Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

11 juin 1905

Lettre encyclique Il Fermo proposito

Sur l'action catholique et son rapport avec l'autorité ecclésiastique

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905

Aux Evêques d’Italie,
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Le ferme pro­pos que Nous avons for­mé, dès les débuts de Notre Pontificat, de consa­crer à la res­tau­ra­tion de toutes choses dans le Christ toutes les forces que Nous tenons de la bon­té du Seigneur, éveille en Notre cœur une grande confiance dans la grâce puis­sante de Dieu, sans laquelle Nous ne pou­vons ici-​bas conce­voir ni entre­prendre rien de grand et de fécond pour le salut des âmes. En même temps, Nous sen­tons plus vive­ment que jamais, pour ce noble des­sein, le besoin de votre concours una­nime et constant, Vénérables Frères appe­lés à par­ta­ger Notre charge Pastorale, du concours de cha­cun des clercs et des fidèles confiés à vos soins. Tous, en véri­té, dans la Sainte Eglise de Dieu, nous sommes appe­lés à for­mer ce corps unique dont la tête est le Christ ; corps étroi­te­ment orga­ni­sé, comme l’en­seigne l’a­pôtre saint Paul1, et bien coor­don­né dans toutes ses arti­cu­la­tions, et cela en ver­tu de l’o­pé­ra­tion propre de chaque membre, d’où le corps tire son propre accrois­se­ment et peu à peu se per­fec­tionne dans le lien de la charité.

Et si dans cette œuvre d” »édi­fi­ca­tion du Corps du Christ« 2 Notre pre­mier devoir est d’en­sei­gner, d’in­di­quer la méthode à suivre et les moyens à employer, d’a­ver­tir et d’ex­hor­ter pater­nel­le­ment, c’est éga­le­ment le devoir de tous Nos Fils bien-​aimés, répan­dus dans le monde entier, d’ac­cueillir Nos paroles, de les réa­li­ser d’a­bord en eux-​mêmes et de contri­buer effi­ca­ce­ment à les réa­li­ser aus­si chez les autres, cha­cun selon la grâce qu’il a reçue de Dieu, selon son état et ses fonc­tions, selon le zèle dont son cœur est enflammé.

Ici, Nous vou­lons seule­ment rap­pe­ler ces mul­tiples œuvres de zèle, entre­prises pour le bien de l’Eglise, de la socié­té et des indi­vi­dus, com­mu­né­ment dési­gnées sous le nom d’Action Catholique, qui, par la grâce de Dieu, fleu­rissent en tout lieu et abondent pareille­ment en notre Italie.

Vous com­pre­nez bien, Vénérables Frères, à quel point elles doivent Nous être chères, et quel est Notre intime désir de les voir affer­mies et favo­ri­sées. Non seule­ment, à maintes reprises, Nous en avons trai­té de vive voix au moins avec quelques-​uns d’entre vous et avec vos prin­ci­paux repré­sen­tants en Italie quand ils Nous pré­sen­taient en per­sonne l’hom­mage de leur dévoue­ment et de leur affec­tion filiale, mais de plus Nous avons, sur cette ques­tion, publié, ou fait publier par Notre auto­ri­té, cer­tains actes que vous connais­sez tous déjà. Il est vrai que cer­tains de ces actes, comme l’exi­geaient des cir­cons­tances dou­lou­reuses pour Nous, étaient plu­tôt des­ti­nés à écar­ter les obs­tacles qui entra­vaient la marche de l’ac­tion catho­lique et à condam­ner cer­taines ten­dances indis­ci­pli­nées, qui allaient s’in­si­nuant, au grave détri­ment de la cause commune.

Il tar­dait donc à Notre cœur d’en­voyer à tous une parole de récon­fort et de pater­nel encou­ra­ge­ment, afin que, sur le ter­rain débar­ras­sé autant qu’il dépend de Nous de tout obs­tacle, on conti­nue à édi­fier le bien et à l’ac­croître lar­ge­ment. Nous sommes donc très heu­reux de le faire à pré­sent par cette lettre, pour la conso­la­tion com­mune, avec la cer­ti­tude que Notre parole sera de tous doci­le­ment écou­tée et obéie.

Immense est le champ de l’ac­tion catho­lique ; par elle-​même, elle n’ex­clut abso­lu­ment rien de ce qui, d’une manière quel­conque, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, appar­tient à la mis­sion divine de l’Eglise.

On recon­naît sans peine la néces­si­té de concou­rir indi­vi­duel­le­ment à une œuvre si impor­tante non seule­ment pour la sanc­ti­fi­ca­tion de nos âmes, mais encore pour répandre et tou­jours mieux déve­lop­per le règne de Dieu dans les indi­vi­dus, les familles et la socié­té, cha­cun pro­cu­rant selon ses propres forces le bien du pro­chain, par la dif­fu­sion de la véri­té révé­lée, l’exer­cice des ver­tus chré­tiennes et les œuvres de cha­ri­té ou de misé­ri­corde spi­ri­tuelle et cor­po­relle. Telle est la conduite digne de Dieu à laquelle nous exhorte saint Paul, de façon à lui plaire en toutes choses en pro­dui­sant les fruits de toutes les bonnes œuvres et en pro­gres­sant dans la science de Dieu : « Ut ambu­le­tis digne Deo pla­centes : in omni opere bono fruc­ti­fi­cantes, et cres­centes in scien­tia Dei« 3.

