Le déchaussement du pape dans la mosquée d’Istanbul

Sermon de l’ab­bé de Cacqueray du 3/​12/​2006

Cher Monsieur l’Abbé, Bien chers fidèles,

Nous voi­ci au pre­mier jour de l’Avent, c’est-​à-​dire au pre­mier jour d’une nou­velle année litur­gique ; cette année s’ins­crit devant nous comme une feuille blanche, comme la pre­mière feuille du cahier d’un éco­lier… et l’é­co­lier, devant la pre­mière feuille de son cahier, a encore envie d’é­crire un joli cahier.

Que ce soit bien notre désir à tous au pre­mier jour de cette année litur­gique : écrire une belle année, celle que le Bon Dieu veut que nous écri­vions. Et pour ce pre­mier jour de l’an­née litur­gique, pour­quoi ne pas com­men­cer par nous remé­mo­rer le pre­mier com­man­de­ment de Dieu :

« Je suis le Seigneur ton Dieu ; tu n’au­ras pas d’autre Dieu que moi. »

Pourquoi ne pas nous le remé­mo­rer alors que nous allons, avec les mages en par­ti­cu­lier, nous diri­ger à par­tir d’au­jourd’­hui vers la crèche pour pou­voir ado­rer le Fils de Dieu venu sur la terre ? Pourquoi ne pas rap­pe­ler ce com­man­de­ment que, pré­ci­sé­ment, Dieu a vou­lu voir ins­crit en pre­mier dans les tables qu’il avait dic­tées à Moïse ?

De fait, nous com­pre­nons bien que l’u­ni­ci­té de Dieu rap­pe­lée par ce pre­mier com­man­de­ment, avec cette façon expli­cite dont Dieu dit aux hommes qu’ils ne devront pas avoir d’autres dieux que Lui, se trouve au centre de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té. Lorsque nous consi­dé­rons l’his­toire de l’Ancien Testament, nous voyons que les périodes de pros­pé­ri­té pour le peuple élu de Dieu sont les périodes où il refoule les idoles, tan­dis que les périodes de déca­dence et d’in­va­sions com­mencent à par­tir du moment où il en accepte. C’est ain­si que le Bon Dieu a vou­lu don­ner, dès l’Ancien Testament, le sens de la trans­cen­dance de Sa Personne et nous voyons dans le Nouveau Testament com­bien ce res­pect, cette révé­rence et cette ado­ra­tion de Dieu se sont trou­vés à l’o­ri­gine des plus beaux com­por­te­ments chrétiens.

L’Ancien Testament nous montre Moïse, par­ve­nu au som­met du mont de l’Horeb et qui contemple ce spec­tacle mer­veilleux d’un buis­son qui brûle mais que le feu se révèle impuis­sant à consu­mer. Il se résout à s’ap­pro­cher pour consi­dé­rer cette mer­veille qu’il ne com­prend pas, lorsque le Seigneur l’ap­pelle, du milieu du buis­son, et lui ordonne de ne pas avan­cer davan­tage et d’ô­ter ses sou­liers. Dieu condes­cend à expli­quer à Moïse qu’il doit reti­rer ses chaus­sures parce que ce lieu est une terre sainte : le déchaus­se­ment deve­nait ain­si, par Révélation divine, un geste sacré par­ti­cu­liè­re­ment solen­nel qui expri­mait tout le res­pect et la dépen­dance de la créa­ture humaine à l’é­gard de Dieu. C’est ce geste litur­gique de déchaus­se­ment que l’Eglise a conser­vé en le réser­vant à l’un des moments les plus émou­vants du cycle litur­gique, l’a­do­ra­tion de la Croix dévoi­lée, le ven­dre­di saint.

Ce res­pect, cette révé­rence, cette ado­ra­tion vis-​à-​vis de Dieu est éga­le­ment à l’o­ri­gine, dans le Nouveau Testament, de tant d’actes pous­sés jus­qu’à l’hé­roï­ci­té : chez les chré­tiens des pre­miers siècles en par­ti­cu­lier qui, par cen­taines de mil­liers, par mil­lions, ont ver­sé leur sang parce qu’ils ne vou­laient pas cour­ber la tête devant les idoles. Ils ne vou­laient pas jeter un grain d’en­cens à un autre Dieu que le seul vrai Dieu. Mes bien chers frères, pour­quoi, au milieu de tant d’autres, pour­quoi Saint Polyeucte se trouve-​t-​il aujourd’­hui sur nos autels ? Faut-​il rap­pe­ler les gestes qui lui ont valu cette cou­ronne immor­telle ? Il a cra­ché sur l’Edit de l’empereur Dèce qui deman­dait de sacri­fier aux idoles et il l’a déchi­ré en mor­ceaux. Puis, voyant le peuple qui appor­tait les idoles dans ses bras pour les ado­rer, il les a arra­chées de leurs mains, il les a bri­sées contre terre et les a fou­lées aux pieds. Martyrisé, il a été pla­cé par l’Eglise sur nos autels pour ces gestes.

