Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

8 décembre 1854

Constitution Apostolique Ineffabilis Deus

Définition du dogme de l'Immaculée Conception

Table des matières

La défi­ni­tion infaillible de Pie IX a fait de l’Immaculée Conception un article de foi. Le pape y déclare qu’en aucun ins­tant de son exis­tence Marie n’a été sou­mise à la domi­na­tion du péché et que, par un effet anti­ci­pé de la Rédemption par le Christ, une faveur par­ti­cu­lière de Dieu l’a pré­ser­vée de la souillure du péché ori­gi­nel. [1]

N.B. : Les notes doc­tri­nales et his­to­riques par l’abbé Alphonse David sont dans l’édition Bonne Presse de 1953, avec Nihil obs­tat : Paris 8 octobre 1953 et Imprimatur : Paris 12 octobre 1953, Michel Potevin, v.g.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 Décembre 1854

1. Exposé du sentiment de l’Eglise : Marie fut toujours sans aucune tache.

Dieu inef­fable, dont les voies sont misé­ri­corde et véri­té, dont la volon­té est toute‑puissante, dont la sagesse atteint d’une extré­mi­té jus­qu’à l’autre avec une force sou­ve­raine et dis­pose tout avec une mer­veilleuse dou­ceur, avait pré­vu de toute éter­ni­té la déplo­rable ruine en laquelle la trans­gres­sion d’Adam devait entraî­ner tout le genre humain ; et dans les pro­fonds secrets d’un des­sein caché à tous les siècles, il avait réso­lu d’ac­com­plir, dans un mys­tère encore plus pro­fond, par l’in­car­na­tion du Verbe, le pre­mier ouvrage de sa bon­té, afin que l’homme, qui avait été pous­sé au péché par la malice et la ruse du démon, ne pérît pas, contrai­re­ment au des­sein misé­ri­cor­dieux de son Créateur, et que la chute de notre nature, dans le pre­mier Adam, fût répa­rée avec avan­tage dans le second. Il des­ti­na donc, dès le com­men­ce­ment et avant tous les siècles, à son Fils unique, la Mère de laquelle, s’é­tant incar­né, il naî­trait, dans la bien­heu­reuse plé­ni­tude des temps ; il la choi­sit, il lui mar­qua sa place dans l’ordre de ses des­seins ; il l’ai­ma par‑dessus toutes les créa­tures, d’un tel amour de pré­di­lec­tion, qu’il mit en elle, d’une manière sin­gu­lière, toutes ses plus grandes com­plai­sances. C’est pour­quoi, pui­sant dans les tré­sors de sa divi­ni­té, il la com­bla, bien plus que tous les esprits angé­liques, bien plus que tous les saints, de l’a­bon­dance de toutes les grâces célestes [2]), et l’en­ri­chit avec une pro­fu­sion mer­veilleuse, afin qu’elle fût tou­jours sans aucune tache, entiè­re­ment exempte de l’es­cla­vage du péché, toute belle, toute par­faite et dans une telle plé­ni­tude d’in­no­cence et de sain­te­té qu’on ne peut, au‑dessous de Dieu, en conce­voir une plus grande, et que nulle autre pen­sée que celle de Dieu même ne peut en mesu­rer la grandeur.

2. Raison suprême de ce privilège : la maternité divine.

Et certes, il conve­nait bien qu’il en fût ain­si, il conve­nait qu’elle res­plen­dît tou­jours de l’é­clat de la sain­te­té la plus par­faite, qu’elle fût entiè­re­ment pré­ser­vée, même de la tache du péché ori­gi­nel, et qu’elle rem­por­tât ain­si le plus com­plet triomphe sur l’an­cien ser­pent, cette Mère si véné­rable, elle à qui Dieu le Père avait réso­lu de don­ner son Fils unique, Celui qu’il engendre de son propre sein, qui lui est égal en toutes choses et qu’il aime comme lui‑même, et de le lui don­ner de telle manière qu’il fût natu­rel­le­ment un même unique et com­mun Fils de Dieu et de la Vierge ; elle que le Fils de Dieu lui‑même avait choi­sie pour en faire sub­stan­tiel­le­ment sa Mère ; elle enfin, dans le sein de laquelle le Saint‑Esprit avait vou­lu que, par son opé­ra­tion divine, fût conçu et naquît Celui dont il pro­cède lui-même.

3. Son degré de certitude : c’est une vérité révélée.

Cette inno­cence ori­gi­nelle de l’au­guste Vierge, si par­fai­te­ment en rap­port avec son admi­rable sain­te­té et avec sa digni­té sur­émi­nente de Mère de Dieu, l’Eglise catho­lique qui, tou­jours ensei­gnée par l’Esprit‑Saint, est la colonne et le fon­de­ment de la véri­té, l’a tou­jours pos­sé­dée comme une doc­trine reçue de Dieu même et ren­fer­mée dans le dépôt de la révé­la­tion céleste. Aussi, par l’ex­po­si­tion de toutes les preuves qui la démontrent, comme par les faits les plus illustres, elle n’a jamais ces­sé de la déve­lop­per, de la pro­po­ser, de la favo­ri­ser chaque jour davan­tage. C’est cette doc­trine, déjà si flo­ris­sante dès les temps les plus anciens, et si pro­fon­dé­ment enra­ci­née dans l’es­prit des fidèles, et pro­pa­gée d’une manière si mer­veilleuse dans tout le monde catho­lique par les soins et le zèle des saints évêques, sur laquelle l’Eglise elle‑même a mani­fes­té son sen­ti­ment d’une manière si signi­fi­ca­tive, lors­qu’elle n’a point hési­té à pro­po­ser au culte et à la véné­ra­tion publique des fidèles la Conception de la Vierge [3]. Par ce fait écla­tant, elle mon­trait bien que la Conception de la Vierge devait être hono­rée comme une Conception admi­rable, sin­gu­liè­re­ment pri­vi­lé­giée, dif­fé­rente de celle des autres hommes, tout à fait à part et tout à fait sainte puisque l’Eglise ne célèbre de fêtes qu’en l’hon­neur de ce qui est saint. C’est pour la même rai­son, qu’empruntant les termes mêmes dans les­quels les divines Ecritures parlent de la Sagesse incréée et repré­sentent son ori­gine éter­nelle, elle a conti­nué de les employer dans les offices ecclé­sias­tiques et dans la litur­gie sacrée, et de les appli­quer aux com­men­ce­ments mêmes de la Vierge ; com­men­ce­ments mys­té­rieux, que Dieu avait pré­vus et arrê­tés dans un seul et même décret, avec l’Incarnation de la Sagesse divine.

Démonstration de la révélation de l’Immaculée Conception

Ire partie : l’enseignement ordinaire de l’Eglise.

Mais encore que toutes ces choses connues, pra­ti­quées en tous lieux par les fidèles, témoignent assez quel zèle l’Eglise romaine, qui est la Mère et la Maîtresse de toutes les Eglises, a mon­tré pour cette doc­trine de l’Immaculée Conception de la Vierge ; tou­te­fois, il est digne et très conve­nable de rap­pe­ler en détail les grands actes de cette Eglise, à cause de la pré­émi­nence et de l’au­to­ri­té sou­ve­raine dont elle jouit jus­te­ment, et parce qu’elle est le centre de la véri­té et de l’u­ni­té catho­lique, et celle en qui seule a été garan­ti invio­lable le dépôt de la reli­gion, et celle dont il faut que toutes les autres Eglises reçoivent la tra­di­tion de la foi.

Or, cette sainte Eglise romaine n’a rien eu de plus à cœur que de pro­fes­ser, de sou­te­nir, de pro­pa­ger et de défendre, par tous les moyens les plus per­sua­sifs, le culte et la doc­trine de l’Immaculée Conception : c’est ce que prouvent et attestent de la manière la plus évi­dente et la plus claire tant d’actes impor­tants des Pontifes romains, Nos pré­dé­ces­seurs, aux­quels, dans la per­sonne du Prince des apôtres, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même a divi­ne­ment confié la charge et la puis­sance suprême de paître les agneaux et les bre­bis, de confir­mer leurs frères, de régir et de gou­ver­ner l’Eglise universelle.

1. Son enseignement sur le culte.

Nos pré­dé­ces­seurs, en effet, se sont fait une gloire d’ins­ti­tuer de leur auto­ri­té apos­to­lique la fête de la Conception dans l’Eglise romaine, et d’en rele­ver l’im­por­tance et la digni­té par un office propre et par une messe propre où la pré­ro­ga­tive de la Vierge et son exemp­tion de la tache héré­di­taire étaient affir­mées avec une clar­té mani­feste. Quant au culte déjà ins­ti­tué, ils fai­saient tous leurs efforts pour le répandre et le pro­pa­ger, soit en accor­dant des indul­gences, soit en concé­dant aux villes, aux pro­vinces, aux royaumes, la facul­té de se choi­sir pour pro­tec­trice la Mère de Dieu, sous le titre de l’Immaculée Conception ; soit en approu­vant les Confréries, les Congrégations et les Instituts reli­gieux éta­blis en l’hon­neur de l’Immaculée Conception ; soit en décer­nant des louanges à la pié­té de ceux qui auraient éle­vé, sous le titre de l’Immaculée Conception, des monas­tères, des hos­pices, des autels, des temples, ou qui s’en­ga­ge­raient par le lien sacré du ser­ment à sou­te­nir avec éner­gie la doc­trine de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu. En outre, ils ont, avec la plus grande joie, ordon­né que la fête de la Conception serait célé­brée dans toute l’Eglise avec la même solen­ni­té que la fête de la Nativité ; de plus, que cette même fête de la Conception serait faite par l’Eglise uni­ver­selle, avec une octave, et reli­gieu­se­ment obser­vée par tous les fidèles comme une fête de pré­cepte, et que chaque année une cha­pelle pon­ti­fi­cale serait tenue, dans notre basi­lique patriar­cale libé­rienne, le jour consa­cré à la Conception de la Vierge.

