La sainteté au rabais

On a vu, depuis le Concile Vatican II, appa­raître des dogmes nou­veaux, un culte nou­veau qui après 50 ans n’a pro­duit que ruine et divi­sion. Soyons hon­nêtes pour le reconnaître !

On a vu naître une église élar­gie à laquelle cor­res­pon­daient de nou­veaux « bien­heu­reux », de nou­veaux « saints » aux­quels on a consa­cré de petites cha­pelles dont l’en­trée res­tait libre, toute bar­rière et toute intran­si­geance étant mise de côté, misé­ri­corde jubi­laire oblige ! On n’a plus conser­vé – et l’on s’en est glo­ri­fié – que le côté aimable, ouvert, accueillant, pas­to­ral, accep­table, « sym­pa », tout ce qui se pré­sen­tait avec un sou­rire gra­cieux. On a conser­vé uni­que­ment ce qui ne frois­sait pas, ce qui ne cho­quait pas. C’est d’ailleurs même deve­nu une obses­sion que ce fait de ne jamais vou­loir cho­quer et d’u­ti­li­ser un lan­gage étu­dié du style « bran­ding ».

Pessimisme que tout cela me direz-​vous ! non, car c’est en ver­tu de ces prin­cipes et de cet état d’es­prit que le St Curé d’Ars est pas­sé chez beau­coup de néo-​catholiques, pour un per­son­nage par­ti­cu­liè­re­ment gênant. Pensez donc ! Vous vous ren­dez compte ? Le St Curé d’Ars prê­chant contre la danse, par­lant des graves devoirs et des acca­blantes res­pon­sa­bi­li­tés du prêtre ! Lui qui confes­sait jus­qu’à 18 heures par jour par­fois, savait bien pour­quoi il prê­chait, et de quoi il par­lait. Quand en 1958, le jour­nal « La Croix » avait publié – par je ne sais quel miracle – ces pro­pos du St Curé d’Ars, ce fut une levée de bou­cliers. En un temps où si rares sont les voca­tions, s’écriait-​on, de tels ser­mons ne vont-​ils pas contri­buer à les raré­fier plus encore ? Le plus piquant de l’af­faire, c’est qu’au moment même où le Saint Curé fai­sait ces aus­tères décla­ra­tions, les sémi­naires regor­geaient. C’est donc bien plu­tôt notre foi affai­blie par 50 ans d’air conci­liaire mal­sain et pol­lué qui a contri­bué au refroi­dis­se­ment cli­ma­tique de la chré­tien­té ; foi affai­blie qui, comme nous en aver­tit saint Paul, finit par « ne plus sup­por­ter la saine doctrine ».

La doc­trine catho­lique choque parce que notre foi s’est un peu ou beau­coup mise au goût du jour. Et c’est le même saint Paul qui, à la pen­sée des tri­bu­la­tions qui l’at­ten­daient, n’hé­si­tait pas à écrire :

« Je ne crains rien de tout cela et je n’at­tache pour moi-​même aucun prix à la vie pour­vu que je pour­suive ma course et que j’ac­com­plisse le minis­tère que j’ai reçu du Seigneur, de rendre témoi­gnage à l’Evangile de la grâce de Dieu ». (Ac 20, 24)

Pour bien des catho­liques affai­blis, le St Curé d’Ars est aujourd’­hui un per­son­nage extrê­me­ment gênant, comme St Pie X « trop inté­griste », Ste Jeanne d’Arc « trop natio­na­liste », et la pauvre Ste Thérèse « pas assez acti­viste ». Il y a pour ces néo-​catholiques toute une liste de « pros­crits ». La véri­té est que le péché, l’en­fer, la péni­tence, le pur­ga­toire, tout cela semble aujourd’­hui moyen­âgeux, dépas­sé, vieilli. Oh, on ne nie pas tou­jours abso­lu­ment ces véri­tés, mais on les inter­prète, on les édul­core, on les étire comme on le ferait d’un vul­gaire chewing-​gum, ou tout sim­ple­ment on les passe sous silence. On se flatte en tout cas d’en don­ner une concep­tion accep­table et au goût du jour.

