Lettre ouverte de Mgr Hippolyte Simon « à ceux qui veulent bien réfléchir… »

Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflétant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

Je ne sais pas si je suis en colère ou si je suis mal­heu­reux : la véri­té tient sans doute des deux. Mais trop, c’est trop, alors je dis : ça suf­fit ! Le déchaî­ne­ment média­tique contre le Pape Benoît XVI, qui aurait réin­té­gré quatre évêques inté­gristes, dont un néga­tion­niste avé­ré, ne relève pas de la cri­tique, mais de la calom­nie et de la dés­in­for­ma­tion. Car, quoi que l’on pense des déci­sions du Pape, il faut dire, répé­ter et sou­li­gner que ces quatre évêques n’ont pas été réin­té­grés (1). Et donc, Mgr Williamson, dont les pro­pos tenus à la télé­vi­sion sué­doise sont effec­ti­ve­ment into­lé­rables, n’est tou­jours pas reve­nu au sein de l’Eglise catho­lique et il ne relève tou­jours pas de l’autorité du Pape. Les infor­ma­tions qui parlent de réin­té­gra­tion reposent sur une confu­sion grave entre levée des excom­mu­ni­ca­tions et réin­té­gra­tion à part entière.

J’accorde volon­tiers mon indul­gence à tous les jour­na­listes et à tous les com­men­ta­teurs qui ont pu confondre, de bonne foi, la levée de l’excommunication et la réin­té­gra­tion pure et simple. Les caté­go­ries uti­li­sées par l’Eglise peuvent prê­ter à équi­voque pour le grand public. Mais la véri­té oblige à dire que, selon le Droit de l’Eglise, ce n’est pas du tout la même chose. Si on confond les plans on devient vic­time de sim­pli­fi­ca­tions qui ne pro­fitent qu’à ceux qui veulent faire de la pro­vo­ca­tion. Et on se fait com­plice, invo­lon­tai­re­ment, de ces der­niers. De façon habi­tuelle, le grand public est en droit d’exiger d’un jour­na­liste spor­tif qu’il sache dis­tin­guer, par exemple, entre un cor­ner et un essai. Pourquoi l’Eglise n’aurait-elle pas le droit d’avoir aus­si son voca­bu­laire « tech­nique » et pour­quoi devrait-​on tolé­rer des approxi­ma­tions aus­si graves sim­ple­ment sous pré­texte qu’il s’agit de religion ?

Reprenons donc exac­te­ment ce qui s’est pas­sé. Suite à l’élection du Pape Benoît XVI, en Avril 2005, les évêques de la Fraternité Saint-​Pie‑X, fon­dée il y a plus de trente ans par Mgr Lefebvre, ont deman­dé à reprendre le dia­logue avec Rome, mais ils avaient mis deux préa­lables : pre­miè­re­ment, la libé­ra­li­sa­tion du Missel de 1962, ce qui a été fait par le motu pro­prio, en juillet 2007 et, deuxiè­me­ment, la levée des excommunications.

Que signi­fie la levée des excom­mu­ni­ca­tions ? Pour prendre une com­pa­rai­son fami­lière, je dirai ceci : quand Mgr Lefebvre est sor­ti, c’est-à-dire quand il a déso­béi en ordon­nant quatre évêques mal­gré l’avis for­mel du Pape, c’est comme s’il y avait eu, auto­ma­ti­que­ment, une bar­rière qui était tom­bée et un feu qui s’était mis au rouge pour dire qu’il était sor­ti. Cela vou­lait dire que si, un jour, il vou­lait ren­trer, il fau­drait qu’il fasse d’abord amende hono­rable. Mgr Lefebvre est mort. Paix à son âme ! Aujourd’hui, ses suc­ces­seurs, vingt ans après, disent au Pape : « Nous sommes prêts à reprendre le dia­logue, mais il faut un geste sym­bo­lique de votre part. Levez la bar­rière et met­tez le feu au cli­gno­tant orange !» Le Pape, pour mettre toutes les chances du côté du dia­logue, a donc levé la bar­rière et a mis le feu au cli­gno­tant orange. Reste à savoir main­te­nant si ceux qui demandent à ren­trer vont le faire. Est-​ce qu’ils vont ren­trer tous ? Quand ? Dans quelles condi­tions ? On ne sait pas. Comme le dit le car­di­nal Giovanni Battista Re [pré­fet de la Congrégation des évêques], dans son décret offi­ciel : « il s’agit de sta­bi­li­ser les condi­tions du dia­logue ». Peut-​être que le Pape, dans un délai que nous ne connais­sons pas, leur don­ne­ra un sta­tut cano­nique. Mais pour l’instant, ce n’est pas fait. Le préa­lable au dia­logue est levé, mais le dia­logue n’a pas encore com­men­cé. Nous ne pou­vons donc pas juger les résul­tats du dia­logue avant qu’il n’ait eu lieu.

