A rebours de l’esprit moderniste qui veut le prêtre et l’assemblée des fidèles animateurs de la liturgie et les exhorte à la créativité, nous croyons que la sainte Messe reçue de la Tradition de l’Eglise ne peut pas plus être touchée que jadis l’Arche d’Alliance. Voyant le châtiment d’Oza, qui voulut retenir celle-ci, se renouveler de nos jours par la faute d’apprentis sorciers aux prétentions audacieuses, nous affirmons que la sainte Messe possède par elle-même une valeur intangible et ne requiert des prêtres que le suivi infiniment respectueux de ses rites antiques et sacrés. Quant aux rarissimes ajouts ou inflexions osés depuis saint Grégoire par quelques papes, nous nous souvenons du luxe de lentes réflexions qui les ont précédés, bien révélateur de l’esprit de Foi et de vénération qui les animait en présence du plus précieux des trésors du Christianisme.
Ainsi, toute immixtion, toute irruption de leur part dans le processus du déroulement liturgique peut se comparer à la tentative d’un artiste pour redessiner le sourire de la Joconde ou d’un écolier cherchant à réécrire les vers de Racine. Et un mal indicible en résulte. Le rite étant à la religion ce qu’est l’A.D.N. à l’être vivant, l’effleurer suffit à provoquer déjà une intense commotion dans les âmes. Or il ne s’est agi de rien de moins, chez les novateurs, que de le passer aux oubliettes pour lui substituer un étonnant spectacle de la célébration de l’Homme. Etonnons-nous encore de la déflagration atomique qui s’est produite et des temps d’humiliation où est entrée l’Eglise !
Nous pensons que l’anarchie liturgique moderne ne provient pas seulement d’un gigantesque contresens de ses fauteurs qui, demeurés hermétiques à l’admirable beauté d’un rite, ont voulu en mettre un autre à sa place : cela aurait déjà été bien assez de fatuité ! Bien plus gravement – pour demeurer ici dans une perspective seulement rituelle- nous constatons surtout le vice d’une pensée dénaturée au point de s’être rendue inapte à saisir l’inviolabilité connaturelle au rite. Il faut finalement comprendre que, sous le couvert de son « changement », nous avons en réalité été les témoins d’une révolution inédite, qui peut au moins revendiquer un néologisme pour se désigner : la déritualisation. Nous entendons par là que l’injection d’une dose de spontanéité, d’initiative laissée au célébrant ou aux fidèles désormais libres « d’en prendre et d’en laisser » interdit, si les mots ont encore un sens, de parler encore de liturgie.
Mais ce cataclysme spirituel n’a-t-il pas suffisamment duré ? A quelles extrémités de déchéance et de disparition faut-il donc que notre religion se trouve réduite pour que les mutilateurs du Saint Sacrifice soient enfin désavoués et que cesse ce cauchemar de bientôt quarante ans ?
C’est pourtant dans ce contexte d’Apocalypse, alors que le pape veut entreprendre un geste pour redonner un peu de liberté à cette messe, qu’épouvantés, nous entendons cette recrudescence de vociférations à son encontre, dont beaucoup sont épiscopales. Quel scandale ! Ils n’ont pas hésité à prêter leurs cathédrales pour que s’y étalent les plus invraisemblables cérémonies admises au nom d’un œcuménisme mortifère. Mais, quand il s’agit de la messe connue dès toujours par les voûtes de leurs églises, les voilà qui se pâment d’indignation à la seule idée qu’elle puisse leur être rendue !
Où faudra-t-il donc en arriver pour que s’ouvrent enfin leurs yeux ? A des églises toujours plus vides, bientôt désertes, tandis que la disparition progressive d’un clergé vieillissant prépare le triomphe des minarets sur nos clochers, laissant l’Islam prendre le relais à la vitesse des petits chevaux arabes pour devenir la première religion sur notre sol ? Craignons que cette génération cléricale ne passe devant l’Histoire pour la fossoyeuse de notre religion.
De notre côté, nous affirmons notre détermination à encourager tout effort entrepris pour amener la libéralisation et la libération de la Messe. Nous n’avons cessé de demander celle-ci, intimement convaincus qu’elle constitue une étape nécessaire vers la fin de l’auto-démolition. Nous avons pourtant bien conscience que cette restitution à l’Eglise de son culte, acte de stricte justice, devra être suivie par une lutte doctrinale indispensable pour que la Royauté Sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en particulier, soit réaffirmée.
Mais nous récusons profondément une position passive en attente d’une sortie de crise advenant d’un seul coup, par un miracle de Dieu, et nous autorisant à nous désintéresser de la situation de l’Eglise. Nous ne nions pas qu’il puisse en être ainsi mais nous n’avons pas le droit de nous fonder sur cette possible intervention directe du Ciel pour éviter la mêlée et conserver nos gants blancs. Nous faisons donc nôtre tout ce qui est catholique et nous ne cesserons pas de soutenir de toutes nos forces tout ce qui ira dans le sens d’une recatholicisation.
