« Le Monde » du 9 juillet 2007


« Le Monde  » du 9 Juillet 2007 

Sur le par­vis de l’é­glise de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, fief pari­sien des catho­liques inté­gristes, les can­tines en fer des scouts sont le seul signe d’a­gi­ta­tion esti­vale. Dimanche 8 juillet, les messes qui s’en­chaînent depuis le début de la mati­née font le plein. Les fidèles qui se croisent affichent la tran­quille assu­rance de ceux qui ont eu rai­son avant l’heure. Et beau­coup « se réjouissent » de la déci­sion de Benoît XVI, qui, la veille, a annon­cé la libé­ra­li­sa­tion du rite ancien – celui du concile de Trente (XVIe siècle) : le prêtre célé­brant la messe en latin, dos à l’as­sem­blée, et dans une ges­tuelle immuable, manie l’en­cen­soir en mul­ti­pliant les génuflexions. 

« C’est une grande joie de savoir que la messe tri­den­tine est auto­ri­sée pour tous les prêtres », recon­naît Frédéric Jacquinet, un parois­sien de 39 ans. « Cette déci­sion récom­pense tous les efforts de la Fraternité Saint-​Pie X depuis des années », défend ce père de 6 enfants. Créée par Mgr Lefebvre en 1970, la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X ras­semble les catho­liques schis­ma­tiques, oppo­sés à la réforme de l’Eglise induite par le concile Vatican II. 

« D’un point de vue apos­to­lique, le texte du pape ne peut être que béné­fique, estime Nicolas, un gaillard chauve de 32 ans. Le retour à la tra­di­tion peut aider des gens qui, depuis Vatican II, avaient pris leurs dis­tances avec la pra­tique reli­gieuse, à reve­nir à l’é­glise. La litur­gie c’est comme une recette de cui­sine. Ce sont des gestes pré­cis, si on en change, le résul­tat est moins bon ! » Pour Bernard Pons, 49 ans, san­glé dans un cos­tume strict : « L’Eglise est un vais­seau ; avec cette déci­sion du pape, elle reprend le bon cap. Les auto­ri­tés reli­gieuses voient bien que quelque chose ne fonc­tionne pas, alors elles reviennent à plus de sacralité. »

Soucieux de pro­mou­voir « l’u­ni­té » de l’Eglise, Benoît XVI peut-​il avec ce texte ral­lier une par­tie des schis­ma­tiques ? Son mis­sel ancien enser­ré dans un étui en cuir, Marie-​Pierre Gérard, 49 ans, assure qu’elle pour­rait suivre une messe tri­den­tine dans sa paroisse d’o­ri­gine si un curé « conci­liaire » la célé­brait. Mais peu par­tagent son avis. Pour James, aller prier ailleurs qu’à Saint-​Nicolas est « impen­sable » : « Le rite n’est pas tout ; il y a aus­si les valeurs. Si les curés ont peur qu’on débarque dans leur paroisse avec notre idéo­lo­gie anti-​droit-​de-​l’hommiste, ils peuvent être ras­su­rés, on res­te­ra ici. »

Ces ultras, por­tés par des cadres reli­gieux ancrés dans leur radi­ca­lisme, ne voient dans le motu pro­prio qu’un « pre­mier pas ». Monté en chaire pour les « annonces du jour » et le ser­mon, l’ab­bé Beauvais illustre cette intran­si­geance. Lisant une décla­ra­tion du supé­rieur de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay, qui recon­naît dans le texte papal, « une indé­niable avan­cée » devant être « pro­lon­gée par des dis­cus­sions théo­lo­giques », l’ab­bé sou­ligne qu’un « com­bat a été gagné mais qu’il s’a­git désor­mais d’é­ra­di­quer la messe pro­tes­tan­ti­sée de Paul VI ».

Ailleurs dans la galaxie des « cathos tra­dis », la satis­fac­tion paraît sans réserve. « Ce texte m’ins­pire une très grande joie, même si je ne fais aucun triom­pha­lisme », témoigne Philippe Laguérie, supé­rieur de l’ins­ti­tut du Bon Pasteur à Bordeaux. Compagnon de route de Mgr Lefebvre, il a choi­si de réin­té­grer l’Eglise en sep­tembre 2006. « La guerre litur­gique a divi­sé l’Eglise, la paix litur­gique va la réunir », prévoit-​il. Matthieu Mautin, 30 ans, veut aus­si s’en convaincre. Depuis des semaines, il tente avec un groupe de fidèles de réta­blir une messe en latin à Niafles (Mayenne). « Notre quête est vali­dée par le pape, estime-​t-​il à la lec­ture du motu pro­prio. Ce texte va lever les blo­cages d’une par­tie de l’é­pis­co­pat fran­çais. Et je ne pense pas qu’il pro­duise de conflit entre com­mu­nau­tés ; il est plu­tôt de nature à cla­ri­fier les situations. »

Dans d’autres milieux catho­liques, y com­pris chez cer­tains évêques, la crainte existe de voir ce texte atti­ser les anta­go­nismes. L’hebdomadaire Témoignage chré­tien en désac­cord avec le motu pro­prio s’en fait l’é­cho dans un édi­to­rial en latin, paru le 5 juillet : « Quelles que soient les condi­tions de la mise en œuvre de ce biri­tua­lisme de fait, les tra­di­tio­na­listes ont gagné. Bonne chance à tous ceux (…) qui résis­te­ront. »

Stéphanie Le Bars

Un évêque italien déplore la décision du pape Benoît XVI 

Mgr Luca Brandolini, membre de la com­mis­sion de la litur­gie au sein de la Conférence des évêques ita­liens, a regret­té dans un entre­tien à La Repubblica la publi­ca­tion du motu pro­prio de Benoît XVI (Le Monde daté 8–9 juillet) :

« C’est un jour de deuil, non seule­ment pour moi, mais pour les nom­breuses per­sonnes qui ont oeu­vré au concile Vatican II. Cette réforme est main­te­nant enterrée. »

Mgr Jean-​Pierre Ricard, pré­sident de la Conférence des évêques de France, a décla­ré au Monde qu’il fal­lait veiller à ce que les prêtres qui ont par­ti­ci­pé au tra­vail litur­gique depuis Vatican II « ne se sentent pas décou­ra­gés » par le décret papal.