C’est ain­si qu’un jour un pré­di­ca­teur de retraite s’é­tait avi­sé, pour mieux aider son jeune audi­toire à réa­li­ser l’en­fer, de l’in­vi­ter à s’i­ma­gi­ner met­tant le bout du doigt au-​dessus d’une flamme de bou­gie, non pas pour un moment seule­ment, mais pen­dant des siècles sans fin. Monseigneur Chevrot, pré­di­ca­teur à Notre-​Dame, peu ver­té­bré sur le plan doc­tri­nal, évo­quait le fait et avouait consi­dé­rer le pro­cé­dé comme abso­lu­ment pué­ril et indigne de nos temps, et il s’en décla­rait scan­da­li­sé. Il pre­nait soin d’a­jou­ter, qu’en ce qui le concerne, il pré­fé­rait de beau­coup s’en tenir pure­ment et sim­ple­ment à la pré­di­ca­tion du Corps Mystique. C’était assu­ré­ment plus ano­din ! Mais il n’y a ici qu’un mal­heur, c’est que le fait de secouer les âmes afin de les mieux sau­ver en les sor­tant de leur tor­peur et des posi­tions par trop faciles – posi­tions où ne se plait que trop la nature – a tou­jours été l’or­di­naire tac­tique des saints, encou­ra­gés qu’ils étaient sur ce point par l’Eglise même.

« Dès ma tendre enfance, écri­vait saint Michel Garicoïts de sa mère, elle s’ap­pli­qua à m’ins­pi­rer l’hor­reur du péché, et à l’âge de 4 ans, je trem­blais de tous mes membres lors­qu’elle me disait d’une voix grave devant les flammes qui pétillaient dans l’âtre : mon fils, c’est dans un feu bien plus ter­rible que Dieu jet­te­ra les enfants qui font un péché mortel ».

On ne voit pas qu’une telle leçon ait contra­rié en rien sa sain­te­té, au contraire. « Crucior in hoc flam­ma » « Je suis cru­ci­fié dans cette flamme » fait dire Notre-​Seigneur en propres termes au mau­vais riche, pur­geant dou­lou­reu­se­ment sa peine au fond de l’a­bîme d’où il ne revient pas. Et notre-​Seigneur connais­sait certes – c’est le moins qu’on puisse dire – le sens de ces mots et les employait à bon escient.

L’unique ambi­tion de cer­tains, d’autre part, et ils sont hélas nom­breux, c’est que l’on dise d’eux : « ce sont de bons chré­tiens, ils sont ouverts, ils ne sont pas sec­taires ». Vous avez déjà cer­tai­ne­ment enten­du le refrain. Quand on a dit cela d’eux, on a tout dit ! Mais ce qui est trou­blant, c’est que ce bre­vet de « bon chré­tien » leur est décer­né par l’in­dif­fé­rent, l’adversaire.

Or, celui-​ci – la chose est évi­dente – estime sur­tout, ce disant, les gens qui se font battre faci­le­ment, les gens qui n’osent employer leurs meilleures armes, qui ont peur de mon­ter à l’as­saut et de vaincre.

De leur côté, les catho­liques affa­dis ne manquent jamais de louer les qua­li­tés de l’ad­ver­saire. On les voit flir­ter volon­tiers avec lui, s’ex­ta­sier devant la dis­ci­pline et le dévoue­ment d’un adver­saire. « Ah ! les entend-​on s’é­crier, si les nôtres fai­saient comme eux ». C’est par­fois un peu vrai, mais atten­tion, ils n’ou­blient qu’une chose, c’est que « les nôtres » ont fait mieux, beau­coup et infi­ni­ment mieux, ils sont morts par dizaines de mil­lions pour affir­mer leur Foi et res­ter fidèles à NSJC. Ils oublient que ces adver­saires qu’ils admirent étaient eux-​mêmes les bour­reaux des mar­tyrs de notre temps. Ils oublient que dans l’Espagne de 1936, der­rière le rideau de fer dans les Pays de l’Est, en Chine, au Viêtnam, il y a eu des évêques, des prêtres, des fidèles qui ont souf­fert et sont morts pour notre Seigneur Jésus-Christ.

