Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

8 décembre 1864

Lettre encyclique Quanta Cura

Condamnation de la liberté religieuse

À tous nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques, en grâce et com­mu­nion avec le Siècle Apostolique.

Pie IX, Pape

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

Avec quel soin et quelle vigi­lance pas­to­rale les Pontifes Romains Nos Prédécesseurs, ont rem­pli la mis­sion à eux confiée par le Christ Seigneur lui-​même en la per­sonne du Bienheureux Pierre, Prince des Apôtres, et ont ain­si accom­pli leur devoir de paître les agneaux et les bre­bis ! Sans jamais dis­con­ti­nuer, ont atten­ti­ve­ment nour­ri tout le trou­peau du Seigneur des paroles de la foi, ont impré­gné de la doc­trine de salut, écar­té des pâtu­rages empoi­son­nés, voi­là ce dont tout le monde est convain­cu et assu­ré, Vous sur­tout, Vénérables Frères. Oui vrai­ment Nos Prédécesseurs se mon­trèrent les défen­seurs et les ven­geurs de l’au­guste reli­gion catho­lique, de la véri­té et de la jus­tice : sou­cieux, avant tout, du salut des âmes, ils n’ont jamais rien eu de plus à cœur que de décou­vrir et de condam­ner par leurs très sages Lettres et Constitutions toutes les héré­sies et les erreurs qui, contraires à notre Foi divine, à la doc­trine de l’Église Catholique, à l’hon­nê­te­té des mœurs et au salut éter­nel des hommes, ont fré­quem­ment sou­le­vé de vio­lentes tem­pêtes et lamen­ta­ble­ment souillé l’Église et la Cité.

2. C’est pour­quoi Nos mêmes Prédécesseurs ont constam­ment oppo­sé la fer­me­té Apostolique aux machi­na­tions cri­mi­nelles d’hommes iniques, qui pro­jettent l’é­cume de leurs désordres comme les vagues d’une mer en furie et pro­mettent la liber­té, eux, les esclaves de la cor­rup­tion : ébran­ler les fon­de­ments de la reli­gion catho­lique et de la socié­té civile par leurs fausses opi­nions et les plus per­ni­cieux écrits, faire dis­pa­raître toute trace de ver­tu et de jus­tice, cor­rompre les âmes et les esprits, détour­ner des justes prin­cipes de la morale ceux qui ne sont pas sur leurs gardes, en par­ti­cu­lier la jeu­nesse inex­pé­ri­men­tée, la dépra­ver pitoya­ble­ment, l’en­traî­ner dans les pièges de l’er­reur, et enfin l’ar­ra­cher du sein de l’Église catho­lique, voi­là le sens de tous leurs efforts.

3. Vous êtes les pre­miers à savoir, Vénérables Frères, qu’à peine avions-​Nous été éle­vé à cette chaire de Pierre, par un secret des­sein de la Providence Divine et sans aucun mérite de Notre part, Nous avons vu pour la plus grande dou­leur de Notre âme une tem­pête vrai­ment effroyable sou­le­vée par tant de doc­trines per­verses. Nous avons vu les maux les plus acca­blants, qu’on ne déplo­re­ra jamais assez et que tant d’er­reurs ont atti­rés sur le peuple chré­tien. C’est pour rem­plir les devoirs de Notre Ministère Apostolique et suivre les traces glo­rieuses de Nos Prédécesseurs que Nous avons éle­vé la voix. En plu­sieurs Encycliques déjà publiées, dans les Allocutions pro­non­cées en consis­toire et en d’autres Lettres Apostoliques, Nous avons condam­né les prin­ci­pales erreurs de notre bien triste époque, fait appel à votre haute vigi­lance épis­co­pale, aver­ti et encou­ra­gé tous Nos très chers fils de l’Église Catholique à fuir et redou­ter la conta­gion d’une peste si vio­lente. Et en par­ti­cu­lier, par Notre pre­mière Encyclique du 9 novembre 1846, à Vous adres­sée, et les deux allo­cu­tions pro­non­cées en consis­toire le 9 décembre 1854 et le 9 juin 1862, nous avons condam­né ces mons­truo­si­tés extra­or­di­naires que sont les opi­nions, qui sur­tout de nos jours, dominent pour le plus grand dom­mage des âmes et au détri­ment de la socié­té civile elle-​même. Ces opi­nions s’op­posent essen­tiel­le­ment, non seule­ment à l’Église catho­lique, à sa doc­trine de salut et à ses droits véné­rables, mais encore à l’é­ter­nelle loi natu­relle gra­vée par Dieu dans tous les cœurs et à la droite rai­son. C’est d’elles que presque toutes les autres erreurs firent leur origine.

