Bilan en demi-teinte d’un livre rempli de bonnes intentions.
Un écrit récent, intitulé Livre blanc de la tradition, se propose de donner des informations générales, pour « comprendre, dans ses grandes lignes, la question dite “traditionaliste” dans l’Église ».

L’auteur est le fondateur d’Academia Christiana, « Institut de formation et laboratoire d’idées créé en 2013 », « qui s’attache à défendre le Vrai, le Bien et le Beau en puisant aux sources de la philosophie aristotélico-thomiste et de la Tradition de l’Église. ». Cela n’est lié ni à la FSSPX ni à un institut « Ecclesia Dei ».
L’intention est claire : « Nous ne cherchons ni la polémique, ni la controverse. Nous voulons simplement faire connaître un héritage catholique, afin qu’au-delà des querelles, les catholiques de demain puissent œuvrer dans la paix, et la charité, au service de la vérité – à l’unité de l’Église et au règne du Christ. »
Ce livre blanc prône clairement un rassemblement des forces catholiques. « Pourquoi, dans une Église occidentale affaiblie, prolonger les divisions internes ? Le temps est venu de faire la paix dans la vérité et la charité. La paix liturgique, la paix ecclésiale. Il ne s’agit pas de gommer les différences, mais de reconnaître la fécondité de ce qui porte du fruit. Comme l’écrivait récemment Notre-Dame de Chrétienté, il faut cesser de considérer les fidèles du rite ancien comme des suspects permanents. Le Kairos est à la réconciliation. »
Les auteurs semblent souhaiter au fond que le traditionalisme soit accepté dans l’Église, y compris, pourquoi pas, dans sa branche « non reconnue par Rome » (la FSSPX et communautés alliées). Mais pour cela, il faudrait que les analyses proposées soient pertinentes, afin d’être prises aux sérieux par Rome et par la Fraternité.
Réunion œcuménique d’Assise en 1986
Or, ce n’est vraiment pas le cas. La principale difficulté, avec ce Livre blanc est double : une présentation très erronée du Concile Vatican II et de ses suites ; une présentation erronée de la Fraternité Saint-Pie X. On voit mal comment comprendre dans ses grandes lignes la question traditionaliste en lisant cet écrit, et nous ne pouvons que trembler pour « une jeunesse toujours plus nombreuse qui marche vers Chartres, participe aux sessions d’Academia Christiana, et qui aime tout à la fois la messe en latin, le chapelet, les cathédrales, le drapeau français, et les clochers de ses villages. Une jeunesse qui cherche ses racines… et qui découvre Dieu. C’est pour elle que nous avons voulu publier ce Livre blanc. » Parcourons quelques points du Livre blanc.
Le concile
Même si la crise actuelle ne se limite pas à ce concile, comme le dit ce Livre blanc, cela fut quand même une révolution comparable à celle de 1789. Or, on nous dit, dans une page stupéfiante (page 11) que la conformité doctrinale fondamentale des textes du Concile est attestée par le fait que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Mayer ont signé tous les textes ! N’est-ce pas honteux de tromper les lecteurs à ce point, quand on sait tout ce qu’a pu dire et écrire Mgr Lefebvre au sujet du Concile ? Retenons simplement ici la fameuse Déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974 (voir Le Pélican N° 125, septembre-octobre 2024), qui éclaire très bien la tromperie exercée dans cette page 11 du Livre blanc. Toute la jeunesse généreuse qui marche vers Chartres à la Pentecôte pourra le constater facilement en lisant les écrits de Mgr Lefebvre.
Tout au plus, le Livre blanc émet ce jugement sur le Concile : « Ces textes, souvent d’une grande richesse théologique, contiennent cependant des formulations ambiguës qui ont pu donner lieu à des interprétations divergentes » !!
Fondation de la Fraternité
Quelques années plus tard, Mgr Lefebvre fonde sa Fraternité, avec toutes les autorisations voulues et, avec, rapidement, un décret de louange venant de Rome. La présentation du Livre blanc, page 15, est faussée, en disant : « Dans les décennies qui suivent le concile Vatican II, une partie des fidèles catholiques en vient à considérer que la résistance aux réformes engagées devient la seule voie possible pour rester fidèle à la Tradition reçue. Cette réaction ne naît pas d’un esprit de contestation, mais d’un profond désarroi face à l’évolution de l’institution ecclésiale, tant sur le plan doctrinal que pastoral ». Ce raccourci est inexact. Mgr Lefebvre, en excellent homme d’Église, n’a pas commencé la Fraternité dans un esprit de résistance, mais de soumission. En ne mettant pas en œuvre les réformes du Concile, certes, mais en allant de l’avant en faisant ce qu’il avait toujours fait dans sa vie. Ce n’est pas lui qui a commencé par résister, c’est Rome qui l’a condamné en 1975 et mis dans une situation de résistance (il a maintenu son action, en dépit de sa condamnation et de la suppression de la Fraternité). Alors, oui, les fidèles de la Tradition se sont retrouvés impliqués aussi dans cette « résistance ».
