La Vie du 11 juillet 2007


Par Jean-​Pierre Denis 

Ce n’est pas un hasard si, à trois jours d’intervalle, le Vatican publie un motu pro­prio du pape redon­nant aux tra­di­tio­na­listes les plus larges droits en matière de litur­gie (la fameuse « messe en latin ») et une note soi-​disant tech­nique qui, à force de vou­loir pré­ci­ser la doc­trine, appa­raît comme anti-​oecuménique dans son esprit. Dans le pre­mier texte, Benoît XVI reproche à sa propre Église des « défor­ma­tions de la litur­gie à la limite du supportable ».

Dans le second, ses ser­vices relèvent à plai­sir les « défi­ciences » des Églises pro­tes­tantes. Rome se ferme. Pour beau­coup, du plus humble pra­ti­quant jusqu’à de nom­breux évêques, le choc est rude, l’incompréhension, grande. Le pape prend le risque de décou­ra­ger plus d’un ser­vi­teur fidèle de l’Évangile.

Deux concep­tions oppo­sées du catho­li­cisme se trouvent mariées de force. L’une, très majo­ri­taire, celle de Vatican II, qui demeure la norme mais perd sa bous­sole. L’autre, sec­taire et voci­fé­rante, axée sur « l’intransigeantisme ». Cette union des contraires se veut sym­pho­nique et même mys­tique. Mais elle est aus­si concrète – avec une pra­tique jus­qu’i­ci faite de coups tor­dus et de dénon­cia­tions calom­nieuses. Les tra­di­tio­na­listes ne reven­diquent pas seule­ment une sorte d’ex­cep­tion cultu­relle ou, en l’oc­cur­rence, cultuelle. Qui son­ge­rait à la leur refu­ser ? Tout mino­ri­taires qu’ils sont, ils pensent en termes de rap­ports de force et veulent le pou­voir, tout le pouvoir.

Cependant, au coû­teux devoir d’u­ni­té qui nous est deman­dé, il faut répondre hon­nê­te­ment. Je l’af­firme ici avec d’au­tant plus de clar­té que le dia­logue avec les tra­di­tio­na­listes, ce jour­nal l’a enga­gé, bri­sant un tabou. Au mois de novembre der­nier, j’é­tais le seul à répondre à l’in­vi­ta­tion des amis de l’ab­bé Laguérie, ceux de l’Institut du Bon Pasteur, qui tenaient mee­ting à Paris. Cet évé­ne­ment sans pré­cé­dent fut l’oc­ca­sion d’un échange franc, pro­fond et sin­cère. Les « tra­dis » n’ont pas tou­jours tort, sur­tout lors­qu’ils mani­festent un cer­tain sen­ti­ment tra­gique de la vie, anti­dote à tant d’illu­sions du pro­grès que l’his­toire du XXe siècle a dis­si­pées. Archaïsants, ils sont aus­si, par cer­tains côtés, des « plus-​que-​modernes », fai­sant place à la sub­jec­ti­vi­té, à l’é­mo­tion, à une cer­taine esthé­tique de l’intemporel. 

Mais la recherche d’une authen­tique com­mu­nion ne peut se faire qu’au ser­vice de la véri­té, donc sans faux-​fuyants. Oser aller vers ceux qui sont au pre­mier chef nos frères, oui. Oser dire en quoi nous nous sen­tons encore « incon­ci­liés », aus­si. Or, der­rière le mis­sel bran­di comme un éten­dard poli­tique, der­rière le goût d’un patri­moine res­tau­ré, et der­rière même le par­fum de mys­tère et cette sacra­li­té que nous aurions lais­sé s’é­va­po­rer, je vois tou­jours des objec­tions sérieuses. Un exemple par­mi d’autres, quoique hau­te­ment sym­bo­lique : peut-​on confondre l’Église de Benoît XVI, qui pour­suit le dia­logue avec nos frères aînés les juifs, et celle du mis­sel ancien, qui concentre, le ven­dre­di saint, tous les pon­cifs de l’antijudaïsme ? 

Les catho­liques sont donc appe­lés à une sorte de très humble et très fidèle patience, offrant cette cha­ri­té désar­mée que le pré­sent exige. Souvenons-​nous de l’es­sen­tiel. Pour beau­coup de nos contem­po­rains, le chris­tia­nisme n’est qu’une vieille bête mar­chant à recu­lons. C’est ce qu’ont insi­nué, le week-​end der­nier, bien des médias. Quel lan­gage rituel, spi­ri­tuel et social par­ler à nos contem­po­rains ? Personne ne peut pré­tendre avoir toute la réponse. 

Une réflexion loyale s’impose.

Jean-​Pierre Denis
La Vie – 11 juillet 2007