Jamais abrogée : « numquam abrogatam ». En deux mots, comme le simple rappel d’une évidence ne faisant pas problème, le Motu proprio a réglé au passage le sort de l’interdiction odieuse qui depuis trente-sept ans prétendait frapper la messe traditionnelle.
Pour ceux qui disent : – Comment ? C’est une erreur de fait ! Elle a été abrogée dès 1969, par l’ordonnance épiscopale du 12 novembre, réitérée et confirmée par celle du 14 novembre 1974, – pour ceux-là sans doute, qui n’auraient pas compris, la Lettre aux évêques de Benoît XVI a la bienveillante obligeance explicative d’ajouter un troisième mot aux deux du Motu proprio : « jamais juridiquement abrogée ». C’est-à-dire que l’interdiction longuement répétée était illicite.
Pour qu’on n’aille pas imaginer quelque partialité de ma part contre l‘épiscopat français, je prends cette fois mes exemples hors de France.
Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), publiait en janvier 1973 une « mise au point » affirmant interdit de célébrer selon le rite de saint Pie V « qui a été aboli (sic) par la constitution Missale romanum » de 1969. Et Mgr Adam précisait : « La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l’Autorité. »
Au mois de janvier suivant, c‘était l’assemblée plénière des évêques suisses qui proclamait : « Il n’est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V. »
Partout c‘était le même refrain officiel :
« L’obéissance à l’Eglise interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelque circonstance que ce soit. »
Et la catastrophe, ce fut le discours consistorial du 24 mai 1976, déclarant que la nouvelle messe « a été promulguée pour prendre la place de l’ancienne », substitution à laquelle il faut « une prompte soumission, au nom de l’autorité suprême ».
Telle fut la version officielle jusqu’en 1978.
A partir de 1978, et plus nettement à partir de 1986, on a vu le langage se faire moins catégorique, évitant les termes d’« obligation » du rite nouveau et d’« interdiction » du rite traditionnel. On est alors passé peu à peu à un régime d’autorisation préalable, ce qui continuait de supposer, mais implicitement, la référence à une interdiction, mais qui n‘était plus absolue. La curie romaine et les évêques les plus compétents comprenaient que l’interdiction avait été un abus de pouvoir. Mais il ne l’ont pas dit, malgré la tendance grandissante aux repentances de toute sorte. Ainsi donc le mal était fait. Il n‘était pas réparé. Dans les paroisses, dans les écoles, dans les mouvements catholiques, on a continué à professer que la messe traditionnelle n‘était plus permise. On l’a donc répété pendant trente-sept années. L’espace, largement, d’une génération. Maintenant cette génération est aux commandes. Il faut faire avec.
Aujourd’hui encore, comme un fantôme que l’on n’arrive pas à tuer tout à fait, le souvenir de l’interdiction suscite des scrupules et sous-tend des sophismes subversifs. Si l‘éditorialiste du Monde peut écrire que la libération de la messe traditionnelle est une scandaleuse « faveur » consentie aux « intégristes », c’est parce qu’il ne comprend pas, ou ne veut pas admettre, qu’il s’agit au contraire de la reconnaissance d’un droit. La messe traditionnelle vient d‘être non pas « libéralisée » (formatée aux exigences du libéralisme, horreur !) mais libérée. Parce qu’elle ne pouvait pas être [valablement] interdite.
Cela fut rappelé sans interruption jusqu‘à maintenant, cela avait été immédiatement dit dès le début. Les réfractaires à l’interdiction, au nom du droit naturel avec Louis Salleron, au nom du droit canon avec l’abbé Raymond Dulac, ont dès 1969–1970 protesté qu’un commandement aussi injuste que celui de l’interdiction ne pouvait obliger en conscience.
Mais inversement pourrait-on après le Motu proprio obliger un prêtre à célébrer aussi la messe de Paul VI ?
A demain.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6377 de Présent, du vendredi 13 juillet 2007