous affirmer que celle-ci n’aurait été qu’un long chemin de croix pour reprendre sa propre expression, sans aucune joie ni bonheur ? La foi chrétienne nous enseigne que sa destinée est éternelle et que son handicap n’est pas un empêchement pour mériter le ciel.
Une tentative d’autojustification
Qu’est ce qui a pu pousser madame Ratier à rendre publique son crime si tardivement (après 32 ans) ? Serait-ce qu’elle n’a pas réussi à tourner la page, que son geste continue à la hanter et qu’elle n’arrive pas à se le pardonner ? Elle affirme qu’elle a écrit d’une part pour la mémoire de son fils et pour son père, raisons bien personnelles qu’il nous est difficile de juger, et d’autre part pour militer en faveur d’un changement de la loi pour aider d’autres personnes dans une situation « identique » tels que Vincent Humbert, Chantale Sébire et Anne Bert. Sans mettre en cause sa parole, on peut se demander si elle n’est pas aussi motivée par un remords latent. Certes elle ne se sentait plus la force de s’occuper de son enfant ; mais alors pourquoi ne l’a t‑elle pas confier aux institutions qui lui ont proposés de le prendre en charge ? Serait-ce parce qu’elle ne supportait pas un sentiment de culpabilité à « abandonner » son enfant ? Qu’elle appréhendait sa présence dans sa vie pour les années à venir ? On constate que, dans son livre, elle parle surtout d’elle-même et de sa souffrance, mais peu de son fils Frédéric. On peut alors se demander si il n’y a pas eu dans sa décision une part d’égoïsme. En tuant son fils, elle espérait mettre fin à cette épreuve qu’elle ne voulait pas voir se prolonger toute sa vie. Elle paraît avoir échoué puisque que nous constatons que plus trente ans plus tard, elle n’a toujours pas réussi à tourner la page et recherche par sa confession publique une sorte d’absolution. Si la société accepte une loi permettant de telle pratique, alors, elle pourra enfin se convaincre qu’elle a eu raison de faire ce qu’elle a fait. Mais on peut craindre que même cette loi ne suffise pas à apaiser sa conscience. On ne peut impunément contrarier les lois de la nature et espérer en sortir indemne. On sent aussi poindre dans ce livre la détresse morale et le cri de désespoir d’une âme qui n’a pas la foi. Sans celle-ci, madame Ratier se révèle incapable de donner un sens à la souffrance et ne peut que se révolter contre elle. Parlant des soins palliatifs, elle commente : « on oublie de dire que cette fin contraint les malades à aller jusqu’au bout de la souffrance, au bout de leur chemin croix (sic). Pourquoi leur faire endurer cela ? Dans quel but puisque l’issue est inéluctable ? » (p.91) Hélas, le seul réconfort que notre société moderne et athée apportent aux personnes dans la situation où s’est trouvée Madame Ratier est la mise à mort de l’handicapé. Le problème est résolu en apparence mais les personnes affectées en restent marquées à jamais.
Abbé François Castel, prêtre de la FSSPX