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membres de la FSSPX ne peuvent être considérés comme reflétant la position officielle de la Fraternité Saint-Pie X |
- En Allemagne vous avez été fortement critiqué...
- Cardinal Darío Castrillón : En Allemagne ? Qui m’a critiqué en Allemagne ? Je ne suis pas au courant.
- On vous a présenté comme le principal responsable du scandale concernant Mgr Richard Williamson survenu au début de cette année ?
- Cardinal Darío Castrillón : Qu’on l’ait dit ne m’intéresse absolument pas. Pour moi, c’est juste un signal de la mauvaise information diffusée dans un pays, une presse et une opinion publique que je considérais comme respectables. Mais à voir les réactions dont vous parlez, je me rends compte qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent.
- Que voulez-vous dire par « mauvaise information » ?
- Cardinal Darío Castrillón : La « mauvaise information » consiste à ne pas savoir de quoi il s’agit, ne pas savoir quel est le problème de ce processus, de cette affaire ; c’est ignorer les faits et le Droit ecclésiastique concerné. La mauvaise information, c’est se laisser happer par un tourbillon médiatique ou par une sensibilité locale que nous entendons et que nous prenons trop au sérieux.
- Qu’est-ce, d’après vous, que la bonne information ?
- Cardinal Darío Castrillón : C’est très simple. Monseigneur Marcel Lefebvre a commis un acte de rebellion en ordonnant en 1988 quatre évêques sans mandat pontifical. C’est une action schismatique. Pour avoir agi contre la loi ecclésiastique, ont été excommuniés l’Évêque consacrant, Mgr Lefebvre, et les 4 évêques de la Fraternité ordonnés par lui. C’est la cause et c’est le problème que dans ce processus l’on veut résoudre. Prochainement d’autres choses devront être résolues. C’est tout. C’est ce que les deux derniers Papes ont voulu résoudre pour recomposer l’unité de l’Église. Tout ce que l’on dit de plus provient d’une ignorance fondamentale et très grave des intentions et des actions des Papes.
Je répète que l’unique cause de l’excommunication était l’ordination sans mandat pontifical. L’évêque ordinant était déjà mort et les ordonnés demandaient, toujours avec force, comme ils l’ont fait à Lourdes, le retrait du Décret d’Excommunication. En le retirant, après une ample consultation, le Pape cherchait à mettre fin à un schisme. Et nous tous évêques catholiques nous devons être avec le Pape, surtout dans une matière aussi fondamentale que l’unité de l’Église.
- Quel a été exactement votre rôle dans le processus de réconciliation avec les Lefebvristes ?
- Cardinal Darío Castrillón : Après les ordinations illégitimes, de 1988 à 2000, il n’y a pas eu de dialogue entre Rome et la Fraternité. Le dernier dialogue réalisé par l’alors cardinal Ratzinger et Monseigneur Lefebvre, qui a fini par un protocole signé par Mgr Lefebvre, a été immédiatement interrompu et la rupture a été suivie, précisément, des ordinations illégitimes. De 1988 jusqu’à l’an 2000 tous les dialogues ont été interrompus. Ils n’ont repris qu’en l’an 2000 et un nouveau processus a débuté, suivi de très près par le cardinal Ratzinger, alors membre de la Commission « Ecclesia Dei ». En 2001, dans un consistoire présidé par le Saint Père, tous les cardinaux présents ont accepté le processus pour l’entrée en communion des Lefebvristes. Dans la présentation au consistoire, en se basant sur une Note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, on a dit que les frères excommuniés n’avaient pas un caractère hérétique ou schismatique. Il étaient certes le produit d’une action schismatique. En ce qui concerne leur position face au Concile Vatican II, les difficultés se sont exprimées sur le texte de certains documents et surtout de certaines interprétations du Concile. Les plus grandes difficultés se rapportaient au décret sur la liberté religieuse et l’œcuménisme.
- Et quel rôle a eu la Curie dans ce processus ?