Outre ces biens, il en est un grand nombre de l’ordre natu­rel, qui, sans être direc­te­ment l’ob­jet de la mis­sion de l’Eglise, en découlent cepen­dant comme une de ses consé­quences natu­relles. La lumière de la Révélation catho­lique est telle qu’elle se répand très vive sur toute science ; si grande est la force des maximes évan­gé­liques que les pré­ceptes de la loi natu­relle y trouvent un fon­de­ment plus sûr et une plus puis­sante vigueur ; telle est enfin l’ef­fi­ca­ci­té de la véri­té et de la morale ensei­gnées par Jésus-​Christ, que même le bien-​être maté­riel des indi­vi­dus, de la famille et de la socié­té humaine en reçoit pro­vi­den­tiel­le­ment sou­tien et protection.

L’Eglise, tout en prê­chant Jésus cru­ci­fié, scan­dale et folie pour le monde4, est deve­nue la pre­mière ins­pi­ra­trice et la pro­mo­trice de la civi­li­sa­tion. Elle l’a répan­due par­tout où ont prê­ché ses apôtres, conser­vant et per­fec­tion­nant les bons élé­ments des antiques civi­li­sa­tions païennes, arra­chant à la bar­ba­rie et éle­vant jus­qu’à une forme de socié­té civi­li­sée les peuples nou­veaux qui se réfu­giaient dans son sein mater­nel, et don­nant à la socié­té entière, peu à peu sans doute, mais d’une marche sûre et tou­jours pro­gres­sive, cette empreinte si carac­té­ris­tique qu’en­core aujourd’­hui elle conserve partout.

La civi­li­sa­tion du monde est une civi­li­sa­tion chré­tienne ; elle est d’au­tant plus vraie, plus durable, plus féconde en fruits pré­cieux, qu’elle est plus net­te­ment chré­tienne ; d’au­tant plus déca­dente, pour le grand mal­heur de la socié­té, qu’elle se sous­trait davan­tage à l’i­dée chrétienne.

Aussi, par la force intrin­sèque des choses, l’Eglise devient-​elle encore en fait la gar­dienne et la pro­tec­trice de la civi­li­sa­tion chré­tienne. Et ce fait fut recon­nu et admis dans d’autres siècles de l’his­toire ; il forme encore le fon­de­ment inébran­lable des légis­la­tions civiles. Sur ce fait repo­sèrent les rela­tions de l’Eglise et des Etats, la recon­nais­sance publique de l’au­to­ri­té de l’Eglise dans toutes les matières qui touchent de quelque façon à la conscience, la subor­di­na­tion de toutes les lois de l’Etat aux divines lois de l’Evangile, l’ac­cord des deux pou­voirs, civil et ecclé­sias­tique, pour pro­cu­rer le bien tem­po­rel des peuples de telle manière que le bien éter­nel n’en eût pas à souffrir.

Nous n’a­vons pas besoin de vous dire, Vénérables Frères, la pros­pé­ri­té et le bien-​être, la paix et la concorde, la res­pec­tueuse sou­mis­sion à l’au­to­ri­té et l’ex­cellent gou­ver­ne­ment qui s’é­ta­bli­raient et se main­tien­draient dans ce monde si l’on pou­vait réa­li­ser par­tout le par­fait idéal de la civi­li­sa­tion chré­tienne. Mais, étant don­née la lutte conti­nuelle de la chair contre l’Esprit, des ténèbres contre la lumière, de Satan contre Dieu, Nous ne pou­vons espé­rer un si grand bien, au moins dans sa pleine mesure. De là, contre les paci­fiques conquêtes de l’Eglise, d’in­ces­santes attaques, d’au­tant plus dou­lou­reuses et funestes que la socié­té humaine tend davan­tage à se gou­ver­ner d’a­près des prin­cipes oppo­sés au concept chré­tien et à se sépa­rer entiè­re­ment de Dieu.

Ce n’est pas une rai­son pour perdre cou­rage. L’Eglise sait que les portes de l’en­fer ne pré­vau­dront point contre elle ; mais elle sait aus­si que dans ce monde elle trou­ve­ra l’op­pres­sion, que ses apôtres sont envoyés comme des agneaux au milieu des loups, que ses fidèles seront tou­jours cou­verts de haine et de mépris, comme fut ras­sa­sié de haine et de mépris son divin Fondateur. L’Eglise va néan­moins en avant sans crainte, et, tan­dis qu’elle étend le règne de Dieu dans les régions où il n’a pas encore été prê­ché, elle s’ef­force par tous les moyens de répa­rer les pertes éprou­vées dans le royaume déjà conquis.

Tout res­tau­rer dans le Christ a tou­jours été la devise de l’Eglise, et c’est par­ti­cu­liè­re­ment la Nôtre, dans les temps périlleux que Nous tra­ver­sons. Restaurer toutes choses, non d’une manière quel­conque, mais dans le Christ ; « ce qui est sur la terre et ce qui est dans le ciel en lui« 5, ajoute l’Apôtre ; res­tau­rer dans le Christ non seule­ment ce qui incombe direc­te­ment à l’Église en ver­tu de sa divine mis­sion qui est de conduire les âmes à Dieu, mais encore, comme Nous l’a­vons expli­qué, ce qui découle spon­ta­né­ment de cette divine mis­sion, la civi­li­sa­tion chré­tienne dans l’en­semble de tous et de cha­cun des élé­ments qui la constituent.

