Le samedi qui précéda sa mort, le Souverain Pontife reçut en audience les membres du Xe Congrès national de chirurgie plastique, et leur adressa un discours en italien, dont voici la traduction :
C’est avec une vive satisfaction que Nous recevons votre visite, messieurs. Vous êtes réunis pour le Xe Congrès de Chirurgie plastique dans la Ville Eternelle, et vous vous êtes proposé le double but d’approfondir par l’étude les aspects multiples de cette nouvelle branche de la science médicale et de rehausser par votre présence l’inauguration de la section destinée à cette chirurgie spéciale et créée à l’Hôpital de Saint-Eugène, sur l’initiative de l’Association des hôpitaux de Rome. Le fait qu’une administration hospitalière publique, telle que la renommée et bienfaisante société romaine, ait encouragé l’institution d’une section de chirurgie plastique exercée jusqu’à présent dans telle ou telle clinique, est une preuve éloquente du sérieux et important développement atteint par cette partie de la chirurgie. En vérité, la chirurgie plastique, ou, comme elle est encore appelée, en tenant compte des légères différences de signification, esthétique ou réparatrice, a déjà été pratiquée depuis l’antiquité avec des moyens rudimentaires ; mais elle a fait des pas de géant à notre époque et s’est distinguée, il y a seulement trente ans, de la chirurgie générale. A cette sorte d’autonomie ont concouru, d’une part, le progrès universel des sciences médicales et, d’autre part, le nombreux accroissement des cas qui réclament l’intervention du chirurgien réparateur ; cet accroissement est dû à la multiplication des traumas déformants, résultant soit des deux guerres mondiales, soit des accidents dans l’usage des machines de travail ou de transport.
Mais comme cause principale du développement de cette chirurgie spéciale, on doit indiquer un plus vif souci chez l’homme moderne de l’aspect esthétique de son corps, particulièrement du visage, dont les affections qui l’enlaidissent sont souvent, pour de justes motifs, mal supportées. Basée sur le terrain scientifique, utilisant les conquêtes de la chirurgie moderne, perfectionnant ses propres méthodes, la chirurgie plastique, comme branche de la chirurgie générale, en est arrivée non seulement à faire partie de l’enseignement universitaire en donnant naissance à une littérature abondante, mais elle s’est conquis un large crédit dans l’opinion publique, surtout par ses résultats presque toujours satisfaisants et, parfois, presque prodigieux, comme par exemple, pour en citer quelques-uns, dans les chéilo et rhino-plasties. Toutefois malgré ce vaste crédit, il reste des réserves à surmonter, dues parfois à l’ignorance de ceux qui, ne connaissant pas ses progrès réels, nient son efficacité réparatrice ; d’autres sont dues à la prétention excessive d’obtenir d’elle n’importe quelle restauration d’organes et de superficies endommagés ou usés, sans qu’il reste aucune trace d’intervention chirurgicale.
Ces préjugés n’empêchent pas de définir la chirurgie plastique comme une science et un art, ordonnés, en eux-mêmes, à l’avantage de l’humanité, et, d’autre part, en ce qui concerne la personne du chirurgien, comme une profession dans laquelle se trouvent également engagées d’importantes valeurs éthiques et psychologiques.