4. Cependant, bien que nous n’ayons pas négli­gé de pros­crire et de réprou­ver fré­quem­ment les plus graves de ces erreurs, la cause de l’Église catho­lique et le salut des âmes que Dieu nous a confié, et le bien de la socié­té humaine elle-​même, réclament impé­rieu­se­ment que Nous lan­cions un nou­vel appel à votre sol­li­ci­tude pas­to­rale pour ter­ras­ser d’autres idées fausses qui découlent de source de ces mêmes erreurs. Ces opi­nions trom­peuses et per­verses sont d’au­tant plus détes­tables qu’elles visent prin­ci­pa­le­ment à entra­ver et ren­ver­ser cette puis­sance de salut que l’Église catho­lique, en ver­tu de la mis­sion et du man­dat reçu de son divin Auteur, doit exer­cer libre­ment jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles, non moins à l’é­gard des indi­vi­dus que des nations, des peuples et de leurs chefs. Elles cherchent à faire dis­pa­raître cette mutuelle alliance et cette concorde entre le Sacerdoce et l’Empire, qui s’est tou­jours avé­rée pro­pice et salu­taire à la Religion et à la socié­té1.

contre la doc­trine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils affirment sans hési­ta­tion que : « la meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au pou­voir le devoir de répri­mer par des peines légales les vio­la­tions de la loi catho­lique, si ce n’est dans la mesure où la tran­quilli­té publique le demande »

5. Et de fait, vous le savez par­fai­te­ment, Vénérables Frères, il s’en trouve beau­coup aujourd’­hui pour appli­quer à la socié­té civile le prin­cipe impie et absurde du « natu­ra­lisme », comme ils l’ap­pellent, et pour oser ensei­gner que « le meilleur régime poli­tique et le pro­grès de la vie civile exigent abso­lu­ment que la socié­té humaine soit consti­tuée et gou­ver­née sans plus tenir compte de la Religion que si elle n’exis­tait pas, ou du moins sans faire aucune dif­fé­rence entre la vraie et les fausses reli­gions ». Et contre la doc­trine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils affirment sans hési­ta­tion que : « la meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au pou­voir le devoir de répri­mer par des peines légales les vio­la­tions de la loi catho­lique, si ce n’est dans la mesure où la tran­quilli­té publique le demande ». À par­tir de cette idée tout à fait fausse du gou­ver­ne­ment des socié­tés, ils ne craignent pas de sou­te­nir cette opi­nion erro­née, funeste au maxi­mum pour l’Église catho­lique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heu­reuse mémoire, qua­li­fiait de « délire« 2 : « La liber­té de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être pro­cla­mé et garan­ti par la loi dans toute socié­té bien orga­ni­sée. Les citoyens ont droit à l’en­tière liber­té de mani­fes­ter hau­te­ment et publi­que­ment leurs opi­nions quelles qu’elles soient, par les moyens de la parole, de l’im­pri­mé ou tout autre méthode sans que l’au­to­ri­té civile ni ecclé­sias­tique puisse lui impo­ser une limite ». Or, en don­nant pour cer­ti­tudes des opi­nions hasar­deuses, ils ne pensent ni ne se rendent compte qu’ils prêchent « la liber­té de per­di­tion« 3, et que « s’il est per­mis à toutes les convic­tions humaines de déci­der de tout libre­ment, il n’en man­que­ra jamais pour oser résis­ter à la véri­té et faire confiance au ver­biage d’une sagesse toute humaine. On sait cepen­dant com­bien la foi et la sagesse chré­tienne doivent évi­ter cette vani­té si dom­ma­geable, selon l’en­sei­gne­ment même de Notre Seigneur Jésus-​Christ« 4.

en don­nant pour cer­ti­tudes des opi­nions hasar­deuses, ils ne pensent ni ne se rendent compte qu’ils prêchent « la liber­té de perdition »

