« Présent » du 13 juillet 2007 – Jean Madiran

Jamais abro­gée : « num­quam abro­ga­tam ». En deux mots, comme le simple rap­pel d’une évi­dence ne fai­sant pas pro­blème, le Motu pro­prio a réglé au pas­sage le sort de l’interdiction odieuse qui depuis trente-​sept ans pré­ten­dait frap­per la messe traditionnelle.

Pour ceux qui disent : – Comment ? C’est une erreur de fait ! Elle a été abro­gée dès 1969, par l’ordonnance épis­co­pale du 12 novembre, réité­rée et confir­mée par celle du 14 novembre 1974, – pour ceux-​là sans doute, qui n’auraient pas com­pris, la Lettre aux évêques de Benoît XVI a la bien­veillante obli­geance expli­ca­tive d’ajouter un troi­sième mot aux deux du Motu pro­prio : « jamais juri­di­que­ment abro­gée ». C’est-à-dire que l’interdiction lon­gue­ment répé­tée était illi­cite.

Pour qu’on n’aille pas ima­gi­ner quelque par­tia­li­té de ma part contre l‘épiscopat fran­çais, je prends cette fois mes exemples hors de France.

Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), publiait en jan­vier 1973 une « mise au point » affir­mant inter­dit de célé­brer selon le rite de saint Pie V « qui a été abo­li (sic) par la consti­tu­tion Missale roma­num » de 1969. Et Mgr Adam pré­ci­sait : « La pré­sente décla­ra­tion est faite sur ren­sei­gne­ment authen­tique et indi­ca­tion for­melle de l’Autorité. »

Au mois de jan­vier sui­vant, c‘était l’assemblée plé­nière des évêques suisses qui pro­cla­mait : « Il n’est plus per­mis de célé­brer la messe selon le rite de saint Pie V. »

Partout c‘était le même refrain officiel :

« L’obéissance à l’Eglise inter­dit de célé­brer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelque cir­cons­tance que ce soit. » 

Et la catas­trophe, ce fut le dis­cours consis­to­rial du 24 mai 1976, décla­rant que la nou­velle messe « a été pro­mul­guée pour prendre la place de l’ancienne », sub­sti­tu­tion à laquelle il faut « une prompte sou­mis­sion, au nom de l’autorité suprême ».

Telle fut la ver­sion offi­cielle jusqu’en 1978.

A par­tir de 1978, et plus net­te­ment à par­tir de 1986, on a vu le lan­gage se faire moins caté­go­rique, évi­tant les termes d’« obli­ga­tion » du rite nou­veau et d’« inter­dic­tion » du rite tra­di­tion­nel. On est alors pas­sé peu à peu à un régime d’autorisation préa­lable, ce qui conti­nuait de sup­po­ser, mais impli­ci­te­ment, la réfé­rence à une inter­dic­tion, mais qui n‘était plus abso­lue. La curie romaine et les évêques les plus com­pé­tents com­pre­naient que l’interdiction avait été un abus de pou­voir. Mais il ne l’ont pas dit, mal­gré la ten­dance gran­dis­sante aux repen­tances de toute sorte. Ainsi donc le mal était fait. Il n‘était pas répa­ré. Dans les paroisses, dans les écoles, dans les mou­ve­ments catho­liques, on a conti­nué à pro­fes­ser que la messe tra­di­tion­nelle n‘était plus per­mise. On l’a donc répé­té pen­dant trente-​sept années. L’espace, lar­ge­ment, d’une géné­ra­tion. Maintenant cette géné­ra­tion est aux com­mandes. Il faut faire avec.

Aujourd’hui encore, comme un fan­tôme que l’on n’arrive pas à tuer tout à fait, le sou­ve­nir de l’interdiction sus­cite des scru­pules et sous-​tend des sophismes sub­ver­sifs. Si l‘éditorialiste du Monde peut écrire que la libé­ra­tion de la messe tra­di­tion­nelle est une scan­da­leuse « faveur » consen­tie aux « inté­gristes », c’est parce qu’il ne com­prend pas, ou ne veut pas admettre, qu’il s’agit au contraire de la recon­nais­sance d’un droit. La messe tra­di­tion­nelle vient d‘être non pas « libé­ra­li­sée » (for­ma­tée aux exi­gences du libé­ra­lisme, hor­reur !) mais libé­rée. Parce qu’elle ne pou­vait pas être [vala­ble­ment] interdite.

Cela fut rap­pe­lé sans inter­rup­tion jusqu‘à main­te­nant, cela avait été immé­dia­te­ment dit dès le début. Les réfrac­taires à l’interdiction, au nom du droit natu­rel avec Louis Salleron, au nom du droit canon avec l’abbé Raymond Dulac, ont dès 1969–1970 pro­tes­té qu’un com­man­de­ment aus­si injuste que celui de l’interdiction ne pou­vait obli­ger en conscience.

Mais inver­se­ment pourrait-​on après le Motu pro­prio obli­ger un prêtre à célé­brer aus­si la messe de Paul VI ?

A demain.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6377 de Présent, du ven­dre­di 13 juillet 2007