« Vous n’êtes pas en pleine communion, vous êtes hors de l’Eglise » ! Voilà l’arme fatale, l’argument définitif souvent asséné en ultime recours contre la Fraternité Saint Pie X et ses fidèles.
C’est là une accusation fort grave, puisque « hors de l’Eglise, point de salut ». On ne peut la balayer d’un revers d’un main et il faut l’examiner avec soin, quitte à outrepasser dans cet éditorial la longueur habituelle.
L’histoire de l’Eglise montre que tous les hérétiques et autres falsificateurs de l’Evangile ont prétendu revenir à la pureté du message de Jésus-Christ. Comment donc savoir avec certitude si l’on est bien dans l’Eglise de Dieu et si l’on n’a pas été victime d’une contrefaçon ?
Le principe est simple, nous l’énonçons dans le credo : « Je crois (…) en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ». Ces quatre mots sont quatre notes, quatre marques auxquelles on peut reconnaître en toute certitude la véritable Eglise de Dieu. La Providence n’a pas voulu nous abandonner dans la haute mer du monde sans nous donner des phares, des repères visibles auxquels nous fier. Ainsi pour distinguer la véritable Eglise d’avec les multitudes de croyances inspirées par le père du mensonge, il faut vérifier si l’on trouve en elle les quatre marques suivantes :
- elle est une d’une unité de foi, de culte, et de gouvernement,
- elle est sainte de par son fondateur, sa doctrine, sa morale et ses fruits,
- elle est catholique, c’est-à-dire universelle, répandue dans le monde entier, adaptée à tous les hommes et à toutes les cultures,
- elle est apostolique, fondée sur les Apôtres de qui elle a reçu doctrine et autorité.
L’Eglise est une, et cette unité se caractérise par le fait que l’ensemble des fidèles baptisés, sous l’autorité d’un même chef, professent la même foi et exercent le même culte en vue du salut éternel.
Cette unité s’étend non seulement à tous les lieux, mais aussi à tous les temps : l’Eglise traverse les siècles et s’adapte à toutes les époques, tout en restant identiquement la même. La foi d’hier doit se reconnaître dans la foi d’aujourd’hui, de même que le culte d’hier doit se reconnaître dans le culte d’aujourd’hui, et ce sous l’autorité du Pontife suprême dont l’action prolonge celle de ses prédécesseurs.
Notre chapelle, chers fidèles, s’incorpore dans cette unité. La doctrine qui y est enseignée est la doctrine de l’Eglise, sans altération ni changement, cette doctrine qui a été prêchée par Notre-Seigneur, les Apôtres, les Pères de l’Eglise, les papes et tous les Conciles jusqu’à Vatican I.
On ne pourrait malheureusement pas en dire autant de ces chapelles où l’on entend expliquer qu’on peut se sauver dans toutes les religions, que l’enfer est vide, que l’important c’est d’être sincère, que la foi est un sentiment religieux ou qu’il ne faut pas prendre la virginité de Marie au pied de la lettre. Mais s’il ne faut plus prendre les dogmes de foi au pied de la lettre, que reste-t-il donc de la foi catholique ? Non, ce n’est pas l’Eglise qui parle ainsi.
Le culte également que nous célébrons et voulons conserver à tout prix, est le culte de toujours. Au sein de la Tradition, changez de chapelle, changez de prêtres, vous ne changerez pas de culte : la messe est partout le même hommage rendu par l’Eglise au Créateur.
L’histoire de l’Eglise nous apprend qu’il y a eu des réformes dans le passé, mais jamais de révolution.
Des Pontifes ont œuvré pour restaurer la liturgie, mais jamais pour la changer radicalement : jamais on n’avait vu de nouvelle messe, de nouvelle façon d’administrer les sacrements, de nouvelle liturgie car cela aurait mis à mal l’unité de culte, comme on le voit hélas aujourd’hui. Ceci de plus est aggravé par les souplesses extraordinaires accordées par cette nouvelle liturgie : on peut choisir l’épître, l’évangile, bon nombre de prières, et jusqu’au canon de la messe. Où est l’unité de culte dans une pareille réforme ? On change de pays, de région, de chapelle même, et la messe change, est célébrée différemment. Qui donc a brisé l’unité ?
Mais à cela on entend répondre : « c’est vous qui brisez l’unité parce que vous ne respectez pas le Pape », puis vient comme un coup de fouet l’injure suprême : « vous êtes schismatiques ».
Là, c’est grave ! Le schisme est en effet directement opposé à l’unité de l’Eglise en ce qu’il brise l’unité de gouvernement. Ainsi en 1054 les orthodoxes ont quitté l’Eglise de Dieu lorsqu’ils ont prétendu que l’autorité du pape était circonscrite à l’Occident, les patriarches d’Orient ne relevant pas de sa juridiction. Mais jamais la Fraternité n’a prétendu pareille chose. Le pape, évêque de Rome, a autorité universelle, et tous lui doivent obéissance. Nous reconnaissons l’autorité du Pontife romain, successeur de Pierre et vicaire du Christ.