I. La chirurgie plastique comme science technique.
La chirurgie plastique dont le but est la restauration, parfois fonctionnelle et, d’autres fois, simplement esthétique, de la morphologie extérieure normale des membres humains qu’ils soient atteints d’affections congénitales ou acquises, tire ses connaissances de la science médicale et collabore avec celle-ci. Tout empirisme écarté, elle exige la connaissance des principes généraux de la médecine, particulièrement de la chirurgie et de sa technique. L’anatomie des organes extérieurs, la structure des tissus, la circulation sanguine, l’anesthésie et l’asepsie font partie du domaine le plus propre au chirurgien réparateur. Mais la principale technique de la chirurgie plastique concerne les greffes ou transplantations : ces dernières taillées dans des régions saines du patient et adaptées dans celles à corriger ; et les autres, tirées d’autres organismes même non humains et, en conséquence, dites homo ou hétéro-greffes. Selon les divers cas, le chirurgien a recours à la transplantation libre, c’est-à-dire en enlevant entièrement des parties cutanées de zones autant que possible les plus voisines et aussi les plus proches dans leur structure de celles qui sont défectueuses, ou bien à la transplantation pélonculée, c’est-à-dire à des lambeaux qui ne sont pas tout de suite entièrement enlevés de la partie qui donne, mais qui sont transférés, voire par des phases successives de transplantation, par exemple de l’abdomen au poignet et de celui-ci à la joue à réparer. Dans le transfert des lambeaux, on pourra par un choix opportun, suivre la méthode Celse par écoulement, ou la méthode indienne par torsion, ou la méthode italienne, pratiquée déjà au XVe siècle en Italie méridionale et en Sicile, et récemment perfectionnée au moyen de la transformation du lambeau tabulé, que l’on obtient par la suture des deux bords longitudinaux. Cette méthode assure, entre autres avantages, la plus grande vitalité du lambeau et le risque minimum d’infection ou de nécrose dans les phases de transplantation et de greffage. L’intervention est plus complexe et plus délicate lorsqu’il s’agit de fournir au lambeau une « enveloppe », ou bien de le munir d’une base osseuse ou cartilagineuse, comme l’exige souvent la reconstruction de la cloison nasale ou de la boîte crânienne. Une attention particulière et une connaissance approfondie des réactions possibles sont nécessaires pour préparer le siège récepteur de la transplantation, en en assurant la parfaite hémostase, pour exécuter les incisions et les sutures, pour surveiller Je cours de la cicatrisation, jusqu’à ce que le lambeau transféré s’attache dans son nouvel emplacement comme s’il y était né ou, s’il s’agit d’homo ou hétéro-greffes, s’y maintienne vivant et sain jusqu’à ce que se soit accompli le processus d’absorption par les tissus limitrophes, amenés et stimulés par lui à le substituer. Les principes et les normes qui s’appliquent le plus à cette spécialité doivent donc être utilisés par le chirurgien quand il examine pour la première fois le patient, pour savoir si et dans quelle mesure celui-ci peut supporter les épreuves physiques et psychiques de l’intervention, s’il subsiste le danger de complications plus graves pour tout l’organisme ou pour d’autres membres, et quel résultat on peut prévoir et espérer. Les mêmes principes le guideront dans les incisions, dans l’évaluation biologique des lambeaux, dans l’emploi des anesthésiques, dans le choix du moment le plus opportun pour exécuter les diverses phases du greffage. Le chirurgien demandera conseil à sa propre science et à celle d’autrui dans les complications qui, parfois, ne manquent pas d’intervenir, même après avoir respecté toutes les bonnes règles. Il est facile de déduire de ces rapides allusions combien la chirurgie plastique d’aujourd’hui est loin des traitements et des réparations génériques adoptés autrefois par la chirurgie générale, et encore plus de l’opinion inconsidérée de ceux qui estimeraient encore que son œuvre consiste, comme s’exprime l’ignorance, en une substitution quelconque de peau et en l’effacement de rides en la confondant ainsi avec le traitement cosmétique de l’épiderme.
II. La chirurgie plastique est aussi un art.
Mais la chirurgie plastique tout en cultivant un secteur limité du très vaste et admirable domaine de la chirurgie générale a la particularité d’être, pour ainsi dire, un art, non seulement dans le sens générique d’œuvre entreprise selon des normes déterminées, mais en raison de ce « sens artistique » qui est exigé et qui se manifeste chez quiconque s’applique à résoudre ingénieusement des problèmes toujours différents, en visant à en donner une solution également esthétique. En raison du polymorphisme à peu près indéfini des affections, jamais ne se présentent deux cas parfaitement égaux, mais chacun exige un traitement approprié, toujours délicat et patient, parfois génial. Pour mentionner quelques exemples parmi les si nombreux écrits dans les monographies qui Nous ont été courtoisement envoyées, voici le cas connu d’une fillette au visage terriblement abîmé par une déformation cicatrisée, qui intéresse les lèvres et la joue, empêchant le libre mouvement de la mâchoire inférieure. Le chirurgien plastique affrontera le délicat problème en établissant un plan opératoire de démolition et de reconstruction. Ses doigts habiles, avec l’aide des instruments, modèleront l’auto-greffe de façon que la zone réparée acquière, autant que possible, la morphologie normale, tandis que les sutures seront disposées de manière que les cicatrices ne subissent pas de tiraillements, mais, dans les limites des possibilités, apparaissent esthétiques. Un bon résultat qui restitue l’ordre à un jeune visage est suffisant en lui-même pour récompenser le chirurgien de ses efforts et le sujet de ses propres souffrances ; mais il est également capable de susciter de l’admiration envers l’art qui a obtenu une si grande chose. D’autres fois, au regard soucieux du chirurgien s’offre le triste spectacle d’un petit corps ravagé par des brûlures de 3e degré, qui occupent les 35 pour cent de la superficie du corps. — « Tout est à refaire ! » — pense-t-il en lui-même ; mais il a déjà conçu son plan de traitement, qui consistera à transplanter, en bandes alternées, les auto et homo-greffes, habilement obtenues par le dermatome des régions saines du sujet ou d’autres. L’œuvre est à peine commencée ; des soins patients et minutieux devront suivre pendant longtemps avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Lorsque chez d’autres malheureux, le « lupus » a détruit le tiers inférieur de la pyramide nasale, il faudra y transférer un lambeau frontal taillé au bistouri ; si la cavité orbitaire est impropre à accueillir une prothèse, on imaginera le meilleur mode de la reconstruire avec des plaques osseuses les plus voisines.