La liberté religieuse
Celle-ci est décrite page 27 comme la « reconnaissance du droit civil à la liberté religieuse, perçue comme une rupture par certains traditionalistes. » Il manque vraiment dans ce Livre blanc une analyse résumée pour montrer l’extrême gravité de cette déclaration du Concile sur la liberté religieuse. Mgr Lefebvre a plus tard écrit ses « doutes », puis le livre fondamental : Ils l’ont découronné. On sait que ce combat capital de Mgr Lefebvre l’a conduit jusqu’au sacres de 1988, notamment quand il a lu la réponse de Rome à ses « Doutes » sur la liberté religieuse. La jeunesse doit absolument se former sur cette question. Ce n’est pas « certains traditionalistes » qui ont « perçu » la déclaration sur la liberté religieuse comme une rupture, ce sont 70 Pères conciliaires qui se sont opposés jusqu’au bout à ce texte ignoble, malgré les pressions du Pape Paul VI.
La messe de Paul VI
Le Livre blanc cite le fameux Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci, mais ne prend pas position, ni n’indique les positions diverses. Or, diverses elles le sont, et même opposées. La position de la Fraternité est non seulement de promouvoir l’ancienne messe, mais de refuser absolument la nouvelle, comme dangereuse pour la foi en favorisant l’hérésie. L’auteur aurait dû dire cela. Le Bref examen critique le disait : « les fidèles sont dans la tragique nécessité de choisir », et c’est certainement une des divisions nettes entre la Fraternité Saint-Pie‑X et tous ceux qui disent qu’ils aiment l’ancienne messe.
La réunion interreligieuse d’Assise en 1986
Là aussi, le Livre blanc est beaucoup trop léger. Il écrit : « Choc dans les milieux traditionalistes, qui y voient une confusion théologique ». Assise, une « confusion théologique » ! Non, c’est bien plus grave que cela. Et ce qui compte, ce n’est pas la réaction « des milieux traditionalistes » mais celle de Mgr Lefebvre, qui a à cette époque une autorité morale capitale. La biographie de Mgr Lefebvre rappelle sa position fondamentale, écrite à 8 Cardinaux le 27 août 1986 : « C’est le premier article du Credo et le premier commandement du Décalogue qui sont bafoués publiquement par celui qui est assis sur le Siège de saint Pierre. Le scandale est incalculable dans les âmes des catholiques. L’Église en est ébranlée dans ses fondements. » Ce jugement de Mgr Lefebvre est-il une simple opinion émise par un homme sans consistance ; ou est-ce vraiment le constat par l’un des plus grands hommes d’Église de sont temps d’un terrible péché public des plus hautes autorités dans l’Église ? Personne ne peut esquiver cette question.

Les sacres épiscopaux de 1988
L’auteur du Livre blanc dit ceci (page 63) : « La crise de 1988 — marquée par les sacres sans mandat pontifical de Mgr Lefebvre — fut une blessure réelle pour l’unité de l’Église. Mais elle a aussi révélé un besoin d’enracinement qui ne s’est jamais tari. Beaucoup ont fait le choix de rester dans la communion visible, au prix de sacrifices. Ce choix de fidélité mérite aujourd’hui d’être reconnu ».
L’auteur, qui voulait ne pas polémiquer, prend là une position catégorique, sans nuances. « Blessure réelle », grâce à laquelle la Fraternité a gardé son rôle essentiel dans l’Église, et qui permet même à tous ceux qui ont fait le choix de la « communion visible » d’exister. Même des laïcs très engagés à une époque contre les sacres, comme Jean Madiran, ont su ensuite s’exprimer avec davantage de sagesse que notre auteur, et montrer l’importance historique des sacres.
Quant aux « sacrifices » supportés par certains pour rester dans la communion visible, il y aurait beaucoup à dire. Ne sacrifient-ils pas, par exemple, leur devoir de professer la vérité complète auprès des fidèles qui leur font confiance ; leur devoir de combattre l’erreur ; leur devoir de protéger leur troupeau contre les assauts de l’esprit libéral contemporain ? Et pourquoi ne pas parler aussi des sacrifices gigantesques assumés par Mgr Lefebvre pour défendre la foi, le sacerdoce catholique, la sainte Messe de toujours ?
La défense de la liturgie traditionnelle en 2025
Le Livre blanc admet que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Mayer étaient seuls à défendre la messe traditionnelle il y a 50 ans. Aujourd’hui, lit-on, ils ne le sont plus, il y a le cardina Sarah, Mgr Schneider et autres … Ce que l’auteur oublie à nouveau de dire, c’est que ces nouveaux « défenseurs » n’attaquent pas la nouvelle messe comme inacceptable. Donc, en réalité, ce ne sont pas de vrais défenseurs fiables de la messe traditionnelle. Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Mayer sont toujours seuls !
Ce Livre blanc, réalisé sans doute avec bonne volonté, est très déficient. Notre époque troublée dans sa foi demande des hommes sérieusement instruits, doctrinalement formés. Ce n’est pas le cas chez l’auteur de ce Livre blanc. Que tous et chacun se mettent ou remettent au travail pour comprendre la profondeur de la crise, le bienfondé des position sages de Mgr Lefebvre, et pour persévérer à tenir debout dans la foi au profit de toute l’Église, rôle si essentiel de la Fraternité et de ceux qui la suivent.