Le pape et la juridiction extraordinaire

La juri­dic­tion est le pou­voir de direc­tion ou de gou­ver­ne­ment exer­cé par la puis­sance ecclé­sias­tique. « C’est par ce pou­voir que les lois sont faites, les juge­ments ren­dus, les peines infli­gées, les grâces concé­dées, la doc­trine ensei­gnée, l’ad­mi­nis­tra­tion exer­cée » (Commentaire du code de droit cano­nique, sous la direc­tion de Raoul Naz). Par juri­dic­tion extra­or­di­naire, on entend sa sup­pléance pour le bien des âmes, selon des règles éta­blies par le droit de l’Église.

La juri­dic­tion appar­tient à l’Église, mais pas indis­tinc­te­ment à tous ses membres. La source unique de toute juri­dic­tion est le Souverain Pontife, suc­ces­seur de saint Pierre, à qui a été remis les clefs du Royaume des cieux. Il la confie aux évêques dio­cé­sains tout en la gar­dant dans son inté­gra­li­té sur l’en­semble de l’Église. Les évêques ne deviennent pas de simples vicaires du pape car, après avoir reçu la juri­dic­tion de celui-​ci, ils la pos­sèdent en propre. A la mort du pape, les évêques conservent bien évi­dem­ment leur juri­dic­tion et ce sont donc eux qui sont les uniques déten­teurs de la juri­dic­tion ordi­naire jus­qu’à l’é­lec­tion d’un nou­veau pape.

La juri­dic­tion extra­or­di­naire est une sup­pléance dans des cas de néces­si­té. Elle n’est, à pro­pre­ment par­ler, pos­sé­dée par per­sonne, mais elle inter­vient à chaque fois qu’un acte la requiert. Le droit, en pré­voyant des cas extra­or­di­naires, n’a donc pas un intro­duit un prin­cipe de désordre. La juri­dic­tion, quelle qu’elle soit, tend à l’é­di­fi­ca­tion de l’Église, comme tout pou­voir qui vient de Notre-​Seigneur. La hié­rar­chie de l’Église peut être défaillante, mais elle ne peut pas être mépri­sée ou igno­rée. De par l’ins­ti­tu­tion de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’Église est une socié­té ; elle est donc essen­tiel­le­ment hiérarchique.

Dans l’é­tat actuel de l’Église, c’est grâce à la juri­dic­tion extra­or­di­naire que le cler­gé de Tradition peut conti­nuer l’œuvre évan­gé­li­sa­trice de tou­jours. Pour ne pas recon­naître la légi­ti­mi­té de cette façon de faire, il faut être soit moder­niste, soit de mau­vaise foi. Celui qui recon­naît dans les prin­cipes de l’œ­cu­mé­nisme, de la liber­té reli­gieuse et de la col­lé­gia­li­té, la source des maux dont souffre l’Église aujourd’­hui, se doit de les dénon­cer. Il est en effet impen­sable que le Christ demande à ses prêtres d’être hypo­crites pour conti­nuer à sau­ver les âmes. Or la pro­fes­sion franche et inté­grale de la foi catho­lique aujourd’­hui entraîne les foudres du cler­gé conci­liaire avec le pape à sa tête. La juri­dic­tion extra­or­di­naire per­met aux vrais fidèles de sur­vivre dans ces temps troubles. Néanmoins l’u­sage habi­tuel de cette juri­dic­tion, en rai­son de cir­cons­tances aus­si stables que mal­heu­reuses, n’é­ta­bli­ra jamais une hié­rar­chie paral­lèle, même si les bons fidèles join­dront le res­pect à la recon­nais­sance envers un cler­gé qui a pré­fé­ré l’op­probre pour res­ter fidèle à l’Église de toujours.

La juri­dic­tion extra­or­di­naire pré­sup­pose celle qui est ordi­naire ! C’est parce que le pape pos­sède celle-​ci, qu’il peut don­ner celle-​là. La juri­dic­tion extra­or­di­naire est en effet confé­rée au cas par cas par le pape à tra­vers le code de droit cano­nique. Ce ne sont donc pas « les fidèles qui donnent la juri­dic­tion aux prêtres » comme on l’en­tend quel­que­fois dans nos milieux. C’est plu­tôt à l’oc­ca­sion du besoin dans lequel se trouvent les fidèles que le pape donne une juri­dic­tion. L’autorité vient tou­jours d’en haut.

De tout cela, on peut tirer une consé­quence qui rend impos­sible la posi­tion sédé­va­can­tiste (qui affirme que qu’il n’y a pas de pape assis sur la chaire de Pierre). En effet, s’il n’y avait plus de pape depuis plus de qua­rante ans, il n’y aurait plus aucun déten­teur de la juri­dic­tion ordi­naire. Il n’y aurait plus de hié­rar­chie catho­lique et donc plus d’Église. Il n’y aurait même plus de pos­si­bi­li­té de rece­voir la juri­dic­tion de manière extra­or­di­naire. Les portes de l’en­fer auraient pré­va­lu contre l’Église, ce qui est impossible.

Tout en gar­dant les yeux bien ouvert sur la situa­tion désas­treuse dans laquelle se trouve l’Église, et tout en ne criant pas au prin­temps parce que quelques hiron­delles vire­voltent, il faut pour­tant recon­naître dans les membres de la hié­rar­chie catho­lique les suc­ces­seurs des apôtres, les colonnes sur les­quelles reposent l’é­di­fice tout entier. Les vrais fidèles se dis­so­cient et se pro­tègent des erreurs que les papes ont jadis condam­nés, mais ils ne déses­pèrent pas de revoir un jour l’Église re-​trouver toute sa splendeur.

Abbé Thierry Gaudray, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Source : Carillon du Nord n° 172 de juin 2015