6. Là où la reli­gion a été mise à l’é­cart de la socié­té civile, la doc­trine et l’au­to­ri­té de la révé­la­tion divine répu­diées, la pure notion même de la jus­tice et du droit humain s’obs­cur­cit et se perd, et la force maté­rielle prend la place de la véri­table jus­tice et du droit légi­time. D’où l’on voit clai­re­ment pour­quoi cer­tains, relé­guant au der­nier rang les plus sûrs prin­cipes de la saine rai­son, sans en tenir compte, osent pro­cla­mer que : « La volon­té du peuple qui se mani­feste par ce qu’on dit être l’o­pi­nion publique, ou autre­ment, consti­tue la loi suprême déga­gée de tout droit divin et humain, et que dans l’ordre poli­tique des faits accom­plis, par cela même qu’ils sont accom­plis, ont force de droit. » 

7. Mais qui ne voit et ne sent par­fai­te­ment qu’une socié­té déga­gée des liens de la reli­gion et de la vraie jus­tice, ne peut plus se pro­po­ser aucun autre but que d’a­mas­ser et d’ac­cu­mu­ler des richesses, ni suivre d’autre loi dans ses actes que l’in­domp­table désir de l’âme d’être esclave de ses propres pas­sions et inté­rêts ? C’est pour­quoi les hommes de cette espèce pour­suivent d’une haine si cruelle les Familles Religieuses, en dépit des ser­vices ren­dus au prix des plus grands efforts à la reli­gion chré­tienne, à la socié­té civile et à la culture ; ils débla­tèrent contre elle en disant qu’elles n’ont aucune rai­son légi­time d’exis­ter, et c’est ain­si qu’ils applau­dissent aux diva­ga­tions des héré­tiques. Or, comme l’en­sei­gnait en toute sagesse Notre Prédécesseur Pie VI d’heu­reuse mémoire : « l’a­bo­li­tion des régu­liers blesse le droit de pro­fes­ser publi­que­ment les conseils évan­gé­liques, blesse un mode de vie recom­man­dé dans l’Église comme conforme à la doc­trine des Apôtres, blesse la mémoire de ces illustres fon­da­teurs que nous véné­rons sur les autels, et qui n’ont éta­bli ces ordres que sous l’ins­pi­ra­tion de Dieu ».

8. Et ils déclarent même dans leur impié­té qu’il faut ôter aux citoyens et à l’Église la facul­té « de four­nir vala­ble­ment des aumônes publiques par cha­ri­té chré­tienne », et abo­lir la loi « qui à des jours déter­mi­nés défend les œuvres ser­viles pour vaquer au culte divin » sous le pré­texte si fal­la­cieux que « la facul­té et la loi ci-​dessus évo­quées sont contraires aux prin­cipes de la bonne éco­no­mie politique ».

9. Et non contents de mettre la reli­gion à l’é­cart de la socié­té, ils veulent même l’é­car­ter de la vie pri­vée des familles. En effet, ensei­gnant et pro­fes­sant la si funeste erreur du Communisme et du Socialisme, ils affirment que : « La socié­té domes­tique ou la famille emprunte au seul droit civil toute sa rai­son d’être ; et qu’en consé­quence c’est de la loi civile seule que découlent et dépendent tous les droits des parents sur les enfants, et d’a­bord le droit d’ins­truc­tion et d’é­du­ca­tion. » Par ces opi­nions impies et ces machi­na­tions, ces hommes de men­songe veulent sur­tout abou­tir à ce que la doc­trine et le pou­voir de l’Église catho­lique qui apportent le salut, soient entiè­re­ment éli­mi­nés de l’ins­truc­tion et de l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse, et que l’âme tendre et mal­léable des jeunes soit infec­tée et défor­mée pitoya­ble­ment par toutes sortes d’er­reurs per­verses et par le vice. Oui, tous ceux qui ont mis leurs efforts à bou­le­ver­ser l’ordre sacré et l’ordre public, à ren­ver­ser l’ordre juste de la socié­té, et à anéan­tir tous les droits divins et humains, ont tou­jours fait tendre leurs des­seins cri­mi­nels, leurs dési­rs et leurs œuvres prin­ci­pa­le­ment à trom­per et à dépra­ver la jeu­nesse qui ne s’y attend pas, comme Nous l’a­vons indi­qué plus haut ; et ils ont mis tout leur espoir dans la cor­rup­tion de cette jeunesse.

