Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

29 juin 1943

Lettre encyclique Mystici Corporis

Sur l’Eglise et la doctrine du Corps mystique du Christ

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête des saints Apôtres Pierre et Paul, le 29 juin 1943

A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres ordi­naires de lieux en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique

Introduction

La doc­trine du Corps mys­tique du Christ, qui est l’Eglise (cf. Col., i, 24), recueillie pri­mi­ti­ve­ment des lèvres du Rédempteur lui-​même, et qui met dans sa vraie lumière ce bien­fait, jamais assez exal­té, de notre étroite union avec ce Chef si sublime, invite certai­nement, par son excel­lence et son élé­va­tion, tous les hommes mus par l’Esprit de Dieu à en faire l’objet de leurs réflexions, et par la lumière qu’elle pro­jette dans leur esprit, les sti­mule for­te­ment aux œuvres salu­taires qui répondent à ces ensei­gne­ments. C’est pour­quoi Nous croyons de Notre devoir de vous entre­te­nir de ce sujet dans cette lettre ency­clique, en déve­lop­pant spé­cia­le­ment ce qui concerne l’Eglise mili­tante. Nous sommes pous­sés à le faire par la gran­deur excep­tion­nelle de cette doc­trine et aus­si par les cir­cons­tances du temps où nous vivons.

Notre inten­tion, en effet, est de par­ler des richesses cachées dans le sein de cette Eglise que le Christ s’est acquise par son propre sang (Actes, xx, 28), et dont les membres sont fiers d’avoir un chef cou­ronné d’épines. C’est là un écla­tant témoi­gnage que les plus belles gloires, les biens les meilleurs, ne naissent que de la dou­leur, et que par consé­quent nous devons nous réjouir d’avoir part aux souf­frances du Christ afin qu’au jour de la mani­fes­ta­tion de sa gloire, nous soyons aus­si dans la joie et dans l’allégresse (cf. I Pierre, iv, 13).

Il faut remar­quer tout de suite : de même que le Rédempteur du genre humain fut acca­blé de calom­nies et de tor­tures par ceux-​là mêmes qu’il avait entre­pris de sau­ver, ain­si la socié­té ins­ti­tuée par lui doit en cela aus­si res­sem­bler à son divin Fondateur. Nous ne nions certes pas, bien au contraire, Nous avouons avec un senti­ment de recon­nais­sance envers Dieu, qu’en nos temps trou­blés un nombre consi­dé­rable de ceux qui sont sépa­rés du ber­cail de Jésus-​Christ regardent vers l’Eglise comme vers l’unique port de salut ; mais Nous n’ignorons pas non plus, cepen­dant, que non seule­ment l’Eglise de Dieu est mépri­sée et calom­niée avec une orgueilleuse hos­ti­li­té par ceux qui, aban­don­nant la lumière de la sagesse chré­tienne, retournent misé­ra­ble­ment aux doc­trines, aux mœurs, aux ins­ti­tu­tions de l’antiquité païenne ; mais que sou­vent même beau­coup de chré­tiens, se lais­sant atti­rer par l’apparence trom­peuse de l’erreur ou char­mer par les séduc­tions et les dépra­va­tions du monde, igno­rent l’Eglise, n’ont pour elle qu’indifférence, ou font comme si elle ne leur ins­pi­rait qu’ennui et dégoût. C’est pour­quoi, Vénérables Frères, par devoir de conscience et pour répondre aux dési­rs d’un grand nombre, Nous vou­lons remettre sous les yeux de tous et célé­brer la beau­té, les mérites et la gloire de notre Mère l’Eglise, à qui après Dieu nous devons tout.

Il faut espé­rer que Notre ensei­gne­ment et Nos exhor­ta­tions, dans les cir­cons­tances pré­sentes, por­te­ront des fruits abon­dants pour les fidèles ; car Nous savons qu’en ces jours de tem­pête tant d’infor­tunes et tant de souf­frances, qui frappent cruel­le­ment un nombre pres­que incal­cu­lable d’hommes, à condi­tion d’être accep­tées avec paix et sou­mis­sion comme de la main de Dieu, condui­ront les âmes par une impul­sion pour ain­si dire natu­relle, des biens ter­restres et pas­sa­gers aux biens célestes et éter­nels, et sus­ci­te­ront une soif secrète des réa­li­tés spi­ri­tuelles et un intense désir qui, sous la pous­sée de l’Esprit de Dieu, les sti­mu­le­ra, les for­ce­ra presque à recher­cher avec plus de zèle le royaume de Dieu. Plus les hommes sont arra­chés aux vani­tés de ce monde et à l’amour des biens pré­sents, plus ils devien­nent aptes à per­ce­voir la lumière des mys­tères sur­na­tu­rels. Or, aujourd’hui peut-​être plus clai­re­ment que jamais, on sai­sit la vani­té et le néant des biens de la terre quand les royaumes et les cités s’écroulent, quand d’immenses res­sources et des richesses de toutes sortes sont englou­ties dans les pro­fon­deurs de l’océan ; quand les villes, les bour­gades, les cam­pagnes fer­tiles sont jon­chées de ruines gigan­tesques et souillées de luttes fratricides.

En outre, Nous avons confiance que même à ceux qui sont sépa­rés du giron de l’Eglise catho­lique, Notre expo­sé du Corps mys­tique de Jésus-​Christ ne déplai­ra pas et ne sera pas inutile. Car, d’une part, leur bien­veillance envers l’Eglise semble aug­men­ter de jour en jour ; d’autre part, lorsqu’ils voient actuel­le­ment se dres­ser nation contre nation, royaume contre royaume, croître indé­fi­ni­ment les dis­cordes, les haines et les semences de riva­li­té, s’ils jettent leur regard vers l’Eglise, s’ils contemplent l’unité qu’elle tient de Dieu – et qui rat­tache au Christ par un lien fra­ter­nel les hommes de n’importe quelle des­cen­dance – alors ils seront vrai­ment for­cés d’admirer cette socié­té ins­pi­rée par l’amour et ils seront atti­rés, sous l’impulsion et avec l’aide de la grâce divine, à s’associer eux-​mêmes à cette uni­té et à cette charité.

Une rai­son par­ti­cu­lière, très agréable celle-​là, Nous fait encore pen­ser aux grandes idées de cette doc­trine, et non sans une joie extrême. Durant l’année écou­lée, la vingt-​cinquième depuis Notre consé­cra­tion épis­co­pale, Nous avons vu avec une immense conso­la­tion un spec­tacle qui a fait res­plen­dir d’un éclat signi­fi­ca­tif dans toutes les par­ties de l’univers une image du Corps mys­tique de Jésus-​Christ. Nous avons vu, en effet, au milieu d’une guerre longue et meur­trière qui avait mal­heu­reu­se­ment bri­sé la com­mu­nau­té fra­ter­nelle des peuples, tous Nos fils dans le Christ du monde entier, d’une même volon­té et d’un même amour, por­ter leurs regards vers leur Père com­mun qui, char­gé des sou­cis et des angoisses de tous, dirige en ces temps trou­blés la barque de l’Eglise catho­lique. Nous n’avons pas seule­ment consta­té l’unité mer­veilleuse du peuple chré­tien, mais aus­si l’affirmation de ce fait : de même que Nous embras­sons d’un amour pater­nel les peuples de n’importe quel pays, ain­si les catho­liques à leur tour, bien qu’appartenant à des nations en guerre les unes contre les autres, tournent de par­tout leur regard vers Nous comme vers le Père très aimant qui, gui­dé par une abso­lue impar­tialité et par un juge­ment intègre à l’égard des deux camps, domine l’agitation et les tem­pêtes des bou­le­ver­se­ments humains pour prê­cher et défendre de toutes ses forces la véri­té, la jus­tice et la charité.

Nous n’avons pas éprou­vé une moindre conso­la­tion quand Nous avons appris la demande d’une sous­crip­tion volon­taire pour éri­ger à Rome une église dédiée à Notre saint pré­dé­ces­seur et patron, le pape Eugène Ier. Comme le temple que feront sur­gir la déci­sion et les aumônes de tous les fidèles per­pé­tue­ra le sou­ve­nir de Notre Jubilé, Nous vou­lons de même don­ner un témoi­gnage de Notre recon­nais­sance par cette lettre ency­clique où il est jus­te­ment ques­tion de ces pierres vivantes qui, pla­cées sur le fon­de­ment de la pierre d’angle qu’est le Christ, forment ensemble un temple saint, de beau­coup supé­rieur à tout temple construit de main d’homme, à savoir la demeure de Dieu dans l’Esprit-Saint (cf. Eph., ii, 21–22 ; I Pierre, ii, 5).

Mais Notre charge pas­to­rale est le prin­ci­pal motif qui Nous invite à trai­ter actuel­le­ment avec une cer­taine ampleur cette émi­nente doc­trine. De nom­breux écrits ont été publiés sur ce sujet ; et Nous n’ignorons pas que beau­coup s’adonnent aujourd’hui avec acti­vi­té à ces études, où la pié­té des fidèles trouve éga­le­ment un attrait et un ali­ment. Il semble qu’il faille en cher­cher avant tout l’explication dans ce fait qu’un renou­veau de zèle pour la litur­gie sacrée, la récep­tion plus fré­quente du Pain eucha­ris­tique, enfin, une dévo­tion plus ardente envers le Sacré-​Cœur de Jésus, que Nous consta­tons de nos jours avec joie, ont ame­né de nom­breux esprits à médi­ter plus pro­fon­dé­ment les richesses inson­dables du Christ conser­vées dans l’Eglise. En outre, les ensei­gne­ments parus ces temps der­niers à pro­pos de l’Action catho­lique, en res­ser­rant de plus en plus les liens des chré­tiens entre eux et avec la hié­rar­chie ecclésias­tique, sur­tout avec le Souverain Pontife, n’ont sans doute pas peu contri­bué à mettre en relief cette ques­tion. Néanmoins, si l’on peut se réjouir, à bon droit, de ce que Nous venons de rap­pe­ler, il n’est pour­tant pas niable que non seule­ment des écri­vains sépa­rés de la véri­table Eglise répandent de graves erreurs en cette matière, mais que même par­mi les fidèles cir­culent par­fois des opi­nions inexactes ou tout à fait erro­nées, qui entraînent les intel­li­gences en dehors de la voie droite de la vérité.

Car, tan­dis que d’une part per­siste un pré­ten­du ratio­na­lisme, qui tient pour absurde tout ce qui dépasse et domine les forces de l’esprit humain, tan­dis que marche de pair avec lui une erreur du même genre appe­lée natu­ra­lisme com­mun, qui dans l’Eglise de Dieu ne consi­dère et ne veut voir que des liens pure­ment juri­diques et sociaux, s’insinue d’autre part un faux mys­ti­cisme, qui fal­si­fie les Saintes Ecritures en s’efforçant de sup­pri­mer les fron­tières immua­bles entre les créa­tures et le Créateur.

Ces fausses théo­ries qui s’opposent et se com­battent font que cer­tains, frap­pés d’une crainte vaine, voient dans cette doc­trine plus éle­vée un dan­ger et s’en détournent avec effroi comme du fruit du para­dis ter­restre, beau, certes, mais défen­du. Il n’en est rien : les mys­tères révé­lés par Dieu ne peuvent être causes de mort pour les hommes, et ils ne doivent pas non plus res­ter sans fruit comme un tré­sor enfoui dans un champ ; mais Dieu les a don­nés pour ser­vir au pro­grès spi­ri­tuel de ceux qui les méditent avec pié­té. Car, nous enseigne le Concile du Vatican, « quand la rai­son éclai­rée par la foi cherche avec soin, pié­té et mesure, elle arrive, avec la grâce de Dieu, à une cer­taine intel­li­gence des mys­tères, qui lui est de très grand pro­fit, soit par ana­lo­gie avec ce qu’elle connaît natu­rellement, soit par connexion des mys­tères entre eux et avec la fin der­nière de l’homme » ; bien que jamais pour­tant, comme le saint Concile nous en aver­tit, « elle ne devienne capable de péné­trer les mys­tères à l’instar des véri­tés qui consti­tuent son objet propre » [1].

Tout cela lon­gue­ment pesé devant Dieu, pour que la beau­té sans égale de l’Eglise brille d’un nou­vel éclat, pour que la noblesse émi­nente et sur­na­tu­relle des fidèles unis à leur chef dans le Corps du Christ appa­raisse avec plus de clar­té, enfin, pour bar­rer la route aux mul­tiples erreurs en cette matière, Nous avons consi­dé­ré comme un devoir de Notre charge pas­to­rale d’exposer à tout le peuple chré­tien dans cette lettre ency­clique la doc­trine du Corps mys­tique de Jésus-​Christ et de l’union, dans ce même Corps, des fidèles avec le divin Rédempteur, et de tirer en même temps de cette suave doc­trine quelques ensei­gne­ments grâce aux­quels une étude plus appro­fondie de ce mys­tère pro­dui­ra des fruits encore plus abon­dants de per­fec­tion et de sainteté.

Première Partie – L’Église, corps mystique du Christ

Dès que Nous Nous met­tons à réflé­chir sur ce cha­pitre de la doc­trine catho­lique se pré­sentent à Nous les paroles de l’Apôtre : « Là où le péché a abon­dé, la grâce a sur­abon­dé » (Rom., v, 20). Tout le monde sait, en effet, que Dieu avait pla­cé le père de tout le genre humain dans un tel état d’excellence qu’il devait don­ner à ses des­cen­dants, en même temps que la vie d’ici-bas, la vie sur­na­tu­relle de la grâce céleste. Pourtant, après la chute désas­treuse d’Adam, toute la famille humaine, souillée par la faute ori­gi­nelle, per­dit la par­ti­ci­pa­tion de la nature divine (cf. II Pierre, i, 4), et nous devînmes tous fils de colère (Eph., ii, 3). Mais Dieu, dans sa grande misé­ri­corde, « a tant aimé le monde qu’il lui a don­né son Fils unique » (Jean, iii, 16), et le Verbe éter­nel, pous­sé par ce même amour divin, prit pour lui, dans la des­cen­dance d’Adam, une nature humaine, mais inno­cente et exempte de toute souillure, afin que de lui, comme d’un nou­vel Adam céleste, la grâce du Saint-​Esprit décou­lât sur tous les fils du pre­mier père, et que ceux-​ci, pri­vés par le péché du pre­mier homme de l’adoption de la famille divine, mais deve­nus par l’Incarnation du Verbe frères selon la chair du Fils unique de Dieu, reçussent « le pou­voir de deve­nir fils de Dieu » (cf. Jean, i, 12). Voilà pour­quoi, sus­pen­du à la croix, Jésus-​Christ n’a pas seule­ment répa­ré les droits vio­lés de la Justice du Père éter­nel, mais il a encore méri­té à nous, ses frères, une abon­dance inef­fable de grâces. Ces grâces, il aurait pu les com­mu­ni­quer lui-​même direc­te­ment à tout le genre humain ; tou­te­fois, il ne vou­lut le faire que par l’inter­médiaire d’une Eglise visible, qui grou­pe­rait les hommes, et cela pour leur per­mettre d’être, par elle, ses coopé­ra­teurs dans la dis­tri­bu­tion des fruits de la Rédemption. Car si le Verbe de Dieu a vou­lu se ser­vir de notre nature pour rache­ter les hommes par ses souf­frances et ses tour­ments, il se sert de même de son Eglise au cours des siècles pour per­pé­tuer l’œuvre com­men­cée[2].

Or, pour défi­nir, pour décrire cette véri­table Eglise de Jésus-​Christ – celle qui est sainte, catho­lique, apos­to­lique, romaine[3] – on ne peut trou­ver rien de plus beau, rien de plus excellent, rien enfin, de plus divin, que cette expres­sion qui la désigne comme « le Corps mys­tique de Jésus-​Christ » ; c’est celle du reste qui découle, qui fleu­rit pour ain­si dire, de ce que nous exposent fré­quem­ment les Saintes Ecritures et les écrits des saints Pères.

I. – L’Église « corps » Un, indivisible, visible

Que l’Eglise soit un corps, la Sainte Ecriture le dit à maintes reprises. « Le Christ, dit l’Apôtre, est la tête du corps qu’est l’Eglise » (Col., i, 18). Si l’Eglise est un corps, il est donc néces­saire qu’elle consti­tue un orga­nisme un et indi­vi­sible, selon les paroles de saint Paul : « Bien qu’étant plu­sieurs, nous ne fai­sons qu’un seul corps dans le Christ » (Rom., xii, 5). Ce n’est pas assez de dire : un et indi­vi­sible ; il doit encore être concret et per­cep­tible aux sens, comme l’affirme Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire Léon XIII dans sa lettre ency­clique Satis cogni­tum : « C’est parce qu’elle est un corps que l’Eglise est visible à nos regards » [4]. C’est donc s’éloigner de la véri­té divine que d’imaginer une Eglise qu’on ne pour­rait ni voir ni tou­cher, qui ne serait que « spi­ri­tuelle » (pneu­ma­ti­cum), dans laquelle les nom­breuses com­mu­nau­tés chré­tiennes, bien que divi­sées entre elles par la foi, seraient pour­tant réunies par un lien invisible.

Mais un corps exige encore une mul­ti­pli­ci­té de membres qui soient reliés entre eux de manière à se venir mutuel­le­ment en aide. Que si dans notre orga­nisme mor­tel, lorsqu’un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, les membres sains prê­tant leur secours aux malades, de même dans l’Eglise, chaque membre ne vit pas unique­ment pour lui, mais il assiste aus­si les autres, et tous s’aident réci­proquement pour leur mutuelle conso­la­tion aus­si bien que pour un meilleur déve­lop­pe­ment de tout le corps.

… constitué « organiquement », « hiérarchiquement »

De plus, le corps, dans la nature, n’est pas for­mé d’un assem­blage quel­conque de membres, mais il doit être muni d’organes, c’est-à-dire de membres qui n’aient pas la même acti­vi­té et qui soient dis­po­sés dans un ordre conve­nable. L’Eglise, de même, doit son titre de corps sur­tout à cette rai­son qu’elle est for­mée de par­ties bien orga­ni­sées, nor­ma­le­ment unies entre elles et pour­vue de mem­bres dif­fé­rents et accor­dés entre eux. C’est bien ain­si que l’Apôtre repré­sente l’Eglise lorsqu’il dit : « De même que nous avons plu­sieurs membres dans un même corps et que tous les membres n’ont pas la même fonc­tion, ain­si, nous qui sommes plu­sieurs, nous ne fai­sons qu’un seul corps dans le Christ et cha­cun en par­ti­cu­lier nous sommes membres les uns des autres » (Rom., xii, 4).