- Cardinal Darío Castrillón : Il faut avoir une idée très claire de ce qu’est la Curie. Ce n’est pas une série d’institutions qui conditionnent le Pape. C’est, au contraire, un ensemble d’institutions et de personnes qui servent le Vicaire du Christ et successeur de Pierre, dans sa sollicitude pour le bien de toutes les églises du monde. La décision et la direction unique viennent de lui. Il s’informe auprès de la Curie, et il décide. Ainsi donc, le Pape s’est toujours tenu informé, Jean Paul II comme Benoît XVI. Différents dicastères, en réunions interdicastérielles, ont positivement contribué au développement du projet.
Puis le moment est venu où, pour avancer dans le processus, les Lefebvristes ont posé deux conditions : la première, de reconnaître à tous les prêtres du monde le droit de célébrer la Messe dans le rite de Saint Pie V ; et la deuxième, de lever le décret d’excommunication. C’était là les conditions pour commencer les dialogues suivants, surtout ceux qui revêtaient un caractère doctrinal. Si l’on ne connaît pas ce point, on ne comprend pas, on ne peut pas comprendre le processus.
- Partagez-vous les positions de la Fraternité Saint Pie X ?
- Cardinal Darío Castrillón : Concernant la levée de l’excommunication, ils ont un point de vue que je ne partage pas, mais qui de leur point de vue subjectif, pourrait être acceptable. Ils croient défendre la vérité, la sainte tradition et prétendent qu’ils ne peuvent pas être excommuniés parce qu’ils défendent la vérité. C’est pourquoi ils n’ont pas accepté l’excommunication. Une fois, en parlant avec Monseigneur Fellay, je lui ai dit : Si nous acceptons l’aspect subjectif de vos convictions, vous devez aussi accepter que nous croyons objectivement que l’excommunication est, certes, valide parce que les ordinations ont été réalisées contre un précepte clair de loi et contre la tradition de l’Église, et les faire sans mandat entraîne la peine de l’excommunication. Et il est indéniable qu’une loi fondamentale de l’Église dans une matière grave a été violée.
- Durant ces discussions la question ne s’est-elle jamais posée de savoir si vos décisions pourraient avoir des conséquences politiques ? Où sont les limites entre les intérêts publics et les disputes ecclésiastiques ?
- Cardinal Darío Castrillón : Retirer l’excommunication à quatre évêques, excommuniés pour avoir été ordonnés sans mandat pontifical, ce n’est pas une action politique du Saint Père, mais un exercice de son autorité religieuse suprême, dans un acte de miséricorde, au sein de l’Église. C’est un problème théologique pastoral. L’intervention de l’Église dans la sphère politique est une chose bien distincte. C’est un problème théologique qui a amplement été étudié par l’Église catholique. L’illumination que l’on obtient par la révélation pour traiter une affaire est une chose, et la gestion même des affaires publiques et l’interférence de différents groupes dans cette gestion en est une autre. Un évêque qui conçoit clairement cela ne devrait pas poser de problèmes.
- Cela signifie-t-il alors que l’Église dispose effectivement d’instances pour juger les actions de personnages comme Williamson ?
- Cardinal Darío Castrillón : Oui, une claire doctrine existe à ce sujet. Cependant, je n’entrerai pas dans ces considérations, car mon travail n’est pas de juger un frère évêque ; c’est la tâche de la Congrégation des Évêques et de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. C’est elle qui doit décider si quelqu’un affirme des choses qui ne correspondent pas à la Foi catholique telle qu’elle est interprétée par l’Église.
- Et comment l’Église réagit-elle aux déclarations antisémites ou à la négation de l’Holocauste ?
- Cardinal Darío Castrillón : Le refus de la part de l’Église de la violence très injuste à laquelle le peuple juif a été soumis est parfaitement clair. Et sans doute ce refus s’appuie-t-il sur un point de vue moral. Le génocide raciste atroce est un attentat immoral contre l’humanité.
- Et alors : pourquoi n’a‑t-Elle pas interrompu la levée de l’excommunication de Richard Williamson ?
- Cardinal Darío Castrillón : Non, pardonnez-moi, les choses ne sont pas ainsi. L’excommunication qui pèse sur lui est due exclusivement à son ordination épiscopale illégitime, et non pas à ses jugements, ses théories ou ses affirmations sur l’Holocauste. Avec l’avis favorable des cardinaux du consistoire, le Pape a décidé de lever l’excommunication dans laquelle ces évêques se trouvaient pour une raison unique et fondamentale : un acte de charité, pour consolider l’union de l’Église. Tout ce qui se dit d’autre est une erreur contraire à la vérité !
