Concile Vatican II

21ᵉ œcuménique ; 11 oct. 1962-8 déc. 1965

11 octobre 1962

Discours lors de l'ouverture du concile Vatican II

Table des matières

Un peu après midi, à l’is­sue de la gran­diose céré­mo­nie d’ou­ver­ture du Concile qui avait com­men­cé à 8h30 et que des mil­lions de per­sonnes ont pu suivre inté­gra­le­ment par la télé­vi­sion, le Saint-​Père s’est adres­sé en ces termes aux deux mille cinq cent qua­rante Pères conci­liaires qui étaient présents.

Vénérables frères,

Notre sainte Mère l’Eglise est dans la joie. Par une faveur par­ti­cu­lière de la divine Providence, le jour si atten­du est arri­vé où, sous la pro­tec­tion de la sainte Mère de Dieu dont nous fêtons aujourd’­hui la Maternité, s’ouvre solen­nel­le­ment, auprès du tom­beau de saint Pierre, le IIe Concile œcu­mé­nique du Vatican.

Les Conciles œcuméniques dans l’Église

Tous les Conciles qui se sont célé­brés au cours des temps – aus­si bien les vingt Conciles œcu­mé­niques que les innom­brables Conciles pro­vin­ciaux et régio­naux, impor­tants eux aus­si – attestent clai­re­ment la vita­li­té de l’Eglise catho­lique et sont comme des flam­beaux jalon­nant son histoire.

L’humble Successeur du Prince des apôtres qui vous parle, le der­nier en date, a vou­lu en convo­quant ces impor­tantes assises don­ner une nou­velle affir­ma­tion du magis­tère ecclé­sias­tique tou­jours vivant et qui conti­nue­ra jus­qu’à la fin des temps. Par le Concile, en tenant compte des erreurs, des besoins et des pos­si­bi­li­tés de notre époque, ce magis­tère sera pré­sen­té aujourd’­hui d’une façon extra­or­di­naire à tous les hommes qui vivent sur la terre.

En ouvrant ce Concile uni­ver­sel, il est bien natu­rel que le Vicaire du Christ qui vous parle jette un regard vers le pas­sé et écoute les échos vivants et récon­for­tants qui en pro­viennent. Il aime évo­quer le sou­ve­nir des Souverains Pontifes si méri­tants, des temps loin­tains et récents, qui ont trans­mis le témoi­gnage de ces voix graves et véné­rables que furent les Conciles d’Orient et d’Occident, du IVe siècle au Moyen Age et jus­qu’à notre époque. Avec une constante fer­veur, ils ont pro­cla­mé le triomphe de cette socié­té à la fois divine et humaine qu’est l’Eglise du Christ, laquelle a reçu du divin Rédempteur son nom, son sens et le don de la grâce.

Si ce sont là des motifs de joie spi­ri­tuelle, nous ne pou­vons cepen­dant pas oublier les souf­frances et les épreuves de toutes sortes qui, pen­dant dix-​neuf siècles ont obs­cur­ci cette his­toire. La pro­phé­tie que fit autre­fois à Marie le vieillard Siméon s’est réa­li­sée et elle conti­nue à se réa­li­ser : « Vois ! cet enfant doit ame­ner la chute et le relè­ve­ment d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contra­dic­tion. » (Luc, 2, 34.) Et Jésus lui-​même, lors­qu’il fut deve­nu adulte, annon­ça clai­re­ment par ces paroles mys­té­rieuses qu’au cours des temps les hommes feraient preuve d’hos­ti­li­té à son égard : « Qui vous écoute m’é­coute ». (Ibid., 10, 16.) Et aus­si : « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’a­masse pas avec moi dis­sipe. » (Ibid., 11, 23.)

Les graves pro­blèmes posés au genre humain depuis près de vingt siècles res­tent les mêmes. Jésus-​Christ reste en effet tou­jours au centre de l’his­toire et de la vie : les hommes, ou bien sont avec lui et avec son Eglise, et alors ils jouissent de la lumière, de la bon­té, de l’ordre et de la paix ; ou bien vivent sans lui, agissent contre lui ou demeurent déli­bé­ré­ment hors de son Eglise, et alors ils connaissent la confu­sion, la dure­té dans leurs rap­ports entre eux et le risque de guerres sanglantes.

