Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

13 mai 1956

Allocution à plusieurs associations médicales

Greffe chirurgicale et morale religieuse

Table des matières

L’Association ita­lienne des don­neurs de la cor­née. l’Union ita­lienne des aveugles, des savants cli­ni­ciens ocu­listes et membres de la méde­cine légale et par­mi eux de nom­breux pro­fes­seurs d’Universités, ont été reçus en audience par le Saint-​Père, le 13 mal. Répondant à leurs dési­rs, le Pape, dans une allo­cu­tion dont toute la presse a fait état, leur a adres­sé, en fran­çais, les paroles suivantes :

Rome, près Saint Pierre, le 13 mai 1956

Vous Nous avez deman­dé, Messieurs, un mot d’o­rien­ta­tion, d’ap­pro­ba­tion et d’en­cou­ra­ge­ment pour votre Association qui veut aider les aveugles et ceux dont la fonc­tion visuelle est atteinte au moyen des res­sources tech­niques et scien­ti­fiques de la chi­rur­gie moderne. C’est bien volon­tiers que Nous trai­tons dans cette brève allo­cu­tion du but que vous vous pro­po­sez. La docu­men­ta­tion abon­dante que vous Nous avez pro­cu­rée dépasse de loin le thème pré­cis que Nous avons l’in­ten­tion de déve­lop­per. Elle concerne l’en­semble du pro­blème, de jour en jour plus aigu, de la trans­plan­ta­tion de tis­sus d’une per­sonne à l’autre, selon ses divers aspects bio­lo­gique et médi­cal, tech­nique et chi­rur­gi­cal, juri­dique, moral et reli­gieux. Nous Nous limi­tons aux aspects reli­gieux et moraux de la trans­plan­ta­tion de la cor­née, non entre des hommes vivants (de celle-​ci Nous ne par­le­rons pas aujourd’­hui), mais du corps mort sur le vivant. Nous serons tou­te­fois obli­gés de débor­der ce cadre étroit pour par­ler de quelques opi­nions que Nous avons ren­con­trées à cette occa­sion. Nous avons exa­mi­né les divers rap­ports que vous Nous avez com­mu­ni­qués ; par leur objec­ti­vi­té leur sobrié­té, leur pré­ci­sion scien­ti­fiques, ses expli­ca­tions qu’ils donnent sur les pré­sup­po­sés néces­saires d’une trans­plan­ta­tion de la cor­née, sur son diag­nos­tic et son pro­nos­tic ont fait sur Nous une pro­fonde impression.

Question de terminologie

Avant d’a­bor­der le thème pro­pre­ment dit, qu’il nous soit per­mis de faire deux remarques plus géné­rales ; La « ter­mi­no­lo­gie » que Nous avons trou­vée dans les rap­ports et dans les textes impri­més, dis­tingue « autoin­nes­to », ou auto­greffe, trans­ferts de tis­sus d’une par­tie à l’autre du corps d’un seul et même indi­vi­du ; « omoin­nes­to », ou homo­greffe, trans­ferts de tis­sus d’un indi­vi­du à un autre de la même espèce ( c’est-​à-​dire ici d’homme à homme) ; « ete­roin­nes­to » , ou hété­ro­greffe, trans­ferts de tis­sus entre deux Individus d’es­pèces dif­fé­rentes (c’est-​à-​dire ici entre un ani­mal et un orga­nisme humain). Ce der­nier cas appelle quelques pré­ci­sions du point de vue reli­gieux et moral. On ne peut pas dire que toute trans­plan­ta­tion de tis­sus (bio­lo­gi­que­ment pos­sible) entre indi­vi­dus d’es­pèces dif­fé­rentes, soit mora­le­ment condam­nable ; mais il est encore moins vrai qu’au­cune trans­plan­ta­tion hété­ro­gène bio­lo­gi­que­ment pos­sible ne soit Interdite ou ne puisse sou­le­ver d’ob­jec­tion. Il faut dis­tin­guer d’a­près les cas et voir quel tis­su ou quel organe il s’a­git de trans­plan­ter. La trans­plan­ta­tion de glandes sexuelles ani­males sur l’homme est à reje­ter comme immo­rale ; par contre, la trans­plan­ta­tion de la cor­née d’un orga­nisme non humain à un orga­nisme humain ne sou­lè­ve­rait aucune dif­fi­cul­té morale si elle était bio­lo­gi­que­ment pos­sible et indi­quée. Si l’on vou­lait fon­der sur la diver­si­té des espèces l’in­ter­dic­tion morale abso­lue de la trans­plan­ta­tion, il fau­drait en bonne logique décla­ré immo­rale la thé­ra­pie cel­lu­laire qui se pra­tique actuel­le­ment avec une fré­quence crois­sante ; on emprunte sou­vent des cel­lules vivantes à un orga­nisme non humain pour les trans­plan­ter dans un orga­nisme humain où elles exercent leur action.

