Il y a quelques jours, nous avons reçu la Lettre aux éducateurs du Président Nicolas Sarkozy. Une première lecture de ce texte pourrait nous enthousiasmer. Devant le constat d’échec patent du système éducatif actuel à la française, il propose toute une série de mesures propres à fonder l’éducation du 21e siècle.
Avant de porter un jugement sur le fond de cette lettre, essayons de résumer quelquesunes de ses constatations et de ses mesures phares.
Pour le Président, par rejet de cette époque passée, mais qui avait malgré tout sa grandeur, où la transmission du savoir était placée au-dessus de tout, on est tombé dans un excès tout aussi condamnable. Ainsi, pour avoir laissé trop de place à la valorisation de la spontanéité, pour « trop avoir eu peur de contraindre la personnalité, à ne plus voir l’éducation qu’à travers le prisme de la psychologie », l’autorité des maîtres, des parents et des institutions a été contestée et ébranlée, la culture reçue de nos anciens n’a plus été transmise « au point qu’il est plus difficile de se parler et de se comprendre ». Bref, l’échec scolaire a atteint des niveaux qui ne sont, pour le Président, plus acceptables (et pourtant on atteint chaque année des records de pourcentages de reçus au baccalauréat, allez savoir !).
Pour proposer ses remèdes, il exprime tout d’abord la finalité qu’il voit dans l’éducation : que les enfants deviennent des adultes, libres, « curieux de ce qui est beau et de ce qui est grand, ayant du cœur et de l’esprit, capables d’aimer, de penser par eux-mêmes (…) capables aussi d’acquérir un métier et de vivre de leur travail. » [1]
Dans ce contexte, il revient à l’éducateur de « cultiver l’admiration de ce qui est bien, de ce qui est juste, de ce qui est grand, de ce qui est vrai, de ce qui est profond, et la détestation de ce qui est mal, de ce qui est injuste, de ce qui est laid, de ce qui est petit, de ce qui est mensonger, de ce qui est superficiel, de ce qui est médiocre ».[2]
Pour ce faire, il veut remettre le respect comme « fondement de toute éducation » [3], avec notamment comme mesure que les élèves se lèvent à l’entrée en classe du professeur.
Respectant les enfants, l’éducateur se doit de leur apprendre à être exigeants visà- vis d’eux-mêmes, leur inculquant la hiérarchie des valeurs : « que l’élève n’est pas l’égal du maître. Nous avons le devoir de leur apprendre que nul ne peut vivre sans contrainte et qu’il ne peut y avoir de liberté sans règle. Quels éducateurs serions-nous si nous n’apprenions pas à nos enfants à faire la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit ? » [4].
C’est pourquoi, la sanction doit être revalorisée : « Quels éducateurs serions-nous si nous n’étions pas capables de sanctionner nos enfants quand ils commettent une faute ? [.] On ne lui rend pas service en disant toujours oui. Le sentiment de l’impunité est une catastrophe pour l’enfant qui teste sans cesse les limites que lui impose le monde des adultes. On ne l’éduque pas en lui laissant croire que la vie n’est qu’un jeu ou que la mise en ligne de toutes les connaissances du monde le dispense d’apprendre. (.) l’éducation doit aussi inculquer à l’enfant le goût de l’effort, lui faire découvrir comme une récompense la joie de comprendre après le long travail de la pensée. »[5].
Il rappelle également le devoir des parents, « premiers des éducateurs »[6] : « Vous devez donner l’exemple. Mais vous avez la responsabilité de faire en sorte que votre enfant aille à l’école, de lui inculquer le respect des lois et de la politesse, de contrôler que les devoirs sont faits. »[7].
Quant au mode de l’enseignement, il propose un retour à l’apprentissage du par cœur : « On a sans doute trop critiqué l’apprentissage du par cœur qui a son utilité dans la mémoire. Et qui peut se plaindre d’avoir gravé dans son souvenir quelques fables de La Fontaine ou quelques vers de Verlaine ou d’avoir appris à se repérer dans la chronologie de l’histoire de France ou dans la géographie du monde, d’avoir récité les tables de multiplication et les formules usuelles de l’arithmétique et de la géométrie ? » [8].