Enfin, dési­rant for­ti­fier chaque jour davan­tage cette doc­trine de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu dans l’es­prit des fidèles, et exci­ter leur pié­té et leur zèle pour le culte et la véné­ra­tion de la Vierge conçue sans la tache ori­gi­nelle, ils ont accor­dé, avec empres­se­ment et avec joie, la facul­té de pro­cla­mer la Conception Immaculée de la Vierge dans les lita­nies dites de Lorette, et dans la Préface même de la messe, afin que la règle de la prière ser­vit ain­si à éta­blir la règle de la croyance. Nous‑même, sui­vant les traces de Nos glo­rieux pré­dé­ces­seurs, non seule­ment Nous avons approu­vé et reçu ce qu’ils avaient éta­bli avec tant de pié­té et de sagesse, mais, Nous rap­pe­lant l’ins­ti­tu­tion de Sixte IV [4], Nous avons confir­mé par Notre auto­ri­té l’of­fice propre de l’Immaculée Conception, et Nous en avons, avec une grande joie, accor­dé l’u­sage à toute l’Eglise [5].

2. Son enseignement sur la doctrine.

a) L’enseignement lui-même.

Mais comme les choses du culte sont étroi­te­ment liées avec son objet, et que l’un ne peut avoir de consis­tance et de durée si l’autre est vague et mal défi­ni, pour cette rai­son, les Pontifes romains Nos Prédécesseurs, en même temps qu’ils fai­saient tous leurs efforts pour accroître le culte de la Conception, se sont atta­chés, avec le plus grand soin, à en faire connaître l’ob­jet et à en bien incul­quer et pré­ci­ser la doc­trine. Ils ont, en effet, ensei­gné clai­re­ment et mani­fes­te­ment que c’é­tait la Conception de la Vierge dont on célé­brait la fête, et ils ont pros­crit comme fausse et tout à fait éloi­gnée de la pen­sée de l’Eglise, l’o­pi­nion de ceux qui croyaient et qui affir­maient que ce n’é­tait pas la Conception, mais la Sanctification de la Sainte Vierge que l’Eglise hono­rait [6]). Ils n’ont pas cru devoir gar­der plus de ména­ge­ments avec ceux qui, pour ébran­ler la doc­trine de l’Immaculée Conception de la Vierge, ima­gi­naient une dis­tinc­tion entre le pre­mier et le second ins­tant de la Conception, pré­ten­daient qu’à la véri­té c’é­tait bien la Conception qu’on célé­brait, mais pas le pre­mier moment de la Conception [7]. Nos Prédécesseurs, en effet, ont cru qu’il était de leur devoir de sou­te­nir et défendre de toutes leurs forces, tant la fête de la Conception de la Vierge bien­heu­reuse, que le pre­mier ins­tant de sa Conception comme étant le véri­table objet de ce culte. De là ces paroles d’une auto­ri­té tout à fait déci­sive, par les­quelles Alexandre VII [8], l’un de Nos Prédécesseurs, a décla­ré la véri­table pen­sée de l’Eglise : « C’est assu­ré­ment, dit‑il, une ancienne croyance que celle des pieux fidèles qui pensent que l’âme de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le pre­mier ins­tant où elle a été créée et unie à son corps, a été, par un pri­vi­lège et une grâce spé­ciale de Dieu, pré­ser­vée et mise à l’a­bri de la tache du péché ori­gi­nel, et qui, dans ce sen­ti­ment, honorent et célèbrent solen­nel­le­ment la fête de sa Conception. »

b) Sa défense contre les adversaires.

Mais sur­tout Nos Prédécesseurs ont tou­jours, et par un des­sein sui­vi, tra­vaillé avec zèle et de toutes leurs forces à sou­te­nir, à défendre et à main­te­nir la doc­trine de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu. En effet, non seule­ment ils n’ont jamais souf­fert que cette doc­trine fût l’ob­jet d’un blâme ou d’une cen­sure quel­conque ; mais ils sont allés beau­coup plus loin. Par des décla­ra­tions posi­tives et réité­rées, ils ont ensei­gné que la doc­trine par laquelle nous pro­fes­sons la Conception Immaculée de la Vierge était tout à fait d’ac­cord avec le culte de l’Eglise, et qu’on la consi­dé­rait à bon droit comme telle ; que c’é­tait l’an­cienne doc­trine, presque uni­ver­selle et si consi­dé­rable, que l’Eglise romaine s’é­tait char­gée elle‑même de la favo­ri­ser et de la défendre ; enfin, qu’elle était tout à fait digne d’a­voir place dans la litur­gie sacrée et dans les prières les plus solen­nelles. Non contents de cela, afin que la doc­trine de la Conception Immaculée de la Vierge demeu­rât à l’a­bri de toute atteinte, ils ont sévè­re­ment inter­dit de sou­te­nir publi­que­ment ou en par­ti­cu­lier l’o­pi­nion contraire à cette doc­trine, et ils ont vou­lu que, frap­pée pour ain­si dire de tant de coups, elle suc­com­bât pour ne plus se rele­ver. Enfin, pour que ces décla­ra­tions répé­tées et posi­tives ne fussent pas vaines, ils y ont ajou­té une sanction.

c) Quelques témoignages : Alexandre VII. 

C’est ce qu’on peut voir dans ces paroles de Notre pré­dé­ces­seur Alexandre VII :

Nous, dit ce Pontife, consi­dé­rant que la Sainte Eglise romaine célèbre solen­nel­le­ment la fête de la Conception de Marie sans tache et tou­jours Vierge, et qu’elle a depuis long­temps éta­bli un office propre et spé­cial pour cette fête, selon la pieuse, dévote et louable dis­po­si­tion de Sixte IV [9], Notre Prédécesseur, vou­lant à Notre tour, à l’exemple des Pontifes romains, Nos Prédécesseurs, favo­ri­ser cette pieuse et louable dévo­tion, ain­si que la fête et le culte qui en est l’ex­pres­sion, lequel culte n’a jamais chan­gé dans l’Eglise romaine depuis qu’il a été ins­ti­tué ; et vou­lant aus­si pro­té­ger cette pieuse dévo­tion, qui consiste à hono­rer par un culte public la Bienheureuse Vierge, comme ayant été, par la grâce pré­ve­nante du Saint‑Esprit, pré­ser­vée du péché ori­gi­nel ; dési­rant enfin conser­ver dans le trou­peau de Jésus‑Christ l’u­ni­té d’es­prit dans le lien de la paix, apai­ser les dis­sen­sions et ôter toute cause de scan­dale : sur les ins­tances et les prières des sus­dits évêques et des cha­pitres de leurs églises, du roi Philippe [10] et de ses royaumes, Nous renou­ve­lons les Constitutions et Décrets que les Pontifes romains, Nos Prédécesseurs, et spé­cia­le­ment Sixte IV [11], Paul V [12] et Grégoire XV [13], ont publiés en faveur du sen­ti­ment qui affirme que l’âme de la Bienheureuse Vierge Marie, dans sa créa­tion et au moment de son union avec le corps, a été dotée de la grâce du Saint­-​Esprit et pré­ser­vée du péché ori­gi­nel, et aus­si en faveur de la Conception de la même Vierge Mère de Dieu, les­quels sont éta­blis et pra­ti­qués, comme il est dit plus haut, en confor­mi­té de ce pieux sen­ti­ment ; et Nous com­man­dons que l’on garde les dites Constitutions sous les mêmes cen­sures et peines qui y sont portées.