Et pour Nous arrê­ter à cette seule der­nière par­tie de la res­tau­ra­tion dési­rée, vous voyez bien, Vénérables Frères, quel appui apportent à l’Eglise ces troupes choi­sies de catho­liques qui se pro­posent pré­ci­sé­ment de réunir ensemble toutes leurs forces vives dans le but de com­battre par tous les moyens justes et légaux la civi­li­sa­tion anti­chré­tienne ; répa­rer par tous les moyens les désordres si graves qui en dérivent ; repla­cer Jésus-​Christ dans la famille, dans l’é­cole, dans la socié­té ; réta­blir le prin­cipe de l’au­to­ri­té humaine comme repré­sen­tant celle de Dieu ; prendre sou­ve­rai­ne­ment à cœur les inté­rêts du peuple et par­ti­cu­liè­re­ment ceux de la classe ouvrière et agri­cole, non seule­ment en incul­quant au cœur de tous le prin­cipe reli­gieux, seule source vraie de conso­la­tion dans les angoisses de la vie, mais en s’ef­for­çant de sécher leurs larmes, d’a­dou­cir leurs peines, d’a­mé­lio­rer leur condi­tion éco­no­mique par de sages mesures ; s’employer, par consé­quent, à rendre les lois publiques conformes à la jus­tice, à cor­ri­ger ou sup­pri­mer celles qui ne le sont pas ; défendre enfin et sou­te­nir avec un esprit vrai­ment catho­lique les droits de Dieu en toutes choses et les droits non moins sacrés de l’Eglise.

L’ensemble de toutes ces œuvres, dont les prin­ci­paux sou­tiens et pro­mo­teurs sont des laïques catho­liques, et dont la concep­tion varie sui­vant les besoins propres de chaque nation et les cir­cons­tances par­ti­cu­lières de chaque pays, consti­tue pré­ci­sé­ment ce que l’on a cou­tume de dési­gner par un terme spé­cial et assu­ré­ment très noble : Action catho­lique ou Action des catho­liques. Elle est tou­jours venue en aide à l’Eglise, et l’Eglise l’a tou­jours accueillie favo­ra­ble­ment et bénie, bien qu’elle se soit diver­se­ment exer­cée selon les époques.

Et ici, il faut remar­quer tout de suite qu’il est aujourd’­hui impos­sible de réta­blir sous la même forme toutes les ins­ti­tu­tions qui ont pu être utiles et même les seules effi­caces dans les siècles pas­sés, si nom­breuses sont les modi­fi­ca­tions radi­cales que le cours des temps intro­duit dans la socié­té et dans la vie publique, et si mul­tiples les besoins nou­veaux que les cir­cons­tances chan­geantes ne cessent de sus­ci­ter. Mais l’Eglise, en sa longue his­toire, a tou­jours et en toute occa­sion lumi­neu­se­ment démon­tré qu’elle pos­sède une ver­tu mer­veilleuse d’a­dap­ta­tion aux condi­tions variables de la socié­té civile : sans jamais por­ter atteinte à l’in­té­gri­té ou l’im­mu­ta­bi­li­té de la foi, de la morale, et en sau­ve­gar­dant tou­jours ses droits sacrés, elle se plie et s’ac­com­mode faci­le­ment, en tout ce qui est contin­gent et acci­den­tel, aux vicis­si­tudes des temps et aux nou­velles exi­gences de la société.

La pié­té, dit saint Paul, se prête à tout, pos­sé­dant les pro­messes divines pour les biens de la vie pré­sente comme pour ceux de la vie future : « Pietas autem ad omnia uti­lis est, pro­mis­sio­nem habens vitæ, quæ nunc est et futuræ« 6. Et donc aus­si, l’ac­tion catho­lique, tout en variant, quand il est oppor­tun, ses formes exté­rieures et ses moyens d’ac­tion, reste tou­jours la même dans les prin­cipes qui la dirigent et le but très noble qu’elle pour­suit. Et pour qu’en même temps elle soit vrai­ment effi­cace, il convien­dra d’in­di­quer avec soin les condi­tions qu’elle exige elle-​même si l’on consi­dère bien sa nature et sa fin.

Avant tout, il faut être pro­fon­dé­ment convain­cu que l’ins­tru­ment est inutile s’il n’est appro­prié au tra­vail que l’on veut exé­cu­ter. L’action catho­lique (comme il res­sort jus­qu’à l’é­vi­dence de ce qui vient d’être dit), se pro­po­sant de res­tau­rer toutes choses dans le Christ, consti­tue un véri­table apos­to­lat à l’hon­neur et la gloire du Christ lui-​même. Pour bien l’ac­com­plir, il nous faut la grâce divine, et l’a­pôtre ne la reçoit point s’il n’est uni au Christ. C’est seule­ment quand nous aurons for­mé Jésus-​Christ en nous que nous pour­rons plus faci­le­ment le rendre aux familles, à la socié­té. Tous ceux donc qui sont appe­lés à diri­ger ou qui se consacrent à pro­mou­voir le mou­ve­ment catho­lique, doivent être des catho­liques à toute épreuve, convain­cus de leur foi, soli­de­ment ins­truits des choses de la reli­gion, sin­cè­re­ment sou­mis à l’Eglise et en par­ti­cu­lier à cette suprême Chaire apos­to­lique et au Vicaire de Jésus-​Christ sur la terre ; ils doivent être des hommes d’une pié­té véri­table, de mâles ver­tus, de mœurs pures et d’une vie tel­le­ment sans tache qu’ils servent à tous d’exemple efficace.

