Dans les vicissitudes présentes, à l’amertume desquelles de récentes calamités nationales ajoutent pour Notre cœur le poids accablant de leur tristesse, c’est pour Nous une consolation et un réconfort que de voir le peuple chrétien groupé dans un concert unanime de charité, qui à cette heure encore n’a pas cessé d’être en spectacle au monde, aux anges et aux hommes (I Cor. iv, 9). Cette émulation, la vue des maux présents peut en avoir accru l’élan ; mais, en définitive, ne lui cherchons pas d’autre cause que la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il n’existe et ne peut exister sur la terre aucune vertu digne d’un tel nom sinon par Jésus-Christ ; à lui seul donc doit se rapporter tout fruit de charité parmi les hommes, même parmi ceux dont la foi est énervée, même parmi les adversaires de la religion ; s’il reste en eux quelque vestige de la vraie charité, ils le doivent entièrement à la civilisation apportée par Jésus-Christ : ils ne sont pas encore arrivés à se soustraire totalement à son influence ni à l’extirper de la société chrétienne.
Dans notre émotion devant le spectacle d’un semblable zèle à consoler un Père et à secourir des frères dans les souffrances communes comme dans les malheurs privés, les paroles Nous font défaut pour exprimer Nos sentiments de reconnaissance. Plus d’une fois Nous les avons témoignés aux uns et aux autres en particulier ; mais Nous ne voulons pas tarder davantage à Nous acquitter publiquement de ce devoir de gratitude, d’abord auprès de vous, Vénérables Frères, et, par votre entremise, auprès de tous les fidèles confiés à vos soins.
Nous tenons aussi à proclamer bien haut Notre reconnaissance à Nos fils bien-aimés, qui, dans le monde entier, ont célébré par tant et de si éclatants témoignages d’amour et d’attachement le cinquantième anniversaire de Notre sacerdoce. Ces tributs d’affection Nous ont été agréables en considération non pas tant de Notre personne que de la religion et de l’Eglise : rendre hommage à celui que le Seigneur a daigné constituer Chef de sa famille, n’était-ce pas témoigner d’une foi courageuse, n’était-ce pas rendre au grand jour, au Christ et à son Eglise, les honneurs qui leur sont dus ?
Mais il est d’autres événements du même genre qui ont été cause pour Nous d’une grande joie. Ce sont, dans l’Amérique du Nord, les solennités du centenaire de l’érection de nombreux diocèses, occasion de rendre à Dieu d’éternelles actions de grâces pour tant de fils qu’il a daigné appeler au sein de l’Eglise catholique. C’est, sur le sol de la glorieuse Angleterre, le spectacle de la restauration solennelle du culte eucharistique, accomplie au milieu d’un peuple innombrable et rehaussée par la présence de nombreux évêques, Nos Vénérables Frères, entourant Notre légat apostolique. C’est, en France, » l’Eglise affligée qui sèche ses larmes en contemplant les splendides triomphes de l’auguste Sacrement, aux sanctuaires de Lourdes en particulier, dont, à Notre grand bonheur, le cinquantenaire vient d’être solennellement fêté. A la lumière de ces faits et d’autres encore, que tous apprennent et qu’ils se persuadent, les ennemis du nom catholique, que l’éclat de ces cérémonies, ce culte rendu à l’auguste Mère de Dieu, ces hommages multipliés adressés au Souverain Pontife, n’ont, en définitive, d’autre but que de glorifier Dieu en toutes choses, de faire que le Christ soit tout et en tous (Coloss. iii, 11), que le règne de Dieu s’établisse sur la terre pour le salut éternel des hommes.
Ce triomphe de Dieu que nous attendons sur les individus et sur la société humaine tout entière, ce n’est pas autre chose que le retour des égarés à Dieu par le Christ et au Christ par son Eglise : tel est d’ailleurs Notre programme, comme Nous l’avons hautement déclaré dans Nos premières lettres apostoliques E supremi Apostolatus Cathedra [1], et souvent répété depuis. Ce retour, Nous en envisageons avec confiance la perspective ; c’est à le hâter que tendent Nos efforts et Nos vœux ; Nous le regardons comme le port destiné à fournir un abri contre les tempêtes de la vie présente elle-même. Dans ces honneurs publics rendus à l’Eglise, Nous voyons comme le gage de ce retour des nations au Christ, par la grâce de Dieu, et de leur adhésion plus intime à Pierre et à l’Eglise : voilà pourquoi Nous avons accueilli avec bonheur et reconnaissance ces hommages adressés à Notre humble personne.
Sans doute, cet affectueux attachement au Siège apostolique a pu revêtir, selon les temps et les lieux, une intensité et des caractères différents ; néanmoins, par un dessein providentiel, semble-t-il, il n’a jamais été plus grand qu’aux époques où la saine doctrine, la discipline sacrée et La liberté de l’Eglise rencontraient, comme aujourd’hui, plus d’adversaires, et d’autant plus que plus vive était la lutte. En ces âges où le troupeau du Christ était persécuté, où le vice inondait le monde, les saints ont donné l’exemple de cet attachement ; à ‑ces maux, Dieu opposait très opportunément leur vertu et leur sagesse. C’est l’un d’entre eux que Nous voulons rappeler dans ces Lettres : cette année même voit les fêtes solennelles du VIIIe centenaire de sa mort sainte : Nous avons nommé le docteur d’Aoste, Anselme, le défenseur de la vérité catholique et l’intrépide champion des droits sacrés, d’abord comme moine et abbé en France, puis comme archevêque de Cantorbéry et primat d’Angleterre. Naguère, les splendides solennités en l’honneur des saints docteurs Grégoire le Grand et Jean Chrysostome ont présenté aux regards éblouis ces deux flambeaux de l’Eglise, l’un en Occident, l’autre en Orient ; il ne Nous paraît pas hors de propos de fixer aujourd’hui Nos regards sur un autre astre ; sans doute, il diffère en éclat (I Cor. xv, 41) des deux premiers ; mais, marchant sur leurs traces, il répand cependant par sa vie et sa doctrine une lumière égale, plus forte même en quelque sorte, pourrait-on dire, car Anselme est plus près de nous par son époque, son pays, son génie, ses travaux ; il s’adapte plus aisément à notre siècle par le caractère des luttes qu’il eut à soutenir, la forme d’action pastorale qu’il mit eu usage, et les procédés d’enseignement appliqués par lui et par ses disciples et accrédités surtout par ses écrits qui ont fourni une ligne de conduite, pour la défense de la religion et le bien des âmes, à tous les théologiens qui ont enseigné les saintes lettres suivant la méthode scolastique [2]. De la sorte, comme an milieu des ténèbres de la nuit, quand des étoiles se couchent, d’autres s’élèvent pour éclairer le monde, ainsi, pour illuminer l’Eglise, aux pères succèdent les fils, parmi lesquels a brillé comme un astre éclatant le bienheureux Anselme.
Dans les ténèbres de son siècle enlacé dans un réseau de vices et d’erreurs, il a paru, aux yeux des meilleurs juges, surpasser en éclat tous ses contemporains par la splendeur de sa doctrine et de sa sainteté. Il fut, en effet, le prince de la foi. l’ornement de l’Eglise, la gloire de l’épiscopat ; il l’emporta sur l’élite des hommes éminents de son siècle [3]. Sage, bon, orateur brillant, esprit distingué (dans l’Epitaphium), il fut cela aussi ; personne, on a pu le dire avec raison, tant sa renommée eut d’éclat, personne ne se trouva sur la terre pour oser dire : Anselme m’est inférieur ou n’est que mon égal [4]. Aussi fut-il en faveur auprès des rois, dos princes, des Souverains Pontifes, aimé de ses frères, du peuple fidèle, de ses ennemis eux-mêmes [5]. Il n’était encore qu’abbé quand il reçut du grand et courageux Pontife Grégoire VII dos lettres pleines d’estime et d’affection où le Pape recommandait à ses prières et sa personne et l’Eglise catholique [6]. C’est à lui qu’Urbain Il décernait la palme de la religion et de la science [7]. C’est lui dont, à plusieurs reprises et avec une extrême cordialité, Pascal II exalte la piété fervente, la foi robuste et le zèle pieux et vigilant, lui dont il accueille volontiers les demandes fraternelles en considération de l’excellence de sa piété et de sa sagesse [8], lui qu’il n’hésite pas à proclamer le plus sage et le plus religieux des évêques d’Angleterre.
Pour lui, cependant, il ne se considérait que comme un être méprisable, un inconnu, un homme de rien, d’une science infime, un pécheur. Malgré ces humbles sentiments de lui-même, il savait s’élever aux pensées les plus hautes, à l’encontre des jugements que portent volontiers ceux dont l’intelligence et le cœur sont corrompus, ceux dont parlent les Saintes Lettres quand elles disent : L’homme charnel ne perçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu (I Cor. ii, 14). Chose plus admirable encore : cette grandeur d’âme, cette invincible énergie, mise à l’épreuve par tant de vexations, de persécutions, d’exils, s’alliait chez lui avec tant de douceur et d’aménité qu’il désarmait les colères qui s’agitaient autour de lui et se conciliait les bonnes grâces de ses adversaires : ceux-là mêmes qui ne pouvaient le supporter louaient cependant sa bonté [9].