10. Voilà pour­quoi jamais ils ne cessent d’in­fli­ger toutes sortes de vexa­tions indi­cibles à l’un et l’autre cler­gé d’où rejaillirent tant d’im­menses bien­faits sur l’ordre reli­gieux, civil et cultu­rel, comme l’at­testent avec éclat les plus sûrs monu­ments de l’his­toire ; voi­là pour­quoi ils déclarent que ce cler­gé même, en tant qu’en­ne­mi du véri­table et utile pro­grès de la science et de la civi­li­sa­tion, doit être écar­té de toute charge et de tout rôle dans l’ins­truc­tion et l’é­du­ca­tion de la jeunesse.

11. Mais il en est d’autres qui, renou­ve­lant les chi­mères extra­va­gantes et tant de fois condam­nées des nova­teurs, ont l’in­signe impu­dence de sou­mettre à la dis­cré­tion de l’au­to­ri­té civile l’au­to­ri­té suprême attri­buée par le Christ Notre Seigneur à l’Église et à ce Siège Apostolique, et de dénier à cette même Église et à ce Siège tous droits en ce qui regarde les affaires exté­rieures. Car ils n’ont aucu­ne­ment honte d’af­fir­mer que : « Les lois de l’Église n’o­bligent pas en conscience, à moins qu’elles ne soient pro­mul­guées par le pou­voir civil. – Les actes et les décrets des Pontifes Romains concer­nant la reli­gion et l’Église ont besoin de la sanc­tion et de l’ap­pro­ba­tion, ou au moins du consen­te­ment du pou­voir civil. – Les consti­tu­tions apos­to­liques qui condamnent les socié­tés secrètes – qu’on y exige ou non le ser­ment de gar­der le secret – et qui frappent d’a­na­thème leurs adeptes et leurs défen­seurs ne peuvent entrer en vigueur dans les pays où le gou­ver­ne­ment civil tolère ces sortes d’as­so­cia­tions. – L’excommunication por­tée par le Concile de Trente et les Pontifes Romains contre ceux qui enva­hissent et usurpent les droits et pos­ses­sions de l’Église, repose sur une confu­sion de l’ordre spi­ri­tuel avec l’ordre civil et poli­tique, et n’a pour but qu’un bien de ce monde. – L’Église ne doit rien décré­ter qui puisse lier la conscience des fidèles rela­ti­ve­ment à l’u­sage des biens tem­po­rels. Le droit ecclé­sias­tique n’a pas com­pé­tence pour châ­tier de peines tem­po­relles les vio­la­teurs de ses lois. – Il est conforme aux prin­cipes de la sacrée théo­lo­gie et du droit public d’at­tri­buer au gou­ver­ne­ment civil et de reven­di­quer pour lui la pro­prié­té des biens qui sont en pos­ses­sion de l’Église, des Familles Religieuses et autres asso­cia­tions pieuses ».

12. Ils ne rou­gissent pas non plus de pro­fes­ser ouver­te­ment et publi­que­ment les for­mules et les prin­cipes héré­tiques, d’où sortent tant d’o­pi­nions per­verses et d’er­reurs. Car ils répètent que « le pou­voir ecclé­sias­tique n’est pas, de droit divin, dis­tinct et indé­pen­dant du pou­voir civil, et qu’une telle dis­tinc­tion et indé­pen­dance ne peut être conser­vée sans que l’Église enva­hisse et usurpe les droits essen­tiels du pou­voir civil ». 

13. Et Nous ne pou­vons pas­ser sous silence l’au­dace de ceux qui, ne sup­por­tant pas la saine doc­trine, pré­tendent que : « Quant à ces juge­ments et à ces décrets du Siège Apostolique dont l’ob­jet regarde mani­fes­te­ment le bien géné­ral de l’Église, ses droits et sa dis­ci­pline, on peut, du moment qu’ils ne touchent pas aux dogmes rela­tifs à la foi et aux mœurs, leur refu­ser l’as­sen­ti­ment et l’o­béis­sance, sans péché et sans ces­ser en rien de pro­fes­ser le catho­li­cisme. » À quel point cela est contraire au dogme catho­lique sur le plein pou­voir, divi­ne­ment confé­ré par le Christ Notre Seigneur lui-​même au Pontife Romain, de paître, de régir et de gou­ver­ner l’Église uni­ver­selle, il n’est per­sonne qui ne le voie et qui ne le com­prenne clai­re­ment et distinctement.