Si l’es­prit n’est pas ain­si réglé, il sera non seule­ment dif­fi­cile de pro­mou­voir les autres au bien, mais presque impos­sible d’a­gir avec une inten­tion droite, et les forces man­que­ront pour sup­por­ter avec per­sé­vé­rance les ennuis qu’en­traîne avec lui tout apos­to­lat, les calom­nies des adver­saires, la froi­deur et le peu de concours des hommes de bien eux-​mêmes, par­fois enfin les jalou­sies des amis et des com­pa­gnons d’armes, excu­sables sans doute, étant don­née la fai­blesse de la nature humaine, mais gran­de­ment pré­ju­di­ciables et causes de dis­cordes, de heurts et de que­relles intes­tines. Seule, une ver­tu patiente et affer­mie dans le bien, et en même temps suave et déli­cate, est capable d’é­car­ter ou de dimi­nuer ces dif­fi­cul­tés de façon que l’œuvre à laquelle sont consa­crées les forces catho­liques ne soit pas com­pro­mise. La volon­té de Dieu, disait saint Pierre aux pre­miers chré­tiens, est qu’en fai­sant le bien vous fer­miez la bouche aux insen­sés : « Sic est volun­tas Dei, ut bene facientes obmu­tes­cere facia­tis impru­den­tium homi­num igno­ran­tiam« 7.

Il importe, en outre, de bien défi­nir les œuvres pour les­quelles les forces catho­liques se doivent dépen­ser avec toute éner­gie et constance. Ces œuvres doivent être d’une impor­tance si évi­dente, répondre de telle sorte aux besoins de la socié­té actuelle, s’a­dap­ter si bien aux inté­rêts moraux et maté­riels, sur­tout ceux du peuple et des classes déshé­ri­tées, que, tout en exci­tant la meilleure acti­vi­té chez les pro­mo­teurs de l’ac­tion catho­lique pour les résul­tats impor­tants et cer­tains qu’elles font espé­rer d’elles-​mêmes, elles soient aus­si par tous faci­le­ment com­prises et volon­tiers accueillies.

Précisément parce que les graves pro­blèmes de la vie sociale d’au­jourd’­hui exigent une solu­tion prompte et sûre, tout le monde a le plus vif inté­rêt à savoir et connaître les divers modes sous les­quels ces solu­tions se pré­sentent en pra­tique. Les dis­cus­sions dans un sens ou dans l’autre se mul­ti­plient de plus en plus et se répandent faci­le­ment au moyen de la presse. Il est donc sou­ve­rai­ne­ment néces­saire que l’ac­tion catho­lique sai­sisse le moment oppor­tun, marche en avant avec cou­rage, pro­pose elle aus­si sa solu­tion et la fasse valoir par une pro­pa­gande ferme, active, intel­li­gente, dis­ci­pli­née, capable de s’op­po­ser direc­te­ment à la pro­pa­gande adverse.

La bon­té et la jus­tice des prin­cipes chré­tiens, la droite morale que pro­fessent les catho­liques, leur entier dés­in­té­res­se­ment pour ce qui leur est per­son­nel, la fran­chise et la sin­cé­ri­té avec laquelle ils recherchent uni­que­ment le vrai, le solide, le suprême bien d’au­trui, enfin leur évi­dente apti­tude à ser­vir mieux encore que les autres les vrais inté­rêts éco­no­miques du peuple, tout cela ne peut man­quer de faire impres­sion sur l’es­prit et le cœur de tous ceux qui les écoutent, d’en gros­sir les rangs de manière à faire d’eux un corps solide et com­pact, capable de résis­ter vigou­reu­se­ment au cou­rant contraire et de tenir les adver­saires en respect.

Ce besoin suprême, Notre pré­dé­ces­seur Léon XIII, de sainte mémoire, le per­çut plei­ne­ment en indi­quant, sur­tout dans la mémo­rable Encyclique Rerum Novarum et dans d’autres docu­ments pos­té­rieurs, l’ob­jet autour duquel doit prin­ci­pa­le­ment se déployer l’ac­tion catho­lique, à savoir la solu­tion pra­tique de la ques­tion sociale selon les prin­cipes chré­tiens. Et Nous-​même, sui­vant ces règles si sages, Nous avons, dans Notre Motu pro­prio du 18 décembre 1903, don­né à l’ac­tion popu­laire chré­tienne, qui com­prend en elle tout le mou­ve­ment catho­lique social, une consti­tu­tion fon­da­men­tale qui pût être comme la règle pra­tique du tra­vail com­mun et le lien de la concorde et de la cha­ri­té. Sur ce ter­rain donc, et dans ce but très saint et très néces­saire, doivent avant tout se grou­per et s’af­fer­mir les œuvres catho­liques, variées et mul­tiples de forme, mais toutes éga­le­ment des­ti­nées à pro­mou­voir effi­ca­ce­ment le même bien social.

Mais pour que cette action sociale se main­tienne et pros­père avec la néces­saire cohé­sion des œuvres diverses qui la com­posent, il importe par-​dessus tout que les catho­liques observent entre eux une concorde exem­plaire ; et, par ailleurs, on ne l’ob­tien­dra jamais s’il n’y a en tous uni­té de vues. Sur une telle néces­si­té il ne peut y avoir aucune sorte de doute, tant sont clairs et évi­dents les ensei­gne­ments don­nés par cette Chaire apos­to­lique, tant est vive la lumière qu’ont répan­due, sur ce sujet, par leurs écrits, les plus remar­quables catho­liques de tous les pays, tant est louable l’exemple – plu­sieurs fois pro­po­sé par Nous-​même – des catho­liques d’autres nations, qui, pré­ci­sé­ment par cette concorde et uni­té de vues, ont, en peu de temps, obte­nu des fruits féconds et très consolants !