Ne veut-il pas, finalement, remettre la transmission du savoir et de la culture au centre du projet éducatif ? Ainsi, « la culture véritable exige davantage que la récitation. Elle ne s’installe en profondeur qu’à travers l’éveil de la conscience, de l’intelligence, de la curiosité. Il faut amener l’enfant à s’interroger, à réfléchir, à prendre de la distance, à réagir, à douter et à découvrir par lui-même les vérités qui lui serviront pendant toute sa vie. »[9]. « Naturellement, l’horizon de cette culture générale ne doit pas être une accumulation sans fin de connaissances, mais un savoir réfléchi, ordonné, maîtrisé. Il ne faut chercher ni l’exhaustivité, ni la quantité, mais viser l’essentiel et la qualité, mettre en relation les différents champs de l’intelligence humaine (…). »[10]. De plus, à l’époque du multimédia, « nos enfants n’ont pas besoin de moins de culture générale mais davantage. Ils ont besoin de capacités d’analyse, d’esprit critique, de repère. (…) Dans le monde tel qu’il est avec ses sollicitations de plus en plus nombreuses et prenantes, nos enfants ont besoin de plus d’humanisme et de plus de science. Sur ces deux terrains, nous avons trop cédé. »[11]. Cette transmission de la culture, comme la poésie, permettra en outre à l’enfant en mal d’expression de pouvoir chercher les mots justes et lui faire rejeter toute forme de violence.
En outre, pour que l’éducation devienne moins passive, il préconise la rencontre du monde scolaire avec le monde réel professionnel, ce qui est certainement une bonne chose[12].
M. le Président, voilà décrites quelques- unes de vos préoccupations, et nous serions bien volontiers à vos côtés, car elles sont souvent nôtres. Mais, ai-je bien lu vos propositions ? Une lecture plus attentive m’impère malheureusement de nuancer vos propos d’importances. Car votre discours est malheureusement contredit par d’autres paroles.
Tout d’abord, de quelle culture parlezvous ? Ménageant la chèvre et le chou, votre cœur balance pour une civilisation qui se veut, à votre dire même, « la première civilisation planétaire ».[13].Qu’est-ce à dire, si ce n’est une recherche d’une société dont le brassage des cultures sera la priorité politique pour arriver à un mondialisme triomphant ? « Face à la menace d’aplatissement du monde, notre devoir est de promouvoir la diversité culturelle. »[14]. Certes, vous prenez garde de répéter que la France doit garder sa propre identité, en allant « puiser ce qu’il y a de meilleur dans notre tradition intellectuelle, morale, artistique et de le transmettre à nos enfants »[15], mais le pourra-telle devant cette invasion a‑culturelle d’ici et d’ailleurs qui nous menace de partout ? Vous me direz que la France a toujours su procéder à cette intégration des diverses cultures. Peut-être pensez-vous à la civilisation grecque romanisée dont la civilisation chrétienne a hérité. Mais comment ont-elles été reçues ? De fait, ces vérités universelles contenues dans ces civilisations antiques sont de tout temps et ont été reçues comme telles, dans leur profonde universalité, par la civilisation chrétienne qui les a purifiées et sanctifiées. La Renaissance elle-même a commis cette erreur, « au sujet de Rome ou de la Grèce », de vouloir « ressusciter le génie grec ou le génie romain dans l’un de leurs aspects particularistes, au lieu de vouloir retrouver en eux ce qui signifiait la civilisation tout court et l’un des rares moments d’accomplissement parfait dans l’histoire des hommes ».[16].
Vous recherchez une culture commune, une identité collective, une morale partagée. « Eduquer, c’est éveiller la conscience individuelle et la hausser par paliers jusqu’à la conscience universelle, c’est faire que chacun se sente une personne unique et en même temps partie prenante de l’humanité tout entière. Entre les deux, il y a quelque chose d’essentiel que nulle éducation ne peut contourner. Entre la conscience individuelle et la conscience universelle, il y a pour nous Français, la conscience nationale et la conscience européenne. »[17].
