Abbé Pierre Barrère
Je profite d’un incident pour faire une remarque bien précise quant à l’objet en question mais volontairement évasive quant au lieu où la chose s’est passée. De « petits missionnaires » zélés se sont permis de placer des feuilles sur les pare-brises des voitures un dimanche matin, tout près de la chapelle où célébrait un de nos prêtres. Nous disons tout net que nous n’avons rien contre ces enfants qui ignorent sans doute tout de la teneur de l’écrit qu’ils diffusaient. Là n’est pas le vrai problème.
Il s’agit en fait d’un texte de quatre pages remplies d’attaques contre la FSSPX notamment parce qu’elle a engagé, depuis un certain temps, des discussions serrées avec Rome ( et non pas des négociations) contre les erreurs du concile Vatican II. La feuille se termine par ces mots écrits en gros caractères en guise de conclusion de tout le discours :
Refusons de soutenir et fréquenter la Fraternité Saint Pie X ! Exigeons qu’elle dise la vérité et qu’elle déclare officiellement que Benoît XVI n’est pas Pape.
Et c’est suivi de l’adresse de quatre centres de messe sédévacantiste où l’on peut avoir, éventuellement, une chance dans la région de sauver son âme.
Certains penseront qu’il ne faut pas répondre à ce genre de papier. Ils ont en partie raison car c’est s’engager dans des discussions interminables et souvent stériles. Mais il faut en parler un peu pour faire toucher du doigt, à certaines occasions, le problème réel du sédévacantisme. On le vérifie souvent, ce problème est plus d’ordre clinique que théologique. Je n’ai pas l’intention de blesser qui que ce soit par un humour mal placé, mais si l’on est malade psychologiquement ( ex : par une inquiétude excessive et récurrente au sujet du Pape) il faut savoir qu’il est possible de se soigner mais certainement pas en prenant une multitude de bouquins de théologie pour trouver des réponses claires et distinctes à toutes les difficultés présentes, difficultés que n’ont pu résoudre les plus grands théologiens.
On peut se demander pour qui travaillent vraiment ces prêtres sédévacantistes qui nous attaquent si violemment ? Quel est leur supérieur visible ? Nous donnerons là-dessus un avis personnel car puisqu’ ils n’ont pas de supérieur connu qui les envoie en mission ( c’est déjà pou eux un très gros problème) il faut conclure nécessairement qu’ils travaillent pour eux-mêmes ou pour ceux à qui ils rendent service. Alors, à qui profite leur action ? Nous le verrons plus loin.
On peut se demander aussi comment leurs fidèles, s’ils ont un brin de raison, peuvent-ils accepter sans broncher un tel discours ? La réponse est simple. Dans le meilleur des cas ces fidèles n’écoutent rien de ce qui leur est dit ou pas grand chose. Ce sont de purs consommateurs de messe Saint Pie V bio (non una cum). D’où les gyrovagues que nous connaissons dans notre région qui gouttent un peu de tout dans toutes les chapelles parce qu’ils trouvent cela bon pour leur foi.
Mais prenons la phrase la plus intéressante de toute cette littérature : « Exigeons qu’elle (la FSSPX) dise la vérité et qu’elle déclare officiellement que Benoît XVI n’est pas Pape. » et imaginons un peu le scénario qui peut suivre si un tel acte est posé. Suivez donc.
Ainsi, un beau petit matin notre supérieur général, Mgr Fellay, se lève bon pied bon œil et après son petit déjeuner, part déclarer très officiellement, à la face de la terre comme Jonas à Ninive, non seulement que Benoît XVI n’est pas Pape mais aussi, comme le dit sans rire le document diffusé, qu’ il n’y a plus de Pape dans l’Eglise depuis Vatican II, c’est-à-dire depuis bientôt 50 ans ! Bon plan n’est-ce pas ? (N.B : Il est vrai que pour tous les sédévacantistes ce n’est pas un problème que l’Eglise soit privée de Pape pendant une si longue période. Pourquoi ? L’argument est simple : l’Eglise a été privée de Pape pendant 3 ans, c’est un fait historique. Donc elle peut être privée de Pape pendant 50 ans. Imparable ! Mais alors pourquoi pas pendant quinze fois cinquante ans ?)
Continuons la suite du scénario. Que pensez-vous qu’il va se passer après cette superbe annonce du Supérieur Général tant désirée par les sédévacantistes ? Vont-ils chanter un Te Deum parce que l’Eglise renaît de ses cendres grâce à la conversion des « lefebvristes » à la vraie foi ? Farce !