Pour assu­rer ce résul­tat, par­mi les diverses œuvres éga­le­ment dignes d’é­loge on a consta­té ailleurs la sin­gu­lière effi­ca­ci­té d’une ins­ti­tu­tion de carac­tère géné­ral, qui, sous le nom d” »Union popu­laire », est des­ti­née à réunir les catho­liques de toutes les classes sociales, mais spé­cia­le­ment les grandes masses du peuple, autour d’un centre unique et com­mun de doc­trine, de pro­pa­gande et d’or­ga­ni­sa­tion sociale.

Elle répond à un besoin éga­le­ment sen­ti presque dans tous les pays ; la sim­pli­ci­té de sa consti­tu­tion résulte de la nature même des choses, qui se ren­contre éga­le­ment par­tout ; aus­si ne peut-​on dire qu’elle soit propre à une nation plu­tôt qu’à une autre, mais elle convient à toutes celles où se mani­festent les mêmes besoins et sur­gissent les mêmes périls. Son carac­tère émi­nem­ment popu­laire la fait faci­le­ment aimer et accep­ter ; elle ne trouble ni ne gêne aucune autre ins­ti­tu­tion, mais elle donne plu­tôt aux autres ins­ti­tu­tions force et cohé­sion, car son orga­ni­sa­tion stric­te­ment per­son­nelle pousse les indi­vi­dus à entrer dans les ins­ti­tu­tions par­ti­cu­lières, les forme à un tra­vail pra­tique et vrai­ment pro­fi­table, et unit tous les esprits dans une même pen­sée et une même volonté.

Ce centre social ain­si éta­bli, toutes les autres ins­ti­tu­tions de carac­tère éco­no­mique des­ti­nées à résoudre pra­ti­que­ment et sous ses aspects variés le pro­blème social se trouvent comme spon­ta­né­ment grou­pées ensemble pour le but géné­ral qui les unit ; ce qui ne les empêche pas de prendre, sui­vant les divers besoins aux­quels elles pour­voient, des formes diverses et des moyens d’ac­tion dif­fé­rents, comme le réclame le but par­ti­cu­lier de cha­cune d’elles.

Et ici il Nous est fort agréable d’ex­pri­mer, avec Notre satis­fac­tion pour le grand pro­grès qui sur ce point a déjà été fait en Italie, la ferme espé­rance que, Dieu aidant, on fera encore beau­coup plus à l’a­ve­nir en affer­mis­sant le bien obte­nu et en l’é­ten­dant avec un zèle tou­jours croissant.

C’est cette ligne de conduite qui a méri­té les plus grands éloges à l’Œuvre des Congrès et Comités catho­liques, grâce à l’ac­ti­vi­té intel­li­gente des hommes excel­lents qui la diri­geaient et qui ont été pré­po­sés à ses diverses ins­ti­tu­tions par­ti­cu­lières ou les dirigent encore actuellement.

C’est pour­quoi, de même que, en ver­tu de Notre propre volon­té, un pareil centre ou union d’œuvres de carac­tère éco­no­mique a été expres­sé­ment main­te­nu lors de la dis­so­lu­tion de la sus­dite Œuvre des Congrès, ain­si il devra fonc­tion­ner encore dans l’a­ve­nir sous la dili­gente direc­tion de ceux qui lui sont préposés.

En outre, pour que l’ac­tion catho­lique soit de tous points effi­cace, il ne suf­fit pas qu’elle soit pro­por­tion­née aux néces­si­tés sociales actuelles ; il convient encore qu’elle soit mise en valeur par tous les moyens pra­tiques que lui four­nissent aujourd’­hui le pro­grès des études sociales et éco­no­miques, les expé­riences déjà faites ailleurs, les condi­tions de la socié­té civile, la vie publique même des États.

Autrement l’on s’ex­pose à mar­cher long­temps à tâtons, à la recherche de choses nou­velles et hasar­dées, alors que l’on en a sous la main de bonnes et cer­taines qui ont déjà fait excel­lem­ment leurs preuves ; ou bien l’on court encore le dan­ger de pro­po­ser des ins­ti­tu­tions et des méthodes qui conve­naient peut-​être à d’autres époques, mais qui aujourd’­hui ne sont pas com­prises par le peuple ; on risque enfin de s’ar­rê­ter à mi-​chemin parce qu’on n’use pas, même dans la mesure légi­time, de ces droits de citoyen que les consti­tu­tions civiles modernes offrent à tous et par consé­quent même aux catholiques.

Et, pour Nous arrê­ter à ce der­nier point, il est cer­tain que les consti­tu­tions actuelles des Etats donnent indis­tinc­te­ment à tous la facul­té d’exer­cer une influence sur la chose publique, et les catho­liques, tout en res­pec­tant les obli­ga­tions impo­sées par la loi de Dieu et les pres­crip­tions de l’Eglise, peuvent en user en toute sûre­té de conscience pour se mon­trer, tout autant et même mieux que les autres, capables de coopé­rer au bien-​être maté­riel et civil du peuple, et acqué­rir ain­si une auto­ri­té et une consi­dé­ra­tion qui leur per­mettent aus­si de défendre et de pro­mou­voir les biens d’un ordre plus éle­vé, qui sont les biens de l’âme.

Ces droits civils sont mul­tiples et de dif­fé­rente nature, jus­qu’à celui de par­ti­ci­per direc­te­ment à la vie poli­tique du pays par la repré­sen­ta­tion du peuple dans les Assemblées légis­la­tives. De très graves rai­sons Nous dis­suadent, Vénérables Frères, de Nous écar­ter de la règle jadis éta­blie par Notre Prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, et sui­vie ensuite, durant son long pon­ti­fi­cat, par Notre autre Prédécesseur Léon XIII, de sainte mémoire ; selon cette règle il reste en géné­ral inter­dit aux catho­liques d’Italie de par­ti­ci­per au pou­voir législatif.