Mais il ne fau­drait nul­le­ment s’imaginer que cette struc­ture bien ordon­née ou, comme on dit, « orga­nique », du corps de l’Eglise, s’achève et se cir­cons­crive dans les seuls degrés de la hié­rar­chie ; ou, comme le veut une opi­nion oppo­sée, qu’elle soit for­mée uni­que­ment des « cha­ris­ma­tiques », ces hommes doués de dons mer­veilleux dont par ailleurs la pré­sence ne fera jamais défaut dans l’Eglise. Sans doute, il faut abso­lu­ment main­te­nir que ceux qui dans ce corps sont en pos­ses­sion des pou­voirs sacrés, en consti­tuent les membres pre­miers et prin­ci­paux, car c’est par eux que se per­pé­tuent, selon le man­dat du divin Rédempteur, les fonc­tions du Christ, doc­teur, roi et prêtre. A bon droit néan­moins, lorsque les Pères de l’Eglise font l’éloge des minis­tères, des degrés, des condi­tions, des états, des ordres, des fonc­tions de ce corps, ils n’ont pas seule­ment en vue ceux qui ont reçu les ordres sacrés, mais aus­si avec eux tous ceux qui ont embras­sé les conseils évan­gé­liques, qu’ils mènent une vie active au milieu des hommes ou une vie contem­pla­tive dans le silence du cloître, ou encore qu’ils s’efforcent d’unir les deux états selon leur propre ins­ti­tut ; ceux qui, tout en res­tant dans le monde, se con­sacrent pour­tant avec ardeur aux œuvres de misé­ri­corde, pour le bien des âmes ou des corps ; enfin, ceux aus­si qui sont unis par les liens d’un chaste mariage. Bien plus, il importe de le remar­quer, les pères et les mères de famille, sur­tout dans les cir­cons­tances pré­sentes, les par­rains et mar­raines, et nom­mé­ment les laïques qui col­laborent avec la hié­rar­chie ecclé­sias­tique à étendre le règne du divin Rédempteur, tiennent dans la socié­té chré­tienne une place d’hon­neur, encore qu’elle soit sou­vent très modeste ; eux aus­si peuvent, sous l’inspiration et avec le secours de Dieu, mon­ter au som­met de la sain­te­té qui, d’après la pro­messe de Jésus-​Christ, ne man­que­ra jamais à l’Eglise.

… pourvu de moyens vitaux de sanctification ou sacrements

Comme le corps humain se trouve muni de moyens propres pour pour­voir à sa vie, à sa san­té, au déve­lop­pe­ment de cha­cun de ses membres, de même le Sauveur du genre humain, dans son infi­nie bon­té, a pour­vu son Corps mys­tique de moyens mer­veilleux en l’enrichissant de sacre­ments, qui doivent sou­te­nir les membres comme par des degrés de grâce inin­ter­rom­pus depuis le ber­ceau jusqu’au der­nier sou­pir et sub­ve­nir de même abon­dam­ment aux néces­si­tés sociales de tout le corps. Par l’eau du bap­tême, les hommes qui sont nés à cette vie mor­telle non seule­ment renaissent de la mort du péché et deviennent des membres de l’Eglise, mais, de plus, ils sont revê­tus d’un carac­tère spi­ri­tuel qui les rend aptes à rece­voir les autres sacre­ments. Par le saint chrême de la confir­ma­tion, les fidèles sont péné­trés d’une nou­velle force pour pro­té­ger et défendre coura­geusement l’Eglise leur Mère et la foi qu’ils en ont reçue. Par le sacre­ment de péni­tence, l’Eglise offre à ses membres tom­bés dans le péché un remède salu­taire, non seule­ment pour veiller à leur propre salut, mais encore pour écar­ter des autres membres du Corps mys­tique tout dan­ger de conta­gion, bien mieux, pour les entraî­ner à la ver­tu par leur exemple. Ce n’était pas encore suf­fi­sant ; par la sainte Eucharistie, les fidèles sont nour­ris et for­ti­fiés par une seule et même nour­ri­ture, et par un lien inef­fable et divin ils sont reliés entre eux et avec la Tête de tout le Corps. L’Eglise, enfin, comme une pieuse mère, se tient auprès de ses enfants mis en dan­ger de mort par la mala­die ; si par l’onction sacrée des malades elle ne rend pas tou­jours la san­té au corps mor­tel, selon le vou­loir de Dieu, elle pro­cure du moins aux âmes bles­sées un remède sur­na­tu­rel, peu­plant ain­si le ciel où ils jouissent d’un bon­heur divin durant l’éternité, de nou­veaux citoyens qui deviennent en même temps pour la terre de nou­veaux protecteurs.

Le Christ a pour­vu d’une manière par­ti­cu­lière aux néces­si­tés sociales de l’Eglise par l’institution de deux sacre­ments. Par le mariage, où les époux sont l’un pour l’autre ministres de la grâce, il a pro­cu­ré l’accroissement exté­rieur et ordon­né de la com­mu­nau­té chré­tienne et, ce qui est mieux encore, la bonne édu­ca­tion reli­gieuse des enfants sans laquelle son Corps mys­tique serait expo­sé aux plus grands dan­gers. Par l’ordre se trouvent consa­crés au ser­vice de Dieu des hommes char­gés d’immoler l’Hostie eucha­ris­tique, de nour­rir le trou­peau des fidèles du Pain des anges et de l’aliment de la doc­trine, de le diri­ger par les com­man­de­ments de Dieu et les conseils, de l’affermir enfin par les autres dons surnaturels.

… composé de membres déterminés

Remarquons-​le à ce pro­pos : comme Dieu au com­men­ce­ment du monde a muni l’homme du riche appa­reil de son corps pour lui per­mettre de se sou­mettre la créa­tion et de se mul­ti­plier pour peu­pler la terre, ain­si a‑t-​il pro­cu­ré à l’Eglise au début de l’ère chré­tienne les res­sources néces­saires pour peu­pler, en triom­phant de périls presque innom­brables, non seule­ment l’univers ter­restre, mais aus­si le royaume du ciel.

celui qui refuse d’écouter l’Eglise doit être consi­dé­ré, d’après l’ordre du Seigneur, comme un païen et un publi­cain. Et ceux qui sont divi­sés pour des rai­sons de foi ou de gouverne­ment ne peuvent vivre dans ce même Corps ni par consé­quent de ce même Esprit divin.

Mais seuls font par­tie des membres de l’Eglise ceux qui ont reçu le bap­tême de régé­né­ra­tion et pro­fessent la vraie foi et qui, d’autre part, ne se sont pas, pour leur mal­heur, sépa­rés de l’ensemble du Corps ou n’en ont pas été retran­chés pour des fautes très graves par l’autorité légi­time. « Tous, en effet, dit l’Apôtre, nous avons été bap­ti­sés dans un seul Esprit pour for­mer un seul Corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit hommes libres » (i Cor., xii, 13). Par consé­quent, comme dans l’assemblée véri­table des fidèles il n’y a qu’un seul Corps, un seul Esprit, un seul Seigneur et un seul bap­tême, ain­si ne peut-​il y avoir qu’une seule foi (cf. Eph., iv, 5) ; et celui qui refuse d’écouter l’Eglise doit être consi­dé­ré, d’après l’ordre du Seigneur, comme un païen et un publi­cain (cf. Matth., xviii, 17). Et ceux qui sont divi­sés pour des rai­sons de foi ou de gouverne­ment ne peuvent vivre dans ce même Corps ni par consé­quent de ce même Esprit divin.

… n’exclut pas les pécheurs

Qu’on n’imagine pas non plus que le Corps de l’Eglise, ayant l’honneur de por­ter le nom du Christ, ne se com­pose, dès le temps de son pèle­ri­nage ter­restre, que de membres émi­nents en sain­te­té ou ne com­prend que le groupe de ceux qui sont pré­des­ti­nés par Dieu au bon­heur éter­nel. Il faut admettre, en effet, que l’infinie misé­ri­corde de notre Sauveur ne refuse pas main­te­nant une place dans son Corps mys­tique à ceux aux­quels il ne la refu­sa pas autre­fois à son ban­quet (Matth., ix, 11 ; Marc, ii, 16 ; Luc, xv, 2). Car toute faute, même un péché grave, n’a pas de soi pour résul­tat – comme le schisme, l’hérésie ou l’apostasie – de sépa­rer l’homme du Corps de l’Eglise. Toute vie ne dis­pa­raît pas de ceux qui, ayant per­du par le péché la cha­ri­té et la grâce sanc­ti­fiante, deve­nus par consé­quent inca­pables de tout mérite sur­na­tu­rel, conservent pour­tant la foi et l’espérance chré­tienne, et à la lumière de la grâce divine, sous les ins­pi­ra­tions inté­rieures et l’impulsion du Saint-​Esprit, sont pous­sés à une crainte salu­taire et exci­tés par Dieu à la prière et au repen­tir de leurs fautes.

Que tous aient donc en hor­reur le péché qui souille les membres mys­tiques du Rédempteur ; mais que le pécheur tom­bé et qui ne s’est pas ren­du, par son obs­ti­na­tion, indigne de la com­mu­nion des fidèles, soit accueilli avec beau­coup d’amour ; qu’on ne voie en lui, avec une fer­vente cha­ri­té, qu’un membre infirme de Jésus-​Christ. Car il vaut mieux, selon la remarque de l’évêque d’Hippone, « être gué­ri dans le Corps de l’Eglise qu’être retran­ché de ce Corps comme des membres incu­rables » [5]. « Tant que le membre est encore atta­ché au corps, il ne faut pas déses­pé­rer de sa san­té ; mais s’il en est retran­ché, il ne peut plus ni être soi­gné ni être gué­ri » [6].

II. – L’Église corps « du Christ »

Nous avons vu jusqu’ici, Vénérables Frères, que l’Eglise, dans sa consti­tu­tion, peut être com­pa­rée à un corps ; il Nous reste à expli­quer en détail pour­quoi il faut l’appeler, non pas un corps quel­conque, mais le Corps de Jésus-​Christ. Et ceci se conclut de ce que Notre-​Seigneur est le Fondateur, la Tête, le Soutien, le Sauveur de ce Corps mystique.

Le Christ, « fondateur » de ce Corps

Au moment d’exposer briè­ve­ment com­ment le Christ a fon­dé son Corps social, la phrase de Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mé­moire, Léon XIII, se pré­sente aus­si­tôt à Notre esprit : « L’Eglise, déjà conçue, et qui était sor­tie, pour ain­si dire, des flancs du nou­vel Adam dor­mant sur la croix, s’est mani­fes­tée pour la pre­mière fois aux hommes d’une manière écla­tante le jour solen­nel de la Pen­tecôte » [7]. Car le divin Rédempteur com­men­ça à édi­fier le temple mys­tique de l’Eglise quand il livra son ensei­gne­ment en prê­chant ; il l’acheva quand il fut sus­pen­du publi­que­ment à la croix ; enfin, il en pro­cu­ra la mani­fes­ta­tion et la pro­mul­ga­tion quand il envoya visi­ble­ment l’Esprit-Saint sur ses disciples.

a) En prêchant l’Evangile.

Dans l’accomplissement de sa mis­sion de pré­di­ca­teur, il choisis­sait ses apôtres, les envoyant comme lui-​même avait été envoyé par le Père (Jean, xvii, 18), comme doc­teurs, guides, agents de sain­te­té dans l’assemblée des fidèles ; il dési­gnait leur Chef et son Vicaire sur la terre (cf. Matth., xvi, 18–19) ; il leur dévoi­lait tout ce qu’il avait enten­du de son Père (cf. Jean, xv, 15 ; xvii, 8 et 14) ; il indi­quait aus­si le bap­tême (cf. Jean, iii, 5) comme moyen pour les futurs croyants d’être insé­rés dans le Corps de l’Eglise. Et quand enfin il fut par­ve­nu au soir de sa vie, il célé­bra la der­nière Cène durant laquelle il ins­ti­tua l’Eucharistie, à la fois admi­rable sacri­fice et admi­rable sacrement.

b) En souffrant sur la croix.

Qu’il ait consom­mé son œuvre sur le gibet de la croix, les témoi­gnages inin­ter­rom­pus des saints Pères en font foi, eux qui font remar­quer que l’Eglise est née du côté du Sauveur sur la croix, comme une nou­velle Eve, mère de tous les vivants (cf. Gen., m, 20). « C’est main­te­nant, dit saint Ambroise à pro­pos du côté du Christ trans­per­cé, qu’elle est fon­dée, main­te­nant qu’elle est for­mée, main­te­nant qu’elle est figu­rée, main­te­nant qu’elle est créée… C’est main­te­nant que la demeure spi­ri­tuelle s’élève pour un sacer­doce saint » [8]. Quiconque appro­fon­dit reli­gieu­se­ment cette véné­rable doc­trine pour­ra sans dif­fi­cul­té voir les rai­sons sur les­quelles elle s’appuie.

D’abord la mort du Rédempteur a fait suc­cé­der le Nouveau Tes­tament à l’ancienne Loi abo­lie ; c’est alors que la Loi du Christ, avec ses mys­tères, ses lois, ses ins­ti­tu­tions et ses rites, fut sanc­tion­née pour tout l’univers dans le sang de Jésus-​Christ. Car tant que le divin Sauveur prê­chait sur un ter­ri­toire res­treint – il n’avait été envoyé qu’aux bre­bis per­dues de la mai­son d’Israël (cf. Matth., xv, 24) – la Loi et l’Evangile mar­chaient de concert [9] ; mais sur le gibet de sa mort il annu­la la Loi avec ses pres­crip­tions (cf. Eph., ii, 15), il cloua à la croix le « chi­ro­graphe » de l’Ancien Testament (cf. Col., ii, 14), éta­blis­sant une Nouvelle Alliance dans son sang répan­du pour tout le genre humain (cf. Matth., xxvi, 28, et I Cor., xi, 25). « Alors, dit saint Léon le Grand en par­lant de la croix du Seigneur, le pas­sage de la Loi à l’Evangile, de la Synagogue à l’Eglise, des sacri­fices nom­breux à la Victime unique, se pro­dui­sit avec tant d’évidence qu’au moment où le Seigneur ren­dit l’esprit, le voile mys­tique, qui fer­mait aux regards le fond du Temple et son sanc­tuaire secret, se déchi­ra vio­lem­ment et brus­que­ment du haut en bas » [10].

Sur la croix, par consé­quent, la Loi ancienne est morte ; bien­tôt elle sera ense­ve­lie et elle devien­dra cause de mort[11], pour céder la place au Nouveau Testament, dont le Christ avait choi­si les apôtres pour ministres qua­li­fiés (cf. II Cor., iii, 6). Grâce à la ver­tu de la croix, notre Sauveur qui déjà, il est vrai, dans le sein de la Vierge était le Chef de toute la famille humaine, en exerce pleine­ment dans l’Eglise la fonc­tion. « Car par la vic­toire de la croix, sui­vant l’opinion du Docteur angé­lique, il a méri­té le pou­voir et le sou­ve­rain domaine sur les peuples » [12] ; par elle il a accru à l’in­fini le tré­sor de ces grâces que, dans la gloire du ciel, il dis­tri­bue sans inter­rup­tion à ses membres mor­tels ; grâce au sang répan­du sur la croix, il a fait en sorte que, une fois enle­vé l’obstacle de la colère divine, toutes les grâces sur­na­tu­relles et sur­tout les dons spi­rituels du Testament nou­veau et éter­nel pussent s’écouler du côté du Sauveur pour le salut des hommes et en pre­mier lieu des fidèles ; sur l’arbre de la croix enfin il s’est acquis son Eglise, c’est-à-dire tous les membres de son Corps mys­tique qui ne peuvent être incor­porés à ce Corps dans l’eau du bap­tême que par la ver­tu salu­taire de la croix et pas­ser ain­si sous la dépen­dance abso­lue du Christ.

Si par sa mort notre Sauveur est deve­nu, au sens plein du mot, la Tête de l’Eglise, par son sang éga­le­ment l’Eglise a été enri­chie de la com­mu­ni­ca­tion sur­abon­dante de l’Esprit qui lui fut faite par Dieu après l’élévation du Fils de l’homme sur le gibet de souf­frances et sa glo­ri­fi­ca­tion. Car alors, comme le remarque saint Augustin [13], après la déchi­rure du voile du Temple il arri­va que la rosée des dons du Paraclet qui s’était posée jusque-​là sur la seule toi­son de Gédéon, à savoir le peuple d’Israël, délais­sant désor­mais la toi­son des­sé­chée, irri­gua lar­ge­ment et abon­dam­ment la terre entière, à savoir l’Eglise catho­lique qui n’est limi­tée par aucune fron­tière eth­nique ou terri­toriale. De même qu’au pre­mier ins­tant de l’Incarnation le Fils du Père éter­nel com­bla la nature humaine qu’il s’était substantielle­ment unie de la plé­ni­tude du Saint-​Esprit, pour en faire un instru­ment apte de sa divi­ni­té dans l’œuvre san­glante de la Rédemption, ain­si voulut-​il à l’heure de sa pré­cieuse mort enri­chir son Eglise de l’abondance des dons du Paraclet pour la rendre un ins­tru­ment effi­cace et à jamais durable du Verbe incar­né dans la dis­tri­bu­tion des fruits divins de la Rédemption. En effet, la mis­sion dite juri­dique de l’Eglise, son pou­voir d’enseigner, de gou­ver­ner et d’administrer les sacre­ments, n’ont de vigueur et d’efficacité sur­na­tu­relle pour édi­fier le Corps du Christ que parce que le Christ sur la croix a ouvert à son Eglise la source des dons divins, grâce aux­quels elle peut ensei­gner aux hommes une doc­trine infaillible, les diri­ger uti­le­ment par des pas­teurs éclai­rés de Dieu et les inon­der de la pluie de ses grâces surnaturelles.

Si nous consi­dé­rons atten­ti­ve­ment tous ces mys­tères de la croix, nous ne trou­ve­rons plus obs­cures ces paroles de l’Apôtre qui ensei­gne aux Ephésiens que le Christ par son sang n’a fait qu’un peuple des Juifs et des païens, « ren­ver­sant… par l’immolation de sa chair… le mur mitoyen » qui sépa­rait les deux peuples ; qu’il a aus­si sup­primé la Loi ancienne « afin que des deux il for­mât en lui un seul homme nou­veau », à savoir l’Eglise, et que fon­dus en un seul Corps il les récon­ci­liât tous deux avec Dieu par sa croix (cf. Eph., ii, 14–16).

c) En promulguant l’Eglise le jour de la Pentecôte.