De plus, tous et cha­cun de ceux qui conti­nue­ront à inter­pré­ter les dites Constitutions ou Décrets de manière à rendre illu­soire la faveur qu’ils accordent au sus­dit sen­ti­ment, ain­si qu’à la fête et au culte éta­blis en consé­quence, ou qui ose­ront renou­ve­ler les dis­putes sur ce sen­ti­ment, cette fête et ce culte, de quelque manière que ce soit, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, et aus­si sous quelque pré­texte que ce puisse être, même sous celui d’exa­mi­ner s’il peut y avoir lieu à une défi­ni­tion sur ce sujet, ou sous le pré­texte de faire des gloses ou des inter­pré­ta­tions sur la Sainte Ecriture, les saints Pères ou les Docteurs ; ou qui ose­ront enfin, sous quelque autre pré­texte et à quelque occa­sion que ce soit, de vive voix ou par écrit, par­ler, prê­cher, dis­ser­ter, dis­pu­ter, soit en affir­mant et déci­dant quelque chose à l’en­contre, soit en éle­vant des objec­tions et les lais­sant sans réponse, soit en employant enfin quelque autre forme ou moyen de dis­cus­sion que Nous ne pou­vons pas ici pré­voir ; outre les peines et les cen­sures conte­nues dans les Constitutions de Sixte IV et aux­quelles Nous vou­lons les sou­mettre et les sou­met­tons en effet par ces pré­sentes ; Nous vou­lons de plus que par le fait même, et sans autre décla­ra­tion, ils soient pri­vés de la facul­té de prê­cher, faire des leçons publiques, ensei­gner et inter­pré­ter et de toutes voies active et pas­sive dans quelque élec­tion que ce soit, et en outre que tou­jours par le seul fait, et sans autre décla­ra­tion préa­lable, ils soient frap­pés d’une per­pé­tuelle inha­bi­li­té à prê­cher, faire des leçons publiques, ensei­gner et inter­pré­ter, des­quelles peines Nous Nous réser­vons à Nous seul, et aux Pontifes romains Nos Successeurs, le droit d’ab­soudre et de dis­pen­ser, sans pré­ju­dice des autres peines qui pour­raient Nous paraître, à Nous et aux Pontifes romains, Nos Successeurs, devoir leur être infli­gées, et aux­quelles ils seront sou­mis, comme Nous les y sou­met­tons par la pré­sente Constitution, renou­ve­lant les Constitutions et Décrets de Paul V et de Grégoire XV, rap­pe­lés plus haut. »

Quant aux livres dans les­quels le sus­dit sen­ti­ment ou la légi­ti­mi­té de la fête et du culte éta­blis en consé­quence sont révo­qués en doute, et dans les­quels est écrit ou se lit quelque chose à l’en­contre, comme il a été dit plus haut, ou qui contiennent des dires, dis­cours, trai­tés et dis­putes contre les sen­ti­ments, fêtes et cultes sus­dits, soit que ces livres aient été publiés après le décret pré­ci­té de Paul V ou qu’ils voient le jour à l’a­ve­nir de quelque manière que ce soit, Nous les défen­dons sous les peines et les cen­sures conte­nues dans l’Index des livres pro­hi­bés, vou­lant et ordon­nant que, par le seul fait et sans autre décla­ra­tion, ils soient tenus pour expres­sé­ment défendus. »

Ordres religieux, Universités, évêques…

Au reste, tout le monde sait avec quel zèle cette doc­trine de l’Immaculée Conception de la Vierge, Mère de Dieu, a été ensei­gnée, sou­te­nue, défen­due par les Ordres reli­gieux les plus recom­man­dables, par les Facultés de théo­lo­gie les plus célèbres [14] et par les doc­teurs les plus ver­sés dans la science des choses divines. Tout le monde sait éga­le­ment com­bien les évêques ont mon­tré de sol­li­ci­tude pour sou­te­nir hau­te­ment et publi­que­ment, même dans les assem­blées ecclé­sias­tiques, que la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, en pré­vi­sion des mérites de Jésus-​Christ, Notre‑Seigneur et Rédempteur, n’a­vait jamais été sou­mise au péché ori­gi­nel ; mais qu’elle avait été entiè­re­ment pré­ser­vée de la tache d’o­ri­gine, et par consé­quent rache­tée d’une manière plus sublime.

Concile de Trente.

A tout cela, il faut ajou­ter une chose qui est assu­ré­ment d’un grand poids et de la plus haute auto­ri­té, c’est que le Concile de Trente lui-​même, en publiant son décret dog­ma­tique sur le péché ori­gi­nel, dans lequel, d’a­près les témoi­gnages des Saintes Ecritures, des saints Pères et des Conciles les plus auto­ri­sés, il est éta­bli et défi­ni que tous les hommes naissent atteints du péché ori­gi­nel, le saint Concile déclare pour­tant d’une manière solen­nelle que, mal­gré l’é­ten­due d’une défi­ni­tion si géné­rale, il n’a­vait pas l’in­ten­tion de com­prendre dans ce décret la Bienheureuse et Immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu. Par cette décla­ra­tion, les Pères du Concile de Trente ont fait suf­fi­sam­ment entendre, eu égard aux cir­cons­tances et aux temps, que la Bienheureuse Vierge avait été exempte de la tache ori­gi­nelle, et ils ont très clai­re­ment démon­tré qu’on ne pou­vait allé­guer avec rai­son, ni dans les divines Ecritures, ni dans la Tradition, ni dans l’au­to­ri­té des Pères, rien qui fût, de quelque manière que ce soit, en contra­dic­tion avec cette grande pré­ro­ga­tive de la Vierge [15].

2e partie ‑ la tradition des Anciens et des Pères.

(Remarque préliminaire : l’Eglise et la Tradition.) 

C’est qu’en effet cette doc­trine de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge a tou­jours exis­té dans l’Eglise ; l’Eglise, par la très grave auto­ri­té de son sen­ti­ment, par son ensei­gne­ment, par son zèle, sa science et son admi­rable sagesse, l’a de plus en plus mise en lumière, décla­rée, confir­mée et pro­pa­gée d’une manière mer­veilleuse chez tous les peuples et chez toutes les nations du monde catho­lique ; mais, de tout temps, elle l’a pos­sé­dée comme une doc­trine reçue des Anciens et des Pères, et revê­tue des carac­tères d’une doc­trine révé­lée. Les plus illustres monu­ments de l’Eglise d’Orient et de l’Eglise d’Occident, les plus véné­rables par leur anti­qui­té, en sont le témoi­gnage irré­cu­sable. Toujours atten­tive à gar­der et à défendre les dogmes dont elle a reçu le dépôt, l’Eglise de Jésus‑Christ n’y change jamais rien, n’en retranche jamais rien, n’y ajoute jamais rien ; mais por­tant un regard fidèle, dis­cret et sage sur les ensei­gne­ments anciens, elle recueille tout ce que l’an­ti­qui­té y a mis, tout ce que la foi des Pères y a semé. Elle s’ap­plique à le polir, à en per­fec­tion­ner la for­mule de manière que ces anciens dogmes de la céleste doc­trine reçoivent l’é­vi­dence, la lumière, la dis­tinc­tion, tout en gar­dant leur plé­ni­tude, leur inté­gri­té, leur carac­tère propre, en un mot, de façon qu’ils se déve­loppent sans chan­ger de nature, et qu’ils demeurent tou­jours dans la même véri­té, dans le même sens, dans la même pen­sée [16].

1. L’interprétation du protévangile.

Or, les Pères et les écri­vains ecclé­sias­tiques, nour­ris des paroles célestes, n’ont rien eu plus à cœur, dans les livres qu’ils ont écrits pour expli­quer l’Ecriture, pour défendre les dogmes et ins­truire les fidèles, que de louer et d’exal­ter à l’en­vi, de mille manières et dans les termes les plus magni­fiques, la par­faite sain­te­té de Marie, son excel­lente digni­té, sa pré­ser­va­tion de toute tache du péché et sa glo­rieuse vic­toire sur le cruel enne­mi du genre humain. C’est ce qu’ils ont fait en expli­quant les paroles par les­quelles Dieu, annon­çant dès les pre­miers jours du monde les remèdes pré­pa­rés par sa misé­ri­corde pour la régéné­ration et le salut des hommes, confon­dit l’au­dace du ser­pent trom­peur, et rele­va d’une façon si conso­lante l’es­pé­rance de notre race. Ils ont ensei­gné que par ce divin oracle : « Je met­trai l’i­ni­mi­tié entre toi et la femme, entre ta pos­té­ri­té et la sienne. » (Gen. III, 15.) Dieu avait clai­re­ment et ouver­te­ment mon­tré à l’a­vance le misé­ri­cor­dieux Rédempteur du genre humain, son Fils unique, Jésus­-​Christ, dési­gné sa bien­heu­reuse Mère, la Vierge Marie, et net­te­ment expri­mé l’i­ni­mi­tié de l’un et de l’autre contre le démon. En sorte que, comme le Christ, média­teur entre Dieu et les hommes, détrui­sit, en pre­nant la nature humaine, l’ar­rêt de condam­na­tion qui était contre nous et l’at­ta­cha triom­pha­le­ment à la croix ; ain­si la Très Sainte Vierge, unie étroi­te­ment, unie insé­pa­ra­ble­ment avec lui, fut, par lui et avec lui, l’é­ter­nelle enne­mie du ser­pent veni­meux, le vain­quit, le ter­ras­sa sous son pied vir­gi­nal et sans tache, et lui bri­sa la tête [17]).