Pourquoi Saint Pierre MAVIMENE, célé­bré le 21 février, est-​il sur nos autels ? Parce qu’il a dit à des musul­mans qui venaient le voir : « Quiconque n’embrasse pas la foi chré­tienne catho­lique est dam­né comme votre faux pro­phète Mahomet » et il a été mar­ty­ri­sé pour avoir dit ces paroles, il se trouve sur nos autels pour les avoir prononcées !

Aussi nous deman­dons, nous deman­dons avec la gra­vi­té que revêtent ces interrogations

- Comment Saint Polyeucte aurait-​il été accueilli aux deux réunions inter­re­li­gieuses d’Assise ? Qu’aurait dit le Pape Jean-​Paul II si Polyeucte s’é­tait pré­ci­pi­té dans cette église d’Assise où l’on avait juché, pour les boud­dhistes, le boud­dha sur le taber­nacle, afin de ren­ver­ser la sta­tue du boud­dha et de la pié­ti­ner ? Quel aurait été le dia­logue sai­sis­sant entre Saint Polyeucte et le Pape Jean-​Paul II ? Saint Polyeucte n’aurait-​il pas pu dire au Très Saint Père :

« Mais, Très Saint Père, com­ment conci­lier, dans la même reli­gion, les papes qui ont pla­cé les mar­tyrs sur les autels et un pape qui accepte cette réunion inter­re­li­gieuse, cette réunion où le vrai Dieu se trouve entou­ré par les idoles ? »

- Comment Saint Pierre MAVIMENE aurait-​il réagi en voyant le même pape Jean-​Paul II, suc­ces­seur de Pierre, entrer en 2001 dans la mos­quée Omeyyade de Damas, ancienne église catho­lique déro­bée aux chré­tiens par les musul­mans où la Présence réelle a été chas­sée, pour écou­ter réci­ter les lita­nies d’Allah et le grand muf­ti KAFTARO lui dire que « l’Islam est la reli­gion de la fra­ter­ni­té et de la paix » ?

- Comment du haut du ciel, il y a quelques jours, Saint Pierre MAVIMENE a‑t-​il réagi en voyant Benoît XVI réité­rer ce geste et entrer dans la mos­quée bleue d’Istanbul, com­ment a‑t-​il appré­cié le dis­cours du Pape qui a dit que les chré­tiens et les musul­mans, en sui­vant leurs reli­gions res­pec­tives, œuvrent pour la paix ?

- Et Moïse, Moïse, du buis­son de l’Horeb, com­ment a‑t-​il réagi en voyant ce pape se déchaus­ser non pas pour mon­ter sur les cimes de l’Horeb, non pas pour ado­rer la Croix, le ven­dre­di saint, mais pour ren­trer dans une mos­quée, pour ren­trer dans une offi­cine de l’enfer ?

Nous savons bien, mes bien chers frères, que sa visite dans la mos­quée n’est pas celle d’un tou­riste, que Benoît XVI n’est pas venu en Turquie pour y faire du tou­risme. Nous savons bien que la por­tée de sa visite n’est pas une por­tée tou­ris­tique, ni poli­tique mais reli­gieuse, que cette por­tée est incal­cu­lable tout comme son déchaus­se­ment dans ses effets de rela­ti­vi­sa­tion de la Vérité et dans ses effets d’in­dif­fé­rence reli­gieuse. Comme nous pré­fé­rons encore voir notre Seigneur, sur sa Croix, enca­dré par deux bri­gands que par des idoles ! Quelle paix pour­rait être obte­nue dans le monde si ce n’est la paix de N.S.J.C., et quel règne sinon celui de N.S.J.C. sur les nations ?

Alors, mes bien chers frères, nous ne savons pas si ce pape sera celui qui accor­de­ra, qui recon­naî­tra à tous les prêtres le droit de célé­brer la messe de Saint Pie V. Nous avons prié à cette inten­tion, nous conti­nue­rons de le faire, et si le Pape donne ce droit à la Messe, nous lui en serons recon­nais­sants. Mais, si le Pape nous rend la Messe, nous ne pour­rons cer­tai­ne­ment pas oublier en même temps que celui qui nous l’ac­corde est, tout de même, le pape déchaus­sé dans une mos­quée, et que ce pape aura contri­bué à l’immense humi­lia­tion subie par l’Eglise catho­lique aujourd’­hui. Et c’est pour­quoi nous disons à tous ceux qui veulent pous­ser les catho­liques à se jeter dans les bras du pape comme si la crise était finie, c’est pour­quoi nous disons tout spé­cia­le­ment aux prêtres de l’Institut du Bon Pasteur qui clament à leur tour ce dis­cours, qui en sont deve­nus les ténors, qu’ils font un mau­vais tra­vail. Nous serions men­teurs si nous disions que ce pape est tra­di­tio­na­liste. Menteurs si nous disions que la crise doc­tri­nale de l’Eglise est terminée.