- Mais il y a des opinions contraires à l’intérieur même de Église.
- Cardinal Darío Castrillón : Effectivement, il y a eu dans l’Église, non pas tant des positions contraires, que des réactions critiques. Le Saint Père lui-même, dans sa lettre sur ce sujet à l’épiscopat mondial, y a fait clairement allusion. Le Pape n’est pas seul. La presque totalité de l’épiscopat mondial le suit. Il n’a pas agi par ignorance des choses, mais en large connaissance de cause. Et si d’autres facteurs s’y sont ajoutés, c’est une chose tout à fait distincte.
- C’est justement ce que je veux vous dire. D’autres facteurs se sont greffés, spécialement les déclarations polémiques de Williamson. Ne croyez-vous pas que le Pape, ayant pris connaissance des déclarations de Williamson, aurait dû retarder au moins la divulgation du décret levant les excommunications ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je ne suis pas une personne qui ose formuler des hypothèses ou exprimer des opinions sur ce que ferait le Pape ou sur ce qu’il ne devrait pas faire. Je me rapporte à ce qu’il a fait et à quel type et à quelle qualité d’information il avait à sa disposition au moment où il l’a fait. Et à ce moment-là, aucun de ceux d’entre nous qui étaient concernés par le sujet n’étions à connaissance des déclarations de Mgr Williamson. Aucun de nous ! Aucun de nous n’était dans l’obligation de le savoir !
- Pourtant Williamson était déjà connu depuis vingt ans. En 1989, il a aussi fait des déclarations condamnables en rapport avec l’Holocauste.
- Cardinal Darío Castrillón : Non, non, non. Il faut être précis. Il ne faut pas oublier que ce Williamson d’alors était un jeune évêque ordonné sans permission, opérant en dehors de l’Église et sans conditions juridiques de légitimité. Et en 1989, ce jeune évêque a exprimé au Canada des opinions en rapport avec un livre qui prétendait faire une analyse historique de l’Holocauste qu’aujourd’hui beaucoup ne partagent pas. Mais à cette époque ce livre n’était pas connu de tout le monde. Personne n’est obligé de connaître tous les livres qui sont publiés, même sur des sujets importants.
- Pourtant ce que Williamson a dit en 1989 était clair : « Aucun Juif n’a été assassiné dans des chambres à gaz (…), ce sont des mensonges, des mensonges, des mensonges, (…) les Juifs ont inventé l’Holocauste ». Vous avez été Président du CELAM (Conseil Épiscopal Latino-américain, ndr.), en Amérique latine le nom de Williamson était célèbre de par les controverses qui l’entouraient. Même ainsi, vous insistez à dire que vous ne saviez rien de lui ?
- Cardinal Darío Castrillón : Dans le CELAM ni comme directeur de Département, ni comme Secrétaire général, ni comme Président, je n’ai jamais entendu mentionner le nom de Richard Williamson. J’ai connu son nom et j’ai su qui il était en 2000 quand, pour les connaître, j’ai invité les évêques Lefebvristes chez moi à Rome. Ce que je peux vous dire, c’est que durant le long déroulement des dialogues, aucun organisme de la Curie, ni la Congrégation des Évêques, ni le Secrétariat d’État, ni les nonciatures dans les pays intéressés, ni l’épiscopat canadien, allemand, suisse, français, autrichien ou hollandais, ni une seule une lettre d’un fidèle laïque n’ont donné la moindre information à la Commission Ecclesia Dei, compétente pour le dossier des dialogues, ni au Saint Père, ni à mon humble personne qui menait très directement le dialogue avec Monseigneur Fellay. Personne ne nous a rien dit rien concernant la négation ou la minimisation de l’Holocauste de la part de monseigneur Williamson.
- Même pas en janvier de cette année ?