2. L’application des figures bibliques.

Cette écla­tante et incom­pa­rable vic­toire de la Vierge, cette inno­cence, cette pure­té, cette sain­te­té par excel­lence, cette exemp­tion de tout péché, cette gran­deur et cette inef­fable abon­dance de toutes les grâces, de toutes les ver­tus, de tous les pri­vi­lèges dont elle fut com­blée, les mêmes Pères les ont vus, soit dans cette arche de Noé qui seule, divi­ne­ment édi­fiée, a com­plè­te­ment échap­pé au com­mun nau­frage du monde entier (Gn VI-​IX) ; soit dans l’é­chelle que contem­pla Jacob, dans cette échelle qui s’é­le­va de la terre jus­qu’au ciel, dont les anges de Dieu mon­taient et des­cen­daient les degrés, et sur le som­met de laquelle s’ap­puyait Dieu lui‑même (Gn XXVIII, 12) ; soit dans ce buis­son ardent que Moïse vit brû­ler dans un lieu saint, et qui, loin d’être consu­mé par les flammes pétillantes, loin d’en éprou­ver même la moindre alté­ra­tion, n’en était que plus vert et plus flo­ris­sant (Exode III, 2) ; soit dans cette tour inex­pug­nable à l’en­ne­mi et de laquelle pendent mille bou­cliers et toute l’ar­mure des forts (Cant. IV, 4) ; soit dans ce jar­din fer­mé qui ne sau­rait être pro­fa­né et qui ne craint ni les souillures, ni les embûches (Cant. IV, 12) ; soit dans cette cité de Dieu tout étin­ce­lante de clar­tés et dont les fon­de­ments sont assis sur les mon­tagnes saintes (Ps 86,1); soit dans cet auguste temple de Dieu tout rayon­nant des splen­deurs divines et tout plein de la gloire du Seigneur (Is​.VI, 1–4); soit enfin dans une foule d’autres figures de ce genre qui, sui­vant les Pères, ont été les emblèmes écla­tants de la haute digni­té de la Mère de Dieu, de sa per­pé­tuelle inno­cence, et de cette sain­te­té qui n’a jamais souf­fert la plus légère atteinte.

3. L’application des paroles symboliques.

Pour décrire ce même assem­blage de tous les dons célestes et cette ori­gi­nelle inté­gri­té de la Vierge, de laquelle est né Jésus, les mêmes Pères, emprun­tant les paroles des pro­phètes, ont célé­bré cette auguste Vierge, comme la colombe pure, comme la sainte Jérusalem, comme le trône éle­vé de Dieu, l’arche de la sanc­ti­fi­ca­tion et la demeure que s’est bâtie l’é­ter­nelle Sagesse ; comme la Reine qui, com­blée des plus riches tré­sors et appuyée sur son bien-​aimé, est sor­tie de la bouche du Très‑Haut, par­faite, écla­tante de beau­té, entiè­re­ment agréable à Dieu, sans aucune tache, sans aucune flétrissure.

4. L’interprétation de la salutation de l’archange Gabriel et d’Elisabeth.

Ce n’est pas tout, les mêmes Pères, les mêmes écri­vains ecclé­sias­tiques ont médi­té pro­fon­dé­ment les paroles que l’ange Gabriel adres­sa à la Vierge Bienheureuse lorsque, lui annon­çant qu’elle aurait l’hon­neur insigne d’être la Mère de Dieu, il la nom­ma « Pleine de grâces » (Lc I, 28), et consi­dé­rant ces paroles pro­non­cées au nom de Dieu même et par son ordre, ils ont ensei­gné que par cette solen­nelle salu­ta­tion, salu­ta­tion sin­gu­lière et inouïe jusque‑là, la Mère de Dieu nous était mon­trée comme le siège de toutes les grâces divines, comme ornée de toutes les faveurs de l’Esprit divin, bien plus, comme un tré­sor presque infi­ni de ces mêmes faveurs, comme un abîme de grâce et un abîme sans fond, de telle sorte qu’elle n’a­vait jamais été sou­mise à la malé­dic­tion, mais avait par­ta­gé avec son Fils la per­pé­tuelle béné­dic­tion qu’elle avait méri­tée d’en­tendre de la bouche d’Elisabeth, ins­pi­rée par l’Esprit-​Saint‑ : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. » (Lc I, 42) [18])

5. L’antithèse de la première et de la seconde l’Ève.

De là ces pen­sées, expri­mées aus­si una­ni­me­ment qu’é­lo­quem­ment par les mêmes Pères, que la très glo­rieuse Vierge, Celle en qui le Tout‑Puissant a fait de grandes choses, a été com­blée d’une telle effu­sion de tous les dons célestes, d’une telle plé­ni­tude de grâces, d’un tel éclat de sain­te­té, qu’elle a été comme le miracle inef­fable de Dieu, ou plu­tôt le chef‑d’œuvre de tous les miracles ; qu’elle a été la digne Mère de Dieu, qu’elle s’est appro­chée de Dieu même autant qu’il est per­mis à la nature créée, et qu’ain­si elle est au‑dessus de toutes les louanges, aus­si bien de celles des anges, que de celles des hommes. C’est aus­si pour cela, qu’a­fin d’é­ta­blir l’in­no­cence et la jus­tice ori­gi­nelle de la Mère de Dieu, non seule­ment ils l’ont très sou­vent com­pa­rée avec Eve encore vierge, encore inno­cente, encore exempte de cor­rup­tion, avant qu’elle eût été trom­pée par le piège mor­tel de l’as­tu­cieux ser­pent, mais, avec une admi­rable varié­té de pen­sées et de paroles, ils la lui ont même una­ni­me­ment pré­fé­rée. Eve, en effet, pour avoir misé­ra­ble­ment obéi au ser­pent, per­dit l’in­no­cence ori­gi­nelle et devint son esclave ; mais la Vierge Bienheureuse, crois­sant tou­jours dans la grâce ori­gi­nelle, ne prê­ta jamais l’o­reille au ser­pent, et ébran­la pro­fon­dé­ment sa puis­sance et sa force par la ver­tu qu’elle avait reçue de Dieu.

6. Les images ou les métaphores.

Aussi n’ont‑ils jamais ces­sé d’ap­pe­ler la Mère de Dieu, ou bien un lys par­mi les épines, ou bien une terre abso­lu­ment intacte, une terre vierge, dont aucune tache n’a même effleu­ré la sur­face, une terre tou­jours bénie, libre de toute conta­gion du péché, et dont a été for­mé le nou­vel Adam ; ou bien un irré­pro­chable, un écla­tant, un déli­cieux para­dis d’in­no­cence et d’im­mor­ta­li­té, plan­té par Dieu lui‑même, et inac­ces­sible à tous les pièges du ser­pent veni­meux ; ou bien un bois incor­rup­tible que le péché, ce ver ron­geur, n’a jamais atteint ; ou bien une fon­taine tou­jours lim­pide et scel­lée par la ver­tu du Saint‑Esprit ; ou bien un temple divin, un tré­sor d’im­mor­ta­li­té ; ou bien la seule et unique fille non de la mort, mais de la vie, une pro­duc­tion non de colère, mais de grâce, une plante tou­jours verte qui, par une pro­vi­dence spé­ciale de Dieu, et contre les lois com­munes, est sor­tie flo­ris­sante d’une racine flé­trie et corrompue.

7. Les affirmations propres et expresses.

Tout cela est plus clair que le jour ; cepen­dant, comme si ce n’é­tait point assez, les Pères ont, en propres termes et d’une manière expresse, décla­ré que, lors­qu’il s’a­git de péché, il ne doit pas en aucune façon être ques­tion de la Sainte Vierge Marie parce qu’elle a reçu plus de grâce, afin qu’en elle le péché fût abso­lu­ment vain­cu et de toutes parts [19]. Ils ont encore pro­fes­sé que la Très glo­rieuse Vierge avait été la répa­ra­trice de ses ancêtres et qu’elle avait vivi­fié sa pos­té­ri­té ; que le Très-​Haut l’a­vait choi­sie et se l’é­tait réser­vée dès le com­men­ce­ment des siècles ; que Dieu l’a­vait pré­dite et annon­cée quand il dit au ser­pent : « Il met­trai l’i­ni­mi­tié entre toi et la femme » (Gn III, 15), et que, sans aucun doute, elle a écra­sé la tête veni­meuse de ce même ser­pent ; et pour cette rai­son, ils ont affir­mé que la même Vierge Bienheureuse avait été, par la grâce, exempte de toute tache du péché, libre de toute conta­gion et du corps, et de l’âme, et de l’in­tel­li­gence ; qu’elle avait tou­jours conver­sé avec Dieu ; qu’u­nie avec Lui par une alliance éter­nelle, elle n’a­vait jamais été dans les ténèbres, mais tou­jours dans la lumière, et par consé­quent qu’elle avait été une demeure tout à fait digne du Christ, non à cause de la beau­té de son corps, mais à cause de sa grâce originelle.