Les Conciles œcu­mé­niques, chaque fois qu’ils se réunissent, affirment solen­nel­le­ment cette union avec le Christ et son Eglise, ils font res­plen­dir à tous les hori­zons la lumière de la véri­té, ils orientent vers le bon che­min la vie des indi­vi­dus, des familles et des socié­tés, ils sus­citent et affer­missent les éner­gies spi­ri­tuelles et élèvent sans cesse les âmes vers les biens authen­tiques et éternels.

Nous avons devant les yeux les témoi­gnages de ce magis­tère extra­or­di­naire de l’Eglise que sont les Conciles œcu­mé­niques lorsque nous regar­dons les dif­fé­rentes époques qui se sont suc­cé­dé au cours des vingt siècles de l’his­toire chré­tienne. Leurs docu­ments sont recueillis dans d’im­po­sants et nom­breux volumes et ils consti­tuent un tré­sor sacré qui est gar­dé dans les archives de Rome et dans les biblio­thèques les plus célèbres du monde entier.

Origine et mobile du IIe Concile Œcuménique du Vatican

Pour ce qui est de l’o­ri­gine et des mobiles de ce grand évé­ne­ment, pour lequel il Nous a plu de vous convo­quer ici, qu’il suf­fise de réaf­fir­mer l’humble témoi­gnage de Notre expé­rience per­son­nelle : la pre­mière idée de ce Concile Nous est venue d’une façon tout à fait impré­vue ; ensuite, Nous l’a­vons expri­mée avec sim­pli­ci­té devant le Sacré-​Collège des car­di­naux réuni en la basi­lique de Saint-​Paul hors les murs en cet heu­reux jour du 25 jan­vier 1959, fête de la conver­sion de saint Paul. Les âmes de ceux qui étaient pré­sents furent aus­si­tôt frap­pées comme par un éclair de lumière céleste, les yeux et les visages de tous reflé­taient la douce émo­tion qu’ils res­sen­taient. Tout de suite, on se mit au tra­vail avec ardeur dans le monde entier et tout le monde com­men­ça à attendre avec fer­veur la célé­bra­tion du Concile.

Pendant trois années, on a tra­vaillé à son active pré­pa­ra­tion, afin de connaître d’une façon plus ample et appro­fon­die en quelle estime est tenue la foi en notre époque, de s’en­qué­rir de la pra­tique reli­gieuse et de la vita­li­té du monde chré­tien, spé­cia­le­ment du monde catholique.

Ce temps de la pré­pa­ra­tion du Concile œcu­mé­nique Nous appa­raît à juste titre comme un pre­mier signe et un pre­mier don de la grâce céleste.

Les lumières de ce Concile seront pour l’Eglise, Nous l’es­pé­rons, une source d’en­ri­chis­se­ment spi­ri­tuel. Après avoir pui­sé en lui de nou­velles éner­gies, elle regar­de­ra sans crainte vers l’a­ve­nir. En effet, lorsque auront été appor­tées les cor­rec­tions qui s’im­posent et grâce à l’ins­tau­ra­tion d’une sage coopé­ra­tion mutuelle, l’Eglise fera en sorte que les hommes, les familles, les nations tournent réel­le­ment leurs esprits vers les choses d’en-haut.

La célé­bra­tion de ce Concile nous fait donc un devoir d’ex­pri­mer notre recon­nais­sance envers Celui de qui viennent tous les biens et de pro­cla­mer en un chant joyeux la gloire du Christ Notre-​Seigneur, Roi glo­rieux et immor­tel des siècles et des nations.

L’opportunité de la célébration du Concile

Sur ce point, véné­rables frères, il est une autre chose sur laquelle il est bon d’at­ti­rer votre atten­tion. Pour que soit plus com­plète la sainte joie qui en cette heure solen­nelle rem­plit nos cœurs, qu’il Nous soit per­mis de dire devant cette grande assem­blée que ce Concile œcu­mé­nique s’ouvre dans des cir­cons­tances par­ti­cu­liè­re­ment favorables.