- Cardinal Darío Castrillón : Ce que comprends, c’est que la télévision suédoise l’a interviewé le 1er janvier de cette année [NDLR de LPL : en réalité en novembre 2008] au motif d’une ordination diaconale. De cette interview et des déclarations de Williamson je suis le seul à avoir été informé le 5 février, jour où la Nonciature a informé le Secrétariat d’État de la dite interview, et l’excellentissime Vice-Secrétaire du Secrétariat m’a transmis l’information dans une enveloppe que j’ai conservée, avec le timbre du 5 février 2009.
- Pourtant, selon des sources internes du Vatican, on dit que dans les jours précédant le 21 janvier, un fax est arrivé au Vatican avertissant des déclarations de Williamson.
- Cardinal Darío Castrillón : Non, un instant, restons clairs : la nouvelle officielle a eu lieu le 5 février. Ce que je me suis effectivement souvent demandé, c’est pour quelle raison, si l’interview avait été faite le 1er janvier [NDLR de LPL : en réalité en novembre 2008], elle n’a été publiée que le 21 de ce mois. C’est-à-dire que l’on a attendu jusqu’à ce que le décret, dont l’étude était secrète, soit signé le 14 janvier. Pourquoi faire connaître l’interview seulement à ce moment-là ?
- Et vous, que croyez-vous ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je n’aime pas spéculer. J’agis objectivement, je ne pense ni bien ni mal des personnes avant d’avoir une assurance absolue. Je juge seulement sur la base des faits. Et le fait consiste en ce que l’opinion publique n’a été informée et frappée qu’à ce moment précis.
- Mais le plus grand coup, c’est Williamson lui-même qui l’a donné, en disant ce qu’il a dit et sachant que le décret levant les excommunications approchait.
- Cardinal Darío Castrillón : Non, Williamson n’en était pas nécessairement conscient. Il ne participait pas directement aux dialogues avec Rome. Monseigneur Fellay voulait mener personnellement la représentation de la Fraternité, et dans la majorité des dialogues il a été seul. Je fus généralement accompagné par un membre de ma Commission. Bien entendu, quelques étapes du processus étaient réalisées en privé avec les autorités du Saint Siège. Monseigneur Fellay en était par la suite informé. Ils savaient seulement que le dossier était en cours d’étude. Après un examen long et attentif du sujet de l’excommunication, alors que le décret de levée était déjà approuvé par le Père Saint et signé par le cardinal Re, le 14 janvier 2009, j’ai reçu du même cardinal le texte signé et, chez moi, je l’ai remis à Monseigneur Fellay, en lui demandant d’informer les trois autres évêques de la Fraternité. Ce n’est qu’alors qu’ils ont su qu’à partir du 21 janvier ils seraient libres de l’excommunication, et on leur a demandé de conserver le secret jusqu’au 24 de ce mois, quand le Décret serait officiellement publié. Si quelqu’un en Allemagne ou dans n’importe quelle autre partie du monde dit une autre chose à ce sujet, il ment, soit par méchanceté, soit par ignorance.
- Mais apparemment Fellay connaissait les déclarations faites par Williamson à la télévision, puisque le 21 janvier il a envoyé une lettre à la chaîne suédoise pour empêcher la publication de l’interview.
- Cardinal Darío Castrillón : Je n’en ai pas eu connaissance.
- Et ne regrettez-vous pas que, au lieu d’envoyer cette lettre en Suède, Fellay ne vous ait pas mis au courant des déclarations de Williamson pour éviter qu’une telle controverse ne se déchaîne ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je regrette de ne pas connaître beaucoup, beaucoup de choses. Et parmi les nombreuses choses que je regrette de ne pas connaître, je regrette celle-là.
- Williamson raconte vous avoir connu au cours d’un déjeuner.
- Cardinal Darío Castrillón : Oui. Peu de temps après que le Pape m’eût nommé Président de la Commission Ecclesia Dei, j’ai vu un jour après mon travail à la Préfecture du Clergé un groupe de personnes habillées en soutane en plein été. J’ai demandé à mon secrétaire de vérifier de qui il s’agissait. Il m’a dit que c’était les Lefebvristes. Je les ai invités chez moi, et ils ont accepté de venir.
- Et quelle impression vous ont-ils laissée ?
