Rome – Fraternité Saint-​Pie X : Revue de presse du 14 au 18 avril 2012

Faute d’information cer­taine sur des faits avé­rés, la presse bâtit des hypo­thèses sur une immi­nente recon­nais­sance cano­nique de la Fraternité Saint-​Pie X. Les jour­na­listes tentent de don­ner un calen­drier et s’efforcent de scru­ter les rai­sons qu’aurait Benoît XVI d’accorder un sta­tut cano­nique à la Fraternité, mal­gré les diver­gences doc­tri­nales recon­nues de part et d’autre.

Le maga­zine alle­mand Der Spiegel, dans son édi­tion en ligne du 15 avril 2012, croit savoir que la déci­sion du pape sera com­mu­ni­quée après son anni­ver­saire (16 avril) : « A la Secrétairerie d’Etat où cer­tains docu­ments ont fait l’objet de fuite dans le public, comme des ‘Vatileaks’, cette lettre est clas­sée ‘spé­cia­le­ment secrète’. L’affaire est trai­tée actuel­le­ment avec la plus grande dis­cré­tion et ne devrait être publiée qu’après l’anniversaire. (…)

La veille, 14 avril, le quo­ti­dien fran­çais Le Figaro fai­sait part d’une réponse obte­nue de source romaine : « Officiellement, le Vatican attend la réponse de Mgr Bernard Fellay, le chef de fil des lefeb­vristes. Sitôt reçue à Rome – ‘c’est une affaire de jours et non plus de semaines’, indique-​t-​on au Vatican –, elle sera ‘aus­si­tôt’ ana­ly­sée. Si elle est conforme aux attentes, le Saint-​Siège annon­ce­ra très vite un accord historique (…) »

Le 17 avril, le vati­ca­niste Andrea Tornielli affirme dans la pré­ci­pi­ta­tion que Mgr Fellay a adres­sé une « réponse posi­tive » à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors qu’il s’agit des cla­ri­fi­ca­tions que le Supérieur géné­ral de la Fraternité Saint-​Pie X a appor­tées à sa réponse au Préambule doc­tri­nal, à la demande du car­di­nal Levada, le 16 mars der­nier. Clarifications qui doivent être main­te­nant exa­mi­nées par la Congrégation de la Foi et sou­mises au juge­ment du pape.

Tous les obser­va­teurs recon­naissent que les entre­tiens doc­tri­naux entre le Vatican et la Fraternité Saint-​Pie X ont mani­fes­té un désac­cord pro­fond sur le concile Vatican II. Le 14 avril, Jean Mercier de l’hebdomadaire pro­gres­siste La Vie, dresse sur son blog ce tableau : « Le pape est-​il vrai­ment dupe de la bonne volon­té des Lefebvristes de se récon­ci­lier en pro­fon­deur avec la Grande Eglise ? Sans pré­ju­ger de la pure­té d’intention de ces der­niers, il est évident qu’ils n’ont jamais renié leur pos­ture de fond contre le Concile et qu’ils ne le feront jamais. La demande de levée des excom­mu­ni­ca­tions ne s’est accom­pa­gnée d’aucun repen­tir sur la déso­béis­sance de 1988. Depuis, les évêques et prêtres inté­gristes ont mul­ti­plié les décla­ra­tions attes­tant qu’ils ne sont jamais venus à rési­pis­cence et qu’ils veulent conti­nuer leur com­bat contre le Concile, et notam­ment la liber­té reli­gieuse, le dia­logue inter­re­li­gieux et œcuménique.

« Selon toute vrai­sem­blance, le pape a accor­dé la levée des excom­mu­ni­ca­tions en 2009 en étant conscient de cette absence de repen­tir – ce qui est contraire à ce qui se pas­se­rait nor­ma­le­ment dans le cadre du confes­sion­nal, où la contri­tion, même impar­faite, est exi­gée. Mais l’enjeu est ici plus poli­tique… Le pape ne se fait pro­ba­ble­ment guère d’illusion sur le cal­cul stra­té­gique de ceux, même les plus modé­rés, qui seraient prêts à se ral­lier à Rome : mener une croi­sade au sein de l’Eglise pour la rame­ner à la ‘vraie’ foi, en tablant sur l’usure ou l’effacement des géné­ra­tions qui ont por­té le Concile et l’après Concile.

« Benoît XVI a sans doute esti­mé qu’il fal­lait fer­mer les yeux sur l’impénitence cer­taine de ses inter­lo­cu­teurs. Et il a déci­dé de pas­ser outre ce qui est une réa­li­té incon­tour­nable : le désac­cord total entre lui et les inté­gristes sur des élé­ments essen­tiels comme la liber­té reli­gieuse, l’œcuménisme et le dia­logue avec les autres reli­gions. Au risque de n’être pas com­pris par sa base. »

Jean-​Marie Guénois dans Le Figaro des 14–15 avril pro­pose le décryp­tage sui­vant : « L’échec appa­rent de ces der­nières (les dis­cus­sions théo­lo­giques), il y a un an, avait don­né l’impression d’un échec total de la négo­cia­tion. Le désac­cord doc­tri­nal entre les lefeb­vristes et Rome à pro­pos du concile Vatican II est effec­ti­ve­ment abys­sal. On avait sim­ple­ment oublié que l’objet de ces échanges n’était pas de trou­ver un accord, mais d’établir la liste des dif­fé­rences et de leur pourquoi.