Plaire à nos adver­saires, plaire aux non-​catholiques, telle est l’am­bi­tion de l’œ­cu­mé­nisme conci­liaire qui ne peut plus méri­ter le titre d’a­pos­to­lat chré­tien, étant don­né que l’en­sei­gne­ment de la Tradition de l’Eglise n’a plus pour lui grande valeur et qu’il inter­prète textes tra­di­tion­nels et ency­cliques en les accom­mo­dant à son goût et au gré de sa fantaisie.

Mais ce vague atta­che­ment que ces par­ti­sans du dia­logue œcu­mé­nique portent à NSJC, l’é­ti­quette chré­tienne qu’ils conti­nuent d’ar­bo­rer, les quelques habi­tudes reli­gieuses qu’ils ont conser­vées et aus­si quelques sen­ti­ments sin­cères qu’ils gardent au fond du cœur, permettent- ils de les consi­dé­rer encore comme des chré­tiens tout court ?

Parmi eux, beau­coup sont sin­cères, peut-​être, mais sur­tout ils ont des sen­ti­ments mais sans ces convic­tions de Foi qui viennent de l’adhé­sion de l’in­tel­li­gence à la Vérité révé­lée. Or, chez eux, ce n’est ni l’âme qui compte, ni même la tête, mais sim­ple­ment le cœur ; ce n’est pas la pen­sée, mais l’é­mo­ti­vi­té. Une messe célé­brée dans un ate­lier d’u­sine, la visite d’un pape à la syna­gogue, par exemple, cela repré­sente chez eux l’émotion-​type dont ils aiment se sen­tir sou­le­vés, émo­tion bien supé­rieure à celle de la Messe elle-​même ou à la pro­fes­sion intègre de la Foi et à la lutte contre toute forme d’œ­cu­mé­nisme, d’indifférentisme.

Des gens sin­cères, de bonnes gens, sans oublier ceux qui savent très bien ce qu’ils démo­lissent, mais pour les autres des gens sin­cères, mais très dan­ge­reux lors­qu’ils pré­tendent être à l’avant-​garde et mar­cher les pre­miers. En les sui­vant, on est à peu près sûr de s’é­ga­rer. Ils ont vou­lu rap­pro­cher l’homme de Dieu, des­sein excellent en soi, et qui par­tait d’un bon natu­rel, mais pour le réa­li­ser, ils ont fait dis­pa­raître Dieu au point d’en faire un homme uni­que­ment, et le culte ren­du à Dieu est deve­nu le culte de l’homme si cher à Paul VI et au pape actuel. Ce dieu gens, pas très exi­geant, misé­ri­cor­dieux au sens du pape François, voyant les sen­ti­ments, res­pec­tueux de la conscience de cha­cun, ouvrant plus lar­ge­ment les portes du Paradis et per­met­tant qu’on y entre sans trop de for­ma­li­tés, pour­vu qu’on soit ani­mé de bonnes intentions.

Ce n’est donc pas en don­nant à Dieu un peu seule­ment de nous-​mêmes que l’on peut être un saint. On peut être un « grand homme », on peut être un brave homme, mais être catho­lique, être un saint est d’un autre ordre, c’est une autre affaire. On ne le peut que si l’on est catho­lique, non pas seule­ment de parole, mais de vie et authentiquement.

