Questions à Pierre Bernard

Fideliter : Vous avez consa­cré votre ville au Sacré-​Cœur. Quelle signi­fi­ca­tion y voyez-​vous par rap­port à votre enga­ge­ment poli­tique per­son­nel ? Par rap­port au bien de la cité ?

Pierre Bernard : De tous les élus, seuls les maires sont res­pon­sables de leurs actes et peuvent être appe­lés à en répondre sans échap­pa­toire possible.
Or je sais que sans Dieu, nous ne pou­vons rien faire. Dieu res­pecte notre liber­té dans tous nos actes, bons et mau­vais. Il les per­met. Si nous lui fai­sons par­ta­ger nos pré­oc­cu­pa­tions, nous avons plus de chances de leur trou­ver de meilleures solu­tions. Et si notre foi est un roc, nous pou­vons dépla­cer les mon­tagnes, c’est-​à-​dire réa­li­ser de belles et grandes choses, même avec des moyens intel­lec­tuels et maté­riels modestes.

Ce que croyant, et conscient que le refus de Louis XIV d’ac­cé­der à la demande de sainte Marguerite Marie, mes­sa­gère de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de consa­crer la France à son Sacré-​Cœur est la source de la constante déli­ques­cence de notre pays, j’ai pen­sé que j’é­tais trop petit pour être l’ob­jet d’une telle atten­tion, mais suf­fi­sam­ment adulte pour lui consa­crer la ville de Montfermeil dont j’é­tais le maire. Ce que j’ai réa­li­sé lors de la fête du Sacré-​Cœur en 1992, et renou­ve­lé chaque année.

Déjà, deux années plus tôt, alors que je devais prendre une déci­sion grave, j’a­vais invi­té mon Conseil, la popu­la­tion de Montfermeil, et des amis de la région pari­sienne infor­més de mes dif­fi­cul­tés par Radio Courtoisie, à une veillée de prières sui­vie d’une messe à la basi­lique de Montmartre avec l’ai­mable auto­ri­sa­tion du cha­pe­lain. Après quoi, la majo­ri­té muni­ci­pale a été una­nime pour accep­ter ma pro­po­si­tion, qui a été lourde de consé­quences mais béné­fique pour la ville, et sans doute au-delà.

On peut croire en Dieu ; on peut croire au hasard, « la logique de Dieu » selon Bernanos. Je ne don­ne­rai qu’un résul­tat per­cu­tant : selon les sta­tis­tiques men­suelles com­mu­ni­quées par le minis­tère de l’Intérieur, la délin­quance à Montfermeil n’a ces­sé d’aug­men­ter jus­qu’en 1992, date à laquelle elle a chu­té de manière régu­lière et constante jus­qu’à ce que la com­mune devienne la 3e sur la liste des plus sécu­ri­sées en Seine-​Saint-​Denis. Hasard ? J’ai dit aux scep­tiques : « Si je n’a­vais pas mis Dieu dans tous mes gros coups, Montfermeil serait-​elle deve­nue ce qu’elle est, ou refléterait-​elle l’i­mage de tant de com­munes voi­sines, inquié­tante à divers titres ? »

Moi, je crois en Dieu. En cela, je ne dérange per­sonne, je ne res­treins la liber­té de per­sonne. Si : j’ai cho­qué un évêque et quelques prêtres !

Fideliter : En quoi vous définiriez-​vous comme un « homme poli­tique chré­tien » ? Sur le plan des convic­tions et des idées… sur le plan de la pra­tique poli­tique… sur le plan des rela­tions avec les autres ?

Pierre Bernard : J’ai été bap­ti­sé à l’âge de 7 jours ( le 6 février 1934, d’où mon esprit réac­tion­naire) ; j’ai été éle­vé dans une famille catho­lique, j’ai gran­di dans l’es­prit de l’Évangile et je suis res­té, avec tous les accrocs que l’on ima­gine, fidèle à la pen­sée catholique.

Un homme poli­tique chré­tien peut être remar­qué comme tel par d’humbles petits faits.