« C’est donc en par­faite connais­sance de cause, et donc sans aucune ambi­guï­té, que Rome entend scel­ler cette uni­té retrou­vée avec Ecône, fief des lefeb­vristes en Suisse. Elle pas­se­ra pro­ba­ble­ment par l’attribution d’un sta­tut spé­cial – une ‘pré­la­ture per­son­nelle’ – déjà expé­ri­men­tée par l’Opus Dei. Cette struc­ture donne une véri­table auto­no­mie d’action dès lors que la foi catho­lique est par­ta­gée. Son supé­rieur rend compte direc­te­ment au pape et non aux évêques.

« Mais la vraie ‘révo­lu­tion’ que Benoît XVI cherche à lais­ser aux yeux de l’histoire de l’Eglise catho­lique est ailleurs. Elle touche non pas des aspects péri­phé­riques de l’Eglise catho­lique. Ceux-​ci font d’ailleurs déjà bon­dir les groupes oppo­sés à cette récon­ci­lia­tion. Lesdits ‘pro­gres­sistes’ de l’Eglise conci­liaire qui voient les ‘acquis’ du concile Vatican II remis en cause. Lesdits ‘ultras’ des rangs lefeb­vristes qui voient là une tra­hi­son et une com­pro­mis­sion avec la Rome moderniste.

« Cette révo­lu­tion a pour ambi­tion une vision élar­gie de l’Eglise catho­lique. Le théo­lo­gien Benoît XVI n’a jamais admis qu’en 1962, la bimil­lé­naire Eglise catho­lique se coupe de la culture et de la force de son pas­sé. Plus qu’une récon­ci­lia­tion avec les lefeb­vristes, il vise donc, par ce geste, une récon­ci­lia­tion de l’Eglise catho­lique avec elle-même. »

Le Spiegel en ligne du 15 avril, déjà cité, donne, sans indi­quer ses sources, cette ana­lyse qui aurait cours à Rome : « Une appré­cia­tion dif­fé­rente du Concile n’est ‘pas déter­mi­nante’ pour l’avenir de l’Eglise, parce que l’Eglise est plus que le Concile. La Fraternité Saint-​Pie X ne sou­tient plus la posi­tion selon laquelle ce Concile devrait dis­pa­raître (elle ne l’a jamais sou­te­nue, NDLR), elle a juste sa propre et légi­time com­pré­hen­sion de la ques­tion. (…) Le car­di­nal alle­mand Josef Becker, qui a par­ti­ci­pé en tant que consul­teur de la Congrégation pour la doc­trine de la foi aux entre­tiens avec la FSSPX, a décla­ré récem­ment que, même s’il est dif­fi­cile de conci­lier les deux posi­tions, il fau­drait ‘aus­si essayer de com­prendre’ l’autre. Il a plai­dé pour que l’Eglise, de toute façon, se fasse un devoir de relire à nou­veau tous les textes du Concile, afin d’en avoir la pleine com­pré­hen­sion aujourd’hui. (…) »

Mgr Bernard Fellay qui s’en tient uni­que­ment à la réa­li­té, écri­vait le 14 avril aux membres de la Fraternité Saint-​Pie X : « La presse fait état de la pos­si­bi­li­té d’une issue posi­tive immi­nente dans nos rela­tions avec Rome, sans écar­ter pour autant la menace d’une condam­na­tion défi­ni­tive. La véri­té est que rien n’est acquis, ni dans le sens d’une recon­nais­sance cano­nique, ni dans le sens d’une rup­ture, et que nous sommes dans l’expectative.

« Comme je l’ai écrit dans l’éditorial du der­nier Cor unum (bul­le­tin de la Maison géné­ra­lice de la FSSPX, NDLR) deux prin­cipes nous guident : le pre­mier est qu’il ne soit pas deman­dé à la Fraternité des conces­sions qui touchent la foi et ce qui en découle (litur­gie, sacre­ments, morale, dis­ci­pline). Le deuxième, qu’une réelle liber­té et auto­no­mie d’action soient concé­dées à la Fraternité, qui lui per­mette de vivre et de se déve­lop­per concrètement. »

On com­prend la pru­dence et la vigi­lance du Supérieur géné­ral de la Fraternité, lorsqu’on sait que sur plu­sieurs sites euro­péens est actuel­le­ment dif­fu­sée une Note de la Commission Ecclesia Dei, datée du 23 mars, après la visite cano­nique de l’Institut du Bon Pasteur. – Dans ce docu­ment on peut lire que les pro­fes­seurs du sémi­naire de Courtalain doivent faire por­ter leurs efforts « sur la trans­mis­sion de l’intégralité du patri­moine de l’Eglise, en insis­tant sur l’herméneutique du renou­vel­le­ment dans la conti­nui­té et en pre­nant pour sup­port l’intégrité de la doc­trine catho­lique expo­sée par le Catéchisme de l’Eglise catho­lique », plu­tôt que sur « une « cri­tique, même ‘sérieuse et construc­tive’, du concile Vatican II ». Critique que le théo­lo­gien John R.T. Lamont, pro­fes­seur à l’Institut catho­lique de Sydney, invite pour­tant à faire, en posant sur l’autorité magis­té­rielle de Vatican II des ques­tions qui rejoignent celles de la Fraternité Saint-​Pie X. (Lire )

Sources : Figaro/​Vie/​Spiegel/​– FSSPX-​MG/​DICI n°253 du 20/​04/​12