Entretien avec l’abbé Petrucci : « S’opposer aux erreurs modernes et conserver la foi, sans compromission »

Malgré un emploi du temps très rem­pli M. l’ab­bé Pierpaolo Petrucci, nom­mé curé de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet par le nou­veau Supérieur du District de France, a bien vou­lu réser­ver son pre­mier entre­tien public à La Porte Latine.

M. l’ab­bé Petrucci est né le 26 avril 1961 en Italie. Il a fait son pre­mier enga­ge­ment dans la FSSPX le 8 décembre 1981 et a été ordon­né prêtre le 29 juin 1987 par notre véné­ré fon­da­teur feu Mgr Lefebvre.

La Porte latine – Monsieur l’abbé Pierpaolo Petrucci, vous êtes depuis le 6 août der­nier Prieur-​doyen du Prieuré Sainte-​Geneviève de Paris et donc curé de l’église Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet que d’aucuns appellent le « phare de la Tradition ». Tout d’abord, quelles fonc­tions avez-​vous occu­pées avant cette récente et belle nomination ?

Ordonné prêtre en 1987 par Mgr Lefebvre, j’ai débu­té mon apos­to­lat à l’école l’Étoile du Matin en Alsace. Je garde un sou­ve­nir inou­bliable du temps pas­sé là-​bas et des fidèles de Metz et de Strasbourg. Après quelques années en Italie dans notre mai­son de retraites spi­ri­tuelles à Montalenghe, près de Turin, et un court séjour au prieu­ré de Rimini, j’ai été nom­mé en France au prieu­ré d’Unieux, d’abord sous l’autorité de M. l’abbé Bouchacourt puis sous celle de M. l’abbé Loïc Duverger, avant de deve­nir prieur. J’ai pu appré­cier la gen­tillesse et la géné­ro­si­té de nos fidèles sté­pha­nois et roan­nais dans le sou­tien de notre petite école et du Prieuré. Ensuite la Providence m’a conduit au prieu­ré Saint-​Louis, à Nantes, où j’ai suc­cé­dé au regret­té abbé Bonneterre. C’est un magni­fique prieu­ré duquel dépen­dait à l’époque l’apostolat en Vendée et à Vannes, apos­to­lat qui s’est aujourd’hui consi­dé­ra­ble­ment déve­lop­pé. De retour en Italie, je me suis occu­pé du prieu­ré de Rimini avant d’être nom­mé Supérieur de dis­trict. J’ai pu consta­ter qu’en Italie les racines chré­tiennes ne sont pas encore tota­le­ment des­sé­chées et favo­risent l’apostolat. L’ouverture d’un pré-​séminaire nous a per­mis de récol­ter des voca­tions pro­ve­nant de divers milieux. Souvent, elles nous étaient envoyées par des prêtres amis, tou­jours plus nom­breux à se rap­pro­cher de la Fraternité du fait que la crise de l’Église est de plus en plus mani­feste sous l’actuel pon­ti­fi­cat. Après une année et demie pas­sée en Irlande, me voi­ci donc nom­mé à la belle église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

La Porte Latine – Peut-​on dire, sans par­ler la langue de buis, que votre départ d’Italie et votre court pas­sage en Irlande sont le fruit de votre carac­tère qui refuse les demi-​mesures ou les demi-opinions ?

Je pense qu’en prin­cipe nos supé­rieurs tiennent compte des carac­tères des prêtres dans leurs déci­sions de muta­tion, et le mien est assez entier. Cependant der­rière des déci­sions humai­ne­ment sur­pre­nantes, il est impor­tant, me semble-​t-​il, de sai­sir les des­seins mys­té­rieux de Dieu qui dirige tou­jours notre vie en vue de notre plus grand bien. J’ai été très heu­reux de mon séjour en Irlande qui m’a don­né la pos­si­bi­li­té d’apprendre un peu l’anglais, langue deve­nue aujourd’hui indis­pen­sable pour la com­mu­ni­ca­tion et donc très impor­tante en par­ti­cu­lier pour le prêtre, qui a pour mis­sion la dif­fu­sion de l’Évangile. Ce fut une grande joie de connaître ce pays encore pro­fon­dé­ment chré­tien mal­gré les épreuves qu’il a connues ces der­nières années et sur­tout, il faut le dire, mal­gré la tra­hi­son de presque toute la hié­rar­chie ecclé­sias­tique dans le récent com­bat qui a ouvert la porte à l’avortement.