En consé­quence, toutes et cha­cune des opi­nions déré­glées et des doc­trines rap­pe­lées en détail dans ces Lettres, Nous les réprou­vons, pros­cri­vons et condam­nons de Notre Autorité Apostolique ; et Nous vou­lons et ordon­nons que tous les fils de l’Église catho­lique les tiennent abso­lu­ment pour réprou­vées, pros­crites et condamnées.

14. Au milieu donc d’un telle per­ver­si­té d’o­pi­nions cor­rom­pues, Nous sou­ve­nant de Notre charge Apostolique, dans notre plus vive sol­li­ci­tude pour notre très sainte reli­gion, pour la saine doc­trine, et pour le salut des âmes à Nous confiées par Dieu et pour le bien de la socié­té humaine elle-​même, Nous avons jugé bon d’é­le­ver à nou­veau Notre Voix Apostolique. En consé­quence, toutes et cha­cune des opi­nions déré­glées et des doc­trines rap­pe­lées en détail dans ces Lettres, Nous les réprou­vons, pros­cri­vons et condam­nons de Notre Autorité Apostolique ; et Nous vou­lons et ordon­nons que tous les fils de l’Église catho­lique les tiennent abso­lu­ment pour réprou­vées, pros­crites et condamnées. 

15. Et, en outre, vous savez très bien, Vénérables Frères, que de nos jours ceux qui haïssent toute véri­té et toute jus­tice, les enne­mis achar­nés de notre reli­gion, au moyen de livres empoi­son­nés, de bro­chures et de jour­naux répan­dus par toute la terre, trompent les peuples, mentent per­fi­de­ment, et dif­fusent toutes sortes d’autres doc­trines impies. Vous n’i­gno­rez pas non plus que, même à cette époque où nous sommes, on en trouve qui, mus et sti­mu­lés par l’es­prit de Satan, en sont arri­vés à cette impié­té de nier Notre Seigneur et Maître Jésus-​Christ, et ne craignent pas d’at­ta­quer sa Divinité avec une inso­lence cri­mi­nelle. Mais ici Nous ne pou­vons, Vénérables Frères, que vous hono­rer à bon droit des plus grands éloges, vous qui n’a­vez jamais man­qué, avec tout votre zèle, d’é­le­ver votre voix épis­co­pale contre tant d’impiété.

16. C’est pour­quoi, par Nos pré­sentes Lettres, Nous nous adres­sons une fois de plus avec beau­coup d’af­fec­tion à vous qui, appe­lés à par­ta­ger Nos sou­cis, êtes au milieu des cala­mi­tés qui nous touchent si vive­ment. Notre conso­la­tion, Notre joie et Notre encou­ra­ge­ment les plus grands : par la qua­li­té de votre esprit reli­gieux et de votre pié­té et aus­si par cet amour, cette foi et cette défé­rence admi­rable avec les­quels, atta­chés à Nous et à ce Siège Apostolique dans la plus grande uni­té d’es­prit, vous tra­vaillez à rem­plir avec empres­se­ment et appli­ca­tion votre très grave minis­tère épis­co­pal. Car Nous atten­dons de votre remar­quable zèle pas­to­ral que, pre­nant le glaive de l’es­prit, qui est la parole de Dieu, et for­ti­fiés dans la grâce de notre Seigneur Jésus-​Christ, vous ayez la volon­té de veiller chaque jour davan­tage avec une atten­tion redou­blée à ce que les fidèles confiés à vos soins « s’abs­tiennent des herbes nui­sibles que Jésus-​Christ ne cultive pas, parce qu’elles n’ont pas été plan­tées par son Père« 5. Et ne ces­sez jamais d’in­cul­quer à ces mêmes fidèles que tout vrai bon­heur découle pour les hommes de notre sainte reli­gion, de sa doc­trine et de sa pra­tique, et qu” »heu­reux est le peuple dont Dieu est le Seigneur« 6. Enseignez que « l’au­to­ri­té repose sur le fon­de­ment de la Foi Catholique« 7 et qu” »il n’y a rien de plus mor­tel, rien qui nous pré­ci­pite autant dans le mal­heur, nous expose autant à tous les dan­gers, que de pen­ser qu’il nous peut suf­fire d’a­voir reçu le libre arbitre en nais­sant ; sans avoir à rien deman­der de plus à Dieu ; c’est-​à-​dire, qu’ou­bliant notre Créateur, nous renions son pou­voir sur nous pour mani­fes­ter notre liber­té« 8. N’omettez pas non plus d’en­sei­gner que « le pou­voir de gou­ver­ner est confé­ré non pour le seul gou­ver­ne­ment de ce monde, mais avant tout pour la pro­tec­tion de l’Église« 9 et que rien ne peut être plus pro­fi­table et plus glo­rieux aux chefs d’États et aux Rois que ce que Notre Prédécesseur saint Félix, rem­pli de sagesse et de cou­rage, écri­vait à l’empereur Zénon : « Qu’ils laissent l’Église catho­lique se gou­ver­ner par ses propres lois, et ne per­mettent à per­sonne de mettre obs­tacle à sa liber­té… Il est cer­tain qu’il leur est avan­ta­geux de s’ap­pli­quer, quand il s’a­git de la cause de Dieu, et sui­vant l’ordre qu’Il a éta­bli, à subor­don­ner et non à pré­fé­rer la volon­té royale à celle des prêtres du Christ« 10.