Il ne suf­fit pas d’ai­mer Sainte Jeanne d’Arc pour ses exploits, ni d’ai­mer notre-​Seigneur même parce qu’il pas­sa en fai­sant le bien. Il faut aimer notre Seigneur Jésus-​Christ, Dieu, aimer son corps mys­tique qu’est l’Eglise. Il ne suf­fit pas d’ai­mer les hommes parce qu’ils ont un corps comme nous et des fai­blesses comme nous, ni d’ai­mer leurs fai­blesses pour nous faire par­don­ner les nôtres. C’est en Dieu qu’il faut les aimer et c’est Dieu qu’il faut aimer en eux. Alors de grâce, ne fai­sons pas subir à la sain­te­té une dévalorisation.

Certains s’ex­ta­sient devant les moindres qua­li­tés d’un adver­saire. « Il était loyal, dit-​on, il était sin­cère ». Mais s’il se trom­pait, tout sin­cère qu’il était, depuis quand son erreur aurait été moins dan­ge­reuse ? On couvre d’é­loges les enne­mis d’hier, une fois morts, ces hommes qui ont com­bat­tu l’Eglise toute leur vie, les voi­là loués et exal­tés plus que ne le seront jamais de bons vieux catho­liques. On veut rendre la sain­te­té facile, la mettre à la por­tée de tous. On appel­le­ra alors sain­te­té, la simple hon­nê­te­té, par­fois encore moins. On ira répé­tant que tel homme a fait du mal, mais qu’il aurait pu en faire bien davan­tage et que pour cela il faut lui par­don­ner et l’a­voir en grande estime. Or, par­don­ner à un enne­mi est certes une obli­ga­tion pour tout chré­tien, mais il en est une autre, non moins pres­sante, celle d’ap­pe­ler bien ce qui est bien, mal ce qui est mal.

Second degré de déva­lo­ri­sa­tion : on appelle sain­te­té sim­ple­ment l’ab­sence du mal. C’est là une sain­te­té néga­tive. Le caté­chisme enseigne qu’on peut pécher par omis­sion. La gent conci­liaire, elle, semble affir­mer qu’on peut se sanc­ti­fier par omis­sion du mal. Alors on devient un saint sans le faire exprès !

Troisième degré de déva­lo­ri­sa­tion : celui où l’on com­met seule­ment le péché véniel. On ne sau­rait, cela va de soi, cano­ni­ser le péché mor­tel, mais en rai­son de la fai­blesse humaine, on tolère le péché véniel, on arrive à voir dans celui-​ci comme un suc­cé­da­né accep­table et un moyen d’é­vi­ter et de com­battre le péché mor­tel. On a là une sorte de morale homéo­pa­thique qui enva­hit les âmes de ces néo-​chrétiens que l’on appelle aus­si des demi-​chrétiens. On se contente de peu, et l’im­por­tance de ce peu, on le sait, tend à dimi­nuer tou­jours un peu plus. Du bien on passe au moindre bien et non pas au mieux, puis du moindre bien, on glisse au moindre mal. On arrive à cano­ni­ser tous les hommes qui ont un casier judi­ciaire vierge et les élec­teurs qui jouissent de leurs droits civiques. Quant à ceux que l’on ne peut abso­lu­ment pas cano­ni­ser, on trouve tou­jours le moyen de les excu­ser. En les excu­sant on se cano­nise soi-​même. Alors que les saints se croient de grands pécheurs, les néo-​chrétiens par­tagent l’o­pi­nion contraire, s’i­ma­ginent eux, être des saints authentiques.

D’après la nou­velle morale conci­liaire, la sain­te­té appa­rai­trait comme quelque chose de néga­tif. Ce serait seule­ment l’ab­sence du mal, ou l’ab­sence du pire. Mais com­ment appe­ler cela une morale !