8. Les expressions d’universelle et suréminente sainteté.

Viennent enfin les plus nobles et les plus belles expres­sions par les­quelles, en par­lant de la Vierge, ils ont attes­té que, dans sa Conception, la nature avait fait place à la grâce et s’é­tait arrê­tée trem­blante devant elle, n’o­sant aller plus loin. Il fal­lait, disent-​ils, avant que la Vierge Mère de Dieu fût conçue par Anne, sa mère, que la grâce eût fait son œuvre et don­né son fruit ; il fal­lait que Celle qui devait conce­voir le premier-​né de toute créa­ture fût elle-​même conçue première-​née. Ils ont attes­té que la chair reçue d’Adam par la Vierge n’a­vait pas contrac­té les souillures d’Adam, et que pour cette rai­son la Vierge Bienheureuse était un taber­nacle créé par Dieu lui-​même, for­mé par le Saint-​Esprit, d’un tra­vail aus­si beau que la pourpre, et sur lequel ce nou­veau Béséléel (Exode XXXI, 2) s’é­tait plu à répandre l’or et les plus riches bro­de­ries ; qu’elle devait être célé­brée comme Celle qui avait été la pre­mière œuvre propre de Dieu, comme Celle qui avait échap­pé aux traits de feu du malin enne­mi, et qui, belle par nature, igno­rant abso­lu­ment toute souillure, avait paru dans le monde, par sa Conception Immaculée, comme l’é­cla­tante aurore qui jette de tous côtés ses rayons. Il ne conve­nait pas, en effet, que ce vase d’é­lec­tion subît le com­mun outrage, puis­qu’il était si dif­fé­rent des autres, et n’a­vait avec eux de com­mun que la nature, non la faute ; bien plus, comme le Fils unique a dans le ciel un Père, que les séra­phins pro­clament trois fois saint, il conve­nait abso­lu­ment qu’il eût sur la terre une Mère en qui l’é­clat de sa sain­te­té n’eût jamais été flé­tri. Et cette doc­trine a tel­le­ment rem­pli l’es­prit et le cœur des Anciens et des Pères que, par un lan­gage éton­nant et sin­gu­lier, qui a pré­va­lu par­mi eux, ils ont très sou­vent appe­lé la Mère de Dieu Immaculée et par­fai­te­ment imma­cu­lée, inno­cente et très inno­cente, irré­pro­chable et abso­lu­ment irré­pro­chable, sainte et tout à fait étran­gère à toute souillure de péché, toute pure et toute chaste, le modèle et pour ain­si dire la forme même de la pure­té et de l’in­no­cence, plus belle et plus gra­cieuse que la beau­té et la grâce même, plus sainte que la sain­te­té, seule sainte et très pure d’âme et de corps, telle enfin qu’elle a sur­pas­sé toute inté­gri­té, toute vir­gi­ni­té, et que seule deve­nue tout entière le domi­cile et le sanc­tuaire de toutes les grâces de l’Esprit-​Saint, elle est, à l’ex­cep­tion de Dieu seul, supé­rieure à tous les êtres, plus belle, plus noble, plus sainte, par sa grâce native, que les ché­ru­bins eux-​mêmes, que les séra­phins et toute l’ar­mée des anges, [20] si excel­lente, en un mot, que pour la louer, les louanges du ciel et celles de la terre sont éga­le­ment impuis­santes. Personne, au reste, n’i­gnore que tout ce lan­gage a pas­sé, comme de lui-​même, dans les monu­ments de la litur­gie sacrée et dans les offices de l’Eglise, qu’on l’y ren­contre à chaque pas et qu’il y domine ; puisque la Mère de Dieu y est invo­quée et louée, comme une colombe unique de pure­té et de beau­té ; comme une rose tou­jours belle, tou­jours fleu­rie, abso­lu­ment pure, tou­jours imma­cu­lée et tou­jours sainte, tou­jours heu­reuse, et qu’elle y est célé­brée comme l’in­no­cence qui n’a jamais été bles­sée ; enfin, comme une autre Eve, qui a enfan­té l’Emmanuel.

La définition dogmatique de l’Immaculée Conception

1. pétitions anciennes et nouvelles.

Faut-​il s’é­ton­ner, après cela, si une doc­trine, qui, au juge­ment des Pères, est consi­gnée dans les Saintes Ecritures, qu’ils ont eux-​mêmes trans­mise et attes­tée tant de fois et d’une manière si impo­sante, que tant d’illustres monu­ments d’une anti­qui­té véné­rable contiennent d’une manière expresse, que l’Eglise a pro­po­sée et confir­mée par la très grave auto­ri­té de son juge­ment ; en un mot, si la doc­trine de l’Immaculée Conception de la Vierge, Mère de Dieu, a été l’ob­jet d’une telle pié­té, d’une telle véné­ra­tion, d’un tel amour ; si les pas­teurs de l’Eglise elle-​même et les peuples fidèles se sont fait une telle gloire de la pro­fes­ser chaque jour davan­tage, en sorte que leur plus douce conso­la­tion, leur joie la plus chère a été d’ho­no­rer, de véné­rer, d’in­vo­quer et de pro­cla­mer par­tout, avec la plus tendre fer­veur, la Vierge, Mère de Dieu, conçue sans la tache ori­gi­nelle ? Aussi, depuis les temps anciens, les évêques, les ecclé­sias­tiques, les Ordres régu­liers et même les empe­reurs et les rois ont ins­tam­ment prié le Siège apos­to­lique de défi­nir comme un dogme de la foi catho­lique l’Immaculée Conception de la Très Sainte Mère de Dieu [21]. De nos jours même, ces demandes ont été réité­rées, et sur­tout elles ont été pré­sen­tées à Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heu­reuse mémoire [22], et à Nous-​même, tant par les évêques, par le cler­gé sécu­lier et par le cler­gé régu­lier, que par les princes sou­ve­rains et les peuples fidèles [23].

2. La préparation immédiate.

a) L’initiative du Pape.

Prenant donc en sérieuse consi­dé­ra­tion, dans une joie pro­fonde de Notre cœur, tous ces faits, dont nous avons une pleine connais­sance ; à peine éle­vé sur la Chaire de Saint Pierre, mal­gré Notre indi­gni­té, par un secret des­sein de la divine Providence, avons-​Nous pris en main le gou­ver­nail de toute l’Eglise, que Notre plus ardent désir a été, sui­vant la véné­ra­tion, la pié­té et l’a­mour dont Nous sommes ani­mé depuis Nos plus tendres années envers la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, d’a­che­ver tout ce qui pou­vait être encore dans les vœux de l’Eglise, afin d’ac­croître l’hon­neur de la Bienheureuse Vierge et de répandre un nou­vel éclat sur ses prérogatives.

b) La Congrégation cardinalice et la consulte des théologiens.

Mais vou­lant y appor­ter toute la matu­ri­té pos­sible, Nous avons ins­ti­tué une Congrégation par­ti­cu­lière, for­mée de car­di­naux de la Sainte Eglise romaine, Nos Vénérables Frères, illustres par leur pié­té, leur sagesse et leur science des choses divines [24], et Nous avons choi­si, tant dans le cler­gé sécu­lier que dans le cler­gé régu­lier, des hommes spé­cia­le­ment ver­sés dans les sciences théo­lo­giques, afin qu’ils exa­mi­nassent avec le plus grand soin tout ce qui regarde l’Immaculée Conception de la Vierge et Nous fissent connaître leur propre sen­ti­ment [25].

c) Le Concile « par écrit ».

En outre, bien que les demandes par les­quelles on Nous sol­li­ci­tait de défi­nir enfin l’Immaculée Conception Nous eussent ins­truit du sen­ti­ment d’un très grand nombre d’é­vêques, Nous avons adres­sé une Encyclique, datée de Gaète, 2 février 1849 [26], à tous nos Vénérables Frères les évêques, de tout l’u­ni­vers catho­lique, afin qu’a­près avoir adres­sé à Dieu leurs prières, ils nous fissent connaître par écrit quelle était la dévo­tion et la pié­té de leurs fidèles envers la Conception Immaculée de la Mère de Dieu, et sur­tout ce qu’eux-​mêmes pen­saient et dési­raient tou­chant la défi­ni­tion pro­je­tée afin que Nous puis­sions rendre Notre juge­ment suprême le plus solen­nel­le­ment possible.

Certes, Notre Cœur n’a pas reçu une médiocre conso­la­tion lorsque les réponses de Nos Vénérables Frères Nous sont par­ve­nues ; car non seule­ment dans ces réponses, toutes pleines d’une joie, d’une allé­gresse et d’un zèle admi­rables, ils Nous confir­maient leur propre sen­ti­ment et leur dévo­tion par­ti­cu­lière, ain­si que celle de leur cler­gé et de leur peuple fidèle envers la Conception Immaculée de la Bienheureuse Vierge, mais ils Nous deman­daient, comme d’un vœu una­nime, de défi­nir par Notre juge­ment et auto­ri­té suprême l’Immaculée Conception de la Vierge [27]. Notre joie n’a pas été moins grande lorsque Nos Vénérables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise romaine, membres de la Congrégation par­ti­cu­lière dont Nous avons par­lé plus haut, et les théo­lo­giens consul­teurs choi­sis par Nous, Nous ont deman­dé avec le même empres­se­ment et le même zèle, après un mûr exa­men, cette défi­ni­tion de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu [28].

d) Le Consistoire.

Après ces choses, sui­vant donc les traces illustres de Nos Prédécesseurs, et dési­rant pro­cé­der régu­liè­re­ment et selon les formes, Nous avons convo­qué et tenu un Consistoire, dans lequel, après avoir adres­sé une allo­cu­tion à Nos Vénérables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise romaine, Nous les avons enten­dus avec la plus grande conso­la­tion Nous deman­der de vou­loir bien pro­non­cer la défi­ni­tion dog­ma­tique de l’Immaculée Conception de la Vierge Mère de Dieu [29].

e) La décision.