La Porte Latine – Vous suc­cé­dez à ce poste à des figures « mar­quantes » comme, entre autres, les abbés Philippe Laguérie, Christian Bouchacourt, Xavier Beauvais ou Patrick de La Rocque ain­si que l’abbé Emeric Beaudot. Vous-​même avez lais­sé une forte empreinte lors de vos quatre années à Nantes. Quelles sont vos prio­ri­tés pour cette grande paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ?

Tout d’abord, je vou­drais conser­ver l’ambiance ami­cale et fra­ter­nelle, fon­dée sur la foi et l’idéal com­mun, que j’ai trou­vée au sein de la com­mu­nau­té des prêtres et des frères. Je crois que c’est vrai­ment une condi­tion essen­tielle pour exer­cer un apos­to­lat fructueux.

Ensuite, je cher­che­rai à emboî­ter le pas à mes pré­dé­ces­seurs. Ils ont su orga­ni­ser le tra­vail d’une façon extra­or­di­naire, aidés par les confrères et les frères qui sont ici depuis long­temps et qui apportent une aide indis­pen­sable. Il me semble qu’il est très impor­tant de conti­nuer à don­ner aux fidèles une for­ma­tion solide et une connais­sance pro­fonde de la bonne doc­trine et de la crise qui tra­vaille aujourd’hui l’Église, pour enra­ci­ner en eux des convic­tions pro­fondes qui les aident à s’opposer aux erreurs modernes et à conser­ver la foi, sans com­pro­mis­sion.

Je pense aus­si qu’il est plus impor­tant que jamais de nour­rir la vie spi­ri­tuelle des fidèles et de les confir­mer dans l’espérance pour qu’ils sachent tou­jours voir, der­rière la ter­rible situa­tion que nous connais­sons aujourd’hui, la main de Dieu qui dirige le cours de l’histoire pour le bien de ceux qui l’aiment. Notre but doit être de sus­ci­ter ain­si un grand zèle apos­to­lique pour le salut des âmes auquel tous les chré­tiens sont appe­lés à collaborer.

La Porte Latine – Saint-​Nicolas du Chardonnet est éga­le­ment répu­té, à juste titre, pour le nombre de ses conver­sions et, par­mi elles, des adultes se pré­pa­rant au bap­tême. Pouvez-​vous nous dire com­bien s’y pré­parent à l’heure actuelle ?

L’apostolat auprès des caté­chu­mènes est très inté­res­sant. On voit arri­ver à Saint-​Nicolas, par des che­mins très dif­fé­rents, des per­sonnes de tous bords, sou­cieuses d’approfondir les véri­tés de notre foi pour rece­voir le bap­tême. Cela montre com­ment Dieu opère dans les âmes, mal­gré la situa­tion du monde et de l’Église. Et c’est très encou­ra­geant. Pour l’instant il y une quin­zaine de per­sonnes qui viennent au caté­chisme en vue du bap­tême. Il faut prier pour leur persévérance.

La Porte Latine –« Curé » de Saint-​Nicolas, vous êtes éga­le­ment doyen du doyen­né de Paris. Que repré­sente ce doyen­né de Paris : com­bien de prêtres, com­bien de prieurés ?

Le doyen­né de Paris est actuel­le­ment consti­tué de sept prieu­rés où résident au total 37 prêtres et 4 frères. La charge de doyen, n’étant pas pré­vue dans les sta­tuts de la Fraternité, dépend entiè­re­ment de la volon­té du Supérieur de dis­trict. Actuellement le rôle du doyen se limite à orga­ni­ser les réunions de doyen­né qui ont lieu deux fois par an.