En lui s’accordaient et s’harmonisaient merveilleusement ces qualités que l’on considère souvent, mais bien à tort, comme contradictoires et absolument incompatibles : simplicité et candeur unies à la magnanimité ; génie et modestie, douceur et force, science et piété : dès les débuts de sa carrière religieuse et durant toute sa vie, c’est merveille comme il fut aux yeux de tous un modèle de sainteté et de doctrine [10].
Et ce double mérite d’Anselme ne resta pas confiné entre les murs de sa demeure ou dans l’enceinte des écoles : comme d’une tente militaire, il sortit au grand jour dans la poussière des camps. Paru en ces temps difficiles que nous connaissons, il eut à soutenir de très rudes combats pour la justice et la vérité. Porté par tempérament aux études et à la contemplation, il se trouva engagé dans de nombreuses et importantes affaires, et du jour où il prit en main le gouvernement d’une Eglise, il fut jeté dans un tourbillon de luttes et de difficultés. Doux et paisible comme il l’était, il lui fallut, pour la défense de la doctrine et des droits de l’Eglise, dire adieu aux charmes d’une vie tranquille, renoncer à l’amitié et à la faveur des princes, briser les liens très doux qui l’unissaient à ses frères en religion et à ses collègues dans l’épiscopat, subir toutes sortes de tribulations, être accablé de toutes sortes d’angoisses. L’Angleterre ne fut pour lui qu’une terre semée de haines et de périls, où il lui fallait résister aux rois et aux princes devenus les tyrans de l’Eglise et de leurs peuples, à des ecclésiastiques lâches ou indignes de leur saint ministère, aux grands et au peuple ignorant de tout et adonnés à tous les vices. Jamais son ardeur ne défaillit à venger la foi, les mœurs, la discipline et la liberté de l’Eglise, et par suite sa doctrine et sa sainteté, bien digne de cet autre éloge de Pascal : Dieu soit béni de ta fermeté épiscopale toujours constante en pays barbare, il n’est rien, ni la violence des tyrans, ni la faveur des puissants, ni les flammes du bûcher, ni la contrainte, rien qui l’empêche de prêcher la vérité. Et encore : Nous nous réjouissons, continue-t-il, de ce que, avec le secours de la grâce de Dieu, ni les menaces ne l’ébranlent ni les promesses ne te séduisent [11].
Dans ces conditions, n’est-il pas juste, Vénérables Frères, que Nous aussi, en ce huitième centenaire. Nous Nous réjouissions avec Notre prédécesseur Pascal, et qu’à sa voix Nous fassions écho dans Nos actions de grâces ? Mais, en même temps, Nous aimons à vous prier de contempler cette lumière de doctrine et de sainteté qui s’est levée en Italie, a brillé plus de trente ans en France, plus de quinze ans en Angleterre, soutien d’ailleurs et gloire de l’Eglise universelle.
D’où vient donc chez Anselme celle puissance en œuvres et en paroles que nous constatons ? Dans les combats de la vie et de la pensée, par sa spéculation pénétrante et son inlassable activité, par la vigueur de ses luttes et par ses suaves aspirations à la paix, il a procuré à l’Eglise de splendides triomphes et à la société civile d’insignes bienfaits ; tout cela repose sur une base unique : son attachement sans défaillance au Christ et à l’Eglise dans tout le cours de sa vie et dans l’exercice de son ministère doctrinal.
Pénétrons-nous de ces pensées en cette solennelle commémoraison d’un tel docteur : Nous y puiserons, Vénérables Frères, de magnifiques leçons à admirer et à imiter. Nous trouverons, dans cette méditation, force et consolation pour accomplir virilement notre saint ministère, souvent pénible et angoissant. Nous y apprendrons à nous dépenser généreusement pour restaurer tout dans le Christ, pour former le Christ (Galat. iv, 19) en tous, dans ceux-là surtout qui se préparent au sacerdoce. Nous nous y instruirons à défendre énergiquement les enseignements de l’Eglise, à lutter vaillamment pour la liberté de l’Epouse du Christ, pour les droits sacrés qu’elle a reçus de Dieu, pour tout ce que requiert le maintien du pouvoir spirituel dans sa plénitude.
Vous connaissez, en effet, Vénérables Frères, pour les avoir souvent déplorées avec Nous, les tristesses des temps présents et les douloureuses conditions de Notre ministère.
Les infortunes publiques Nous avaient accablé d’une peine indicible ; mais la blessure s’en est ravivée à entendre les calomnies portées contre le clergé, comme, si dans les calamités il n’avait apporté qu’un concours paresseux ; à voir les obstacles dressés pour empêcher l’Eglise d’exercer sa bienfaisante vertu à l’égard de ses malheureux enfants ; à constater que ses soins maternels et sa sollicitude étaient méconnus. Ce n’est pas tout : Nous taisons d’autres méfaits machinés avec une ruse perfide ou perpétrés avec une audace sacrilège pour la ruine de l’Eglise, et cela au mépris du droit public et en violation de toutes les lois de la justice et de l’équité naturelle. Et ce qui est particulièrement grave, c’est que ces crimes ont été commis en des pays où a coulé plus largement le fleuve de la civilisation apportée par l’Eglise. Voyez ces fils que l’Eglise a élevés et choyés comme dos premiers-nés dans toute la fleur de son âge et la vigueur de sa jeunesse : il s’en trouve pour oser plonger leur glaive dans le sein de cette Mère très aimante : est-il forfait plus inhumain ?
La situation d’autres pays n’est guère faite non plus pour Nous consoler : même hostilité sous d’autres formes et même haine, soit déjà en pleine effervescence, soit encore attisée dans l’ombre et prête à éclater. Car, quel est, en définitive, le plan de toutes les nations sur lesquelles se sont répandus plus abondants les bienfaits de la religion chrétienne, sinon de dépouiller l’Eglise de tous ses droits ? Elle est par nature et par droit une société parfaite, instituée comme telle par notre Rédempteur : on agira avec elle comme si elle n’était rien moins que cela. Sa royauté atteint sans doute spécialement et directement les âmes, dont elle procure le salut éternel, mais elle n’en contribue pas moins au bien-être social : elle est cependant condamnée à disparaître. On met tout en œuvre pour que sous le faux nom de liberté règne à la place de Dieu une licence effrénée. En attendant que se réalise ce rêve, que s’établisse par le règne des vices et des passions la pire des servitudes ; que les nations, par une course affolée, se précipitent aux abîmes — car le péché fait le malheur des peuples (Prov., xiv, 34), — éperdument s’élève le cri : Lui, nous ne voulons pas qu’il règne sur nous (Luc. xix, 14). On proscrit les Ordres religieux, ornement et soutien de l’Eglise dans tous les âges, initiateurs et gloire de la civilisation et de la science, soit parmi les barbares, soit parmi les nations cultivées. On détruit ou on persécute les institutions de bienfaisance chrétienne. On se joue du clergé ; on l’entrave au point d’annihiler ses efforts ; on lui ferme tout accès aux chaires publiques ou du moins on multiplie sur sa roule les obstacles ; on ne lui laisse aucune part dans l’éducation de la jeunesse. Toute action chrétienne pour le bien public est empêchée : les hommes les plus distingués se rendent-ils coupables de professer ouvertement la foi catholique, on les écarte des honneurs ; on ne leur accorde aucune considération : ils se voient en butte aux attaques les plus impudentes, victimes de procédés indignes comme une classe honteuse, comme des parias ; tôt ou tard, ils doivent s’y attendre, une recrudescence d’hostilité légale leur interdira toute participation aux affaires et à la vie publique. Et quel est, à les entendre, les auteurs de cette guerre à la fois si perfide et si violente, quel est leur mobile ? Ils n’obéissent, prétendent-ils, qu’à l’amour de la liberté, au zèle du progrès, à l’ardeur de leur patriotisme. Ils mentent, tout comme leur père, qui fut homicide dès le commencement, qui, lorsqu’il profère le mensonge, parle de son propre fonds, car il est menteur (Joan. viii, 44), et sa haine contre Dieu et contre les hommes est insatiable.
Etrange effronterie, que celle de ces hommes : ils veulent en faire accroire ; ils tendent des pièges aux oreilles distraites. Patriotisme ? Sollicitude des intérêts populaires ? Souci de justice, de probité ? Non, ce n’est rien de semblable qui inspire cette guerre odieuse, mais une rage insensée contre Dieu et contre l’Eglise, son œuvre admirable. La voilà bien, la source empoisonnée d’où jaillissent ces projets scélérats ; voilà pourquoi l’on veut opprimer l’Eglise, briser tout rapport entre elle et la société humaine ; voilà le secret de ces imprudentes clameurs sans cesse répétées ; « l’Eglise est morte », dit-on, et cependant cette morte, on ne cesse de la combattre. Leur audacieuse folie ne s’arrête pas en si beau chemin : ils ont enchaîné la liberté de l’Eglise et ils l’accusent maintenant comme inutile à l’humanité et au bien public. C’est dans le même esprit de haine qu’ils dissimulent perfidement ou passent sous silence les bienfaits les plus éclatants de l’Eglise et du Siège apostolique ; parfois même ils en prennent occasion de soulever des soupçons et de les insinuer habilement dans les oreilles et le cœur des foules, épiant les paroles et les actes de l’Eglise pour les présenter comme autant de menaces et de périls pour la société ; et cependant, qui pourrait en douter, c’est du Christ que date la plus magnifique efflorescence de fraternité, de liberté et de civilisation, et c’est l’Eglise qui a été le canal de ces bienfaits.