Il y a cependant une importante précision à donner : l’obéissance envers un homme, quelle que soit son autorité, est toujours encadrée par les limites de cette autorité, et soumise aux impératifs de la loi de Dieu. Cette précision fonde une distinction qui ne pourrait être mieux exposée qu’en citant la fameuse déclaration doctrinale de monseigneur Lefebvre de 1974 :
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la Foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le Concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues. »
Voilà quelle est notre position et, en refusant de suivre cette voix discordante, qui n’est pas celle du Bon Pasteur, nous ne brisons en rien l’unité. Ce sont au contraire les promoteurs de cette orientation nouvelle, qui nous prêchent une nouvelle doctrine, célèbrent un nouveau culte, établissent un nouveau droit canon, enseignent un nouveau catéchisme, ce sont ces novateurs qui brisent l’unité et sont désavoués par vingt conciles doctrinaux (et non simplement pastoraux), deux cent soixante papes, l’unanimité des pères de l’Eglise et la Sainte Ecriture tout entière.
Non, notre fidélité à la Tradition ne brise pas l’unité de l’Eglise mais la préserve au contraire en la maintenant enracinée dans son immuable Tradition reçue de Notre-Seigneur.
L’Eglise est sainte : sainte par son fondateur, sainte par sa doctrine, sainte par sa morale et sainte enfin par ses fruits. Il est à peine nécessaire de développer le premier point, tant il est évident. « Qui d’entre vous me convaincra de péché » avait lancé Notre-Seigneur à la face de ses ennemis, et aucun d’entre eux n’avait relevé ce formidable défi. L’Eglise catholique a été fondée par Celui qui est la référence absolue de toute sainteté.
La doctrine qu’a enseignée Notre Seigneur est sainte, surnaturelle, divine. Jésus-Christ est venu révéler Dieu aux hommes, et non révéler l’homme à lui-même.
La morale qu’Il a prêchée est sainte, elle invite l’homme à se sanctifier, à se hausser au-dessus de sa condition humaine pour se diviniser par la grâce de Dieu. Morale exigeante, certes, qui impose sacrifice et renoncement, mais morale enthousiasmante. Dieu lui-même nous invite à le suivre sur les sommets de la perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ».
De fait, l’Eglise produit des fruits de sainteté. Même si, hélas, tous ses fils ne sont pas des saints, loin s’en faut, il n’empêche que ceux qui suivent sa voix progressent dans la vertu, se sanctifient réellement, jusqu’à même, pour les meilleurs d’entre eux, mériter d’être cités en exemple par la canonisation. Voilà la sainteté de l’Eglise dans sa source, dans son enseignement et dans ses œuvres.
Mais depuis le Concile, quel changement ! Où est donc la note de sainteté dans ces chapelles où l’on s’occupe tant de l’homme et si peu de Dieu ? Quelle est l’élévation de cette doctrine naturelle et naturaliste que l’on entend si souvent dégouliner de certaines chaires ? Dieu est le grand absent de bon nombre de prédications modernes où l’on entend parler des inégalités sociales et de la faim dans le monde bien plus que de Jésus-Christ. Où est la sainteté de cette morale relativiste que l’on entend prêcher aujourd’hui, morale qui minimise le péché et se montre tellement compréhensive pour le pécheur qu’elle en oublie de l’exhorter à la conversion, sous prétexte que Dieu est amour. Il n’y a d’ailleurs plus de péché, selon beaucoup, puisque l’on voit hélas en tant d’endroits les confessionnaux abandonnés, peuplés de silence et couverts de poussière.
Par contraste, que voit-on dans la Tradition ? Rien d’original, mais tout simplement ce que fait l’Eglise depuis fort longtemps, ce qui a porté des fruits de sainteté dans le passé et en porte encore aujourd’hui chez qui veut mettre en pratique les conseils de l’Eglise.
L’Eglise est catholique, c’est-à-dire universelle. « Allez, enseignez toutes les nations ». Notre-Seigneur, venu sur terre pour sauver tous les hommes, veut que tous aient part au salut en entrant dans l’Eglise. C’était à l’époque une nouveauté absolue : les cultes étaient locaux, et chaque nation, chaque culture avait le sien. L’Eglise, elle, n’a pas de pays, elle dépasse toutes les différences, transcende toutes les cultures, s’adaptent à tous les pays sans renier son unité foncière.