Ces « âmes fuyantes » selon la très juste expres­sion de St Pie X, ne s’at­tachent à rien de fixe, elles évo­luent, elles s’a­daptent ; c’est ce qu’on appelle à Taizé, « la dyna­mique du pro­vi­soire ». Ces âmes sont soi-​disant de leur temps et semblent fuir la fixi­té de la Croix. Celle-​ci se dresse pour­tant inébran­lable. Ce qui passe, c’est le monde et sa concu­pis­cence. L’Eglise est une barque qui flotte, mais une barque de bois solide, faite du même bois que celui de la Croix. La Croix ne change pas, la barque ne change pas, l’Eglise ne change pas parce que le Christ ne change pas. C’est donc bien à Lui qu’il faut res­sem­bler sur ce point comme en tous les autres. Et tous les saints lui ont effec­ti­ve­ment res­sem­blé : nous voyons en eux son reflet et ils ne pos­sèdent la sain­te­té que parce qu’ils en ont repro­duit l’Image, que parce qu’ils ont lais­sé la grâce gra­ver cette Image en leur âme.

Infiniment variée est la foule des saints, mais tous ont un carac­tère com­mun, celui de repro­duire en eux l’i­mage de NSJC, accen­tuant plus pro­fon­dé­ment tel ou tel trait, ce qui les dif­fé­ren­cie entre eux.

Dieu sans doute est infi­ni­ment bon, et, pour des motifs qui nous échappent, se fait par­fois un jeu de sau­ver des pêcheurs que les hommes condamnent, mais Il est infi­ni­ment juste aus­si, et peut-​être se montrera-​t-​il plus exi­geant qu’on ne pense pour quelques-​uns de ces pauvres hommes que les néo-​chrétiens vou­draient nous pro­po­ser comme modèles. Les vrais chré­tiens ont tou­jours levé d’ins­tinct les yeux vers le ciel, ils ont tou­jours pla­cé ce ciel au som­met d’une mon­tagne qu’il faut gra­vir, et lorsque sous l’ef­fort il leur arri­vait de défaillir, ils étaient convain­cus que le Christ vien­drait au-​devant d’eux, les sou­tien­drait et les aide­rait à por­ter leur Croix, comme Simon de Cyrène L’avait aidé à por­ter la sienne au jour de la Passion.

Pour la men­ta­li­té conci­liaire, tout est chan­gé. Plus n’est besoin, soi-​disant, de regar­der vers le ciel, ni même de regar­der quelque chose.

On ferme sys­té­ma­ti­que­ment les yeux, on se laisse glis­ser comme une eau qui coule dou­ce­ment vers le maré­cage. On se laisse aller parce qu’on consi­dère avec Rousseau que « l’homme naît bon » et qu’il n’y a dès lors qu’à suivre la nature, en ajou­tant une petite prière lors­qu’on y pense, rele­vée d’un petit sou­ve­nir de caté­chisme lors­qu’il revient en mémoire.

Par contre, il y a une par­tie du caté­chisme dont on affecte ne pas se sou­ve­nir. On a oublié le péché ori­gi­nel, on a oublié le poids que nous por­tons tous en nous et qui nous attire vers la terre, vers la boue.

Captifs déli­vrés nous n’en traî­nons pas moins encore gra­vée dans notre chair, la cica­trice des plaies qu’elles nous firent. On oublie non seule­ment le péché ori­gi­nel, mais le péché tout court avec ses consé­quences. Et, de glis­se­ment en glis­se­ment, de conces­sion en conces­sion, d’ac­cep­ta­tion en accep­ta­tion on en arrive à une sorte de catho­li­cisme fade, sans véri­té ni sacre­ments, qui semble suf­fire à beau­coup et à les contenter.

Mais le Christ Jésus qui doit juger tous les hommes s’en contentera-​t-​il ? n’a-​t-​Il pas dit : « soyez par­faits » ? ne s’est-​Il pas don­né à nous comme exemple quand Il a pro­cla­mé « que celui qui m’aime prenne sa Croix et qu’il me suive » ?