L’art et l’ingéniosité du chirurgien plastique se manifestent de mille façons, soit qu’il s’agisse de construire entièrement un pavillon auriculaire et de le fournir à un sujet qui en manque par agénésie ou trauma, soit de reconstruire la fermeture des doigts de la main à celui qui en a perdu la faculté à cause de la mutilation du pouce, ou de rétablir la voie laryngo-trachéale, ou de remédier à l’enlèvement traumatique du cuir chevelu, ou simplement de corriger, pour de justes motifs, les lignes extérieures du nez et d’autres membres. Dans ces derniers cas, le chirurgien emploiera, outre les ressources de la science, celles qui sont plus particulièrement artistiques, en se conformant aux préceptes de l’esthétique du corps humain.
Si l’on réfléchit, devant l’abondance des brillants résultats déjà obtenus, que la chirurgie plastique a commencé en tant que science ces dernières décades seulement, il est permis d’en attendre de plus admirables dans l’avenir, grâce à l’étude assidue et à la technique de plus en plus perfectionnée de ses insignes spécialistes, dont l’intérêt est stimulé par un haut sens d’humanité et souvent d’esprit religieux. D’une part, l’analogie, voire pâle et lointaine, entre l’œuvre du chirurgien plastique et celle divine du Créateur, qui modela avec le limon de la terre le premier corps humain en y infusant la vie ; et, d’autre part, le soulagement qui en résulte pour un si grand nombre de souffrants ; et enfin la variété infinie des traitements concourent à accroître le haut intérêt de cette partie de la chirurgie.
III. Les problèmes moraux et psychologiques que pose la chirurgie plastique.
Mais le chirurgien plastique, comme tout médecin, n’est pas seulement un savant et un technicien, prisonnier de sa profession de telle sorte que sa droiture se mesure uniquement à la fidélité aux préceptes de sa science et de son art. Aucun bien ni aucune valeur de l’homme et du monde ne sont tellement enfermés en eux-mêmes qu’ils n’aient point quelque relation avec tous les autres. Le chirurgien est lié par cet ensemble et a une réelle responsabilité : comme homme, envers Dieu et sa loi ; comme professionnel, envers la société et envers des membres auxquels il consacre son œuvre. La conscience d’homme et de professionnel doit, par conséquent, l’inspirer dans ses décisions et dans ses actes, avant même que sa main bienfaisante ne se pose sur des corps pour y apporter les changements suggérés par la science et par la technique. Les multiples répercussions, dérivant d’une intervention chirurgicale, doivent donc être considérées à la lumière de la conscience chrétienne et professionnelle, afin que l’œuvre du chirurgien plastique soit parfaite sous tous rapports. Parmi ceux-ci, certains sont, plus étroitement liés à sa profession, et intéressent le plan moral et psychologique, auxquels Nous ferons une brève allusion.
a) La recherche d’une plus grande beauté physique : conditions de licéité.
Le développement tout récent de la chirurgie plastique et plus particulièrement esthétique a pendant longtemps préoccupé la conscience chrétienne, au sujet de la licéité de ses interventions, principalement de celles qui visent non pas tant à la restauration fonctionnelle, mais plutôt à obtenir un embellissement positif de la personne, par exemple par la modification des traits de la physionomie ou, simplement, par l’ablation des rides survenues à cause de l’usure naturelle du temps.
