Euthanasie – L’appel de 70 médecins : « Il est manifeste que Vincent Lambert n’est pas en fin de vie »

Alors que le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Châlons-​en-​Champagne doit rendre une déci­sion ce jeu­di, 70 pro­fes­sion­nels de san­té de diverses spé­cia­li­tés publient une tri­bune dans Le Figaro pour dénon­cer une « eutha­na­sie qui ne dit pas son nom ». Ils demandent que Vincent Lambert soit trans­fé­ré dans une uni­té spécialisée.

Nous, méde­cins et pro­fes­sion­nels spé­cia­li­sés dans la prise en charge de per­sonnes cérébro-​lésées en état végé­ta­tif ou pauci-​relationnel (EVC-​EPR), tenons à expri­mer, en notre âme et conscience, notre incom­pré­hen­sion et notre extrême inquié­tude au sujet de la déci­sion d’ar­rêt de nutri­tion et hydra­ta­tion arti­fi­cielles concer­nant M. Vincent Lambert. Un tis­su d’in­cer­ti­tudes et d’hy­po­thèses, ain­si que des juge­ments contra­dic­toires concer­nant le niveau de conscience, les capa­ci­tés de rela­tion et de déglu­ti­tion, le pro­nos­tic, fondent une sanc­tion dra­ma­tique, incom­pré­hen­sible. Certains d’entre nous ont une expé­rience de trente à qua­rante ans de soins et de réflexion autour de ces per­sonnes. La cir­cu­laire du 3 mai 2002, qui a mar­qué une étape essen­tielle pour l’or­ga­ni­sa­tion et la qua­li­té de la prise en charge des per­sonnes EVC-​EPR, consti­tue une réfé­rence tou­jours d’actualité.

La plu­part d’entre nous ne connaissent pas per­son­nel­le­ment M. Vincent Lambert, sinon par ce qui est dit de lui dans les médias, de façon par­ti­sane, quant à l’ap­pli­ca­tion à son égard de la loi rela­tive aux droits des patients et à la fin de vie.

Certains d’entre nous ont pu vision­ner une courte vidéo, de séquences tour­nées en juin 2015, per­met­tant d’af­fir­mer que M. Vincent Lambert est bien en état pauci-​relationnel, à savoir qu’il n’est pas dans le coma, ne requiert aucune mesure de réani­ma­tion et qu’il a des capa­ci­tés de déglu­ti­tion et de voca­li­sa­tion. S’il nous est impos­sible de nous pro­non­cer sur son niveau exact de conscience et ses capa­ci­tés rela­tion­nelles, en revanche M. Vincent Lambert nous appa­raît sem­blable aux patients rele­vant de nos uni­tés EVC-​EPR, de ceux qui n’ont même pas de tra­chéo­to­mie. Il est mani­feste qu’il n’est pas en fin de vie.

Sa sur­vie dans les condi­tions et le contexte qui l’en­tourent – déchi­re­ment fami­lial, pro­cé­dures juri­diques inter­mi­nables, déchaî­ne­ment média­tique, absence de pro­jet de vie avec aban­don de toute réédu­ca­tion ou sor­tie ou mise au fau­teuil, iso­le­ment sen­so­riel et rela­tion­nel dans sa chambre où il est enfer­mé à clé depuis quatre ans… – témoigne même, à nos yeux, de sa pul­sion tenace de vie.

Comment ne pas tenir compte du fait que M. Lambert a sur­vé­cu en 2013 à trente et un jours sans ali­men­ta­tion avec une hydra­ta­tion réduite au mini­mum, alors que, dans notre expé­rience una­nime, ce fait est incom­pa­tible avec une volon­té de mou­rir ? Quand ils ne veulent plus vivre, ces patients meurent en quelques jours, voire quelques heures. Cette sur­vie pen­dant trente et un jours témoigne au contraire d’une incon­tes­table pul­sion de vie qui aurait dû fon­der depuis cinq ans une nou­velle prise en charge autour d’un pro­jet de vie et qui ne se réduise pas à des soins de nursing.

Les exper­tises médi­cales, même pra­ti­quées par d’é­mi­nents spé­cia­listes, reposent tou­jours sur des exa­mens pra­ti­qués sur un temps for­cé­ment limi­té. Elles ne sont pas adap­tées à la situa­tion de ces patients dont il faut gagner la confiance avant de pou­voir obte­nir une quel­conque mani­fes­ta­tion de pré­sence consciente. Cette éva­lua­tion ne peut être vali­dée que par une équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire, dans des condi­tions de vie variées, sur un temps suf­fi­sam­ment long de plu­sieurs semaines, en lien avec les membres pré­sents de la famille. Cela est impos­sible dans un contexte d’en­fer­me­ment sans pro­jet de vie.