Nous avons trou­vé aus­si dans les expli­ca­tions ter­mi­no­lo­giques de l’ou­vrage impri­mé, le plus récent une remarque qui concerne le thème même de Notre pré­sente allo­cu­tion. On y pré­cise que l’ex­pres­sion « innes­to » uti­li­sée pour dési­gner le trans­fert de par­ties d’un corps mort à un homme vivant, est inexacte et employée impro­pre­ment. Le texte porte « impro­pria­mente, viene chia­ma­to « innes­to » anche l’im­pie­go di tes­su­ti « fis­sa­ti » (mor­ti e conser­va­ti) ; mentre sarebbe più esat­to par­lare di « impian­to » o di « inclu­sione » di un tess­to, mor­to in un tes­su­to vivente »1. Il vous appar­tient d’ap­pré­cier cet avis an point de vue médi­cal ; au point de vue phi­lo­so­phique et théo­lo­gique la cri­tique est jus­ti­fiée. Le trans­fert d’un tis­su ou d’un organe d’un mort à un vivant n’est pas trans­fert d’homme à homme. Le mort était Un homme, mais Il ne l’est plus.

Il faut distinguer organisme physique et organisme moral

Nous avons rele­vé aus­si dans la docu­men­ta­tion impri­mée une autre remarque qui prête à confu­sion et que Nous esti­mons devoir rec­ti­fier. Pour démon­trer que l’ex­tir­pa­tion d’or­ganes néces­saires à la trans­plan­ta­tion faite d’un vivant à l’autre est conforme à la nature et licite, on la met sur le même pied que celle d’un organe phy­sique déter­mi­né fait dans l’in­té­rêt d’un orga­nisme phy­sique total. Les membres de l’in­di­vi­du seraient consi­dé­rés ici comme par­ties et membres de l’or­ga­nisme total que consti­tue « l’hu­ma­ni­té » de la même manière – ou presque – qu’ils sont par­ties de l’or­ga­nisme indi­vi­duel de l’homme. On argu­mente alors en, disant que, s’il est per­mis en cas de néces­si­té de sacri­fier un membre par­ti­cu­lier (main, pied, œil, oreille, rein, glande sexuelle) à l’or­ga­nisme de « l’homme », il serait éga­le­ment per­mis de sacri­fier tel membre par­ti­cu­lier à l’or­ga­nisme « huma­ni­té » (dans la per­sonne d’un ses membres malade et souf­frant). Le but que vise cette argu­men­ta­tion, remé­dier au mal d’au­trui ou du moins l’a­dou­cir, est com­pré­hen­sible et louable, mais la méthode pro­po­sée et la preuve dont on l’ap­puie sont erronées.

On néglige ici la dif­fé­rence essen­tielle entre un orga­nisme phy­sique et un orga­nisme moral, ain­si que la dif­fé­rence qua­li­ta­tive essen­tielle entre les rela­tions des par­ties avec le tout dans ces deux types d’or­ga­nisme. L’organisme phy­sique de l’homme est un tout quant à l’être ; les membres sont des par­ties unies et reliées entre elles quant à l’être phy­sique même ; ils sont tel­le­ment absor­bés par le tout, qu’ils ne pos­sèdent aucune indé­pen­dance, ils n’existent que pour l’or­ga­nisme total et, n’ont d’autre fin que la sienne.