La beauté physique de l’homme, manifestée principalement par le visage, est en elle-même un bien, quoique subordonné à d’autres très supérieurs, et par conséquent précieux et désirable. Elle est en effet une empreinte de la beauté du Créateur, une perfection du composé humain, un symptôme normal de la santé physique. Comme un langage muet de l’âme intelligible pour tous, la beauté est ordonnée à exprimer à l’extérieur les qualités intérieures de l’esprit, parce que, comme l’enseigne le Docteur angélique, la fin proche du corps est l’âme raisonnable ; par conséquent il peut être dit parfait dans la mesure où il possède toutes les conditions qui en font un instrument approprié de l’âme et de ses opérations[1]. En s’abstenant à présent d’étudier le processus psychologique du sujet, qui dévoile le beau en dehors de soi, par le témoignage de satisfaction donné par l’œil, selon la fameuse définition pulchra enim dicuntur quae visa placent [2], il n’est pas douteux qu’il existe dans la réalité des éléments éternels suscitant des sensations agréables à la vue bien loin de pouvoir être toutes et toujours réduites, comme le prétend une école psychanalytique spéciale, à la sphère de l’instinct qui préside à la conservation de l’espèce.
En appliquant à notre sujet l’analyse classique des trois éléments constitutifs du beau[3], la beauté physique du corps et du visage humain exige la perfection des membres ou parties distincts, l’harmonie entre eux et surtout la sincérité en exprimant les qualités intérieures de l’esprit ; ce qui est là le rôle plus particulier du visage. Au sujet des deux premiers éléments, il existe depuis la lointaine antiquité des règles bien connues des artistes et de vous-mêmes, spécialistes de la chirurgie plastique, comme celle, par exemple, qui répartit le profil du visage, de l’arcade sourcilière au menton, en six mesures égales ; ou bien l’autre qui établit la perfection de la ligne nasale dans son alignement. Toutefois des canons et autres semblables ne prétendent pas fixer un type unique de beauté et encore moins pour toutes les races humaines, mais les limites au-delà desquelles se trouvent l’imperfection et la difformité. Mais tandis que la perfection et l’harmonie des parties sont facilement reconnaissables et soumises à une mesure, la sincérité d’expression n’est saisie que par l’intuition de celui qui observe ; elle est cependant l’élément le plus décisif pour imprimer sur un visage le mérite de la beauté, en donnant lieu à une variété pour ainsi dire infinie de types.
Or, il n’est pas douteux que le christianisme et sa morale n’ont jamais condamné, comme illicites en eux-mêmes, l’estime et le soin ordonné de la beauté physique. Au contraire, les préceptes qui interdisent les auto-mutilations, qui assignent à Dieu seul la pleine souveraineté du corps, qui exigent le soin ordonné de la santé physique, comportent implicitement la considération même envers ce qui est une perfection du corps. Faut-il peut-être rappeler que le sens et le souci esthétiques sont une caractéristique des manifestations extérieures de l’Eglise et de son art ? Néanmoins, la morale chrétienne, qui vise à sa fin ultime et embrasse et règle la totalité des valeurs humaines, ne peut assigner à la beauté physique que la place qui lui revient et qui, certes, ne se trouve pas au sommet de l’échelle des valeurs, car elle n’est pas un bien spirituel, ni même essentiel. Le respect envers cette gradation explique telle ou telle méfiance, ou parfois mésestime, à l’égard de la beauté physique, que l’on peut trouver dans la littérature de morale et ascétique et dans les biographies des saints. Et lorsque le développement moderne de la chirurgie plastique demande sa pensée à la morale chrétienne, il ne fait que demander à quel degré des valeurs doit-on placer la beauté physique. La morale chrétienne répond qu’elle est un bien, mais corporel, ordonné à tout l’homme et, comme les autres biens du même genre, susceptible d’abus. Comme bien et don de Dieu, elle doit être estimée et soignée, mais sans exiger comme un devoir le recours à des moyens extraordinaires. Que l’on fasse l’hypothèse d’un individu qui demande à la chirurgie esthétique le perfectionnement de ses traits, déjà conformes aux canons de l’esthétique normale en excluant toute intention qui ne soit pas droite, tout risque pour la santé et toute autre répercussion contraire à la vertu, mais seulement — car il faut bien qu’il y ait une raison — à cause de l’estime de la perfection esthétique et de la satisfaction de posséder