Quand il eut fon­dé l’Eglise dans son sang, il la conso­li­da le jour de la Pentecôte par une force spé­ciale venue du ciel. En effet, après avoir solen­nel­le­ment confir­mé dans sa mis­sion émi­nente celui qu’il avait déjà aupa­ra­vant dési­gné comme son Vicaire, il était mon­té aux cieux ; et assis à la droite du Père, il vou­lut mani­fes­ter et pro­clamer offi­ciel­le­ment son Epouse par la venue visible de l’Esprit-Saint, accom­pa­gnée du bruit d’un vent violent et de langues de feu (cf. Actes, ii, 1–4). Comme au début de sa mis­sion d’évangélisation, son Père éter­nel l’avait mani­fes­té par le moyen du Saint-​Esprit des­cendant sous la forme d’une colombe et se repo­sant sur lui (cf. Luc, iii, 22 ; Marc, i, 10), de même, au moment où les apôtres allaient com­men­cer leur fonc­tion sacrée de pré­di­ca­tion, le Christ Notre-​Seigneur leur envoya du ciel son Esprit qui, les tou­chant sous forme de langues de feu, indi­quait, comme du doigt même de Dieu, la mis­sion et la fonc­tion sur­na­tu­relles de l’Eglise.

Le Christ « Tête » du Corps

Une seconde rai­son pour laquelle ce Corps mys­tique, l’Eglise, se glo­ri­fie de por­ter le nom du Christ, est que ce der­nier doit être vrai­ment consi­dé­ré par tous comme la Tête. « Lui-​même, dit saint Paul, est la Tête du Corps de l’Eglise » (Col., i, 18). Il est la Tête, dont tout le Corps, bien ordon­né et com­po­sé, reçoit sa crois­sance et son déve­lop­pe­ment en vue de sa par­faite consti­tu­tion (cf. Eph., iv, 16 ; Col., ii, 19).

Vous connais­sez par­fai­te­ment, Vénérables Frères, les brillants et lumi­neux expo­sés faits dans leurs trai­tés sur cette matière par les maîtres de la théo­lo­gie sco­las­tique, et en par­ti­cu­lier par le Docteur angé­lique et uni­ver­sel ; vous savez aus­si sans doute que les argu­ments appor­tés par saint Thomas répondent fidè­le­ment à la pen­sée des saints Pères, les­quels ne fai­saient du reste que de rap­por­ter et inter­pré­ter les paroles de Dieu dans les Saintes Ecritures.

a) En raison de son excellence.

Il Nous plaît pour­tant d’en faire ici une rapide men­tion pour le pro­fit de tous. Il est d’abord évident que le Fils de Dieu et de la Bienheureuse Vierge a droit à cette appel­la­tion de Tête de l’Eglise pour une rai­son tout à fait spé­ciale de pré­émi­nence. Car la tête, c’est ce qui se trouve au som­met. Et qui donc fut jamais plus haut pla­cé que le Christ Dieu, qui en tant que Verbe du Père éter­nel doit être regar­dé comme « né avant toute créa­ture » ? (Col., i, 15). Qui connut plus grande élé­va­tion que le Christ homme qui, né d’une Vierge sans tache, est vrai­ment par nature Fils de Dieu, et par sa mer­veilleuse et glo­rieuse résur­rec­tion, par son triomphe sur la mort, est deve­nu le « premier-​né d’entre les morts ? » (Col., i, 18 ; Apoc., i, 5). Qui enfin occu­pa une situa­tion supé­rieure à celle du Christ : en tant que « média­teur… unique entre Dieu et les hommes » (I Tim., ii, 5), il réus­sit d’une manière éton­nante à relier la terre avec le ciel ; sur la croix, comme sur un trône de misé­ri­corde, il attire tout à lui (cf. Jean, xii, 32) ; et comme fils d’homme choi­si par­mi des myriades, il est aimé de Dieu plus que tous les hommes, tous les anges et toutes les créa­tures ?[14]

b) En raison du gouvernement.

Puisque le Christ occupe une place si émi­nente, il est à bon droit le seul à conduire l’Eglise et à la gou­ver­ner, et pour cette rai­son encore on doit le com­pa­rer à la tête. De même que la tête, en effet – pour nous ser­vir des paroles de saint Ambroise – est le « som­met royal » du corps [15] et que tous les membres, à qui elle pré­side pour pour­voir à leurs besoins [16], sont natu­rel­le­ment diri­gés par elle, douée à cette fin de qua­li­tés supé­rieures, ain­si le divin Rédempteur tient en main le timon de toute la socié­té chré­tienne et en dirige le gou­ver­nail. Et puisque régir la com­mu­nau­té des hommes n’est autre chose que les conduire à leur fin propre [17] par une pro­vi­dence effi­cace, par des secours conve­nables et des moyens adap­tés, il est facile de consta­ter que notre Sauveur, arché­type et modèle des bons pas­teurs (cf. Jean, x, 1–18 ; I Pierre, v, 1–5), s’acquitte à mer­veille de toutes ces fonctions.

En per­sonne d’abord, quand il était sur la terre, par ses lois, ses conseils, ses avis, il nous don­na son ensei­gne­ment en paroles qui ne pas­se­ront jamais et qui seront pour les hommes de tous les temps esprit et vie (cf. Jean, vi, 63). En outre, il a com­mu­ni­qué aux apôtres et à leurs suc­ces­seurs un triple pou­voir : celui d’ensei­gner, celui de gou­ver­ner et celui de mener les hommes à la sain­te­té ; ces pou­voirs, pré­ci­sés par des pré­ceptes, des droits et des devoirs par­ti­cu­liers, consti­tuent la loi fon­da­men­tale de toute l’Eglise.

Invisiblement et extraordinairement.

Mais c’est direc­te­ment aus­si et par lui-​même que notre divin Sauveur gou­verne et dirige la socié­té qu’il a fon­dée. Car c’est lui qui règne sur les intel­li­gences humaines, lui qui inflé­chit et sou­met à son gré les volon­tés même rebelles. « Le cœur du roi est un cours d’eau dans la main de Dieu ; il l’incline par­tout où il veut » (Prov., xxi, 1). Par cette direc­tion inté­rieure, il ne prend pas seule­ment soin lui-​même des indi­vi­dus comme « pas­teur et évêque de nos âmes » (cf. I Pierre, ii, 25), mais il pour­voit encore aux besoins de l’Eglise entière, soit en éclai­rant et en for­ti­fiant ses chefs pour leur faire rem­plir fidè­le­ment et avec fruit leurs fonc­tions res­pec­tives, soit – sur­tout dans les cir­cons­tances plus graves – en sus­ci­tant du sein de l’Eglise leur Mère, des hommes et des femmes brillant de l’éclat de la sain­te­té en vue de les pro­po­ser en exemple aux autres fidèles pour l’accroissement de son Corps mys­tique. Ajoutez que le Christ du haut du ciel regarde tou­jours avec un amour spé­cial son Epouse imma­cu­lée qui peine ici-​bas dans l’exil, et quand il la voit en dan­ger, par lui-​même ou par ses anges (cf. Actes, viii, 26 ; ix, 1–19 ; x, 1–7 ; xii, 3–10), ou par Celle que nous invo­quons comme le Secours des chré­tiens et par les autres patrons célestes, il l’arrache aux flots de la tem­pête, et une fois le calme reve­nu sur la mer apai­sée, il la console par cette paix « qui sur­passe toute intel­li­gence » (Philip., iv, 7).

Visiblement et ordinairement par le Pontife de Rome.

Qu’on ne pense pas pour­tant que sa direc­tion se limite à un mode invi­sible[18] ou extra­or­di­naire ; bien au contraire, le divin Rédempteur gou­verne son Corps mys­tique visi­ble­ment et ordinaire­ment par son Vicaire sur la terre. Tous savent en effet, Vénérables Frères, que le Christ Notre-​Seigneur, qui durant sa vie mor­telle avait diri­gé lui-​même visi­ble­ment son « petit trou­peau » (Luc, xii, 32), au moment de quit­ter ce monde pour retour­ner à son Père, confia au Prince des apôtres le gou­ver­ne­ment visible de toute la socié­té fon­dée par lui. Lui si sage ne pou­vait nul­le­ment lais­ser sans tête visible le corps social de l’Eglise qu’il avait consti­tué. Et l’on ne peut sou­te­nir, pour nier cette véri­té, que par un pri­mat de juri­diction éta­bli dans l’Eglise ce Corps mys­tique serait pour­vu d’une double tête. Car Pierre, par la ver­tu du pri­mat, n’est que le Vicaire du Christ, et il n’y a par consé­quent qu’une seule tête prin­ci­pale de ce corps, à savoir le Christ ; c’est lui qui sans ces­ser de gou­ver­ner mys­té­rieu­se­ment l’Eglise par lui-​même la dirige pour­tant visi­ble­ment par celui qui tient sa place sur terre, car depuis sa glo­rieuse Ascen­sion dans le ciel, elle ne repose plus seule­ment sur lui, mais aus­si sur Pierre comme sur un fon­de­ment visible pour tous. Que le Christ et son Vicaire ne forment ensemble qu’une seule tête, Notre immor­tel pré­dé­ces­seur Boniface VIII l’a offi­ciel­le­ment ensei­gné dans sa lettre apos­to­lique Unam sanc­tam [19] et ses suc­ces­seurs n’ont jamais ces­sé de le répé­ter après lui.

Ceux-​là se trompent donc dan­ge­reu­se­ment qui croient pou­voir s’attacher au Christ tête de l’Eglise sans adhé­rer fidè­le­ment à son Vicaire sur la terre. Car en sup­pri­mant ce Chef visible, et en bri­sant les liens lumi­neux de l’unité, ils obs­cur­cissent et déforment le Corps mys­tique du Rédempteur au point qu’il ne puisse plus être recon­nu ni trou­vé par les hommes en quête du port du salut éternel.

Dans les Eglises particulières par les évêques.

Ce que Nous venons de dire de l’Eglise uni­ver­selle doit être éga­lement affir­mé des com­mu­nau­tés par­ti­cu­lières de chré­tiens, tant orien­tales que latines, qui forment ensemble une seule Eglise catho­lique : c’est Jésus-​Christ qui les gou­verne par la voix et la juri­diction de chaque évêque. C’est pour­quoi les évêques ne doivent pas seule­ment être consi­dé­rés comme les membres les plus émi­nents de l’Eglise uni­ver­selle, ceux qui sont reliés à la tête divine de tout le corps par un lien tout par­ti­cu­lier et par suite sont jus­te­ment appe­lés « les pre­miers membres du Seigneur » [20], mais en ce qui con­cerne son propre dio­cèse, cha­cun, en vrai pas­teur, fait paître et gou­verne au nom du Christ le trou­peau qui lui est assi­gné [21]. Pour­tant, dans leur gou­ver­ne­ment, ils ne sont pas plei­ne­ment indépen­dants, mais ils sont sou­mis à l’autorité légi­time du Pontife de Rome et, s’ils jouissent du pou­voir ordi­naire de juri­dic­tion, ce pou­voir leur est immé­dia­te­ment com­mu­ni­qué par le Souverain Pontife. Aussi doivent-​ils être hono­rés par le peuple comme les suc­ces­seurs des apôtres par ins­ti­tu­tion divine [22] ; et aux évêques, sacrés par le chrême du Saint-​Esprit, s’appliquent mieux qu’aux diri­geants de ce monde, même les plus haut pla­cés, les paroles du psaume : « Ne tou­chez pas à mes oints » (I Par., xvi, 22 ; Ps., civ, 15).

Aussi sommes-​nous rem­plis d’une immense tris­tesse quand on Nous annonce qu’un bon nombre de Nos Frères dans l’épiscopat, pour s’être faits le modèle du trou­peau (cf. I Pierre, v, 3) et avoir gar­dé éner­gi­que­ment, comme il convient et fidè­le­ment, le saint « dépôt de la foi » (cf. I Tim., vi, 20) à eux confié, pour avoir récla­mé le res­pect des saintes lois ins­crites par Dieu dans le cœur des hommes et avoir défen­du, à l’exemple du Pasteur suprême, leur trou­peau contre les loups ravis­seurs, ont à souf­frir des attaques et des vexa­tions exer­cées non seule­ment contre eux, mais – ce qui leur est plus cruel et plus pénible – exer­cées contre les bre­bis confiées à leur soin, contre les asso­ciés de leur apos­to­lat et même contre des vierges consa­crées à Dieu. Cette injure, Nous la regar­dons comme infli­gée à Nous-​même ; et Nous repre­nons ce noble lan­gage de Notre immor­tel pré­dé­ces­seur saint Grégoire le Grand. Notre hon­neur, c’est l’honneur de l’Eglise uni­ver­selle ; Notre hon­neur, c’est la force intacte de Nos Frères ; Nous sommes vrai­ment hono­ré, quand on ne refuse à aucun d’eux l’honneur qui lui est dû [23].

c) En raison du besoin qu’ils ont l’un de l’autre.

Toutefois, il ne faut pas pen­ser que le Christ étant la Tête, occu­pant une place si éle­vée, ne requiert pas l’aide de son Corps. Car il faut affir­mer du Corps mys­tique ce que saint Paul affirme du corps humain : « La tête ne peut dire aux pieds : je n’ai pas besoin de vous » (I Cor., xii, 21). Il est tout à fait évident que les fidèles ont abso­lu­ment besoin de l’aide du divin Rédempteur, puisque lui-​même a dit : « Sans moi vous ne pou­vez rien faire » (Jean, xv, 5) et que selon la doc­trine de l’Apôtre tout l’accroissement de ce Corps mys­tique pour son édi­fi­ca­tion dérive de sa Tête, le Christ (cf. Eph., iv, 16 ; Col., ii, 19). Il faut pour­tant main­te­nir, bien que cela paraisse vrai­ment éton­nant, que le Christ requiert le secours de ses membres. Tout d’abord, parce que le Souverain Pontife tient la place de Jésus-​Christ, et il doit, pour ne pas être écra­sé par la charge de son devoir pas­to­ral, appe­ler un bon nombre de fidèles à prendre une part de ses sou­cis et être chaque jour sou­te­nu par la prière secou­rable de toute l’Eglise. De plus, comme le Sauveur dirige invi­si­ble­ment l’Eglise par lui-​même, il veut rece­voir l’aide des membres de son Corps mys­tique pour accom­plir l’œuvre de la Rédemption. Cela ne pro­vient pour­tant pas de son indi­gence et de sa fai­blesse mais plu­tôt de ce que lui-​même a pris cette dis­po­si­tion pour le plus grand hon­neur de son Epouse sans tache. Tandis qu’en mou­rant sur la croix il a com­mu­ni­qué à son Eglise, sans aucune col­la­bo­ra­tion de sa part, le tré­sor sans limite de sa Rédemption, quand il s’agit de dis­tri­buer ce tré­sor, non seule­ment il par­tage avec son Epouse imma­cu­lée l’œuvre de la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, mais il veut encore que celle-​ci naisse pour ain­si dire de son tra­vail. Mystère redou­table, certes, et qu’on ne médi­te­ra jamais assez : le salut d’un grand nombre d’âmes dépend des prières et des mor­tifications volon­taires, sup­por­tées à cette fin, des membres du Corps mys­tique de Jésus-​Christ et du tra­vail de col­la­bo­ra­tion que les pas­teurs et les fidèles, spé­cia­le­ment les pères et mères de famille, doivent appor­ter à notre divin Sauveur.

d) En raison de leur ressemblance.

Aux rai­sons expo­sées ci-​dessus pour légi­ti­mer le titre don­né au Christ Notre-​Seigneur de Tête de son Corps social, il faut en ajou­ter trois autres qui sont du reste inti­me­ment liées entre elles.

Nous com­men­çons par la confor­mi­té mutuelle que nous voyons exis­ter entre la Tête et le Corps, puisqu’ils sont de même nature.

Il faut remar­quer à ce pro­pos que notre nature, bien qu’infé­rieure à celle des anges, l’emporte pour­tant, grâce à la bon­té de Dieu, sur la nature angé­lique : « Car le Christ, dit saint Thomas, est le Chef des anges. Il com­mande en effet aux anges même selon son huma­ni­té… En tant qu’homme éga­le­ment, il éclaire les anges et il agit sur eux. Mais au point de vue de la confor­mi­té de nature, le Christ n’est pas le Chef des anges, car il n’a pas pris la nature angé­lique mais, selon l’Apôtre, la des­cen­dance d’Abraham » [24]. Le Christ n’a pas seule­ment pris notre nature ; il est aus­si deve­nu notre frère par son corps fra­gile, pas­sible et mor­tel. Or, si le Verbe « s’est anéan­ti, pre­nant forme d’esclave » (Philip., ii, 7), il l’a fait pour rendre ses frères selon la chair par­ti­ci­pants de sa nature divine (cf. n Pierre, i, 4), tant dans l’exil de cette terre par la grâce sanc­tifiante que dans la patrie céleste par l’obtention d’un bon­heur sans fin. Car le Fils unique du Père éter­nel a vou­lu être fils d’hommes pour nous rendre conformes à l’image du Fils de Dieu (cf. Rom., viii, 29), et nous renou­ve­ler à la res­sem­blance de Celui qui nous a créés (cf. Col., iii, 10). Que tous ceux qui se glo­ri­fient de por­ter le nom de chré­tiens ne regardent donc pas seule­ment notre divin Sauveur comme le modèle émi­nent et ache­vé de toutes les ver­tus, mais que par la fuite vigi­lante du péché et la pra­tique fer­vente de la per­fec­tion, ils repro­duisent si bien dans leur conduite sa doc­trine et sa vie qu’au moment où le Seigneur paraî­tra, ils lui soient sem­blables dans la gloire et le voient tel qu’il est (cf. I Jean, iii, 2).

Comme le Christ veut que cha­cun des membres lui soit sem­blable, ain­si le veut-​il aus­si pour le Corps de l’Eglise tout entier. C’est ce qui se fait lorsque l’Eglise, mar­chant sur les traces de son Fondateur, enseigne, gou­verne, immole la divine Victime. En outre, lorsqu’elle embrasse les conseils évan­gé­liques, elle repro­duit en elle la pau­vre­té, l’obéissance et la vir­gi­ni­té du Rédempteur. Par les ins­ti­tuts mul­tiples et variés, dont elle s’orne comme de joyaux, elle montre en quelque sorte le Christ priant sur la mon­tagne ou prê­chant aux peuples, gué­ris­sant les malades et les infirmes, rame­nant les pécheurs dans la bonne voie, ou enfin fai­sant du bien à tous. Rien d’étonnant, par consé­quent, si, pen­dant son exis­tence ter­restre, elle est aus­si sou­mise, à l’imitation du Christ, aux per­sé­cu­tions, aux vexa­tions et à la souffrance.

e) En raison de sa plénitude.