Telle est cette guerre entreprise par les ennemis de l’extérieur, que nous voyons partout attaquer l’Eglise, ici en lutte ouverte, là par la fourberie et de secrètes embûches ; c’est sur elle, Vénérables Frères, que souvent Nous avons orienté votre vigilante sollicitude.
Rappelez-vous en particulier Notre allocution consistoriale du 16 décembre 1907.
Mais il est une autre sorte de guerre, intérieure celle-là et domestique, d’autant plus funeste cependant qu’elle apparaît moins au dehors, et Nous avons le devoir de la signaler avec douleur et de la réprimer avec sévérité. Ce fléau est le fait de quelques fils dénaturés ; ils l’ont machiné, se cachant dans le sein même de l’Eglise pour la déchirer ; ils veulent frapper à coup sûr, atteindre le but ; aussi c’est contre l’âme de l’Eglise qu’ils lancent leurs traits ; ils attaquent l’arbre dans ses racines. Que veulent-ils, en effet ? Troubler les sources de la vie et de la doctrine chrétiennes ; dissiper l’héritage sacré de la foi ; arracher les fondements de l’œuvre divine par le mépris qu’ils font de l’autorité pontificale et épiscopale ; donner à l’Eglise une forme nouvelle, de nouvelles lois, de nouveaux droits, au gré des exigences des monstrueux systèmes qu’ils défendent ; en définitive, flétrir entièrement la beauté de l’Epouse de Dieu par le vain éclat d’une culture nouvelle, c’est-à-dire de cette fausse science contre laquelle l’Apôtre nous met fréquemment en garde : Veillez à ce que personne ne vous séduise par une philosophie et des enseignements trompeurs, inspirés par une tradition tout humaine et les principes du monde, et non par le Christ (Coloss. ii, 8).
Il en est qui se sont laissé prendre à cette vaine apparence de philosophie, à cette érudition vide et trompeuse, tapageuse et ne reculant devant aucune des audaces de la critique. Ils sont devenus vains dans leurs pensées (Rom. i, 21) ; n’écoutant pas la voix d’une conscience droite, ils ont fait naufrage dans la foi (I Tim. i, 19). D’autres, victimes de doute, submergés pour ainsi dire sous les flots des opinions contraires, ne savent même plus vers quel rivage se diriger. D’autres encore consacrent leur temps, leur culture intellectuelle, leurs labeurs à de chimériques hypothèses, à la poursuite desquelles ils perdent le zèle des choses de Dieu, en même temps qu’ils s’écartent des vraies sources de la doctrine. On a reconnu le modernisme, car tel est, en raison même de la folle passion de ces hommes pour les nouveautés malsaines, tel est le nom qu’a reçu ce fléau pernicieux. Souvent dénoncé déjà et mis à nu d’ailleurs par les excès mêmes de ses fauteurs, il n’en continue pas moins à être un grave péril pour le monde chrétien. Venin subtil, il a infecté les veines et les entrailles de la société actuelle, séparée du Christ et de l’Eglise ; mais là où il exerce surtout ses ravages, c’est dans la jeunesse qui lève ; inexpérimentée, étourdie- par tempérament, elle s’en est laissé envahir comme d’un chancre.
Mais, dira-t-on, pourquoi cette attitude ? Ces hommes, sans doute, se distinguent par la profondeur de leur science ? Non : entre la raison et la foi, il ne peut exister de réel dissentiment [12]. Les vraies causes, les voici : leur orgueil intellectuel, l’atmosphère empestée de ce siècle dont ils sont imprégnés, l’air lourd et délétère qu’ils respirent, leur connaissance superficielle, confuse ou même nulle des questions religieuses, leur ridicule présomption. A développer ce mal, concourent la perte de la foi et la rébellion contre Dieu. Ceux-là, en effet, qui sont victimes de cet amour aveugle des nouveautés se croient volontiers assez forts pour rejeter, ouvertement ou hypocritement, le joug de l’autorité divine, assez forts pour créer à leur usage une religion à peine supérieure à la loi naturelle et accommodée à leur sentiment individuel. Cette ébauche peut emprunter le nom et l’apparence du christianisme : elle n’en possède pas, bien loin de là, la vérité et la vie.
C’est là une phase nouvelle de la guerre éternelle entreprise contre Dieu ; il n’y a de changé que les armes employées, mais là précisément est la clé du péril : feinte piété, candeur ingénue, ténacité passionnée chez ces hommes entreprenants à rechercher la conciliation entre les éléments les plus opposés, entre les erreurs de la science humaine faillible et la foi divine, entre l’esprit mouvant du siècle et la constance pleine de dignité de l’Eglise.
Avec Nous, Vénérables Frères, vous déplorez cet état de choses, mais cependant vous vous rendez compte qu’il n’y a pas là motif de découragement ou de désespérance. Vous connaissez les luttes farouches qu’eut à soutenir le peuple chrétien dans les siècles passés, si différents pourtant du nôtre. Reportons-nous par la pensée à l’époque d’Anselme, si pleine de difficultés, au témoignage de l’histoire. Il fallut alors véritablement lutter pour l’autel et la patrie, c’est-à-dire pour l’inviolabilité du droit public, pour la liberté, la civilisation, la doctrine, toutes choses dont l’Eglise seule avait la garde. Il fallut réprimer la tyrannie des princes, habitués à méconnaître les droits les plus sacrés. Il fallut déraciner les vices, cultiver les intelligences, amener à la civilisation des hommes encore imprégnés de barbarie. Il fallut travailler à la réforme d’une partie du clergé, coupable de lâcheté ou d’inconduite : nombreux dans ses rangs étaient ceux qui ne devaient leur élection qu’à l’intrigue et au caprice des princes, leur étaient en tout servilement soumis.
Telle était la situation, particulièrement dans les contrées qui bénéficièrent d’une façon plus immédiate des travaux et de la sollicitude d’Anselme, de son enseignement doctrinal, des exemples de sa vie monastique, de la vigilance attentive et du zèle industrieux qu’il mit à remplir ses fonctions d’archevêque et de primat. Les privilégiés de son action bienfaisante, ce sont les provinces françaises soumises au pouvoir des Normands et les îles Britanniques, venues à l’Eglise peu de siècles auparavant.
De part et d’autre, les révolutions intérieures et les guerres étrangères avaient eu pour conséquence le relâchement de la discipline : princes et sujets, clercs et laïques, personne n’y avait échappé.
Les plus grands esprits de ce siècle ne cessaient de déplorer de semblables abus, et, parmi eux, l’ancien maître d’Anselme et son prédécesseur sur le siège de Cantorbéry, Lanfranc. Mais, plus haut que tous, les Pontifes romains élevaient la voix. Nous ne citerons qu’un nom : celui qui le porta fut un homme au courage indomptable, le défenseur infatigable des droits et de la liberté de l’Eglise, le gardien vigilant et le sauveur de la discipline ecclésiastique, Grégoire VII.
Fort de leur zèle et de leurs exemples, Anselme criait hautement sa douleur dans une lettre au souverain de son pays, qui se glorifiait de lui être uni à la fois par les liens du sang et ceux de l’amitié : Vous voyez, mon très cher Seigneur, comment notre Mère l’Eglise de Dieu, que Dieu appelle sa tendre amie et son épouse bien-aimée, est foulée aux pieds par de mauvais princes ; comment, pour leur éternelle damnation, ceux-là mêmes à qui Dieu l’a confiée avec mission de la défendre se font ses bourreaux ; avec quelle audace ils se sont approprié ses biens ; avec quelle cruauté ils changent en servitude sa liberté ; avec quelle impiété ils méprisent et battent en brèche ses lois et sa doctrine. Ils dédaignent d’obéir aux décrets du Siège apostolique, portés pour la sauvegarde de la religion chrétienne : par là même, ils affichent leur rébellion contre l’apôtre Pierre que représente le Pontife romain, et contre Jésus-Christ lui-même qui a confié à Pierre son Eglise… Car tous ceux qui refusent de se soumettre à la loi de Dieu doivent, sans nul doute, être réputés ennemis de Dieu. [13]
Ainsi parlait Anselme ; et plût à Dieu que ses paroles eussent été entendues, non seulement des successeurs et des descendants de ce prince très puissant, mais encore des autres rois et peuples qu’il embrassa d’un tel amour, qu’il entoura de tant de sollicitude, qu’il combla de tant de bienfaits.
Mais les persécutions, les spoliations, les exils, les souffrances, surtout dans l’exercice de son ministère épiscopal, loin d’énerver son courage, ne firent que l’attacher plus étroitement à l’Eglise et au Siège apostolique. Parcourons la lettre qu’il adresse, abreuvé d’angoisses et de soucis, à Notre prédécesseur Pascal : Je ne crains, dit-il, ni l’exil ni la pauvreté, ni les tourments, ni la mort, car, par la grâce de Dieu, mon cœur est prêt à souffrir tout cela pour l’obéissance au Siège apostolique et pour la liberté de ma Mère l’Eglise du Christ [14]. S’il cherche aide et protection auprès de la Chaire de Pierre, c’est, écrit-il, afin que jamais la fermeté de la discipliné ecclésiastique et de l’autorité apostolique ne soit en aucune manière affaiblie par moi ou à cause de moi.
C’est ainsi qu’il s’en explique dans les lettres qu’il envoie à deux chefs illustres de l’Eglise romaine. Et il on donne cette raison qui nous apparaît comme un éclatant témoignage de son énergie et de sa dignité pastorale : Je préfère, en effet, mourir, et, si je vis, souffrir toute pauvreté en exil, que voir l’honneur de l’Eglise de Dieu diminué en quelque façon à cause de moi ou par mon exemple [15].