Toutefois, d’autres rai­sons pareille­ment très graves, tirées du bien suprême de la socié­té, qu’il faut sau­ver à tout prix, peuvent récla­mer que dans des cas par­ti­cu­liers on dis­pense de la loi, spé­cia­le­ment dans le cas où Vous, Vénérables Frères, vous en recon­nais­siez la stricte néces­si­té pour le bien des âmes et les inté­rêts suprêmes de vos Églises, et que vous en fas­siez la demande.

Or, la pos­si­bi­li­té de cette bien­veillante conces­sion de Notre part entraîne pour tous les catho­liques le devoir de se pré­pa­rer pru­dem­ment et sérieu­se­ment à la vie poli­tique, pour le moment où ils y seraient appelés.

D’où il importe beau­coup que cette même acti­vi­té, déjà loua­ble­ment déployée par les catho­liques pour se pré­pa­rer, par une bonne orga­ni­sa­tion élec­to­rale, à la vie admi­nis­tra­tive des Communes et des Conseils pro­vin­ciaux, s’é­tende encore à la pré­pa­ra­tion conve­nable et à l’or­ga­ni­sa­tion pour la vie poli­tique, comme la recom­man­da­tion en fut faite oppor­tu­né­ment par la Présidence géné­rale des Œuvres éco­no­miques en Italie dans sa Circulaire du 3 décembre 1904.

En même temps, il fau­dra incul­quer et suivre en pra­tique les prin­cipes éle­vés qui règlent la conscience de tout vrai catho­lique : il doit se sou­ve­nir avant tout d’être en toute cir­cons­tance et de se mon­trer vrai­ment catho­lique, assu­mant et exer­çant les charges publiques avec la ferme et constante réso­lu­tion de pro­mou­voir autant qu’il le peut le bien social et éco­no­mique de la patrie et par­ti­cu­liè­re­ment du peuple, sui­vant les prin­cipes de la civi­li­sa­tion net­te­ment chré­tienne, et de défendre en même temps les inté­rêts suprêmes de l’Eglise, qui sont ceux de la reli­gion et de la justice.

Tels sont, Vénérables Frères, les carac­tères, l’ob­jet et les condi­tions de l’ac­tion catho­lique consi­dé­rée dans sa par­tie la plus impor­tante, qui est la solu­tion de la ques­tion sociale, et qui, à ce titre, mérite l’ap­pli­ca­tion la plus éner­gique et la plus constante de toutes les forces catholiques.

Cela n’ex­clut pas que l’on favo­rise et déve­loppe aus­si d’autres œuvres de genre dif­fé­rent, d’or­ga­ni­sa­tion variée, mais qui visent toutes éga­le­ment tel ou tel bien par­ti­cu­lier de la socié­té et du peuple et une nou­velle efflo­res­cence de la civi­li­sa­tion chré­tienne, sous divers aspects déterminés.

Ces œuvres sur­gissent la plu­part grâce au zèle de quelques par­ti­cu­liers, se répandent dans chaque dio­cèse, et quel­que­fois se groupent en fédé­ra­tions plus éten­dues. Or, toutes les fois que le but en est louable, que les prin­cipes chré­tiens sont fer­me­ment sui­vis et que les moyens employés sont justes, il faut les louer elles aus­si et les encou­ra­ger de toute façon.

Il fau­dra aus­si leur lais­ser une cer­taine liber­té d’or­ga­ni­sa­tion, car il n’est pas pos­sible que là où plu­sieurs per­sonnes se ren­contrent elles se modèlent toutes sur le même type, ou se concentrent sous une direc­tion unique. Quant à l’or­ga­ni­sa­tion, elle doit sur­gir spon­ta­né­ment des œuvres mêmes ; sinon l’on aurait des édi­fices de belle archi­tec­ture mais pri­vés de fon­de­ment réel, et par­tant tout à fait éphémères.

Il convient aus­si de tenir compte du carac­tère de chaque popu­la­tion ; les usages, les ten­dances varient sui­vant les lieux. Ce qui importe, c’est que l’on édi­fie sur un bon fon­de­ment, avec de solides prin­cipes, avec zèle et constance ; et, si cela est obte­nu, la manière et la forme que prennent les dif­fé­rentes œuvres sont et demeurent accidentelles.

Pour renou­ve­ler enfin et pour accroître la vigueur néces­saire dans toutes les œuvres catho­liques indis­tinc­te­ment, pour offrir à leurs pro­mo­teurs et à leurs membres l’oc­ca­sion de se voir et de se connaître mutuel­le­ment, de res­ser­rer tou­jours plus étroi­te­ment entre eux les liens de la cha­ri­té fra­ter­nelle, de s’a­ni­mer les uns les autres d’un zèle tou­jours plus ardent à l’ac­tion effi­cace, et de pour­voir à une meilleure soli­di­té et à une dif­fu­sion des œuvres mêmes, il sera d’une mer­veilleuse uti­li­té d’or­ga­ni­ser de temps en temps, selon les ins­truc­tions déjà don­nées par ce Saint-​Siège apos­to­lique, des Congrès géné­raux ou par­ti­cu­liers de catho­liques ita­liens, qui doivent être la solen­nelle mani­fes­ta­tion de la foi catho­lique et la fête com­mune de la concorde et de la paix.

Il Nous reste, Vénérables Frères, à trai­ter un autre point de la plus grande impor­tance : les rela­tions que toutes les œuvres de l’ac­tion catho­lique doivent avoir avec l’au­to­ri­té ecclésiastique.