Passons les détails sur les troubles et désordres concernant nos propres troupes. Dégâts minimes sans doute et insignifiants, deux ou trois départs à tout casser sur cinq cents prêtres et quelques centaines de fidèles libéraux qui n’accepteront pas la déclaration, c’est tout. Car bien entendu tous les prêtres de la FSSPX et les fidèles qui lui sont attachés recevront sans discussion une telle annonce du Supérieur et emboîteront unanimement le pas dans son sens. Ben voyons ! C’est si plein de réalisme et de bon sens que c’est indéniable !
Mais surtout une chose est absolument certaine et c’est là qu’il faut un peu insister car cela peut peut-être faire réfléchir encore les indécis. Soyez sûrs que les évêques modernistes seraient les premiers enchantés d’une telle déclaration de notre part. Ce serait pain béni pour eux que de se débarrasser ainsi facilement de ces « lefebvristes » qu’ils haïssent et qu’ils ont toujours haïs à cause de leur attachement à la Tradition et de leur paisible certitude d’appartenir pleinement à l’Eglise catholique.
Pour sûr d’un seul coup d’un seul, la petite chrétienté fondée avec patience, abnégation et cohérence par Mgr Lefebvre ( la prudence est la vertu des chefs) s’effondrerait tout net par des paroles si fracassantes. Les fruits de bénédiction du ciel qui se sont montrés dans le monde entier, malgré mille difficultés et embûches, seraient anéantis par ce seul acte. Tout, vraiment tout, tomberait en miettes. Les conférences épiscopales aux mains des modernistes pourraient déclarer avec satisfaction réelle mais aussi avec une fausse larme à l’œil : « la Fraternité est hors de l’Eglise que c’est triste. Il est évident maintenant pour tous qu’ils ne sont plus catholiques. Les fidèles ne peuvent plus la fréquenter et il ne faut plus la soutenir en aucune façon sous peine de perdre son âme ». Exactement comme dit le texte : « Refusons de soutenir et de fréquenter la FSSPX ».
Cette feuille diffusée nous donne l’esprit qui anime les sédévacantistes, elle est donc très instructive et je m’en sers comme piqûre de rappel à ceux qui n’y voient qu’une position un peu excessive dans la situation actuelle. Elle démontre, s’il en est besoin, le débordement de sagesse qui les guide et cela suffit pour savoir quoi en penser.
Sur le terrain, dans la pratique, la tactique sédévacantiste favorise à cent pour cent les forces modernistes. Aussi qui est leur patron ? Pour qui œuvrent-ils vraiment ? Posons-nous la question, car concrètement que font-ils ? Ils cherchent à anéantir ceux que les modernistes veulent anéantir, seule la méthode est différente. Nulle surprise si l’on découvre que beaucoup de ces intransigeants sont des infiltrés du clan d’en face qui sous des dehors de fidélité à la doctrine de toujours œuvrent main dans la main avec le parti libéral qui domine encore dans le sein de l’Eglise. Ainsi ils entraînent à leur suite les tempéraments « cartésiens » qui veulent partout des idées claires et distinctes mais dont le jugement lapidaire a du mal avec les nuances. C’est noir ou c’est blanc, le gris n’existe pas.
Terminons par un texte du cardinal Pie, évêque de Poitiers au XIXieme siècle, très attaché au Pape mais pas papolâtre :
« Jésus- Christ a promis à ses apôtres, et par dessus tout au chef des apôtres, d’être avec eux jusqu’à la consommation des siècles. Toutefois, les successeurs des apôtres (les évêques) n’ont point hérité de l’infaillibilité, ni surtout de l’impeccabilité ; et le successeur de Pierre lui-même, infaillible dans la doctrine, peut se montrer plus ou moins sage, plus ou moins fort en face des difficultés qui surgissent, des solutions qui sont proposées, des déterminations qui doivent être prises. Ce qui fait la grandeur de certaines périodes de l’histoire ecclésiastique, c’est la sainteté éclatante ; c’est la doctrine éminente, c’est l’intrépidité apostolique des pontifes romains ; et c’est aussi la science et le courage des évêques, leur union parfaite avec le siège de Rome, leur résistance aux suggestions de la puissance du siècle ; enfin, c’est la fidélité de tous les ordres ecclésiastiques, la cohésion de tous les esprits de tous les cœurs dans une même loi et dans une même charité. » p. 270 Tome 4 « œuvres de Mgr de Poitiers »)
Abbé Pierre Barrère
Extrait du Sainte Anne n° 219 de juin 2010