Il en va tout autre­ment pour l’or­ga­nisme moral qu’est l’hu­ma­ni­té. Celui-​ci ne consti­tue un tout que quant à l’a­gir et à la fina­li­té ; les indi­vi­dus, en tant que membres de cet orga­nisme, ne sont que des par­ties fonc­tion­nelles ; le « tout » ne peut donc poser à leur égard que des exi­gences concer­nant l’ordre de l’ac­tion. Quant à leur être phy­sique, les indi­vi­dus ne sont en aucune façon dépen­dants les uns des autres ni de l’hu­ma­ni­té ; l’é­vi­dence immé­diate et le bon sens démontrent la faus­se­té de l’as­ser­tion contraire, Pour cette rai­son, l’or­ga­nisme total qu’est l’hu­ma­ni­té n’a aucun droit de poser aux indi­vi­dus des exi­gences dans le domaine de l’être phy­sique en ver­tu du droit de nature qu’a le « tout » de dis­po­ser des par­ties. L’extirpation d’un organe par­ti­cu­lier serait un cas d’in­ter­ven­tion directe, non seule­ment sur la sphère d’ac­tion de l’in­di­vi­du, mais aus­si et prin­ci­pa­le­ment sur celle de son être, de la part d’un « tout » pure­ment fonc­tion­nel « huma­ni­té », « socié­té, « Etat », auquel l’in­di­vi­du humain est incor­po­ré comme membre fonc­tion­nel et quant à l’a­gir seulement.

Dans un tout autre contexte, Nous avons déjà sou­li­gné aupa­ra­vant le sens et l’im­por­tance de cette consi­dé­ra­tion et rap­pe­lé la dis­tinc­tion néces­saire dont il faut soi­gneu­se­ment tenir compte, entre l’or­ga­nisme phy­sique et l’or­ga­nisme moral. C’était dans Notre Encyclique du 29 juin 1943 sur le « Corps mys­tique du Christ ». Nous résu­mions alors ce que Nous venons de dire en quelques phrases, que des non théo­lo­giens ne pour­raient peut-​être pas sai­sir immé­dia­te­ment à cause de leur forme concise, mais où ils trou­ve­raient, après une lec­ture atten­tive, une meilleure com­pré­hen­sion de la dif­fé­rence que com­portent les rela­tions de tout à par­tie dans l’or­ga­nisme phy­sique et moral. Il fal­lait expli­quer alors com­ment le simple croyant était par­tie du Corps mys­tique du Christ qu’est l’Eglise et la dif­fé­rence entre cette rela­tion et celle qui existe dans un orga­nisme phy­sique. Nous disions alors :

Dum enim in nutu­ra­li cor­pore uni­ta­tis prin­ci­pium ita partes iun­git, ut pro­pria quam vocant, sub­sis­ten­tia sin­gu­lae pror­sus eareunt contra in mys­ti­co Corpore mutae coniunc­tio­nis vis, etiam­si inti­ma, mem­bra ita inter se copu­lat, ut sin­gu­la omni­no fruan­tur per­so­na pro­pria. Accedit quod, si tolius et sin­go­lo­rum mem­bro­rum mutuam inter se ratio­nem ccn­si­de­ra­mus, in phy­si­co quo­li­bet viven­ti cor­pore totius concre­tio­nis emo­lu­men­to mem­bra sin­gu­la uni­ver­sa post­re­mum unice des­ti­nan­tur, dum socia­lis quae­li­bet homi­nu­mi com­pages, si modo ulti­mum uti­li­ta­tis finem ins­pi­ci­mus, ad omnium et unius cuiusque mem­bri pro­fec­tum, utpote per­so­nae sunt, pas­tre­mum ordi­nan­tur2

Acta Ap Sedis, a. 35. p .221–222

La psychologie de l’aveugle

Nous reve­nons à Notre thème l’ap­pré­cia­tion morale de la trans­plan­ta­tion de la cor­née d’un mort sur un vivant, afin d’a­mé­lio­rer l’é­tat des aveugles ou de ceux qui le deviennent ; à leur ser­vice se mettent aujourd’­hui la cha­ri­té et la pitié de beau­coup d’hommes com­pa­tis­sants, de même que les pro­grès de la tech­nique et de la chi­rur­gie scien­ti­fique, avec toutes leurs res­sources inven­tives, leur audace et leur per­sé­vé­rance. La psy­cho­lo­gie de l’a­veugle nous per­met de devi­ner son besoin d’une aide com­pa­tis­sante et comme il la reçoit avec reconnaissance.