Si l’on consi­dère bien les doc­trines que Nous avons déve­lop­pées dans la pre­mière par­tie de Notre Lettre, l’on conclu­ra faci­le­ment que toutes les œuvres qui viennent direc­te­ment en aide au minis­tère spi­ri­tuel et pas­to­ral de l’Eglise, et qui par suite se pro­posent une fin reli­gieuse visant direc­te­ment le bien des âmes, doivent dans tous leurs détails être subor­don­nées à l’au­to­ri­té de l’Eglise et, par­tant, éga­le­ment à l’au­to­ri­té des évêques, éta­blis par l’Esprit-​Saint pour gou­ver­ner l’Eglise de Dieu dans les dio­cèses qui leur ont été assignés.

Mais, même les autres œuvres qui, comme Nous l’a­vons dit, sont prin­ci­pa­le­ment fon­dées pour res­tau­rer et pro­mou­voir dans le Christ la vraie civi­li­sa­tion chré­tienne, et qui consti­tuent, dans le sens don­né plus haut, l’ac­tion catho­lique, ne peuvent nul­le­ment se conce­voir indé­pen­dantes du conseil et de la haute direc­tion de l’au­to­ri­té ecclé­sias­tique, d’au­tant plus d’ailleurs qu’elles doivent toutes se confor­mer aux prin­cipes de la doc­trine et de la morale chré­tiennes ; il est bien moins pos­sible encore de les conce­voir en oppo­si­tion plus ou moins ouverte avec cette même autorité.

Il est cer­tain que de telles œuvres, étant don­née leur nature, doivent se mou­voir avec la liber­té qui leur convient rai­son­na­ble­ment, puisque c’est sur elles-​mêmes que retombe la res­pon­sa­bi­li­té de leur action, sur­tout dans les affaires tem­po­relles et éco­no­miques ain­si que dans celles de la vie publique, admi­nis­tra­tive ou poli­tique, toutes choses étran­gères au minis­tère pure­ment spi­ri­tuel. Mais puisque les catho­liques portent tou­jours la ban­nière du Christ, par cela même ils portent la ban­nière de l’Eglise ; et il est donc rai­son­nable qu’ils la reçoivent des mains de l’Eglise, que l’Eglise veille à ce que l’hon­neur en soit tou­jours sans tache, et qu’à l’ac­tion de cette vigi­lance mater­nelle les catho­liques se sou­mettent en fils dociles et affectueux.

D’où il appa­raît mani­fes­te­ment com­bien furent mal avi­sés ceux-​là, peu nom­breux à la véri­té, qui, ici en Italie et sous Nos yeux, vou­lurent se char­ger d’une mis­sion qu’ils n’a­vaient reçue ni de Nous ni d’au­cun de nos Frères dans l’é­pis­co­pat, et qui se mirent à la rem­plir non seule­ment sans le res­pect dû à l’au­to­ri­té, mais même en allant ouver­te­ment contre ce qu’elle vou­lait, cher­chant à légi­ti­mer leur déso­béis­sance par de futiles dis­tinc­tions. Ils disaient eux aus­si, qu’ils levaient une ban­nière au nom du Christ ; mais une telle ban­nière ne pou­vait pas être du Christ parce qu’elle ne por­tait point dans ses plis la doc­trine du divin Rédempteur qui, encore ici, a son appli­ca­tion : « Celui qui vous écoute, m’é­coute ; et celui qui vous méprise, me méprise« 8 ; « celui qui n’est pas avec moi, est contre moi, et celui qui n’a­masse pas avec moi, dis­sipe« 9 ; doc­trine donc d’hu­mi­li­té, de sou­mis­sion, de filial respect.

Avec une extrême amer­tume de cœur Nous avons dû condam­ner une pareille ten­dance et arrê­ter avec auto­ri­té le mou­ve­ment per­ni­cieux qui déjà se des­si­nait. Et Notre dou­leur était d’au­tant plus vive que Nous voyions impru­dem­ment entraî­nés par une voix aus­si fausse bon nombre de jeunes gens qui Nous sont très chers, dont beau­coup ont une intel­li­gence d’é­lite, un zèle ardent, et qui sont capables d’o­pé­rer effi­ca­ce­ment le bien pour­vu qu’ils soient bien dirigés.

Et, pen­dant que Nous mon­trons à tous la ligne de conduite que doit suivre l’ac­tion catho­lique, Nous ne pou­vons dis­si­mu­ler, Vénérables Frères, le sérieux péril auquel la condi­tion des temps expose aujourd’­hui le cler­gé : c’est de don­ner une exces­sive impor­tance aux inté­rêts maté­riels du peuple en négli­geant les inté­rêts bien plus graves de son minis­tère sacré.

Le prêtre, éle­vé au-​dessus des autres hommes pour rem­plir la mis­sion qu’il tient de Dieu, doit se main­te­nir éga­le­ment au-​dessus de tous les inté­rêts humains, de tous les conflits, de toutes les classes de la socié­té. Son propre champ d’ac­tion est l’Eglise, où, ambas­sa­deur de Dieu, il prêche la véri­té et inculque, avec le res­pect des droits de Dieu, le res­pect aux droits de toutes les créa­tures. En agis­sant ain­si, il ne s’ex­pose à aucune oppo­si­tion, il n’ap­pa­raît pas homme de par­ti, sou­tien des uns, adver­saire des autres ; et, pour évi­ter de heur­ter cer­taines ten­dances ou pour ne pas exci­ter sur beau­coup de sujets les esprits aigris, il ne se met pas dans le péril de dis­si­mu­ler la véri­té ou de la taire, man­quant dans l’un et dans l’autre cas à ses devoirs ; sans ajou­ter que, ame­né à trai­ter bien sou­vent de choses maté­rielles, il pour­rait se trou­ver impli­qué soli­dai­re­ment dans des obli­ga­tions nui­sibles à sa per­sonne et à la digni­té de son minis­tère. Il ne devra donc prendre part à des Associations de ce genre qu’a­près mûre déli­bé­ra­tion, d’ac­cord avec son évêque, et dans les cas seule­ment où sa col­la­bo­ra­tion est à l’a­bri de tout dan­ger et d’une évi­dente utilité.

