Le prophète Nathan devant le roi David : un modèle admirable de correction fraternelle
Des époux qui ne se parlent plus, un père qui ne reprend pas son fils, des frères et soeurs qui se disputent, un ouvrier qui critique son patron. Mais comment éviter cela ? Par un acte de Charité bien mal connu qui s’appelle la correction fraternelle.
Nous aurons beau nous sanctifier nous-mêmes et vivre au milieu de saints personnages, il restera toujours à la faiblesse humaine assez de place pour agacer les autres. On cite volontiers comme exemple saint Paul et saint Barnabé qui durent se séparer parce qu’ils ne s’entendaient pas sur un unique point.
Comment s’étonner alors que ceux qui ne sont pas saints soient naturellement pénibles pour leur entourage ? Il y a là une règle universelle, une sorte d’héritage commun que notre père Adam nous a légué : chacun traîne avec lui une quantité plus ou moins importante de défauts personnels, dus à l’hérédité, à l’éducation, aux habitudes prises, etc.
Seulement, voilà : tout serait trop simple si chacun de nous se voyait réellement tel qu’il est, et travaillait courageusement à se corriger, avec la grâce de Dieu. Hélas ! Notre lucidité est bien plus grande sur les autres que sur nous-mêmes.
Un acte de Charité
Alors, justement, puisque les autres me voient mieux que moimême sur certains points, ne doivent- ils pas intervenir pour m’éclairer ? C’est là qu’intervient la fameuse correction fraternelle.
Saint Thomas nous explique très clairement que la correction fraternelle est un acte de Charité si l’on se propose de détourner son frère d’une faute. Et s’il s’agit d’éviter un mal nuisible aux autres, c’est alors un acte de justice.
Saint Paul s’exprime ainsi aux Galates :
« Frères, si un homme vient à être surpris en quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le avec un esprit de douceur, prenant garde à vous-mêmes, de peur que vous ne soyez aussi tentés. (Galates 6,1) »
Quel équilibre ! Empêcher le mal chez les autres, tout en se regardant soi-même.
On le voit, la correction fraternelle est donc quelque chose de très simple : c’est l’amour du prochain qui pousse à le corriger de ses défauts, à le détourner du mal. Comment se fait-il alors que cette pratique soit si difficile dans la réalité ?
Premier obstacle : l’amour de soi
Il y a tout d’abord l’intention faussée : un époux qui cherche à corriger sa femme trop bavarde, c’est bien. Mais s’il le fait uniquement parce que ça l’agace, ou pour réduire sa facture téléphonique, ce n’est plus un acte de Charité proprement dit. Un paroissien qui demande à son curé volubile de faire des sermons plus courts, afin que ses amis hésitants puissent assister à une Messe traditionnelle, c’est bien. Mais s’il ne le fait que parce que les sermons l’ennuient, il devrait plutôt corriger sa propre paresse.
La correction fraternelle doit procéder d’une motivation surnaturelle.
Deuxième obstacle : Que je suis beau !
Il y a bien souvent l’orgueil. On voit le mal chez les autres, on voudrait qu’il n’y fût point, mais on constate (souvent à tort) qu’il n’est pas chez nous et. finalement on est secrètement bien content de le constater chez autrui. Dame ! Comme je suis bon puisque les autres sont si mauvais ! Et voilà la source empoisonnée du mauvais esprit et du commérage.
Où se trouve la Charité ? Quelle est l’utilité de parler des défauts des autres s’il n’y a que la volonté de se comparer et de s’élever soi-même ?
Troisième obstacle : la faiblesse
La cause à laquelle on prête peu d’attention, c’est surtout le manque de courage. La correction fraternelle ne se rattache pas directement à la vertu de force, mais la présuppose, car une vertu morale ne naît ni ne croît spontanément. Il est donc normal que son exercice nous coûte.
Si donc un père de famille doit reprendre son fils qui se conduit mal, qu’il ne le fasse pas par colère : il n’y aurait là qu’un soulagement animal de la mauvaise humeur, une sorte de délassement. Où serait la grâce divine ? Mais s’il le fait par Charité, donc un peu à froid, il constatera sans doute qu’il lui faut d’abord se calmer, puis réfléchir, trouver des arguments, voir plus le mal que fait son fils que sa souffrance paternelle. Cette correction lui coûtera : c’est bon signe.
Si Madame veut reprocher à Monsieur sa goujaterie, son égoïsme et son manque d’éducation, qu’elle y prenne garde ! Fait-elle cela par amour-propre ou réellement pour que son mari devienne meilleur devant Dieu ?
Quelle importance ? Mais c’est tout différent !
La correction fraternelle est une vertu, et non une soupape de sécurité. Or c’est souvent de la couardise que naissent les différents et les drames : c’est pour n’avoir pas eu le courage de corriger charitablement le conjoint, et en même temps pour s’être soulagé en le critiquant à l’extérieur (ce qui est à la fois plus commode et parfaitement inutile), c’est donc à cause de ce manque de courage que des situations humaines deviennent humainement insupportables.
L’indispensable humilité
Mettons-nous enfin du côté non du correcteur mais du corrigé. Ah ! Quelle humilité ! Qu’ils sont rares ceux qui acceptent, et plus encore qui désirent recevoir une correction fraternelle ! Combien se scandalisent parce qu’un prêtre demande une tenue convenable à l’église, ou dénonce une attitude non chrétienne ! Cependant, ce prêtre n’agit ainsi que pour la gloire de Dieu.
Il en est même qui viennent réclamer des conseils pour devenir meilleurs, et qui repartent furieux de n’avoir pas entendu les louanges escomptées. Que la nature humaine est compliquée.
Moïse lui même, chef glorieux du grand peuple d’Israël, reçut humblement les remontrances de son beaupère Jéthro, et s’y soumit avec simplicité. Le grand roi David accepta le blâme sévère de Nathan : il faut dire aussi que le prophète s’y était bien pris, avec un tact admirable.
Si tous ne sont pas tenus de corriger le prochain, cependant tous ceux qui corrigent doivent le faire avec une immense bonté, une humilité qui attire et produit l’effet voulu : le retour du pécheur à Dieu.
Que le Bon Dieu donne à nos enfants, grands et petits, cette habitude simple de se laisser corriger. Qu’il leur donne aussi la gratitude pour ce service rendu à leur âme. Et qu’il inspire à ceux qui doivent les corriger la Charité, la Miséricorde et la Prudence.
Abbé Guillaume d’Orsanne †