La Porte Latine – Quelles sont vos rela­tions avec l’archidiocèse de Paris et plus géné­ra­le­ment avec vos confrères, les curés « conciliaires » ?

Je suis très favo­rable aux contacts avec les confrères prêtres et j’espère avoir l’occasion de faire connais­sance avec nos confrères voi­sins. Je crois que notre Fraternité peut leur appor­ter beau­coup quant à la doc­trine et à la litur­gie tra­di­tion­nelles. D’autre part, leur expé­rience peut nous aider à mieux com­prendre la situa­tion actuelle de l’Église. Les rela­tions que j’ai pu nouer avec des prêtres en Italie m’ont conduit à pen­ser que le grand enne­mi du prêtre dio­cé­sain est aujourd’hui la soli­tude, sur­tout s’il a encore des idées un peu tra­di­tion­nelles. L’idée de Mgr Lefebvre de nous faire vivre en com­mu­nau­té fut une grande intui­tion, due à son extra­or­di­naire expé­rience pastorale

La Porte Latine – Beaucoup de « ral­liés » sont tota­le­ment désem­pa­rés par le pape régnant et regrettent Benoît XVI. Que pouvez-​vous leur dire pour les convaincre qu’il existe une autre voie que celle dans laquelle ils se sont enga­gés et qui res­semble, aujourd’hui plus que jamais, à une impasse ?

Les excès du pon­ti­fi­cat actuel et le dévoie­ment de la morale chré­tienne – qui s’est mani­fes­té par exemple dans Amoris lae­ti­tia ̬– ont ouvert les yeux à quelques membres de la hié­rar­chie et à beau­coup de prêtres et fidèles. C’est cer­tai­ne­ment une grâce de Dieu, à laquelle cor­res­pond cepen­dant l’obligation de dénon­cer clai­re­ment et publi­que­ment ces erreurs qui font des ravages. La consta­ta­tion des excès actuels devrait conduire à recher­cher leurs véri­tables causes. Pour cela il est fon­da­men­tal d’une part étu­dier les grandes ency­cliques des Papes d’avant le concile et d’autre part d’approfondir les auteurs contre-​révolutionnaires, comme Mgr Delassus qui, dans son livre Le Problème de l’heure pré­sente, a rédi­gé une belle syn­thèse des pro­ces­sus révo­lu­tion­naires et jeté des lumières, je dirais presque pro­phé­tiques, sur la situa­tion que nous vivons aujourd’hui dans la socié­té et dans l’Église.

La Porte Latine – Que pensez-​vous des prises de posi­tion du Pape François ? Croyez-​vous, comme cer­tains le disent, qu’il est en per­ma­nence dans le para­doxe ou, qu’en fin jésuite, il a un plan bien arrê­té pour tout bou­le­ver­ser dans l’Eglise ?

Il me semble que la façon d’agir du Pape est entiè­re­ment conforme à sa for­ma­tion et s’inscrit, avec les par­ti­cu­la­ri­tés de sa per­son­na­li­té, dans la droite ligne des prin­cipes déjà pré­sents dans le concile Vatican II et appli­qués par les papes ces der­nières années. Ce n’est que le fruit le plus mûr de cet arbre mauvais.

Il ne faut pas oublier que le Pape Benoit XVI, à qui beau­coup font réfé­rence aujourd’hui en réac­tion au pon­tife actuel, a tou­jours été lui aus­si, mal­gré sa sym­pa­thie pour la litur­gie tra­di­tion­nelle, for­te­ment enga­gé dans l’œcuménisme, comme avant lui Paul VI et Jean Paul II. Il faut abso­lu­ment détruire le germe de ce virus ino­cu­lé à l’Église, résu­mé par la tri­lo­gie révo­lu­tion­naire : œcu­mé­nisme, liber­té reli­gieuse, col­lé­gia­li­té épis­co­pale. Un retour à un pon­ti­fi­cat plus conser­va­teur, qui ferait bloc autour de ces mau­vais prin­cipes, ne pour­rait que cana­li­ser les réac­tions légi­times dans le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire – et donc les neu­tra­li­ser. La Révolution, quant à elle, conti­nue­rait à avan­cer selon sa tech­nique bien connue : deux pas en avant et un en arrière.