Le Christ doit encore être regar­dé comme Chef de l’Eglise du fait qu’exerçant d’une façon émi­nente, plé­nière et par­faite les fonc­tions sur­na­tu­relles, c’est à cette plé­ni­tude que puise son Corps mys­tique. En effet – c’est une remarque faite par quelques Pères – comme la tête dans notre corps mor­tel a l’avantage de pos­sé­der tous les sens tan­dis que les autres par­ties de l’organisme ne jouissent que du tou­cher, ain­si tout ce qu’il y a dans la socié­té chré­tienne de ver­tus, de dons, de cha­rismes, brille avec per­fec­tion dans son Chef le Christ. « Il a plu (à Dieu) de faire habi­ter en lui toute la plé­ni­tude de l’être » (Col., i, 19). Il est orné de tous les dons sur­naturels qui accom­pagnent l’union hypo­sta­tique : car le Saint-​Esprit habite en lui avec une telle plé­ni­tude de grâces qu’on ne peut en conce­voir de plus grande. Dieu lui a don­né « auto­ri­té sur toute chair » (cf. Jean, xvii, 2) ; et il pos­sède sur­abon­dam­ment « tous les tré­sors de la sagesse et de la science » (Col., ii, 3). Même la science qu’on appelle de vision a chez lui une telle per­fec­tion qu’elle sur­passe abso­lu­ment, tant par l’amplitude que par la clar­té, la science de même genre de tous les saints du ciel. Il est enfin lui-​même si rem­pli de grâce et de véri­té que nous rece­vrons tous de sa plé­ni­tude inépui­sable (cf. Jean, i, 14–16).

f) En raison de son influence.

Ces paroles du dis­ciple que Jésus aimait par­ti­cu­liè­re­ment Nous amènent à déve­lop­per une der­nière rai­son qui démontre, et d’une manière spé­ciale, que le Christ Notre-​Seigneur doit être décla­ré Chef de son Corps mys­tique. Comme les nerfs partent de la tête pour se répandre dans tous les membres de notre corps et leur con­fère la facul­té de sen­tir et de se mou­voir, ain­si notre Sauveur infuse à son Eglise sa vigueur et sa puis­sance qui font que les fidèles con­naissent les réa­li­tés divines avec plus de clar­té et les dési­rent avec plus d’ardeur. De lui dérivent dans le Corps de l’Eglise toute lumière par laquelle Dieu illu­mine les croyants et toute grâce qui les rend saints comme lui-​même est saint.

En éclairant.

Le Christ donne la lumière à toute son Eglise : des pas­sages presque innom­brables des Saintes Ecritures et des saints Pères le prouvent. « Personne n’a jamais vu Dieu : c’est le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui-​même qui nous l’a fait connaître » (cf. Jean, i, 18). Venant de la part de Dieu en qua­li­té de maître (cf. Jean, iii, 2), pour rendre témoi­gnage à la véri­té (cf. Jean, xviii, 37), il fit briller sa lumière sur la pri­mi­tive Eglise consti­tuée par les apôtres au point que le Prince des apôtres s’écria : « Seigneur, à qui irions-​nous ! Vous avez les paroles de la vie éter­nelle » (cf. Jean, vi, 68) ; du haut du ciel il assis­ta si bien les évan­gé­listes que ceux-​ci écri­virent comme des membres du Christ ce qu’ils avaient appris pour ain­si dire sous la dic­tée du Chef[25]. Et aujour­d’hui encore pour nous qui demeu­rons dans l’exil de cette terre, il est l’auteur de la foi, comme il en sera le consom­ma­teur dans la patrie (cf. Hébr., xii, 2). C’est lui qui infuse dans les fidèles la lumière de la foi ; lui qui enri­chit divi­ne­ment des dons sur­na­tu­rels de science, d’intelligence et de sagesse ses pas­teurs et ses doc­teurs, en pre­mier lieu son Vicaire sur la terre, afin qu’ils conservent fidè­lement le tré­sor de la foi, qu’ils le défendent éner­gi­que­ment, qu’ils l’expliquent et le sou­tiennent avec pié­té et dili­gence ; lui enfin qui, bien qu’invisible, pré­side aux conciles de l’Eglise et les guide par sa lumière[26].

En sanctifiant.

Le Christ est l’auteur et l’artisan de la sain­te­té. Il ne peut y avoir aucun acte salu­taire qui ne découle de lui, comme de sa source natu­relle. « Sans moi, dit-​il, vous ne pou­vez rien faire » (cf. Jean, xv, 5). Si à cause de nos péchés nous sommes tou­chés par le repen­tir de la péni­tence, si nous nous tour­nons vers Dieu avec une crainte et une espé­rance filiales, c’est tou­jours grâce à lui que nous le fai­sons. La grâce et la gloire pro­viennent de son inépui­sable plé­ni­tude. Notre Sauveur gra­ti­fie sans cesse prin­ci­pa­le­ment les membres les plus émi­nents de son Corps mys­tique des dons de conseil, de force, de crainte et de pié­té, afin que tout le Corps croisse chaque jour de plus en plus en sain­te­té et en pure­té de vie. Et quand les sacre­ments de l’Eglise sont admi­nis­trés exté­rieu­re­ment, c’est lui qui en pro­duit les effets dans les âmes [27]. C’est encore lui qui, nour­ris­sant de sa propre chair et de son sang les hommes rache­tés, apaise en eux les mou­ve­ments vio­lents et troubles de l’âme ; c’est lui qui aug­mente la grâce et pré­pare les âmes et les corps à atteindre la gloire. Ces tré­sors de la bon­té divine, il faut dire qu’il les com­munique aux membres de son Corps mys­tique, non pas seule­ment parce que, Hostie eucha­ris­tique sur la terre ou hos­tie glo­ri­fiée dans le ciel, il les sol­li­cite de son Père éter­nel en mon­trant ses plaies et en répan­dant ses prières, mais encore parce qu’il choi­sit, déter­mine, dis­tri­bue à cha­cun sa part de grâces « sui­vant la mesure du don du Christ » (Eph., iv, 7). D’où il résulte que du divin Rédempteur comme de la source pre­mière « tout le corps, ajus­té et coor­don­né par toutes les join­tures de l’organisme, selon l’énergie pro­por­tion­née à chaque par­tie, opère sa crois­sance pour son édi­fi­ca­tion dans la cha­rité » (Eph., iv, 16 ; cf. Col., ii, 19).

Le Christ, « soutien » de son Corps

Ce que Nous venons d’exposer, Vénérables Frères, en expli­quant briè­ve­ment com­ment le Christ Notre-​Seigneur veut faire décou­ler sur son Eglise les dons abon­dants qui pro­viennent de sa plé­ni­tude divine, pour la confor­mer le plus pos­sible à lui-​même, Nous est d’une grande uti­li­té pour déve­lop­per la troi­sième rai­son d’où l’on déduit encore pour­quoi le Corps social de l’Eglise a l’honneur de por­ter le nom du Christ : cette rai­son est que notre Sauveur sou­tient divi­ne­ment la socié­té qu’il a fondée.

Comme Bellarmin le remarque fine­ment et ingé­nieu­se­ment [28], il ne faut pas expli­quer cette expres­sion de Corps du Christ seule­ment par le fait que le Christ doit être appe­lé la Tête de son Corps mys­tique, mais aus­si par le fait qu’il sou­tient l’Eglise, qu’il vit dans l’Eglise, si bien que celle-​ci est comme une autre per­sonne du Christ. C’est ce que le Docteur des nations affirme dans son Epître aux Corinthiens lorsqu’il appelle l’Eglise « le Christ », sans rien ajou­ter de plus (cf. i Cor., xii, 12), à l’exemple du Maître lui-​même qui du ciel l’avait inter­pel­lé tan­dis qu’il per­sé­cu­tait l’Eglise : « Saul, Saul, pour­quoi me persécutes-​tu ? » (cf. Actes, ix, 4 ; xxii, 7 ; xxvi, 14). Bien plus, si nous en croyons Grégoire de Nysse, assez sou­vent l’Eglise est appe­lée « Christ » par l’Apôtre [29] ; et vous n’ignorez pas, Vénérables Frères, le mot de saint Augustin : « Le Christ prêche le Christ » [30].

a) En raison de la mission juridique.

Toutefois, il ne faut pas com­prendre cette noble appel­la­tion comme si le lien inef­fable par lequel le Fils de Dieu a pris une nature humaine concrète s’étendait à l’Eglise entière, mais bien en ce sens que notre Sauveur com­mu­nique à son Eglise des biens qui lui sont tout à fait propres, pour qu’elle repro­duise dans tout son mode de vivre, aus­si bien visible que caché, avec toute la per­fec­tion pos­sible, l’image du Christ. En effet, en ver­tu de cette mis­sion « juri­dique » par laquelle le divin Rédempteur envoya les apôtres dans le monde comme lui-​même avait été envoyé par son Père (cf. Jean, xvii, 18 et xx, 21), c’est lui qui par l’Eglise bap­tise, enseigne, gou­verne, lie, délie, offre, sacrifie.

b) En raison de l’esprit du Christ.

Et par cette dona­tion plus haute, inté­rieure et abso­lu­ment sublime, dont Nous avons par­lé plus haut en décri­vant com­ment la tête exerce son influence sur ses membres, le Christ Notre-​Seigneur fait vivre l’Eglise de sa vie sur­na­tu­relle, pénètre tout ce corps de sa ver­tu divine et il ali­mente, il entre­tient chaque membre selon la place qu’il occupe dans le corps, à peu près de la même manière que la vigne nour­rit les sar­ments qui lui sont atta­chés et les rend féconds [31].

Si nous consi­dé­rons atten­ti­ve­ment ce prin­cipe divin de vie et de force don­né par le Christ, en tant qu’il consti­tue la source même de tout don et de toute grâce créée, nous com­pre­nons faci­le­ment qu’il n’est pas autre chose que l’Esprit-Saint qui pro­cède du Père et du Fils et qu’on appelle spé­cia­le­ment « l’Esprit du Christ ou l’Esprit du Fils » (Rom., viii, 9 ; II Cor., iii, 17 ; Gal., iv, 6). Car c’est de ce souffle de grâce et de véri­té que le Fils a orné son âme dans le sein imma­cu­lé de la Vierge ; c’est cet Esprit qui fait ses délices d’habiter dans l’âme sacrée du Rédempteur comme dans son temple très cher ; c’est cet Esprit que le Christ nous a méri­té sur la croix par l’effusion de son sang ; c’est cet Esprit enfin, qu’en souf­flant sur les Apôtres il a don­né à son Eglise pour la rémis­sion des péchés (cf. Jean, xx, 22) ; mais tan­dis que le Christ a reçu, lui seul, cet Esprit sans aucune mesure (cf. Jean, iii, 34), il n’est dépar­ti aux membres du Corps mys­tique, en par­ti­ci­pa­tion de la plé­ni­tude du Christ, que sui­vant la mesure du don du Christ (cf. Eph., i, 8 ; iv, 7). Et main­te­nant que le Christ a été glo­ri­fié sur la croix, son Esprit est com­mu­ni­qué à l’Eglise avec pro­fu­sion pour qu’elle-même et cha­cun de ses membres soient de plus en plus con­formés à notre Sauveur. C’est l’Esprit du Christ qui nous a faits fils adop­tifs de Dieu (cf. Rom., viii, 14–17 ; Gal., iv, 6–7), pour qu’un jour, « nous tous, le visage décou­vert, réflé­chis­sant comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous soyons trans­for­més en la même image, de plus en plus res­plen­dis­sante » (cf. II Cor., iii, 18).

c) Qui est l’âme du Corps mystique.

C’est à cet Esprit du Christ comme à un prin­cipe invi­sible qu’il faut attri­buer que toutes les par­ties du Corps soient reliées, aus­si bien entre elles qu’avec leur noble Tête, puisqu’il réside tout entier dans la Tête, tout entier dans le Corps, tout entier dans cha­cun des membres ; et selon leurs diverses fonc­tions et obli­ga­tions, selon le degré plus ou moins par­fait de san­té spi­ri­tuelle dont ils jouissent, il varie sa manière d’être pré­sent et de prê­ter son assis­tance. C’est lui qui, en insuf­flant la vie sur­na­tu­relle dans toutes les par­ties du corps, doit être consi­dé­ré comme le prin­cipe de toute action vitale et vrai­ment salu­taire. C’est lui qui, tout en étant pré­sent en per­sonne dans tous les membres et en y exer­çant son action divine, agit pour­tant dans les membres infé­rieurs par le minis­tère des membres supé­rieurs ; c’est lui enfin, qui, don­nant chaque jour à son Eglise, sous le souffle de la grâce, de nou­veaux accrois­se­ments, refuse cepen­dant d’habiter avec sa grâce sanc­ti­fiante dans les mem­bres tota­le­ment cou­pés du Corps. Notre docte et immor­tel prédéces­seur Léon XIII, dans sa lettre ency­clique Divinum illud, exprime cette pré­sence et cette opé­ra­tion de l’Esprit de Jésus-​Christ par ces paroles concises et ner­veuses : « Qu’il suf­fise d’affirmer que, si le Christ est la Tête de l’Eglise, le Saint-​Esprit en est l’âme » [32].

Si nous envi­sa­geons main­te­nant cette force vitale par laquelle le Fondateur sou­tient toute la com­mu­nau­té chré­tienne, non plus en elle-​même, mais dans les effets créés qui en pro­viennent, elle consiste dans les bien­faits sur­na­tu­rels que notre Rédempteur, en union avec son Esprit, com­mu­nique à l’Eglise et qu’en union avec lui il opère comme source de lumière céleste et comme auteur de sain­te­té. L’Eglise, par consé­quent, comme tous ses membres saints, peut s’appliquer cette phrase sublime de l’Apôtre : « Si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal., ii, 20).

Le Christ, « Sauveur » de son Corps

Nos paroles sur le « Chef mys­tique » [33] res­te­raient incom­plètes si Nous ne disions au moins quelques mots de cette pen­sée du même apôtre : « Le Christ est le Chef de l’Eglise : il est le Sauveur de (celle qui est) son Corps » (Eph., v, 23). Car cette expres­sion exprime une der­nière rai­son pour laquelle le Corps qu’est l’Eglise reçoit le nom du Christ. Le Christ est en effet le divin Sauveur de ce Corps. C’est à bon droit que les Samaritains l’appellent « Sauveur du monde » (Jean, iv, 42) ; il faut même dire, sans aucun doute : « Sauveur de tous », en ajou­tant avec saint Paul, « sur­tout des fidè­les » (cf. I Tim., iv, 10). Car, avant tous les autres, ce sont ses membres qui consti­tuent l’Eglise qu’il s’est acquise par son sang (Actes, xx, 28). Cependant, comme Nous avons déjà lon­gue­ment dis­ser­té sur l’Eglise née sur la croix, sur le Christ illu­mi­na­teur et pro­duc­teur de sain­te­té, sur le Christ sou­tien de son Corps mys­tique, il n’y a pas lieu de déve­lop­per davan­tage ce sujet, mais plu­tôt de nous adon­ner à une humble et atten­tive médi­ta­tion, tout en ren­dant à Dieu d’immortelles actions de grâces. Or, ce que notre Sauveur a com­men­cé autre­fois sur la croix, il ne cesse de le conti­nuer à jamais et sans inter­rup­tion dans la béa­ti­tude du ciel : « Notre Chef, dit saint Augustin, inter­cède pour nous : il reçoit cer­tains membres, il en punit d’autres, il puri­fie ceux-​ci, il console ceux-​là, il crée, il appelle, il rap­pelle, il cor­rige, il relève » [34]. Et dans cette œuvre de salut, il nous est don­né de col­la­bo­rer avec le Christ, « en qui et par qui, seul, nous sommes à la fois sau­vés et sau­veurs » [35].

III. – L’Église corps « mystique » du Christ

Passons main­te­nant, Vénérables Frères, à un autre déve­lop­pe­ment où Nous dési­rons expli­quer que le Corps du Christ, qui est l’Eglise, doit être appe­lé mys­tique. Cette appel­la­tion, déjà employée par plu­sieurs écri­vains anciens, est confir­mée par un grand nombre de docu­ments des Souverains Pontifes. Plus d’une rai­son, du reste, nous fait employer ce mot ; car, grâce à lui, le Corps social qu’est l’Eglise, dont le Christ est la Tête et le Chef, peut être dis­tin­gué de son Corps phy­sique qui, né de la Vierge Marie, est assis mainte­nant à la droite du Père et est caché sous les voiles eucha­ris­tiques ; il peut être dis­tin­gué de même, ce qui est de grande impor­tance à cause d’erreurs actuelles, de n’importe quel corps natu­rel, soit phy­sique, soit moral.

Corps mystique et corps physique

Car, tan­dis que dans un corps natu­rel le prin­cipe d’unité unit les par­ties de telle sorte que cha­cune manque entiè­re­ment de ce qu’on appelle sub­sis­tance propre, dans le Corps mys­tique, au con­traire, la force de leur conjonc­tion mutuelle, bien qu’intime, relie les membres entre eux de manière à lais­ser cha­cun jouir abso­lu­ment de sa propre per­son­na­li­té. En outre, si nous regar­dons le rap­port mutuel entre le tout et cha­cun des membres, dans n’importe quel corps phy­sique vivant, cha­cun des membres, en défi­ni­tive, est uni­quement des­ti­né au bien de tout l’organisme ; toute socié­té humaine, au contraire, pour peu qu’on fasse atten­tion à la fin der­nière de son uti­li­té, est ordon­née, en défi­ni­tive, au pro­fit de tous et de cha­cun des membres, car ils sont des per­sonnes. C’est pour­quoi – pour reve­nir à Notre sujet – comme le Fils du Père éter­nel est des­cen­du du ciel pour le salut éter­nel de nous tous, ain­si il a fon­dé ce Corps qu’est l’Eglise et il l’a enri­chi de l’Esprit divin pour don­ner aux âmes immor­telles le moyen d’atteindre leur bon­heur, selon ces mots de l’Apôtre : « Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (I Cor., iii, 23) [36]. Car si l’Eglise est ordon­née au bien des fidèles, elle est des­ti­née aus­si à la gloire de Dieu et de Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ.

Corps mystique et corps purement moral

Que si Nous com­pa­rons le Corps mys­tique avec ce qu’on appelle corps moral, il faut alors remar­quer que la dif­fé­rence est grande et même d’importance et de gra­vi­té extrêmes. Dans le corps moral, en effet, il n’y a pas d’autre prin­cipe d’unité que la fin com­mune et, au moyen de l’autorité sociale, la com­mune pour­suite de cette même fin ; dans le Corps mys­tique dont Nous par­lons, au contraire, à cette com­mune pour­suite s’ajoute un autre prin­cipe inté­rieur qui, exis­tant vrai­ment dans tout l’organisme aus­si bien que dans cha­cune des par­ties et y exer­çant son acti­vi­té, est d’une telle excel­lence que par lui-​même il l’emporte sans aucune mesure sur tous les liens d’unité qui font la cohé­sion d’un corps phy­sique ou social. Ce prin­cipe, Nous l’avons dit, n’est pas de l’ordre natu­rel, mais sur­na­tu­rel ; bien mieux, c’est en lui-​même quelque chose d’absolument infi­ni et incréé, à savoir l’Esprit de Dieu qui, selon saint Thomas, « un et unique, rem­plit toute l’Eglise et en fait l’unité » [37].

