Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 13 décembre de l’année 1908
Je suis reconnaissant, Vénérable Frère [1], à votre cœur généreux qui voudrait me voir travailler clans le champ du Seigneur toujours à la lumière du soleil, sans nuage ni bourrasque. Mais vous et moi, nous devons adorer les dispositions de la divine Providence qui, après avoir établi son Église ici-bas, permet qu’elle rencontre sur son chemin des obstacles de tout genre et des résistances formidables. La raison en est, d’ailleurs évidente : l’Église est militante et par conséquent dans une lutte continuelle. Cette lutte fait du monde un vrai champ de bataille et de tout chrétien un soldat valeureux qui combat sous l’étendard de la croix. Cette lutte a commencé avec la vie de notre Très Saint Rédempteur et elle ne finira qu’avec la fin même des temps. Ainsi, il faut tous les jours, comme les preux de Juda au retour de la captivité, d’une main repousser l’ennemi, et de l’autre élever les murs du Temple saint, c’est-à-dire travailler à se sanctifier.
Nous sommes confirmés dans cette vérité par la vie même des héros auxquels sont consacrés les décrets qui viennent d’être publiés. Ces héros sont arrivés à la gloire, non seulement à travers de noirs nuages et des bourrasques passagères, mais à travers des contradictions continuelles et de dures épreuves qui sont allées jusqu’à exiger d’eux pour la foi le sang et la vie.
Je ne puis nier pourtant que ma joie est, en effet, bien grande en ce moment : car, en glorifiant tant de saints, Dieu manifeste ses miséricordes à une époque de grande incrédulité et d’indifférence religieuse ; car, au milieu de l’abaissement si général des caractères, voici que s’offrent à l’imitation ces âmes religieuses qui, pour témoigner de leur foi, ont donné leur vie ; car, enfin, ces exemples viennent, en effet, pour la plus grande part, Vénérable Frère, de votre pays, où ceux qui détiennent les pouvoirs publics ont déployé ouvertement le drapeau de la rébellion et ont voulu rompre à tout prix tous les liens avec l’Église.
Oui, nous sommes à une époque où beaucoup rougissent de se dire catholiques, beaucoup d’autres prennent en haine Dieu, la foi, la révélation, le culte et ses ministres, mêlent à tous leurs discours une impiété railleuse, nient tout et tournent tout en dérision et en sarcasmes, ne respectant même pas le sanctuaire de la conscience. Mais il est impossible que devant ces manifestations du surnaturel, quelle que soit leur volonté de fermer les yeux en face du soleil qui les éclaire, un rayon divin ne finisse pas par pénétrer jusqu’à leur conscience, et, serait-ce même par la voie du remords, les ramener à la foi.
Ce qui fait encore ma joie, c’est que la vaillance de ces héros doit ranimer les cœurs alanguis et timides, peureux dans la pratique des doctrines et des croyances chrétiennes, et les rendre forts dans la foi. Le courage, en effet, n’a de raison d’être que s’il a pour base une conviction. La volonté est une puissance aveugle quand elle n’est pas illuminée par l’intelligence, et on ne peut marcher d’un pas sûr au milieu des ténèbres. Si la génération actuelle a toutes les incertitudes et toutes les hésitations de l’homme qui marche à tâtons, c’est le signe évident qu’elle ne tient plus compte de la parole de Dieu, flambeau qui guide nos pas et lumière qui éclaire nos sentiers : Lucerna pedibus meis verbum tuum et lumen semitis meis.
Il y aura du courage quand la foi sera vive dans les cœurs, quand on pratiquera tous les préceptes imposés par la foi ; car la foi est impossible sans les œuvres, comme il est impossible d’imaginer un soleil qui ne donnerait point de lumière et de chaleur. Cette vérité a pour témoins les martyrs que nous venons de célébrer. Car il ne faut pas croire que le martyre soit un acte de simple enthousiasme qui consiste à mettre la tète sous la hache pour aller tout droit en paradis. Le martyre suppose le long et pénible exercice de toutes les vertus. Omnimoda et immaculata munditia.
Et, pour parler de celle qui vous est connue plus que tous les autres – la Pucelle d’Orléans, –dans son humble pays natal comme parmi la licence des armes, elle se conserve pure comme les anges ; fière comme un lion dans tous les périls de la bataille, elle est remplie de pitié pour les pauvres et pour les malheureux. Simple comme un enfant dans la paix des champs et dans le tumulte de la guerre, elle demeure toujours recueillie en Dieu et elle est tout amour pour la Vierge et pour la sainte Eucharistie, comme un chérubin, vous l’avez bien dit. Appelée par le Seigneur à défendre sa patrie, elle répond à sa vocation pour une entreprise que tout le monde, et elle tout d’abord, croyait impossible ; mais ce qui est impossible aux hommes est toujours possible avec le secours de Dieu.