L’honneur de l’Eglise, sa liberté, sa pureté, ces trois objets ne quittent l’esprit du Saint ni le jour ni la nuit. Pour leur conservation, il importune Dieu de ses larmes, de ses prières, de ses sacrifices. Pour les accroître, il déploie toute sa vigueur, il résiste énergiquement, il souffre avec courage. Il les protège par son action, ses écrits, sa parole. A les défendre, il convie les religieux, ses frères, ses collègues dans l’épiscopat, le clergé et le peuple, trouvant pour cola des exhortations suaves et fortes, mais plus sévères quand il parle à des princes qui foulent aux pieds les droits de la liberté de l’Eglise pour leur malheur et celui de leurs sujets.
À cette heure, ces nobles, paroles de sainte liberté sont vraiment opportunes ; elles sont entièrement dignes de ceux que l’Esprit-Saint a chargés de gouverner l’Eglise de Dieu (Act. xx, 28). Elles ne sont pas inefficaces, même lorsque, par l’affaiblissement de la foi, par l’abaissement dos mœurs, par la tyrannie des préjugés, elles ne sont reçues que par des oreilles qui ne veulent pas entendre. C’est à nous, Vénérables Frères, à nous surtout, vous le savez, que s’adresse cet avis divin : Criez, ne cessez pas, faites retentir votre voix comme la trompette (Is. lviii, 1) à nous qu’il s’adresse plus particulièrement encore à l’heure où le Très- Haut lui-même a fait entendre sa voix (Ps. xvii, 14) dans le frémissement de la nature et de terrifiantes calamités ; sa voix qui ébranle la terre ; sa voix dont les éclats blessent nos oreilles, sa voix qui nous rappelle le néant de tout ce qui n’est pas éternel : nous n’avons pas ici- bas de demeure permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir (Hebr. xiii, 14); sa voix de justice et de miséricorde tout ensemble, qui rappelle dans le sentier du bien les peuples égarés. Dans ces infortunes publiques. Nous avons le devoir d’élever la voix, de rappeler les grandes vérités de la foi, non seulement aux humbles, mais aux puissants eux-mêmes, aux heureux de ce monde, aux chefs des peuples, à ceux qui sont appelés au gouvernement des Etats. Nous devons appeler l’attention de tous sur ces sentences éternelles que l’histoire a vérifiées en caractères sanglants, celle-ci, par exemple : Le péché fait le malheur des peuples (Prov. xiv, 34); les puissants subiront un jugement plus rigoureux (Sag. vi, 7); et ces paroles du psaume ii : Et maintenant, rois, devenez sages ; recevez l’avertissement, juges de la terre ; soumettez- vous à la loi du Seigneur, de peur qu’il ne s’irrite et que vous ne périssiez hors de la voie droite.
Ces menaces autorisent à redouter les plus dures conséquences, lorsque s’accroît l’iniquité publique, lorsque la faute des gouvernants et des peuples consiste dans l’exclusion de Dieu et la révolte contre l’Eglise du Christ. De cette double apostasie découlent le désordre général et des misères infinies pour les individus et les sociétés.
Par l’aquiescement de notre silence, nous sommes exposés à nous faire les complices de tels crimes : le fait n’est pas rare, même parmi les bons. Que chacun des Pasteurs de l’Eglise regarde dès lors comme s’adressant à lui-même en particulier ces paroles d’Anselme au puissant comte de Flandre, et qu’au besoin il les rappelle à ses collègues :
Je vous en prie, je vous en supplie, écoutez mes avertissements, les conseils que je vous adresse dans ma sollicitude pour votre âme, Monseigneur, et dans l’amour que je vous porte en Dieu : ne croyez jamais amoindrir votre haute dignité, en aimant et en défendant la liberté de l’Eglise, épouse de Dieu et votre Mère ; ne pensez pas que vous vous humiliez en l’exaltant, que vous vous affaiblissez en la fortifiant. Voyez, jetez les yeux autour de vous : les exemples s’offrent d’eux-mêmes. Considérez les princes qui attaquent l’Eglise et foulent aux pieds ses droits ; en quoi en sont-ils plus prospères ? à quoi en arrivent-ils ? La réponse est assez évidente ; il n’y a pas à y insister. [16] La même pensée se retrouve avec plus d’ampleur, mais en des termes d’une force et d’une suavité égales dans une lettre à Baudouin, roi de Jérusalem : Je vous le demande comme votre très fidèle ami, je vous en donne le conseil et prie Dieu à cette intention : vivez sous la loi de Dieu et soumettez en tout votre volonté à la sienne. C’est lorsque vous régnez selon la volonté de Dieu que vous régnez vraiment pour votre bien. Ne croyez pas, comme beaucoup de mauvais rois, que l’Eglise vous a été livrée comme une esclave à un maître : elle vous a été confiée comme à son avocat et à son défenseur. Dieu n’a rien de plus cher au monde que la liberté de son Eglise. Ceux qui veulent moins lui être utiles que lui commander prouvent incontestablement qu’ils sont ennemis de Dieu : Dieu veut que son Epouse soit libre et non esclave. Ceux qui la traitent avec la déférence d’un fils à l’égard de sa mère, ceux-là prouvent qu’ils sont ses fils et les fils de Dieu. Mais ceux qui lui commandent comme à une esclave se montrent non des fils, mais des étrangers, et c’est justement qu’ils sont exclus de l’héritage et de la dot dont elle a reçu les promesses. [17] C’est ainsi que jaillit du cœur du saint, la flamme de son amour pour l’Eglise ; c’est ainsi qu’éclate son zèle pour la défense de sa liberté, liberté indispensable dans le gouvernement du monde chrétien, liberté que Dieu aime par-dessus tout, comme l’affirme l’éminent Docteur dans cette brève et vibrante parole : Dieu n’a rien de plus cher au monde que la liberté de son Eglise. Il n’est rien, vénérables Frères, rien qui exprime mieux notre pensée et nos sentiments que cette insistance sur le mot que Nous venons de citer. Nous nous plaisons aussi à emprunter à ce même Docteur les exhortations qu’il adressait aux princes et aux seigneurs. Il écrivait à la reine d’Angleterre Mathilde : Voulez-vous par le fait même rendre à Dieu des actions de grâce justes, bonnes et efficaces ? Respectez cette reine qu’il lui a plu de se choisir en ce monde pour épouse ; respectez-la, dis-je, exaltez-la, honorez-la, défendez-la, afin que comme cette Epouse et par elle vous soyez agréable à Dieu et que vous régniez avec elle dans l’éternelle béatitude. [18] Il vous arrivera de rencontrer de ses fils enflés de leur puissance terrestre, oublieux de leur Mère très aimante, en rébellion contre son doux empire : c’est alors surtout qu’il vous faudra ne pas perdre de vue les paroles suivantes : C’est à vous qu’il appartient de lui rappeler ces vérités et d’autres du même ordre, à temps et à contretemps ; à vous de l’exhorter à se montrer non le maître, mais le défenseur de l’Eglise, son vrai fils et non un fils dénaturé [19]. Car c’est un des devoirs de notre charge, et il nous convient tout particulièrement, de persuader aux hommes, et, pour ainsi dire, de graver en tous les esprits ces autres paroles, si nobles et si paternelles, de saint Anselme : Quand j’apprends sur vous quelque chose qui ne plaît pas à Dieu et qui vous est désavantageux, si je néglige de vous avertir, je ne puis prétendre craindre Dieu ni même vous aimer comme je le dois [20]. Apprenons-nous que vous vous comportez à regard des Eglises confiées à vos soins autrement que pour leur bien et celui de votre âme, il Nous faut imiter Anselme, prier à nouveau, avertir et reprendre, afin que votre esprit ne juge pas négligemment ces choses et que vous corrigiez sans délai tous les abus que vous reproche en ces matières votre conscience [21]. — il ne faut, en effet, laisser subsister comme insignifiant rien qui puisse être amélioré ; Dieu demande compte à tous les hommes non seulement du mal qu’ils ont fait, mais aussi du mal qu’ils n’ont pas corrigé quand il était en leur pouvoir de les corriger ; et plus est grand ce pouvoir que Dieu leur a si miséricordieusement mis entre les mains, plus aussi Dieu exige strictement qu’ils l’emploient à vouloir et à accomplir le bien… Peut-être ne pouvez-vous pas faire tout en même temps ; du moins devez-vous vous efforcer d’aller de progrès en progrès ; Dieu dans sa bonté achèvera ces bons desseins et ces généreux efforts, et il les récompensera avec une plénitude merveilleuse. [22]
Telles sont les vérités (et nous ne pouvons tout citer) qu’Anselme inculquait, avec tant de force et de sagesse, aux rois et aux puissants ; elles conviennent excellemment aux pasteurs et aux princes de l’Eglise, car c’est à eux qu’est confiée la défense de la vérité, de la justice et de la religion. Le cours des temps a multiplié les obstacles ; on a jeté sur Nous tant d’entraves qu’il Nous reste à peine un lieu où Nous puissions vivre en liberté et en sécurité. La licence ne connaît plus de bornes, elle n’a plus de frein, elle reste impunie ; pendant ce temps, on s’acharne avec âpreté contre l’Eglise, on rive plus étroitement ses fers, on relient encore le mot de liberté, mais c’est pour s’en jouer. De jour en jour, par de nouveaux artifices, on entrave davantage votre action et celle de votre clergé ; rien d’étonnant, si vous ne pouvez pas faire tout en même temps pour arracher les hommes à l’erreur et au vice, pour les détourner de leurs mauvaises habitudes, pour leur inculquer la notion du vrai et du bien, pour soulager l’Eglise, accablée de tant d’angoisses. Pourtant, il est des considérations bien propres à soutenir notre courage. Le Seigneur est toujours là ; grâce à lui, tout concourra au bien de ceux qui l’aiment (Rom. viii, 28). Il tirera le bien du mal ; les triomphes qu’il réserve à son Eglise seront d’autant plus éclatants que plus méchants ont été les efforts de la perversité humaine pour ruiner son œuvre. Telle est l’admirable grandeur des desseins de la divine Providence ; telles sont ses voies impénétrables (Ibid. xi, 33), dans la situation présente ; — car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies, dit le Seigneur (Is. lv, 8). Ne faut-il pas que l’Eglise, de jour en jour, prenne davantage la ressemblance du Christ ? Ne faut-il pas qu’elle soit comme la vivante image de Celui qui a souffert de tels tourments et si nombreux ? Ne faut-il pas que d’une certaine façon elle achève en elle-même ce qui manque aux souffrances du Christ (Coloss. i, 24) ? C’est là le secret de cette loi de la souffrance imposée par Dieu à son Eglise qui milite sur cette terre : les luttes, les oppressions, les angoisses seront à jamais son partage ; telle est la voie, telles sont les tribulations incessantes par lesquelles elle entrera dans le royaume de Dieu (Act. xiv, 21), pour se réunir enfin à l’Eglise triomphante du ciel.