- Cardinal Darío Castrillón : C’était des personnes sympathiques, mais peut-être un peu trop fixées,-de façon presque obsessionnelle‑, sur une seule chose ; affirmer que la source de tous les malheurs de l’Église et du monde était la réforme du rite de la Messe après le Concile. Je n’avais pas organisé ce déjeuner pour discuter avec eux, je voulais simplement les connaître. Et alors pour décontrater l’ambiance, j’ai décidé de plaisanter en leur disant que les langues me plaisaient beaucoup et que si j’avais à choisir une langue pour célébrer l’eucharistie, je choisirais l’araméen, qui est la langue du Christ. Je leur ai dit que ne savais pas qui avait eu la mauvaise idée de remplacer la langue du Christ par la langue des persécuteurs. C’était une mauvaise plaisanterie, évidemment.
- Et eux, qu’ont-ils dit ?
- Cardinal Darío Castrillón : Rien. Je suis immédiatement passé à un autre sujet. À cette rencontre ont fait suite des dialogues ponctuels qui ont porté à une première rencontre avec Jean Paul II puis à un autre avec Benoît XVI en août 2005.
- Quel souvenir avez-vous gardé de Williamson ce jour où vous avez fait sa connaissance ?
- Cardinal Darío Castrillón : Il m’a paru être une personne honnête, mais d’une trempe très particulière. Je me suis rendu compte que ce n’était pas un sot, mais il m’a semblé un peu obsédant et très têtu.
- A quelle qualité faites-vous référence exactement lorsque vous dite « honnête » ?
- Cardinal Darío Castrillón : À un homme qui dit ce qu’il pense. Williamson ne m’a pas paru être une personne qui essayait de tromper. Il m’a semblé être un homme simple, peut-être très extrême dans ses positions. Mais, en somme, un homme de foi simple et sincère.
- Est-ce qu’au Vatican personne n’a rien su des déclarations de Williamson avant le 5 février ? Savez-vous ce que signifie le mot Vatican ? Donc apparemment c’est un ensemble d’institutions qui communiquent mal entre elles.
- Cardinal Darío Castrillón : Savez-vous combien nous sommes ? Nous sommes très nombreux. Je suis sûr que nombreux sont ceux qui, comme moi-même, n’avaient pas la moindre idée de ce qu’avait retransmis une chaîne de télévision suédoise ou de ce qu’avait dit Williamson, il y a vingt ans, au Canada. Partez de la base suivante : en 1989 j’étais évêque de Pereira. Un pauvre évêque de Pereira, submergé dans le travail avec sa ville, ses paysans, ses indigènes, avec une bonne partie de son diocèse située dans une forêt vierge, qui va se mettre à parler de ce qu’un évêque que je ne connaissais même pas a affirmé dans un autre lieu ; même s’il est vrai que je connaissais monseigneur Lefebvre parce que l’une de ses sœurs vivait avec son époux à Pereira et monseigneur Marcel lui rendait parfois visite.
- Un viel ami ?
- Cardinal Darío Castrillón : Une connaissance aimable. Lors de sa dernière visite, informé par sa sœur, j’ai demandé à celle-ci si, étant donnée la gravité des problèmes qui existaient déjà avec Rome, elle trouvait utile que j’aie une conversation avec lui. Elle m’a dit que non. Ainsi, quand il est revenu à Pereira, je ne l’ai même pas vu.
- Mais même le porte-parole du Vatican vous en a parlé publiquement.
- Cardinal Darío Castrillón : Il est vrai que le père Lombardi a fait en public un faux jugement téméraire devant une journaliste, mais il est également vrai qu’il s’est publiquement rétracté. Et il m’a présenté des excuses. Il est important de rappeler qu’à ce moment il n’avait pas agi sur la demande du Pape, en tant que son porte-parole.
- Et les accusations qu’Ebberhard van Gremmingen a faites ?
-Cardinal Darío Castrillón : Je ne sais pas de qui il s’agit.
- Le directeur de Radio Vatican pour l’Allemagne, dont les affirmations au cours des derniers mois ne l’ont pas montré à l’opinion publique allemande comme bien disposé à votre égard.
