Allons à l’essentiel
Abbé Patrick Verdet
Depuis le 21 janvier dernier, un véritable tsunami médiatique a submergé les médias et le monde dans une guerre sans concession contre le pape, l’Eglise catholique en général, et la Fraternité Saint Pie X en particulier.
Nous avons entendu les journaux remettre en cause l’autorité pontificale, mais pouvions- nous attendre d’eux plus de clémence ? Pire encore, nous avons pu constater la révolte latente de nombreux évêques qui, publiquement, ont remis en cause le mode de gouvernement de l’Eglise catholique. Propos issus peut-être d’une vieille (mauvaise) tradition gallicane française, mais surtout découlant du décret sur la Collégialité promulgué par Vatican II qui consacre une crise de l’autorité dans l’Eglise.
Le décret du 21 janvier 2009 est certainement dû à la bienveillance et au courage personnel du Saint-Père, ce dont nous ne pouvons que le remercier entre autres par nos prières.
S’il a le mérite de lever une injustice qui reposait sur les évêques de la Fraternité (aucune contrepartie n’a été demandée, chose unique dans une levée d’une telle peine canonique), il a aussi celui de faire poser à tous les bonnes questions. Celles de la place dans le dépôt de la foi du Concile Vatican II. Comme l’affirme Mgr Fellay dans sa lettre aux fidèles du 24 janvier :
« Nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu’à Vatican I. Mais nous ne pouvons qu’émettre des réserves au sujet du Concile Vatican II, qui s’est voulu un concile « différent des autres » (cf. discours des Papes Jean XXIII et Paul VI). En tout cela, nous avons la conviction de rester fidèles à la ligne de conduite tracée par notre fondateur, Monseigneur Marcel Lefebvre, dont nous espérons la prompte réhabilitation. »
Depuis notre mémorable pèlerinage de l’an 2000 à Rome, où nous avons dans la Ville éternelle proclamé notre Credo et notre attachement indéfectible au Siège de Pierre, notre Supérieur Général avait posé deux préalables avant d’aller plus loin dans toute discussion. L’un a été accordé, la Messe de Saint Pie V pour tous en 2007, et l’autre ce 21 janvier dernier.
Certes, le mode de ces gestes de bienveillance du pape n’est pas exactement celui que nous avions demandé. Mais il n’en reste pas moins que, par le Motu Proprio Summorum pontificum de 2007, un mensonge de 30 années a été levé par la reconnaissance Urbi et Orbi que la Messe de Saint-Pie V n’a jamais été interdite, et que par le décret du 21 janvier, l’opprobre de l’excommunication (que nous n’avons jamais reconnue comme valide) ne repose plus sur les évêques et plus généralement sur la Tradition. De plus, pouvions- nous, en l’état des circonstances présentes, espérer plus ?
Toujours est-il, par la voie de la Providence, qu’une nouvelle situation s’ouvre à notre perspective. Celle où des discussions doctrinales vont pouvoir s’engager. N’oublions pas que seule la défense de la Foi a toujours guidé Mgr Lefebvre et la Fraternité depuis sa fondation, et que c’est cette dernière qui fonde uniquement la légitimité de leurs actions. Nous affirmons en effet que le Concile a ouvert un genre nouveau dans l’Eglise en introduisant des éléments du monde incompatibles avec le dépôt de la foi. Faut-il pour le dire citer un extrait du Concile dans sa Constitution Gaudium et Spes n°11 :
« Le Concile se propose avant tout de juger à cette lumière les valeurs les plus prisées par nos contemporains et de les relier à leur source divine. Car ces valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes ; mais il n’est pas rare que la corruption du cœur humain les détourne de l’ordre requis : c’est pourquoi elles ont besoin d’être purifiées.»