Ensuite, l’éducation que vous projetez se propose de remanier « les principes de l’éducation du XXIe siècle qui ne peuvent pas se satisfaire des principes d’hier et pas davantage de ceux d’avant-hier ».[18].
Et pourtant les principes doivent être universels, valables pour tous les temps, même s’ils doivent s’adapter bien légitimement au temps présent, comme toute pédagogie le requiert.
Parmi ces principes du 21e siècle, il y a ce fameux égalitarisme baptisé dans le domaine de l’éducation : « Egalité des chances. » Il se traduit notamment par l’obligation de scolarité jusqu’à 16 ans, par la formule du « collège unique », etc. Mais ce postulat, qui ne repose pas sur le mérite que vous voulez remettre en valeur, mais sur un a priori idéologique, n’est-il pas celui qu’il faudrait réformer avant toute chose ? Nous y voyons en effet une des sources de l’affaiblissement du savoir que vous déplorez si justement. De plus, vous parlez de l’Europe… Certains modèles de pays voisins sont plus performants que le nôtre de ce côté et n’obligent pas de passer par un moule unique.
Vous parlez également du bien, du juste, de la vérité, mais sans les définir, sans rappeler que ce sont des réalités universelles et pérennes, qui ne peuvent changer au gré de l’humeur sociale du moment. Pire encore, vous mettez le doute sur les certitudes et sur la vérité que vous défendiez quelques instants plus tôt dans un esprit de fausse tolérance. « Je souhaite qu’on apprenne à chacun d’entre eux à respecter le point de vue qui n’est pas le sien, la conviction qu’il ne partage pas, la croyance qui lui est étrangère, qu’on lui fasse comprendre à quel point la différence, la contradiction, la critique, loin d’être des obstacles à sa liberté sont au contraire des sources d’enrichissement personnel. »[19]. En fait, une telle conception philosophique est imbue de cette dialectique historique qui veut que les contraires se fécondent mutuellement
. Quant à nous, nous ne voulons pas être l’héritier de ces mots de Voltaire qui créent forcément une évolution permanente d’une société sans repère :
Qu’est-ce que la loi naturelle ?
L’instinct qui nous fait sentir la justice.
Qu’appelez-vous juste ou injuste ?
Ce qui paraît tel à l’univers entier.[20].
Vous désirez également mettre au centre de vos préoccupations la politique familiale en permettant qu’aucun enfant ne soit laissé seul au retour de l’école. Bonne chose, bien sûr ! Vous préconisez alors la multiplication du droit à la garde des enfants par des tiers, la surveillance en étude, la création d’internats d’excellence… Et cela, pour laissez toujours une plus grande liberté à la femme de travailler, et sacrifier ainsi à l’idéologie ambiante. Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre de votre préoccupation première qui consistait à redonner aux parents la conscience de leur autorité ? Nous aurions aimé lire sous votre plume la mesure tant attendue par les familles de permettre que la maman reste à la maison au lieu de devoir, souvent par nécessité (mais malheureusement pas toujours), travailler à l’extérieur de son foyer.
A force de croire que tout homme possède sa vérité à respecter dans une neutralité républicaine, tout devient permis. N’en déplaise à l’esprit de laïcité actuel, et que vous appelez de vos vœux [21], la paix des sociétés ne se forgera que sur la vérité objective, celle du Christ-Roi des Nations.
Abbé Patrick VERDET
(Extrait de L’Etoile du Matin n° 156 de novembre et décembre 2007)
- Page 7[↩]
- Page 10[↩]
- Page 11[↩]
- Page 9[↩]
- Page 10[↩]
- Page 26[↩]
- Page 27[↩]
- Page 20[↩]
- Page 20[↩]
- Page 16[↩]
- Page 19[↩]
- Page 21[↩]
- Page 15[↩]
- Page 14[↩]
- Page 14[↩]
- In Le Latin immortel, par Marie-Madeleine Martin, Edition D.P.F.[↩]
- Page 14[↩]
- Page 7[↩]
- Page 11[↩]
- Dialogues philosophiques, 4e entretien, de la Loi naturelle et de la curiosité.[↩]
- Page 13[↩]