C’est pour­quoi, plein de confiance, et per­sua­dé dans le Seigneur que le temps oppor­tun est venu de défi­nir l’Immaculée Conception de la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, que les paroles divines, la véné­rable tra­di­tion, le sen­ti­ment constant de l’Eglise, l’u­na­nime accord des évêques catho­liques et des fidèles, les actes mémo­rables de Nos Prédécesseurs, ain­si que leurs Constitutions, ont mise dans une admi­rable lumière et si for­mel­le­ment décla­rée ; après avoir mûre­ment pesé toutes choses, après avoir répan­du devant Dieu d’as­si­dues et de fer­ventes prières, Nous avons pen­sé qu’il ne fal­lait pas tar­der davan­tage à sanc­tion­ner et défi­nir par Notre juge­ment suprême l’Immaculée Conception de la Vierge, à satis­faire ain­si les si pieux dési­rs du monde catho­lique et Notre propre pié­té envers la Très Sainte Vierge, et en même temps à hono­rer de plus en plus en elle son Fils unique Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, puisque tout l’hon­neur et toute la gloire que l’on rend à la Mère rejaillit sur le Fils.

3. La définition dogmatique.

En consé­quence, après avoir offert sans relâche, dans l’hu­mi­li­té et le jeûne, Nos propres prières et les prières publiques de l’Eglise à Dieu le Père par son Fils, afin qu’il dai­gnât, par la ver­tu de l’Esprit-​Saint, diri­ger et confir­mer Notre esprit ; après avoir implo­ré le secours de toute la cour céleste et invo­qué avec gémis­se­ments l’Esprit conso­la­teur, et ain­si, par sa divine ins­pi­ra­tion, pour l’hon­neur de la Sainte et Indivisible Trinité, pour la gloire et l’or­ne­ment de la Vierge Mère de Dieu, pour l’exal­ta­tion de la foi catho­lique et l’ac­crois­se­ment de la reli­gion chré­tienne ; par l’au­to­ri­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, des Bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre,

Nous décla­rons, Nous pro­non­çons et défi­nis­sons que la doc­trine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le pre­mier ins­tant de sa Conception, a été, par une grâce et un pri­vi­lège spé­cial du Dieu Tout-​Puissant, en vue des mérites de Jésus-​Christ, Sauveur du genre humain, pré­ser­vée et exempte de toute tache du péché ori­gi­nel, est révé­lée de Dieu, et par consé­quent qu’elle doit être crue fer­me­ment et constam­ment par tous les fidèles. [30]

C’est pour­quoi, si quelques-​uns avaient la pré­somp­tion, ce qu’à Dieu ne plaise, de pen­ser contrai­re­ment à Notre défi­ni­tion, qu’ils apprennent et qu’ils sachent que condam­nés par leur propre juge­ment ils ont fait nau­frage dans la foi et ces­sé d’être dans l’u­ni­té de l’Eglise ; et que, de plus, ils encourent par le fait même les peines de droit, s’ils osent expri­mer ce qu’ils pensent de vive voix ou par écrit, ou de toute autre manière exté­rieure que ce soit.

4. Résultats espérés

a) Pour l’Eglise.

En véri­té, Notre bouche est pleine de joie et Notre langue est dans l’al­lé­gresse ; et Nous ren­dons et ren­drons tou­jours les plus humbles et les plus pro­fondes actions de grâces à Notre-​Seigneur de ce que, par une faveur sin­gu­lière, il Nous a accor­dé, sans mérite de Notre part, d’of­frir et de décer­ner cet hon­neur, cette gloire et cette louange à sa Très Sainte Mère. Nous avons la plus ferme espé­rance et la confiance la plus assu­rée que la Vierge Bienheureuse qui, toute belle et tout imma­cu­lée, a écra­sé la tête veni­meuse du cruel ser­pent et appor­té le salut du monde ; qui est la louange des pro­phètes et des apôtres, l’hon­neur des mar­tyrs, la joie et la cou­ronne de tous les saints, le refuge le plus assu­ré de tous ceux qui sont en péril, le secours le plus fidèle, la média­trice la plus puis­sante de l’u­ni­vers entier auprès de son Fils unique pour la récon­ci­lia­tion ; la gloire la plus belle, l’or­ne­ment le plus écla­tant, le plus solide appui de la sainte Eglise ; qui a tou­jours détruit toutes les héré­sies, arra­ché les peuples et les nations fidèles à toutes les plus grandes cala­mi­tés, et Nous-​même déli­vré de tant de périls mena­çants, vou­dra bien faire en sorte, par sa pro­tec­tion toute-​puissante, que la Sainte Mère l’Eglise catho­lique, toutes les dif­fi­cul­tés étant écar­tées, toutes les erreurs vain­cues, soit de jour en jour plus forte, plus flo­ris­sante chez toutes les nations et dans tous les lieux ; qu’elle règne d’une mer à l’autre et depuis les rives du fleuve jus­qu’aux extré­mi­tés du monde ; qu’elle jouisse d’une paix entière, d’une par­faite tran­quilli­té et liber­té ; que les cou­pables obtiennent leur par­don les malades leur gué­ri­son, les faibles de cœur la force les affli­gés la conso­la­tion, ceux qui sont en dan­ger le secours ; que tous ceux qui sont dans l’er­reur, déli­vrés des ténèbres qui couvrent leur esprit, rentrent dans le che­min de la véri­té et de la jus­tice, et qu’il n’y ait plus qu’un seul ber­cail et qu’un seul pasteur.

b) Pour la dévotion à Marie Immaculée.

Que les enfants de l’Eglise catho­lique, Nos Fils bien-​aimés, entendent nos paroles, et qu’a­ni­més chaque jour d’une pié­té, d’une véné­ra­tion, d’un amour plus ardents, ils conti­nuent d’ho­no­rer, d’in­vo­quer, de prier la Bienheureuse Mère de Dieu, la Vierge Marie, conçue sans la tache ori­gi­nelle ; et que, dans tous leurs périls, dans leurs angoisses, dans leurs néces­si­tés, dans leurs doutes et dans leurs craintes, ils se réfu­gient avec une entière confiance auprès de cette très douce Mère de misé­ri­corde et de grâce. Car il ne faut jamais craindre, il ne faut jamais déses­pé­rer, sous la conduite, sous les aus­pices, sous le patro­nage, sous la pro­tec­tion de Celle qui a pour nous un cœur de Mère, et qui, trai­tant elle-​même l’af­faire de notre salut, étend sa sol­li­ci­tude sur tout le genre humain ; qui, éta­blie par le Seigneur Reine du ciel et de la terre, et éle­vée au-​dessus de tous les chœurs des anges et de tous les rangs des saints, se tient à la droite de son Fils unique, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, inter­cède effi­ca­ce­ment par toute la puis­sance des prières mater­nelles, et trouve ce qu’elle cherche, et son inter­ces­sion ne peut être sans effet.

5. Promulgation.

Enfin, pour que cette défi­ni­tion dog­ma­tique par Nous pro­non­cée tou­chant l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, soit por­tée à la connais­sance de l’Eglise uni­ver­selle, Nous avons vou­lu la consi­gner dans nos pré­sentes Lettres apos­to­liques, en per­pé­tuelle mémoire de la chose, ordon­nant que les copies manus­crites qui seront faites des­dites Lettres, ou même les exem­plaires qui en seront impri­més, contre­si­gnés par un notaire public, et munis du sceau d’une per­sonne consti­tuée en digni­té ecclé­sias­tique, fassent foi auprès de tous, de la même manière abso­lu­ment que le feraient les pré­sentes Lettres elles-​mêmes, si elles étaient exhi­bées ou produites.

Qu’il ne soit donc per­mis à qui que ce soit de contre­dire, par une auda­cieuse témé­ri­té, ce texte écrit de Notre décla­ra­tion, déci­sion et défi­ni­tion ou bien d’y por­ter atteinte et de s’y oppo­ser. Que si quel­qu’un avait la har­diesse de l’en­tre­prendre, qu’il sache qu’il encour­rait le cour­roux du Dieu Tout-​Puissant et de ses apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, l’an­née mil huit cent cin­quante qua­trième de l’Incarnation de Notre Seigneur, le sixième jour avant les ides de décembre de l’an 1854, de Notre pon­ti­fi­cat le neuvième. 

PIE IX, Pape

Notes de bas de page
  1. Résumé par Gervais Dumeige, S. J., La foi catho­lique, 1960[]
  2. De ces paroles, nombre de théo­lo­giens tirent argu­ment pour affir­mer que la grâce, en Marie, dès sa Conception Immaculée (grâce ini­tiale), fut plus grande. non seule­ment que la grâce de cha­cun des anges et des saints à son terme (grâce finale), mais encore que cette même grâce finale de tous les anges et de tous les saints pris ensemble. (Voir GARRIGOU-​LAGRANGE, O. P. : Mariologie, la Mère du Sauveur et notre vie inté­rieure, p. 67 et suiv. Edit. de l’Abeille, 1941.[]
  3. En Orient, la fête com­men­ça d’exis­ter au moins dès la fin du VIIe siècle à la date du 9 décembre, sous les noms de l’Annonce de la Conception de la Mère de Dieu, puis de Conception de la Mère de Dieu, avec pour thème prin­ci­pal dans la litur­gie et les homé­lies Marie conçue imma­cu­lée. En Occident, elle appa­raît suc­ces­si­ve­ment à dif­fé­rentes dates (9 ou 8 décembre ; mai), en Italie méri­dio­nale (IXe s.) ; en Irlande (IXe et Xe s.) ; en Angleterre et en Espagne (XIe s.) ; en Normandie et à Lyon et dans de nom­breux dio­cèses de France et en Allemagne (XIIes.)… Fin du XIVe et début du XVe siècle on peut dire que la fête était presque uni­ver­sel­le­ment célé­brée. Les Papes d’a­bord l’au­to­ri­sèrent, puis y par­ti­ci­pèrent pen­dant leur séjour à Avignon (1309–1377) et à leur retour à Rome, et enfin l’a­do­ptèrent (XIVe, s.). Par la Bulle Commissi nobis (6 décembre 1708), le Pape Clément XI l’im­po­sa à toute l’Eglise : « Par l’au­to­ri­té apos­to­lique et la teneur des pré­sentes, Nous décré­tons, ordon­nons et man­dons que la fête de la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie Immaculée soit désor­mais obser­vée et célé­brée en tous lieux, comme les autres fêtes de pré­cepte, par tous les fidèles de l’un et l’autre sexes, et qu’elle soit insé­rée au nombre des fêtes qu’on est tenu d’ob­ser­ver. »[]
  4. Du Pape Sixte IV (1471–1484) datent les pre­miers docu­ments solen­nels des Papes en faveur de la fête et de la doc­trine de l’Immaculée Conception. 