En consé­quence, la signi­fi­ca­tion exacte de ce mot nous rap­pelle que l’Eglise, qui doit être regar­dée comme une socié­té par­faite en son genre, n’est pas seule­ment com­po­sée d’éléments et de prin­cipes sociaux et juri­diques. Elle sur­passe, et de beau­coup, toutes les autres com­mu­nau­tés humaines [38] ; elle leur est supé­rieure autant que la grâce sur­passe la nature et que les réa­li­tés immor­telles l’empor­tent sur toutes les réa­li­tés péris­sables[39]. Les com­mu­nau­tés de cette sorte, sur­tout la socié­té civile, ne doivent pas être mépri­sées, certes, ni trai­tées comme des choses de peu de valeur ; cepen­dant, l’Eglise ne se trouve pas tout entière dans des réa­li­tés de cet ordre, pas plus que l’homme ne consiste tout entier dans l’organisme de notre corps mor­tel[40]. Ces élé­ments juri­diques, il est vrai, sur les­quels l’Eglise, elle aus­si, s’appuie et qui la com­posent, pro­viennent de la consti­tu­tion divine don­née par le Christ et servent à atteindre la fin sur­na­tu­relle ; néan­moins, ce qui élève la socié­té chré­tienne à un degré qui dépasse abso­lu­ment tout l’ordre de la nature, c’est l’Esprit de notre Rédempteur qui, comme source des grâces, des dons et de tous les cha­rismes, rem­plit à jamais et inti­me­ment l’Eglise et y exerce son acti­vi­té. L’organisme de notre corps est, assu­ré­ment, une œuvre mer­veilleuse du Créateur, mais com­bien est-​il dépas­sé par la haute digni­té de notre âme ! De même, la struc­ture sociale de la com­mu­nau­té chré­tienne, qui pro­clame d’ailleurs la sagesse de son divin Architecte, est cepen­dant d’un ordre tout à fait infé­rieur dès qu’on la com­pare aux dons spi­ri­tuels dont elle est ornée et dont elle vit, et à leur source divine.

Eglise juridique et Eglise d’amour

De ce que Nous avons trai­té et expli­qué jusqu’ici dans cette lettre, Vénérables Frères, il appa­raît avec évi­dence que ceux-​là se trouvent dans une grave erreur qui se repré­sentent à leur fan­tai­sie une Eglise pour ain­si dire cachée et nul­le­ment visible ; de même ceux qui la regardent comme une ins­ti­tu­tion humaine avec un cer­tain corps de doc­trine et des rites exté­rieurs, mais sans com­mu­ni­ca­tion de vie sur­naturelle [41]. Tout au contraire : comme le Christ, Chef et Modèle de l’Eglise, « n’est pas tout entier si on ne voit en lui que la nature humaine visible…, ou la nature divine invi­sible, mais il ne fait qu’un par et dans l’une et l’autre natures ; de même son Corps mys­tique »[42] ; car le Verbe de Dieu a pris une nature humaine sujette aux souf­frances pour que, une fois la socié­té visible fon­dée et consa­crée par son sang divin, « l’homme fût rap­pe­lé par le gou­vernement visible aux réa­li­tés invi­sibles » [43].

C’est pour­quoi Nous déplo­rons et Nous condam­nons l’erreur funeste de ceux qui rêvent d’une pré­ten­due Eglise, sorte de socié­té for­mée et entre­te­nue par la cha­ri­té, à laquelle – non sans mépris – ils en opposent une autre qu’ils appellent juri­dique. Mais c’est tout à fait en vain qu’ils intro­duisent cette dis­tinc­tion : ils ne com­prennent pas, en effet, qu’une même rai­son a pous­sé le divin Rédemp­teur à vou­loir, d’une part, que le grou­pe­ment des hommes fon­dé par lui fût une socié­té par­faite en son genre et munie de tous les élé­ments juri­diques et sociaux, pour per­pé­tuer sur la terre l’œuvre salu­taire de la Rédemption[44] ; et, d’autre part, que cette socié­té fût enri­chie par l’Esprit-Saint, pour atteindre la même fin, de dons et de bien­faits sur­na­tu­rels. Le Père éter­nel a vou­lu qu’elle fût « le royaume de son Fils bien-​aimé » (Col., i, 13) ; mais pour­tant un royaume où tous les croyants feraient un hom­mage par­fait de leur intel­li­gence et de leur volon­té[45], et se confor­me­raient avec humi­li­té et sou­mis­sion à Celui qui pour nous « s’est fait obéis­sant jusqu’à la mort » (Philip., ii, 8). Il ne peut donc y avoir aucune oppo­si­tion, aucun désac­cord réel entre la mis­sion dite invi­sible du Saint-​Esprit et la fonc­tion juri­dique, reçue du Christ, des pas­teurs et des doc­teurs ; car – comme en nous le corps et l’âme – elles se com­plètent et s’achèvent mutuel­le­ment, elles pro­viennent d’un seul et même Sauveur qui n’a pas seule­ment dit en insuf­flant l’Esprit divin : « Recevez le Saint-​Esprit » (Jean, xx, 22), mais qui a encore ordon­né hau­te­ment et clai­re­ment : « Comme mon Père m’a envoyé, ain­si je vous envoie » (Jean, xx, 21), et « Celui qui vous écoute m’écoute » (Luc, x, 16).

Que si l’Eglise mani­feste des traces évi­dentes de la condi­tion de notre humaine fai­blesse, il ne faut pas l’attribuer à sa consti­tu­tion juri­dique, mais plu­tôt à ce lamen­table pen­chant au mal des indi­vi­dus, que son divin Fondateur souffre jusque dans les membres les plus éle­vés de son Corps mys­tique dans le but d’éprouver la ver­tu des ouailles et des pas­teurs et de faire croître, en tous, les mérites de la foi chré­tienne. Le Christ, en effet, comme Nous l’avons dit, n’a pas vou­lu que les pécheurs fussent exclus de la socié­té for­mée par lui ; si donc cer­tains membres de l’Eglise souffrent de mala­die spi­ri­tuelle, ce n’est pas une rai­son de dimi­nuer notre amour envers l’Eglise, mais plu­tôt d’augmenter notre pié­té envers ses membres.

Assurément, notre pieuse Mère brille d’un éclat sans tache dans les sacre­ments où elle engendre ses fils et les nour­rit, dans la foi qu’elle garde tou­jours à l’abri de toute atteinte, dans les lois très saintes qu’elle impose à tous et les conseils évan­gé­liques qu’à tous elle pro­pose, enfin, dans les grâces célestes et les cha­rismes sur­na­tu­rels par les­quels elle engendre avec une inlas­sable fécon­di­té [46] des troupes innom­brables de mar­tyrs, de confes­seurs et de vierges. Ce n’est cepen­dant pas à elle qu’il faut repro­cher les fai­blesses et les bles­sures de cer­tains de ses membres, au nom des­quels elle-​même demande à Dieu tous les jours : « Pardonnez-​nous nos offenses », et au salut spi­ri­tuel des­quels elle se consacre sans relâche, avec toute la force de son amour maternel.

Lors donc que nous nom­mons « mys­tique » le Corps du Christ, le sens même de ce mot nous donne une grave leçon. C’est, en somme, l’avertissement qui résonne dans ces paroles de saint Léon : « Re­connais, ô chré­tien, ta digni­té ; et, entré en par­ti­ci­pa­tion de la nature divine, veille à ne pas retom­ber par une conduite indigne dans ton ancienne bas­sesse : Souviens-​toi de quelle Tête et de quel Corps tu es le membre ! » [47].

Deuxième Partie – L’union des fidèles avec le Christ

Nous dési­rons main­te­nant, Vénérables Frères, par­ler très spé­cialement de notre union avec le Christ dans le Corps de l’Eglise. Si cette union, comme l’a fort bien dit saint Augustin [48], est une chose grande, mys­té­rieuse et divine, c’est pré­ci­sé­ment pour cela que, trop sou­vent, elle est mal com­prise et mal expli­quée. Il est évident, tout d’abord, que cette union est très étroite : car, dans les Saintes Ecri­tures, non seule­ment elle est com­pa­rée au lien du chaste mariage, à l’unité vitale de la vigne et de ses sar­ments et à la soli­da­ri­té orga­nique de notre corps (cf. Eph., v, 22–23 ; Jean, xv, 1–5 ; Eph., iv, 16) ; mais elle nous est révé­lée comme si intime que – selon cette expres­sion de l’Apôtre : « Lui, le Christ, il est la Tête du Corps qui est l’Eglise » (Col., i, 18) – la doc­trine très ancienne et constante des Pères nous enseigne que le divin Rédempteur, avec son Corps social, consti­tue une seule per­sonne mys­tique, ou, comme dit saint Augustin, le Christ total [49]. Bien plus, notre Sauveur lui-​même, dans sa prière sacer­do­tale, n’a pas hési­té à com­pa­rer cet orga­nisme à cette sublime uni­té qui fait que le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils (Jean, xvii, 21–23).

Liens juridiques et sociaux

Notre union, donc, avec et dans le Christ, vient d’abord de ce que la socié­té chré­tienne, de par la volon­té de son Fondateur, for­mant un corps social par­fait, il y faut une union de tous les membres qui leur per­mette de tendre à une même fin. Or, plus noble est la fin à laquelle tend cet accord, plus divine est la source d’où elle pro­cède, plus sublime est aus­si l’unité qui en résulte. Et préci­sément, la fin est ici très haute : c’est la sanc­ti­fi­ca­tion conti­nuelle des membres de ce Corps, à la gloire de Dieu et de l’Agneau qui a été immo­lé (Apoc., v, 12–13). Et la source est très divine : c’est non seule­ment le bon plai­sir du Père éter­nel et la volon­té expresse de notre Sauveur, mais, dans nos intel­li­gences et nos cœurs, l’inspiration inté­rieure et l’impulsion du Saint-​Esprit. Si l’on ne peut faire le moindre acte salu­taire que dans l’Esprit-Saint, com­ment les mul­ti­tudes innom­brables de toute nation et de toute ori­gine peuvent-​elles conspi­rer d’un même accord pour la gloire suprême du Dieu un et trine, sinon par la force de Celui qui pro­cède du Père et du Fils par un amour unique et éternel ?

Mais parce que, comme Nous l’avons déjà dit, par la volon­té de son Fondateur, ce Corps de nature sociale qu’est le Corps du Christ doit être un corps visible, il faut que cet accord de tous les mem­bres se mani­feste aus­si exté­rieu­re­ment, par la pro­fes­sion d’une même foi, mais aus­si par la com­mu­nion aux mêmes mys­tères, par la parti­cipation au même sacri­fice, par la mise en pra­tique enfin et l’obser­vance des mêmes lois. Il est, en outre, abso­lu­ment néces­saire qu’il y ait, mani­feste aux yeux de tous, un Chef suprême par qui la colla­boration de tous en faveur de tous soit diri­gée effi­ca­ce­ment pour atteindre le but pro­po­sé : Nous avons nom­mé le Vicaire de Jésus-​Christ sur la terre. De même, en effet, que le divin Rédempteur a envoyé l’Esprit de véri­té, le Paraclet, pour assu­mer à sa propre place (cf. Jean, xiv, 16 et 26) l’invisible gou­ver­ne­ment de l’Eglise, ain­si, à Pierre et à ses suc­ces­seurs, il a confié le man­dat de tenir son propre rôle sur terre pour assu­rer aus­si le gou­ver­ne­ment visible de la cité chrétienne.

Vertus théologales

Mais à ces liens juri­diques qui suf­fi­raient déjà par eux-​mêmes à sur­pas­ser de loin les liens de toute socié­té humaine, fût-​elle suprême, il faut néces­sai­re­ment que s’ajoute une uni­té d’autre nature en rai­son de ces trois ver­tus par les­quelles nous sommes étroi­te­ment liés entre nous et avec Dieu : la foi, l’espérance et la charité.

En effet, comme nous en aver­tit l’Apôtre, « il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi » (Eph., iv, 5), la foi par laquelle nous adhé­rons à un seul Dieu et à Celui qu’il a envoyé, Jésus-​Christ (cf. Jean, xvii, 3). Et avec quelle inti­mi­té cette foi nous lie à Dieu, c’est ce que nous enseignent les paroles du dis­ciple bien-​aimé : « Qui­conque a confes­sé que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu habite en lui et lui en Dieu » (i Jean, iv, 15). Nous ne sommes pas moins forte­ment atta­chés entre nous et avec notre divin Chef par notre foi chré­tienne : car nous tous, les croyants, « pos­sé­dant le même esprit de foi » (II Cor., iv, 13), nous sommes éclai­rés de la même lumière du Christ, nous sommes nour­ris de la même nour­ri­ture du Christ, nous sommes gou­ver­nés par la même auto­ri­té et le même magis­tère du Christ. Que si c’est le même esprit de foi qui passe en nous comme une sève, tous aus­si, dès lors, c’est la même vie que « nous vivons dans la foi du Fils de Dieu qui nous a aimés et qui s’est livré lui-​même pour nous » (cf. Gal., n, 20) ; et le Christ notre Chef, reçu en nous-​mêmes par une foi vive et habi­tant dans nos cœurs (cf. Eph., iii, 17) « sera le consom­ma­teur de cette foi comme il en est l’auteur » (cf. Hébr., xii, 2).

De même que par la foi nous nous atta­chons ici-​bas à Dieu comme à la source de la véri­té, ain­si, par la ver­tu de l’espérance chré­tienne nous ten­dons vers lui comme vers la source de béa­ti­tude, « dans l’attente et le bien­heu­reux espoir de la venue glo­rieuse de notre grand Dieu » (Tite, ii, 13). C’est à cause de ce com­mun désir du royaume céleste, pour lequel nous avons renon­cé à pos­sé­der ici une cité défi­ni­tive pour en cher­cher une à venir (cf. Hébr., xiii, 14) et sou­pi­rer vers la gloire céleste, que l’Apôtre des nations n’a pas hési­té à dire : « Il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit, comme aus­si vous avez été appe­lés par votre voca­tion à une seule espé­rance » (Eph., iv, 4) ; bien plus, c’est le Christ lui-​même, comme une espé­rance de gloire, qui réside en nous (cf. Col., i, 27).

Si les liens de la foi et de l’espérance qui nous attachent à notre divin Rédempteur dans son Corps mys­tique sont d’un grand poids et d’une sou­ve­raine impor­tance, non moins grandes sont l’im­portance et la force des liens de la cha­ri­té. Car si déjà dans la nature c’est une chose excel­lente que l’amour, source de la véri­table ami­tié, que dire de cet amour céleste répan­du par Dieu même dans nos âmes ? « Dieu est cha­ri­té, et celui qui demeure dans la cha­ri­té demeure en Dieu et Dieu en lui » (i Jean, iv, 16). Or, cette cha­ri­té, comme par une loi éta­blie par Dieu, a pour effet de le faire des­cendre par un retour d’amour en nous qui l’aimons, sui­vant ces paroles : « Si quelqu’un m’aime… mon Père aus­si l’aimera, et nous vien­drons à lui, et nous ferons en lui notre demeure » (Jean, xiv, 23). La cha­ri­té nous unit donc au Christ plus étroi­te­ment qu’aucune autre ver­tu, et c’est dans l’ardeur de cette flamme céleste que tant de fils de l’Eglise se sont réjouis de subir pour lui les opprobres, de tout affron­ter, de tout vaincre, jusqu’au der­nier souffle de leur vie et à l’effusion de leur sang. C’est pour­quoi notre Sauveur nous presse véhé­men­te­ment par ces paroles : « Demeurez dans mon amour ». Mais comme la cha­ri­té est sans force et sans vie si elle ne se mani­feste et ne se réa­lise en bonnes œuvres, il ajoute immé­dia­te­ment : « Si vous gar­dez mes com­man­de­ments, vous res­te­rez dans mon amour ; comme moi aus­si j’ai gar­dé les com­man­de­ments de mon Père et je reste en son amour » (Jean, xv, 9–10).

Amour envers le prochain

A cet amour envers Dieu, envers le Christ, doit répondre pour­tant la cha­ri­té envers le pro­chain. Car, com­ment pouvons-​nous affir­mer que nous aimons le divin Sauveur si nous haïs­sons ceux qu’il a fait membres de son Corps mys­tique en les rache­tant lui-​même de son sang pré­cieux ? D’où cet aver­tis­se­ment que nous donne l’apôtre que le Christ a aimé plus que les autres : « Si quelqu’un pré­tend aimer Dieu et hait son frère, il est un men­teur. Car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, com­ment peut-​il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous avons de Dieu ce com­man­de­ment : que celui qui aime Dieu, aime aus­si son frère » (I Jean, iv, 20–21). Bien plus, il faut encore l’affirmer, nous serons d’autant plus unis avec Dieu, avec le Christ, que nous serons davan­tage les membres les uns des autres (Rom., xii, 5), « pleins de sol­li­ci­tude les uns pour les autres » (I Cor., xii, 25) ; comme d’autre part nous serons d’autant plus unis entre nous et liés par la cha­ri­té que plus fervent sera l’amour qui nous uni­ra à Dieu et à notre divin Chef.

Le Christ nous embrasse d’une connaissance infinie et d’un amour éternel.

C’est dès avant l’origine du monde que le Fils unique de Dieu nous a enve­lop­pés de sa connais­sance éter­nelle et infi­nie et de son amour sans fin. Et c’est afin de mani­fes­ter cet amour d’une manière visible et vrai­ment admi­rable qu’il s’est uni notre nature dans l’unité de sa per­sonne ; fai­sant ain­si – comme le remar­quait avec une cer­taine can­deur Maxime de Turin – que, « dans le Christ, c’est notre chair qui nous aime » [50].

L’Eglise « plérome » du Christ

Une telle connais­sance tout aimante dont le divin Sauveur nous a pour­sui­vis dès le pre­mier ins­tant de son Incarnation dépasse l’effort le plus ardent de tout esprit humain : par la vision bien­heu­reuse dont il jouis­sait déjà, à peine conçu dans le sein de sa divine Mère, il se rend constam­ment et per­pé­tuel­le­ment pré­sents tous les membres de son Corps mys­tique, et il les embrasse de son amour rédemp­teur. Ô admi­rable condes­cen­dance envers nous de la divine ten­dresse ! Et des­sein incon­ce­vable de l’immense cha­ri­té ! Dans la crèche, sur la croix, dans la gloire éter­nelle du Père, le Christ connaît et se tient unis tous les membres de son Eglise, d’une façon infi­ni­ment plus claire et plus aimante qu’une mère ne fait de son enfant pres­sé sur son sein, et que cha­cun ne se connaît et ne s’aime soi-même.