Il arrive sou­vent que dans l’exer­cice quo­ti­dien de Notre minis­tère apos­to­lique Nos oreilles soient offen­sées en appre­nant ce que disent cer­tains qui, bien qu’en­flam­més de zèle reli­gieux, manquent de jus­tesse de juge­ment et de pon­dé­ra­tion dans leur façon de voir les choses. Dans la situa­tion actuelle de la socié­té, ils ne voient que ruines et cala­mi­tés ; ils ont cou­tume de dire que notre époque a pro­fon­dé­ment empi­ré par rap­port aux siècles pas­sés ; ils se conduisent comme si l’his­toire, qui est maî­tresse de vie, n’a­vait rien à leur apprendre et comme si du temps des Conciles d’au­tre­fois tout était par­fait en ce qui concerne la doc­trine chré­tienne, les mœurs et la juste liber­té de l’Eglise.

Il Nous semble néces­saire de dire Notre com­plet désac­cord avec ces pro­phètes de mal­heur, qui annoncent tou­jours des catas­trophes, comme si le monde était près de sa fin.

Dans le cours actuel des évé­ne­ments, alors que la socié­té humaine semble à un tour­nant, il vaut mieux recon­naître les des­seins mys­té­rieux de la Providence divine qui, à tra­vers la suc­ces­sion des temps et les tra­vaux des hommes, la plu­part du temps contre toute attente, atteignent leur fin et dis­posent tout avec sagesse pour le bien de l’Eglise, même les évé­ne­ments contraires.

On peut faci­le­ment en faire la consta­ta­tion, si on consi­dère atten­ti­ve­ment les très graves ques­tions et contro­verses actuelles d’ordre poli­tique et éco­no­mique. Elle pré­oc­cupent tel­le­ment les hommes qu’elles les empêchent de pen­ser aux choses reli­gieuses qui res­sortent du magis­tère de l’Eglise. Cette atti­tude n’est cer­tai­ne­ment pas bonne et elle doit être réprou­vée. Personne cepen­dant ne peut nier que les nou­velles condi­tions de vie ont au moins cet avan­tage d’a­voir sup­pri­mé d’in­nom­brables obs­tacles par les­quels autre­fois les fils du siècle entra­vaient la liber­té d’ac­tion de l’Eglise. Il suf­fit de jeter un coup d’œil sur l’his­toire de l’Eglise pour voir tout de suite avec évi­dence que les Conciles œcu­mé­niques eux-​mêmes, dont les vicis­si­tudes sont ins­crites en lettres d’or dans les fastes de l’Eglise, ont sou­vent connu de graves dif­fi­cul­tés et des motifs de tris­tesse à cause de l’in­tru­sion du pou­voir civil. Ces princes sécu­liers se pro­po­saient certes par­fois sin­cè­re­ment de pro­té­ger l’Eglise ; mais la plu­part du temps cela ne se fai­sait pas sans dan­gers ni dom­mages pour le spi­ri­tuel, car ils étaient bien sou­vent pous­sés par des motifs poli­tiques et trop sou­cieux de leurs propres intérêts.

Il est vrai qu’au­jourd’­hui Nous avouons éprou­ver une peine très vive à cause de l’ab­sence par­mi vous d’un grand nombre d’é­vêques qui Nous sont très chers et qui, à cause de leur foi dans le Christ, sont en pri­son ou bien empê­chés d’autre manière. Cela nous incite prier pour eux avec fer­veur. Cependant, c’est avec espé­rance et un grand récon­fort que Nous le consta­tons : aujourd’­hui l’Eglise, enfin libé­rée de tous les obs­tacles pro­fanes d’au­tre­fois, peut depuis cette basi­lique vati­cane, comme d’un second Cénacle, faire entendre par vous sa voix pleine de majes­té et de gravité.

La principale tâche du Concile : Défendre et promouvoir la doctrine

Ce qui est très impor­tant pour le Concile œcu­mé­nique, c’est que le dépôt sacré de la doc­trine chré­tienne soit conser­vé et pré­sen­té d’une façon plus efficace.

Cette doc­trine embrasse l’homme tout entier, dans son corps et dans son âme, et elle nous demande d’être sur terre des pèle­rins en route vers la patrie céleste.

Nous voyons par là que cette vie mor­telle doit s’o­rien­ter de telle façon que, en accom­plis­sant nos devoirs à l’é­gard de la cité ter­restre et de la cité céleste, nous puis­sions par­ve­nir à la fin que Dieu a vou­lue pour nous. Cela veut dire que tous les hommes, soit indi­vi­duel­le­ment, soit col­lec­ti­ve­ment, ont le devoir de tendre constam­ment et pen­dant toute leur vie à l’ob­ten­tion des biens célestes. Et l’u­sage qu’ils font des choses de la terre doit être ordon­né à cette fin, en veillant à ce que les biens tem­po­rels ne mettent pas en dan­ger leur bon­heur éternel.