A ce propos, écoutons le commentaire d’Anselme sur ce passage de saint Matthieu : Jésus fonça ses disciples à monter sur la barque… Au sens mystique, dit le Saint, ces paroles décrivent brièvement l’état de l’Eglise, de la naissance du Sauveur à la fin du monde… La barque était ballottée sur les flots au milieu de la mer. Cependant Jésus restait sur le sommet de la montagne. Depuis l’heure où le Sauveur est monté au ciel, la Sainte Eglise est en effet agitée en ce monde par de violentes tribulations, secouée par des tempêtes de persécutions de toutes sortes, en butte à toutes les méchancetés des hommes pervers, attaquée de mille manières par le vice. Le vent lui était contraire : le souffle des esprits mauvais ne travaille-t-il pas toujours à l’empêcher d’entrer au port du salut ; il s’efforce de l’accabler sous les flots des adversités du siècle et soulève contre elle tout ce qu’il peut d’obstacles. (Hom. iii.) Ils se trompent donc singulièrement, ceux qui s’imaginent et espèrent pour l’Eglise un état exempt de toute perturbation : à en croire leurs rêves, tout arriverait à souhait, la puissance religieuse ne verrait plus se dresser devant elle aucune opposition, on jouirait sans trouble des charmes de la paix. Plus grossi ère encore est l’erreur, quand, dans le faux et vain espoir d’obtenir cette paix, on dissimule les intérêts et les droits de l’Eglise, on les sacrifie à des intérêts particuliers, on les diminue injustement, on pactise avec le monde, qui est tout entier plongé dans le mal (I Joan. v, 19) : tout cela sons prétexte de gagner les fauteurs de nouveautés et de les réconcilier avec l’Eglise : mais depuis quand peut-il y avoir accord entre la lumière et les ténèbres, entre le Christ et Bélial ? Rêves d’esprits malades, que tout cela : on n’a jamais cessé de forger de telles chimères, et n’attendons pas qu’on cesse de le faire tant qu’il y aura de lâches soldats toujours prêts à fuir en jetant leurs boucliers dès qu’ils voient l’ennemi ; tant qu’il y aura des traîtres toujours pressés de pactiser avec l’ennemi, c’est-à-dire, en l’espèce, avec le très malfaisant ennemi de Dieu et des hommes.
Souvenez-vous donc de votre devoir, Vénérables Frères, vous que la divine Providence a constitués pasteurs et chefs de son peuple. C’est à vous de veiller selon vos forces à ce que notre âge renonce enfin à l’attitude néfaste dans laquelle il se complaît : à l’heure où sévit contre la religion une guerre si cruelle, il n’est- pas permis de croupir dans une honteuse apathie, de rester neutres, de ruiner les droits divins et humains par de louches compromissions ; il faut que chacun grave en son âme cette parole si nette et si expresse du Christ : Qui n’est pas avec moi est contre moi (Matth. xii, 30). Ce n’est pas que les ministres du Christ puissent se dispenser d’avoir au cœur d’abondantes réserves de charité paternelle : ils doivent, au contraire, faire leur le mot de saint « Paul : Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous (I Cor. ix, 22). Ce n’est pas non plus qu’ils ne puissent parfois céder même quelque peu de leur droit : cela est permis dans une certaine mesure, elle salut des âmes peut le réclamer. Mais, d’ailleurs, aucun soupçon de fautes de ce genre ne vous effleure, vous que presse la charité du Christ. Au reste, cette juste condescendance ne mérite aucun blâme, elle ne viole aucun devoir ; elle ne touche absolument en rien aux fondements éternels de la vérité et de la justice.
On ne suivit pas d’autre ligne de conduite dans la cause d’Anselme, ou plutôt dans la cause de Dieu et de l’Eglise, car c’est pour elle qu’Anselme eut à soutenir dé si longs et si rudes combats. L’interminable conflit vient enfin d’être apaisé : alors celui dont le nom est souvent déjà venu sous notre plume, prédécesseur Pascal, lui écrit en ces termes élogieux : Ce sont, Nous en avons l’assurance, ta charité et les prières instantes qui ont obtenu de la miséricorde divine qu’elle jette en ces circonstances un regard favorable sur les peuples confiés à ta sollicitude. Et le Pontife explique l’indulgence paternelle avec laquelle il a accueilli les coupables : Sache-le, si Nous avons manifesté une telle condescendance, c’est que Nous voulions, par cette affection et cette miséricorde, Nous mettre à même de relever ceux qui étaient tombés : on a beau tendre la main, pour le redresser, à quelqu’un qui est renversé par terre : on ne peut y réussir à moins de se courber soi-même. Sans doute, celui qui s’incline peut paraître tomber, mais il ne perd pas pour cela l’équilibre. [23]
Nous faisons Nôtres ces paroles de Notre pieux prédécesseur à Anselme pour le consoler. Nous ne pouvons pas dissimuler cependant les angoisses qui déchirent parfois l’âme des plus tendres pasteurs eux-mêmes : à quel parti s’arrêter ? Faut-il prendre la voie de la douceur ? Faut-il opposer une résistance énergique ? Qu’on se rappelle les anxiétés, les terreurs, les larmes d’hommes d’une sainteté éminente : ils avaient discerné de quel poids est le gouvernement des âmes, quels dangers courent ceux qui l’assument. La vie d’Anselme nous en fournit un exemple très significatif : appelé de son agréable solitude, si pieuse et si studieuse, aux plus hautes fonctions et cela en des temps, comme on l’a vu, si difficiles, il eut à supporter les traverses les plus dures ; néanmoins, au milieu de tant de soucis, il ne craignait rien tant que de n’en pas assez faire pour son salut et celui de son peuple, l’honneur de Dieu et le triomphe de l’Eglise. Et quand son âme, en proie à ces préoccupations, se trouvait brisée et endolorie d’ailleurs par la défection d’un grand nombre de ses amis, parmi lesquels des évêques, rien ne le réconfortait tant que de placer dans le secours de Dieu toute sa confiance et de chercher un refuge dans le sein de l’Eglise : En danger de faire naufrage… au milieu des assauts de la tempête, il se réfugiait dans le sein de sa Mère l’Eglise, implorant du Pontife romain, un bienveillant et prompt secours, et la consolation dans ses souffrances [24]. Ne faut-il pas admirer là un dessein secret de la Providence : à voir un homme d’une sagesse et d’une sainteté si singulières en butte à tant d’adversités, à le suivre an milieu de ses épreuves, nous avons en lui un exemple et une Consolation dans les souffrances de notre saint ministère et dans les difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises ; de la sorte, chacun de nous pourra faire siens les sentiments et les aspirations de l’Apôtre : Je me glorifierai volontiers dans mes infirmités, afin qu’habite en moi la vertu du Christ. C’est pourquoi je me complais dans mes infirmités : quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant. (II Cor. xii, 9, 10.) A ces paroles font bien écho celles de saint Anselme à Urbain II ; Saint- Père, je souffre d’être Ce que je suis, je souffre de n’être plus ce que j’ai été ; je m’attriste d’être évêque, car, à cause de mes péchés, je ne remplis pas mes devoirs d’évêque. Dans mon humble condition d’autrefois, je paraissais jouer un certain rôle ; dans ma haute situation d’aujourd’hui, trop lourde est pour moi la charge : elle m’accable : je n’acquiers rien pour moi et je ne suis utile à personne ; je succombe sous le fardeau, parce que je suis, plus qu’on ne le pourrait croire, dépourvu des forces, des vertus, de la science et des talents qu’exige une telle fonction. Je désire fuir cette charge au-dessus de mes forces, déposer ce fardeau que je ne puis porter. Mais, d’autre part, je crains d’offenser Dieu. C’est la crainte de Dieu qui m’a forcé à accepter ce ministère, c’est elle encore qui me contraint à le garder… La volonté de Dieu m’est cachée et je ne sais que faire ; je suis errant et soupirant, et j’ignore quelle solution je pourrais donner à ces incertitudes. [25]
C’est ainsi que Dieu se plaît à ne pas laisser ignorer, même à des hommes d’une éminente sainteté, quelle est la faiblesse de leur nature. Leur œuvre se présente-t-elle avec un cachet de grandeur, on sait qu’il faut tout rapporter à la grâce d’en haut. Et d’ailleurs l’humilité prépare les volontés à accepter plus volontiers l’autorité de l’Eglise. On le vit bien pour Anselme et pour d’autres évêques qui combattirent sous la direction du Saint-Siège pour la liberté et la doctrine de l’Eglise. Leur docilité, d’ailleurs, a porté ses fruits : le triomphe a couronné leurs efforts ; en eux s’est réalisée la parole divine : l’homme obéissant chantera victoire (Prov. xxi, 28).