celle-ci. Quel sera le jugement de la morale chrétienne ? Ce désir ou acte, tel qu’il est présenté par l’hypothèse, n’est moralement en lui-même ni bon, ni mauvais, mais seules les circonstances, auxquelles en réalité aucun acte ne peut se soustraire, lui donneront la valeur morale de bien ou de mal, de licite ou d’illicite. Il en découle que la moralité des actes qui concernent la chirurgie esthétique dépend des circonstances concrètes des cas distincts. Dans l’évaluation morale de celles-ci, les principales conditions les plus pertinentes à la matière et décisives dans la vaste casuistique présentée par la chirurgie esthétique, sont les suivantes : que l’intention soit droite, que la santé générale du sujet soit à l’abri de risques notables, que les motifs soient raisonnables et proportionnés au « moyen extraordinaire » auquel on a recours. L’illicéité est évidente quand il s’agit par exemple d’une intervention risquée dans l’intention d’accroître son pouvoir de séduction et d’induire ainsi plus facilement les autres au péché ; ou exclusivement pour soustraire un coupable à la justice ; ou qui cause un dommage aux fonctions régulières des organes physiques ; ou qui soit voulue par pure vanité ou caprice de la mode. Au contraire, de nombreux motifs parfois légitiment ou même conseillent positivement l’intervention. Certaines difformités ou encore de simples imperfections sont des causes de troubles psychiques chez le sujet ou bien deviennent ou un obstacle aux relations sociales et familiales ou un empêchement — spécialement chez des personnes vouées à la vie publique ou à l’art — à l’exercice de leur activité. D’autre part, si la réparation n’était pas possible, les maximes chrétiennes sont, dans leur richesse inépuisable, en mesure de suggérer les motifs et d’inspirer la force qui font tolérer avec sérénité les défauts physiques, permis par de mystérieux desseins divins. La beauté physique considérée de la sorte dans la lumière chrétienne et les conditions morales indiquées étant respectées, la chirurgie esthétique, loin de contrarier la volonté de Dieu, quand elle restitue la perfection à la plus grande œuvre de la création visible, l’homme, semble mieux la seconder et rendre à sa sagesse et à sa bonté le témoignage le plus évident.
b) La suppression de certains défauts physiques et son heureuse influence sur le comportement de l’individu.
Les répercussions psychologiques sont également importantes et, en un certain sens, reliées plus immédiatement à l’exercice de la chirurgie plastique.
La chirurgie plastique se trouve plus d’une fois en face de problèmes qui ne dépendent pas seulement d’une technique irréprochable et de la virtuosité de l’opérateur, qui sait corriger les défauts physiques de la personne, en rendant à celle-ci son état et son aspect normaux. Il semble déjà dans cette tâche que la main du chirurgien répète en quelque sorte l’acte de la main de Dieu qui modèle l’homme.
Mais il y a des circonstances dans lesquelles l’opérateur de chirurgie plastique effleure des conditions plus élevées d’ordre spirituel, dont il faut qu’il ait une pleine conscience, aussi doit-il avoir une préparation appropriée pour devenir également dans celles-ci presque un collaborateur de Dieu.
En effet, comme cela Nous a été signalé, des phénomènes, parfois très graves, sont « causés par la connaissance qu’ont les malades des défauts physiques, dont ils sont affectés ». Il n’est pas rare que le chirurgien plastique rencontre des conditions de ce genre, caractérisées par des répercussions psychologiques, et elles sont même plus fréquentes que dans d’autres branches de la chirurgie. Quand les anciens, avec la mentalité propre aux civilisations non chrétiennes, répétaient la sentence Cave a signatis, ils indiquaient sur une base empirique la réalité de certains phénomènes que la psychologie expérimentale moderne a pris en sérieux examen et dont elle recherche les causes en même temps que les possibilités d’une thérapeutique efficace. Ce sont des phénomènes pour la plupart inobservés à leur origine, mais non moins certains et nuisibles, qui naissent d’un sentiment d’infériorité physique ou esthétique par rapport à des compagnons d’âge ou d’autres égaux ; un sentiment qui non seulement rend triste la vie de celui qui n’a pas la force morale pour le surmonter, mais qui tend à s’enraciner, à se fixer dans des complexes qui peuvent également conduire à de profondes anomalies du caractère et de la conduite jusqu’à la psychose et parfois (à Dieu ne plaise), au crime et au suicide.