Que l’on n’exagère pas par conséquent les difficultés quand il s’agit de pratiquer tout ce que la foi nous impose pour accomplir nos devoirs, pour exercer le fructueux apostolat de l’exemple que le Seigneur attend de chacun de nous : Unicuique mandavit de proximo suo. Les difficultés viennent de qui les crée et les exagère, de qui se confie en lui-même et non sur les secours du ciel, de qui cède, lâchement intimidé par les railleries et les dérisions du monde : par où il faut conclure que, de nos jours plus que jamais, la force principale des mauvais c’est la lâcheté et la faiblesse des bons, et tout le nerf du règne de Satan réside dans la mollesse des chrétiens.
Oh ! S’il m’était permis, comme le faisait en esprit le prophète Zacharie, de demander au divin Rédempteur : « Que sont ces plaies au milieu de vos mains ? Quid sont istæ plagæ in medio manuum tuarum ? » la réponse ne serait pas douteuse : « Elles m’ont été infligées dans la maison de ceux qui m’aimaient. His plagatus sum in domo eorum qui diligebant me » : par mes amis qui n’ont rien fait pour me défendre et qui, en toute rencontre, se sont rendus complices de mes adversaires. Et à ce reproche qu’encourent les chrétiens pusillanimes et intimidés de tous les pays ne peuvent se dérober un grand nombre de chrétiens de France.
Cette France fut nommée par mon vénéré prédécesseur, comme vous l’avez rappelé, Vénérable Frère, la très noble nation, missionnaire, généreuse, chevaleresque. A sa gloire, j’ajouterai ce qu’écrivait au roi saint Louis le pape Grégoire IX :
Dieu, auquel obéissent les légions célestes, ayant établi, ici-bas, des royaumes différents suivant la diversité des langues et des climats, a conféré à un grand nombre de gouvernements des missions spéciales pour l’accomplissement de ses desseins. Et comme autrefois il préféra la tribu de Juda à celles des autres fils de Jacob, et comme il la gratifia de bénédictions spéciales, ainsi choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, continue le Pontife, la France est le royaume de Dieu même, les ennemis de la France sent les ennemis du Christ. Pour ce motif, Dieu aime la France parce qu’il aime l’Eglise qui traverse les siècles et recrute les légions pour l’éternité. Dieu aime la France, qu’aucun effort n’a jamais pu détacher entièrement de la cause de Dieu. Dieu aime la France, où en aucun temps la foi n’a perdu de sa vigueur, où les rois et les soldats n’ont jamais hésité à affronter les périls et à donner leur sang pour la conservation de la foi et de la liberté religieuse.
Lettre de Sa Sainteté Grégoire IX du 21 octobre 1239 sollicitant l’aide de saint Louis contre l’empereur Frédéric II. Bulle Dei Filius
Ainsi s’exprime Grégoire IX.
Aussi, à votre retour, Vénérable Frère, vous direz à vos compatriotes que s’ils aiment la France ils doivent aimer Dieu, aimer la foi, aimer l’Église, qui est pour eux tous une mère très tendre comme elle l’a été de vos pères. Vous direz qu’ils fassent trésor des testaments de saint Remi, de Charlemagne et de saint Louis – ces testaments qui se résument dans les mots si souvent répétés par l’héroïne d’Orléans :
« Vive le Christ qui est Roi des Francs ! »
A ce titre seulement, la France est grande parmi les nations ; à cette clause, Dieu la protégera et la fera libre et glorieuse ; à cette condition, on pourra lui appliquer ce qui, dans les Livres Saints, est dit d’Israël :
« Que personne ne s’est rencontré qui insultât à ce peuple, sinon quand il s’est éloigné de Dieu : Et non fuit qui insultaret populo isti, nisi quando recessit a culto Domini Dei sui. »
Ce n’est donc pas un rêve que vous avez énoncé, Vénérable Frère, mais une réalité ; je n’ai pas seulement l’espérance, j’ai la certitude du plein triomphe.
Il mourait, le Pape martyr de Valence, quand la France, après avoir méconnu et anéanti l’autorité, proscrit la religion, abattu les temples et les autels, exilé, poursuivi et décimé les prêtres, était tombée dans la plus détestable abomination. Deux ans ne s’étaient pas écoulés depuis la mort de celui qui devait être le dernier Pape, et la France, coupable de tant de crimes, souillée encore du sang de tant d’innocents, tourne, dans sa détresse, les yeux vers celui qui, élu Pape par une sorte de miracle, loin de Rome, prend à Rome possession de son trône et la France implore avec le pardon l’exercice du divin pouvoir que, dans le Pape, elle avait si souvent contesté ; et la France es sauvée. Ce qui parait impossible aux hommes est possible à Dieu. Je suis affermi dans cette certitude par la protection des martyrs qui ont donné leur sang pour la foi et par l’intercession de Jeanne d’Arc, qui, comme elle vit dans le cœur des Français, répète aussi, sans cesse, au ciel la prière :
« Grand Dieu, sauvez la France ! »
Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 13 décembre de l’année 1908, de notre pontificat la cinquième.
Pie X, Pape
- Mgr Touchet, évêque d’Orléans.[↩]