17. C’est tou­jours, Vénérables Frères, mais c’est main­te­nant plus que jamais, au milieu de telles cala­mi­tés de l’Église et de la socié­té civile, en pré­sence d’une si vaste conspi­ra­tion d’ad­ver­saires et d’un tel amas d’er­reurs contre le catho­li­cisme et le Siège Apostolique, qu’il est abso­lu­ment néces­saire de nous adres­ser avec confiance au Trône de la grâce pour obte­nir misé­ri­corde et trou­ver la grâce d’une pro­tec­tion opportune.

À cette fin, Nous avons jugé bon de sti­mu­ler la pié­té de tous les fidèles pour qu’en union avec Nous, et avec vous, ils ne cessent de prier et sup­plier par les prières les plus fer­ventes et les plus humbles, le Père très clé­ment des lumières et des misé­ri­cordes ; qu’ils se réfu­gient tou­jours dans la plé­ni­tude de la foi auprès de notre Seigneur Jésus-​Christ, qui nous a rache­tés à Dieu en son sang ; qu’ils demandent avec une per­pé­tuelle ins­tance à son très doux Cœur, vic­time de sa très ardente cha­ri­té envers nous, d’at­ti­rer tout à lui par les liens de son amour, et de faire que tous les hommes, enflam­més de son très saint amour, marchent digne­ment selon son Cœur, agréables à Dieu en tout, por­tant des fruits en toutes sortes de bonnes œuvres. Et, comme les prières des hommes sont indu­bi­ta­ble­ment plus agréables à Dieu quand elles lui par­viennent avec des cœurs purs de toute cor­rup­tion, Nous avons pen­sé à ouvrir avec une libé­ra­li­té apos­to­lique aux fidèles chré­tiens les célèbres tré­sors de l’Église dont la dis­tri­bu­tion Nous est confiée, afin que ces mêmes fidèles exci­tés plus vive­ment à la vraie pié­té, et puri­fiés des taches de leurs péchés par le Sacrement de Pénitence, répandent avec plus de confiance leurs prières à Dieu et obtiennent sa misé­ri­corde et sa grâce.