Là-​dessus, la veille du jour où devait être publié le décret du Cardinal RE, voi­ci qu’une télé­vi­sion sué­doise publie ou repu­blie les pro­pos clai­re­ment néga­tion­nistes de l’un des quatre évêques concer­nés, Mgr Williamson. Le Pape, quand il a don­né son feu vert à la signa­ture du décret par le Cardinal pouvait-​il connaître les dis­cours de Mgr Williamson ? Très hon­nê­te­ment, je crois pou­voir dire que non. Et c’est en un sens plu­tôt ras­su­rant : c’est le signe que le Vatican n’a vrai­ment pas les moyens de faire sur­veiller tous les évêques et toutes les chaînes de télé­vi­sion du monde ! C’est donc ici qu’il ne faut pas se trom­per d’interprétation : que signi­fie cette coïn­ci­dence entre la signa­ture d’un décret, pré­vue pour le 21 Janvier, et donc connue de Mgr Williamson, et la dif­fu­sion des pro­pos télé­vi­sés du même personnage ?

Que cha­cun se demande : à qui pro­fite le crime ? A qui pro­fite le scan­dale pro­vo­qué par des pro­pos d’une telle obs­cé­ni­té ? La réponse me semble lim­pide : à celui ou à ceux qui vou­laient tor­piller le pro­ces­sus inau­gu­ré par la signa­ture du décret ! Or, pour peu que l’on suive un peu ces ques­tions et les dif­fé­rentes inter­ven­tions de Mgr Williamson depuis quelques années, il est clair que lui ne veut à aucun prix de la récon­ci­lia­tion avec Rome ! Cet évêque, dont je répète, qu’il n’a encore aujourd’hui aucun lien de subor­di­na­tion cano­nique vis-​à-​vis de Rome, a tout sim­ple­ment uti­li­sé la méthode des ter­ro­ristes : il fait explo­ser une bombe (intel­lec­tuelle) en espé­rant que tout le pro­ces­sus de récon­ci­lia­tion va dérailler. Il fait comme tous les ultras de tous les temps : il pré­fère lais­ser un champ de ruines plu­tôt que de se récon­ci­lier avec ceux qu’il consi­dère comme des ennemis.

Alors je le dis avec tris­tesse à tous ceux qui ont relayé, – avec gour­man­dise ou avec douleur‑, l’amalgame entre Benoît XVI et Mgr Williamson : vous avez fait le jeu, incons­ciem­ment, d’un pro­vo­ca­teur cynique ! Et, en prime, si j’ose dire, vous lui avez offert un second objec­tif qui ne pou­vait que le ravir : salir de la pire des manières la répu­ta­tion du Pape. Un pape dont il se méfie plus que de tout autre, car il voit bien que ce Pape ruine abso­lu­ment tout l’argumentaire écha­fau­dé jadis par Mgr Lefebvre. Je ne peux pas déve­lop­per ici ce point. Je ne fais que ren­voyer à un article que j’avais publié dans les colonnes du jour­nal Le Monde, l’an der­nier, au moment de la publi­ca­tion du Motu Proprio : « Quand je lis, un peu par­tout, que le Pape accorde tout aux inté­gristes et qu’il n’exige rien en contre­par­tie, je ne suis pas d’accord : il leur accorde tout sur la forme des rites, mais il ruine tota­le­ment leur argu­men­taire sur le fond. Tout l’argumentaire de Mgr Lefebvre repo­sait sur une pré­ten­due dif­fé­rence sub­stan­tielle entre le rite dit de Saint Pie V et le rite dit de Paul VI. Or, réaf­firme Benoît XVI, il n’y a pas de sens à par­ler de deux rites. On pou­vait, à la rigueur, légi­ti­mer une résis­tance au Concile si l’on pen­sait, en conscience, qu’il exis­tait une dif­fé­rence sub­stan­tielle entre deux rites. Peut-​on légi­ti­mer cette résis­tance, et a for­tio­ri un schisme, à par­tir d’une dif­fé­rence de formes ? »(2)

Pour un fon­da­men­ta­liste, et qui plus est, pour un néga­tion­niste for­ce­né comme Mgr Williamson, Benoît XVI est infi­ni­ment plus redou­table que tous ceux qui font l’apologie de la « rup­ture » intro­duite par le Concile Vatican II. Car s’il y a rup­ture, alors il est confor­té dans son oppo­si­tion à la « nou­veau­té ». Mais celui qui démontre pai­si­ble­ment que le Missel de Paul VI, la liber­té reli­gieuse et l’œcuménisme font par­tie inté­grante de l’authentique Tradition Catholique, celui-​là lui enlève toute justification.