C’est pourquoi, croyant que toute la grandeur sacerdotale s’enracine d’abord dans cette humble et parfaite soumission à un rituel, nous pensons que Dieu, l’Eglise et les âmes n’attendent du prêtre, pour le plus grand bien de son humilité, que la communication de l’intégralité de ce trésor. Ses qualités de créateur et d’animateur intéressent peu : les fidèles pourront enfin sortir de la seule inquiétude qui les tenaille vraiment lorsque la messe ne pourra plus être prise en otage par les humeurs ou les charismes des célébrants. Quels qu’ils soient, elle conservera, indépendamment d’eux et pour le plus grand soulagement de tous, son prix inestimable, celui-là justement qui a été versé sur le Calvaire. Et le prêtre comprendra alors que, de peine sacerdotale véritable, il n’en est qu’une seule, à la mesure de l’insoumission ou de l’éloignement de son existence à sa messe.
Elle constitue le Sacrifice parfait, Celui que le Fils a offert à Son Père, Celui qui propulse le Sang rédempteur dans tout le Corps Mystique pour la régénération des tissus épuisés par la longueur de la Crise de l’Eglise. Comment ne pas nous réjouir à la pensée que d’autres prêtres pourraient y revenir ? Nous y voyons l’espérance d’une nouvelle irrigation de toute l’Eglise par le Sang plus abondamment répandu de Notre Seigneur, et nous sommes persuadés que des âmes meurtries par la modernité religieuse, piétinées au fond d’elles-mêmes par une religion qui leur était devenue étrangère, retrouveront ce visage du christianisme qu’elles aimaient encore mais qu’elles avaient perdu.
Nous misons sur le sentiment de fierté d’une jeunesse en mal d’identité qui prendra alors conscience de l’admirable héritage spirituel qu’elle ne connaissait pas.
Nous pensons aux prêtres. Eux aussi pourront se plonger dans ce bain de jouvence liturgique. Eux également, souvent en quête de leur identité sacerdotale, la saisiront dans cette messe par l’évidence du caractère transcendantal qui lie le prêtre au Sacrifice, qui donne à son existence son unité et le ravit de la beauté de sa vocation. Nous avons la ferme espérance que la lex orandi retrouvée jouera peu à peu son rôle rectificateur de la lex credendi. Sans doute, nous ne nous berçons pas d’illusions sur le nombre de prêtres qui reviendront à la messe de toujours, mais nous avons tout de même de bonnes raisons de penser qu’il ne sera pas nul. Et nous nous déclarons prêts à les aider comme nous avons déjà commencé de le faire auprès d’un certain nombre d’entre eux depuis des années. C’est dans ce but que nous préparons un montage vidéo se proposant d’apprendre la célébration de la messe traditionnelle aux prêtres qui le désirent.
Nos chers fidèles savent déjà le rôle qui leur appartiendra dans les années qui viennent. Ils le connaissent parce que, depuis longtemps, ils prient pour leurs prêtres et pour tous les prêtres. Il est possible et souhaitable que la sainte Providence en amène certains à devoir bientôt les aider d’une manière plus active. Voilà, par exemple, l’un ou l’autre prêtre qui, dans son diocèse, est passé à l’acte et a repris la messe. Ses débuts liturgiques seront sans doute un peu tâtonnants et son cheminement doctrinal demandera de la patience.
Que faudra-t-il faire alors ? L’assister en venant à sa messe au risque peut-être de devoir supporter une liturgie encore défaillante et une prédication approximative ? Le laisser se débrouiller tant qu’il ne sera pas revenu à la rectitude souhaitée ? Nous comprenons qu’aucune de ces deux attitudes ne serait satisfaisante. Avec le conseil de vos prêtres, il faudra analyser au cas par cas les situations et les évolutions pour adopter des comportements à la fois prudents et missionnaires. Ainsi, vous pourrez penser à fournir à un prêtre désireux de reprendre la bonne messe des livres ou des objets liturgiques qu’il risque d’avoir du mal à retrouver par lui-même. S’il le désire, vous pourrez également faciliter une prise de contact entre lui et un prêtre de la Tradition. Votre soutien spirituel pourra être décisif pour l’aider et le confirmer dans ses choix. La sainte Providence vous réservera peut-être la joie de le voir revenir vers la vraie Doctrine et d’assister alors à sa messe sans plus de crainte . Mais il demeure évident que l’esprit du texte espéré de Rome aura lui-même une influence déterminante sur la conduite à adopter.
C’est ainsi qu’après le Motu Proprio de 1984, Mgr Lefebvre a nettement déconseillé, aux fidèles qui lui posaient la question, de se rendre à ces messes de Saint Pie V désormais célébrées en certains nouveaux lieux. Il s’est expliqué de cette prise de position délicate en soulignant son regret de voir des prêtres, qui jusque-là avaient célébré cette messe librement, se sentir désormais obligés de la dire en vertu d’un texte inacceptable.