Le Christ Notre-​Seigneur ne nous a‑t-​il pas dit : « Cherchez d’a­bord le royaume de Dieu et sa jus­tice » ? (Matth., 6, 33.) « D’abord », cela veut dire que nos éner­gies et nos pen­sées doivent tendre avant tout à cela. Cependant, il ne faut pas oublier ce que le Seigneur nous dit ensuite : « Et tout le reste vous sera don­né par sur­croît. » (Ibid.) Il y a tou­jours eu et il y a encore dans l’Eglise des gens qui, tout en aspi­rant de toutes leurs forces à la per­fec­tion évan­gé­lique, se rendent en même temps utiles à la socié­té. Leur vie exem­plaire et leurs actes de cha­ri­té sont en effet une grande force et un impor­tant fac­teur de déve­lop­pe­ment pour ce qu’il y a de plus haut et de puis noble dans la socié­té humaine.

Puisque cette doc­trine embrasse les mul­tiples domaines de l’ac­ti­vi­té humaine, indi­vi­duelle, fami­liale et sociale, il est néces­saire avant tout que l’Eglise ne détourne jamais son regard de l’hé­ri­tage sacré de véri­té qu’elle a reçu des anciens. Mais il faut aus­si qu’elle se tourne vers les temps pré­sents, qui entraînent de nou­velles situa­tions, de nou­velles formes de vie et ouvrent de nou­velles voies à l’a­pos­to­lat catholique.

C’est pour cette rai­son que l’Eglise n’est pas res­tée indif­fé­rente devant les admi­rables inven­tions du génie humain et les pro­grès de la science dont nous pro­fi­tons aujourd’­hui, et qu’elle n’a pas man­qué de les esti­mer à leur juste valeur. Mais en sui­vant atten­ti­ve­ment ces déve­lop­pe­ments, elle n’ou­blie pas d’a­ver­tir les hommes que, par delà l’as­pect visible des choses, ils doivent regar­der vers Dieu, source de toute sagesse et de toute beau­té. Eux à qui il a été dit : « Soumettez la terre et dominez-​la » (cf. Gen., 1, 28), ne doivent en effet jamais oublier ce grave com­man­de­ment : « Tu ado­re­ras le Seigneur ton Dieu et tu le ser­vi­ras lui seul. » (Matth., 4, 10 ; Luc, 4, 8.) Ils évi­te­ront ain­si que la fas­ci­na­tion pas­sa­gère des choses maté­rielles ne nuise au véri­table progrès.

Comment promouvoir la doctrine à notre époque

Ces choses étant dites, véné­rables frères, il est pos­sible de voir avec suf­fi­sam­ment de clar­té la tâche qui attend le Concile sur le plan doctrinal.

Le XXIe Concile œcu­mé­nique – qui béné­fi­cie­ra de l’aide effi­cace et très appré­ciable d’ex­perts en matière de science sacrée, de pas­to­rale et de ques­tions admi­nis­tra­tives – veut trans­mettre dans son inté­gri­té, sans l’af­fai­blir ni l’al­té­rer, la doc­trine catho­lique qui, mal­gré les dif­fi­cul­tés et les oppo­si­tions, est deve­nue comme le patri­moine com­mun des hommes. Certes, ce patri­moine ne plaît pas à tous, mais il est offert à tous les hommes de bonne volon­té comme un riche tré­sor qui est à leur disposition.

Cependant, ce pré­cieux tré­sor nous ne devons pas seule­ment le gar­der comme si nous n’é­tions pré­oc­cu­pés que du pas­sé, mais nous devons nous mettre joyeu­se­ment, sans crainte, au tra­vail qu’exige notre époque, en pour­sui­vant la route sur laquelle l’Eglise marche depuis près de vingt siècles.

Nous n’a­vons pas non plus comme pre­mier but de dis­cu­ter de cer­tains cha­pitres fon­da­men­taux de la doc­trine de l’Eglise, et donc de répé­ter plus abon­dam­ment ce que les Pères et les théo­lo­giens anciens et modernes ont déjà dit. Cette doc­trine, Nous le pen­sons, vous ne l’i­gno­rez pas et elle est gra­vée dans vos esprits.