N’a-​t-​Il pas dit encore qu’il fal­lait vendre tous ses biens pour ache­ter la perle incom­pa­rable de la vie éter­nelle ? Le Paradis, qu’est-​il, sinon la grande joie dans l’in­fi­ni de l’Amour divin ? Ce n’est pas une sorte de pro­lon­ga­tion d’une retraite avec veillée joyeuse et pai­sible, l’hi­ver au coin du feu et la sieste l’é­té sous la ton­nelle, ce n’est pas la pro­lon­ga­tion des petites joies ter­restres de tous les jours, ce n’est pas l’é­ter­nelle vieillesse d’un corps sans vigueur ni mala­die, d’une âme sans gran­deur dans le bien et sans force contre le mal.

Le Paradis, c’est une jeu­nesse renou­ve­lée. Alors, avançons-​nous vers Dieu qui est la joie de notre jeu­nesse, vers Dieu que nous aime­rons de toute notre ardeur.

Mais, s’il n’y a plus d’en­fer, ni de péché, il n’y a plus de Paradis non plus, il n’y a plus de sain­te­té, il n’y a plus ni effort, ni vic­toire, ni combat.

Par voie de consé­quence, il n’y a plus de Rédemption et l’on se demande ce que notre Seigneur Jésus-​Christ a bien pu venir faire en ce monde puisqu’Il a vou­lu souf­frir, et pour­quoi on conti­nue à par­ler du Précieux Sang. On admet le Christ gué­ris­sant les malades, mais on ne veut pas du Christ absol­vant les pécheurs, le péché ayant ces­sé d’être ce que le caté­chisme veut qu’il soit : le plus grand mal qui soit au monde.

Alors ce n’est plus la peine de cano­ni­ser cer­tains justes en ce monde, ni de glo­ri­fier des mar­tyrs, il ne reste plus qu’à dis­tri­buer des prix de ver­tu pour sau­ve­teurs de noyés, pro­tec­teurs de la pla­nète et des migrants, pom­piers étei­gnant des incen­dies, infir­mières soi­gnant des bles­sés avec dévoue­ment, huma­nistes de tous pays.

Et l’on tombe alors de Rome, de St Pierre et du Colisée, du Calvaire et du St Sépulcre d’où le Christ est sor­ti vivant, à la petite réjouis­sance du chef-​lieu de can­ton où l’on récom­pense de braves gens mais qui ne sont tout de même pas des saints. Et parce qu’on n’ose plus regar­der vers le ciel, on ne lève plus les yeux et l’on se contente de les fixer sur la boue dans laquelle on marche, pour ne pas dire autre chose ! Satan, du fond de son enfer doit exul­ter en toute véri­té à voir tant de pauvres chré­tiens tom­ber dans le piège qu’il leur a ten­du, sans autre hori­zon que celui de la terre, sans autre espé­rance que les avan­tages maté­riels, et Dieu sait s’ils sont de peu de qua­li­té et inca­pables de rem­plir ce vase pro­fond qu’est le cœur humain. Toutes ces diverses consta­ta­tions de nos déchéances sont-​elles une rai­son de nous fixer les bras dans un pes­si­misme atter­ré et sans issue ? non, la Sainte Espérance est là qui nous donne la main et nous trans­porte. Ce n’est pas le méde­cin qui pour avoir fait un exa­men trop som­maire de son malade, se ren­dra le mieux maître des troubles qu’il peut pré­sen­ter. Voir d’a­bord et bien voir, telle est la clé d’un bon diag­nos­tic et la source de toute thé­ra­peu­tique féconde.

Le remède à ce néo-​catholicisme de misère et d’a­ban­don, c’est dans une Foi intègre qu’il faut aller le cher­cher. Cela en allant à Dieu par la Foi, par la prière, par le retour aux sacre­ments, à la Sainte Eucharistie en par­ti­cu­lier, source par excel­lence de vie féconde, et sans laquelle aucune élite féconde ne sau­rait, dans l’Eglise, se dessiner.

Abbé Xavier Beauvais, prêtre de la Fraternité Saint-​Pie X, (Adaption d’un essai de bilan reli­gieux « Catholiques décal­ci­fiés » par Bernard d’Arianze et Denys Gorce.)

Source : Acampado n° 114 d’a­vril 2016