La Lettre Quattuor Abhinc du 3 X 1984 indique en effet «. qu’il soit bien clair que ces prêtres et ces fidèles (désirant bénéficier de cet Indult) n’ont rien à voir avec ceux qui mettent en doute la légitimité et la rectitude doctrinale du Missel Romain promulgué par le Pape Paul VI en 1970 et que leur position soit sans aucune ambiguïté et publiquement reconnue ».
Nous n’épiloguerons pas sur la violence et le mépris de l’expression « rien à voir » avec nous. Dans l’ambiance œcuménique, une telle sévérité, qui s’en prend non pas seulement aux idées que peut soutenir un groupe de personnes mais aux personnes elles-mêmes, nous laisse interloqués. Faut-il donc que les fidèles de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X soient pestiférés pour qu’un tel cordon sanitaire soit tendu autour d’eux !
Or, c’est pourtant toujours bien ce texte qui demeure encore la référence des évêques pour autoriser la célébration de la messe de Saint Pie V dans leurs diocèses. A lui également que se rapporte le Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta du 1er VII 1988 pour instituer la Commission de ce nom dont les membres les plus récents sont les prêtres de l’Institut du Bon Pasteur, comme nous le confirme le n° 2367 du 5 XI 2006 de la Documentation Catholique à la page 970 qui en donne le décret de création signé par le cardinal Castrillon Hoyos et Mgr Perl.
A chacun de ces prêtres que nous avons connus à nos côtés dans le même combat, nous aurions envie, non pas de reprendre le mot prêté à Henri IV s’adressant à Louis de Crillon : « Pends-toi, brave Crillon ; nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas » mais de le pasticher à peine pour lui dire : « Reprends-toi, ou plus exactement repens-toi, brave confrère, pour que nous ne continuions pas sans toi un combat commencé avec toi ».
Plus que quiconque, Mgr Lefebvre savait bien, avant tout, que la messe est la messe. Mais il connaissait également les dangers de glissement ou même de corruption doctrinale, ou tout simplement certains silences meurtriers provenant de la prédication de prêtres déformés ou muselés . Voici ce qu’il écrivait dans une lettre du 18 III 1989 :
« Il en est de même pour « ces messes traditionnelles ! » organisées par les conciliaires. Elles sont célébrées entre deux messes conciliaires. Le prêtre célébrant dit aussi bien la nouvelle que l’ancienne. Comment et par qui est distribuée la sainte communion ? Quelle sera la prédication ? etc. »
Lors de l’Indult de 1988, la même question s’est reposée à l’égard des nouvelles communautés bénéficiaires et la même réponse a été donnée. Un motif supplémentaire d’abstention intervenait même : la possibilité élargie de célébrer selon le rite de Saint Pie V était obtenue au vilain prix de la fulmination des excommunications contre Mgr Lefebvre et les évêques par lui sacrés. Il était ainsi clairement établi que Rome faisait payer sa générosité nouvelle de la condamnation de celui sans qui cette autorisation n’aurait jamais été donnée et sans qui aucune messe de Saint Pie V n’aurait peut-être plus été célébrée sur cette terre. Le cynisme de Caïphe n’a rien perdu, à travers l’histoire, de son actualité : « Il est expédient qu’un seul homme meure pour le peuple » (Jn XI, 50).
Ceux qui nous connaissent savent que nous formulons ce rappel sans la moindre amertume mais par seul souci de la préservation de la vraie Doctrine et en raison d’une élémentaire piété filiale et reconnaissante vis-à-vis de Mgr Lefebvre et de nos évêques à laquelle nous voudrions que tous adhèrent. Nous sommes persuadés que bien des membres de ces instituts ne croient pas en la valeur de ces sanctions. Certains l’ont dit en privé, voire en public. Nous les remercions de ce courage et de cette justice, convaincus qu’ils œuvrent au sein de leurs communautés contre une ritournelle d’injures qui, paradoxalement, visent d’abord celui sans lesquelles la plupart d’entre elles n’existeraient même pas.
Profondément marqués par les touchantes objurgations de Josué à son peuple avant de mourir : « Fortifiez-vous seulement de plus en plus. attachez-vous au Seigneur votre Dieu, ainsi que vous l’avez fait jusqu’à ce jour » (Jos. XXIII, 6–8), nous terminons d’écrire ces lignes à un moment où aucun document n’est encore parvenu de Rome. Cependant, la Fraternité remettra bientôt au pape Benoît XVI le trésor des Rosaires massivement récités pour la reconnaissance des droits imprescriptibles de la messe. Que se passera-t-il ? Libération immédiate de la messe ou non ‑conditionnelle ou non- elle poursuivra sa prière et son ouvre pour obtenir non seulement ce premier préalable mais aussi le second et par-dessus tout le nécessaire retour du pape et de Rome à la vraie Doctrine pour le triomphe des Cours unis de Jésus et de Marie.
Abbé Régis de Cacqueray-Valménier †
Le 9 novembre 2006, en la fête de la Dédicace de l’archibasilique du Très Saint Sauveur