En effet, s’il s’é­tait agi uni­que­ment de dis­cus­sions de cette sorte, il n’au­rait pas été besoin de réunir un Concile œcu­mé­nique. Ce qui est néces­saire aujourd’­hui, c’est l’adhé­sion de tous, dans un amour renou­ve­lé, dans la paix et la séré­ni­té, à toute la doc­trine chré­tienne dans si plé­ni­tude, trans­mise avec cette pré­ci­sion de termes et de concepts qui a fait la gloire par­ti­cu­liè­re­ment du Concile de Trente et du pre­mier Concile du Vatican. Il faut que, répon­dant au vif désir de tous ceux qui sont sin­cè­re­ment atta­chés à tout ce qui est chré­tien, catho­lique et apos­to­lique, cette doc­trine soit plus lar­ge­ment et hau­te­ment connue, que les âmes soient plus pro­fon­dé­ment impré­gnées d’elle, trans­for­mées par elle. Il faut que cette doc­trine cer­taine et immuable, qui doit être res­pec­tée fidè­le­ment, soit appro­fon­die et pré­sen­tée de la façon qui répond aux exi­gences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-​même de la foi, c’est-​à-​dire les véri­tés conte­nues dans notre véné­rable doc­trine, et autre est la forme sous laquelle ces véri­tés sont énon­cées, en leur conser­vant tou­te­fois le même sens et la même por­tée. Il fau­dra atta­cher beau­coup d’im­por­tance à cette forme et tra­vailler patiem­ment, s’il le faut, à son éla­bo­ra­tion ; et on devra recou­rir à une façon de pré­sen­ter qui cor­res­pond mieux à un ensei­gne­ment de carac­tère sur­tout pastoral.

Comment réprimer les erreurs

Au moment où s’ouvre ce IIe Concile œcu­mé­nique du Vatican, il n’a jamais été aus­si mani­feste que la véri­té du Seigneur demeure éter­nel­le­ment. En effet, dans la suc­ces­sion des temps, nous voyons les opi­nions incer­taines des hommes s’ex­clure les unes le autres, et bien sou­vent à peine les erreurs sont-​elles nées qu’elles s’é­va­nouissent comme brume au soleil.

L’Eglise n’a jamais ces­sé de s’op­po­ser à ces erreurs. Elle les a même sou­vent condam­nées, et très sévè­re­ment. Mais aujourd’­hui, l’Epouse du Christ pré­fère recou­rir au remède de la misé­ri­corde, plu­tôt que de bran­dir les armes de la sévé­ri­té. Elle estime que, plu­tôt que de condam­ner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en met­tant davan­tage en valeur les richesses de sa doc­trine. Certes, il ne manque pas de doc­trines et d’o­pi­nions fausses, de dan­gers dont il faut se mettre en garde et que l’on doit écar­ter ; mais tout cela est si mani­fes­te­ment oppo­sé aux prin­cipes d’hon­nê­te­té et porte des fruits si amers, qu’au­jourd’­hui les hommes semblent com­men­cer à les condam­ner d’eux-​mêmes. C’est le cas par­ti­cu­liè­re­ment pour ces manières de vivre au mépris de Dieu et de ses lois, en met­tant une confiance exa­gé­rée dans le pro­grès tech­nique, en fai­sant consis­ter la pros­pé­ri­té uni­que­ment dans le confort de l’exis­tence. Les hommes sont de plus en plus convain­cus que la digni­té et la per­fec­tion de la per­sonne humaine sont des valeurs très impor­tantes qui exigent de rudes efforts. Mais ce qui est très impor­tant, c’est que l’ex­pé­rience a fini par leur apprendre que la vio­lence exté­rieure impo­sée aux autres, la puis­sance des armes, la domi­na­tion poli­tique ne sont pas capables d’ap­por­ter une heu­reuse solu­tion aux graves pro­blèmes qui les angoissent.

