Ordination à Saint-Nicolas

Par son Excellence Mgr Bernard FELLAY

Pour gar­der à ce ser­mon son carac­tère propre, le style oral a été conservé.

Abbé Guillaume GAUD

Paris, Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, dimanche 26 décembre 2004

u’est-ce que le prêtre ? Pour s’approcher de cette véri­té il nous faut, mes biens chers frères, pas moins que cette foi avec laquelle nous nous appro­chons de la sainte Hostie. Le prêtre est prêtre pour la messe. Dans les paroles de la consé­cra­tion, il est dit « mys­te­rium fidei », mys­tère de foi, car ce que l’on voit, les espèces eucha­ris­tiques, c’est bien la réa­li­té mais qui, devant la réa­li­té de l’Hostie, n’est qu’une appa­rence. Ainsi en est-​il du prêtre. Il est un homme choi­si par Dieu par­mi les hommes, c’est une réa­li­té humaine avec toutes ses qua­li­tés et aus­si ses défauts humains. Cet homme agi­ra, mais si on ne consi­dère ses actions qu’avec des yeux d’homme, on man­que­ra l’essentiel comme on manque l’essentiel si on regarde l’Hostie avec des yeux d’homme. La réa­li­té, c’est Jésus.

Il y a un moment où cela nous est dévoi­lé clai­re­ment, c’est lorsque le prêtre consacre à l’autel ; il dit : « Ceci est mon corps ». Il dit MON de toutes ses forces, de toute son intel­li­gence, de toute sa volon­té, et il sait très bien que ce MON n’est pas le sien, parce qu’à cet ins­tant il est tout entier pris par Jésus, le Souverain Prêtre, qui conti­nue – à tra­vers cet ins­tru­ment pri­vi­lé­gié – Son sacer­doce, Son action rédemp­trice. Mais le prêtre est là avec toute sa liber­té, toute sa conscience, et il est un avec Jésus ; il n’est pas décon­nec­té, bien au contraire, il est asso­cié d’une manière indi­cible, inouïe, à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Ce carac­tère, nous dit la théo­lo­gie, est une par­ti­ci­pa­tion à l’union hypo­sta­tique, cette union extra­or­di­naire que l’on trouve en Notre Seigneur, union d’une nature humaine à la Personne divine. Le Pontifical aver­tit le can­di­dat au sacer­doce de s’approcher en trem­blant de cette gran­deur. Il y a bien évi­dem­ment des consé­quences, des exi­gences ; saint Pie X, notre patron, dans sa lettre aux prêtres n’a qu’un mot pour expri­mer cette exi­gence : la sain­te­té. Il va jusqu’à dire que ses paroles sem­ble­ront peut-​être trop exi­geantes à beau­coup, mais fai­sant réfé­rence au grand Docteur de l’Eglise, il dit qu’entre un prêtre et un hon­nête homme, il devrait y avoir la même dif­fé­rence qu’entre le ciel et la terre. C’est une exi­gence de per­fec­tion à la suite de Notre Seigneur – « Tu solus sanc­tus » -, exi­gence d’une sain­te­té qui est due tout d’abord pré­ci­sé­ment à l’office sacer­do­tal, au Sacrifice que chaque jour vous offri­rez à Dieu pour L’honorer, pour L’adorer, pour Le remer­cier et sur­tout en rémis­sion des péchés, pour obte­nir de Dieu – qui vous a éta­bli média­teur entre Dieu et les hommes –le par­don et la misé­ri­corde pour les hommes. Padre Pio disait que la terre pou­vait plus faci­le­ment sub­sis­ter sans le soleil que sans la Messe, et c’est vrai. Cette Messe qui est suf­fi­sam­ment grande et puis­sante pour obte­nir de Dieu clé­mence, patience et misé­ri­corde sur un monde qui délire.

Sainteté qui se nour­rit tout d’abord et avant tout dans un contact avec Dieu, un contact intime et qui a un nom : l’oraison. « Il faut tou­jours prier », c’est Notre Seigneur qui le dit, com­bien plus vrai pour le prêtre auquel l’Eglise demande cette orai­son conti­nuelle du bré­viaire qui égrène sa jour­née et qui est là pour constam­ment renou­ve­ler l’union à Dieu. Nous lisons com­ment saint Pie X se lamente de ce que cette prière si belle, si sublime, est deve­nue pour beau­coup une charge, un far­deau qu’il faut liqui­der en quelques minutes. Ce n’est pas cela le bré­viaire, c’est un moment exquis où le prêtre à tra­vers ses acti­vi­tés pas­to­rales se retrouve avec Dieu, prête sa bouche à Notre Seigneur, au Verbe de Dieu pour hono­rer Dieu au nom de toute l’Eglise. Nécessairement il fau­dra don­ner ce temps à Dieu, sur­tout lorsque l’apostolat récla­me­ra beau­coup de vous. Notre fon­da­teur aimait dire – dans ces mots qu’il nous a trans­mis sur l’esprit de la Fraternité – que la prière, c’est l’apostolat essentiel.

