Editorial de décembre 2010 : un anniversaire

Un anniversaire

Bien chers fidèles,

Il y a aujourd’hui 40 ans, Monseigneur Charrière, évêque de Fribourg et Lausanne, signait l’acte de recon­nais­sance offi­cielle de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X. Portée sur les « fonts bap­tis­maux », la Fraternité était ain­si recon­nue et éri­gée comme une œuvre d’Eglise. Depuis, le temps a pas­sé, et l’histoire de la Fraternité, loin d’avoir été un long fleuve tran­quille, a connu des vicis­si­tudes incal­cu­lables, mais aus­si des joies, que l’historien met­tra plus tard au grand jour.

Par fidé­li­té à la Rome éter­nelle, son fon­da­teur, le « véné­ré Mgr Lefebvre » (pour reprendre les mots de Benoît XVI à Mgr Fellay en août 2004), lui a tra­cé un sillon bien net qui l’a pla­cée sur les cimes du com­bat pour la défense de la foi catho­lique atta­quée et minée par un néo-​modernisme tou­jours des­truc­teur. De fait, cette ligne de conduite a été incom­prise de beau­coup. Entre un sédé­va­can­tisme sans issue et un ral­lie­ment par crainte de je ne sais quelle dérive, la Fraternité n’a jamais varié dans les prin­cipes pru­den­tiels fon­dés sur la foi et la doc­trine et posés dès le départ. Sans doute, les cir­cons­tances du moment pré­sent l’ont fait adap­ter sa réponse, mais les prin­cipes doc­tri­naux et de foi demeu­rèrent inchan­gés. De la « sus­pens a divi­nis » lors de l’été chaud 1976 à l’espérance sus­ci­tée (bien à tort, il est vrai) avec l’élection du pape Jean-​Paul II en 1978…, de la condam­na­tion sans appel de la réunion oecu­mé­nique d’Assise aux sacres épis­co­paux de 1988…, du Motu Proprio de condam­na­tion Ecclesia Dei adflic­ta au pèle­ri­nage de l’an 2000 à Rome, la Fraternité est tou­jours res­tée sur la même ligne de conduite magni­fi­que­ment expri­mée dans la décla­ra­tion du 21 novembre 1974 : « Oui à la Rome éter­nelle gar­dienne des tra­di­tions, non à la Rome moder­niste.»

Au départ, il est vrai, l’attention a été mise spon­ta­né­ment sur la ques­tion de la Messe. Clercs et fidèles ont été immé­dia­te­ment frap­pés par le cou­rant sac­ca­geur qui, tel un tsu­na­mi, les a frap­pés de stu­peur. Qui pou­vait dire s’y recon­naître devant cette nou­velle Messe qui, comme l’ont écrit les Cardinaux Ottaviani et Bacci dans leur Bref exa­men cri­tique, « s’éloigne dans l’ensemble, comme dans le détail de la doc­trine du Saint Sacrifice de la Messe » ?

Peu à peu, les ana­lyses se sont faites plus minu­tieuses : devant la perte de la foi, les églises qui se vidaient, les clercs qui se sécu­la­ri­saient en nombre, il était nor­mal de se poser la ques­tion du pour­quoi, des causes géné­ra­trices d’un tel bou­le­ver­se­ment. Déjà, au Concile Vatican II, Mgr Lefebvre et les membres du Coetus iner­na­tio­na­lis Patrum s’étaient levés contre des sché­mas qui intro­dui­saient des nou­veau­tés dans la théo­lo­gie : Collégialité, oecu­mé­nisme, liber­té reli­gieuse, etc…