L’Evangile de saint Luc contient une des­crip­tion vivante de la psy­cho­lo­gie de l’a­veugle qui est un chef-​d’œuvre. L’aveugle de Jéricho, enten­dant pas­ser la foule, deman­da ce que cela signi­fiait. On lui répon­dit que Jésus de Nazareth pas­sait par là. Alors il s’é­cria « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ». Les gens lui enjoi­gnirent de se taire, mais lui conti­nuait de plus belle « Fils de David, aie pitié de moi !». Jésus ordon­na donc de le faire venir. « Que veux-​tu que je te fasse ? – Seigneur, que je voie ! – Vois ! Ta foi t’a sau­vé ». Et aus­si­tôt il recou­vra la vue et sui­vit Jésus en louant Dieu (Luc XVIII, 35–43). Ce cri, « Seigneur, faites que je voie ! », reten­tit aux oreilles et dans le cœur de tous, aus­si voulez-​vous y répondre tous, et prê­ter votre aide autant qu’il est en votre pou­voir . Vous Nous assu­rez que le trans­fert de la cor­née consti­tue pour beau­coup de malades un moyen pro­met­teur de gué­ri­son ou du moins d’a­dou­cis­se­ment et d’a­mé­lio­ra­tion. Eh bien ! Utilisez-​la et aidez-​les dans la mesure où c’est pos­sible et licite, natu­rel­le­ment, en choi­sis­sant les cas avec beau­coup de dis­cer­ne­ment et de prudence.

La chirurgie de l’œil exclut des espoirs chimériques

La docu­men­ta­tion que vous Nous avez four­nie per­met de se repré­sen­ter en quelque sorte l’o­pé­ra­tion (que vous effec­tuez. On peut exé­cu­ter l’en­lè­ve­ment de la cor­née de deux façons, dites-​vous, soit par des « kéra­to­plas­ties lamel­laires : che­ra­to­plas­tiche lamel­la­ri », soit par des « kéra­to­plas­ties per­fo­rantes : che­ra­to­plas­tiche per­fo­ran­ti ». Si l’on observe soi­gneu­se­ment la tech­nique requise, l’œil enle­vé peut se conser­ver pen­dant qua­rante huit à soixante heures Si plu­sieurs cli­niques ne sont pas trop éloi­gnées les unes des autres, elles peuvent ain­si consti­tuer une cer­taine réserve de maté­riel prêt à l’u­sage, et se prê­ter secours mutuel­le­ment selon les besoins des cas par­ti­cu­liers . Nous trou­vons aus­si dans votre docu­men­ta­tion des ren­sei­gne­ments sur les indi­ca­tion s de la trans­plan­ta­tion de la cor­née en géné­ral et sur ses pos­si­bi­li­tés de réus­site. La majo­ri­té des aveugles, ou de ceux qui le deviennent ne sont pas sus­cep­tibles d’en pro­fi­ter : Vous met­tez en garde contre les espoirs uto­piques, en ce qui concerne le pro­nos­tic des cas opé­rables. Vous écri­vez « E bene che Il pub­bli­co sapia che non sono pos­si­bi­li tra­pian­ti di altri tes­su­ti ocu­la­ri e tan to meno dell’o­chuio intero nell’uo­mo, ma è solo pos­si­bile sos­ti­tuire, e solo par­zial­mente, la por­zione più ante­riore dell’ap­pa­ra­to diot­ti­co ocu­lare« 3 .

Quant au suc­cès de l’in­ter­ven­tion, vous Nous appre­nez que des 4 360 cas publiés entre 1948 et 1954, 45 à 65 pour 100 ont eu un résul­tat posi­tif et que l’on ren­contre un pour­cen­tage sem­blable pour les cas non publiés vous ajou­tez ; « Si è avu­to un van­ta­gio ris­pet­to alle condi­zio­ni pre­ce­den­ti »4 , dans 20 pour 100 des cas seule­ment on aurait pu obte­nir « una visione più o meno vici­na alla nor­male »5 .

Vous signa­lez pour conclure que dans beau­coup de pays les lois et ordon­nances de l’Etat ne per­mettent pas une uti­li­sa­tion plus large de la trans­plan­ta­tion de la cor­née et que, par consé­quent, on ne peut pas aider un nombre plus grand d’a­veugles ou de ceux qui perdent la vue. Voilà pour ce qui concerne le point de vue médi­cal et tech­nique de votre compétence.