Imposition des mains
Litanies et prostration

Prier, pour le prêtre, c’est déjà de l’apostolat, et même c’est l’essentiel de l’apostolat. Car qu’est-ce que c’est que l’apostolat si ce n’est appor­ter aux âmes la grâce de Dieu et Dieu Lui-​même ? Et com­ment un homme pourrait-​il donc appor­ter ou même cau­ser dans une âme la grâce de Dieu ou appor­ter Dieu, s’il n’est lui–même por­teur de Dieu ? S’il s’est vidé – et mal­heu­reu­se­ment com­bien en voyons-​nous qui se sont lais­sés prendre par ces appa­rences – vidé par l’activisme et qu’il n’a plus ce lien avec Dieu, son effi­ca­ci­té sera piètre. Certes Dieu a don­né au prêtre une effi­ca­ci­té qui dépasse son action propre : les sacre­ments opèrent « ex opere ope­ra­to » – par le fait même que l’action sacra­men­telle est posée – néan­moins il est abso­lu­ment cer­tain aus­si qu’Il a dépo­sé dans cet effort de per­fec­tion du prêtre le sort de cen­taines de mil­liers d’âmes.

Au prêtre il revient d’offrir, de bénir « offere, bene­di­cere » don­ner les dons du Bon Dieu et encore une fois Dieu Lui-​même que vous don­ne­rez aux âmes. « Praeesse », pré­si­der. C’est l’une des fonc­tions sacer­do­tales et on peut se deman­der pour­quoi. Il suf­fit de regar­der Notre Seigneur et alors on peut com­prendre : Notre Seigneur est prêtre, Souverain Prêtre et en même temps Il est Roi. Pourquoi ? Pourquoi Notre Seigneur a‑t-​il vou­lu cette Royauté, si ce n’est en vue de l’exercice de son sacer­doce ? Il faut dans le prêtre une cer­taine auto­ri­té, on le voit bien lorsqu’il s’agit d’enseigner, de trans­mettre la Foi, c’est le « prae­di­care », la qua­trième fonc­tion, avant la cin­quième qui est de bap­ti­ser et prêcher.

Si vous êtes prêtre, ce n’est pas pour vous-​même. Ces exi­gences de sain­te­té sont grandes, et peuvent paraître d’un côté écra­santes, néan­moins il ne vous est jamais per­mis de vous retour­ner sur vous-​même, de vous dire : « Je m’occuperai de moi-​même, de ma sain­te­té ». Non, cette sain­te­té vous l’exercerez et vous y gran­di­rez en vous tour­nant vers les âmes. Ce qui vous sanc­ti­fie, c’est la grâce sacra­men­telle, cette grâce que vous rece­vez aujourd’hui et qui vous garan­tit qu’à chaque fois que vous pose­rez un acte sacer­do­tal, vous aurez une grâce sup­plé­men­taire qui vous sanc­ti­fie­ra. Oui, vous êtes prêtre pour les âmes, l’Eglise vous envoie, Dieu vous envoie comme Il envoyait les pro­phètes. Quand on voit ces pro­phètes de l’Ancien Testament que Dieu envoie pour aver­tir les âmes pour les secouer, pour les réveiller de leur tor­peur, pour les mena­cer, on com­prend l’actualité de cette image.

Humainement c’est un peu fou que d’envoyer un prêtre dans le monde actuel ; autant don­ner l’ordre à un homme de s’opposer à une de ces vagues énormes créées par ces trem­ble­ments de terre, ces vagues qui font trente, cin­quante mètres de hau­teur. C’est un peu cela votre rôle, aujourd’hui : vous oppo­ser à un monde en fureur, déchaî­né contre Dieu. Et pour­tant, là encore une fois, c’est votre Foi qui vous dira qu’en vous envoyant aux âmes en ce monde, Dieu vous donne tout ce qu’il faut pour vaincre, pour sau­ver les âmes.