Dans cette pers­pec­tive, la nou­velle messe appa­rais­sait plus que jamais comme une appli­ca­tion natu­relle de ces nou­veaux prin­cipes : à nou­veaux prin­cipes théo­lo­giques, nou­velle litur­gie : la loi de la prière suit la loi de la foi, et la loi de la foi s’exprime dans la loi de la prière (Lex oran­di, lex cre­den­di). Aux pre­mières réformes en suc­cé­dèrent de nom­breuses : tous les pans de l’Eglise furent tou­chés : Messe, sacre­ments, rituel, caté­chismes, droit canon, rosaire, che­min de la croix, concor­dats avec les Etats en appli­ca­tion de la Liberté reli­gieuse, réunions oecu­mé­niques scan­da­leuses, comme celle d’Assise, etc…

Parallèlement, la Fraternité pré­sen­tait ses objec­tions et agis­sait sur le plan doc­tri­nal et pas­to­ral en conti­nuant à for­mer des prêtres, en appe­lant à la sain­te­té sacer­do­tale, à la sain­te­té des familles, en fon­dant des Prieurés, en don­nant les sacre­ments à ceux qui les deman­daient. Elle repre­nait à son compte cette parole de Notre-​Seigneur à saint François d’Assise : « François, va, et recons­truis ma Maison. »

Descendant dans l’arène et sor­tant des sen­tiers bat­tus pour le bien des âmes, elle était frap­pée au pilo­ri et cer­tains l’abandonnaient ! « Elle est trop dure, elle ne l’est pas assez », que n’a‑t-on pas enten­du ! Aujourd’hui, le temps a pas­sé, et si le com­bat de la Messe semble théo­ri­que­ment gagné depuis le Motu pro­prio du 7 juillet 2007 qui lève (en par­tie) l’opprobre et l’interdit qui pesaient sur la messe tra­di­tion­nelle, il n’en reste pas moins qu’il reste encore à exa­mi­ner la ques­tion du fond, celle du Concile Vatican II. C’est notam­ment le tra­vail auquel la Fraternité s’attelle dans ces dis­cus­sions doc­tri­nales, tra­vail long et patient, mais à Dieu d’ouvrir les intel­li­gences et les cœurs… Car nous savons bien, de par la Constitution même de l’Eglise, que la clef de la réso­lu­tion de cette crise sans pré­cé­dant repose dans les mains de l’autorité de l’Eglise, notam­ment de celle du Pape, qui peu à peu, timi­de­ment certes encore, en prend conscience…

Un point char­nière ? Mgr Fellay, récem­ment s’exprimait ain­si (DICI, le 16 octobre) :

« Le rap­pel de ce que l’Eglise a un pas­sé qui reste aujourd’hui encore tout à fait valable. Ce regard non pas pous­sié­reux mais frais sur la Tradition de l’Eglise est un apport déci­sif dans la solu­tion de la crise. On doit y ajou­ter le rap­pel de la puis­sance de la messe tra­di­tion­nelle, de la mis­sion et du rôle du prêtre tel que le veut Notre Seigneur, à son image et selon son Esprit. Lorsque nous deman­dons aux prêtres qui se rap­prochent de la Fraternité ce qu’ils attendent de nous, ils nous répondent d’abord qu’ils attendent la doc­trine. Et cela même avant la messe. C’est sur­pre­nant, mais en même temps c’est un très bon signe. Les fidèles ont le rôle impor­tant du témoi­gnage, celui de mon­trer que la vie chré­tienne comme elle a tou­jours été com­prise, avec ses exi­gences et le res­pect de la loi de Dieu est tout à fait pos­sible dans le monde moderne. C’est la vie chré­tienne mise en pra­tique, un exemple très concret dont a besoin l’homme de la rue. Et pour la géné­ra­tion de ceux qui ont vingt ans, je vois qu’elle est en attente, prête pour l’aventure de la Tradition, sen­tant bien que ce qui lui est offert au dehors n’est que du toc. Nous sommes à un point char­nière pour la recons­truc­tion à venir, et bien que cela n’apparaisse pas encore net­te­ment, je crois que tout est possible. »

Abbé Patrick Verdet, prieur

Extrait de Notre-​Dame d’Aquitaine n° 23 de décembre 2010