L’espoir d’une semblable récompense est permise à ceux surtout qui obéissent sincèrement au Vicaire de Jésus-Christ en tout ce qui regarde la direction des âmes, le gouvernement de l’Eglise ou d’autres matières connexes, à quelque titre que ce soit : c’est en effet du Siège apostolique qu’émanent pour les pis de l’Eglise les directions et la ligne de conduite [26].
Ces vertus furent éminemment celles d’Anselme. L’ardeur et la fidélité de son attachement au Siège de Pierre ne peuvent être effleurées du moindre doute pour qui veut bien lire ses lettres au pape Pascal : Les souffrances si nombreuses et si aigues de mon cœur, qui ne sont connues que de moi seul et de Dieu, attestent l’étendue de mon respect et de mon obéissance pour le Siège apostolique. J’ai confiance qu’avec la grâce de Dieu rien ne pourra ébranler ces sentiments. C’est pourquoi je veux, autant qu’il m’est possible, soumettre tous mes actes à cette autorité ; qu’elle les dirige et, s’il en est besoin, qu’elle les corrige. [27]
Ses actions, ses écrits, ses lettres surtout, si pleines de suavité, ses lettres écrites, disait Notre prédécesseur Pascal, avec la plume de la charité [28], tout en lui atteste fermement établie la même disposition. Dans ses lettres au Pape, il ne se contente pas de demander bienveillant secours et consolation [29], il promet ses prières constantes. Encore abbé du Bec, il écrivait à Urbain II, en termes pleins d’affection filiale : Nous ne cessons de prier Dieu à l’occasion de vos tribulations et de celles de l’Eglise romaine, qui sont aussi les nôtres et celles de tous les vrais fidèles. Nous lui demandons d’adoucir pour vous les jours mauvais, jusqu’à ce que soit creusée la fosse du méchant. Dieu semble tarder ; mais, Nous en sommes certains, il ne laissera pas le sceptre des pécheurs peser sur le sort des justes ; il n’abandonnera pas son héritage, et les puissances infernales ne prévaudront pas contre lui [30].
Ces déclarations et d’autres du même genre laissées par Anselme Nous pénètrent de la joie la plus vive : elles font revivre la mémoire d’un homme qu’on ne vainquit jamais en attachement au Siège Apostolique : elles Nous rappellent aussi, Vénérables Frères, les lettres et les actes innombrables par lesquels, en des circonstances et des souffrances analogues, vous Nous avez manifesté vos sentiments d’attachement.
Chose admirable : au milieu des tempêtes qui, dans le cours des siècles, se sont déchaînées contre le nom chrétien, l’union des évêques et des fidèles autour du Pontife romain n’a fait que se resserrer plus intimement de jour en jour, se fortifier et s’affermir ; de nos jours, où sa force n’a cessé de s’affirmer de plus en plus, elle apparaît comme un miracle de la puissance divine, tant elle s’est faite unanime et cordiale. Cette émulation d’amour et de dévouement Nous encourage et Nous réconforte, en même temps qu’elle est la gloire et le plus ferme soutien de l’Eglise. Mais plus est grand le profit que Nous en retirons, plus s’exalte contre Nous l’envie de l’antique serpent, plus vives se font les haines coalisées des impies, en face d’un tel spectacle dont l’inattendu offusque leurs regards. Ils ne voient rien de semblable dans les sociétés humaines ; ni raisons politiques ni vues terrestres d’aucune sorte ne sont capables de leur fournir une explication de cette merveille, et ils ne veulent pas y voir l’accomplissement de la sublime prière du Christ à la dernière Cène.
Il Nous faut donc, Vénérables Frères, travailler de tous Nos efforts à conserver et à rendre toujours plus intime et plus cordiale cette union divine entre le chef et les membres ; mais ce n’est pas sur les considérations humaines que Nous la baserons ; c’est en Dieu que Nous en poserons le fondement, de façon à ne former tous qu’une seule chose avec le Christ. Toutes voiles dehors, poursuivons ce noble idéal : ce sera Nous acquitter parfaitement de la sublime mission que Nous avons reçue, de continuer l’œuvre du Christ et de propager son règne sur la terre. Et n’est-ce pas cet idéal qu’appelle suave prière que l’Eglise ne cesse d’adresser à son Epoux céleste, prière qui exprime les vœux les plus ardents de Notre cœur : Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés, et faites qu’ils ne fassent qu’un comme nous sommes un (Joan. xvii, 11).
Mais cet effort n’est pas seulement nécessaire pour repousser les assauts des ennemis du dehors qui attaquent à découvert les droits et la liberté de l’Eglise. Il le faut encore déployer contre les dangers du dedans. Nous les avons signalés plus haut, déplorant l’erreur de ces égarés qui s’efforcent, par leurs systèmes perfides, de bouleverser la constitution et l’essence même de l’Eglise, de souiller la pureté de sa doctrine, de ruiner toute sa discipline. Il continue à s’insinuer dans les cœurs, ce poison qui en a déjà tant infecté même dans les rangs du clergé ; c’est surtout parmi les jeunes gens que ses victimes sont nombreuses : plongés, Nous l’avons dit, comme dans une atmosphère viciée, ces malheureux se laissent entraîner aux abîmes par la passion effrénée des nouveautés ; ils ne peuvent s’arrêter dans leur course fatale.
Par une déplorable aberration, il n’est pas jusqu’aux progrès, bons en eux-mêmes, dans l’ordre des sciences positives et de la prospérité matérielle, qui ne fournissent à des esprits faibles et passionnés de nouvelles armes pour battre en brèche, avec un intolérable orgueil, les vérités divines. Mais qu’ils se rappellent donc les multiples et contradictoires théories tour à tour échafaudées par les fauteurs d’imprudentes nouveautés, dans les questions spéculatives ou pratiques les plus vitales pour l’homme ! Qu’ils reconnaissent là le châtiment de l’orgueil humain : ne pouvoir jamais être d’accord avec soi-même et faire misérablement naufrage avant d’avoir pu découvrir le port de la vérité ! Mais, hélas ! ces égarés ne savent même pas mettre à profit leur propre expérience pour s’humilier, pour repousser la tentation…, pour renverser tout orgueil qui s’élève contre la science de Dieu, pour assujettir toute intelligence sous le joug de l’obéissance au Christ (II Cor. x, 4, 5).
Tout au contraire, ils sont passés d’un extrême à l’autre, de la présomption au désespoir : ils se sont ralliés à cette méthode philosophique qui doute de tout et pour ainsi dire plonge tout dans les ténèbres ; ils ont embrassé l’agnosticisme avec son cortège varié de doctrines absurdes et de systèmes multipliés à l’infini et en opposition les uns avec les autres ; et dans cet incroyable conflit des opinions s’est vérifiée la parole de l’Ecriture : ils sont devenus vains dans leurs pensées ; … ils se vantaient d’être sages, et ils ont rencontré la folie (Rom. i, 21, 22).
Leurs paroles pompeuses, leurs discours trompeurs promettant une science nouvelle qu’à les entendre on aurait pu croire tombée du ciel, les horizons nouveaux qu’ils prétendaient ouvrir, c’était plus qu’il n’en fallait pour attirer et séduire nombre de jeunes gens ; les mêmes artifices jadis avaient heureusement servi les, Manichéens pour circonvenir Augustin. Mais arrêtons-Nous : c’est à présenter ces funestes maîtres de fausse sagesse, leurs tentatives, leurs illusions, les systèmes pernicieux, que Nous avons consacré notre Encyclique Pascendi dominici gregis, du 8 septembre 1907 : il suffit. Ce que Nous voulons simplement faire remarquer aujourd’hui, c’est que, si les dangers dont Nous parlons sont plus graves et plus menaçants de nos jours, ils ne sont pas pour cela entièrement différents de ceux qui menaçaient l’Eglise et sa doctrine aux temps d’Anselme. Ajoutons que Nous pouvons trouver dans l’œuvre du saint Docteur secours et soutien pour la défense de la vérité, comme Nous les trouvons dans les exemples de son courage apostolique pour la défense de la liberté et des droits de l’Eglise.
Sans vouloir rappeler ici, en détail, quelle était la culture, quelles étaient les conditions intellectuelles du clergé et du peuple en ces âges lointains, nous signalerons brièvement le danger d’un double excès auquel étaient exposés les esprits à cette époque, jetés dans deux courants diamétralement opposés.