L’Eglise catho­lique, en bran­dis­sant par ce Concile œcu­mé­nique le flam­beau de la véri­té reli­gieuse au milieu de cette situa­tion, veut être pour tous une mère très aimante, bonne, patiente, pleine de bon­té et de misé­ri­corde pour ses fils qui sont sépa­rés d’elle. A l’hu­ma­ni­té acca­blée sous le poids de tant de dif­fi­cul­tés, elle dit comme saint Pierre au pauvre qui lui deman­dait l’au­mône : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-​Christ, le Nazaréen, marche. » (Actes, 3, 6.) Certes, l’Eglise ne pro­pose pas aux hommes de notre temps des richesses péris­sables, elle ne leur pro­met pas non plus le bon­heur sur la terre, mais elle leur com­mu­nique les biens de la grâce qui élèvent l’homme à la digni­té de fils de Dieu et, par là, sont d’un tel secours pour rendre leur vie plus humaine en même temps qu’ils sont la solide garan­tie d’une telle vie. Elle ouvre les sources de sa doc­trine si riche, grâce à laquelle les hommes, éclai­rés de la lumière du Christ, peuvent prendre plei­ne­ment conscience de ce qu’ils sont vrai­ment, de leur digni­té et de la fin qu’ils doivent pour­suivre. Et enfin, par ses fils, elle étend par­tout l’im­men­si­té de la cha­ri­té chré­tienne, qui est le meilleur et le plus effi­cace moyen d’é­car­ter les semences de dis­corde, de sus­ci­ter la concorde, la juste paix et l’u­ni­té fra­ter­nelle de tous.

Faire grandir l’unité de la famille chrétienne et humaine

Si l’Eglise a le sou­ci de pro­mou­voir et de défendre la véri­té, c’est parce que, selon le des­sein de Dieu, « qui veut que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té » (1 Tim., 2, 4), sans l’aide de la véri­té révé­lée tout entière, les hommes ne peuvent par­ve­nir à l’ab­so­lue et ferme uni­té des âmes à laquelle sont liés toute vraie paix et le salut éternel.

Mais cette uni­té visible dans la véri­té, la famille des chré­tiens tout entière ne l’a encore mal­heu­reu­se­ment pas atteinte plei­ne­ment et com­plè­te­ment. Cependant, l’Eglise catho­lique estime que son devoir est de faire tous ses efforts pour que s’ac­com­plisse le grand mys­tère de cette uni­té que Jésus-​Christ, à l’ap­proche de son sacri­fice, a deman­dée à son Père dans une ardente prière ; et elle éprouve une douce paix à savoir qu’elle est étroi­te­ment unie à ces prières du Christ. Elle se réjouit même sin­cè­re­ment de voir que ces prières ne cessent de mul­ti­plier leurs fruits abon­dants et salu­taires, même par­mi ceux qui vivent hors de son sein. En effet, à bien consi­dé­rer cette uni­té que Jésus-​Christ a implo­rée pour son Eglise, on voit qu’elle res­plen­dit d’une triple lumière céleste et bien­fai­sante l’u­ni­té des catho­liques entre eux, qui doit res­ter extrê­me­ment ferme et exem­plaire ; l’u­ni­té de prières et de vœux ardents qui tra­duisent l’as­pi­ra­tion des chré­tiens sépa­rés du Siège apos­to­lique à être réunis avec nous ; l’u­ni­té enfin d’es­time et de res­pect à l’é­gard de l’Eglise catho­lique, mani­fes­tée par ceux qui pro­fessent diverses formes de reli­gion encore non chrétiennes.

C’est un sujet de pro­fonde tris­tesse de voir que la majeure par­tie du genre humain – bien que tous les hommes qui viennent en ce monde soient rache­tés par le Sang du Christ – ne par­ti­cipe encore pas aux sources de grâce qui résident dans l’Eglise catho­lique. C’est pour­quoi on peut à bon droit appli­quer à l’Eglise catho­lique – dont la lumière éclaire toutes choses et dont la force sur­na­tu­relle d’u­ni­té pro­fite à toute la famille humaine – ces nobles paroles de saint Cyprien : « L’Eglise, bai­gnée de lumière divine, rayonne dans tout l’u­ni­vers ; et pour­tant, c’est une seule et même lumière qui dif­fuse par­tout sa clar­té sans rompre l’u­ni­té du corps. Ses rameaux féconds s’é­tendent sur toute la terre, ses eaux coulent tou­jours plus abon­dam­ment et plus loin et, cepen­dant, il n’y a qu’une seule tête, une seule ori­gine, une seule mère si riche­ment féconde. C’est de son sein que nous sommes nés, de son lait que nous sommes nour­ris, de son esprit que nous vivons. » [1]