C’était à l’époque tellement nouveau, tellement propre à l’Eglise de Dieu, que l’habitude s’est prise, pour la caractériser, de l’appeler “Eglise catholique”.
Mais aujourd’hui, les diverses croyances sont en général vues comme transcendant les différences de peuples et de cultures. Le démon a bien compris qu’il n’attirerait plus les hommes par des erreurs localisées, comme c’était le cas autrefois avec les dieux de tel ou tel pays. Aussi les fausses religions qu’il suscite maintenant sont-elles universelles elles aussi, au point que cette note, même si elle se trouve toujours pleinement dans la vraie Eglise de Dieu, ne suffit plus à elle seule à la distinguer nettement de toute autre.
L’Eglise est apostolique, elle est fondée sur les Apôtres qui ont été choisis par Dieu pour être les colonnes de l’Eglise. Durant trois années, Notre-Seigneur les a formés pour qu’après son Ascension, ils puissent enseigner la Vérité, sanctifier les âmes et gouverner le troupeau qu’Il avait acquis par son Sang. L’Eglise prolonge cette mission première, elle perpétue à travers les âges l’œuvre de salut réalisée par Jésus-Christ et confiée par Lui aux Apôtres.
L’Eglise est apostolique : la doctrine qu’elle enseigne lui vient des Apôtres. Elle l’a reçue comme un dépôt sacrée et doit le conserver fidèlement suivant la consigne de saint Paul : « Et toi, Timothée, garde le dépôt. » Chaque génération reçoit de la précédente ce dépôt divin, doit le défendre et le transmettre à la génération suivante.
Puisque cette transmission fidèle est inséparable de la note d’apostolicité de l’Eglise, il s’en suit que l’Eglise ne peut rompre avec son passé sans cesser d’être apostolique, sans se renier elle-même.
L’Eglise est une Tradition, elle vit de la transmission d’un héritage reçu des Apôtres, conservé avec soin, développé et expliqué par le Magistère, toujours à la lumière de l’enseignement constant de l’Eglise et des Apôtres. L’Eglise est traditionnelle parce qu’elle est apostolique.
Ceci étant posé, comment serions-nous hors de l’Eglise, nous qui précisément voulons conserver ce que la Tradition issue des Apôtres nous a transmis ? Comment serions-nous hors de l’Eglise, nous qui voulons préserver l’unité de l’Eglise en la maintenant enracinée dans sa Tradition ? Comment serions-nous hors de l’Eglise, nous qui refusons de tolérer que l’on désacralise la liturgie, que l’on rabaisse l’autorité souveraine du Christ-Roi, que l’on laisse croire au nom de l’œcuménisme, que toutes les religions mènent à Dieu, que l’on organise à Assise des péchés publics contre le premier commandement ? En un mot, comment serions-nous hors de l’Eglise, nous qui voulons justement la défendre contre les perfides nouveautés et la maintenir dans son unité, sa sainteté, sa catholicité et son apostolicité ?
La voix de l’Eglise est la voix des Apôtres, cette même voix sainte et sanctifiante qui se fait entendre dans une unité parfaite depuis deux mille ans. Nous voulons continuer à entendre cette voix et la faire entendre aux fidèles. Saint Paul nous en a averti : si un autre évangile venait à être propagé, fut-ce par un ange de Dieu, nous ne devrions pas le croire. Et cette fidélité a valu à monseigneur Lefebvre de subir l’infamie d’une excommunication injustifiée. « Juger selon la justice et non selon les apparences » disait Notre-Seigneur aux pharisiens. Comment pourrions-nous être punis devant Dieu quand nous ne voulons que suivre la voix de l’Eglise, faire ce qu’a toujours fait l’Eglise, et transmettre à nos enfants ce que nous avons nous-mêmes reçu ?
Cette fidélité nous vaut d’être traité comme des parias, chassés des sanctuaires construits pourtant par des catholiques pour servir au culte catholique. Il a fallu transformer des garages en chapelle, reconstruire des écoles et des séminaires, et la crise, loin de finir, semble encore s’aggraver. Cette épreuve du temps est la plus difficile. Faut-il se laisser aller au désespoir ? Jamais de la vie. Haut les cœurs !
L’Eglise est divine : un jour elle sortira du tombeau, sortira de cette crise plus forte et plus belle encore qu’autrefois. Un jour, la lumière brillera à nouveau à Rome et cette lumière éclairera le monde entier. En attendant ce jour béni, ne nous laissons pas ébranler : quoiqu’on dise de nous, nous sommes membres de l’Eglise de Dieu, cette Eglise visible et concrète, aisément reconnaissable à tous par ses quatre notes. Et puisque nous en faisons pleinement partie, il est impossible de nous dire que nous devons y rentrer.
Abbé Benoît Storez
Source : Le Belvédère n° 26 d’avril 2013