Au sujet de ces malades, le devoir de les assister peut revenir à beaucoup, du prêtre au médecin psychiatre jusqu’à l’ami. Aussi, quand la cause consiste en un défaut physique, que la chirurgie plastique est en mesure de supprimer, il n’est personne qui ne voie que l’intervention chirurgicale correspond non seulement à une indication médicale ou à une indication esthétique, mais aussi à un motif spirituel, suggéré par cette charité du Christ, qui s’étend à tous les éléments de la vie humaine, poussant, à l’exemple du divin Maître, à soulager toute douleur, même celles qui sont cachées, ignorées ou refoulées.
Ces aspects singuliers de la chirurgie plastique réclament évidemment une conscience approfondie de ses propres possibilités et responsabilités, comme aussi une habileté exercée, outre les compétences strictement techniques de votre art, pour adopter des motifs et des méthodes de conduite, qui concernent d’autres secteurs d’étude. Du reste, en ces temps où dans tout domaine la compétence spécialisée est de plus en plus demandée et conditionne les résultats scientifiques et techniques de la civilisation moderne, il est hautement opportun et méritoire de s’efforcer de puiser une culture plus vaste dans d’autres disciplines ou spécialités, qui concernent l’homme, comme la psychologie et la religion.
La psychologie moderne[4] s’attarde souvent à étudier les rapports mutuels de l’âme et du corps, en faisant ressortir qu’une opération défectueuse de l’âme peut causer au corps des dommages considérables et, vice versa, une affection physique peut être la cause d’une perturbation de l’âme. On assure, d’autre part, que se présente souvent le cas d’une maladie somatique, qui même lorsqu’elle n’est pas déterminée par des causes psychologiques, produit des complications psychologiques de diverse nature, qui ont à leur tour une répercussion sur l’affection organique. Ces affirmations et d’autres semblables, d’auteurs contemporains, engagent l’action du médecin dans tout domaine où il est en mesure d’apporter la santé au corps et, indirectement, à l’âme également, et demandent à être confrontées comme il convient dans les cas distincts. Il faut par exemple savoir distinguer s’il s’agit de psychopathes constitutionnels, sujets aux complications graves du subconscient, ou bien de malades qui présentent des phénomènes de nature essentiellement réactive, c’est-à-dire surtout liés à une déficience physique, congénitale ou acquise, que la chirurgie plastique se propose de supprimer. II se présente donc une série de cas différents, que le médecin doit approfondir par ses anamnésies, par ses recherches objectives, et dont il tient compte dans sa méthode de traitement, pour influer non seulement sur le corps, mais aussi sur l’état psychique conscient et inconscient du malade, en relation avec ses sentiments, avec ses conditions extérieures et avec son avenir.
Il est facile de déduire de ces réflexions combien votre profession est importante, délicate et méritoire. Comme expression de l’admirable progrès accompli ces derniers temps par les sciences médicales, la chirurgie plastique en couronne, pour ainsi dire, l’œuvre bienfaisante, en restituant harmonie et dignité aux membres et parfois également à l’esprit. Combien d’esprits, humiliés par des complexes d’infériorité et presque empêchés dans leur activité, retrouvent sérénité et dynamisme de vie dans vos mains habiles et fraternelles. Combien de visages de fils de Dieu, auxquels l’infortune a refusé le don de refléter sa beauté, acquièrent de nouveau le sourire perdu, grâce à votre science et à votre art. Soyez toujours conscients que votre mission peut et doit s’étendre, au-delà des tissus et des formes, jusqu’à l’âme, dont vous enseignerez à apprécier la beauté intérieure.
Avec ces vœux et avec la confiance que vos études fassent marquer à cette chirurgie spéciale des progrès de plus en plus grands, Nous invoquons les faveurs célestes pour vous, pour vos familles et pour vos patients.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Maurice Saint-Augustin. – D’après le texte italien des A. A. S., L, 1958, p. 952 ; traduction française de l’Osservatore Romano, du 31 octobre 1958.