    Le 29 avril 1476, par sa Constitution Cum praeex­cel­sa, le Pape Sixte IV approu­va et recom­man­da l’of­fice propre de la Conception com­po­sé par le Frère mineur Léonard de Nogarole et le 4 octobre 1480, par le Bref Libenter ad ea un autre office du Franciscain Bernardin de Busti. Enfin, en 1482 et 1483, par la Bulle Grave nimis, Sixte IV por­tait des cen­sures contre ceux qui accu­saient d’hé­ré­sie les tenants de la Conception Immaculée et de sa fête. 

    Après Sixte IV, les Actes pon­ti­fi­caux en faveur de l’Immaculée Conception se mul­ti­plient : « A part ceux qui régnèrent très peu de temps, les vingt-​cinq Papes qui gou­ver­nèrent l’Eglise pen­dant cette période d’en­vi­ron deux siècles (1486–1667) ont presque tous mani­fes­té leur dévo­tion envers la Vierge Immaculée par des actes en sa faveur ; actes très nom­breux, dont on trouve l’é­nu­mé­ra­tion détaillée dans une Bulle, Mulierem pul­chram, que Benoît XIV avait fait pré­pa­rer, mais qui ne fut pas publiée. » (X. LE BACHELET, Diction. de théol. cath., t. VII, col. 1164.) Dans ces condi­tions, on s’ex­plique mal la remarque de G. Herzog : « Quand on par­court la série des Actes pon­ti­fi­caux rela­tifs à la Conception de la Vierge, la pre­mière impres­sion qu’on éprouve c’est celle de la stu­pé­fac­tion. Ce qu’un Pape fait, l’autre le défait ; le tra­vail de la veille est détruit le len­de­main : on se trouve en pré­sence de la toile de Pénélope. » (Cité par LE BACHELET, art. cit., col. 1188.) []

  5. Décret de la Sacrée Congrégation des Rites du 30 sep­tembre 1847.[]
  6. On voit la dif­fé­rence. Sanctification, c’est-​à-​dire l’u­nion à Dieu par la grâce, et Conception Immaculée ne sont pas syno­nymes : saint Jean-​Baptiste a été sanc­ti­fié avant sa nais­sance ; il n’est pas imma­cu­lé dans la concep­tion. Les deux expres­sions ne signi­fie­raient la même chose qu’à la condi­tion de spé­ci­fier que Marie a été sanc­ti­fiée dès le pre­mier ins­tant de sa Conception. Et telle n’é­tait pas l’in­ten­tion de ceux qui par­laient de la sanc­ti­fi­ca­tion de Marie, plu­tôt que de sa Conception Immaculée. Déjà, dès le XIIIe, siècle, ceux qui ne croyaient pas pou­voir sous­crire à la Conception Immaculée de Marie, à cause de l’u­ni­ver­sa­li­té de la Rédemption, avaient réduit la fête de la Conception à l’i­dée de la sanc­ti­fi­ca­tion. Selon leur inter­pré­ta­tion, on célé­brait la sanc­ti­fi­ca­tion de Marie au jour de sa Conception, dans l’i­gno­rance où l’on était du moment pré­cis de cette sanc­ti­fi­ca­tion. (Voir : S. THOMAS. Somme Théol., III. q. 27, art. 2, ad 3.[]
  7. Pour sau­ver le prin­cipe de la Rédemption de tous les hommes par le Christ, d’au­cuns ima­gi­naient, en effet, un pre­mier ins­tant où Marie avait été conçue avec le péché, et un second ins­tant immé­diat où elle avait été sanc­ti­fiée. C’est en ce sens, pensaient-​ils, qu’on peut prê­cher et fêter l’Immaculée Conception : le second ins­tant sui­vant immé­dia­te­ment le pre­mier, on ne dis­tin­gue­rait pas dans la pra­tique. En réa­li­té, c’é­tait nier le pri­vi­lège de l’Immaculée Conception tel que le conçoit l’Eglise : Marie n’a jamais exis­té avec le péché.[]
  8. Constitution Sollicitudo omnium eccle­sia­rum du 8 décembre 1661. Avec Sixte IV et jus­qu’à la défi­ni­tion dog­ma­tique (1854), Alexandre VII est un des trois Papes qui ont le plus fait pour l’Immaculée Conception : Sixte IV a approu­vé offi­ciel­le­ment la fête (1476) ; Alexandre VII en a déter­mi­né l’ob­jet propre : l’Immaculée Conception (1661) Clément XI a éten­du la fête à l’Eglise uni­ver­selle (1708).[]
  9. Voir note 3.[]
  10. En 1659, le roi d’Espagne, Philippe IV, avait envoyé à Rome, Louis Crespi de Borgia, évêque de Plasencia, avec mis­sion de sol­li­ci­ter du Pape une décla­ra­tion sur l’ob­jet propre du culte de la Conception de Marie, c’est-​à-​dire, sur sa Conception même exempte du péché ori­gi­nel, et non sur sa sanc­ti­fi­ca­tion.[]
  11. Voir note 3.[]
  12. Constitution Sanctissimus du 12 sep­tembre 1617. Paul V ordon­nait entre autres » de ne plus se per­mettre à l’a­ve­nir, dans les pré­di­ca­tions, les leçons, les conclu­sions et autres actes de toute nature, d’af­fir­mer publi­que­ment, jus­qu’à défi­ni­tion ou déro­ga­tion de la part de Sa Sainteté ou du Siège apos­to­lique, que la Bienheureuse Vierge a été conçue dans le péché ori­gi­nel ».[]
  13. Constitution Sanctissimus du 4 juin 1622. Grégoire XV éten­dait la défense por­tée par son pré­dé­ces­seur Paul V aux ser­mons et aux écrits pri­vés et don­nait l’ordre de fêter la Conception de Marie, comme l’Eglise romaine, c’est‑à‑dire « de ne pas employer d’autre terme que celui de Conception à la messe et dans l’of­fice divin, public ou pri­vé.[]
  14. Célèbre entre toutes est la déci­sion prise par la Sorbonne le 3 mars 1496. Par cette déci­sion, elle décré­tait que tous ceux qui se pré­sen­taient aux grades de l’Université devaient s’en­ga­ger par ser­ment à défendre l’Immaculée Conception de Marie. Ce à quoi elle tint rigou­reu­se­ment dans la suite.[]
  15. Les cir­cons­tances his­to­riques sou­lignent la valeur de cette inter­pré­ta­tion de la pen­sée du Concile de Trente (1546). Le texte pri­mi­tif sur l’u­ni­ver­selle trans­mis­sion du péché ori­gi­nel, sans cor­rec­tif, aurait pu lais­ser des doutes sur la Conception Immaculée de Marie. Dans les débats qu’il occa­sion­na, plus des deux tiers des membres de l’Assemblée, à com­men­cer par son pre­mier pré­sident, le car­di­nal del Monte, pro­po­sèrent dif­fé­rentes addi­tions pour qu’il appa­rût bien qu’il n’y incluaient pas la Sainte Vierge. Le cor­rec­tif adop­té ne consti­tue pas néan­moins une défi­ni­tion par le biais : les Pères du Concile avaient décla­ré qu’ils ne vou­laient pas abor­der ce pro­blème.[]
  16. Ces lignes indiquent par­fai­te­ment le rôle de l’Eglise elle ne crée pas la Tradition, dans laquelle, comme dans l’Ecriture, sont conte­nues les véri­tés révé­lées par Dieu : « Elle n’y change jamais rien, n’en retranche jamais rien, n’y ajoute jamais rien. » Elle en donne le sens authen­tique dans des for­mules plus pré­cises : « De manière que ces anciens dogmes de la céleste doc­trine reçoivent l’é­vi­dence, la lumière, la dis­tinc­tion, tout en gar­dant leur plé­ni­tude, leur inté­gri­té, leur carac­tère propre. »[]
  17. On n’en fini­rait pas de don­ner les mul­tiples opi­nions des com­men­ta­teurs sur le pro­té­van­gile. Dégageons seule­ment l’i­dée géné­rale qui importe ici : « La femme de la Genèse et son lignage dési­gnent, à tout le moins prin­ci­pa­le­ment, Marie et son divin Fils, l’i­ni­mi­tié annon­cée et vou­lue effi­ca­ce­ment par Dieu se pré­sente comme com­mune à l’un et à l’autre ; elle sera pour la Mère comme pour le Fils, com­plète, abso­lue. C’est là ce qui donne au plan de revanche divin toute sa signi­fi­ca­tion et toute sa por­tée ; au groupe des vain­cus, Adam et Eve, est sub­sti­tué le groupe des vain­queurs, qui se com­pose aus­si d’un homme et d’une femme. La pre­mière, Eve, repen­tante et rele­vée, a repris, il est vrai, les hos­ti­li­tés contre le ser­pent ; mais dans cette femme d’a­bord vain­cue et n’ayant pas retrou­vé l’in­no­cence ori­gi­nelle, la revanche ne peut être que par­tielle et rela­tive ; il n’y aura de revanche totale et abso­lue, que le jour où l’Eve pri­mi­tive, celle qui sor­tit toute pure des mains du Créateur, revi­vra pour ain­si dire en une autre elle-​même et se retrou­ve­ra près du nou­vel Adam pour la lutte suprême. » (X.-M. LE BACHELET, Dict. de théol. cath., t. VII, col 859.)