Or notre expé­rience croi­sée de pra­ti­ciens spé­cia­listes de ces patients nous amène à consta­ter que l’é­tat dit végé­ta­tif chro­nique, au sens d’un patient qui ne serait capable d’au­cune rela­tion, n’existe pas : tous les patients diag­nos­ti­qués végé­ta­tifs qui sont pas­sés dans nos ser­vices ont en réa­li­té une conscience mini­male qu’il faut savoir détec­ter et exploi­ter en lien étroit avec la famille. Pris en charge en uni­té ou mai­son spé­cia­li­sée, ces patients font sou­vent des pro­grès éton­nants qui sur­prennent tou­jours les soi­gnants, et tous se sont révé­lés être capables de rela­tions inter­per­son­nelles avec leur entou­rage, plus ou moins éla­bo­rées, mais tou­jours exis­tantes et vérifiées.

Nous nous inter­ro­geons sur les cir­cons­tances qui ont pu conduire à affir­mer que M. Vincent Lambert avait pu mani­fes­ter, fin 2012, une volon­té cer­taine et irré­vo­cable de mou­rir, point de départ de la réflexion et des pro­cé­dures col­lé­giales enga­gées par l’é­quipe l’ayant en charge. Notre expé­rience nous fait nous inter­ro­ger sur le fait qu’une même équipe soi­gnante assure des soins à la fois à des patients en fin de vie et à des patients cérébro-​lésés : il y a là deux logiques anti­no­miques qui ne peuvent cohabiter.

Sur ces bases :

1. – Nous dénon­çons les condi­tions de vie impo­sées à M. Vincent Lambert : ali­te­ment per­ma­nent, absence de mise en fau­teuil adap­té, absence de sor­tie, enfer­me­ment à clé dans sa chambre, absence de prise en charge réédu­ca­tive d’en­tre­tien, absence de réédu­ca­tion de la déglu­ti­tion, limi­ta­tion des visites, toutes mesures s’op­po­sant au main­tien d’une vie sociale et affec­tive, pri­mor­diale pour ces per­sonnes. Ces condi­tions, aus­si incom­pré­hen­sibles qu’i­nad­mis­sibles, s’ap­pa­rentent à une incar­cé­ra­tion pro­lon­gée, indigne de son état, de sa per­sonne, de ses proches. Elles nous appa­raissent contraires à toute éthique et déon­to­lo­gie médicales.

2. – Nous n’ar­ri­vons pas à com­prendre qu’à aucun moment de cette ter­rible his­toire l’a­vis d’une équipe expé­ri­men­tée n’ait été sol­li­ci­té devant une déci­sion aus­si grave. Grave car n’ayant pas d’autre fina­li­té que de pro­vo­quer la mort d’un homme qui n’est pas en fin de vie et dont l’é­tat de han­di­cap paraît sta­bi­li­sé, même sous cou­vert d’une pro­cé­dure col­lé­giale. Ni l’é­quipe médi­cale en charge de M. Vincent Lambert, au début de cette situa­tion, ni quelque ins­tance de Justice que ce soit, pour aus­si nom­breuses qu’elles aient été sol­li­ci­tées, n’ont fait une telle pro­po­si­tion pour­tant de bon sens et usuelle entre collègues.

3. – Nous for­mu­lons le vœu que M. Vincent Lambert, qui n’est pas en fin de vie, béné­fi­cie d’une prise en charge conforme à l’es­prit de la cir­cu­laire du 3 mai 2002. Pour cela, il doit être trans­fé­ré dans une uni­té dédiée aux patients EVC-​EPR dyna­mique, pro­po­sant un pro­jet de vie de qua­li­té incluant ses proches.

Là où nous enten­dons dire : « achar­ne­ment thé­ra­peu­tique », nous ne voyons qu’a­ban­don thé­ra­peu­tique et mal­trai­tance sur per­sonne vul­né­rable ; et nous deman­dons une reprise des soins phy­siques et relationnels.

Là où nous enten­dons dire : « volon­té du patient », nous appre­nons que notre confrère qui a pris cette déci­sion dra­ma­tique n’é­met que des hypothèses.

Là où nous enten­dons dire : « débran­che­ment », nous ne voyons aucun fil, aucune machine à débran­cher en dehors de la nutri­tion enté­rale par gas­tro­sto­mie, laquelle consti­tue chez ces patients un soin de base. Mais nous voyons des capa­ci­tés de déglu­ti­tion volon­taire ; et nous deman­dons qu’une réédu­ca­tion appro­priée soit entreprise.

Là où nous enten­dons dire : « arrêt des trai­te­ments », nous ne voyons que pro­vo­ca­tion déli­bé­rée de la mort, une eutha­na­sie qui ne dit pas son nom ; et nous deman­dons un véri­table pro­jet de vie : reprise de la kiné­si­thé­ra­pie après trai­te­ment des rétrac­tions ten­di­neuses qui se sont néces­sai­re­ment ins­tal­lées pen­dant plus de quatre ans d’ar­rêt de ces soins, mise au fau­teuil, sor­tie à l’air libre.