De tout ce que Nous venons de dire, Vénérables Frères, il est facile de com­prendre pour­quoi saint Paul écrit si sou­vent que le Christ est en nous et que nous sommes dans le Christ. On peut encore le prou­ver par une rai­son plus sub­tile : le Christ est en nous, comme Nous l’avons expo­sé plus haut avec détail, par son Esprit même, qu’il nous com­mu­nique et par lequel il agit en nous de telle sorte que tout ce que le Saint-​Esprit opère en nous de divin, il faut dire que c’est le Christ aus­si qui l’y opère[51]. « Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, dit l’Apôtre, celui-​là n’est pas du Christ ; mais si le Christ est en vous… votre esprit est vie à cause de la jus­tice » (Rom., viii, 9–10).

C’est par cette même com­mu­ni­ca­tion de l’Esprit du Christ qu’il se fait que l’Eglise est comme la plé­ni­tude et le com­plé­ment du Rédempteur ; car tous les dons, toutes les ver­tus, tous les cha­rismes qui se trouvent émi­nem­ment, abon­dam­ment et effi­ca­ce­ment dans le Chef, dérivent dans tous les membres de l’Eglise et s’y per­fec­tionnent de jour en jour selon la place de cha­cun dans le Corps mys­tique de Jésus-​Christ : ain­si peut-​on dire d’une cer­taine façon que le Christ se com­plète à tous égards dans l’Eglise[52]. Et par ces mots, nous tou­chons la rai­son même pour laquelle, selon la pen­sée déjà briève­ment indi­quée de saint Augustin, le Chef mys­tique qu’est le Christ et l’Eglise, qui sur terre est comme un autre Christ et en tient la place, consti­tuent un homme nou­veau unique dans lequel le ciel et la terre s’allient pour per­pé­tuer l’œuvre de salut de la croix : à savoir le Christ, Tête et Corps ; le Christ total.

L’habitation du Saint-​Esprit dans les âmes

Assurément Nous n’ignorons pas que dans l’intelligence et l’expo­sition de cette doc­trine mys­té­rieuse de notre union avec le divin Rédempteur et spé­cia­le­ment de l’habitation du Saint-​Esprit dans les âmes, s’interposent bien des voiles qui enve­loppent comme d’une nuée cette doc­trine mys­té­rieuse à cause de la fai­blesse de l’intelligence qui l’étudie. Mais nous savons aus­si que de l’étude sin­cère et constante de cette véri­té ain­si que du heurt des diverses opi­nions et du concours des diverses théo­ries – pour­vu que l’amour de la véri­té et le res­pect dû à l’Eglise dirigent ces inves­ti­ga­tions – peu­vent jaillir de pré­cieuses lumières, qui consti­tuent, en ce genre de dis­ci­plines sacrées comme ailleurs, un réel pro­grès. Nous ne désap­prouvons donc pas ceux qui ouvrent diverses routes, tentent divers sys­tèmes pour sai­sir et tâcher d’éclairer ce si pro­fond mys­tère de notre union mer­veilleuse avec le Christ. Cependant, voi­ci un prin­cipe qui s’impose à tous et doit res­ter inébran­lable, s’ils ne veulent pas s’égarer loin de la doc­trine authen­tique et de l’enseignement exact de l’Eglise : c’est qu’il faut reje­ter tout mode d’union mys­tique par lequel les fidèles, de quelque façon que ce soit, dépas­se­raient l’ordre du créé et s’arrogeraient le divin au point que même un seul des attri­buts du Dieu éter­nel puisse leur être attri­bué en propre. Qu’ils main­tiennent en outre fer­me­ment cet autre prin­cipe cer­tain, qu’en cette matière tout doit être tenu com­mun aux per­sonnes de la Sainte Trinité de ce qui a rap­port à Dieu envi­sa­gé comme cause effi­ciente suprême.

Il importe aus­si de remar­quer qu’il s’agit ici d’un mys­tère caché qui, dans l’exil de cette terre, recou­vert qu’il est d’un cer­tain voile, ne pour­ra jamais être tota­le­ment péné­tré et expri­mé en lan­gage humain. Les Personnes divines sont dites habi­ter en nous en tant que pré­sentes d’une façon impé­né­trable dans les créa­tures vivantes douées d’intelligence, elles s’en laissent atteindre par voie de con­naissance et d’amour[53], mais d’une manière qui dépasse toute la nature et qui est abso­lu­ment intime et unique. Si nous vou­lons pour­tant ten­ter d’en avoir au moins quelque idée, nous ne devons pas négli­ger cette méthode que dans de pareils sujets recom­mande le Concile du Vatican[54] : pour s’efforcer de trou­ver la lumière qui per­met­tra de dis­cer­ner au moins un peu les secrets de Dieu, com­parer les mys­tères entre eux et avec la fin der­nière à quoi ils sont ordon­nés. Notre très sage pré­dé­ces­seur, Léon XIII, d’heureuse mé­moire, a donc rai­son en par­lant sur le même sujet de notre union au Christ et de l’habitation en nous du Saint-​Esprit, de tour­ner nos regards vers cette vision béa­ti­fique où, dans le ciel, cette même union mys­tique trou­ve­ra sa consom­ma­tion et son achè­ve­ment. « Cette union admi­rable qu’on appelle « inha­bi­ta­tion », dit-​il, ne dif­fère que par la condi­tion ou l’état de celle où Dieu embrasse ses élus en les béa­ti­fiant » [55]. C’est dans cette vision que, d’une façon inexpri­mable, il nous sera don­né de contem­pler le Père, le Fils et l’Esprit divin des yeux de notre esprit ren­for­cés d’une lumière divine, d’as­sister nous-​mêmes de très près pen­dant toute l’éternité aux pro­cessions des per­sonnes divines et d’être com­blés d’une joie très sem­blable à celle qui fait le bon­heur de la très sainte et indi­vi­sible Trinité.

L’Eucharistie, signe d’unité et d’union

Ce que Nous avons expo­sé jusqu’ici de cette très étroite union du Corps mys­tique du Christ avec son Chef Nous sem­ble­rait incom­plet si Nous n’ajoutions au moins quelques mots sur la sainte Eucha­ristie, par laquelle une telle union trouve comme son som­met en cette vie mortelle.

Car, par la volon­té du Christ Notre-​Seigneur, ce lien admi­rable, qu’on n’exaltera jamais assez, qui nous unit entre nous et avec notre divin Chef, est mani­fes­té d’une manière spé­ciale aux fidèles par le sacri­fice eucha­ris­tique. Là, en effet, les ministres sacrés ne tiennent pas seule­ment la place de notre Sauveur, mais de tout le Corps mys­tique et de cha­cun des fidèles ; là encore, les fidèles eux-​mêmes, unis au prêtre par des vœux et des prières una­nimes, offrent au Père éter­nel l’Agneau imma­cu­lé ren­du pré­sent sur l’autel uni­que­ment par la voix du prêtre ; ils le lui offrent par les mains du même prêtre, comme une vic­time très agréable de louange et de propitia­tion, pour les néces­si­tés de toute l’Eglise. Et de même que le divin Rédempteur mou­rant sur la croix s’est offert, comme Chef de tout le genre humain, au Père éter­nel, ain­si, « en cette offrande pure » (Mal., i, 11), non seule­ment il s’offre comme Chef de l’Eglise au Père céleste, mais en lui-​même il offre aus­si ses membres mys­tiques, puisqu’il les ren­ferme tous, même les plus faibles et les plus infirmes, dans son Cœur très aimant.

Le sacre­ment de l’Eucharistie, tout en consti­tuant une vive et admi­rable image de l’unité de l’Eglise – puisque ce pain des­ti­né à la consé­cra­tion est for­mé par l’union de beau­coup de grains [56] – nous com­mu­nique l’Auteur même de la grâce céleste pour que nous pui­sions en lui cet Esprit de cha­ri­té par lequel nous vivons, non plus notre vie, mais la vie du Christ, et par lequel aus­si, dans tous les membres de son Corps social, nous aimons notre Rédempteur lui-même.

Si donc, dans les cir­cons­tances si tristes qui nous angoissent à l’heure pré­sente, beau­coup d’hommes s’attachent au Christ Notre-​Seigneur caché sous les voiles eucha­ris­tiques, au point que ni la tribu­lation, ni l’angoisse, ni la faim, ni la nudi­té, ni les périls, ni la per­sécution, ni le glaive ne puissent les sépa­rer de son amour (cf. Rom., viii, 35), alors sans aucun doute, la sainte Communion, providen­tiellement rame­née de nos jours à un usage plus fré­quent même dès l’enfance, pour­ra deve­nir la source de cette force qui va sou­vent jus­qu’à exci­ter et entre­te­nir l’héroïsme chez les chrétiens.

Troisième Partie – Exhortation pastorale

I. – Erreurs sur la vie ascétique

Ce sont ces véri­tés, Vénérables Frères, qui, pieu­se­ment et correc­tement com­prises des fidèles, et par eux dili­gem­ment gar­dées, les aide­ront aus­si à évi­ter plus faci­le­ment les erreurs qui naissent de l’étude de cette doc­trine dif­fi­cile, menée par cer­tains selon leurs propres idées, non sans grand dan­ger pour la foi catho­lique et per­turbation pour les esprits.

Faux « mysticisme »

On en trouve en effet qui, ne remar­quant pas assez que saint Paul n’emploie ici les mots qu’au sens figu­ré et ne dis­tin­guant pas, comme il le faut abso­lu­ment, les sens par­ti­cu­liers et propres de corps phy­sique, moral, mys­tique, intro­duisent une fausse notion d’unité quand ils font s’unir et se fondre en une per­sonne phy­sique le divin Rédempteur et les membres de l’Eglise ; et tan­dis qu’ils accordent aux hommes des attri­buts divins, ils sou­mettent le Christ Notre-​Seigneur aux erreurs et à l’inclination au mal de l’humaine nature. Ce n’est pas seule­ment la foi et la doc­trine des Pères qui répu­dient abso­lu­ment cette doc­trine erro­née, mais aus­si la pen­sée et l’ensei­gnement de l’Apôtre des gen­tils qui, tout en unis­sant d’un lien mer­veilleux le Christ et son Corps mys­tique, les oppose pour­tant l’un à l’autre comme l’Epoux et l’Epouse (cf. Eph., v, 22–23).

Faux « quiétisme »

Non moins éloi­gnée de la véri­té l’erreur dan­ge­reuse qui, de l’union mys­té­rieuse du Christ avec nous tous, tente a déga­ger un quié­tisme mal­sain, attri­buant toute la vie spi­ri­tuelle des chré­tiens et leur pro­grès dans la ver­tu uni­que­ment à l’action du divin Esprit, en excluant et négli­geant la coopé­ra­tion qui doit lui être four­nie de notre part. Personne, assu­ré­ment, ne peut nier que l’Esprit de Jésus-​Christ soit la source unique d’où toute force divine s’écoule dans l’Eglise et dans ses membres. « C’est le Seigneur, dit le Psalmiste, qui don­ne­ra la grâce et la gloire » (Ps., lxxxiii, 12). Cependant, que les hommes per­sé­vèrent constam­ment dans les bonnes œuvres, qu’ils pro­gressent allè­gre­ment en grâce et en ver­tu, qu’enfin, non seule­ment ils marchent cou­ra­geu­se­ment vers le som­met de la per­fection chré­tienne, mais excitent aus­si les autres à y tendre autant qu’ils peuvent, tout cela l’Esprit divin ne veut pas l’opérer sans que les hommes y jouent leur rôle par leur effort quo­ti­dien. « Les bien­faits divins, dit saint Ambroise, ne sont pas pour ceux qui dorment, mais pour ceux qui agissent » [57]. Car si dans notre corps mor­tel nos membres se for­ti­fient et deviennent vigou­reux par un exer­cice inces­sant, c’est beau­coup plus vrai dans le Corps social de Jésus-​Christ, où chaque membre jouit de sa liber­té propre, de sa respon­sabilité et de son acti­vi­té. Aussi celui qui a dit : « Si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal., ii, 20), ne crai­gnait pas en même temps d’affirmer : « La grâce de Dieu en moi n’a pas été vaine, mais j’ai tra­vaillé plus qu’eux tous : non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi » (I Cor., xv, 10). Il est donc mani­feste que par ces doc­trines fal­la­cieuses le mys­tère dont nous trai­tons ne tourne pas au pro­grès spi­ri­tuel des fidèles, mais, hélas ! à leur ruine.

Erreurs concernant la confession et la prière

C’est ce qui résulte aus­si de la doc­trine erro­née d’après laquelle il ne faut pas faire tant de cas de la confes­sion fré­quente des fautes vénielles, puisqu’elle le cède en valeur à cette confes­sion géné­rale que l’Epouse du Christ, avec ceux de ses enfants qui lui sont unis dans le Seigneur, fait tous les jours par ses prêtres avant de mon­ter à l’autel. Il est vrai qu’il est plu­sieurs façons, toutes très louables, comme vous le savez, Vénérables Frères, d’effacer ces fautes ; mais pour avan­cer avec une ardeur crois­sante dans le che­min de la ver­tu, Nous tenons à recom­man­der vive­ment ce pieux usage intro­duit par l’Eglise sous l’impulsion du Saint-​Esprit, de la confes­sion fré­quente, qui aug­mente la vraie connais­sance de soi, favo­rise l’humilité chré­tienne, tend à déra­ci­ner les mau­vaises habi­tudes, com­bat la négli­gence spi­ri­tuelle et la tié­deur, puri­fie la conscience, for­ti­fie la volon­té, se prête à la direc­tion spi­ri­tuelle, et, par l’effet propre du sacre­ment, aug­mente la grâce. Que ceux donc qui dimi­nuent l’estime de la confes­sion fré­quente par­mi le jeune cler­gé sachent qu’ils font là une œuvre contraire à l’Esprit du Christ et très funeste au Corps mys­tique de notre Sauveur.

Il y en a aus­si qui dénient à nos prières toute valeur d’impétration pro­pre­ment dite ou qui tentent de répandre l’opinion que les prières pri­vées ont peu de valeur, celles qui ont une vraie valeur étant plu­tôt les prières publiques pré­sen­tées au nom de l’Eglise, puisqu’elles partent du Corps mys­tique même de Jésus-​Christ. C’est là aus­si une erreur, car le Sauveur ne s’unit pas seule­ment son Eglise comme une Epouse très chère, mais encore, en elle, les âmes de cha­cun des fidèles avec les­quelles il est très dési­reux de s’entretenir inti­me­ment, sur­tout après la sainte Communion. Et quoique la prière publique, comme pro­cé­dant de notre Mère l’Eglise, à cause de sa qua­li­té d’Epouse du Christ, l’emporte sur toute autre, cepen­dant toutes les prières, même les plus pri­vées, ne manquent ni de valeur ni d’effi­cacité et contri­buent même beau­coup à l’utilité du Corps mys­tique dans lequel rien de bien, rien de juste n’est opé­ré par cha­cun des membres qui, par la com­mu­nion des saints, ne rejaillisse aus­si sur le salut de tous. Et, pour être membres de ce Corps, les chré­tiens indi­vi­duels ne perdent pas le droit de deman­der pour eux-​mêmes des grâces par­ti­cu­lières, même d’ordre tem­po­rel, tout en res­tant dépen­dants de la volon­té de Dieu : ils demeurent, en effet, des per­sonnes indé­pen­dantes, sou­mises cha­cune à des néces­si­tés spécia­les [58]. Quant à l’estime que tous doivent avoir de la médi­ta­tion des véri­tés célestes, ce ne sont pas seule­ment les docu­ments de l’Eglise qui l’indiquent et la recom­mandent, mais aus­si l’usage et l’exemple de tous les saints.

Enfin, cer­tains pré­tendent que nos prières ne doivent pas être adres­sées à la per­sonne même de Jésus-​Christ, mais plu­tôt à Dieu ou au Père éter­nel par le Christ, puisque notre Sauveur, comme Chef de son Corps mys­tique, doit être consi­dé­ré seule­ment comme « mé­diateur de Dieu et des hommes » (I Tim., ii, 5). Cette manière de voir est cepen­dant oppo­sée non seule­ment à l’esprit de l’Eglise et à la cou­tume des chré­tiens, mais même à la véri­té. Le Christ, en effet, pour par­ler avec exac­ti­tude et pré­ci­sion, est la Tête de toute son Eglise à la fois selon sa nature divine et sa nature humaine [59] ; et d’ailleurs c’est lui-​même qui a décla­ré solen­nel­le­ment : « Si vous me deman­dez quelque chose en mon nom, je le ferai » (Jean, xiv, 14). Et bien que, sur­tout dans le Sacrifice eucha­ris­tique – où le Christ étant à la fois prêtre et hos­tie rem­plit spé­cia­le­ment le rôle de conci­lia­teur – les prières s’adressent la plu­part du temps au Père éter­nel par son Fils, cepen­dant il n’est pas rare, même dans le saint sacri­fice, qu’elles soient adres­sées au divin Sauveur. Tous les chré­tiens, en effet, doivent savoir clai­re­ment que l’homme qui est le Christ Jésus est en même temps le Fils de Dieu et Dieu même. Et, par consé­quent, lorsque l’Eglise mili­tante adore et prie l’Agneau imma­cu­lé et la sainte Hostie, elle semble ne faire que répondre à la voix de l’Eglise triom­phante qui chante sans cesse : « A Celui qui siège sur le Trône et à l’Agneau : béné­dic­tion et hon­neur et gloire et puis­sance dans les siècles des siècles » (Apoc., v, 13).

II. – Exhortation à aimer l’Église

Après avoir, Vénérables Frères, dans l’explication de ce mys­tère qui embrasse notre union mys­té­rieuse avec le Christ, éclai­ré les esprits de la lumière de la véri­té, comme Docteur de l’Eglise uni­verselle, Nous croyons conforme à Notre charge pas­to­rale de sti­muler aus­si les âmes à aimer ce Corps mys­tique d’une cha­ri­té si ardente qu’elle se tra­duise non seule­ment en pen­sées et en paroles, mais aus­si en œuvres. Si, en effet, les fidèles de l’Ancienne Loi ont pu chan­ter ceci de leur cité ter­restre : « Si jamais je t’oublie, Jéru­salem, que ma main droite soit livrée à l’oubli ; que ma langue se des­sèche dans ma gorge si je ne me sou­viens plus de toi, si je ne fais pas de Jérusalem la pre­mière de mes joies » (Ps., cxxx­vi, 5–6), avec com­bien plus de fier­té et d’allégresse ne devons-​nous pas exul­ter d’habiter une Cité bâtie de pierres vivantes et élues, sur la mon­tagne sainte, « avec le Christ Jésus comme pierre d’angle su­prême » (Eph., il, 20 ; I Pierre, ii, 4–5).