    A bien noter aus­si la rédac­tion de la Bulle de Pie IX. Le texte « contient deux phrases net­te­ment dis­tinctes : une pre­mière, nar­ra­tive, où l’on attri­bue aux Pères et aux écri­vains ecclé­sias­tiques le sus­dit ensei­gne­ment, docuere (ils ont ensei­gné) ; une seconde déduc­tive, quo­cir­ca (c’est pour­quoi) où les Pères ne sont plus direc­te­ment en scène ; ce sont les rédac­teurs de la Bulle et Pie IX avec eux, qui, par­tant des ensei­gne­ments des Pères comme four­nis­sant le prin­cipe, tirent la consé­quence et font l’ap­pli­ca­tion ». (LE BACHELET, art. cité, col. 860.[]

  18. Avec le pro­té­van­gile, la double salu­ta­tion de Gabriel et d’Elisabeth est la seconde preuve de la Sainte Ecriture, appor­tée par les théo­lo­giens en faveur de l’Immaculée Conception. Mais, comme la pre­mière, elle vaut sur­tout par la Tradition qui l’a inter­pré­tée en ce sens. Autrement dit, cette double salu­ta­tion ne suffirait-​elle pas, à la consi­dé­rer indé­pen­dam­ment, à prou­ver le pri­vi­lège : mais elle le prouve si l’on tient compte de l’in­ter­pré­ta­tion des Pères. Pour eux, Jésus et Marie sont unis dans la même béné­dic­tion divine et la plé­ni­tude de grâce ne se trouve pas en Marie seule­ment au moment où elle devient Mère ; elle existe en elle depuis tou­jours comme condi­tion préa­lable à sa mater­ni­té divine et à son rôle. Il est remar­quable que la Bulle Ineffabilis pré­sente ces deux textes, le pro­té­van­gile et la salu­ta­tion, dans la preuve de la Tradition, seule direc­te­ment invo­quée par Pie IX. « Dans la Bulle qui contient la défi­ni­tion du mys­tère, Pie IX n’in­sis­ta pas sur les témoi­gnages de l’Ecriture comme s’ils for­maient un argu­ment à part ; mais il les lie, si je puis par­ler ain­si, aux témoi­gnages des Pères qui en ont déter­mi­né le sens. » (MGR MALOU : l’Immaculée Conception, 1857, t. 1, p.246.[]
  19. Référence à la parole de saint Augustin, qui après avoir reje­té les asser­tions de Pélage sur cer­tains per­son­nages qui auraient vécu abso­lu­ment sans aucun péché, ajoute « excep­tion faite pour la Sainte Vierge, dont je ne veux pas qu’il soit aucu­ne­ment ques­tion quand il s’a­git de péchés, et cela pour l’hon­neur du Seigneur : qu’elle ait, en effet, reçu une grâce sur­abon­dante pour rem­por­ter une vic­toire abso­lue sur le péché, nous le savons de ce qu’elle a méri­té de conce­voir et d’en­fan­ter Celui qui fut incon­tes­ta­ble­ment sans péché ». (De la nature et de la grâce. C. XXXVI, P. L., t. XLIV, col. 267.) Même si saint Augustin ne parle ici que des péchés per­son­nels, il n’en affirme pas moins que Marie est exempte de tout péché, pour l’hon­neur du Seigneur et le péché ori­gi­nel en Marie ne por­te­rait pas moins atteinte à l’hon­neur du Seigneur.[]
  20. Nombre de ces expres­sions des para­graphes 6 et 8 ont été reprises par Pie XII dans son Encyclique Fulgens Corona du 8 sep­tembre 1953.[]
  21. Les demandes des évêques en faveur d’une défi­ni­tion dog­ma­tique remontent au moins au début du XVe siècle, comme on peut le voir Par le Concile de Bâle (1439). Pour ce qui est des chefs d’Etat, dès le début du XVIIe siècle, Philippe II, roi d’Espagne, com­mence auprès du Saint-​Siège des démarches, appuyées ensuite par le roi de Pologne Sigismond III, en vue d’ob­te­nir la défi­ni­tion du pri­vi­lège. On sait que l’Espagne, civile et reli­gieuse, fut tou­jours à l’avant-​garde pour la pro­mo­tion du culte de l’Immaculée Conception.[]
  22. C’est ain­si qu’en 1840, 10 arche­vêques fran­çais, ceux de Cambrai, Albi, Besançon, Bordeaux, Sens, Avignon, Auch, Reims, Bourges et Lyon et 41 de leurs évêques suf­fra­gants signèrent et adres­sèrent au Pape Grégoire XVI une lettre col­lec­tive en faveur de la défi­ni­tion. De 1843 à 1845, le même Pape reçut des évêques d’autres pays une qua­ran­taine de sup­pliques sem­blables. La Manifestation de la Médaille mira­cu­leuse, rue du Bac (1830), et la conver­sion d’Alphonse Ratisbonne (1842), à Saint-​André delle Fratte, n’a­vaient pas été étran­gères à ce déclen­che­ment de nou­velles péti­tions. Le Pape Grégoire XVI, mal­gré sa dévo­tion à l’Immaculée – il se décla­rait prêt à ver­ser son sang jus­qu’à la der­nière goutte pour attes­ter et scel­ler ce glo­rieux pri­vi­lège – ne jugea pas devoir don­ner suite à ces demandes, par rai­son d’op­por­tu­ni­té, à cause de la réti­cence de cer­tains pays Allemagne, Angleterre, Irlande…[]
  23. Dès le début du pon­ti­fi­cat de Pie IX, une cen­taine de nou­velles sup­pliques conti­nuèrent de par­ve­nir à Rome, dont 70 de pré­lats ita­liens, 11 des Etats pon­ti­fi­caux, et 1 de Ferdinand II, roi des Deux-​Siciles.[]
  24. Cette Congrégation anté­pré­pa­ra­toire, com­po­sée de 8 car­di­naux et 5 consul­teurs, fut nom­mée par Pie IX, pen­dant son séjour à Gaète, le 6 décembre 1848. Elle se tint à Naples, le 22 décembre, sous la pré­si­dence du car­di­nal Lambruschini. Tous se pro­non­cèrent en faveur de la défi­ni­tion ; mais l’u­na­ni­mi­té ne se fit pas sur le mode à choi­sir de la défi­nir.[]
  25. Cette consulte de théo­lo­giens fut ins­ti­tuée par Pie IX, le 1 juin 1848. Elle se com­po­sait de 20 membres : pré­lats de Congrégations romaines, reli­gieux de divers Ordres, quelques maîtres en renom. Trois seule­ment furent défa­vo­rables à la défi­ni­tion. En 1850 et 1851, suc­ces­si­ve­ment 3, puis 6 leur furent adjoints, dont un seul se pro­non­ça contre la défi­ni­tion.[]
  26. Encyclique Ubi Primum que la Congrégation, tenue à Naples, avait sug­gé­rée au Pape Pie IX.[]
  27. Sur les 603 réponses de cette sorte de Concile « par écrit », comme on a nom­mé ce réfé­ren­dum, 546 évêques, un peu plus des neuf dixièmes, se pro­non­cèrent expres­sé­ment pour la défi­ni­tion. Les autres s’y oppo­sèrent, sur­tout pour des ques­tions d’op­por­tu­ni­té. Seuls 4 ou 5 évêques se pro­non­cèrent caté­go­ri­que­ment contre toute défi­ni­tion dog­ma­tique.[]
  28. Voir notes 22 et 23 pour les réponses de la Congrégation car­di­na­lice et celles de la consulte des théo­lo­giens.[]
  29. Pie IX tint ce Consistoire secret le 1 décembre 1854.[]
  30. Nous sou­li­gnons dans la Bulle ce qui est la défi­ni­tion dog­ma­tique pro­pre­ment dite, qui seule est garan­tie par l’in­failli­bi­li­té du Pape et exige notre foi.[]