Là où nous enten­dons : « pro­cé­dure col­lé­giale », nous ne voyons que pos­ture par­ti­sane, idéo­lo­gique, décon­nec­tée de la réa­li­té d’une situa­tion de han­di­cap sévère, stable, jus­ti­fiant des soins et trai­te­ments adap­tés en vue du confort de la per­sonne ; et nous deman­dons que M. Vincent Lambert soit enfin trans­fé­ré dans une uni­té EVC-​EPR pra­ti­quant des soins actifs, glo­baux, dans le cadre d’un pro­jet de vie et non de mort annon­cée et programmée.

Là où nous enten­dons la voix de cer­tains de nos confrères se ral­lier à la thèse de l’a­char­ne­ment thé­ra­peu­tique, nous éle­vons la nôtre, forte de nom­breuses années d’ex­pé­rience, pour que notre silence ne devienne com­plice de la mort pro­vo­quée d’un de nos patients. Qui peut oser por­ter un juge­ment sur la valeur d’une vie ? N’est-​ce pas au contraire le devoir et l’hon­neur d’une socié­té humaine que de prendre soin des plus vul­né­rables d’entre les siens ?

Liste com­plète des signataires

Hélène Alessandri, psy­cho­logue ; Luce Bardagi, méde­cin ; Djamel Ben Smail, PUPH ; Cécile Bernier, ergo­thé­ra­peute ; Anne Boissel, maître de confé­rences ; Marie-​Hélène Boucand, méde­cin ; Patricia Bourgogne, méde­cin ; Joseph Bou Lahdou, méde­cin ; Françoise Canny-​Vernier, méde­cin ; Hélène Carriere-​Piquard, méde­cin ; Mathilde Chevignard, pra­ti­cien ; Emmanuel Chevrillon, méde­cin ; Pauline Coignard, méde­cin ; Florence Colle, méde­cin ; Floriane Cornu, kiné­si­thé­ra­peute ; Hélène Curalluci, méde­cin ; François Danze, neu­ro­logue ; Danielle Darriet, neu­ro­logue ; Xavier Debelleix, méde­cin ; Jacques Delecluse, méde­cin ; Monique Delwaulle, enca­drante ; Philippe Denormandie, chi­rur­gien ; Jean-​Pascal Devailly, méde­cin ; Xavier Ducrocq, neu­ro­logue ; Marc Dutkiewicz, neuro-​psychanalyste ; Nadine Ellahi, secré­taire médi­cale ; Michel Enjalbert, méde­cin ; Alain Faye, chi­rur­gien ; Catherine Fischer, neu­ro­logue ; Louis Fromange, méde­cin ; Jean-​Yves Gabet, neu­ro­logue ; Laure Gatin, chi­rur­gien ; Christine Greselin, aide-​soignante ; Lysiane Hatchikian, psy­cho­logue ; Alain Hirschauer, chef de ser­vice ; Marie-​Hélène Jean, ortho­pho­niste ; Bernard Jeanblanc, méde­cin ; Catherine Kiefer, méde­cin ; Isabelle Laffont, PUPH ; Françoise Lagabrielle, psy­chiatre ; Hervé Lautraite, méde­cin ; Sonia Lavanant, méde­cin ; Bernard Lange, neu­ro­logue ; Jean-​Luc Le Guiet, méde­cin ; Marc Lestienne, méde­cin ; Emma Lozay, ergo­thé­ra­peute ; Pascale Lublin-​Morel, méde­cin ; Marie-​Paule Mansour, infir­mière ; Jérôme Martin-​Moussier, méde­cin ; Daniel Mellier, pro­fes­seur émé­rite ; Samir Mesbahy, doc­teur ; Sabrina Monet, aide-​soignante ; Dominique Norblin, cadre de réédu­ca­tion ; Dominique Papelard, méde­cin ; Frédéric Pellas, méde­cin ; Philippe Petit, méde­cin ; David Plantier, méde­cin ; Bruno Pollez, méde­cin ; Bénédicte Pontier, méde­cin ; Perrine Quentin, méde­cin ; Chantal Regnier, gériatre ; Edwige Richer, neu­ro­logue ; Dalila Solal, méde­cin ; Brigitte Soudrie, pra­ti­cien hos­pi­ta­lier ; Hélène Staquet, neu­ro­chi­rur­gien ; François Tasseau, méde­cin ; Jean-​Luc Truelle, pro­fes­seur ; Hélène Turpin, ortho­pho­niste ; Hervé Vespignani, neu­ro­logue ; Yves-​André Vimont, méde­cin ; Jean-​Bernard Witas, médecin.

Sources : Le Figaro/​ La Porte Latine du 19 avril 2018

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