Les uns, légers et vaniteux, nourris d’une érudition vague et superficielle, s’enorgueillissaient outre mesure de la masse indigeste de leurs connaissances ; séduits par une trompeuse apparence de philosophie et de dialectique, ils méprisaient sous le spécieux prétexte de science les autorités sacrées ; avec une témérité criminelle, ils osent élever la voix contre tel ou tel des dogmes de la foi catholique ; dans leur sot orgueil, ils jugent impossible ce qu’ils ne peuvent comprendre, plutôt que d’avouer avec une humble sagesse qu’il y a bien des choses au-dessus de leur intelligence. S’imaginer qu’on possède une science, c’est manifester qu’on ne s’est même pas rendu compte, de ce qui constitue la vraie manière de savoir : mais il en est qui ignorent ce principe ; à peine ont-ils commencé à balbutier les premiers mots d’une science présomptueuse, voyez-les : ils ne prennent pas la précaution de se munir des ailes spirituelles que donne une foi solide, mais dans leur outrecuidance ils s’élèvent d’un bond aux plus hautes spéculations du dogme. Mais qu’arrive-t-il ? Ils ont voulu, à contretemps et prématurément, s’élever par l’intelligence ; mais l’intelligence leur fait défaut : les voilà qui tombent dans de multiples erreurs. [31] Nous avons aujourd’hui sous les yeux de nombreux exemples de semblables chutes.
D’autres, au contraire, timides et pusillanimes, épouvantés à la vue de tant de naufrages dans la foi, redoutant les dangers de la science qui enfle, en arrivèrent à exclure tout usage de la philosophie et même toute discussion sérieuse sur les questions religieuses.
Entre ces deux excès se tient la tradition catholique. Elle repousse les hardiesses des premiers, que devait condamner au siècle suivant Grégoire IX : gonflés comme des outres par l’esprit de vanité, ils s’efforcent à tort d’établir la foi sur la seule base de la raison naturelle ; ils adultèrent la parole de Dieu en y mêlant les fantaisies des philosophes [32]. Mais elle déteste aussi la négligence des seconds, qu’aucun zèle n’anime à la recherche de la vérité, qui ne se soucient pas de développer leur intelligence à la lumière de la foi [33]; plus sévère encore est la condamnation qu’elle porte contre eux si, par devoir d’état, ils ont à défendre la foi catholique contre l’assaut incessant de l’erreur.
Pour entreprendre cette défense, Anselme, on peut bien le dire, fut suscité par Dieu ; par la parole, par la plume et par l’exemple, il montra la voie sûre ; pour le bien de tous il ouvrit les sources de la sagesse chrétienne ; il fut le guide et le maître des Docteurs qui après lui appliquèrent à l’enseignement des sciences sacrées la méthode scolastique [34], si bien qu’on le considère à bon droit comme leur précurseur et qu’on lui en donne le titre.
Ce n’est pas à dire pour cela que le Docteur d’Aoste ait atteint du premier coup les sommets des spéculations philosophiques et théologiques, ni qu’il se soit élevé à la renommée des deux maîtres Thomas et Bonaventure. Ceux-ci vinrent plus tard à point pour cueillir avec leur sagesse des fruits amenés à maturité par le lent effort des années et le concours des travaux de nombreux maîtres. Anselme, d’ailleurs, très modeste comme le sont les vrais savants, d’une intelligence vive et perspicace, ne publia jamais aucun de ses écrits sans y être invité par les circonstances, à moins que ce ne fût pour céder aux instances qui lui étaient faites. Encore revient-il constamment sur cette déclaration : S’il y a dans mes paroles quelque chose à corriger, je ne m’y refuse pas [35]. Il va plus loin ; la question est-elle controversée, sans connexion avec la foi ? Il ne veut pas que son disciple s’attache, ce sont ses propres paroles, aux théories qu’il a lui-même émises, au point de s’y obstiner même quand d’autres ont su les détruire par des arguments plus solides et établir une opinion différente. La chose peut se produire : au moins ne refusera-t-on pas de reconnaître que les idées exprimées ont fourni un utile exercice de discussion. [36]
Cependant, son succès fut plus grand que lui-même n’eût osé espérer ; il dépassa toute attente. Son renom fut tel qu’il ne s’affaiblit pas devant la gloire des docteurs qui illustrèrent les âges suivants ; saint Thomas lui-même ne parvint pas à l’éclipser, quoiqu’il ait pu ne pas admettre toutes les conclusions de son devancier, quoiqu’il y ait apporté des compléments ou des précisions. Anselme, c’est là son grand mérite, ouvrit la voie aux chercheurs, calma les scrupules des timides, prémunit les imprudents contre le danger, repoussa le fléau des ergoteurs irréductibles, des sophistes de son temps, des dialecticiens hérétiques [37], comme il les appelle si justement, chez lesquels la raison était esclave de l’imagination et de la vanité.
Ecoutons-le parler de ces derniers, de ces dialecticiens de son temps : En général, il faut recommander une grande prudence dès qu’on aborde le champ des Ecritures Saintes ; mais, pour ces gens-là, il faut aller plus loin et leur interdire absolument toute incursion dans le domaine des sciences sacrées. Et le motif qu’il en donne vaut parfaitement pour nos modernes qui les imitent sous nos yeux et renouvellent leurs erreurs : Le rôle de la raison est de conduire et de régler l’homme tout entier ; mais chez eux les imaginations corporelles l’enveloppent tellement qu’elle ne peut s’arracher à cette étreinte ni déchirer ces voiles pour s’élever à la contemplation des choses dans leur pure vérité. [38]
Nous pouvons répéter pour notre époque les railleries du Saint à l’adresse de ces faux philosophes. Incapables de comprendre les dogmes de leur foi, ils s’élèvent contre la vérité de cette foi au mépris de l’autorité des Pères. Voyez-vous les chauves-souris et les hiboux, qui ne voient le ciel que pendant la nuit, venir discuter sur les rayons du soleil en son midi, avec les aigles dont le regard perçant peut soutenir l’éclat de l’astre du jour ! [39]
En cet endroit et ailleurs [40], il condamne les excès de cette école qui élargit le domaine de la philosophie an point de réclamer pour elle le droit d’empiéter sur le terrain de la théologie. Le saint Docteur s’oppose à cette folie et précise fort bien les frontières respectives de chacune de ces sciences. Il déclare nettement quel doit être le rôle, quelles les fondions de la raison naturelle dans les questions qui touchent à la doctrine révélée : Il faut, dit-il, faire appel à la raison pour défendre notre foi contre les impies.
Mais de quelle façon ? Mais dans quelle mesure ? Ecoutons sa lumineuse réponse : Il faut leur démontrer par la raison qu’ils agissent contre la raison en nous méprisant. [41] Voilà donc, à proprement parler, le rôle de la philosophie : elle démontrera que c’est avec raison que nous nous courbons sous le joug de la foi ; elle on déduira comme conséquence le devoir pour chacun de croire à l’autorité divine quand elle nous propose des mystères insondables, mystères appuyés sur tant de signes de crédibilité qu’ils sont devenus dignes de foi au delà de toute mesure. Tout différent est le rôle de la théologie. Elle a pour base la révélation divine ; elle affermit dans la foi ceux qui ont déjà le bonheur de porter le nom chrétien ; aucun chrétien ne peut mettre en discussion la vérité des dogmes que l’Eglise catholique croit de cœur et confesse de bouche. Il doit s’attacher indéfectiblement à cette foi, l’aimer et vivre selon ses principes, et, dans la mesure de ses forces, chercher humblement à pénétrer l’essence des reniés qu’il croit. S’il peut comprendre, qu’il en rende grâces à Dieu ; s’il ne le peut pas, son attitude ne doit pas être celle d’un orgueilleux défi ; il n’a qu’à s’incliner dans une humble soumission. [42]
Si donc les théologiens cherchent, si les fidèles demandent les raison s de nos croyances, ce n’est pas pour fonder sur elles leur foi : celle-ci n’a d’autre base que l’autorité de la révélation divine. Nous devons, dit Anselme, croire les insondables vérités de notre foi, ses mystères, en d’autres ternies, sans prétendre les discuter d’abord à la lumière de la raison : ainsi l’exige le bon ordre ; mais, une fois confirmés dans la foi, ce serait, il me semble, nous en désintéresser que de ne pas chercher à pénétrer ce que nous croyons. [43]
Il est bien évident, au reste, qu’il faut entendre ces paroles dans le sens des définitions du Concile du Vatican [44], car, revenant ailleurs sur ces pensées, il s’exprime en ces termes : A la suite des apôtres, nombreux sont les Pères et les Docteurs qui ont approfondi dans leurs écrits les vérités de notre foi, et leur œuvre eût été plus considérable encore si leur vie eût été plus longue : la vérité chrétienne forme un système si vaste et si insondable que les mortels ne le peuvent épuiser. Le Seigneur, d’autre part, ne cesse de répandre dans son Eglise les dons de sa grâce, car, selon sa promesse, il sera avec elle jusqu’à la consommation des siècles. Je ne citerai pris tous les passages où l’Ecriture nous presse de chercher ci nous rendre raison de notre foi. Je m’en tiens à celui-ci : Si vous ne croyez pas vous ne comprendrez pas : il nous indique la façon de procéder pour arriver, à cette intelligence de la foi, et par le fait il nous invite à y tendre.