En vous fai­sant prêtre, l’Eglise vous jette dans cette ter­rible bataille décla­rée dès le péché ori­gi­nel : « Je pose­rai une ini­mi­tié entre toi et la Femme, entre ta des­cen­dance et sa des­cen­dance. » C’est dans cette grande bataille que vous êtes envoyé, une vraie guerre qui décide du sort éter­nel d’une âme. C’est ce que vous devez avoir devant les yeux chaque fois que vous vous appro­chez d’une âme : il y va d’une éter­ni­té, et selon votre manière humaine de faire, vous pour­rez ame­ner une âme vers Dieu ou, hélas, l’en écar­ter. Tout n’est pas dans l’humain, mais il joue un rôle, cet humain, d’où la néces­si­té aus­si de veiller aux ver­tus natu­relles ; il y a une cor­res­pon­dance entre les ver­tus natu­relles et les ver­tus sur­na­tu­relles et on peut même dire que c’est au moment où les deux se rejoignent que l’on trouve la sain­te­té, lorsque l’humain se trouve en har­mo­nie avec ces ver­tus sur­na­tu­relles dépo­sées par Dieu dans l’âme.

Stalles de gauche
Stalles de droite

Saint Pie X nous dit que la ver­tu dont dépend l’efficacité de l’apostolat, c’est la ver­tu de tem­pé­rance, dans le sens du renon­ce­ment. Le prêtre est un homme cru­ci­fié, cru­ci­fié au monde, à lui-​même. Vous allez être prêtre et je peux vous garan­tir une chose sur votre futur, c’est la Croix ; vous l’aurez parce que le prêtre est en même temps, comme Jésus, une hos­tie, et Dieu qui aime ses prêtres leur donne de par­ti­ci­per à sa Croix. C’est votre lot, c’est votre gloire, c’est votre hon­neur, ne la reje­tez pas. Si nous disons cela, n’imaginons pas des choses ter­ribles, je parle de ces petites croix qui par­sèment les jour­nées, cer­tains jours elles sont plus lourdes que d’autres, ce sont ces contra­dic­tions de la vie, ces petits renon­ce­ments ; d’autres, vous les ferez vous-​même volon­tiers en vous sou­ve­nant tou­jours que la règle dans ces renon­ce­ments, dans ces sacri­fices c’est l’accomplissement de votre devoir d’état. Si un jour vous pen­sez faire quelque chose d’extraordinaire : une veille ou autre, regar­dez d’abord si ensuite vous serez encore capable de rem­plir votre devoir d’état ; car le devoir d’état est le sacri­fice le plus agréable que vous puis­siez offrir au Seigneur, c’est la Croix de tous les jours que le Bon Dieu vous donne. « Si quelqu’un veut être mon dis­ciple qu’il se renonce, qu’il prenne sa croix, tous les jours, qu’il me suive. »

Et encore un tout petit mot, la règle de l’apostolat, c’est bien sûr la Charité, mais une Charité que l’on doit diri­ger vers Dieu. La condi­tion que Notre Seigneur a posée à saint Pierre pour lui confier le trou­peau, les bre­bis et les agneaux, ce ne fut pas : « Pierre, aimes-​tu ces bre­bis ? », ce fut : « Pierre, M’aimes-tu ? ». Pourquoi cela ? Parce que ces bre­bis, ce sont les bre­bis du Seigneur, ce ne sont pas les nôtres, parce que cet amour que nous devons don­ner aux âmes, c’est l’amour du Christ qui se donne pour l’Eglise, c’est-à-dire l’amour prêt à se sacri­fier, à tout don­ner, à mou­rir pour les âmes sans rien attendre en retour. C’est humain et vous en aurez de ces retours de grâce, d’amour, de cha­ri­té de vos fidèles ; néan­moins ce ne pour­ra jamais être la condi­tion de votre approche des âmes. Vous les appro­chez pour don­ner et non pour rece­voir. C’est le propre du prêtre que de don­ner, c’est son carac­tère sacerdotal.

Que Notre Dame qui nous a don­né le Souverain Prêtre soit à vos côtés à chaque fois que vous mon­tez à l’autel ! Qu’Elle soit à vos côtés, Mère du prêtre, dans cha­cune de vos actions sacer­do­tales, c’est-à-dire à chaque ins­tant de votre vie ! Qu’Elle vous enseigne tous les mys­tères de Notre Seigneur, Elle Médiatrice de toutes les grâces, et qu’Elle vous fasse par­ti­ci­per dans cette inti­mi­té à ce don de la grâce, à cette com­mu­ni­ca­tion de grâces pour sau­ver les âmes aujourd’hui, pour glo­ri­fier Dieu, aujourd’hui et demain ! Ainsi soit-il.

† Mgr Bernard Fellay