La Porte Latine – Peut-​on dire que ce Pape nous oblige, dans la Tradition en géné­ral et dans la Fraternité en par­ti­cu­lier, à plus de rigueur doc­tri­nale et qu’il nous pousse, mal­gré ou grâce à lui, à nous main­te­nir plus que jamais sur la ligne de crête ?

Je crois que la situa­tion extra­or­di­naire que l’Église vit aujourd’hui nous oblige pre­miè­re­ment à appro­fon­dir constam­ment la bonne doc­trine pour four­nir des réponses théo­lo­giques conformes à la Tradition, sans tom­ber tou­te­fois dans des excès dic­tés par la pas­sion. Cette étude doit ensuite nous por­ter à don­ner un ensei­gne­ment clair et argu­men­té, à trans­mettre la foi mais aus­si à nous oppo­ser fran­che­ment, constam­ment et publi­que­ment aux erreurs ensei­gnées par les auto­ri­tés romaines, qui causent de graves scan­dales par­mi les fidèles. Je suis per­sua­dé que c’est le plus grand ser­vice qu’on puisse rendre à l’Eglise.

La Porte Latine – L’Eglise conci­liaire vient d’achever son synode des jeunes. Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet compte un nombre très impor­tants de jeunes pra­ti­quants. Quel aurait été votre mes­sage, si vous aviez dû par­ti­ci­per à un synode sur ce thème ?

Il est clair que les enne­mis de l’Église essaient de détruire le catho­li­cisme par une vaste entre­prise de cor­rup­tion : cor­rup­tion des mœurs et cor­rup­tion des idées. Pour contri­buer à rebâ­tir une socié­té chré­tienne, tout jeune devrait recher­cher une grande pure­té de corps et d’esprit, en ali­men­tant sa vie spi­ri­tuelle par la confes­sion et la com­mu­nion fré­quentes, l’étude de la bonne doc­trine et la contem­pla­tion des véri­tés éter­nelles. C’est ain­si qu’il pour­ra œuvrer à la rechris­tia­ni­sa­tion du monde, dans un grand élan mis­sion­naire qui lui per­met­tra de ne pas se lais­ser entraî­ner par les maximes actuelles.

La Porte Latine – Vous êtes un homme de com­mu­ni­ca­tion : quels conseils nous don­ner ou quelles cri­tiques portez-​vous sur celle du District de France à tra­vers son site officiel ?

On ne peut que féli­ci­ter La Porte Latine pour les grands ser­vices qu’elle rend à la Tradition par la qua­li­té de l’information four­nie et très fré­quem­ment, voire quo­ti­dien­ne­ment, mise à jour. Je ne suis pas un spé­cia­liste de la concep­tion de sites internet.

Je pro­po­se­rais tou­te­fois une idée qu’on avait réa­li­sée en son temps en Italie : la créa­tion d’une rubrique « messe en direct » qui per­met­trait aux per­sonnes malades ou rete­nues chez elles le dimanche d’assister à la trans­mis­sion d’une messe célé­brée dans l’une des cha­pelles de la Fraternité en France, de s’unir aux inten­tions du prêtre et des fidèles qui y assistent et de pro­fi­ter du ser­mon et des chants. Avec la grâce de Dieu, ce pour­rait aus­si être un ins­tru­ment d’apostolat en fai­sant connaître la litur­gie tra­di­tion­nelle à ceux qui n’osent pas encore pas­ser le seuil d’une de nos églises ou chapelles.

Les lec­teurs de La Porte Latine vous remer­cient, cher abbé Petrucci, d’a­voir pris le temps de répondre à nos ques­tions mal­gré votre agen­da très char­gé et de l’a­voir fait avec autant de fran­chise, de clar­té et de joyeuse vigueur.

Source : La Porte Latine du 18 octobre 2018