Comme l’interprétait en son temps le Cardinal Ratzinger :
« Le problème des années soixante était d’acquérir les valeurs les mieux exprimées de deux siècles de culture libérale. »
Or ces erreurs du 19e et 20e n’ont-elles pas été condamnées par les papes ? Il s’agissait donc pour le Concile d’acquérir ces valeurs ou ces principes de la révolution en les corrigeant auparavant. « En effet, poursuivait le cardinal, ce sont des valeurs, qui bien que nées hors de l’Eglise, peuvent trouver leur place, purifiées et corrigées dans sa vision du monde [vision de l’Eglise](1) »
Le Père Congar, autre expert au Concile, écrivait en 1950 ces propos qui donnent la source de Gaudium et Spes :
« Les progressistes du 19e(2) siècle ont alors trop pris telles quelles, pour les introduire en christianisme, et ainsi pensaient-ils les baptiser, des idées nées dans un autre monde souvent hostile et encore chargé d’un autre esprit. Réconcilier l’Eglise avec un certain monde moderne ne pouvait pas se faire en introduisant telles quelles dans l’Eglise les idées de ce monde moderne. Cela supposait un travail en profondeur par lequel les principes permanents du catholicisme prissent un développement nouveau en assimilant après les avoir décanté et purifiés les apports valables de ce monde moderne.(3)»
Ces clairs propos nous éclairent donc sur la question essentielle du Concile. Ces éléments nouveaux, mêmes purifiés, sont-ils compatibles avec le dépôt de la Foi catholique ? Nous affirmons que non ! Les ambiguïtés ou les propos nouveaux tenus dans le Concile Vatican II, uniquement pastoral par la volonté des papes Jean XXIII et Paul VI, en hypothèquent la valeur théologique. Paul VI lui-même, s’il affirmait un jour que ce Concile était plus important que le Concile de Nicée (pourtant dogmatique), affirmait aussi en 1967 (en se contredisant) qu’on ne pouvait lui appliquer les notes d’infaillibilité. Il peut donc être clairement discuté. Voilà l’essentiel à affirmer.
« Aussi souhaitons-nous, écrit encore dans sa lettre du 24 janvier Mgr Fellay, aborder ces entretiens – que le décret reconnaît « nécessaires » – sur les questions doctrinales qui s’opposent au magistère de toujours. Nous ne pouvons que constater la crise sans précédent qui secoue l’Eglise aujourd’hui : crise des vocations, crise de la pratique religieuse, du catéchisme et de la fréquentation des sacrements. Avant nous, Paul VI parlait même d’une infiltration des « fumées de Satan » et de « l’autodémolition » de l’Eglise. Jean- Paul II n’a pas hésité à dire que le catholicisme en Europe était comme en état d” « apostasie silencieuse ». Peu de temps avant son élection au Souverain Pontificat, Benoît XVI lui-même comparait l’Eglise à un « bateau qui prend l’eau de toute part ». Aussi voulons- nous, dans ces entretiens avec les autorités romaines, examiner les causes profondes de la situation présente et en y apportant le remède adéquat, parvenir à une restauration solide de l’Eglise. »
Nous savons que cette entreprise est gigantesque, qu’elle dépasse radicalement les pauvres capacités de chacun… « Comment, objecte-t-on, prétendre convertir les intelligences faussées ?» La réponse est pourtant simple. Comprenons bien : il ne s’agit pas de présenter nos opinions personnelles en la matière, – qui sommesnous pour cela ? – mais de présenter aux interlocuteurs romains le Magistère des papes ante-concilaires qui tous ont condamné des erreurs modernes reprises dans Vatican II. De plus, nous savons que, contrairement aux sociétés humaines, l’Eglise, même si elle est gouvernée par des hommes, est essentiellement surnaturelle. Elle a, selon la volonté expresse de son divin fondateur, N.S.J.C, les promesses d’indéfectibilité. Aussi, gardons fermement accroché au cœur cette vertu théologale d’espérance. Le Bon Dieu n’exige pas une obligation de résultats, mais il demande que nous fassions notre devoir… « Celui qui t’a sauvé sans toi, ne te sauvera pas malgré toi », affirmait déjà saint Augustin… et le Concile de Trente ! Et notre devoir accompli, Dieu fera le reste. Sa réponse ne sera peut-être pas la nôtre, mais elle sera. Elle parviendra peutêtre d’une manière inattendue, mais elle sera manifeste à tous pour montrer aux hommes de bonne volonté que la Gloire appartient à Lui seul.
Alors allons à l’essentiel ! Il est certain que d’aucuns essayeront de nous diviser. Restons bien unis dans ce Bonum Certamen, dans ce bon combat de la Foi. Mais aussi portons les fruits de la foi. Car si les théologiens actuels en poste à Rome sont souvent insensibles aux arguments théologiques que nous leur présentons, ils sont très attentifs aux faits. L’essentiel, pour chacun de nous qui ne participeront pas directement à ces « entretiens nécessaires », est donc de porter les fruits de sainteté que Dieu attend de nous ! Que Dieu vous bénisse.
Abbé Patrick Verdet in L’Etoile du Matin n° 162
(1) Interview au mensuel Jesu, en Italie, par VittorioMessori, republié dans « Enquête sur la Foi », maisdont le texte a été édulcoré.
(2) Ex : de Lamennais.
(3) « Vraies et fausses réformes dans l’Eglise » – Cerf 1950 p. 345–346.