On ne met pas, de cette façon, un frein à son zèle. Le véri­table apôtre doit « se faire tout à tous, pour les sau­ver tous« 10 : comme autre­fois le divin Rédempteur, il doit se sen­tir ému d’une pro­fonde pitié en « contem­plant les foules ain­si tour­men­tées, gisant comme des bre­bis sans pas­teur« 11.

Que, par la pro­pa­gande effi­cace de la presse, les exhor­ta­tions vivantes de la parole, le concours direct dans les cas indi­qués plus haut, cha­cun s’emploie donc à amé­lio­rer, dans les limites de la jus­tice et de la cha­ri­té, la condi­tion éco­no­mique du peuple en favo­ri­sant et pro­pa­geant les ins­ti­tu­tions qui conduisent à ce résul­tat, celles sur­tout qui se pro­posent de bien dis­ci­pli­ner les mul­ti­tudes en les pré­mu­nis­sant contre la tyran­nie enva­his­sante du socia­lisme, et qui les sauvent à la fois de la ruine éco­no­mique et de la désor­ga­ni­sa­tion morale et reli­gieuse. De cette façon, la par­ti­ci­pa­tion du cler­gé aux œuvres de l’ac­tion catho­lique a un but hau­te­ment reli­gieux ; elle ne sera jamais pour lui un obs­tacle, mais, au contraire, une aide dans son minis­tère spi­ri­tuel, dont elle élar­gi­ra le champ d’ac­tion et mul­ti­plie­ra les fruits.

Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous avions à cœur d’ex­po­ser et d’in­cul­quer rela­ti­ve­ment à l’ac­tion catho­lique telle qu’il faut la sou­te­nir et la pro­mou­voir dans notre Italie.

Montrer le bien ne suf­fit pas ; il faut le réa­li­ser dans la pra­tique. A cela aide­ront beau­coup vos encou­ra­ge­ments et Nos exhor­ta­tions pater­nelles et immé­diates à bien faire. Les débuts pour­ront être humbles ; pour­vu que l’on com­mence réel­le­ment, la grâce divine les fera croître en peu de temps et pros­pé­rer. Que tous Nos fils ché­ris qui se dévouent à l’ac­tion catho­lique, écoutent à nou­veau la parole qui jaillit si spon­ta­né­ment de Notre cœur. Au milieu des amer­tumes qui Nous envi­ronnent chaque jour, si Nous avons quelque conso­la­tion dans le Christ, s’il Nous vient quelque récon­fort de votre cha­ri­té, s’il y a com­mu­nion d’es­prit et com­pas­sion de cœur, vous dirons-​Nous avec l’a­pôtre saint Paul12, ren­dez com­plète Notre joie par votre concorde, votre cha­ri­té mutuelle, votre una­ni­mi­té de sen­ti­ments, l’hu­mi­li­té et la sou­mis­sion due, en cher­chant non pas l’in­té­rêt propre mais le bien com­mun, et en fai­sant pas­ser dans vos cœurs les sen­ti­ments mêmes qui étaient ceux de Jésus-​Christ Notre Sauveur. Qu’il soit le prin­cipe de toutes vos entre­prises : « Tout ce que vous dites ou faites, que tout soit au nom de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ« 13, qu’il soit le terme de toute votre acti­vi­té : « Que tout abso­lu­ment soit de Lui, pour Lui, à Lui ; à Lui gloire dans les siècles« 14 ! En ce jour, très heu­reux, qui rap­pelle le moment où les Apôtres, rem­plis de l’Esprit-​Saint, sor­tirent du Cénacle pour prê­cher au monde le règne du Christ, que des­cende pareille­ment sur vous tous la ver­tu du même Esprit ; qu’Il adou­cisse toute dure­té, qu’Il réchauffe les âmes froides, et qu’Il remette dans les droits sen­tiers tout ce qui est dévoyé : « Flecte quod est rigi­dum, fove quod est fri­gi­dum, rege quod est devium ».

Comme signe de la faveur divine, et gage de Notre très spé­ciale affec­tion, Nous vous accor­dons du fond du cœur, Vénérables Frères, à vous, à votre cler­gé et au peuple ita­lien, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905, l’an II de Notre Pontificat.

Pie X, pape

  1. Eph. IV, 16 []
  2. Eph. IV, 12. []
  3. Coloss. 1,10. []
  4. I. Cor. I, 23. []
  5. Ephes. I, 10. []
  6. I Tim. IV, 8. []
  7. I Petr. II, 15. []
  8. Luc. X, 16. []
  9. Ibid., XI, 23. []
  10. I. Cor. IX, 22. []
  11. Matth. IX, 36. []
  12. Philipp. II, I, 5. []
  13. Coloss. III, 17. []
  14. Rom. XI, 36. []
13 décembre 1908
Prononcé après la lecture des décrets de béatification des Vénérables Jeanne d'Arc, Jean Eudes, François de Capillas, Théophane Vénard et ses compagnons.
  • Saint Pie X