- Cardinal Darío Castrillón : Il ne me semble pas exceptionnel que si le « porte-parole » du Pape, le père Lombardi, a émis un jugement erroné, son subalterne Gremmingen l’ait docilement répété.
- Le cardinal Re a déclaré s’être senti trompé par vous.
- Cardinal Darío Castrillón : Que je sache, le cardinal Re n’a jamais dit qu’il s’est senti « trompé » par moi. Mais je sais très bien quels mots il a employés, d’après la presse, pour se référer à ma personne sous une forme peu délicate. C’est pour cette raison que je lui ai écrit une lettre en lui disant très clairement que si quelqu’un aurait dû être au courant des déclarations controversées de Williamson, c’était lui.
- Pourquoi lui ?
- Cardinal Darío Castrillón : Pour deux simples raisons : d’abord, parce qu’il a travaillé de nombreuses années au Secrétariat d’État et qu’il s’y trouvait précisément quand les faits sont arrivés. Les Nonciatures informent le Secrétariat d’État des cas remarquables. Et en second lieu, parce que Williamson est un évêque et la Congrégation des Évêques, dont le cardinal Re est préfet, est l’organisme qui, dans l’Église, fait le suivi de la vie des Évêques.
- A votre collègue de la Commission « Ecclesia Dei », monseigneur Camille Perl, on a fait aussi fait des récriminations.
- Cardinal Darío Castrillón : Non, je ne vois pas sa responsabilité. Mais en tout cas, je n’aime pas décerner ainsi des responsabilités. Si j’ose parler du cardinal Re, je le fais pour une seule raison : parce qu’organiquement sa charge consiste à connaître ce que les évêques disent ou ce que les médias disent sur les évêques.
- Et que diriez- vous à ceux qui attribuent à monseigneur Filoni et Monseigneur Mamberti une part de responsabilité ?
- Cardinal Darío Castrillón : Monseigneur Dominique Mamberti n’a aucune responsabilité parce qu’il est à la tête de la Section qui se charge des relations avec les États et cela n’entre pas dans le cadre de sa compétence. Monseigneur Filoni, pendant la période la plus intense des dialogues n’était pas encore au Secrétariat d’État. Il pourrait avoir eu connaissance des archives sur Williamson, mais je ne crois pas. Parce que : qui était Williamson ? C’était une figure insignifiante. Un séminariste qui avait foi dans Lefebvre qui, très jeune, l’avait ordonné prêtre. Qui allait savoir des choses sur lui ? Personne. Il n’intéressait personne !
- Mais si, il intéressait les médias depuis longtemps.
- Cardinal Darío Castrillón : J’ai plusieurs fois entendu répéter cela, mais en Colombie, avant le scandale, je n’en ai jamais entendu parler dans aucun milieu.
- Mais nous ne parlons pas des médias colombiens.
- Cardinal Darío Castrillón : En Italie on n’a pas parlé de lui non plus, je n’en ai jamais entendu parler dans aucun milieu. Il est très facile de dire certaines phrases qui sont dangereuses. Naturellement, il a pu en être autrement au Canada, pour un autre type d’intérêts.
- Mais je ne parle pas non plus des médias italiens, ni des Juifs. Je me réfère aux médias allemands qui sont très bien informés et qui ont suivi Williamson pendant longtemps. Par exemple, la revue Der Spiegel a publié avant ce qui s’est passé en janvier un vaste rapport dans lequel elle citait des déclarations publiques de Williamson concernant l’Holocauste. Comment est-il possible qu’au Vatican personne ne lise Der Spiegel ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je ne comprends pas la question parce que je crois que personne n’a affirmé qu’au Vatican personne ne lit Der Spiegel. Il est peut-être possible que la Section allemande du Secrétariat d’État l’ait connu, mais je n’ai pas d’information là-dessus et, de plus, je connais le peu de personnes qui y sont par rapport au travail énorme de cette Section.
- Avez-vous un nom en tête ?
- Cardinal Darío Castrillón : Non.
- Votre relation avec le Pape a‑t-elle été affectée après ce scandale ?