On ne peut rien conce­voir, en effet, de plus glo­rieux, de plus noble, de plus hono­rable que d’appartenir à l’Eglise sainte, catho­lique, apos­to­lique et romaine, par laquelle nous deve­nons les mem­bres d’un Corps si saint, nous sommes diri­gés par un Chef si sublime, nous sommes péné­trés par un seul Esprit divin ; enfin, nous sommes nour­ris, en ce ter­restre exil, d’une seule doc­trine et d’un seul Pain céleste jusqu’à ce que fina­le­ment nous allions pren­dre part à une seule et éter­nelle béa­ti­tude dans les cieux.

… d’un amour total

Mais afin de n’être pas trom­pé par l’ange de ténèbres trans­figuré en ange de lumière (cf. ii Cor., xi, 14), que ceci soit la suprême loi de notre amour : aimer l’Epouse du Christ telle que le Christ l’a vou­lue et l’a acquise de son sang. Il faut donc que nous soient très chers, non seule­ment les sacre­ments dont nous sommes nour­ris par cette pieuse Mère, non seule­ment les solen­ni­tés où elle nous console et nous réjouit, les chants sacrés et les rites litur­giques par les­quels elle élève nos âmes vers les choses du ciel, mais encore les sacra­men­taux et tous ces dif­fé­rents exer­cices de pié­té par les­quels elle pénètre sua­ve­ment de l’Esprit du Christ et console l’âme des fidèles. Nous avons le devoir non seule­ment de répondre, en bons fils, à son affec­tion mater­nelle, mais aus­si de révé­rer en elle l’auto­rité reçue du Christ qui assu­jet­tit nos intel­li­gences à l’obéis­sance du Christ (cf. II Cor., x, 5) ; nous devons enfin obéir à ses lois et à ses pré­ceptes moraux par­fois assez pénibles à notre nature déchue de l’innocence pre­mière ; de même, domp­ter notre corps rebelle par une péni­tence volon­taire ; bien plus, il nous est recom­mandé de nous inter­dire par­fois des plai­sirs qui n’ont par ailleurs rien de cou­pable. Et il ne suf­fit pas d’aimer ce Corps mys­tique en rai­son du Chef divin et des célestes pri­vi­lèges qui en font la gloire ; il faut l’aimer éga­le­ment, d’une ardeur effi­cace, tel qu’il se mani­feste dans notre chair mor­telle, consti­tué comme il l’est d’éléments humains et débiles, même si par­fois ceux-​ci sont indignes de la place qu’ils occupent dans ce Corps vénérable.

… qui nous fasse voir le Christ dans l’Eglise

Or, pour que cet amour entier et total réside en nos âmes et croisse de jour en jour, nous devons nous accou­tu­mer à voir dans l’Eglise le Christ en per­sonne. C’est le Christ, en effet, qui vit dans son Eglise, c’est lui qui par elle enseigne, gou­verne et com­mu­nique la sain­te­té ; c’est le Christ aus­si qui se mani­feste de façon diverse dans les divers membres de sa socié­té. Dès lors donc que les chré­tiens s’efforceront de vivre réel­le­ment de ce vivant esprit de foi, non seule­ment ils accor­de­ront l’honneur et la sou­mis­sion qui leur sont dus aux membres les plus éle­vés de ce Corps mys­tique, à ceux-​là notam­ment qui par ordre du Chef divin auront un jour à rendre compte de nos âmes (cf. Hébr., xiii, 17), mais ils affec­tion­ne­ront aus­si ceux pour les­quels notre Sauveur a éprou­vé un amour très par­ti­cu­lier : nous vou­lons dire les infirmes, les bles­sés, les malades, qui réclament des soins maté­riels ou spi­ri­tuels ; les enfants dont l’innocence se trouve aujourd’hui si faci­le­ment en péril et dont l’âme déli­cate se modèle comme la cire ; les pauvres, enfin, en qui l’on doit, tan­dis qu’on les secourt, recon­naître avec une souve­raine pitié la per­sonne même de Jésus-Christ.

En effet, l’Apôtre a bien rai­son de nous en aver­tir : « Bien plu­tôt, les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont les plus néces­saires, et ceux que nous tenons pour les moins hono­rables du corps sont ceux que nous entou­rons de plus de pré­cau­tions » (I Cor., xii, 22–23). Affirmation très grave que pré­sen­te­ment, cons­cient de l’obligation impé­rieuse qui Nous incombe, Nous esti­mons devoir répé­ter, tan­dis qu’avec une pro­fonde afflic­tion Nous voyons les êtres dif­formes, déments ou affec­tés de mala­dies héré­di­taires, comme un far­deau impor­tun pour la socié­té, pri­vés par­fois de la vie ; et cette conduite est exal­tée par cer­tains comme s’il s’agissait d’une nou­velle inven­tion du pro­grès humain, tout à fait conforme à l’utilité géné­rale. Or, quel homme de cœur ne com­prend pas qu’elle s’oppose vio­lem­ment non seule­ment à la loi natu­relle et divine [60]ins­crite au cœur de tous, mais aus­si au sen­ti­ment de tout homme civi­li­sé ? Le sang de ces êtres, plus chers à notre Rédempteur pré­cisément parce qu’ils sont dignes de plus de com­mi­sé­ra­tion, « crie de la terre vers Dieu » (cf. Gen., iv, 10).

Imitons l’amour du Christ envers l’Eglise

Mais pour que ne s’affaiblisse point peu à peu cet amour sin­cère par lequel nous devons dis­cer­ner notre Sauveur dans l’Eglise et ses membres, il est très oppor­tun de consi­dé­rer Jésus lui-​même comme modèle suprême d’amour envers l’Eglise.

a) Amour universel.

Et d’abord imi­tons l’immensité de cet amour. Unique est assu­rément l’Epouse du Christ, l’Eglise ; cepen­dant, l’amour du divin Epoux s’étend si lar­ge­ment que, sans exclure per­sonne, il embrasse dans son Epouse le genre humain tout entier. Si notre Sauveur a répan­du son sang, c’est afin de récon­ci­lier avec Dieu sur la croix tous les hommes, fussent-​ils sépa­rés par la nation et le sang, et de les faire s’unir en un seul Corps. Le véri­table amour de l’Eglise exige donc non seule­ment que nous soyons dans le Corps lui-​même membres les uns des autres, pleins de mutuelle sol­li­ci­tude (cf. Rom., xii, 5 ; i Cor., xii, 25), membres qui doivent se réjouir quand un autre membre est à l’honneur et souf­frir avec lui quand il souffre (cf. I Cor., xii, 26) ; mais il exige aus­si que dans les autres hommes non encore unis avec nous dans le Corps de l’Eglise nous sachions recon­naître des frères du Christ selon la chair, appe­lés avec nous au même salut éter­nel. Sans doute, il ne manque pas de gens, hélas ! aujourd’hui sur­tout, qui vantent orgueilleu­se­ment la lutte, la haine et la jalou­sie comme moyens de sou­le­ver, d’exalter la digni­té et la force de l’homme. Mais nous, qui dis­cer­nons avec dou­leur les fruits lamen­tables de cette doc­trine, sui­vons notre Roi paci­fique, qui nous a ensei­gné non seule­ment à aimer ceux qui n’appartiennent pas à la même nation ou à la même ori­gine (cf. Luc, x, 33–37), mais à ché­rir nos enne­mis eux-​mêmes (cf. Luc, vi, 27–35 ; Matth., v, 44–48). L’âme péné­trée de la suave doc­trine de l’Apôtre des nations, célé­brons avec lui la lon­gueur, la lar­geur, la hau­teur et la pro­fon­deur de l’amour du Christ (cf. Eph., iii, 18) ; amour que la diver­si­té de peuples ou de mœurs ne peut bri­ser, que l’immense éten­due de l’océan ne peut dimi­nuer, que les guerres, enfin, entre­prises pour une cause juste ou injuste, ne peuvent désagréger.

En cette heure si grave, Vénérables Frères, où tant de dou­leurs déchirent les corps et tant de tris­tesses les âmes, il nous faut tous nous haus­ser à cet amour sur­na­tu­rel afin que, les forces de tous les gens de bien une fois asso­ciées – et nous son­geons spé­cia­le­ment à ceux qui tra­vaillent dans les socié­tés de secours de tout genre – l’on sub­vienne à de si grandes néces­si­tés spi­ri­tuelles et maté­rielles dans une admi­rable ému­la­tion d’affection et de misé­ri­corde ; c’est ain­si que la libé­ra­li­té géné­reuse et l’inépuisable fécon­di­té du Corps mys­tique de Jésus-​Christ res­plen­di­ront dans le monde entier.

b) Amour empressé.

Mais puisque à l’ampleur de l’amour dont le Christ a ché­ri l’Eglise répond la constance active de ce même amour, aimons, nous aus­si, de la même volon­té per­sé­vé­rante et empres­sée, le Corps mys­tique du Christ. Or, il n’est aucun moment dans la vie de notre Rédempteur où il n’ait tra­vaillé jusqu’à s’épuiser de fatigue, encore qu’il fût le Fils de Dieu, pour fon­der son Eglise et l’affermir : depuis son Incarnation, alors qu’il jetait les pre­mières bases de l’Eglise, jusqu’au terme de sa course mor­telle, par les exemples les plus res­plen­dis­sants de sa sain­te­té, par sa pré­di­ca­tion, ses conversa­tions, ses appels, ses ins­ti­tu­tions. Nous dési­rons donc que tous ceux qui recon­naissent l’Eglise pour mère consi­dèrent atten­ti­ve­ment que non seule­ment les ministres des autels et ceux-​là qui se sont con­sacrés au ser­vice de Dieu dans la vie reli­gieuse, mais tous les autres membres du Corps mys­tique de Jésus-​Christ, cha­cun pour sa part, ont le devoir de tra­vailler avec éner­gie et dili­gence à l’édification et à l’accroissement de ce Corps. Nous sou­hai­tons voir y prê­ter une atten­tion par­ti­cu­lière – ce que d’ailleurs ils font de manière louable – ceux qui, mili­tant dans les rangs de l’Action catho­lique, colla­borent avec les évêques et les prêtres dans l’apostolat ; et ceux-​là aus­si qui dans de pieuses asso­cia­tions apportent leur aide à la même fin. Qui ne voit, en effet, que l’industrieuse acti­vi­té de tous ces chré­tiens dans les cir­cons­tances pré­sentes est du plus haut inté­rêt et de la plus grande importance ?

c) Amour qui prie.

Nous ne sau­rions non plus pas­ser ici sous silence les pères et mères de famille à qui notre Sauveur a confié les membres les plus tendres de son Corps mys­tique ; Nous les pres­sons ins­tam­ment pour l’amour du Christ et de l’Eglise de veiller avec le soin le plus dili­gent sur les enfants qui leur sont remis en dépôt et de les mettre en garde contre les embûches de tout genre dans les­quelles il est aujourd’hui si facile de tomber.

Notre Rédempteur a mani­fes­té l’amour brû­lant qu’il por­tait à son Eglise spé­cia­le­ment par les pieuses sup­pli­ca­tions qu’il adres­sa pour elle à son Père céleste. Tout le monde sait, Vénérables Frères – et Nous Nous conten­tons de le rap­pe­ler – que, peu avant de subir le sup­plice de la croix il adres­sa les prières les plus ardentes pour Pierre (cf. Luc, xxii, 32), pour les autres apôtres (cf. Jean, xvii, 9–19), pour tous ceux, enfin, qui devaient croire en lui grâce à la pré­di­ca­tion de la parole de Dieu (cf. Jean, xvii, 20–23). Nous aus­si, à l’exemple du Christ, sup­plions chaque jour le Seigneur de la mois­son d’envoyer des ouvriers dans son champ (cf. Matth., ix, 38 ; Luc, x, 2) ; chaque jour, notre com­mune sup­pli­ca­tion doit s’élever vers le ciel et recom­man­der tous les membres du Corps mys­tique : d’abord les évêques aux­quels est confié le soin par­ti­cu­lier de chaque dio­cèse ; ensuite les prêtres, les reli­gieux et reli­gieuses qui, appe­lés au ser­vice de Dieu dans leur propre pays ou dans les terres païennes, défendent, accroissent, dilatent le royaume du divin Rédempteur. Que cette com­mune sup­pli­ca­tion n’oublie aucun membre de ce Corps véné­rable ; qu’elle se sou­vienne spé­cia­le­ment de ceux qu’accablent les dou­leurs et les angoisses de ce séjour ter­restre ou que puri­fie après leur mort le feu expia­toire. Qu’elle n’omette point non plus ceux qui s’initient à la doc­trine chré­tienne afin qu’au plus tôt ils puissent être sanc­ti­fiés par l’eau du baptême.

Pour les membres de l’Eglise.

Et Nous dési­rons ins­tam­ment que ces prières com­munes visent aus­si dans un ardent amour ceux qui ne seraient pas encore éclai­rés de la véri­té de l’Evangile ni entrés dans le ber­cail de l’Eglise, ou qui, pour avoir mal­heu­reu­se­ment bri­sé l’unité de la foi, se trouvent sépa­rés de Nous, qui mal­gré Notre indi­gni­té repré­sen­tons ici-​bas la per­sonne de Jésus-​Christ. Aussi répétons-​Nous la divine prière de notre Sauveur à son Père céleste : « Qu’ils soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi et moi en toi, afin qu’eux aus­si soient un en nous ; pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean, xvii, 21).

Pour ceux qui ne sont pas encore ses membres.

Pour ceux-​là mêmes qui n’appartiennent pas à l’organisme visible de l’Eglise, vous savez bien, Vénérables Frères, que, dès le début de Notre pon­ti­fi­cat Nous les avons confiés à la pro­tec­tion et à la conduite du Seigneur, affir­mant solen­nel­le­ment qu’à l’exemple du Bon Pasteur Nous n’avions qu’un seul désir : qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abon­dance [61]. Cette assu­rance solen­nelle Nous dési­rons la renou­ve­ler, après avoir implo­ré les prières de toute l’Eglise dans cette lettre ency­clique où Nous avons célé­bré la louange du « grand et glo­rieux Corps du Christ » [62], les invi­tant tous et cha­cun de toute Notre affec­tion à céder libre­ment et de bon cœur aux impul­sions intimes de la grâce divine et à s’efforcer de sor­tir d’un état où nul ne peut être sûr de son salut éter­nel [63] ; car, même si par un cer­tain désir et sou­hait incons­cient ils se trouvent ordon­nés au Corps mys­tique du Rédempteur, ils sont pri­vés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catho­lique. Qu’ils entrent donc dans l’unité catho­lique et que, réunis avec Nous dans le seul orga­nisme du Corps de Jésus-​Christ, ils accourent tous vers le Chef unique en une très glo­rieuse socié­té d’amour [64]. Sans jamais inter­rompre Nos prières à l’Esprit d’amour et de véri­té, Nous les atten­dons les bras grands ouverts, comme des hommes qui se pré­sentent à la porte, non d’une mai­son étran­gère, mais de leur propre mai­son paternelle.

Mais si Nous dési­rons que monte vers Dieu la com­mune suppli­cation de tout le Corps mys­tique afin que toutes les bre­bis errantes rejoignent au plus tôt l’unique ber­cail de Jésus-​Christ, Nous décla­rons pour­tant qu’il est abso­lu­ment néces­saire que cela se fasse libre­ment et de plein gré, puisque per­sonne ne croit sans le vou­loir [65]. C’est pour­quoi, s’il en est qui, sans croire, sont en réa­li­té contraints à entrer dans l’édifice de l’Eglise, à s’approcher de l’autel et à rece­voir les sacre­ments, ceux-​là, sans aucun doute, ne deviennent pas de vrais chré­tiens [66] ; car la foi « sans laquelle on ne peut plaire à Dieu » (Hébr., xi, 6) doit être un « libre hom­mage de l’intelli­gence et de la volon­té » [67]. Si donc il arrive par­fois que, contraire­ment à la doc­trine constante du Siège apos­to­lique [68], quelqu’un soit ame­né mal­gré lui à embras­ser la foi catho­lique, Nous ne pou­vons Nous empê­cher, conscient de Notre devoir, de réprou­ver un tel pro­cédé. Car, étant don­né que les hommes jouissent d’une volon­té libre et peuvent, sous l’impulsion des pas­sions et des convoi­tises mau­vaises abu­ser de leur liber­té, il est néces­saire que le Père des lumières, par l’Esprit de son Fils bien-​aimé, les attire effi­ca­ce­ment à la véri­té. Que si beau­coup, hélas ! errent encore loin de la véri­té catho­lique et ne veulent pas céder au souffle de la grâce divine, la rai­son en est que non seule­ment eux-​mêmes [69], mais les chré­tiens éga­le­ment, n’adressent pas à Dieu à cette fin des prières plus fer­ventes. Nous exhor­tons donc ins­tam­ment tous ceux qui brûlent d’amour pour l’Eglise à s’y appli­quer sans cesse, à l’exemple du divin Rédempteur.

Pour les chefs.

Bien plus, sur­tout dans les conjonc­tures pré­sentes, il semble non seule­ment oppor­tun, mais néces­saire, d’adresser à Dieu des prières ardentes pour les rois et les princes et pour tous ceux qui, pré­po­sés au gou­ver­ne­ment des peuples, peuvent aider l’Eglise en lui accor­dant la pro­tec­tion exté­rieure, afin que tout ren­trant dans l’ordre, « la paix œuvre de la jus­tice » (Is., xxxii, 17), au souffle de l’amour divin, sur­gisse pour le genre humain fati­gué des flots affreux de cette tem­pête, et que notre Mère la sainte Eglise puisse mener une vie pai­sible et tran­quille en toute pié­té et hon­nê­te­té (cf. I Tim., ii, 2). Il faut deman­der à Dieu que tous ceux qui comman­dent aux peuples aiment la sagesse (cf. Sag., vi, 23), de telle façon que ce grave ver­dict du Saint-​Esprit ne les atteigne jamais : « Le Très-​Haut exa­mi­ne­ra vos cœurs et son­de­ra vos pen­sées, parce que, étant les ministres de sa royau­té, vous n’avez pas jugé avec droi­ture, ni obser­vé la loi de la jus­tice ni mar­ché selon la volon­té de Dieu. D’une façon ter­rible et sou­daine vous com­pren­drez qu’un juge­ment très sévère s’exercera sur ceux qui com­mandent. Car aux petits on par­donne par pitié, mais les puis­sants sont puis­sam­ment châ­tiés. Dieu, en effet, ne céde­ra devant per­sonne et ne res­pec­te­ra nulle gran­deur, parce qu’il a créé lui-​même le petit et le grand et prend éga­le­ment soin de tous ; mais aux plus puis­sants est réser­vé un tour­ment plus rigou­reux. C’est donc à vous, ô rois, que s’adressent mes dis­cours, afin que vous appre­niez la sagesse et ne veniez à tom­ber » (Sag., vi, 4–10).

d) Amour qui souffre et qui répare.