Avant d’être élu, je diri­geais la cho­rale de ma paroisse ; j’ai conti­nué après, avec l’ac­cord de notre excellent curé, que ma pra­tique reli­gieuse ne cho­quait pas. Je n’a­vais pas à me contraindre, à for­cer des atti­tudes, je res­tais chré­tien comme maire, conseiller géné­ral ou dépu­té ; chré­tien dans ma vie en géné­ral, à la scène comme à la ville.

Dans mon pre­mier dis­cours poli­tique, j’ai décla­ré qu’au­cun par­ti ne me conve­nait, mais que ce en quoi je croyais, c’é­tait aux dix com­man­de­ments que Dieu a don­nés à Moïse, com­plé­tés par le mes­sage évan­gé­lique. J’ai fait sou­rire quelques imbé­ciles, mais je n’ai pas trom­pé ma popu­la­tion sur la marchandise.

Ainsi ma foi a impré­gné mon approche des pro­blèmes, par­tant leurs solu­tions, mes rela­tions humaines, mes paroles, mes écrits dans le men­suel muni­ci­pal, en par­ti­cu­lier, dont les orien­ta­tions fai­saient grin­cer les dents des marxistes.

Lorsque, à l’Assemblée natio­nale, je défen­dais le droit à la vie, je stig­ma­ti­sais l’ap­po­si­tion d’af­fiches blas­phé­ma­toires sur les murs des villes, je défen­dais notre pape sali par des débiles médiocres et gra­ve­leux, je n’at­ti­rais pas les applau­dis­se­ments de mes col­lègues dont je n’a­vais au demeu­rant rien à faire ; en revanche, cer­tains d’entre eux venaient me voir fur­ti­ve­ment après pour me dire : « Tu as eu rai­son tout à l’heure, je suis bien d’ac­cord avec toi. »

Le cou­rage n’est, hélas ! pas la carac­té­ris­tique des hommes poli­tiques en géné­ral, des par­le­men­taires en particulier.

Fideliter : Pensez-​vous que les catho­liques doivent s’en­ga­ger en poli­tique ? Pourquoi”? De quelle manière ?

Pierre Bernard : Oui, ils le doivent. Ils ne devraient pas se don­ner la pos­si­bi­li­té d’hé­si­ter, c’est leur devoir ; ils ne le rem­plissent pas. Je conçois que les décla­ra­tions, les actions, les scan­dales qui hantent le mot « poli­tique » écœurent. Soit, soyons écœu­rés, et ren­trons dans le tas ! La nature a hor­reur du vide. Comme nous ne péné­trons pas le milieu, nos adver­saires ne trouvent aucune oppo­si­tion, à laquelle cer­tains d’entre eux aime­raient pour­tant se rac­cro­cher. Notre absen­téisme en la matière relève de la non-​assistance à per­sonne en danger.

Lors d’une trop brillante réunion, où par­ti­ci­paient envi­ron 1 200 per­sonnes dont une majo­ri­té de jeunes, j’ai essayé de dire l’ur­gence et la néces­si­té de l’ac­tion. J’ai pro­po­sé mes petites com­pé­tences à qui vou­drait se lan­cer dans l’ac­tion poli­tique, en me ren­dant dis­po­nible pour aller là où on me le deman­de­rait. J’ai reçu UN appel télé­pho­nique, qui n’a pas eu de suite.

Il serait trop long ici de don­ner quelques recettes pour péné­trer la poli­tique. Je dirai seule­ment que pour créer une asso­cia­tion, il suf­fit d’être trois, et que les moyens infor­ma­tiques per­mettent la réa­li­sa­tion de docu­ments fiables.

La poli­tique du Bien Commun, celle que Platon a défi­nie comme « l’art d’har­mo­ni­ser la vie des hommes » et qu’en­seigne la doc­trine sociale de l’Église est une chose dif­fi­cile, sans doute, mais pas­sion­nante. Elle exige quelques connais­sances, un goût des rela­tions, et sur­tout beau­coup, beau­coup de conviction.

Pierre Bernard
Maire hono­raire de Montfermeil