- Cardinal Darío Castrillón : Oui, bien sûr : en bien ! Nous avons toujours travaillé au coude à coude. Non seulement j’ai pour lui la vénération de la Foi parce qu’il est le Vicaire du Christ, mais aussi la vénération pour sa personne, pour ce qu’il signifie comme théologien de première catégorie dans l’Église et pour ce qu’il signifie pour moi comme défenseur de la Foi, etcomme un ami qui a toujours eu confiance en moi. Et cela n’a pas changé, mais, au contraire, notre affection s’est fortifiée.
- Que pensez-vous de la restructuration de l’Église après le Motu Proprio du Pape émis en juillet ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je vois certaines choses très claires et d’autres qui ne le sont pas autant. Par exemple, le fait de connaître plus largement des critiques sur l’Église, sur le Concile Vatican II, qui concernent le domaine théologique, bien que de telles critiques proviennent de personnes individuelles et ne puissent pas être considérées comme des critiques officielles de l’institution « Fraternité Saint Pie X » ; il est naturel que l’on exige un dialogue direct avec la Doctrine de la Foi. Il y a, cependant, d’autres aspects pastoraux relatifs aux prêtres et aux fidèles, qui doivent être traités, pour pouvoir arriver à une plénitude de communion avec la pensée de l’Église et, spécialement, avec le chef visible de celle-ci qui est le Vicaire du Christ. Il y a des aspects liturgiques qui ne peuvent pas passer au second plan.
- Dans une interview publiée en mars dans El Tiempo, vous dites que l’existence de chambres à gaz n’est pas un problème moral, mais un problème historique. Expliquez-vous.
- Cardinal Darío Castrillón : Non, non, non… Je n’ai pas dit cela !
- Pourtant c’est ce qui est dit dans l’interview.
- Cardinal Darío Castrillón : Combien de choses on lit dans des interviews supposément personnelles, et qui sont exactement le contraire de ce que l’on a dit ! La chose est très simple : le génocide atroce dont a été victime le peuple juif est un acte qui concerne évidemment le domaine moral, la torture est un acte moral, il n’y a pas le moindre doute. Mais dire qu’ils n’ont pas tué dix mais cinq, ce n’est pas un jugement moral, c’est une erreur historique.
- Pourtant Williamson nie la Shoá
- Cardinal Darío Castrillón : Il ne la nie pas, il la réduit. Je ne connais pas d’intervention de sa part dans laquelle il nie le génocide. Ce qu’il fait, c’est le réduire, le minimiser. Et c’est là une considération historique. Le problème moral est exclusivement le génocide en lui-même, et par-dessus tout le facteur aggravant est qu’il est raciste. Car on ne peut pas mettre ne serait-ce qu’une seule personne dans une chambre à gaz, parce que cela serait aussi un crime inadmissible et condamnable. On ne peut pas. Pour toutes ces raisons, le réductionnisme à l’endroit de l’Holocauste est absolument inacceptable.
- Mais faire des déclarations, comme Williamson, avec la conscience que celles-ci causeront un dommage à une personne ou à un groupe de personnes, doit être jugeable d’un point de vue moral.
- Cardinal Darío Castrillón : Cela, Williamson lui-même l’a accepté. J’ai parlé avec lui, et il a demandé pardon aux personnes, aux familles des victimes et aux institutions pour tout le mal qu’ont pu causer ses déclarations. Ses excuses ont été insuffisantes.
- Et qu’aurait fait le Vatican si Williamson avait nié et non pas seulement minimisé l’Holocauste ?
- Cardinal Darío Castrillón : Le négationnisme ne touche pas l’essence de l’Église. C’est un fardeau, un problème qui, comme tout autre, peut être résolu. C’est un problème qu’il existe des gens qui ne se prononcent pas et refusent le terrorisme, c’est un problème qu’il existe des gens qui restent muets face à l’homicide coupable, qu’il existe des gens qui conseillent, pratiquent ou défendent l’avortement.
- Et comment agit l’Église face à ces « problèmes » ?
- Cardinal Darío Castrillón : Elle attire l’attention, présente la doctrine et, si c’est nécessaire, impose des sanctions. Dans le cas de Williamson il faut attendre, puisqu’il n’est pas encore en pleine communion avec l’Église. Aujourd’hui son autorité c’est la Fraternité mais quand le moment arrivera, l’Église pourrait, par exemple, lui interdire de précher pour n’avoir pas su faire preuve de la sagesse nécessaire pour être prédicateur.