Un problème religieux et moral

Du point de vue moral et reli­gieux, il n’y a rien à objec­ter à l’en­lè­ve­ment de la cor­née d’un cadavre, c’est-​à-​dire aux kéra­to­plas­ties lamel­laires aus­si bien que per­fo­rantes, quand on les consi­dère en elles-​mêmes. Pour qui les reçoit c’est ‑à-​dire le patient, elles repré­sentent une res­tau­ra­tion et la cor­rec­tion d’un défaut de nais­sance ou acci­den­tel. A l’é­gard du défunt dont on enlève la cor­née, on ne l’at­teint dans aucun des biens aux­quels il a droit ni dans son droit à ces biens. Le cadavre n’est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit, car il est pri­vé de la per­son­na­li­té qui, seule, peut être sujet de droit. L’extirpation n’est pas non plus l’en­lè­ve­ment d’un bien : les organes visuels, en effet (leur pré­sence, leur inté­gri­té), n’ont plus dans le cadavre le carac­tère de biens, parce qu’ils ne lui servent plus et n’ont plus de rela­tion à aucune fin. Cela ne signi­fie pas du tout qu’à l’é­gard du cadavre d’un homme il ne pour­rait y avoir, ou il n’y ait pas en fait des obli­ga­tions morales, des pres­crip­tions ou des pro­hi­bi­tions ; cela ne signi­fie pas non plus que les tiers qui ont le soin du corps, de son inté­gri­té et du trai­te­ment dont il sera l’ob­jet, ne puissent céder, ou ne cèdent en fait des droits et des devoirs pro­pre­ment dits. Bien au contraire. Les kéra­to­plas­ties, qui ne sou­lèvent en elles-​mêmes aucune objec­tion morale, peuvent aus­si par ailleurs ne pas être irré­pro­chables et même être direc­te­ment immorales.

Un cadavre d’homme n’est pas une chose quelconque. Quelles règles impose son respect ?

Il faut en pre­mier lieu dénon­cer un juge­ment morale ment erro­né qui se forme dans l’es­prit de l’homme, mais influence d’ha­bi­tude son com­por­te­ment externe et consiste à mettre le cadavre humain sur le même plan que celui de l’a­ni­mal ou qu’une simple chose., Le cadavre ani­mal est uti­li­sable .presque .dans toutes ses par­ties, on peut en dire autant du cadavre humain consi­dé­ré de façon pure­ment maté­rielle, c’est-​à-​dire dans les élé­ments dont ii se compose.

Pour cer­tains, cette manière de voir consti­tue le cri­tère der­nier de la pen­sée et le prin­cipe der­nier de l’ac­tion. Une telle atti­tude com­porte une erreur de juge­ment et une mécon­nais­sance de la psy­cho­lo­gie et du sens reli­gieux et moral. Car le cadavre humain mérite qu’on le regarde tout autre­ment. Le corps était la demeure d’une âme spi­ri­tuelle et immor­telle, par­tie consti­tu­tive essen­tielle d’une per­sonne humaine dont il par­ta­geait, la digni­té ; quelque chose de cette digni­té s’at­tache encore lui. On peut dire aus­si, puis­qu’il est une com­po­sante de l’homme, qu’il a été for­mé « à l’i­mage et à la res­sem­blance » de Dieu, laquelle va bien au-​delà des traces géné­riques de la res­sem­blance divine, qu’on retrouve éga­le­ment chez les ani­maux pri­vés d’in­tel­li­gence et jusque dans les créa­tures inani­mées pure­ment maté­rielles. Même au cadavre s’ap­plique d’une manière le mot de l’Apôtre : « Ne savez-​vous pas que vos membres sont le temple du Saint-​Esprit qui habite en vous ? » (1 Cor, VI, 19).

Enfin, le corps mort est des­ti­né à la résur­rec­tion et à la vie éter­nelle. Tout cela ne vaut pas du corps ani­mal et prouve qu’il ne suf­fit pas d’en­vi­sa­ger des « fins thé­ra­peu­tiques » pour juger et trai­ter conve­na­ble­ment le cadavre humain. D’autre part, il est vrai éga­le­ment que la science médi­cale et la for­ma­tion des futurs méde­cins exigent une connais­sance détaillée du corps humain et qu’on a besoin du cadavre comme objet d’é­tude. Les réflexions émises ci-​dessus ne s’y opposent pas . On peut pour­suivre cette fin légi­time en accep­tant plei­ne­ment ce que Nous venons de dire. De là vient aus­si qu’un indi­vi­du veuille dis­po­ser de son cadavre et le des­ti­ner à des fins utiles, mora­le­ment irré­pro­chables et même éle­vées (entre autres pour secou­rir des hommes malades et souf­frants). On peut prendre une telle déci­sion au sujet de son propre corps avec la pleine conscience du res­pect qui lui revient, et en tenant compte des paroles que l’Apôtre adres­sait aux Corinthiens. Cette déci­sion il ne faut pas la condam­ner, mais la jus­ti­fier positivement.