Vénérables frères, voi­là ce que se pro­pose le IIe Concile œcu­mé­nique du Vatican. En unis­sant les forces majeures de l’Eglise, et en tra­vaillant à ce que l’an­nonce du salut soit accueillie plus favo­ra­ble­ment par les hommes, il pré­pare en quelque sorte et il apla­nit la voie menant à l’u­ni­té du genre humain, fon­de­ment néces­saire pour faire que la cité ter­restre soit à l’i­mage de la cité céleste « qui a pour roi la véri­té, pour loi la cha­ri­té et pour mesure l’é­ter­ni­té ». [2]

Conclusion

Vénérables frères dans l’é­pis­co­pat, « Nous vous avons par­lé en toute liber­té ». (2 Cor., 6, 11.) Nous voi­là ras­sem­blés dans cette basi­lique vati­cane, pivot de l’his­toire de l’Eglise, et où main­te­nant le ciel et la terre sont étroi­te­ment unis auprès du tom­beau de saint Pierre et de tant de Nos saints Prédécesseurs, dont les cendres, en cette heure solen­nelle, semblent ani­mées d’un mys­té­rieux fré­mis­se­ment d’allégresse.

Le Concile qui vient de s’ou­vrir est comme une aurore res­plen­dis­sante qui se lève sur l’Eglise, et déjà les pre­miers rayons du soleil levant emplissent nos cœurs de dou­ceur. Tout ici res­pire la sain­te­té et porte à la joie. Nous voyons des étoiles rehaus­ser de leur éclat la majes­té de ce temple, et ces étoiles, comme l’a­pôtre Jean nous en donne le témoi­gnage (Apoc., 1, 20), c’est vous. Avec vous, Nous voyons briller autour du tom­beau du Prince des apôtres comme des chan­de­liers d’or, ce sont les Eglises qui vous sont confiées (ibid.). Nous voyons aus­si de hauts digni­taires qui sont venus à Rome de tous les conti­nents pour repré­sen­ter leurs pays. Tous, ils sont ici dans une atti­tude de res­pect et d’at­tente bienveillante.

On peut donc dire que le ciel et la terre s’u­nissent pour célé­brer le Concile : les saints, pour pro­té­ger nos tra­vaux ; les fidèles, pour conti­nuer à prier avec fer­veur ; et vous tous, pour vous mettre à l’œuvre avec ardeur, en obéis­sant aux ins­pi­ra­tions de l’Esprit-​Saint, afin que vos tra­vaux répondent plei­ne­ment aux vœux et aux besoins des divers peuples. Cela requiert de vous paix et séré­ni­té de cœur, concorde fra­ter­nelle, pon­dé­ra­tion dans les pro­po­si­tions, digni­té dans les dis­cus­sions, et sagesse dans toutes les décisions.

Fasse Dieu que vos tra­vaux et vos efforts, vers les­quels convergent non seule­ment les regards des peuples, mais l’es­poir du monde entier, répondent plei­ne­ment à ce que l’on en attend. Dieu tout-​puissant, c’est en vous et non en nos faibles forces que nous met­tons toute notre confiance. Regardez avec bon­té ces pas­teurs de votre Eglise. Que la lumière de votre grâce nous assiste dans les déci­sions à prendre comme dans les lois à éta­blir ; et dai­gnez exau­cer les prières que nous vous adres­sons d’une même foi, d’une même voix, d’un même cœur.

Ô Marie, secours des chré­tiens, secours des évêques, qui Nous avez don­né tout récem­ment une preuve par­ti­cu­lière de votre amour dans la basi­lique de Lorette où il Nous a plu de véné­rer le mys­tère de l’Incarnation, faites que tout s’a­che­mine vers des réa­li­sa­tions heu­reuses et pros­pères. Avec saint Joseph, votre époux, les apôtres saint Pierre et saint Paul, saint Jean-​Baptiste et saint Jean l’é­van­gé­liste, inter­cé­dez pour nous.

A Jésus-​Christ, notre Rédempteur très aimant, au Roi immor­tel des peuples et des temps, amour, puis­sance et gloire dans les siècles des siècles.

Amen.

Jean XXIII

Notes de bas de page
  1. De Catholicae Ecclesiae Unitate, 5.[]
  2. Saint Augustin, Ep. CXXXVIII, 3.[]