Mais ce n’est pas seule­ment par son tra­vail inces­sant et sa prière constante que le Christ Notre-​Seigneur a mani­fes­té son amour envers son Epouse imma­cu­lée, c’est aus­si par les dou­leurs et les angoisses qu’il vou­lut de plein gré et amou­reu­se­ment endu­rer pour elle. « Comme il avait aimé les siens… Il les aima jusqu’à la fin » (Jean, xiii, 1). Et il ne s’est acquis l’Eglise que par son propre sang (cf. Actes, xx, 28). Acceptons donc de mar­cher sur les traces san­glantes de notre Roi, comme le réclame la sécu­ri­té de notre salut : « Si, en effet, nous lui avons été unis pour croître avec lui en repro­dui­sant sa mort, nous le serons aus­si pour repro­duire sa résur­rection » (Rom., vi, 5), et « si nous sommes morts avec lui, nous vivrons avec lui » (II Tim., ii, 11). C’est ce que requiert éga­le­ment la véri­table et active cha­ri­té envers l’Eglise comme envers les âmes qu’elle enfante au Christ. En effet, quoique notre Sauveur, par ses cruels tour­ments et sa mort dou­lou­reuse, ait méri­té à son Eglise un tré­sor de grâces abso­lu­ment infi­ni, cepen­dant par un des­sein de la Providence divine, ces grâces ne nous sont com­mu­ni­quées que par degrés, et leur abon­dance plus ou moins grande dépend lar­ge­ment de nos bonnes actions, qui obtiennent spon­ta­né­ment de Dieu pour les hommes la rosée des faveurs célestes. Or, cette pluie de grâces célestes sera cer­tai­ne­ment très abon­dante si non contents d’offrir à Dieu d’ardentes prières, notam­ment en par­ti­ci­pant pieu­se­ment, même chaque jour s’il est pos­sible, au Sacrifice eucha­ris­tique, non contents de nous effor­cer par les devoirs de la cha­ri­té chré­tienne de sou­la­ger les infor­tunes de tant d’indigents, nous pré­fé­rons aux inté­rêts pas­sa­gers du monde les biens impé­ris­sables, si nous maî­tri­sons ce corps mor­tel par la péni­tence volon­taire en lui refu­sant les plai­sirs défen­dus, en le trai­tant même avec sévé­ri­té et aus­té­ri­té ; si, enfin, nous accep­tons hum­ble­ment comme de la main de Dieu les tra­vaux et souf­frances de la vie pré­sente. Ainsi, selon l’Apôtre, « nous com­pléterons ce qui manque à la pas­sion du Christ dans notre chair pour son Corps qui est l’Eglise » (cf. Col., i, 24).

Tandis que Nous écri­vons, Nous avons sous les yeux la multi­tude, hélas ! presque infi­nie des mal­heu­reux, sur qui Nous pleu­rons dou­lou­reu­se­ment : les infirmes, les pauvres, les muti­lés, et tant de gens qu’à cause de leurs propres souf­frances ou de celles des leurs il n’est pas rare de voir s’épuiser jusqu’à mou­rir. Nous invi­tons donc pater­nel­le­ment tous ceux qui pour quelque motif que ce soit se trouvent dans la tris­tesse et l’angoisse à regar­der le ciel avec confiance et à offrir leurs peines à Celui qui un jour leur accor­de­ra en retour une abon­dante récom­pense. Que tous se sou­viennent que leur souf­france n’est point vaine, mais qu’elle leur sera très avan­tageuse à eux-​mêmes et à l’Eglise si, les regards tour­nés vers le but, ils la sup­portent avec patience. A réa­li­ser effi­ca­ce­ment ce des­sein con­court très par­ti­cu­liè­re­ment l’offrande quo­ti­dienne de soi-​même à Dieu telle que la pra­tiquent les membres de la pieuse asso­cia­tion appe­lée Apostolat de la Prière, asso­cia­tion que Nous avons à cœur de recom­man­der spé­cia­le­ment ici comme très agréable à Dieu.

Si à toute époque nous devons asso­cier nos souf­frances à celles du divin Rédempteur pour pro­cu­rer le salut des âmes, que tous aujour­d’hui plus que jamais s’en fassent un devoir, tan­dis que la gigan­tesque confla­gra­tion de la guerre embrase la terre presque entière et engendre tant de morts, tant de misères, tant de détresses ; que tous aujourd’hui se fassent un devoir de renon­cer aux vices, aux séduc­tions du monde, aux plai­sirs effré­nés du corps, ain­si qu’à la vani­té et à la futi­li­té des biens de la terre qui ne servent de rien pour la for­ma­tion chré­tienne de l’esprit, de rien pour la conquête du ciel. Nous devons bien plu­tôt gra­ver en nos intel­li­gences les paroles si auto­ri­sées de Notre immor­tel pré­dé­ces­seur Léon le Grand quand il affir­mait que par le bap­tême nous étions deve­nus la chair du Cru­cifié [70] et la splen­dide prière de saint Ambroise : « Porte-​moi, ô Christ, sur la croix qui est le salut des éga­rés, en laquelle seule se trouvent le repos de ceux qui sont fati­gués et la vie de ceux qui meurent » [71].

Avant de ter­mi­ner, Nous ne pou­vons Nous rete­nir d’exhorter à nou­veau tous les chré­tiens à ché­rir leur Mère la sainte Eglise d’un amour empres­sé et actif. Pour sa sécu­ri­té et son déve­lop­pe­ment de plus en plus heu­reux, offrons chaque jour au Père éter­nel nos prières, nos tra­vaux et nos angoisses, si vrai­ment nous avons à cœur le salut de l’universelle famille humaine rache­tée par le sang divin. Et tan­dis que le ciel s’assombrit de nuages char­gés d’éclairs et que de grands périls menacent la com­mu­nau­té humaine tout entière et l’Eglise elle-​même, confions-​nous, ain­si que tous nos inté­rêts, au Père des misé­ri­cordes en lui adres­sant cette prière : « Abaissez vos regards, nous vous en prions, Seigneur, sur votre famille pour laquelle Notre-​Seigneur Jésus-​Christ n’a pas hési­té à se livrer aux mains des impies et à subir le sup­plice de la croix » [72].

Épilogue – La Bienheureuse Vierge Marie, Mère des membres du Christ

Puisse la Vierge, Mère de Dieu, Vénérables Frères, réa­li­ser Nos vœux, qui sont assu­ré­ment aus­si les vôtres et nous obte­nir à tous le véri­table amour envers l’Eglise ! Puisse nous exau­cer la Vierge Mère dont l’âme très sainte fut, plus que toutes les autres créa­tures de Dieu réunies, rem­plie du divin Esprit de Jésus-​Christ ; elle qui accep­ta « à la place de la nature humaine tout entière » qu’« un mariage spi­ri­tuel unît le Fils de Dieu et la nature humaine » [73]. Ce fut elle qui, par un enfan­te­ment admi­rable, don­na le jour au Christ Notre-​Seigneur, source de toute vie céleste et déjà revê­tu en son sein vir­gi­nal de la digni­té de Chef de l’Eglise ; ce fut elle qui le pré­sen­ta nouveau-​né aux pre­miers d’entre les Juifs et les païens qui étaient venus l’adorer comme Prophète, Roi et Prêtre. En outre, son Fils unique, cédant à ses mater­nelles prières, à Cana de Galilée, opé­ra le miracle mer­veilleux par lequel « ses dis­ciples crurent en lui » (Jean, ii, 11). Ce fut elle qui, exempte de toute faute per­son­nelle ou héré­di­taire, tou­jours très étroi­te­ment unie à son Fils, le pré­sen­ta sur le Golgotha au Père éter­nel, en y joi­gnant l’holocauste de ses droits et de son amour de mère, comme une nou­velle Eve, pour tous les fils d’Adam qui portent la souillure du péché ori­gi­nel ; ain­si Celle qui cor­po­rel­le­ment était la Mère de notre Chef devint spi­ri­tuel­le­ment la Mère de tous ses membres, par un nou­veau titre de souf­france et de gloire. Ce fut elle qui obtint par ses prières très puis­santes que l’Esprit du divin Rédempteur, déjà don­né sur la croix, fût commu­niqué le jour de la Pentecôte en dons mira­cu­leux à l’Eglise qui venait de naître. Ce fut elle enfin, qui, en sup­por­tant ses immenses dou­leurs d’une âme pleine de force et de confiance, plus que tous les chré­tiens, vraie Reine des mar­tyrs, « com­plé­ta ce qui man­quait aux souf­frances du Christ… pour son Corps qui est l’Eglise » (Col., i, 24) ; elle qui entou­ra le Corps mys­tique du Christ, né du Cœur per­cé de notre Sauveur[74], de la même vigi­lance mater­nelle et du même amour empres­sé avec les­quels elle avait réchauf­fé et nour­ri de son lait l’Enfant Jésus de la crèche.

Supplions donc la très Sainte Mère de tous les membres du Christ [75] au Cœur imma­cu­lé de laquelle Nous avons consa­cré avec confiance tous les hommes et qui main­te­nant au ciel res­plen­dit dans la gloire de son corps et de son âme et règne avec son Fils, de mul­ti­plier ses ins­tances auprès de lui pour que les plus abon­dants ruis­seaux de grâces découlent sans inter­rup­tion de la Tête dans tous les membres du Corps mys­tique et que son patro­nage très effi­cace pro­tège l’Eglise aujourd’hui comme jadis et lui obtienne enfin de Dieu ain­si qu’à l’universelle com­mu­nau­té humaine des temps plus tranquilles.

Forts de cet espoir d’en haut, comme gage des grâces célestes et témoi­gnage de Notre par­ti­cu­lière bien­veillance, Nous accor­dons de tout Notre cœur, à cha­cun d’entre vous, Vénérables Frères, et aux trou­peaux confiés à vos soins, la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1943, Edition Saint-​Augustin Saint-​Maurice, – D’après le texte latin des A. A. S., XXXV, 1943, p. 193 ; tra­duc­tion fran­çaise publiée offi­ciel­le­ment à Rome par l’Imprimerie poly­glotte Vaticane. Les titres et sous-​titres ont été ajou­tés d’après l’index ana­ly­tique des A. A. S. eux-​mêmes, (vol. XXXV, p. 436).

Notes de bas de page
  1. Session III : Const. de fide cath., c. 4.[]
  2. Cf. Concile du Vatican, Const. de Eccl., prol.[]
  3. Cf. ibid., Const. de fide cath., c. I.[]
  4. 29 juin 1896. Cf. A. S. S., XXVIII, p. 710.[]
  5. S. Augustin, Epist. CLVII, III, 22 ; Migne, P. L., XXXIII, 686.[]
  6. S. Augustin, Serm. CXXXVII, 1 ; Migne, P. L., XXXVIII, 754.[]
  7. Encycl. Divinum illud, du 9 mai 1897 ; A. S. S., XXIX, p. 649.[]
  8. S. Ambroise, In Luc. II, 87 ; Migne, P. L., XV, 1585.[]
  9. Cf. S. Thomas, Ia IIæ, q. 103, a. 3 ad 2.[]
  10. S. Léon le Grand, Serin. LXVIII, 3 ; Migne, P. L., LIV, 374.[]
  11. Cf. S. Jérôme et S. Augustin, Epist. CXII, 14, et CXVI, 16 ; Migne, P. L., XXII, 924 et 943 ; S. Thomas, Ia IIæ, q. 103, a. 3 ad 2 ; a. 4 ad 1 ; Concile de Florence : décret pro Jacob. : Mansi, XXXI, 1738.[]
  12. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 42, a. 1.[]
  13. Cf. De pecc. orig., XXV, 29 ; Migne, P. L.. XLIV, 400.[]
  14. Cf. S. Cyrille d’Alexandrie, Comm. in Iob. I, 4 ; Migne, P. G., LXXXIII, 69 ; S. Thomas q. 20, a. 4 ad 1.[]
  15. Hexaëm., VI, 55 ; Migne, P. L., 265.[]
  16. Cf. S. Augustin, De Agon. Christ. XX, 22 ; Migne, P. L., XL, 301.[]
  17. Cf S. Thomas, Ia, q. 22, a. 1–4.[]
  18. Cf. Léon XIII, Satis cogni­tum, 29 juin 1896 ; A. S. S., XXVIII, p. 725.[]
  19. 18 novembre 1302 ; Cf. Corp. Iur. Can. ; Extr. comm., I, 8, 1.[]
  20. S. Grégoire le Grand, Moral. XIV, 35, 43 ; Migne, P. L., LXXV, 1062.[]
  21. Cf. Concile du Vatican, Const. de Eccl., sess. IV, III.[]
  22. Cf. Code de Droit can., can. 329, I.[]
  23. Cf. Ep. ad Eulog., 30 ; Migne, P. L., LXXVII, 933.[]
  24. Comm. in Ep. ad Eph. I, lect. 8 ; Hébr., II, 16–17.[]
  25. Cf. S. Augustin, De cons. evang., I, 35, 54 : Migne, P. L., XXXIV, 1070.[]
  26. Cf. S. Cyrille d’Alexandrie, Ep. LV de Symb. ; Migne, P. G., LXXVII 293.[]
  27. Cf. S. Thomas, IIP, q. 64, a. 3.[]
  28. Cf. De Rom. Pont., I, 9 ; De Concil., II, 19.[]
  29. Cf. S. Grégoire de Nysse, De vita Moysis ; Migne, P. G., XLIV, 385.[]
  30. Cf. Serm. CCCLIV, I ; Migne, P. L., XXXIX, 1563.[]
  31. Cf. Léon XIII, Sapientiae chris­tia­nae, 10 jan­vier 1890 ; A. S. S., vol. XXII, 392 ; Satis cogni­tum, 28 juin 1896, ibid., XXVIII, 710.[]
  32. 9 mai 1897, A. S. S., vol. XXIX, p. 650.[]
  33. Cf. S. Ambroise, De Elia et ieiun., X, 36–37 et In Psalm. CXVIII, serm. XX, 2 ; Migne P. L., XIV, 710 et XV, 1483.[]
  34. Enarr. in Ps. LXXXV, 5 ; Migne, P. L., XXXVII, 1085.[]
  35. Clément d’Alexandrie, Stromata, VII, 2 ; Migne, P. G., IX, 413.[]
  36. Pie XI, Divini Redemptoris, du 19 mars 1937 ; A. A. S., 1937, p. 80.[]
  37. De Veritate, q. 29, a. 4, c.[]
  38. Cf. Léon XIII, Sapientiae chris­tia­nae, 10 jan­vier 1890 ; A. S. S., vol. XXII, p. 392.[]
  39. Cf. Léon XIII, Satis cogni­tum ; A. S. S., vol. XXVIII, p. 724.[]
  40. Cf. ibid., p. 710.[]
  41. Cf. ibid., p. 710.[]
  42. Cf. ibid., p. 710.[]
  43. S. Thomas, De Veritate, q. 29, a. 4 ad 3.[]
  44. Concile du Vatican, Sess. IV, Const. dogm. de Eccl., prol.[]
  45. Concile du Vatican, Sess. III, Const. de fide cath., c. III.[]
  46. Cf. Concile du Vatican, Sess. III, Const. de fide catho­li­ca, c. III.[]
  47. Serm. XXI, 3 ; Migne, P. L., LIV, 192–193.[]
  48. Cf. S. Augustin, Contra Faust., XXI, 8 ; Migne, P. L., XLII, 392.[]
  49. Cf. Enarr. in Ps. XVII, 51 et XC, II, 1 ; Migne, P. L., XXXVI, 154 et XXXVII, 1159[]
  50. Serm. XXIX ; Migne, P. L., LVII, 594.[]
  51. Cf. S. Thomas, Comm. in Ep. ad Eph., c. II, lect. 5.[]
  52. S. Thomas, Comm. in Ep. ad Eph., c. 1er, lect. 8.[]
  53. Cf. S. Thomas, Ia, q. 43, a. 3.[]
  54. Sess. III, Const. de fide cath., c. IV.[]
  55. Cf. Divinum illud du 9 mai 1897 ; A. S. S., vol. XXIX, p. 653.[]
  56. Didachè, IX, 4 ; cf. Billmeyer, Die apos­to­li­schen Väter, 1924, p. 6.[]
  57. Expos. Evang. sec. Luc. IV, 49 ; Migne, P. L., XV, 1626.[]
  58. S. Thomas, IIa IIae, q. 83, a. 5 et 6.[]
  59. Cf. S. Thomas, De Veritate, q. 29, a. 4. c.[]
  60. Cf. Décret Saint-​Office, 2 déc. 1940 ; A. A. S., 1940, p. 553. Ce décret du Saint-​Office dit qu’il est contraire au droit natu­rel et au droit divin posi­tif de tuer, par ordre de l’autorité publi­que, les per­sonnes inno­centes de tout crime, mais qui sont malades mora­le­ment ou phy­si­que­ment, et de ce chef, inutiles et à charge à la nation. C’est le nazisme alle­mand qui sou­te­nait et appli­quait la doc­trine contraire. Voir Documents Pontificaux 1940, p. 394.[]
  61. Cf. Encycl. Summi Pontificatus du 20 octobre 1939 ; A. A. S., 1939, p. 419, Documents Pontificaux 1939, p. 271.[]
  62. S. Irénée, Adv. Haer., IV, XXXIII, 7 ; Migne, P. G., VII, 1076.[]
  63. Cf. Pie IX, Iam vos omnes, 13 sep­tembre 1868 ; Actes Concile du Vatican ; C. L., VII, 10.[]
  64. Cf. S. Gélase 1er, Epist. XIV ; Migne, P. L., LIX, 89.[]
  65. Cf. S. Augustin, In Ioan. Ev. tract. XXVI, 2 ; Migne, P. L., XXX, 1607.[]
  66. S. Augustin, ibid.[]
  67. Concile du Vatican, Const. de fide cath., sess. III, c. III.[]
  68. Cf. Léon XIII, Immortale Dei, du 1er novembre 1885 ; A. S. S., vol. XVIII, pp. 174–175. Code Droit Can., c. 1351.[]
  69. Cf. S. Augustin, In Ioan. Ev. tract. XXVI, 2 ; Migne, P. L., XXX, 1607.[]
  70. Cf. Serm. LXI1I, 6 ; LXVI, 3 ; Migne, P. L., LIV, 357 et 366.[]
  71. In Ps. CXVIII, 22, 30 ; Migne, P. L., XV, 1521.[]
  72. Office de la semaine sainte.[]
  73. S. Thomas, IIP, q. XXX, a. 1.[]
  74. Office de la fête du Sacré-​Cœur, hymne des Vêpres.[]
  75. Cf. Pie X, Ad diem ilium, du 2 février 1904 ; A. S. S., vol. XXXVI, p. 453.[]