Pensez par exemple au geste de Don Carlo Gnocchi. A moins que les cir­cons­tances n’im­posent une obli­ga­tion il faut res­pec­ter la liber­té et la spon­ta­néi­té des inté­res­sés ; d’ha­bi­tude, on ne pré­sen­te­ra pas la chose comme un devoir ou un acte de cha­ri­té obli­ga­toire. Dans la pro­pa­gande, il faut cer­tai­ne­ment obser­ver une réserve intel­li­gente pour évi­ter de sérieux conflits exté­rieurs et inté­rieurs. Faut-​il, en outre, comme il arrive sou­vent, refu­ser en prin­cipe tout dédom­ma­ge­ment ? La ques­tion reste posée. Il est hors de doute que de graves abus peuvent s’in­tro­duire si l’on exige une rétri­bu­tion ; mais ce serait aller trop loin que de juger immo­rale toute accep­ta­tion ou toute exi­gence d’un dédom­ma­ge­ment. Le cas est ana­logue à celui de la trans­fu­sion san­guine : c’est un mérite pour le don­neur de refu­ser un dédom­ma­ge­ment ; ce n’est pas néces­sai­re­ment un défaut de l’accepter.

Respect du droit des personnes

L’enlèvement de la cor­née, même par­fai­te­ment licite en soi, peut aus­si deve­nir illi­cite s’il viole les droits et les sen­ti­ments des tiers à qui incombe le soin du cadavre, les proches parents d’a­bord ; mais ce pour­raient être d’autres per­sonnes en ver­tu de droits publics ou pri­vés, il ne serait pas humain, pour ser­vir les inté­rêts de la méde­cine ou des « buts thé­ra­peu­tiques », d’i­gno­rer de sen­ti­ments si pro­fonds. En géné­ral, il ne devrait pas être per­mis aux méde­cins d’en­tre­prendre des extir­pa­tions ou d’autres inter­ven­tions sur un cadavre sans l’ac­cord de ceux qui en sont char­gés et peut-​être même en dépit de objec­tions for­mu­lées anté­rieu­re­ment par l’in­té­res­sé Il ne serait pas non plus équi­table que les corps des patients pauvres, dans les cli­niques publiques et les hôpi­taux, soient des­ti­nés d’of­fice aux ser­vices de méde­cine et de chi­rur­gie, tan­dis que ceux des patients plus for­tu­nés ne le seraient pas. L’argent et la situa­tion ne devraient pas inter­ve­nir quand il s’a­git de ména­ger des sen­ti­ments humains aus­si déli­cats. D’autre part, il faut édu­quer le public et lui expli­quer avec intel­li­gence et res­pect que consen­tir expres­sé­ment à des atteintes sérieuses à l’in­té­gri­té du cadavre dans l’in­té­rêt de ceux qui souffrent, n’of­fense pas la pié­té due au défunt lors­qu’on a pour cela des rai­sons valables. Ce consen­te­ment peut mal­gré tout com­por­ter pour les proches parents une souf­france et un sacri­fice. Mais ce sacri­fice s’au­réole de cha­ri­té misé­ri­cor­dieuse envers des frères souffrants.

Ce que peuvent les pouvoirs publics et ce qu’ils ne peuvent pas

Les pou­voirs publics et les lois qui concernent les inter­ven­tions sur les cadavres doivent en géné­ral res­pec­ter les mêmes consi­dé­ra­tions morales et humaines, puis­qu’elles s’ap­puient sur la nature humaine elle-​même, laquelle pré­cède la socié­té dans l’ordre de la cau­sa­li­té et de la digni­té. En par­ti­cu­lier, les pou­voirs publics ont le devoir de veiller à leur mise en pra­tique, et d’a­bord de prendre des mesures pour qu’un « cadavre » ne soit pas consi­dé­ré et trai­té comme tel avant que la mort n’ait été dûment consta­tée. Par contre, les pou­voirs publics sont com­pé­tents pour veiller aux inté­rêts légi­times de la méde­cine et de la for­ma­tion médi­cale si l’on soup­çonne que la mort est due à une cause cri­mi­nelle ou s’il y a dan­ger pour la san­té publique, il faut que le corps soit livré aux autorités.