Indiquons encore la raison qu’il présente en dernier lieu : la foi et la vision sont deux extrêmes : l’intelligence que nous pouvons avoir de nos croyances en cette vie tient à la fois de l’une et de l’autre : plus donc quelqu’un développe en lui-même cette intelligence, plus il se rapproche de la vision vers laquelle nous soupirons tous. [45]
Arrêtons nos citations : on voit sur quels principes Anselme jeta si solidement les fondements de la philosophie et de la théologie. Entre la méthode inaugurée par lui et celle précisément qu’adoptèrent ensuite les plus savants personnages, les princes de la Scolastique, le Docteur d’Aquin en particulier, il n’y a pas de différence : entre leurs mains elle s’est simplement enrichie, précisée, perfectionnée, pour l’honneur souverain et la défense de l’Eglise.
Pourquoi pareille insistance à relever ce, mérite d’Anselme ? C’est que, Vénérables Frères, c’est pour Nous une heureuse occasion de vous exhorter de nouveau à ouvrir à la jeunesse cléricale ces sources de la science chrétienne ; qu’elle vienne s’abreuver à ces eaux salutaires découvertes par le Docteur d’Aoste, si abondamment enrichies par le Docteur d’Aquin. Souvenez-vous des instructions de Notre prédécesseur Léon XIII, d’heureuse mémoire [46]; rappelez-vous aussi celles que Nous avons Nous-même si souvent répétées, surtout dans Notre Encyclique Pascendi dominici gregis, du 8 septembre 1907. On a abandonné ces études ou bien on les entreprend sans y porter une méthode ferme et sûre. Les résultats ? On ne voit que trop, hélas ! les ruines s’accumuler chaque jour ; beaucoup, mémo dans le clergé, sans aptitudes et sans préparation, n’ont pas craint de discuter audacieusement les plus hauts mystères de la foi [47]. C’est un malheur que nous déplorons avec Anselme, faisant Nôtres ses sévères avertissements : Que personne ne se plonge témérairement dans les obscurités des mystères divins. Pour les aborder il faut avoir assuré la fermeté de sa foi, la gravité de ses mœurs, la rectitude de son jugement. Faute de quoi, en cheminant avec une imprudente légèreté à travers les multiples détours des sophismes, on se laisserait prendre au piège de quelque subtile erreur. [48]
Souvent à cette imprudente légèreté s’ajoute le feu des passions : c’en est fait alors des études sérieuses et de l’intégrité doctrinale. Enflés alors de ce fol orgueil qu’Anselme constatait avec douleur chez les dialecticiens hérétiques de son temps, ces téméraires méprisent les autorités les plus véritables : l’Ecriture, les Pères, les Docteurs, auxquels des esprits plus modestes ne pourraient qu’appliquer ce jugement d’Anselme : Ni de nos jours ni dans les siècles futurs, nous ne pouvons espérer trouver quelqu’un qui les égale dans la contemplation de la vérité [49]. Ils ne font pas plus de cas des avertissements que leur adresse l’Eglise ou le Souverain Pontife, pour chercher à les ramener dans la bonne voie. Au lieu d’actes ils donnent des paroles ; ils feignent une humble soumission, afin d’obtenir crédit et faveurs par ces dehors mensongers.
Reviendront-ils à de meilleurs sentiments ? L’espoir n’en est guère possible. Ils refusent obéissance à celui que Dieu dans sa providence a constitué le maître et le Père de son Eglise en exil sur cette terre, auquel il a confié, avec le gouvernement de son Eglise, la garde de la doctrine et des mœurs chrétiennes. C’est donc à lui plutôt qu’à tout autre qu’il convient d’en référer si dans le sein même de l’Eglise se forme quelque orage contre la foi catholique ; c’est à son autorité qu’on s’en remettra pour le détourner. Veut-on opposer à l’erreur une réfutation ? Mieux vaut la lui soumettre de préférence à tout autre, pour que sa prudence l’examine. [50] Plaise à Dieu que ces pauvres égarés, qui ont si volontiers à la bouche les belles paroles de sincérité, de franchise, de conscience, d’expérience religieuse, de foi éprouvée et vécue, se mettent docilement à l’école d’Anselme, qu’ils reçoivent ses leçons, qu’ils imitent ses exemples, qu’ils gravent profondément dans leur cœur ses paroles : Purifions tout d’abord notre cœur par la foi ; que l’observation des préceptes du Seigneur soit la lumière de nos yeux ; faisons-nous tout petits par la soumission aux enseignements divins, afin d’apprendre à cette école la sagesse… Sans la foi, sans l’obéissance aux commandements de Dieu, l’esprit ne peut s’élever à l’intelligence de vérités plus profondes. Il y a plus : l’intelligence que l’on a reçue est parfois ôtée, et la foi tombe en ruines, quand on s’écarte du sentier de la droite conscience. [51]
L’audace de ces malheureux égarés ne diminue pas : ils continuent à répandre des germes de dissensions et d’erreurs, à dissiper le patrimoine de la doctrine sacrée, à railler les vénérables traditions, et vouloir les détruire est une sorte d’hérésie [52], selon le mot d’Anselme, à bouleverser de fond en comble la divine constitution de l’Eglise. Jugez vous-mêmes, Vénérables Frères, avec quel soin Nous devons veiller sur le troupeau chrétien, sur la tendre jeunesse surtout, pour en écarter la contagion de cette peste redoutable. C’est cette grâce que Nos incessantes prières demandent à Dieu ; Nous implorons dans ce sens le secours puissant de l’auguste Mère de Dieu, l’intercession des saints de l’Eglise triomphante, de saint Anselme en particulier, brillante lumière de la science chrétienne, gardien incorruptible et défenseur énergique de tous les droits de l’Eglise. C’est avec bonheur que Nous lui adressons ici en terminant les mêmes paroles que lui écrivait déjà pendant sa vie Notre prédécesseur saint. Grégoire VII : Le parfum de vos bonnes œuvres est parvenu jusqu’à Nous ; Nous en rendons grâces à Dieu, et nous vous embrassons bien cordialement dans l’amour du Christ. Votre zèle et vos exemples, Nous en avons l’absolue certitude, sont dans l’Eglise de Dieu le principe de progrès nouveaux dans le bien ; vos prières et celles de vos émules lui obtiendront d’être par la miséricorde du Christ délivrée des dangers qui la menacent. Aussi supplions-Nous votre fraternité de vouloir bien intercéder auprès de Dieu, obtenir de lui qu’il daigne préserver du fléau des hérésies menaçantes et son Eglise et Nous-même, qui avons malgré Notre indignité la charge de la gouverner ; qu’il daigne aussi ramener les égarés, loin du sentier de l’erreur, dans ta voie de la vérité. [53]
Fort de tels appuis, confiant dans votre zèle, Nous vous accordons affectueusement dans le Seigneur, à vous, Vénérables frères, à votre clergé et aux fidèles confiés à vos soins, la bénédiction apostolique, gage des faveurs célestes et témoignage de Notre particulière bienveillance.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Anselme, le 21 avril 1909, la sixième année de Notre Pontificat.
PIE X, PAPE.
- Encycl, du 4 oct. 1903[↩]
- Brev. Rom., 21 avril[↩]
- Epicedion in obitum Anselmi[↩]
- Epicedion in obitum Anselmi[↩]
- Ibid.[↩]
- Brev. Rom., 21 avril[↩]
- Lettres de saint Anselme, l. II, lett. 32[↩]
- Lettres de saint Anselme, l. III, lett. 74 et 42[↩]
- Epicedion in obitum Anselmi[↩]
- Brev. Rom., 21 avril[↩]
- Lettres de saint Anselme, l. III. lett. 44 et 74[↩]
- Conc. du Vatican, Constit. Dei Filius, c. 4[↩]
- Lettres, l. III, lett. 65.[↩]
- Lettres, l. iii, lett. 73[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 47[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 12.[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 8.[↩]
- Lettres, l. III, lett. 57.[↩]
- Lettres, l. III, lett. 59[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 52[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 52[↩]
- Lettres, l. III, lett. 142.[↩]
- Lettres de saint Anselme, l. III, lett. 140.[↩]
- Lettres, l. III, lett. 37[↩]
- Lettres, l. III, lett. 37.[↩]
- Lettres, l. IV, lett. 1[↩]
- Ibid., lett. 5.[↩]
- Lettres, l. III, lett. 74[↩]
- Lettres, l. III, lett. 37[↩]
- Lettres, 1. II, lett. 33[↩]
- Saint Anselme, De fide Trinitatis, c. ii.[↩]
- Grégoire IX, Lettre « Tacti dolore cordis » ad theologos Parisien., 7 juill. 1228[↩]
- Lettres, l. II, lett. 41[↩]
- Brev. Rom., 21 avril[↩]
- Cur Deus homo, l. II, c. xxiii[↩]
- De Grammatico, c. xxi, vers la fin.[↩]
- De fide Trinitatis, c. ii[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Lettres, l. II, lett. 41[↩]
- Lettres, l. II, lett. 41.[↩]
- De fide Trinitatis, c. ii.[↩]
- Cur Deus homo, l. I, c. ii.[↩]
- Constit. Dei Filius, c. iv[↩]
- De fide Trinitatis, Préface.[↩]
- Encycl. Æterni Patris, du 4 août 1879[↩]
- De fide Trinitatis, c. ii[↩]
- Ibid.[↩]
- De fide Trinitatis, Préface[↩]
- De fide Trinitatis, Préface.[↩]
- De fide Trinitatis, c. ii.[↩]
- Saint Anselme, De nuptiis consanguineorum, c. i[↩]
- Lettres, l. II, lett. 31.[↩]