- Qu’aurait fait l’Église s’il Elle avait connu les déclarations de Williamson avant la débâcle dans les médias ?
- Cardinal Darío Castrillón : Comme il n’est pas dans une pleine communion, ce n’est pas à nous qu’il incombe de le reprendre ou de le punir, mais à Monseigneur Fellay, qui est son supérieur, et Fellay l’a fait.
- Recommenceriez-vous à faire la même chose que ce que vous avez fait dans le cas des Lefebvristes ?
- Cardinal Darío Castrillón : Exactement la même chose ! En ce qui concerne l’excommunication. Je travaillais sur un problème spécifique, qui était celui de quatre évêques ordonnés sans permission. Rien de plus.
- Comment vous sentez-vous après le scandale ?
- Cardinal Darío Castrillón : Je me sens momentanément agacé. Mais l’agacement me passe très rapidement, car je suis un homme qui regarde toujours vers l’avenir. Je me dis toujours : « Mon quart d’heure » de responsabilité dans cet engagement est déjà fini. Mes yeux, mon esprit et mon cœur vont vers le nouveau quart d’heure que me donne le Seigneur. Ayant atteint 80 ans, je regarde le long « quart d’heure » de ma longue vie sacerdotale et épiscopale. J’ai été président d’« Ecclesia Dei », l’Église m’intéresse et je ferai tout ce qui est possible pour Sa pleine unité et je mettrai mon intérêt à Sa sanctification, y compris avec la richesse merveilleuse de ses rites et de ses traditions anciens. Maintenant j’ai déjà ma tête en place dans le nouveau quart d’heure.
- Sentez-vous que l’opinion publique vous a maltraité ?
- Cardinal Darío Castrillón : J’ai toujours eu à faire avec les médias. Je sais que l’une des maladies du journalisme c’est de « cafter », avec ses controverses et ses victimes. Et pour y réagir, j’ai un épiderme de crocodile, pour supporter les coups quand ça a été mon tour, mais ces choses ne m’affectent pas. Il ne m’est jamais arrivé de demander des rectificatifs parce que c’est inutile : la vérité fait son chemin. Et sur le sujet de la controverse actuelle, la seule vérité est celle que je viens de dire.
Recueillis par Camilo Jiménez.
P.S. : traduction par nos soins à partir de l’original de l’entretien remis à Zenith le 29 septembre 2009 par le cardinal après la publication tronquée par Süddeutsche Zeitung.
©LPL/O.de.Prigny
Die XXIX mensis Septembris anni MMIX
E Civitate Vaticana : Causa Williamson. Cardinalis Castrillon opproprium reiecit
Darius Castrillon Hoyos, olim Cardinalis Curialis, novos nuntios id constare se Pontificiamque Commissionem « Ecclesia Dei », cui praeerat, de infitiatione holocausti a Richardo Williamson, natione Anglico, expressa cognovisse repulit. In quadam percontatione in actis diurniariis vulgo « Süddeutsche Zeitung » appellatis die Veneris publicata, Cardinalis ille Columbiensis explicavit se non prius quam die quinto mensis Februarii de dictis Williamson certum factum esse, diebus ergo duodecim post excommunicationem die vicesimo uno mensis Ianuarii remissam. Decisio Summi Pontificis cum nota facta esset, omnes in Curia Romana percontationem ignorare, « et nemo », Castrillon Hoyos inquit « obligatione tenebatur id scire ».Qui confirmavit se cum Fraternitate Sancti PII X de quaestionibus canonicis, non de dogmaticis collocutum esse. Ad se spectavisse ut scissio Ecclesiae impediretur. … Ad ea autem, quae a Williamson affirmata essent, quod attineret Cardinalis dixit caedem Iudeorum a fautoribus Hitlerianis factam crimen fuisse hominum. Quam autem Episcopum illum moris translaticii studiosum natione Anglicum numquam infitiatum esse, sed numerum eorum, qui interfecti fuissent, « minuisse ». Quod autem non de moribus quaestionem esse, sed de « rebus, quae gesta essent ».