J’ai bien conscience qu’il fau­drait déve­lop­per mon argu­men­ta­tion. Que cha­cun veuille bien me par­don­ner de ren­voyer aux sites inter­net où tout ceci est visible. Mais je sou­haite sur­tout que cha­cun veuille bien se méfier des pro­vo­ca­tions trop bien mon­tées. Quant à ceux qui s’obstinent à répé­ter que Joseph Ratzinger a ser­vi dans les Jeunesses hit­lé­riennes, qu’ils veuillent bien relire le témoi­gnage qu’il a don­né à Caen, le 6 Juin 2004, pour le soixan­tième anni­ver­saire du Débarquement en Normandie, et qu’ils se demandent ensuite ce qu’ils auraient fait à sa place. ..Quand on hurle un peu trop fort avec les loups d’aujourd’hui, on ne fait pas bien la preuve que l’on eût été capable de se démar­quer des loups de l’époque…

Reste un point qui est second mais cepen­dant très grave : il fau­dra tout de même s’interroger sur la com­mu­ni­ca­tion des ins­tances romaines lorsqu’il s’agit de sujets aus­si sen­sibles. Après la polé­mique de Ratisbonne (qui méri­te­rait elle aus­si d’être démon­tée atten­ti­ve­ment..), j’espère – mais je me réserve d’en par­ler plu­tôt en interne – que les res­pon­sables de la Curie vont pro­cé­der à un sérieux débrie­fing sur les ratés de leur com­mu­ni­ca­tion. Pour le dire d’un mot, voi­ci com­ment j’ai vécu les choses : Mercredi 21 jan­vier, les milieux inté­gristes ita­liens, qui croyaient triom­pher, « orga­nisent une fuite » dans « Il Giornale ». Aussitôt le tam-​tam média­tique, se met en route. Mais nous, membres des confé­rences épis­co­pales, nous ne savons abso­lu­ment rien ! Et pen­dant trois jours les nou­velles – erro­nées, qui parlent à lon­gueur de jour­née de réin­té­gra­tion – pro­li­fèrent dans tous les sens comme un feu de brousse. Tout y passe. Arrive alors la « bombe » de Mgr Williamson… Et c’est seule­ment same­di matin, – trois jours trop tard ! -, que nous rece­vons le com­mu­ni­qué offi­ciel du Cardinal RE. Comment voulez-​vous que nous puis­sions remettre le débat sur des bases cor­rectes ? Le Cardinal Ricard s’y est employé, de très bonne façon, mais le feu était par­ti, et plus per­sonne ne pou­vait alors entendre une parole raisonnable.

Maintenant que la pous­sière com­mence à retom­ber, essayons de reprendre cal­me­ment nos esprits. Comme disait ma Grand-​mère : d’un mal Dieu peut faire sor­tir du bien. Le mal c’est que le Pape Benoît XVI a une nou­velle fois été traî­né dans la boue par une majo­ri­té de grands médias, excep­té, Dieu Merci, La Croix et quelques autres. Beaucoup de catho­liques, et beau­coup de gens de bonne volon­té, sont dans l’incompréhension et la souf­france. Mais le bien, c’est que les masques sont tom­bés ! Si le dia­logue conti­nue mal­gré tout avec les évêques de la Fraternité Saint Pie X, – sous réserve, bien sûr, qu’ils passent la bar­rière main­te­nant levée- , le dis­cer­ne­ment pour­ra se faire, car tout le monde sait un peu mieux ce qu’ils pensent les uns et les autres.

Pour conclure, j’ai envie de m’adresser aux fidèles catho­liques qui peuvent, non sans rai­son, avoir le sen­ti­ment d’être un peu tra­his, pour ne pas dire mépri­sés, en cette affaire : médi­tez la para­bole du Fils pro­digue, et prolongez-​la. Si le Fils aîné, qui avait d’abord refu­sé d’entrer dans la fête, dit qu’il veut ren­trer, allez-​vous le refu­ser ??? Ayez suf­fi­sam­ment confiance en vous-​mêmes et en l’Esprit qui conduit l’Eglise, et qui a aus­si gui­dé le Concile de Vatican II, pour pen­ser que la seule pré­sence de ce fils aîné ne suf­fi­ra pas à étouf­fer la fête. Donnez à ce der­nier venu un peu de temps pour s’habituer à la lumière de l’Assemblée où vous vous tenez…

+ Hippolyte Simon,
Archevêque de Clermont.
Vice-​président de la Conférence des évêques de France

(1) Il suf­fit de lire le com­mu­ni­qué offi­ciel du Cardinal Ricard, Archevêque de Bordeaux , qui suit ces ques­tions pour notre Conférence : « La levée de l’excommunication n’est pas une fin mais le début d’un pro­ces­sus de dia­logue. Elle ne règle pas deux ques­tions fon­da­men­tales : la struc­ture juri­dique de la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise et un accord sur les ques­tions dog­ma­tiques et ecclé­sio­lo­giques. Mais elle ouvre un che­min à par­cou­rir ensemble. Ce che­min sera sans doute long. Il deman­de­ra meilleure connais­sance mutuelle et estime. » Cf. Site Internet du dio­cèse de Clermont.

(2) Pourquoi j’obéis au Pape, Le Monde, 13 Juillet 2007.