Vous savez bien, mes bien chers frères qu’en aucune manière, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X dit que ce pape « déchaux » est déchu. Laissant ces fre­daines faciles aux sédé­va­can­tistes, elle se refuse en revanche à faire croire que ce pape est reve­nu à la Tradition de l’Eglise et que nous pou­vons désor­mais lui faire confiance. Les faits sont là qui nous montrent le contraire et nous serions aveugles si, devant des gestes dra­ma­tiques comme celui qui vient de se pro­duire, nous ne voyions pas, nous ne com­pre­nions pas.

Alors, au cours de cette année litur­gique, dans cette révé­rence qui nous est rap­pe­lée par le pre­mier com­man­de­ment de Dieu, nous conti­nue­rons par Sa Grâce à demeu­rer catho­liques et nous sup­plie­rons pour que les catho­liques ne soient pas éga­rés par des dis­cours trom­peurs, par des confu­sions de l’esprit.

Nous vou­drions qu’avant que ne se ter­mine, comme l’a sug­gé­ré l’Evangile de ce jour, « la cin­quième scène du cin­quième acte », tous puissent dire comme Pauline et à leur tour : « Je vois, je sais, je crois , je suis désa­bu­sée » [1] c’est-​à-​dire, com­pre­nant tout l’hé­roïsme et la sain­te­té de Polyeucte, com­pre­nant que la seule manière d’être vis-​à-​vis de Dieu est de L’adorer et vis-​à-​vis des faux dieux de les refu­ser, nous puis­sions œuvrer tous en faveur de la sainte reli­gion catholique.

Cher Monsieur l’Abbé Beauvais, puisque aujourd’­hui nous célé­brons la fête de votre saint patron, Saint François-​Xavier, qui a dû bap­ti­ser quelques dizaines, quelques cen­taines de mil­liers de per­sonnes, nous deman­dons que l’ar­deur mis­sion­naire de votre saint Patron soit celle de tous vos parois­siens ici à Saint-​Nicolas et nous nous tour­nons vers la Très Sainte Vierge Marie qui écrase de son pied déchaus­sé la tête du démon. Nous embras­sons son pied déchaus­sé et nous lui deman­dons la Grâce qu’a­vec la même force, le pape ait aus­si le cou­rage – il en faut – d’ex­pri­mer la Vérité et l’u­ni­ci­té de la reli­gion catho­lique, de la média­tion de N.S.J.C. : en disant que les autres reli­gions ne sont pas des reli­gions qui ont été vou­lues par Dieu et qu’elles sont là pour brouiller les hommes et les empê­cher d’al­ler à Dieu, que ce sont des reli­gions fausses, des reli­gions qui viennent de l’enfer.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit

Ainsi soit-​il.

Abbé Régis de Cacqueray-​Valménier, Supérieur du District de France

Notes de bas de page
  1. Acte V, Scène V de Polyeucte Martyr (Corneille, 1606–1684)

    Pauline
    « Père bar­bare, achève, achève ton ouvrage,
    Cette seconde hos­tie est digne de ta rage,
    Joins ta fille à ton gendre, ose, que tardes-​tu ?
    Tu vois le même crime, ou la même ver­tu,
    Ta bar­ba­rie en elle a les mêmes matières.
    Mon époux en mou­rant m’a lais­sé ses lumières,
    Son sang dont tes bour­reaux vient de me cou­vrir
    M’a des­sillé les yeux, et me les vient d’ou­vrir.
    Je vois, je sais, je crois, je suis désa­bu­sée,
    De ce bien­heu­reux sang tu me vois bap­ti­sée ;
    Je suis Chrétienne enfin, n’est-​ce point assez dit ?
    Conserve en me per­dant ton rang, et ton cré­dit,
    Redoute l’Empereur, appré­hende Sévère ;
    Si tu ne veux périr, ma perte est néces­saire.
    Polyeucte m’ap­pelle à cet heu­reux tré­pas,
    Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras,
    Mène, mène-​moi voir tes Dieux que je déteste.
    Ils n’en ont bri­sé qu’un, je bri­se­rai le reste
    ,
    On m” y ver­ra bra­ver tout ce que vous crai­gnez,
    Ces foudres impuis­sants qu’en leurs mains vous pei­gnez,
    Et sain­te­ment rebelle aux lois de la nais­sance,
    Une fois envers toi man­quer d’o­béis­sance.
    Ce n’est point ma dou­leur que par là je fais voir,
    C’est la Grâce qui parle, et non le déses­poir.
    Le faut-​il dire encor, Félix ? Je suis Chrétienne !
    Affermis par ma mort ta for­tune et la mienne,
    Le coup à l’un et l’autre en sera pré­cieux,
    Puisqu” il t’as­sure en Terre en m’é­le­vant aux Cieux. »[]

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.