15 septembre 1965

Dixième intervention de Mgr Lefebvre au concile sur la liberté religieuse

Vénérables Pères,

On peut, me semble-​t-​il, expri­mer briè­ve­ment comme suit les prin­cipes de la Déclaration sur la liber­té religieuse :

« Fondée sur la digni­té de la per­sonne humaine, la liber­té reli­gieuse exige l’égalité de droits pour tous les cultes dans la socié­té civile. Celle-​ci doit donc être neutre et assu­rer la pro­tec­tion de toutes les reli­gions, dans les limites de l’ordre public. »

Telle est la concep­tion de la liber­té reli­gieuse à nous pro­po­sée par les rédacteurs.

Cette concep­tion est-​elle nou­velle ou bien affir­mée déjà depuis de longs siècles ? Le rap­por­teur lui-​même a déjà répon­du à cette ques­tion. Page 43, il écrit :

« Une assez longue évo­lu­tion his­to­rique, posi­tive, morale, a conduit à cette concep­tion, en vigueur seule­ment depuis le XVIIIe siècle. » Cet aveu ruine ipso fac­to toute l’argumentation de la déclaration.

En effet, où est entrée en vigueur cette concep­tion ? Dans la tra­di­tion de l’Eglise ou bien hors de l’Eglise ? Evidemment, chez les soi-​disant phi­lo­sophes du XVIIIe siècle : Hobbes, Locke, Rousseau, Voltaire… Au nom de la digni­té de la rai­son humaine, ils ont ten­té de détruire l’Eglise, en fai­sant mas­sa­crer d’innombrables évêques, prêtres, reli­gieuses et fidèles.

Au milieu du XIXe siècle, avec Lamennais, les catho­liques libé­raux ont ten­té d’accommoder cette concep­tion avec la doc­trine de l’Eglise : ils furent condam­nés par Pie IX.

Cette concep­tion, qu’il appelle « un droit nou­veau » dans son ency­clique Immortale Dei, le pape Léon XIII l’a solen­nel­le­ment condam­née comme contraire à la saine phi­lo­so­phie, contraire à l’Ecriture Sainte et à la Tradition.

Cette même concep­tion, ce « droit nou­veau » tant de fois condam­né par l’Eglise, la Commission conci­liaire nous pro­pose, à nous, Pères de Vatican II, d’y sous­crire et de le contresigner.

C’est au nom de cette même concep­tion, au nom de la digni­té de la per­sonne humaine, que les com­mu­nistes veulent réduire tous les hommes à l’athéisme et légi­ti­ment leurs per­sé­cu­tions contre toutes les religions.

Au nom de l’ordre public à sau­ve­gar­der, de nom­breux Etats natio­na­lisent les écoles et ins­ti­tu­tions de l’Eglise, afin de créer l’unité politique.

Jésus-​Christ lui-​même fut cru­ci­fié au nom de l’ordre public et, au nom de ce même ordre, tous les mar­tyrs ont subi leur supplice.

Cette concep­tion de la liber­té reli­gieuse est celle des enne­mis de l’Eglise. Cette année, le franc-​maçon Yves Marsaudon a publié un livre : L’Œcuménisme vu par un franc-​maçon de tra­di­tion. L’auteur du libre y exprime l’espoir des francs-​maçons que notre Concile pro­clame solen­nel­le­ment la liber­té reli­gieuse. De même, les pro­tes­tants, réunis en assem­blée en Suisse, attendent de nous le vote de la décla­ra­tion, sans aucune atté­nua­tion de ces termes.

Que dési­rer de plus pour notre information ?

Comme dit Léon XIII, ce droit nou­veau tend « à l’anéantissement de toutes les reli­gions, notam­ment de la reli­gion catho­lique laquelle, étant la seule vraie entre toutes, ne peut être éga­lée aux autres sans une suprême injustice ».

Enfin et en somme, où se trouve le défaut de toute cette argu­men­ta­tion, impos­sible à prou­ver par la Tradition ou l’Ecriture Sainte, appuyée seule­ment sur la raison ?

Voici pour­quoi elle ne peut se pro­cu­rer par la rai­son : elle omet de défi­nir les notions de liber­té de conscience, de digni­té de la per­sonne humaine. En effet, défi­nir ces notions, c’est rui­ner toute l’argumentation.

Or, en saine phi­lo­so­phie, ces notions ne peuvent être défi­nies sinon par rap­port à la loi divine. La liber­té nous est don­née pour l’observance spon­ta­née de la loi divine. La conscience est la loi divine natu­relle ins­crite dans notre cœur et, après la grâce du bap­tême, la loi divine sur­na­tu­relle. La digni­té de la per­sonne humaine s’acquiert par l’observance de la loi divine. Qui méprise la loi divine perd, par là, sa digni­té. Les dam­nés conserveraient-​ils encore leur digni­té en enfer ?

Il est impos­sible de par­ler véri­di­que­ment de liber­té, de conscience, de digni­té de la per­sonne, sinon par rap­port à la loi divine. Cette obser­vance de la loi divine est le cri­tère de la digni­té humaine. L’homme, la famille, la socié­té civile pos­sèdent une digni­té dans la mesure où ils res­pectent la loi divine.

La loi divine elle-​même nous indique les règles pour le bon usage de notre liber­té. La loi divine elle-​même marque les limites de la contrainte per­mise aux auto­ri­tés consti­tuées par Dieu. La loi divine elle-​même donne la mesure de la liber­té religieuse.

Comme seule l’Eglise du Christ pos­sède l’intégrité et la per­fec­tion de la loi divine natu­relle et sur­na­tu­relle ; comme elle seule a reçu la mis­sion de l’enseigner et les moyens de l’observer, c’est en elle que se trouve véri­ta­ble­ment et réel­le­ment Jésus-​Christ, qui est notre loi. En consé­quence, elle seule pos­sède un droit véri­table à la liber­té reli­gieuse, par­tout et toujours.

Les autres cultes, dans la mesure où ils observent cette loi d’une cer­taine façon, pos­sèdent, on peut le recon­naître, quelque titre plus ou moins fon­dé à l’existence publique et active. Il s’agit alors de cas par­ti­cu­liers, là où existe une grande varié­té de cultes qui peuvent être exa­mi­nés cas par cas.

La loi divine est la clef de toute cette ques­tion de la liber­té reli­gieuse, parce qu’elle est la norme fon­da­men­tale de la reli­gion elle-​même et le cri­tère de la bon­té et de la digni­té de toute l’activité humaine. Nous ne pou­vons par­ler de reli­gion, abs­trac­tion faite de la loi divine. Le même prin­cipe fonde la reli­gion et l’obligation.

Témoins l’Ancien Testament et le peuple élu, pour qui la loi divine, gra­vée sur des tables, était véné­rable à l’instar de Dieu même.

J’ai dit.

† Marcel Lefebvre

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.