18. En consé­quence, par les pré­sentes Lettres, en ver­tu de notre Autorité Apostolique, à tous et cha­cun des fidèles des deux sexes dans l’u­ni­vers catho­lique, Nous accor­dons une Indulgence plé­nière en forme de Jubilé, à gagner durant toute l’an­née à venir 1865 et non au delà, dans l’es­pace d’un mois à dési­gner par vous, Vénérables Frères, et les autres Ordinaires légi­times des lieux, en la même manière et forme exac­te­ment que Nous l’a­vons accor­dée, au com­men­ce­ment de Notre suprême Pontificat, par Nos Lettres Apostoliques en forme de Bref du 20 novembre 1846, envoyée à tout votre Ordre épis­co­pal de l’u­ni­vers, et com­men­çant par ces mots : « Arcano Divinae Providentiae consi­lio » et avec tous les mêmes pou­voirs accor­dés par Nous dans ces Lettres. Nous vou­lons cepen­dant que toutes les pres­crip­tions conte­nues dans les sus­dites lettres soient obser­vées, et que soient main­te­nues toutes les excep­tions que Nous avons men­tion­nées. Nous accor­dons cela non­obs­tant toutes dis­po­si­tions contraires, même celles qui seraient dignes d’une men­tion et d’une déro­ga­tion spé­ciales et indi­vi­duelles. Et pour écar­ter tout doute et toute dif­fi­cul­té, Nous vous avons fait par­ve­nir un exem­plaire de ces Lettres.

19. Prions, Vénérables Frères, « du fond du cœur et de toute notre âme la misé­ri­corde de Dieu, parce qu’il a lui-​même ajou­té : Je n’é­loi­gne­rai pas d’eux ma misé­ri­corde. Demandons et nous rece­vrons, et si nous atten­dons et que nous tar­dions à rece­voir à cause de la gra­vi­té de nos offenses, frap­pons ; car à celui qui frappe on ouvri­ra, pour­vu que nous frap­pions à la porte avec nos prières, nos gémis­se­ments et nos larmes, avec les­quels il faut insis­ter et per­sé­vé­rer, et pour­vu que notre prière soit una­nime… que cha­cun prie Dieu non seule­ment pour lui-​même mais pour tous ses frères, comme le Seigneur nous a ensei­gné à prier« 11. Et pour que Dieu exauce plus faci­le­ment Nos prières et Nos vœux, les vôtres et ceux de tous les fidèles, fai­sons par­ti­ci­per en toute confiance auprès de lui l’Immaculée et très sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie qui a détruit toutes les héré­sies dans le monde entier, et qui, Notre Mère très aimante à tous, « est toute suave… et pleine de misé­ri­corde… se montre exo­rable à tous, très clé­mente à tous, com­pa­tit aux misères de tous avec la plus large affec­tion« 12. Comme Reine, debout à la droite de Son Fils Unique, notre Seigneur Jésus-​Christ, toute enve­lop­pée dans un vête­ment d’or, il n’y a rien qu’Elle ne puisse obte­nir de Lui.

Demandons aus­si les suf­frages du Bienheureux Pierre, Prince des Apôtres, de son Coapôtre Paul, et de tous les Saints du Ciel qui deve­nus amis de Dieu, sont par­ve­nus au royaume céleste, pos­sèdent la cou­ronne et la palme, et sûrs de leur immor­ta­li­té, sont sou­cieux de notre salut.

20. Enfin, deman­dant pour vous à Dieu de toute Notre âme l’a­bon­dance de tous les dons célestes, Nous don­nons du fond du cœur et avec amour, en gage de Notre par­ti­cu­lière affec­tion, la Bénédiction Apostolique à vous-​mêmes, Vénérables Frères, et à tous les fidèles clercs et laïcs confiés à vos soins.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 décembre de l’an­née 1864, dixième depuis la Définition Dogmatique de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie Mère de Dieu. Et de Notre Pontificat la dix-neuvième.

PIE IX, Pape

  1. Grégoire XVI, Encyclique Mirari Vos du 15 août 1832. []
  2. Grégoire XVI. Encyclique Mirari Vos du 15 août 1832. []
  3. Saint Augustin, Lettre 105. []
  4. Saint Léon, Lettre 164. []
  5. Saint Ignace, mar­tyr, à Philadelphe. []
  6. Psaume 143. []
  7. Saint Célestin, Lettre 22 au Synode d’Éphèse. []
  8. Saint Innocent I, Lettre 29 au Concile Épiscopal de Carthage. []
  9. Saint Léon, Lettre 156. []
  10. Pie VII, ency­clique Diu satis, 15 mai 1800. []
  11. Saint Cyprien, lettre 11. []
  12. Saint Bernard, Sermon sur les douze pré­ro­ga­tives de la Bienheureuse Vierge Marie d’a­près l’Apocalypse. []