Tout cela peut et doit se faire, sans man­quer au res­pect dû au cadavre humain et aux droits des proches parents, Les pou­voirs publics peuvent enfin contri­buer effi­ca­ce­ment à faire entrer dans l’o­pi­nion la convic­tion de la néces­si­té et de la licéi­té morale de cer­taines dis­po­si­tions au sujet des cadavres et ain­si pré­ve­nir ou écar­ter l’oc­ca­sion, de conflits inté­rieurs et exté­rieurs dans l’Individu, la famille et la société.

II y a presque deux ans, le 30 sep­tembre 1954, Nous avons déjà expri­mé les mêmes idées dans une allo­cu­tion au VIIIe congrès de l’as­so­cia­tion médi­cale inter­na­tio­nale et Nous vou­drions main­te­nant répé­ter et confir­mer ce que Nous disions alors dans un bref paragraphe :

« En ce qui concerne l’en­lè­ve­ment de par­ties du corps d’un défunt à des fins thé­ra­peu­tiques, on ne peut pas per­mettre au méde­cin de trai­ter le cadavre comme il le veut. II revient à l’au­to­ri­té publique d’é­ta­blir des règles conve­nables. Mais elle non plus ne peut pro­cé­der arbi­trai­re­ment. Il y a des textes de loi contre les­quels on peut éle­ver de sérieuses objec­tions. Une norme comme celle qui per­met au méde­cin, dans un sana­to­rium, de pré­le­ver des par­ties du corps à des fins thé­ra­peu­tiques, tout esprit de lucre étant exclu, n’est pas admis­sible déjà en rai­son de la pos­si­bi­li­té de l’in­ter­pré­ter trop libre­ment. Il faut aus­si prendre en consi­dé­ra­tion les droits et les devoirs de ceux à qui incombe la charge du corps du défunt, Finalement, il faut res­pec­ter les exi­gences de la morale natu­relle qui défend de consi­dé­rer et de trai­ter le cadavre de l’homme sim­ple­ment comme une chose ou comme celui d’un animal. »

Discorsi e Radiomessaggi , vol. XVI, p. 176

Avec l’es­poir de vous avoir ain­si don­né une orien­ta­tion plus pré­cise et faci­li­té une com­pré­hen­sion plus pro­fonde des aspects reli­gieux et moraux de ce sujet. Nous vous accor­dons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.

PIUS PP. XII

  1. C’est impro­pre­ment qu’on a appe­lé greffe l’emploi de tis­sus fixés (morts et conser­vés) alors qu’il serait plus exact de par­ler d’im­plan­ta­tion ou d’in­clu­sion d’un tis­sus mort dans un tis­sus vivant. []
  2. Car, tan­dis que dans un corps natu­rel, le prin­cipe d’u­ni­té unit les par­ties de telle sorte que cha­cun manque entiè­re­ment de ce qu’on appelle sub­stance propre dans le Corps mys­tique, au contraire la force de leur conjonc­tion mutuelle, bien qu’in­time, relie les membres entre eux de manière à lais­ser cha­cun jouir abso­lu­ment de sa propre per­son­na­li­té, En outre, si nous regar­dons le rap­port mutuel entre le tout et cha­cun des membres, dans n’im­porte quel corps phy­sique vivant , cha­cun des membres en défi­ni­tive est uni­que­ment des­ti­né au bien de tout l’or­ga­nisme : toute socié­té humaine, au contraire pour peu qu’on fasse atten­tion à la fin der­nière de son uti­li­té est ordon­née en défi­ni­tive au pro­fit de tous et de cha­cun des membres, car ils sont des per­sonnes. []
  3. Il est bon que le public sache que les trans­plan­ta­tions d’autres tis­sus de l’œil et encore moins de l’œil entier de l’homme, sont impos­sibles ; mais qu’il est seule­ment pos­sible de sub­sti­tuer et en par­tie seule­ment, la por­tion la plus anté­rieure de l’ap­pa­reil diop­trique de l’œil. []
  4. On a obte­nu un avan­tage par rap­port aux condi­tions pré­cé­dentes. []
  5. Une vision plus ou moins voi­sine de la nor­male. []